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Rapport | Doc. 13430 | 19 février 2014

Renforcer le signalement des soupçons d’abus sexuels sur les enfants

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteur : M. Valeriu GHILETCHI, République de Moldova, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13006, Renvoi 3895 du 1er octobre 2012. 2014 - Commission permanente de mars

Résumé

Le signalement de soupçons d’abus commis sur des enfants peut être soit facultatif soit obligatoire de par la loi. En termes de protection des enfants contre les abus, aucun des systèmes ne s’est avéré plus efficace que l’autre. Toutefois, le défaut de signalement demeure un défi commun pour les deux systèmes, dans la mesure où de nombreux cas d’abus commis sur des enfants, notamment d’abus sexuels, restent tus soit parce qu’ils passent inaperçus, soit parce qu’ils sont détectés mais non signalés.

Afin d’augmenter le nombre de signalements de soupçons d’abus sexuels sur les enfants, il est crucial de sensibiliser le grand public sur cette question à travers des campagnes d’information. On devrait donner aux professionnels travaillant auprès des enfants, tout au long de leur formation et leur vie professionnelle, les moyens de repérer et d’aider convenablement les enfants victimes d’abus sexuels, et les encourager à mettre en place des règles de signalement à suivre en cas de soupçons d’abus sexuels sur un enfant. Par ailleurs, il faudrait s’attaquer aux raisons qui sous-tendent des décisions de ne pas signaler, en renforçant la confiance dans le système de protection de l’enfance grâce à des enquêtes rapides, effectives et adaptées à l’enfant. Enfin, la protection juridique des personnes qui signalent en toute bonne foi des soupçons d’abus sexuels sur enfants devrait être assurée, notamment en limitant le devoir de confidentialité des professionnels.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 30 janvier
2014.

