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Rapport | Doc. 13321 | 02 octobre 2013

Agendas de l’Union européenne et du Conseil de l'Europe en matière de droits de l'homme: des synergies, pas des doubles emplois!

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Michael McNAMARA, Irlande, SOC

Origine - Renvoi en commission: Débat d’urgence, Renvoi 3982 du 30 septembre 2013. 2013 - Quatrième partie de session

Résumé

L’Assemblée parlementaire, qui suit l’expansion des activités de l’Union européenne dans le domaine des droits de l'homme, note que plusieurs initiatives ont été prises récemment en vue de créer un mécanisme de suivi destiné à vérifier dans quelle mesure les Etats membres de l’Union européenne respectent les valeurs communes, telles que les normes relatives aux droits fondamentaux, à la démocratie et à l’Etat de droit.

L’Assemblée réaffirme sa position, selon laquelle il faut éviter la duplication des activités du Conseil de l'Europe et un gaspillage inutile des ressources. Les instruments juridiques contraignants du Conseil de l'Europe, et notamment la Convention européenne des droits de l'homme, constituent un système efficace de protection des droits de l'homme et de promotion de la démocratie et de l’Etat de droit dans tous ses Etats membres, y compris ceux qui sont aussi membres de l’Union européenne.

Certes, il est toujours bon d’élever le niveau de protection des droits de l'homme, mais l’instauration de mécanismes parallèles risque de donner lieu à des normes divergentes, d’inciter les Etats à rechercher la juridiction la plus favorable et de se traduire par un abaissement des normes du Conseil de l'Europe. C’est pourquoi toute initiative en la matière doit tenir compte du rôle du Conseil de l'Europe, qui est «la référence en matière de droits de l'homme, de primauté du droit et de démocratie en Europe». Il faudrait aussi étudier les synergies avec les mécanismes de suivi du Conseil de l'Europe qui sont déjà en place. En tout état de cause, la pleine cohérence des normes ne peut être garantie que par l’adhésion – prévue dans le Traité sur l’Union européenne – de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 1er octobre
2013.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire rappelle ses résolutions et recommandations précédentes consacrées à la coopération entre l’Union européenne et le Conseil de l'Europe, en particulier la Résolution 1756 (2010) et la Recommandation 1935 (2010) sur la nécessité d’éviter la duplication des travaux du Conseil de l’Europe par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, et la Résolution 1836 (2011) et la Recommandation 1982 (2011) sur l’impact du Traité de Lisbonne sur le Conseil de l’Europe.
2. Elle souligne que les instruments juridiques contraignants du Conseil de l'Europe, au premier rang desquels la Convention européenne des droits de l'homme (STE n° 5), constituent un système efficace de protection des droits de l'homme et de promotion de l’Etat de droit dans tous ses Etats membres, y compris ceux qui sont aussi membres de l’Union européenne.
3. Les normes communes à l’ensemble de l’Europe et le niveau de protection établi par les instruments juridiques du Conseil de l'Europe ne doivent pas être compromis par les Etats membres du Conseil de l'Europe ou par l’Union européenne. Dans le même temps, des normes plus élevées et une protection renforcée sont toujours les bienvenues.
4. L’Assemblée réaffirme son point de vue, selon lequel le fait de réinventer des normes qui existent déjà et de mettre en place des structures parallèles revient à créer un double système de normes et à permettre un «choix de la juridiction la plus favorable», avec pour conséquences de faire apparaître de nouveaux clivages en Europe. Les doublons d’activités constituent par ailleurs un gaspillage des ressources budgétaires limitées nécessaires pour améliorer la protection des droits de l’homme et la promotion de l’Etat de droit.
