Imprimer
Autres documents liés

Rapport | Doc. 13141 | 14 mars 2013

L’éthique dans la science et la technologie

Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias

Rapporteur : M. Jan KAŹMIERCZAK, Pologne, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 11886, Renvoi 3557 du 29 mai 2009. 2013 - Deuxième partie de session

Résumé

La responsabilité des scientifiques de tenir compte de la dimension éthique de leurs travaux est devenue un sujet de société avec la mise au point et l’utilisation de la première bombe atomique au cours de la seconde guerre mondiale. Depuis, les changements technologiques se sont encore accélérés dans un monde de plus en plus interconnecté et sur fond de pressions commerciales. Il est toujours plus difficile de prévoir et d’évaluer précisément leurs conséquences à long terme, et les scientifiques comme les responsables politiques sont de plus en plus souvent confrontés à de graves dilemmes éthiques.

Quelques-uns se demandent jusqu’où l’on devrait aller pour changer le corps humain – dans des domaines comme le génie génétique et le clonage, le génie biomédical et le perfectionnement de l’humain, les neurosciences et la modification du cerveau, le statut moral de l’embryon. Certains s’inquiètent des effets à long terme des nouvelles technologies sur la santé humaine – liés par exemple à la prolifération des champs électromagnétiques, aux nouveaux produits chimiques dans l’environnement, aux nanotechnologies ou aux organismes génétiquement modifiés. D’autres s’interrogent sur les conséquences plus larges des avancées technologiques – faut-il limiter le développement de nouvelles armes, l’exploration de l’espace par le secteur privé ou la géo-ingénierie associée au changement climatique? Au final, ce sont de véritables questions philosophiques qui se posent: quel est exactement le rapport de l’homme à la nature, et jusqu’où les scientifiques devraient-ils être autorisés à aller pour le modifier?

La commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias examine les différentes initiatives prises aux niveaux national, européen et mondial pour qu’une réflexion éthique soit menée sur les objectifs et méthodes des travaux scientifiques, ainsi que sur leurs conséquences et effets indirects. Elle propose que cette réflexion ait lieu dans de nouvelles tribunes et estime que les parlements et les citoyens devraient participer davantage au débat. Enfin, l’Union européenne et l’UNESCO sont invitées à coopérer avec le Conseil de l'Europe pour rédiger – et réviser périodiquement – un ensemble de principes éthiques fondamentaux à appliquer dans tous les domaines de la science et de la technologie.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 23 janvier
2013.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire observe que, dans le contexte d’une concurrence économique internationale accrue, la science et la technologie sont contraintes – sous l’effet de pressions politiques et économiques – de proposer toujours plus d’innovations et de faciliter et d’accélérer la réussite économique; ces pressions peuvent entrer en conflit avec les préoccupations éthiques et entraîner un abaissement des normes nécessaires pour prévenir les risques liés à la recherche scientifique et technologique et protéger pleinement la dignité humaine. En outre, la complexité croissante de la science et de la technologie du fait de leur convergence et de leur interdépendance de plus en plus marquées, ainsi que leurs rapports avec la société, font qu’il est difficile de prévoir et d’évaluer précisément leurs conséquences à long terme.
2. Partant, l’Assemblée estime qu’une réflexion éthique plus concertée devrait être menée au niveau national, suprarégional et mondial sur les objectifs et les usages de la science et de la technologie, les instruments et méthodes qu’elles emploient, les conséquences et les effets indirects qu’elles pourraient avoir et le système global de règles et de comportements dans lequel elles s’inscrivent.
3. L’Assemblée considère que la mise en place d’une réflexion éthique permanente au niveau mondial permettrait de traiter les questions éthiques comme une «cible mouvante» au lieu de fixer un «code éthique», mais également de remettre à plat, de manière périodique, les concepts en vigueur – même les plus fondamentaux, comme la définition de l’«identité humaine» ou de la «dignité humaine».
4. L’Assemblée salue l’initiative des Nations Unies visant à établir un comité mondial pour engager une réflexion éthique permanente et étudier les possibilités de rédiger et de réviser périodiquement un ensemble de principes éthiques fondamentaux basés sur la Déclaration universelle des droits de l’homme. Elle considère que le Conseil de l’Europe pourrait et devrait contribuer à ce processus.
5. A cet égard, l’Assemblée recommande au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe d’envisager la création d’une structure souple et informelle de réflexion éthique, par le biais d’une coopération entre les commissions compétentes de l’Assemblée et les membres des comités d’experts concernés, parmi lesquels le Comité de bioéthique (DH-BIO), en vue d’identifier les nouveaux enjeux éthiques et les principes éthiques fondamentaux pouvant orienter l’action politique et juridique en Europe.
6. Pour renforcer le cadre européen commun d’éthique dans la science et la technologie, l’Assemblée recommande aux Etats membres qui ne l’ont pas encore fait de signer et de ratifier la Convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine: Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine (STE no 164, «Convention d’Oviedo») et ses protocoles et de participer pleinement aux travaux du Comité de bioéthique.
7. En outre, l’Assemblée recommande aux Etats membres du Conseil de l’Europe:
7.1. d’étendre la réflexion éthique et l’évaluation à tous les domaines de recherche, en utilisant l'expérience acquise en matière de bioéthique;
7.2. de charger les organes compétents d'élaborer des lignes directrices présentant les principes éthiques généraux à appliquer dans tous les domaines de la recherche scientifique, ainsi que des codes nationaux plus détaillés sur l'éthique de la recherche à appliquer dans des domaines spécifiques, y compris les sciences sociales et les sciences humaines;
7.3. de considérer la réflexion éthique et l'évaluation de la recherche scientifique et du développement technologique comme une priorité et d'apporter le soutien administratif et financier adéquat aux instances consultatives et de suivi, tout en garantissant leur indépendance;
7.4. de réformer, si besoin est, les procédures et structures existantes afin d'harmoniser les règles éthiques et de rationaliser les procédures de suivi;
7.5. d’examiner et de réformer, si besoin est, les règles actuelles du système d’évaluation des résultats professionnels des scientifiques, afin d’en éliminer les éléments susceptibles de récompenser les comportements contraires à l’éthique (tels que les violations des droits de la propriété intellectuelle, le plagiat, la manipulation de données scientifiques, la «multiplication artificielle» des avancées scientifiques, par exemple par la publication «essaimée» des résultats);
7.6. d’encourager le création de plus de comités d'éthique de la recherche au niveau des universités, des hôpitaux et des autres établissements médicaux, pour faire mieux comprendre et appliquer les principes éthiques et la législation pertinente parmi les étudiants et les chercheurs;
7.7. de faire en sorte que les formations dans toutes les disciplines scientifiques incluent des modules obligatoires sur la réflexion éthique dans la science et la technologie;
7.8. d’améliorer, par des activités de sensibilisation et une formation spécialisée, la capacité des chercheurs et des scientifiques à résoudre les questions éthiques dans leur travail;
7.9. de prévoir dans les programmes de l’enseignement secondaire des possibilités d’engager une réflexion critique plus approfondie sur certaines questions fondamentales liées à la science et à la technologie, notamment la définition de l’humain et la place de l’homme par rapport à la nature;
7.10. de faciliter de larges débats publics sur les questions éthiques qui découlent de la recherche scientifique et du développement de nouvelles technologies.
8. Se référant à sa Résolution 1870 (2012) sur la nécessité d’expertises indépendantes et crédibles, l’Assemblée recommande que tous les Etats membres du Conseil de l’Europe réexaminent les protocoles et dispositifs de contrôle existants relatifs à l’évaluation technique et scientifique indépendante des risques pour la santé humaine et l’environnement, et les améliorent, le cas échéant, en particulier:
8.1. pour empêcher que de nouveaux processus ne soient mis en œuvre et que de nouveaux produits ne soient commercialisés sans garanties suffisantes quant à leur innocuité pour la santé humaine et pour l’environnement;
8.2. pour éviter tout conflit d’intérêts et assurer une fiabilité optimale des résultats, particulièrement en laissant suffisamment de temps pour procéder à l’évaluation des risques à long terme;
8.3. pour assurer une transparence et une indépendance maximales de l’évaluation scientifique et technique, notamment par l’instauration d’un système de traçabilité de l’évaluation et par la mise en place d’un fonds public pour financer les évaluations d’experts dites «sensibles».
9. L’Assemblée invite les parlements nationaux à développer leur propre capacité d’évaluation des choix scientifiques et technologiques et à renforcer la participation du public aux décisions politiques concernant les choix scientifiques et technologiques et la réglementation en la matière. Les parlements sont également invités à participer activement au réseau parlementaire européen d’évaluation technologique (EPTA).
10. L’Assemblée invite l’Union européenne et l’UNESCO à coopérer avec le Conseil de l'Europe pour renforcer le cadre européen commun d’éthique dans la science et la technologie et, à cette fin:
10.1. à créer des plates-formes européennes et régionales permettant d'échanger régulièrement des expériences et des bonnes pratiques couvrant tous les domaines de la science et de la technologie, en utilisant l'expérience du Forum des comités d’éthique nationaux (Forum des CEN) et les réunions du Comité de bioéthique du Conseil de l'Europe;
10.2. à rédiger et réviser périodiquement un ensemble de principes éthiques fondamentaux à appliquer dans tous les domaines de la science et de la technologie;
10.3. à donner des orientations supplémentaires pour aider les Etats membres à harmoniser les règles éthiques et les procédures de suivi, en s'appuyant sur les effets positifs des exigences éthiques énoncées dans le septième programme-cadre de la Commission européenne pour les actions de recherche, de développement technologique et de démonstration (2007-2013) (7e PC).