(open)
1. Les abus sexuels constituent la forme de violence à l’égard des enfants la plus occulte et la moins souvent dénoncée. La plupart des abus sexuels dont sont victimes les enfants sont commis par leurs parents, des membres de leur famille élargie, des voisins ou des amis de la famille. Très rares sont les enfants concernés à signaler eux-mêmes les violences sexuelles qu’ils subissent, souvent par peur des conséquences. De même, pour des raisons évidentes, très peu d’auteurs de violences relatent leurs actes et demandent une assistance.
2. Dès lors, les tiers et en particulier les professionnels travaillant auprès des enfants, jouent un rôle clé dans la rupture du cycle de violence que la plupart des enfants endurent en silence, en détectant des signes d’abus sexuels et en les signalant aux autorités compétentes.
3. L’Assemblée parlementaire rappelle que l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer dans toutes les mesures concernant la sécurité et le bien-être des enfants. Après avoir examiné le pour et le contre des lois prévoyant un signalement facultatif ou obligatoire, l’Assemblée n’est pas convaincue que l’un des systèmes se soit avéré plus efficace que l’autre pour protéger les enfants contre les abus.
4. L’Assemblée note que, indépendamment du système de signalement en place – obligatoire ou facultatif –, de nombreux cas d’abus commis sur des enfants, y compris d’abus sexuels, restent tus soit parce qu’ils passent inaperçus, soit parce qu’ils sont détectés mais non signalés. Par conséquent, le défaut de signalement demeure l’un des principaux défis posés aux systèmes de protection de l’enfance.
5. Alors que le manque de sensibilisation du public et des professionnels est la principale raison pour laquelle de nombreux abus restent totalement ignorés, la décision délibérée de ne pas signaler des soupçons d’abus peut avoir plusieurs explications selon qu’elle émane de professionnels travaillant auprès des enfants ou de citoyens ordinaires. Les raisons les plus couramment avancées par les professionnels englobent la crainte d’une erreur de diagnostic, la peur de représailles de la part de la famille de l’enfant ou de l’auteur présumé des abus, le souci de préserver les liens entre l’enfant et sa famille, le manque de confiance dans le système de protection de l’enfance ou encore la peur des conséquences d’une violation des règles de confidentialité.
6. Les citoyens ordinaires peuvent être réticents à signaler des soupçons d’abus parce qu’ils ne veulent pas s’immiscer dans la vie de famille d’autrui, craignent que leur identité ne soit découverte par l’auteur présumé d’abus ou, simplement, parce qu’ils pensent que leur signalement ne sera pas suivi d’effet ou risque d’entraîner une «revictimisation» de l’enfant.
7. L’Assemblée note que le signalement d’abus sexuels commis sur des enfants présente des complications supplémentaires en raison de la difficulté à les déceler, car contrairement aux abus physiques, ils n’impliquent pas toujours un contact corporel ou un préjudice physique. Elle constate également qu’il est rare que les enfants profèrent de fausses allégations d’abus sexuels. Il est de ce fait crucial, pour les professionnels travaillant auprès d’enfants, d’apprendre à reconnaître tout changement de comportement ou psychologique susceptible de résulter d’un abus sexuel, à reconnaître les éventuelles allégations de tels actes formulées par les enfants eux-mêmes et à réagir correctement à de telles allégations.
8. Compte tenu de ce qui précède et indépendamment du système de signalement en place au niveau national, l’Assemblée invite les Etats membres du Conseil de l’Europe à créer un cadre encourageant l’ensemble des professionnels qui travaillent auprès d’enfants et tous les citoyens à signaler les soupçons d’abus sexuels. A cette fin, les Etats membres devraient:
8.1. organiser des campagnes d’information visant à sensibiliser davantage le public à la nature et à l’ampleur des abus sexuels commis sur des enfants et à leurs conséquences pour les victimes et la société dans son ensemble; ces campagnes devraient également donner une ligne directrice sur la conduite à tenir en cas de soupçons de tels abus;
8.2. permettre aux professionnels de repérer et d’aider convenablement les enfants victimes d’abus sexuels et les motiver à assumer le rôle qu’il leur incombe d’intervenir dans les situations d’abus:
8.2.1. en incluant dans leur cursus la question des abus sexuels sur enfants, en particulier pour les professionnels des secteurs de la santé et de l’éducation ainsi que pour les entraîneurs sportifs;
8.2.2. en élaborant des formations spécifiques et des programmes de formation continue sur le thème de l’abus sexuel commis sur des enfants, y compris sur le cadre juridique pertinent;
8.2.3. en encourageant les professionnels eux-mêmes à mettre en place des règles de signalement à suivre en cas de soupçons d’abus sexuels sur un enfant;
8.3. renforcer la confiance dans le système de protection de l’enfance en veillant à ce que:
8.3.1. les signalements de soupçons d’abus sexuels fassent l’objet d’enquêtes et de poursuites rapides, équitables et effectives;
8.3.2. l’enquête et le processus judiciaire éventuellement engagés à la suite du signalement soient menés d’une manière adaptée à l’enfant, sans exposer l’enfant victime à d’autres préjudices;
8.3.3. le retrait d’un enfant de sa famille par suite d’un signalement reste une mesure exceptionnelle;
8.3.4. dans la mesure du possible, l’auteur du signalement soit tenu informé;
8.4. assurer la protection juridique des personnes qui signalent en toute bonne foi des soupçons d’abus sexuels sur enfants:
8.4.1. en limitant le devoir de confidentialité des professionnels dans de telles circonstances;
8.4.2. en adoptant des règles visant à protéger l’identité des auteurs de signalement.

B. Exposé des motifs, par M. Ghiletchi, rapporteur

(open)

1. Introduction

«Aucune violence faite aux enfants n’est justifiable; toute violence à leur égard est évitable.» Rapport de l’expert indépendant chargé de l’étude des Nations Unies sur la violence à l’encontre des enfants, août 2006