5. En conséquence, l’Assemblée s’inquiète de ce que l’accélération donnée à l’expansion des activités menées par l’Union européenne dans le domaine des droits de l'homme pourrait amener à dédoubler inutilement les travaux du Conseil de l’Europe. Dans le sillage de la Charte des droits fondamentaux, l’Union européenne a établi une Agence des droits fondamentaux et créé la fonction de Représentant spécial pour les droits de l'homme; elle envisage maintenant d’établir un mécanisme de suivi pour vérifier dans quelle mesure ses Etats membres respectent les normes communes relatives aux droits fondamentaux et à l’Etat de droit.
6. L’Assemblée rappelle que nombre des problèmes résultant de la coexistence des ordres juridiques du Conseil de l'Europe et de l’Union européenne seront résolus par l’adhésion – prévue dans le Traité sur l’Union européenne – de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme.
7. L’Assemblée reconnaît la nécessité, pour l’Union européenne, de garantir la mise en œuvre de ses propres normes juridiques par tous ses Etats membres. Elle rappelle que l’expertise des organes pertinents du Conseil de l'Europe, constituée et financée dans une large mesure par les Etats membres de l’Union européenne agissant dans le cadre du Conseil de l'Europe, est à la disposition de l’Union européenne.
8. En particulier, la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) du Conseil de l'Europe a récemment prouvé qu’elle était capable de fournir une évaluation objective et argumentée des implications constitutionnelles et relatives aux droits de l'homme concernant la situation en Hongrie. L’Assemblée a donné suite à ces constats dans la Résolution 1941 (2013), fondée sur un rapport de sa commission de suivi, et a invité sa commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias, sa commission des questions juridiques et des droits de l'homme et sa commission des questions politiques et de la démocratie à continuer de suivre les aspects pertinents de la situation en Hongrie.
9. Eu égard à ce qui précède, l’Assemblée invite
9.1. l’Union européenne:
9.1.1. à étudier les possibilités de synergies avec les mécanismes existants du Conseil de l'Europe dans les domaines des droits de l'homme, de la démocratie et de l'Etat de droit avant d’établir de nouvelles structures ou de continuer à étendre les activités d’organes récemment créés;
9.1.2. en particulier, à continuer d’utiliser l’expertise des organes pertinents du Conseil de l'Europe, tels que la Commission de Venise, l’Assemblée parlementaire et les mécanismes de suivi spécialisés compétents, y compris ceux qui ont été établis en vertu de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (STE n° 126), de la Charte sociale européenne révisée (STE n° 163), de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE n° 197) et de la Convention relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime (STE n° 141), ainsi que le Groupe d'Etats contre la corruption et la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance;
9.1.3. à explorer les modalités de coopération avec le Conseil de l'Europe pour promouvoir et mettre en œuvre des conventions susmentionnées du Conseil de l'Europe et à devenir Partie à ces conventions dans la mesure du possible;
9.1.4. à accélérer l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme;
9.2. les Etats membres du Conseil de l'Europe à faciliter la coopération entre le Conseil de l'Europe et l’Union européenne à tous les niveaux, y compris en veillant à ce que les conventions pertinentes soient rédigées ou adaptées de manière à faciliter l’adhésion de l’Union européenne;
9.3. les Etats membres du Conseil de l'Europe qui sont aussi membres de l’Union européenne à exercer leur influence dans l’Union de manière à réduire au minimum les doubles emplois et à développer au maximum les synergies entre l’Union européenne et le Conseil de l'Europe dans le domaine des droits de l'homme, de la démocratie et de l’Etat de droit.

B. Exposé des motifs, par M. McNamara, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le 30 septembre 2013, l’Assemblée parlementaire a approuvé la proposition soumise par le Groupe démocrate européen visant à tenir un débat selon la procédure d’urgence sur le thème «Agendas de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe en matière de droits de l’homme: des synergies, pas des doubles emplois!». Le même jour, j’ai été désigné comme rapporteur par la commission des questions juridiques et des droits de l’homme.