B. Exposé des motifs, par M. Kaźmierczak, rapporteur

(open)

1. Mandat et préparation du rapport

1. Le 30 avril 2009, Mme de Melo et 27 de ses collègues ont présenté une proposition de résolution sur «L’éthique de la science» qui a été renvoyée à la commission pour rapport le 29 mai 2009. La commission a nommé Mme de Melo rapporteure.La commission a examiné un schéma de rapport à Istanbul le 10 mai 2010. J’ai été nommé rapporteur en remplacement de Mme de Melo le 4 octobre 2010 et ai présenté à la commission un schéma de rapport révisé qui a été examiné le 13 avril 2011. A la suite de cet échange de vues, un questionnaire a été envoyé aux parlements nationaux par l’intermédiaire de l’agence du Centre européen de recherche et de documentation parlementaires (CERDP) et le professeur Armin Grunwald, directeur du Bureau d’évaluation technologique du Bundestag allemand, a été chargé de préparer un rapport de fond.
2. Le 5 mars 2012 à Paris, la commission a tenu une audition conjointe sur la question avec l’UNESCO et examiné le rapport de fond préparé par le professeur Grunwald, avec la participation de Mme Irina Bokova, Directrice générale de l’UNESCO, et des experts suivants: Professeur Grunwald, M. John Crowley, chef de la Division de l’éthique des sciences et des technologies à l’UNESCO, M. Jacques Bordé, ancien directeur de recherche au Centre national de recherche scientifique (CNRS) (France) et conseiller de son comité d’éthique des sciences (COMETS), Mme Dafna Feinholz, chef de l’équipe Bioéthique au sein du Secteur des sciences sociales et humaines de l’UNESCO, M. Jan Hartman, président du Comité des bonnes pratiques académiques au ministère polonais des sciences, Mme Monique Atlan, journaliste et productrice à France 2 et M. Roger-Pol Droit, philosophe et membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), France, auteurs de l’ouvrage «Humain» (éd. Flammarion, 2012), ainsi que Mme Michèle Guillaume-Hofnung, vice-présidente de l’Académie de l’éthique, France.
3. Le 28 juin 2012 à Strasbourg, la commission a tenu un échange de vues avec le professeur Rafael Capurro, président du Centre international pour l’éthique de l’information (ICIE) et ancien membre (2000-2010) du Groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies (GEE), ainsi que M. Carlos de Sola, chef du service de la bioéthique, Direction des droits de l’homme, Direction Générale I – droits de l’homme et Etat de droit, Conseil de l’Europe, et Mme Laurence Lwoff, secrétaire du Comité de bioéthique (DH-BIO), Direction des droits de l’homme, Direction Générale I – droits de l’homme et Etat de droit, Conseil de l’Europe.
4. Je tiens à remercier le professeur Grunwald et tous les experts qui ont participé aux deux auditions pour leur précieuse contribution au présent rapport.

2. Objectifs du rapport

5. La science et la technologie jouent un rôle décisif dans l’évolution des sociétés modernes. Les nouvelles connaissances et les technologies innovantes sont les principaux moteurs du progrès dans de nombreux domaines, comme la qualité de vie, l’économie, la compétitivité, la santé, la sécurité et le développement durable. Cependant, l’histoire a montré que la recherche scientifique et ses résultats, notamment les nouvelles technologies, étaient ambivalents du point de vue des normes et des valeurs éthiques.
6. Le débat sur l’éthique dans la science et la technologie, et notamment la question de la responsabilité des scientifiques, est sorti des cercles restreints dans lesquels il était confiné après la mise au point et l’utilisation de la première bombe atomique à la fin de la seconde guerre mondiale. Il s’est élargi dans les années 1960 avec la prise de conscience que les technologies pouvaient avoir des conséquences indirectes non souhaitées, essentiellement sur l’environnement. Aujourd’hui, en matière d’éthique, l’attention se porte sur la science et ses applications dans de nombreux domaines comme le génie génétique et les biotechnologies, le génie biomédical, la biologie moléculaire et la recherche sur les cellules souches, les neurosciences, l’utilisation des nanotechnologies dans les traitements médicaux ou encore les diverses formes de perfectionnement de l’humain («enhancement»).
7. Le débat se focalise sur l’impact et les conséquences possibles de la recherche scientifique et des évolutions technologiques sur les êtres humains et la société, et pose des questions fondamentales sur ce qu’est l’humain ou encore sur la place de l’homme dans la nature et sa relation avec elle. La question de la place de la morale dans la science est depuis longtemps sujette à controverse. En revanche, il est aujourd’hui évident que la science et la technologie relèvent de la responsabilité humaine et appellent une réflexion éthique à l’échelle nationale, suprarégionale et mondiale.
8. Certains scientifiques perçoivent l’éthique comme un obstacle à leurs activités car elle peut imposer des limites et des restrictions qui les obligent à travailler dans un contexte prohibitif. Mais c’est probablement tout le contraire. L’éthique fait intrinsèquement partie de l’intégrité scientifique. La science repose sur une argumentation rationnelle, et la réflexion éthique est, elle aussi, tenue de produire des arguments solides. L’éthique et la science partagent donc la conviction commune que la qualité des arguments est déterminante.
9. En général, les progrès scientifiques et technologiques élargissent les possibilités d’action humaine. De plus en plus, tout ce sur quoi l’homme ne pouvait intervenir, tout ce qui devait être accepté comme étant naturel (intangible) ou comme relevant du destin tend à être soumis à l’influence humaine. Cette interprétation du progrès scientifique est héritée de l’Europe des Lumières.
10. Cependant, des questions éthiques fondamentales proviennent des incertitudes, des conséquences indirectes non souhaitées, des risques pour la santé et l’environnement, de l’utilisation à mauvais escient des connaissances et des technologies et de l’absence d’orientation générale et d’objectifs clairs. L’opportunité de choisir entre plusieurs options se transforme au fil du temps en obligation de faire des choix. Plus les possibilités d’action des êtres humains augmentent, plus ils ont de responsabilités, ce qui exige de leur part d’être capables d’assumer leurs libertés nouvelles en prenant des décisions réfléchies 
			(2) 
			Comme
l’a fait observer le philosophe Hans Jonas dans son ouvrage «Le
principe responsabilité» (1984)..
11. Du fait de cette situation ambivalente, la science et la technologie suscitent depuis quelques dizaines d’années des débats au sein de la société et du monde scientifique au sujet des risques et des opportunités qu’elles présentent, de leur utilité potentielle et de leurs conséquences indirectes ainsi que des questions de maîtrise et de responsabilité. De nouvelles approches ont vu le jour, comme l’évaluation des technologies, l’éthique de la science et de l’ingénierie et la conception éthique. Un certain nombre d’établissements scientifiques, médicaux et techniques ont reconnu leur responsabilité sociale et morale et mis en place des codes de bonne conduite.
12. En tout état de cause, la question des suites concrètes à donner aux réflexions éthiques prête à controverse. Les décisions sont prises par des institutions démocratiques et non par jugement éthique. On rencontre ainsi des avis divergents sur le niveau de risque acceptable, l’opportunité d’une intervention technique sur le corps, les diagnostics préimplantatoires et l’eugénisme, l’expérimentation animale, notamment sur des primates, le statut moral de l’embryon, les pressions commerciales qui s’exercent sur la science, la relation entre notre responsabilité envers les générations futures et les nécessités du présent, etc.
13. L’éthique dans la science et la technologie doit se pencher sur ces problématiques, dont la complexité augmente du fait de la mondialisation croissante et de la multiplication des échanges interculturels. Il n’existe ni cadre moral ou réglementaire universel pour la science, ni gouvernance mondiale de la science. C’est pourquoi ce rapport examinera en particulier les questions suivantes:
  • la situation actuelle de l’éthique dans la science et la technologie, son institutionnalisation, les évolutions récentes et les enjeux actuels, en particulier en Europe;
  • les facteurs de risque et les obstacles susceptibles de nuire au respect des cadres éthiques relatifs à la science et à la technologie;
  • la recherche d’un socle commun pour un cadre éthique en matière de développement scientifique et technologique;
  • les mesures politiques et institutionnelles pouvant contribuer au renforcement de la place de l’éthique dans la gouvernance de la science et de la technologie, et notamment les possibilités pour le Conseil de l’Europe d’influer sur la situation actuelle.