1. La violence à l’égard des enfants est un phénomène planétaire qui affecte la vie de millions d’enfants dans le monde avec des conséquences profondes à long terme sur leur santé physique et mentale. Elle revêt différentes formes, dont la violence physique, psychologique et sexuelle, et se produit dans divers environnements, aussi bien au sein du foyer ou de la famille, à l’école, dans les institutions d’accueil ou encore au sein du système de justice.
2. Les abus sexuels constituent la forme de violence à l’égard des enfants la plus occulte et la moins souvent dénoncée. La plupart des abus sexuels dont sont victimes les enfants sont commis par leurs parents, des membres de leur famille élargie, des voisins ou des amis de la famille. Très rares sont les enfants concernés à signaler eux-mêmes les violences sexuelles qu’ils subissent, souvent par peur des conséquences, parce qu’ils n’ont personne à qui se confier ou sont incapables d’exprimer ce qu’ils ont vécu, du fait de leur jeune âge. De même, pour des raisons évidentes, très peu d’auteurs de violences relatent leurs actes et demandent une assistance.
3. Dès lors, les tiers et en particulier les professionnels travaillant auprès des enfants, comme les assistantes maternelles, les enseignants et autres personnels scolaires, les médecins, les infirmières et autres prestataires de soins de santé, jouent un rôle clé dans la rupture du cycle de violence que la plupart des enfants victimes endurent en silence, en détectant des signes d’abus sexuels et en les signalant aux autorités compétentes.
4. Dans ce contexte, la question de savoir si le signalement des soupçons d’abus devrait être facultatif ou si la loi devrait le rendre obligatoire est complexe et suscite de nombreuses controverses. En ma qualité de rapporteur, je ne plaiderais pas en faveur de l’un ou l’autre système, dans la mesure où je ne suis pas convaincu que l’un s’avère plus efficace que l’autre en termes de protection de l’enfance. Les deux systèmes présentent des imperfections, dont le défaut de signalement, un phénomène commun aux deux qui constitue probablement l’une des failles les plus problématiques dans la mesure où il contribue à perpétuer la violence.
5. Eu égard aux considérations qui précèdent, le présent rapport vise à explorer les différentes approches du signalement de soupçons d’abus sur enfants sur un plan général, sans nécessairement se prononcer quant au type de loi sur le signalement qu’il convient d’adopter. Il s’efforce de comprendre le phénomène de défaut de signalement, l’une des principales raisons pour lesquelles les abus commis sur des enfants, y compris les abus sexuels, restent souvent tus et d’examiner les complications supplémentaires que présente l’abus sexuel sur enfants dans ce contexte, en vue de formuler des recommandations concrètes à l’intention des Etats membres pour renforcer le signalement des soupçons d’abus sexuels à l’encontre d’enfants. Si les recommandations avancées dans ce rapport ont trait au signalement «d’abus sexuels» en tant que type de violence spécifique commis à l’égard d’enfants, je suis d’avis qu’elles s’appliquent généralement aussi à d’autres formes de violence, dont la négligence et la maltraitance physique.
6. Dans le présent rapport, le signalement de soupçons d’abus sexuels commis en milieu institutionnel a été délibérément omis, dans la mesure où le traitement des affaires d’abus perpétrés dans un tel environnement suppose d’autres mesures que le signalement et implique la direction de l’organisation et des inspecteurs officiels. A cet égard, je fais référence à la Recommandation 1934 (2010) de l’Assemblée parlementaire «Sévices sur des enfants placés en établissement: garantir la protection pleine et entière des victimes». Par ailleurs, ce rapport se limite strictement au signalement de soupçons d’abus «actuels». Par conséquent, le signalement d’abus anciens – qui renvoie à des affaires révélées bien des années après la commission des faits, principalement par des personnes ayant été victimes d’abus sexuels durant leur enfance – a été exclu de son champ, sachant également que le signalement de tels abus a des implications juridiques complexes eu égard par exemple au délai de prescription.