2. Une nouvelle initiative au sein de l’Union européenne: la proposition d’établir un mécanisme de suivi du respect de l’Etat de droit, de la démocratie et des droits fondamentaux

2. A la suite de l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, le 1er décembre 2009, l’Union européenne a inscrit les valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe telles que le respect des droits de l’homme, la démocratie et l’Etat de droit parmi ses premières priorités (voir l’article 2 du Traité sur l’Union européenne, ci-après: «le TUE»). Le Traité de Lisbonne reconnaît à la Charte des droits fondamentaux la même valeur juridique qu’aux traités de l’Union européenne et prévoit l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5, «la Convention») (article 6, paragraphe 2, du TUE). Les compétences de l’Union européenne dans le domaine des droits de l’homme ont été étendues à des domaines d’action traditionnels du Conseil de l’Europe tels que la justice, la liberté et la sécurité; comme l’illustre «Le Programme de Stockholm – une Europe ouverte et sûre qui sert et protège les citoyens», adopté par le Conseil européen. En juillet 2012, ce dernier a nommé le Représentant spécial de l’Union européenne pour les droits de l’homme et lui a donné mandat, entre autres, de contribuer à la mise en œuvre de la politique de l’Union dans le domaine des droits de l’homme, en particulier le cadre stratégique de l’Union européenne en matière de droits de l’homme et de démocratie et le plan d’action de l’Union européenne en faveur des droits de l’homme et de la démocratie.
3. Malgré ces avancées, les mesures prises par l’Union européenne pour «discipliner» ses propres Etats membres en vue de respecter les règles en vigueur dans le domaine de l’Etat de droit, de la démocratie et des droits fondamentaux, se sont révélées plutôt insuffisantes. Ainsi, lors de la «crise autrichienne» de 2000, l’Union européenne n’a pas été en mesure d’utiliser le mécanisme de l’article 7 du TUE qui prévoit la possibilité, dans des circonstances exceptionnelles, de suspendre certains droits, y compris le droit de vote. La «crise des Roms» de l’été 2010 en France, la «crise hongroise» déclenchée à la fin de 2011 par la révision de la Constitution, et la crise constitutionnelle de l’été 2012 en Roumanie ont fait apparaître un certain nombre d’insuffisances liées à la portée limitée des instruments applicables en cas de crise concernant l’Etat de droit, même si la Commission européenne a pu engager des procédures d’infraction ciblées conformément à l’article 258 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Il semble que l’Union européenne, et en particulier la Commission européenne en tant que «gardienne des traités», se heurtent au «dilemme de Copenhague», qui consiste à se concentrer sur le respect des droits fondamentaux dans les pays en voie d’adhérer à l’Union européenne tout en négligeant la situation dans les Etats membres.
4. Les récents développements relatifs à la situation politique en Hongrie ont suscité un débat, au sein de l’Union européenne, sur la question de savoir si celle-ci dispose des outils nécessaires pour réagir à des atteintes persistantes à ses propres normes en matière de droits de l’homme, et sur les moyens de trouver une voie médiane entre, d’une part, la persuasion politique et les procédures d’infraction ciblées, et d’autre part, l’option «nucléaire» prévue à l’article 7 du TUE, c’est-à-dire la suspension des droits d’un Etat membre.
5. Dans une lettre adressée en mars 2013 au président de la Commission européenne, les ministres des Affaires étrangères de l’Allemagne, des Pays-Bas, du Danemark et de la Finlande ont souligné que les valeurs fondamentales de l’Union européenne doivent être «vigoureusement protégées» et que l’Union européenne «doit être en mesure de réagir rapidement et efficacement pour faire respecter ses principes les plus fondamentaux». Dans ses conclusions publiées en juin 2013, le Conseil de l’Union européenne a constaté, pour la première fois, que des efforts supplémentaires étaient nécessaires pour apporter des réponses efficaces aux violations des droits de l’homme dans les Etats membres de l’Union européenne, et a invité la Commission européenne «à faire avancer le débat (...) sur la nécessité éventuelle d’une méthode systématique, fondée sur la collaboration, pour traiter ces questions, et sur la forme qu’elle pourrait prendre».