3. Classification des questions éthiques en science et en technologie

14. La science et la technologie présentent des aspects éthiques, notamment en ce qui concerne: 1) leurs objectifs et usages; 2) les instruments qu’elles emploient; 3) leurs conséquences et leurs effets indirects; et 4) le système de règles et de comportements dans lequel elles s’inscrivent.
15. Afin de donner une orientation à la science et la technologie, il convient des développer des idées concernant la manière dont on souhaiterait que la recherche évolue, ses objectifs et la vision dans laquelle on désire inscrire la recherche et ses applications. Dans de nombreux cas, les objectifs de la science et des technologies ne posent aucun problème. En ce qui concerne la vision, le développement de thérapies pour des affections comme la maladie d’Alzheimer, la mise au point de nouveaux appareils pour aider les personnes handicapées ou la protection de la société contre les risques naturels ne pourront qu’être largement approuvés par la société et acceptés sur le plan éthique. D’autres sujets suscitent en revanche des conflits et des polémiques. Les projets de vols spatiaux habités, par exemple, sont controversés par nature, comme le sont le plus souvent les projets de développement d’armes nouvelles et plus puissantes. Dans le domaine des «technologies convergentes», l’idée que les performances humaines soient améliorées et que des études soient menées pour y parvenir est discutable. Ces questions conduisent à s’interroger sur nos politiques d’acquisition des connaissances: quelles connaissances souhaitons-nous et ne souhaitons-nous pas acquérir dans l’avenir? Ces questions feront inévitablement l’objet d’une analyse et d’un débat éthiques.
16. Les instruments, les mesures et les pratiques scientifiques, en particulier la recherche, peuvent soulever des questions éthiques. On peut, par exemple, s’interroger sur la légitimité morale des expérimentations sur les animaux ou des pratiques tendant à faire des êtres humains, des embryons et des cellules souches des sujets de recherche. Il en va de même des expériences menées avec des plantes ou des organismes génétiquement modifiés, en particulier lorsqu’elles sont portées à l’extérieur des laboratoires, et des essais nucléaires effectués par le passé. La collecte et l’utilisation de données génétiques et de données à caractère personnel, comme dans le cas des biobanques, peuvent également susciter de sérieuses préoccupations éthiques en ce qui concerne le droit de toute personne au respect de sa vie privée.
17. Depuis les années 1960, les effets indésirables des innovations scientifiques et techniques se révèlent considérables et certains ont pris des proportions dramatiques: accidents survenant dans des infrastructures techniques (Tchernobyl, Bhopal), menaces pour le milieu naturel (pollution de l’air et de l’eau, trous dans la couche d’ozone, changement climatique), effets négatifs sur la santé comme dans le cas de l’amiante. S’y ajoutent les retombées sociales et culturelles (problèmes d’emploi liés aux gains de productivité). La complexité croissante de la science et de la technologie et leurs liens étroits avec de nombreux secteurs de la société font qu’il est toujours plus difficile de prévoir et d’évaluer les conséquences de nouveaux développements et de prévenir les risques. Cela vaut en particulier pour les nouvelles technologies génériques, comme les nanotechnologies, et pour d’autres domaines des sciences et technologies nouvelles et émergentes (NEST – new and emerging science and technology).
18. La quatrième dimension concerne le système scientifique en tant que tel, ses règles et ses principes, l’organisation du travail et le comportement et la conduite des scientifiques et des chercheurs. A cet égard, la réflexion éthique met l’accent sur la responsabilité des scientifiques et des chercheurs en tant que professionnels chargés de préserver la qualité des résultats scientifiques et technologiques et de respecter des principes éthiques et réglementaires généraux. Elle couvre la question de la non-discrimination, des droits de propriété intellectuelle et du comportement correct au sein du système scientifique. Elle aborde aussi des aspects sociétaux, notamment les questions du dialogue avec la société et de l’ouverture aux procédures participatives. En outre, certaines règles des systèmes d’évaluation des résultats professionnels et de la carrière scientifique pourraient avoir une incidence sur le comportement éthique des chercheurs. Certaines règles potentiellement dangereuses pourraient induire et récompenser des comportements contraires à l’éthique, tels que les violations des droits de la propriété intellectuelle, le plagiat, la manipulation de données scientifiques ou la «multiplication artificielle» des avancées scientifiques, par exemple par la publication «essaimée» des résultats. De tels éléments, s’ils existent, devraient être identifiés et éliminés. Ces questions doivent être d’abord prises en compte au niveau individuel, mais des mesures adéquates doivent également être prises sur le plan des règles, de la réglementation et des structures. Les codes de bonne conduite, l’autoréglementation grâce au contrôle par les pairs ou d’autres types de règles de bonne pratique scientifique font partie des instruments qui permettront de répondre à ces attentes et de relever ces défis.
19. Il y a aussi de la place pour une réflexion philosophique et éthique au‑delà de ces dimensions. Les débats en cours portent sur des questions telles que l’avenir de la nature humaine, la nature même du progrès scientifique et technologique, et la transformation des relations entre les humains, la technologie et la nature.

4. Le paysage européen des institutions et les activités relatives à l’éthique dans la science et la technologie

20. Le paysage européen de l’éthique dans la science et la technologie présente une richesse et une diversité remarquables. Il s’est développé à divers niveaux et s’inscrit dans des traditions culturelles et juridiques différentes. Des conseils, des comités et des commissions débattent des questions éthiques dans divers domaines et publient de très nombreuses études sur une variété de sujets. Les spécialistes de l’éthique au sein des universités, des écoles supérieures et des instituts de recherche s’emploient à développer la base théorique de cette vaste discipline en pleine expansion. La présente partie ne contient toutefois qu’une petite sélection d’activités.

4.1. Le Conseil de l’Europe

21. Le Conseil de l’Europe a été un pionnier dans le domaine de la bioéthique depuis 1985 et au cours des années 1990, avant l’adoption de la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine («Convention d’Oviedo») 
			(3) 
			Convention pour la
protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain
à l’égard des applications de la biologie et de la médecine (STE
no 164), également connue sous le nom
de «Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine» ou «Convention
d’Oviedo». Pour plus d’informations: <a href='http://conventions.coe.int/Treaty/en/Treaties/Html/164.htm'>http://conventions.coe.int/Treaty/en/Treaties/Html/164.htm.</a> en 1997 et de ses protocoles successifs, qui ont servi de base à plusieurs directives de l’Union européenne et à la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme (UNESCO, 2005).
22. La Convention d’Oviedo est entrée en vigueur le 1er décembre 1999. A ce jour, elle a été ratifiée par 29 Etats membres du Conseil de l’Europe, notamment la Suisse et la France, deux pays ayant une industrie pharmaceutique bien implantée et une recherche biomédicale de pointe.
23. La convention met l’accent sur la primauté de l’être humain (article 2): «L’intérêt et le bien de l’être humain doivent prévaloir sur le seul intérêt de la société ou de la science.» L’accès équitable à des soins de santé de qualité appropriée est également considéré comme un droit fondamental (article 3). S’agissant du comportement responsable et adéquat des scientifiques, le Conseil de l’Europe n’énonce pas de valeurs et de principes propres, mais renvoie aux normes professionnelles (article 4): «Toute intervention dans le domaine de la santé, y compris la recherche, doit être effectuée dans le respect des normes et obligations professionnelles, ainsi que des règles de conduite applicables en l’espèce.» L’obligation d’obtenir le consentement éclairé des personnes revêt une importance essentielle dans la structure et dans le contenu de la convention (article 5): «Une intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée qu’après que la personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé.» Par conséquent, un accent particulier est placé non seulement sur la protection des personnes qui n’ont pas la capacité de donner leur consentement et sur les personnes atteintes de troubles mentaux, mais aussi sur la question de la recherche sur les personnes qui n’ont pas la capacité de donner leur consentement. La convention traite également de la recherche sur le génome humain, des tests génétiques prédictifs, de la recherche sur les embryons humains et du prélèvement d’organes et de tissus sur des donneurs vivants à des fins de transplantation.
24. Ces dix dernières années, le Conseil de l’Europe s’est penché plus avant sur certains aspects spécifiques de la biomédecine et a rédigé des protocoles additionnels à la Convention d’Oviedo qui concernent:
  • l’interdiction du clonage d’êtres humains (STE n° 168)
  • la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine (STE n° 186)
  • la recherche biomédicale (STCE n° 195)
  • les tests génétiques à des fins médicales (STCE n° 203).
25. Le Conseil de l’Europe soutient également la coopération entre les comités nationaux d’éthique et, à cette fin, a mis en place la Conférence européenne des comités nationaux d’éthique (COMETH). Cette dernière est chargée de promouvoir la coopération entre lesdits comités, d’aider les pays qui le souhaitent à créer et à faire fonctionner un comité national d’éthique et d’encourager, sur une base pluraliste, le débat public sur les questions éthiques posées par les progrès accomplis dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé publique.
26. Le Comité de bioéthique du Conseil de l’Europe (DH-BIO) travaille actuellement sur les questions suivantes: la recherche biomédicale, les biobanques et la protection des données; la génétique et l’utilisation de données prédictives relatives à la santé; le processus décisionnel dans les situations de fin de vie et les différents acteurs de ce processus; la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine et la lutte contre le trafic d’organes; la situation dans les Etats membres concernant la sélection prénatale en fonction du sexe; la protection des personnes atteintes de troubles mentaux à l’égard du placement et traitement involontaires. Les futurs thèmes qui ont été envisagés par le Comité incluent l’accès aux dossiers médicaux, les neurosciences et le perfectionnement de l’humain (enhancement) et les applications de l’imagerie cérébrale.

4.2. L’Union européenne

27. Plusieurs directives de l’Union européenne 
			(4) 
			Directive de l’Union
européenne 98/79/CE relative aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro; Directive de l’Union européenne 2004/23/CE
relative à l’établissement de normes de qualité et de sécurité pour
les tissus et cellules humains en Europe; Directive de l’Union européenne 2010/45/UE
relative aux normes de qualité et de sécurité des organes humains
destinés à la transplantation; et Règlement (CE) n° 1394/2007 concernant
les médicaments de thérapie innovante. s’appuyant sur les travaux précurseurs du Conseil de l’Europe citent expressément la Convention d’Oviedo. Il y est également fait référence dans le préambule de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
28. En 1991, la Commission européenne a créé le Groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies (GEE) et a (re)défini son mandat pour la période 2011-2015. Le GEE a pour mission de conseiller la Commission sur les questions éthiques posées par les sciences et les nouvelles technologies, soit à la demande de la Commission, soit de sa propre initiative. Le Parlement européen et le Conseil européen peuvent attirer l’attention de la Commission sur les questions dont ils estiment qu’elles revêtent une importance majeure sur le plan éthique.
29. Le GEE a examiné les aspects juridiques et éthiques et publié des recommandations (avis) dans divers domaines, parmi lesquels la biologie synthétique, la recherche clinique dans les pays en développement, la brevetabilité des inventions impliquant des cellules souches, le clonage animal pour la production alimentaire, les aspects éthiques de l’agriculture moderne, la nanomédecine et les tests génétiques dans le cadre du travail. Il convient de noter que les avis du GEE livrent des réflexions critiques plutôt que de porter des jugements moraux sur ce qui doit être considéré comme bien ou mal.
30. Par ailleurs, le Code de bonne conduite de l’Union européenne pour une recherche responsable en nanosciences et nanotechnologies, adopté en 2008 à l’initiative du Parlement européen, va au-delà de la problématique de l’intégrité scientifique et aborde des questions touchant à la responsabilité sociale et éthique des chercheurs et des scientifiques.
31. De même, le septième programme-cadre de la Commission européenne pour les actions de recherche, de développement technologique et de démonstration (2007-2013) (7e PC) 
			(5) 
			<a href='ftp://ftp.cordis.europa.eu/pub/fp7/docs/guidelines-annex5ict.pdf'>ftp://ftp.cordis.europa.eu/pub/fp7/docs/guidelines-annex5ict.pdf</a>. pose comme principe que «toutes les actions de recherche menées au titre du septième programme-cadre sont réalisées dans le respect des principes éthiques fondamentaux» (article 6.1) et exclut les domaines de recherche suivants pour des raisons éthiques (article 6.2):
  • les activités de recherche visant au clonage humain à des fins reproductives;
  • les activités de recherche visant à modifier le patrimoine génétique d’êtres humains, qui pourraient rendre cette altération héréditaire (les recherches relatives au traitement du cancer des gonades peuvent être financées);
  • les activités de recherche visant à créer des embryons humains uniquement à des fins de recherche ou pour l’approvisionnement en cellules souches, y compris par transfert de noyau de cellules somatiques.
32. Le 7e PC inclut la recherche dans divers domaines soulevant des questions éthiques – comme le perfectionnement de l’humain («enhancement»), la biologie synthétique et la nanosécurité – ou des questions liées au développement durable, à l’égalité et à l’accès aux bénéfices des sciences et technologies nouvelles et émergentes. Les projets menés au titre du 7e PC doivent respecter des principes éthiques spécifiques.
33. Le Parlement européen examine les questions éthiques liées aux sciences et technologies nouvelles et émergentes par l’intermédiaire de son unité d’évaluation des choix scientifiques et techniques (STOA). Les projets récents ou en cours concernent la biologie synthétique («Making Perfect Life»), la nanosécurité, le perfectionnement de l’humain («enhancement») et les questions relatives à la protection de la vie privée.

4.3. Les organismes de recherche européens

34. Le Conseil européen de la recherche (ERC) a élaboré ses propres recommandations, qui mettent non seulement l’accent sur la dimension instrumentale de la science et de la recherche, mais prennent aussi en considération la «perte potentielle» de valeurs importantes.
35. La Fondation européenne de la science (FES) a 38 ans d’expérience dans la coordination des réseaux de programmes scientifiques et de recherche, disposant d’un haut niveau d’expertise dans la gestion de la science. Avec des lignes directrices sur l’évaluation par les pairs, la fondation incite les scientifiques et les chercheurs à adopter un comportement adéquat, fondé sur le respect mutuel et la responsabilité, afin de mener des recherches et de délivrer leur enseignement en toute indépendance. Néanmoins, la question des conséquences sociétales de la recherche future n’est pas abordée en tant que telle, et la responsabilité à l’égard des générations futures a été jusqu’à maintenant restreinte à la supervision des jeunes scientifiques et universitaires.
36. La «recherche et innovation responsables» est un élément relativement récent de la gouvernance de la science. Son émergence découle du constat que les approches disponibles pour façonner les sciences et les technologies ne répondent toujours pas à toutes les attentes. Le mouvement en faveur de l’innovation responsable espère compléter les approches existantes, comme l’évaluation des technologies et l’éthique de la science, par des approches nouvelles ou plus approfondies (par exemple la conception éthique).