6. A la suite de la décision du 25 juin 2013 de l’Assemblée de ne pas ouvrir de procédure formelle de suivi concernant la Hongrie, le Parlement européen, dans sa résolution du 3 juillet 2013 «sur la situation en matière de droits fondamentaux: normes et pratiques en Hongrie», a demandé instamment aux autorités hongroises de respecter pleinement le droit de l’Union européenne et de mettre en œuvre les recommandations émises par les organes internationaux, et a proposé que les institutions de l’Union européenne établissent un nouveau mécanisme pour garantir le respect des valeurs consacrées à l’article 2 du TUE et assurer la continuité des critères «de Copenhague». Il a en outre demandé que «les Etats membres soient régulièrement évalués quant à la manière dont ils assurent le respect permanent des valeurs fondamentales de l’Union et des critères de la démocratie et de l’état de droit» (paragraphe 74), et réclamé «une coopération plus étroite entre les institutions européennes et les autres organes internationaux, y compris le Conseil de l’Europe et la Commission de Venise». La résolution ne préjuge pas de la forme que pourrait prendre un tel mécanisme (une «commission de Copenhague» ou un groupe de haut niveau par exemple), qui devrait se fonder sur le mandat de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, lequel devrait être renforcé dans cette optique. Le nouveau mécanisme devrait être indépendant de toute influence politique, agir en pleine coopération avec d’autres organes internationaux, procéder régulièrement à des contrôles de manière uniforme au sein de tous les Etats membres, avertir très tôt l’Union européenne de tout risque de dégradation, et émettre des recommandations à l’intention des institutions de l’Union européenne et des Etats membres sur la façon de réagir et de remédier à d’éventuels dysfonctionnements. Les institutions de l’Union européenne sont invitées à lancer un débat commun sur la manière de remplir les obligations découlant des traités, et le Parlement européen entend convoquer, avant la fin 2013, une conférence qui réunira des représentants des Etats membres, des institutions européennes, du Conseil de l’Europe, de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour européenne des droits de l’homme.
7. Dans son discours sur l’état de l’Union 2013, prononcé le 11 septembre 2013 au Parlement européen, le président de la Commission européenne, M. José Manuel Barroso, a lui aussi souligné l’importance de mettre en place un mécanisme général (au sein duquel la Commission jouerait un rôle dominant) fondé sur le principe d’égalité entre Etats membres, et qui ne serait activé, en fonction de critères prédéfinis, que dans les situations où une menace grave planerait sur l’Etat de droit. M. Barroso a annoncé l’intention de la Commission de présenter une communication à ce sujet. De même, dans un discours intitulé «L’UE et l’Etat de droit – et ensuite?», prononcé le 4 septembre 2013 au Centre d’études politiques européennes (Bruxelles), Mme Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne et commissaire à la Justice de l’Union européenne, a présenté les grandes lignes d’un futur mécanisme d’Etat de droit ainsi que les options des politiques qui s’offrent à la Commission. Le mécanisme proposé devrait se fonder sur quatre principes majeurs:
  • légitimité: il serait nécessaire de renforcer la légitimité de la Commission européenne pour que celle-ci puisse étendre ou redéfinir son rôle de suivi, de supervision et d’exécution; le nouveau mécanisme d’Etat de droit devrait, au minimum, être soutenu par des conclusions du Conseil européen et des résolutions du Parlement européen;
  • expertise: notamment, la connaissance des spécificités des systèmes juridiques des Etats membres (y compris de la part de la DG Justice, qui a préparé le Tableau de bord de la justice dans l’Union européenne en coopération avec le Conseil de l’Europe);
  • égalité de tous les Etats membres: le nouvel instrument devrait s’appliquer de la même façon à tous les Etats membres, sans qu’il y ait deux poids, deux mesures, et en évitant tout parti pris à l’encontre des pays de l’Est;
  • un rôle spécial et des travaux complémentaires du Conseil de l’Europe: il conviendrait de poursuivre la coopération avec le Conseil de l’Europe et en particulier la Commission de Venise.
8. Mme Reding a proposé que la Commission procède en deux étapes. Dans un premier temps, il s’agirait d’utiliser les possibilités offertes par les traités existants en appliquant les procédures prévues à l’article 7 du TUE; la Commission pourrait ainsi émettre une «proposition motivée» en adressant une «mise en demeure» lorsqu’une crise de l’Etat de droit est en train de se développer. Dans un second temps, le traité pourrait être modifié dans le sens d’un renforcement des compétences de la Commission en matière de suivi et de sanctions.