5. Niveau national: législation, suivi et cadre institutionnel concernant l’éthique dans la science et la technologie

37. Ce chapitre est basé sur le document d’information AS/Cult/Inf (2013) 02 
			(6) 
			Document
disponible à l’adresse suivante: 
			(6) 
			<a href='http://assembly.coe.int/MainF.asp?link=/CommitteeDocs/ComDocMenuCultFR.htm'>http://assembly.coe.int/MainF.asp?link=/CommitteeDocs/ComDocMenuCultFR.htm.</a> et les réponses de 33 Etats membres du Conseil de l’Europe au questionnaire que je leur ai transmis par l’intermédiaire du Centre européen de recherche et de documentation parlementaires.

5.1. Lois et lignes directrices

38. Le degré de réglementation et les mécanismes de mise en œuvre de celle-ci sont très variables en Europe, mais globalement tous les pays ont adopté des lois et règlements dans un ou plusieurs des domaines suivants: a) recherche médicale et sanitaire; b) biotechnologies, notamment OGM; c) autres sciences et technologies; d) expérimentation animale; e) sciences sociales et sciences humaines; et f) dispositions générales (codes) visant à réglementer la recherche, les travaux des scientifiques et l’intégrité scientifique, notamment les dispositions concernant la recherche dans l’enseignement supérieur.
39. Certaines constitutions nationales contiennent des dispositions pertinentes, par exemple en ce qui concerne la promotion de la liberté de la recherche scientifique (Italie, «l’ex-République yougoslave de Macédoine», Monténégro, Pologne), la protection de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine (Monténégro) et l’obligation d’obtenir le consentement volontaire pour les expériences scientifiques (Bulgarie, Pologne).
40. Les programmes de recherche nationaux sont le principal instrument de planification et de coordination de la recherche. Grâce à leur intégration dans l’Espace européen de la recherche, ils sont en principe liés aux objectifs stratégiques et aux exigences éthiques énoncées dans le septième programme-cadre pour la recherche de la Commission européenne.
41. De plus, la ratification de la Convention d’Oviedo et de ses protocoles, la transposition des directives de l’Union européenne et la Charte européenne du chercheur ont permis de faire évoluer la législation, qui reflète les préoccupations et principes éthiques au niveau national.
42. Un bon exemple est le Code d’éthique de la recherche scientifique en Belgique 
			(7) 
			Belgique:
voir <a href='http://www.belspo.be/belspo/organisation/publ/Eth_code_fr.stm'>www.belspo.be/belspo/organisation/publ/Eth_code_fr.stm.</a>, adopté en 2008, qui renferme les grands principes éthiques à appliquer dans toutes les disciplines de la recherche scientifique. Ce Code a été rédigé conjointement par d’éminents experts de l’Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts et de l’Académie royale de médecine, sous les auspices du Service public de programmation de la Politique scientifique fédérale. Un autre exemple est le Code d’éthique des scientifiques estoniens 
			(8) 
			Estonie:
voir <a href='http://www.akadeemia.ee/_repository/File/ALUSDOKUD/Code-ethics.pdf'>www.akadeemia.ee/_repository/File/ALUSDOKUD/Code-ethics.pdf.</a> élaboré par l’Académie des sciences estonienne, qui insiste sur la dimension morale de la science et la responsabilité sociale des scientifiques. D’autres pays, comme la Finlande 
			(9) 
			Finlande:
Lignes directrices concernant l’examen éthique dans les sciences
humaines et les sciences sociales et comportementales, <a href='http://www.tenk.fi/en/ethical-review-human-sciences'>www.tenk.fi/en/ethical-review-human-sciences</a>., la Hongrie, la Lettonie, la Norvège et les Pays-Bas 
			(10) 
			Norvège:
Lignes directrices concernant l’éthique de la recherche dans la
science et la technologie: 
			(10) 
			<a href='http://www.etikkom.no/Documents/English-publications/Guidelines for research ethics in science and technology (2008).pdf'>www.etikkom.no/Documents/English-publications/Guidelines%20for%20research%20ethics%20in%20science%20and%20technology%20(2008).pdf</a>, et Lignes directrices concernant l’éthique de la recherche
dans les sciences sociales, le droit et les sciences humaines: <a href='http://www.etikkom.no/Documents/English-publications/Guidelines for research ethics in the social sciences, law and the humanities (2006).pdf'>www.etikkom.no/Documents/English-publications/Guidelines%20for%20research%20ethics%20in%20the%20social%20sciences,%20law%20and%20the%20humanities%20(2006).pdf</a>., ont adopté des initiatives similaires. Dans certains pays, comme par exemple la Pologne, il n’existe pas formellement de «code d’éthique», mais ce dernier est remplacé effectivement en droit national par d’autres réglementations et documents pertinents. Cependant, dans la plupart des Etats, il n’existe pas de lignes directrices générales applicables dans tous les domaines de la recherche.