9. Parallèlement, M. Louis Michel, député européen, a préparé une proposition de résolution dans le cadre du rapport annuel du Parlement européen sur la situation des droits fondamentaux dans l’Union européenne (2012), qui doit être examiné par la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen le 3 octobre. Dans ce document, le rapporteur souligne que l’Union européenne n’a pas été en mesure d’appliquer les mécanismes prévus par l’article 7 du TUE pour garantir le respect de l’article 2 du même traité. La politique de l’Union européenne en matière de droits fondamentaux dans l’Union devrait reposer sur «des règles et des mécanismes clairs» et «des indicateurs, des données et des preuves objectifs», être «transparente, équitable et prévisible» et «protéger les droits individuels, la démocratie et l’Etat de droit de manière solide». Le nouveau mécanisme destiné à faire respecter les droits fondamentaux ainsi que les valeurs et les droits consacrés par l’article 2 du TUE et la Charte des droits fondamentaux devrait être créé sur la base d’une décision de la Commission européenne et devrait fixer des indicateurs, assurer un suivi de la situation dans les Etats membres, procéder à des évaluations thématiques fondées sur les instruments relatifs aux droits de l’homme (en particulier, mais pas exclusivement, la Convention européenne des droits de l’homme et d’autres conventions du Conseil de l’Europe), établir un cycle politique et un forum annuel interinstitutionnel, développer un ensemble de recommandations et de sanctions pour traiter les violations de l’article 2 du TUE, et intégrer un système d’alerte précoce suivi d’un dialogue politique et d’éventuelles sanctions. L’instrument devrait également s’appuyer sur l’expérience de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne. Le rapporteur souligne l’urgence de la situation et, en conséquence, la nécessité d’agir dans le cadre des traités actuels, lesquels devraient néanmoins être révisés à l’avenir par une modification de l’article 7 du TUE visant à étendre les pouvoirs de la Commission européenne et de la Cour de justice de l’Union européenne, à supprimer l’article 51 de la Charte des droits fondamentaux (ce qui aurait pour effet de rendre les dispositions de la Charte juridiquement contraignantes pour les Etats membres et non pas seulement pour les institutions de l’Union européenne comme c’est le cas actuellement) et à étendre les compétences de l’Agence des droits fondamentaux, qui serait appelée à jouer un rôle majeur au sein du mécanisme proposé. Lors de la session de septembre 2013 du Parlement européen, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, M. Thorbjørn Jagland, a reçu M. Michel à Strasbourg pour discuter de la valeur ajoutée et des inconvénients potentiels du mécanisme proposé.
10. Il convient de souligner que la réaction mitigée de l’Union européenne aux violations des droits de l’homme a été critiquée, notamment par des représentants de la société civile qui ont souligné l’importance des mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe. Ainsi que l’a indiqué le réseau Human Rights and Democracy Network dans un communiqué en août 2013, la Commission européenne a ouvert des procédures d’infraction dans un certain nombre de cas, mais s’est montrée peu disposée à s’appuyer sur les droits de l’homme pour justifier une telle procédure, ou à «montrer du doigt» les Etats membres concernés dans son rapport annuel sur l’application de la Charte des droits fondamentaux. L’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne a certes recensé des problèmes spécifiques dans des Etats membres de l’Union européenne, mais il existe un vide politique entre ces phénomènes et les mesures prises par l’Union européenne pour y remédier. En ce qui concerne le Parlement européen, il a joué un rôle important en stimulant la politique de l’Union européenne dans le domaine des droits de l’homme (par exemple, en adoptant récemment des positions fermes dans des résolutions sur la Hongrie et sur l’implication de pays européens dans le programme de restitution et de détention menées par la CIA), mais ce n’est pas une attitude constante; ainsi, son rapport annuel sur les droits fondamentaux ne mentionne pas un seul pays dans lequel les droits de l’homme seraient un sujet de préoccupation. Le Conseil de l’Union européenne est critiqué au sujet de son manque de volonté politique pour agir lorsque les valeurs de l’Union européenne sont menacées et au sujet des limites effectives du mandat confié à son Groupe «Droits fondamentaux, droits des citoyens et libre circulation des personnes» (FREMP), ainsi que de son rapprochement insuffisant avec la société civile.