5.2. Institutions et procédures de suivi

43. De nombreux pays européens disposent de conseils et de comités d’éthique ayant des missions et des compétences diverses et s’inscrivant dans des cadres institutionnels différents 
			(11) 
			Fuchs (2005), Conseils
d’éthique nationaux: 
			(11) 
			<a href='http://www.ethikrat.org/_english/publications/Fuchs_International_Ethics_Councils.pdf'>www.ethikrat.org/_english/publications/Fuchs_International_Ethics_Councils.pdf.</a>. Dans la plupart des cas, les comités d'éthique ont été créés dans les universités et/ou les hôpitaux afin de contrôler et d'approuver les essais cliniques. Souvent, leurs activités sont régies par des codes d'éthique. Dans certains pays, un comité d'éthique central coordonne les travaux des comités d'éthique locaux.
44. La majorité des Etats se sont dotés de comités de bioéthique nationaux dont le mandat va de l'examen éthique des projets de recherche aux conseils aux responsables politiques (président, parlement, gouvernement). Ces instances rendent des avis sur les questions éthiques soulevées par la biomédecine, par exemple les transplantations, la procréation assistée, le clonage, la protection des patients, le droit au respect de la vie privée et la collecte de données, l'utilisation des animaux dans la recherche, et même sur des thèmes plus vastes comme la biodiversité et la dissémination d’OGM. Les comités d’éthique nationaux ont participé au dialogue européen et international sur la bioéthique dans le cadre de la Conférence européenne des Comités nationaux d’éthique (COMETH) initiée par le Conseil de l’Europe, et plus récemment dans le cadre du Forum des comités nationaux d’éthique (CEN), financé par la Commission européenne.
45. La Suisse a mis en place deux comités d’éthique au niveau fédéral, l’un chargé des questions touchant aux êtres humains, principalement de nature médicale (la Commission nationale d’éthique dans le domaine de la médecine humaine), et l’autre chargé des autres questions éthiques (la Commission fédérale d’éthique pour la biotechnologie dans le domaine non humain).
46. En France, le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), créé en 1983, est l’un des plus anciens comités d’éthique. Ses travaux portent essentiellement sur les questions éthiques posées par la biomédecine moderne et envisagent la notion de responsabilité dans son sens social large. Avec l'adoption de la loi relative à la bioéthique en 2004, le CCNE a acquis un statut indépendant et son mandat s'est développé. L’Allemagne a mis en place un Conseil d’éthique (Deutscher Ethikrat) au niveau fédéral en 2001. Ce dernier décide des problèmes qu’il souhaite aborder, en toute autonomie, et a pour mission de conseiller le gouvernement et d’encourager le débat public.
47. Des comités d’éthique de la recherche ont été créés dans les hôpitaux et les universités en Pologne à partir des années 1980. L’éthique de la recherche a été reconnue sur le plan juridique par la loi de 1996 relative aux professions médicales, notamment dans le but de contrôler les essais cliniques. Les comités d’éthique de l’Académie des sciences, de l’Académie des arts et des sciences et du Comité d’Etat pour la recherche encouragent les bonnes pratiques dans le domaine scientifique.
48. La Norvège a instauré un système national pour l'éthique de la recherche, composé de comités nationaux spécialisés mais coordonnés, qui couvrent différents domaines de recherche comme la recherche médicale et sanitaire, les sciences et les technologies, les sciences sociales et les sciences humaines. Ils partagent un même secrétariat. Il existe en outre sept comités régionaux pour la recherche médicale et sanitaire, une Agence nationale de surveillance sanitaire, une Inspection nationale des données et une Commission nationale d'enquête sur les pratiques répréhensibles dans le domaine scientifique.
49. Les offices parlementaires d’évaluation des technologies (EPTA) s’intéressent de plus en plus à la question de l’éthique dans la science et la technologie. Par exemple, ces dernières années, l’Office d’évaluation des technologies du Bundestag allemand a commandé des études sur les biobanques, la biologie synthétique, la recherche sur le cerveau, la géo-ingénierie et l’amélioration cognitive. Autre exemple, en Grèce 
			(12) 
			Grèce: Commission parlementaire
spéciale permanente sur la recherche et la technologie., outre la rédaction d’études et l’organisation de débats publics, le parlement national joue un rôle spécifique en matière de suivi.
50. La Finlande possède un très bon modèle d'autorégulation au sein de la communauté des chercheurs. Les organisations chargées de la recherche scientifique sont responsables au premier chef de promouvoir les bonnes pratiques scientifiques et de s’occuper des cas présumés de pratiques répréhensibles et de fraude dans le domaine scientifique. Le Conseil consultatif national sur l'éthique de la recherche, qui comprend des représentants des principales disciplines scientifiques et des principales autorités de contrôle, a élaboré des lignes directrices 
			(13) 
			Finlande:
Lignes directrices sur les bonnes pratiques scientifiques et les
procédures relatives aux pratiques répréhensibles et aux cas de
fraude dans le domaine scientifique: <a href='http://www.tenk.fi/en/resposible-conduct-research-guidelines'>www.tenk.fi/en/resposible-conduct-research-guidelines</a><a href='http://www.tenk.fi/en/resposible-conduct-research-guidelines'>.</a> présentant les procédures à appliquer en cas de violation présumée des bonnes pratiques scientifiques et couvrant tous les domaines scientifiques. La communauté des chercheurs est globalement très attachée à ces lignes directrices ainsi qu’aux normes éthiques supplémentaires qui portent plus spécifiquement sur chaque domaine.

6. Facteurs de risque et obstacles

51. Si l’éthique dans la science et la technologie s’est bien développée au cours des dernières décennies et s’est déployée sous de nombreuses formes institutionnelles, on peut s’interroger sur son impact réel et s’inquiéter des nombreuses menaces qui compromettent le respect effectif des principes et normes éthiques. Ces menaces sont principalement liées au contexte social et à d’autres facteurs déterminants, qui englobent les conditions politiques, économiques, institutionnelles et sociales dans lesquelles la science et la technologie évoluent. A cet égard, les éléments suivants revêtent une importance majeure: 1) la concurrence scientifique accrue au niveau mondial; 2) la mobilité internationale des chercheurs; 3) la mesure de l’excellence via le système de citation de l’Institute for Scientific Information (ISI); 4) les pressions économiques sur la science; et 5) le manque de transparence éthique dans la recherche privée.
52. La concurrence entre les scientifiques et les institutions scientifiques du monde entier s’est considérablement accrue au cours des vingt dernières années. L’utilisation de l’internet comme moyen mondial de comparaison et d’échange, la mobilité accrue non seulement du savoir, mais aussi des personnes, l’émergence d’un système de revues scientifiques reconnues au niveau mondial, l’institutionnalisation des mécanismes d’évaluation internationaux et l’idée selon laquelle les bons scientifiques doivent être visibles au niveau international et être des acteurs mondiaux ont radicalement transformé le fonctionnement de la science. Si, autrefois, seuls les représentants des disciplines très spécialisées comme la physique théorique formaient une communauté internationale, aujourd’hui, on attend de toutes les disciplines qu’elles soient présentes sur la scène mondiale. Les notations et les classements des institutions scientifiques, bien que critiqués et posant de graves problèmes méthodologiques, jouent un rôle très important dans les politiques scientifiques. La concurrence consiste à embaucher les chercheurs les plus brillants et à attirer les étudiants prometteurs et les meilleurs doctorants. Dans ce contexte, les recommandations et les réglementations éthiques sont souvent considérées comme un obstacle à la recherche, freinant le progrès scientifique et générant de la paperasserie supplémentaire (par exemple lorsque les projets de recherche doivent être approuvés par un comité d’éthique). C’est pourquoi les présidents d’université et les responsables d’instituts de recherche peuvent être tentés de se soustraire aux obligations éthiques, bien qu’ils aient besoin de l’éthique pour répondre aux attentes en matière de responsabilité sociale.
53. La mobilité internationale des chercheurs est aujourd’hui bien plus importante que par le passé. Si cette évolution est positive à de nombreux égards, elle a aussi un impact sur le rôle joué par la réflexion éthique. Etant donné qu’il n’existe pas de cadre universel pour l’évaluation éthique de la science et le comportement éthique des scientifiques, différents modèles sont appliqués d’une région, voire d’un pays à l’autre. Les scientifiques pourraient donc rechercher les meilleurs lieux pour travailler non seulement par rapport aux ressources qui y sont mises à leur disposition, mais aussi par rapport aux normes éthiques qui y sont appliquées. Dans certains pays en développement, les normes sont très basses voire inexistantes, ce qui peut conduire à des abus, notamment de la part des entreprises de recherche pharmaceutique. Ce fait bien connu limite l’impact du raisonnement éthique, d’où la nécessité d’accords internationaux relatifs aux normes éthiques.
54. L’importance accrue des indicateurs de publication et des publications dans les analyses et évaluations du journal de l’Institute for Scientific Information (ISI) témoigne d’un retour en force de la notion d’«excellence» au sens traditionnel du terme, reposant uniquement sur des critères internes au monde scientifique et négligeant les aspects éthiques. L’accent mis sur l’excellence et le choix d’indicateurs spécifiques pour la mesurer pourrait avoir des répercussions négatives sur la participation des scientifiques à la réflexion éthique et entamer leur volonté d’assumer pleinement leur responsabilité sociale.
55. En effet, l’importance croissante donnée aux citations de l’ISI et au système de facteur d’impact favorise la décontextualisation et la mondialisation de la science, au détriment d’une recherche inscrite dans un contexte, consacrée à la résolution d’un problème précis et comprenant une réflexion éthique. On observe donc une tendance (peut-être involontaire) à refaire de la science une activité plus autonome, séparée, voire isolée, suivant ses propres règles et soucieuse de son impact dans le système ISI, plutôt qu’une activité préoccupée du «monde réel» et prenant sa responsabilité éthique et sociale au sérieux.
56. Ce système d’excellence ne reconnaît pas la valeur de l’éthique dans la science en tant qu’activité de réflexion. Les scientifiques partent peut-être du principe que les questions d’éthique mobilisent du temps et des ressources créatives qu’ils auraient plutôt intérêt à consacrer à des publications ISI, comme les y incitent les systèmes d’excellence et d’évaluation (un point qui est, à l’évidence, également lié au problème de la concurrence évoqué ci-dessus). C’est notamment vrai pour les carrières scientifiques qui sont de plus en plus soumises à des critères d’excellence quantitatifs comme les indices de citation. L’obligation d’acquérir une visibilité dans ce système constitue un obstacle important à l’engagement des chercheurs dans les débats éthiques. Ainsi, le risque de rencontrer des chercheurs hyperspécialisés à l’esprit étroit, enfermés dans un «monde virtuel» gouverné par des motivations d’excellence purement internes au monde scientifique s’est considérablement accru au cours des dernières années.
57. La mondialisation économique se traduit par une concurrence économique accrue au niveau international. Les pays industrialisés tendent à accorder une place beaucoup plus large à la science en tant que partie intégrante des systèmes d’innovation nationaux et régionaux, considérant que la recherche et le développement peuvent fortement contribuer à maintenir ou à accroître leur compétitivité afin de préserver leur croissance économique, leur emploi et leur qualité de vie. Certains pays, comme l’Allemagne, ont augmenté le budget de la recherche même en temps de crise économique. En conséquence, du fait des attentes élevées en matière d’innovation, la recherche appliquée, les transferts de technologie et la gestion de l’innovation ont été privilégiés. Les pressions politiques et économiques exercées sur la science pour fournir des innovations peuvent entrer en conflit avec les préoccupations éthiques et pourraient conduire à un abaissement des normes en vue de faciliter l’innovation et la réussite économique.
58. Le secteur privé assure une partie importante et, dans de nombreux pays, dominante, de la recherche et du développement scientifiques. La recherche privée doit respecter la loi mais n’est pas tenue par des codes de bonne conduite rendus publics ou par les recommandations de comités d’éthique ou d’associations de recherche. Ici, les questions éthiques font face à l’analyse stratégique de la gestion, à la nécessité du retour sur investissement et à des préoccupations financières et économiques. Du fait du caractère privé de la recherche, il n’y a pas d’espace public pour débattre de questions éthiques. Ainsi, le risque principal est que les recherches privées menées peuvent avoir un impact considérable sur la société future sans qu’il y ait eu de réflexion éthique préalable. Dans certains secteurs, les limites entre la science et l’économie sont de plus en plus floues. C’est particulièrement le cas dans le domaine des biotechnologies, où bien souvent, les professeurs d’université sont également les fondateurs et les propriétaires d’entreprises qui transforment directement les connaissances acquises en nouveaux produits et services.
59. A cet égard, on peut renvoyer à la Résolution 1870 (2012) de l’Assemblée sur la nécessité d’expertises indépendantes et crédibles, qui met en garde contre les intérêts économiques et l’absence d’informations et d'évaluations scientifiques complètes et transparentes, à l'origine de nombreux scandales sanitaires dans le passé (sang contaminé, hormones de croissance, amiante, controverse sur des tests OGM, controverse sur les seuils d'exposition aux champs électromagnétiques dans la téléphonie mobile, etc.). Cette résolution, demande un cadre juridique permettant de renforcer la crédibilité des expertises et de garantir un débat d'experts transparent et pluraliste avant l'élaboration de normes et l’autorisation de commercialiser les produits.
60. Quel que soit le soin apporté aux évaluations préalables, le risque d'erreur est inévitable. Il est donc indispensable de mettre en place des mécanismes adéquats pour surveiller les effets des produits après que leur commercialisation a été autorisée et pour intervenir rapidement lorsque les risques sont finalement plus importants que ce qui était prévu au départ. Les récents exemples de produits chimiques et pharmaceutiques qui pourraient être à l'origine de graves maladies 
			(14) 
			Quelques
exemples incluent: les pilules contraceptives de troisième et quatrième
génération, l’aspartame en tant que substitut dans la nourriture
et les boissons, le médicament Mediator pour le traitement du diabète,
la Ritaline et autres médicaments psycho-tropiques pour enfants
avec trouble de déficit de l'attention avec hyperactivité (TDAH),
etc. témoignent de la difficulté de garantir une information claire et impartiale des utilisateurs et des consommateurs et de protéger efficacement l'intérêt général et la santé publique contre de puissants intérêts économiques.
61. Le nombre croissant de poursuites judiciaires contre des scientifiques proposant leur expertise et/ou des prévisions scientifiques est plutôt inquiétant et les médias s’en font de plus en plus l’écho. En novembre 2012, une psychiatre française a été accusée de ne pas avoir correctement diagnostiqué et suivi un patient schizophrène qui, dans une crise délirante, a assassiné le compagnon de sa grand-mère. Autre exemple frappant, la décision de justice très sévère rendue contre quatre sismologues et deux ingénieurs n'ayant pas prédit avec précision le tremblement de terre de 2009 à Aquila en Italie soulève également plusieurs questions importantes: un scientifique peut-il être tenu pour responsable parce qu'il n'a pas été capable de prédire avec certitude ce qu'il est difficile de prédire avec précision dans la nature ou dans le comportement humain? Quelle est l’interface entre l'expertise et la prévision scientifique, la communication publique et la prise de décision publique visant à prévenir ou minimiser les risques?
62. En conclusion, il apparaît clairement que: 1) les nombreuses activités de l’éthique de la science et de la technologie ne couvrent qu’une partie de la recherche; 2) la concurrence accrue et mondiale au sein du monde scientifique et technologique, associée à la mobilité croissante des chercheurs, compromet l’efficacité des réglementations éthiques adoptées isolément; 3) la pression pour l’excellence scientifique fondée sur des mesures quantitatives telles que le système ISI met en péril le rôle de l’éthique; et 4) la pression économique modifie la nature de la recherche scientifique, l’entraînant dans une logique commerciale, et soulève la question de la responsabilité scientifique.

7. Vers un cadre universel en matière d’éthique de la science et de la technologie?

63. Toutes les institutions précitées qui s’occupent de l’éthique dans la science et la technologie se heurtent à des controverses morales et à des appréciations ou jugements partiellement divergents. En effet, la pluralité morale de la société moderne transparaît également dans le raisonnement éthique concernant la recherche et le progrès scientifiques, les positions éthiques étant influencées par différentes traditions philosophiques, religieuses et culturelles. Cette réalité s’observe même en Europe.
64. Tandis que la tradition continentale est dominée par la philosophie déontologique d’Emmanuel Kant, qui est probablement l’auteur le plus influent avec des conséquences très importantes sur les positions éthiques, la tradition anglo-saxonne repose sur l’éthique utilitariste développée par Jeremy Bentham et John Stuart Mill. Si ces deux traditions parviennent fréquemment à des résultats concordants dans les applications concrètes, il existe toutefois un décalage philosophique profond qui entraîne quelquefois des divergences sur le plan pratique, en particulier dans le domaine de la biomédecine.
65. Une multitude de traditions religieuses et culturelles, y compris non religieuses, coexistent en Europe. Certaines des grandes questions controversées de l’éthique dans la science et la technologie sont étroitement liées aux convictions religieuses. Par exemple, la question du statut moral de l’embryon suscite régulièrement des débats sur la légitimité de l’utilisation d’embryons à des fins de recherche. L’Eglise catholique a adopté une position très stricte à ce sujet. Dans d’autres domaines, par exemple celui de l’énergie nucléaire et de l’élimination des déchets nucléaires, les Eglises protestantes de certains pays ont exprimé un avis très négatif.
66. Les choses deviennent encore plus complexes au niveau mondial. La diversité culturelle et religieuse s’exprime dans la diversité des réglementations mais se retrouve également dans les positions adoptées sur certaines questions fondamentales. Par exemple, les traditions européenne et asiatique ont des conceptions très différentes du rapport de l’homme à la nature et ne se représentent pas de la même manière la nature et l’évolution, ce qui conduit à des points de vue parfois très divergents sur l’étendue de la responsabilité humaine. En Corée du Sud, par exemple, on est plus disposé à autoriser la recherche biomédicale dans des domaines posant des questions éthiques délicates que dans la plupart des pays européens.
67. Par ailleurs, les notions de «vie humaine», de «personne» et de «dignité» sont interprétées différemment, ce qui donne lieu à des avis divergents sur la question de savoir si l’intérêt individuel doit primer sur l’intérêt de la collectivité. On constate également des différences entre les Etats-Unis et nombre de pays européens pour ce qui est de la confiance dans le progrès scientifique. Cela a des incidences sur certaines positions concernant la légitimité de la recherche. Le rôle du principe de précaution est aussi considéré différemment de part et d’autre de l’Atlantique.
68. Compte tenu de toutes ces divergences et incompatibilités, il ne semblerait pas judicieux de chercher à mettre en place un cadre universel en matière d’éthique de la science et de la technologie. L’évolution rapide de la science et de la technologie appelle plutôt un processus permanent de réflexion éthique et de dialogue international, qui pourrait aboutir à l’adoption d’un ensemble de principes sous la forme d’une «déclaration» (système de valeurs) sur le modèle de la Convention d’Oviedo en Europe ou de la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme (UNESCO).
69. La mise en place d’une réflexion éthique permanente au niveau mondial – qui a déjà été formalisée en Europe par le GEE en coopération avec un réseau de comités nationaux d’éthique – permettrait de traiter les questions éthiques comme une «cible mouvante» au lieu de fixer un «code éthique». Cette approche permettrait également de remettre à plat au niveau mondial, de manière périodique, les concepts en vigueur – même les plus fondamentaux – comme la définition de l'«identité humaine» ou de la «dignité humaine».