3. La position de l’Assemblée

11. La coopération entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne est régie actuellement par un mémorandum d’accord entre les deux organisations, conclu le 23 mai 2007, qui contient un cadre général de coopération dans le domaine des droits de l’homme et des libertés fondamentales et souligne le rôle du Conseil de l’Europe en tant que «référence en matière de droits de l’homme, de primauté du droit et de démocratie en Europe».
12. Depuis la création de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne en 2007, la question du chevauchement inutile des activités du Conseil de l’Europe par l’agence est un sujet de préoccupation au sein du Conseil de l’Europe (voir, en particulier, la Résolution 1427 (2005) et la Recommandation 1744 (2006) de l’Assemblée). En 2008, un accord a été conclu entre la Communauté européenne et le Conseil de l’Europe sur la coopération entre l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne et le Conseil de l’Europe.
13. En 2010, l’Assemblée a adopté la Résolution 1756 (2010) et la Recommandation 1935 (2010) sur la nécessité d’éviter la duplication des travaux du Conseil de l’Europe par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, sur la base du rapport de mon collègue au sein de la commission, M. Boriss Cilevičs (Lettonie, Groupe socialiste). L’Assemblée y observe que les choses ont changé depuis 2007 et que l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne et le Conseil de l’Europe ont mis en place des formes appropriées de coopération et se consultent pour leurs activités courantes. Bien que les deux institutions travaillent parfois sur des questions identiques ou similaires, elles utilisent des outils différents dans la conduite de leurs activités respectives. La collecte de données de l’agence et son analyse factuelle pourraient compléter les travaux entrepris par les organes de suivi du Conseil de l’Europe.
14. Malgré ces avancées, l’Assemblée souligne qu’il est important que l’acquis du Conseil de l’Europe en matière de protection des droits de l’homme demeure la référence principale dans les travaux de l’agence. Elle appelle les Etats membres et les institutions de l’Union européenne à «examiner une nouvelle fois l’allocation de ressources financières et autres aux divers mécanismes européens de protection des droits de l’homme, afin de répartir celles-ci le plus efficacement possible» et regrette que le niveau du financement des activités principales du Conseil de l’Europe portant sur les droits de l’homme soit extrêmement bas, comparé à celui de l’Agence.
15. En octobre 2011, l’Assemblée a adopté la Résolution 1836 (2011) et la Recommandation 1982 (2011) sur l’impact du Traité de Lisbonne sur le Conseil de l’Europe, sur la base d’un rapport de Mme Kerstin Lundgren (Suède, ADLE), membre de la commission des questions politiques, qui recensait les changements apportés au cadre juridique de l’Union européenne du fait de l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne et l’impact de ce dernier sur les travaux du Conseil de l’Europe, y compris dans les domaines couverts par le Programme de Stockholm. Dans sa résolution, l’Assemblée notait que le partenariat post-Lisbonne entre les deux organisations «devrait aboutir à terme à la création d’un espace commun de protection des droits de l’homme sur l’ensemble du continent», grâce en particulier à l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme et à d’autres conventions et mécanismes de suivi essentiels du Conseil de l’Europe. Cela permettrait ainsi d’éviter les doubles emplois et la lassitude liée au suivi, notamment en période de crise économique, et le rôle du Conseil de l’Europe en tant que «référence en matière de droits de l’homme, de primauté du droit et de démocratie en Europe» s’en trouverait renforcé.
16. Par ailleurs, dans sa Résolution 1901 (2012) sur les droits de l’homme et la politique étrangère, sur la base d’un rapport de M. Pietro Marcenaro (Italie, Groupe socialiste), président de la commission des questions politiques, l’Assemblée saluait l’adoption du Cadre stratégique et du Plan d’action de l’Union européenne sur les droits de l’homme et la démocratie, et y voyait une occasion d’améliorer les synergies entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne ainsi que d’accroître notablement l’efficacité des actions internationales visant à promouvoir et à protéger les droits de l’homme dans le monde entier.
17. Malgré ces résultats positifs, les doublons d’activités et de ressources restent un sujet de préoccupation. Après la décision de l’Union européenne de nommer un Représentant spécial pour les droits de l’homme, craignant un chevauchement – ou le double emploi – avec les activités du Conseil de l’Europe, l’Assemblée a tenu lors de sa troisième partie de session de 2012 (juin 2012) un débat d’actualité sur «Les institutions européennes et les droits de l’homme en Europe». Le thème de ce débat a par la suite été renvoyé pour examen au fond à la commission des questions juridiques et des droits de l’homme. Celle-ci m’a chargé de rédiger un rapport sur cette question, auquel je travaille actuellement.
18. D’autres travaux sont également menés par certains de mes collègues de l’Assemblée. Mme Kerstin Lundgren (Suède, ADLE), membre de la commission des questions politiques et de la démocratie, est chargée de préparer un rapport sur «Le mémorandum d’accord entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne – évaluation 5 ans après». Mon collègue au sein de la commission M. Jordi Xuclà (Espagne, ADLE) prépare quant à lui un rapport sur l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme: élection des juges.