8. Conclusions

70. Le fait que la science ne soit pas autonome mais fasse partie intégrante de la société implique que la science et la technologie ont une responsabilité éthique et morale. La réflexion éthique consiste en un raisonnement sur l’orientation et la justification, dans le cadre d’un processus discursif. En ce sens, l’éthique dans la science et la technologie ne doit pas être assimilée à un facteur prohibitif mais plutôt être considérée comme la base d’un dialogue constructif et argumenté visant à guider le progrès scientifique et technologique pour le bien de l’humanité. Les scientifiques, la classe politique, l’industrie, les citoyens, les philosophes et d’autres acteurs intervenant dans la réflexion éthique devraient tous participer à ce dialogue.
71. La réflexion éthique oriente la pensée critique, qui constitue l’essence même de la démocratie. Il est donc nécessaire de mener une réflexion plus approfondie sur la science et sa finalité, en tenant compte également de la pluralité morale et culturelle en Europe et dans le monde. Les avancées scientifiques et technologiques du XXIe siècle auront inévitablement une dimension plus vaste que celles que nous avons accomplies dans le passé. La science et la technologie affecteront la Terre, la vie et les hommes, car ces derniers auront la capacité de modifier la vie et les phénomènes fondamentaux de notre planète.
72. De plus, la science et la technologie évoluent aujourd'hui beaucoup plus vite que la faculté d'adaptation psychologique des individus et de la société. Cette accélération exige d'anticiper l’évolution très en amont, car la science et la technologie soulèvent des questions fondamentales: Qu'est-ce que l'humain et l'identité humaine? Comment définir la dignité humaine? Quelle est la place de l'humanité dans la nature et quel est son rapport à la nature? Faut-il préserver l'humain (dans sa forme naturelle) ou le transformer?
73. La réflexion éthique sur la science et la technologie ne doit ainsi pas être limitée aux cercles universitaires. Un lien étroit doit également être établi avec la gouvernance par le biais des académies scientifiques, des organismes de financement, des associations scientifiques, mais aussi des institutions politiques comme les parlements et les gouvernements, et bien entendu de l’opinion publique. A cet égard, j’ai fait un certain nombre de suggestions dans le projet de résolution invitant les Etats membres à renforcer la législation existante, les procédures de suivi et les structures consultatives et à ouvrir un vaste débat public afin d’étendre et d'approfondir la réflexion éthique et l'évaluation dans tous les domaines de la recherche et d’associer davantage à ce processus la communauté scientifique, les entreprises privées et le public en général.
74. En particulier, les comités d'éthique de la recherche devraient être plus largement créés au niveau des universités, des hôpitaux et des autres établissements médicaux pour faire mieux comprendre et appliquer les principes éthiques et la législation pertinente parmi les étudiants et les chercheurs. Dans la plupart des pays, l'éducation et la formation à l'éthique de la recherche dispensées aux scientifiques et au personnel de recherche sont insuffisantes, si bien que ceux-ci ne sont pas pleinement conscients de toutes les exigences.
75. Le renforcement des capacités, notamment par l’éducation, est crucial. Partout dans le monde, le programme des études universitaires dans toutes les disciplines scientifiques devrait inclure des modules obligatoires sur l’éthique de la science. La capacité des chercheurs et des scientifiques à résoudre les questions éthiques dans leur travail devrait être améliorée par des activités de sensibilisation et une formation spécialisée. Des programmes de formation d’enseignants en éthique pourraient également être mis en place. Enfin, les programmes de l’enseignement secondaire devraient également favoriser une réflexion critique plus approfondie sur certaines questions fondamentales liées à la science et à la technologie, notamment la définition de l’humain et la place de l’homme par rapport à la nature. Dans ce contexte, il convient de faire référence à l’outil éducatif qui a été développé par le Conseil de l’Europe pour promouvoir le débat parmi les jeunes sur les questions de bioéthique.
76. Un dialogue accru entre les parties prenantes 
			(15) 
			Proposition de l'Estonie:
discussion sur le cadre et le suivi institutionnels, la coordination,
l'appartenance à des comités consultatifs ou de suivi; élargissement
des mandats, implications concrètes des diverses lignes directrices,
etc. et un débat public 
			(16) 
			Reflétant les principes
du pluralisme, de la tolérance, de la participation et d'un dialogue
constructif. sur les questions éthiques soulevées par la recherche scientifique et le développement des technologies sont préconisés aux niveaux local, national et européen. Par exemple, des plates-formes européennes et régionales pourraient être créées afin d'échanger régulièrement des expériences, sur le modèle du Forum des comités d’éthique nationaux ou des réunions du Comité de bioéthique (DH-BIO) du Conseil de l'Europe (l'ancien Comité directeur pour la bioéthique (CDBI)).
77. En outre, une plus grande harmonisation des règles éthiques et des procédures de suivi est nécessaire au niveau national mais aussi européen, en particulier dans le domaine biomédical, où coexistent des règles et procédures complexes et de nombreuses instances consultatives et de suivi.
78. Il faudrait encourager la réflexion éthique et l’évaluation dans tous les domaines de la recherche, en se fondant sur l’exemple de la bioéthique et sur l’expérience acquise dans cette discipline. Il conviendrait également d’élaborer et de coordonner aux niveaux national et européen des lignes directrices générales présentant les principes éthiques fondamentaux à appliquer dans tous les domaines de la recherche scientifique.
79. Les gouvernements et les parlements doivent donner la priorité politique à cette question et promouvoir le soutien administratif et financier adéquat aux instances consultatives et de suivi, tout en garantissant leur indépendance et leur bon fonctionnement, afin d’améliorer la mise en œuvre des principes éthiques dans la pratique. Il convient aussi d’apporter un soutien à l’échelle européenne, notamment sous la forme d’exigences plus fortes, en s’appuyant sur les effets positifs des exigences éthiques énoncées dans le septième programme-cadre pour la recherche de la Commission européenne.
80. Sur le modèle de ce qui a été fait par l’UNESCO pour la rédaction de la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme, un comité pourrait être créé au sein des Nations Unies pour engager une réflexion éthique permanente et examiner les possibilités de rédiger et de réviser périodiquement un ensemble de principes éthiques fondamentaux basés sur la Déclaration universelle des droits de l’homme. Les modèles européens existants et l’expérience tirée des travaux de la COMEST (Commission mondiale d’éthique des connaissances scientifiques et des technologies) pourraient être utiles à cet égard.
81. Au sein du Conseil de l’Europe, l’Assemblée parlementaire a apporté des orientations politiques utiles et lancé une réflexion constructive pour les travaux du Comité de bioéthique, grâce à des débats conjoints qui visaient à identifier les nouveaux enjeux éthiques et les principes éthiques fondamentaux pouvant orienter l’action politique et juridique. On pourrait envisager de poursuivre cette coopération dans le cadre d’une structure souple et informelle en organisant périodiquement des auditions et des débats conjoints entre les commissions de l’Assemblée et les experts compétents (membres du Comité de bioéthique et autres).