4. L’importance de la complémentarité et la nécessité d’éviter les doubles emplois

19. Depuis l’adoption du mémorandum d’accord entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne en 2007, la coopération s’est améliorée entre les deux organisations. L’Union européenne a montré un intérêt croissant pour la ratification de conventions importantes du Conseil de l’Europe (telles que la Convention sur la cybercriminalité (STCE n° 195), la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE n° 210), la Convention sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (STCE n° 201) et la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE n° 197)). Elle a en outre renforcé sa coopération avec la Commission de Venise, la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) et le Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO), auxquels il est prévu qu’elle adhère. Elle prend également part aux négociations relatives à la modernisation de la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (STE n° 108).
20. Malgré ces avancées, certaines évolutions négatives ont aussi été observées, par exemple en lien avec la révision de la Convention européenne sur la télévision transfrontière du Conseil de l’Europe de 1998, qui a été bloquée par l’Union européenne après l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. En effet, les Etats membres n’ont plus compétence pour négocier les traités internationaux relatifs aux services audiovisuels, cette compétence appartenant désormais, semble-t-il, à l’Union européenne. Cette question, qui est suivie par mon collègue au sein de la commission, M. James Clappison (Royaume-Uni, GDE), montre que l’approche de l’Union européenne centrée sur le «marché intérieur» pourrait diverger considérablement de celle des droits de l’homme privilégiée par le Conseil de l’Europe.
21. En préambule à tout nouveau débat sur l’éventuelle duplication d’activités du Conseil de l’Europe de la part de l’Union européenne, il convient de rappeler une nouvelle fois que le Conseil de l’Europe est la référence dans les domaines des droits de l’homme, de la démocratie et de l’Etat de droit en Europe, comme l’ont réaffirmé récemment le Comité des Ministres, dans sa décision du 16 mai 2013 adoptée lors de sa 123e session, et le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, dans son rapport du 7 mai 2013 «Démocratie, droits de l’homme et Etat de droit en Europe: renforcer l’impact des activités du Conseil de l’Europe». Ce dernier souligne l’importance du Conseil de l’Europe en tant que mécanisme de protection, de promotion et de mise en œuvre des droits de l’homme en Europe. Il rappelle que le cœur du système est la Cour européenne des droits de l’homme, seule juridiction internationale qui puisse être saisie de requêtes individuelles dirigées contre des Etats et qui rende des décisions juridiquement contraignantes. Toutefois, l’espace juridique global du Conseil de l’Europe est un système synergique, formé par l’ensemble des conventions, organes et programmes du Conseil de l’Europe, y compris les mécanismes de suivi. Comme le Secrétaire Général le souligne, avant que l’Union européenne n’adhère à la Convention européenne des droits de l’homme, le Conseil de l’Europe doit servir de gardien pour l’ensemble de l’Europe. Ce partenariat fructueux avec l’Union européenne pourra encore être élargi, en respectant «l’intégrité des deux organisations et sans introduire de nouveaux mécanismes parallèles».

5. Conclusion

22. L’initiative de l’Union européenne de créer un mécanisme de suivi sur le respect de l’Etat de droit découle de son incapacité, à ce jour, à apporter une réponse appropriée aux problèmes urgents de droits de l’homme qui se posent dans l’Union elle-même, et cela bien que le Traité de Lisbonne ait renforcé le cadre juridique des droits de l’homme. La situation en Hongrie ne doit pas devenir un précédent justifiant la duplication des travaux du Conseil de l’Europe. Le seul fait que l’Assemblée n’ait pas décidé, lors de sa précédente partie de session, d’engager une procédure de suivi officielle concernant la Hongrie n’est pas le signe d’un manque de volonté politique, de la part du Conseil de l’Europe, d’examiner la question de la conformité des changements apportés à la Constitution avec l’Etat de droit, que ce soit dans ce pays ou dans tout autre Etat membre de l’Union européenne. Le Conseil de l’Europe, et son Assemblée, continueront de suivre la situation en Hongrie, et les avis d’experts de la Commission de Venise confirment le rôle primordial de l’Organisation dans ce domaine.
23. Rien ne s’oppose en soi à l’idée d’un renforcement de la capacité de l’Union européenne à contribuer à la protection des droits de l’homme, de la démocratie et de l’Etat de droit auprès de ses membres ni à la promotion de normes régionales plus ambitieuses dans ce domaine. Pour autant, il est important d’éviter tout risque de doublon d’activités et de ne pas mettre en place en parallèle des mécanismes de protection généraux, aux frais des contribuables européens. Réinventer des normes qui existent déjà et mettre en place des structures parallèles revient à créer un double système de normes et à permettre un «choix de la juridiction la plus favorable», avec pour conséquences de faire apparaître de nouveaux clivages en Europe. Les doublons d’activités constituent par ailleurs un gaspillage des ressources budgétaires limitées nécessaires pour améliorer la protection des droits de l’homme et la promotion de l’Etat de droit. L’Assemblée a déjà exprimé son inquiétude à ce sujet dans ses textes antérieurs sur le rôle de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne et, au vu des diverses propositions visant à renforcer le mandat de l’Agence, ses conclusions à cet égard n’ont rien perdu de leur pertinence. Le système permettant de développer des indicateurs, d’assurer un suivi et de formuler des recommandations existe déjà au sein du Conseil de l’Europe. Ses organes de suivi s’appuient principalement, pour leurs activités, sur des instruments internationaux qui ont le même caractère contraignant pour tous ses Etats membres, y compris ceux qui ne sont pas membres de l’Union européenne. Ces activités – apolitiques – servent de base à un suivi, à des évaluations, à des conseils et, le cas échéant, à une coopération pratique pour la résolution des problèmes. De plus, un mécanisme approfondi de suivi pays-par-pays concernant la démocratie, l’Etat de droit et les droits de l’homme dans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe existe déjà au sein de l’Assemblée: sa commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l’Europe (commission de suivi) suit de près l’évolution de la situation en ce qui concerne les trois domaines fondamentaux pour ce qui est de 14 Etats membres et fournit des évaluations annuelles concernant les 33 restants.
24. Par conséquent, pour tout nouveau mécanisme de l’Union européenne, il devrait être tenu compte des organes de suivi actuels du Conseil de l’Europe, lequel réunit tous les Etats membres de l’Union européenne. Les synergies entre ces organes et l’Union européenne devraient être mieux exploitées et renforcées, avant de mettre en place un nouveau mécanisme de suivi pour les Etats membres de l’Union. En outre, aucun nouveau mécanisme de suivi de l’Etat de droit, au sein de l’Union européenne, ne devra se voir accorder un degré de priorité politique supérieur à celui de l’accession, prévue prochainement, de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme, laquelle est nécessaire pour garantir la cohérence des normes de protection des droits de l’homme en Europe. Puisque la CJUE doit maintenant rendre son avis au sujet du projet d’accord sur l’adhésion de l’Union européenne à la Convention, je ne peux qu’appeler toutes les parties concernées à faire en sorte que le processus d’adhésion aboutisse le plus tôt possible, dans l’intérêt de tous les citoyens européens.