2. Différentes approches du signalement de soupçons d’abus sur enfants

7. Si chacun convient que la détection et le signalement précoce d’abus jouent un rôle crucial pour l’arrêter et le poursuivre, les avis divergent grandement quant au système de signalement le mieux à même de servir cet objectif. Deux conceptions du signalement de soupçons d’abus sur enfants s’opposent: le signalement facultatif et le signalement obligatoire.
8. Le concept de signalement obligatoire est né aux Etats-Unis et fait référence à la législation qui spécifie les personnes tenues par la loi de signaler les soupçons d’abus commis sur des enfants. Au plan international, peu de pays disposent, semble-t-il, de textes de lois sur le signalement obligatoire couvrant les abus commis sur des enfants. Les Etats-Unis, l’Australie et le Canada sont les principaux pays à avoir adopté une telle approche, bien que certains autres, dont plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe, se soient dotés d’une législation relative au signalement obligatoire (voir sous le point 2.3). Néanmoins, les systèmes de signalement facultatif sont bien plus courants.
9. En règle générale, dans les pays où le signalement obligatoire existe, la législation définit notamment qui doit faire rapport et à qui, et quelles informations la personne en question doit détenir avant que l’obligation de signalement ne soit déclenchée. Il faut généralement que la croyance en l’existence d’un abus ou le soupçon soit «raisonnable». Dans certaines juridictions, l’obligation de signalement est contraignante pour toutes les personnes, indépendamment de leur profession, tandis que dans d’autres, elle ne l’est que pour certains professionnels travaillant auprès des enfants. Dans ce dernier cas, il s’agit le plus souvent des travailleurs sociaux, des enseignants, des assistantes maternelles, des médecins et d’autres prestataires de soins de santé ainsi que des forces de l’ordre. La législation précise également les conséquences juridiques en cas de défaut de signalement. Il s’agira en général de sanctions pénales dont sont passibles les professionnels tandis que les peines à l’égard de citoyens ordinaires peuvent être moins sévères 
			(2) 
			A titre d’exemple,
en Suède, pays ayant instauré une obligation de signalement qui
s’applique à la fois à certaines professions spécifiques et au grand
public, le défaut de signalement de la part de ce dernier n’est
pas passible de sanctions pénales..

2.1. Les pour et les contre des systèmes de signalement obligatoire et facultatif 
			(3) 
			Les informations données
dans cette section se fondent principalement sur l’article de Mathews
B. et Bross D., «Mandated reporting is still a policy with reason:
Empirical evidence and philosophical grounds», Child Abuse & Neglect 2008,
Volume 32, p. 511-516.

10. Par nature, bon nombre des arguments «pour» et «contre» les deux systèmes de signalement soulèvent des polémiques. L’argument principal avancé par les partisans d’un système de signalement obligatoire est que, sans cela, une société est bien moins en mesure de protéger les enfants et d’aider les parents et les familles, étant donné que bon nombre de cas d’abus, voire la plupart, ne sont pas portés à l’attention des pouvoirs publics et restent de ce fait cachés. Le raisonnement qui sous-tend cet argument est simple: le caractère contraignant induit un plus grand nombre de signalements et conduit, au final, à la détection d’un plus grand nombre d’abus. Cela permet donc de mettre plus d’enfants à l’abri à un stade plus précoce de leur vie, avec toutes les implications positives que cela peut avoir sur leur santé, sans oublier les conséquences sociétales et économiques.
11. Les détracteurs de ce système rétorquent que le signalement obligatoire ne garantit pas une telle amélioration de la détection des abus sur enfants. Ils proposent plutôt d’améliorer la «recherche d’aide» volontaire, de faciliter l’assistance volontaire aux enfants et aux familles et de créer ou de maintenir le niveau des normes de protection de l’enfance. Ils soutiennent que cela consoliderait les liens entre le système de protection de l’enfance et la collectivité, et qu’ainsi le signalement obligatoire serait moins nécessaire car le personnel responsable du bien-être de l’enfant aurait connaissance de la plupart des cas de violence. Plus important encore, les systèmes de signalement obligatoire donneraient lieu, selon leurs détracteurs, à une grande quantité de signalements sans fondement et tendraient à accroître la charge de travail des services de protection de l'enfance, à gaspiller les ressources et à réduire la qualité des services proposés aux enfants et aux familles qui en ont réellement besoin. Par ailleurs, le signalement obligatoire alimenterait un climat de paranoïa en ce qu’il crée un système où tout un chacun peut effectuer un signalement sur autrui.
12. De plus, les textes de lois en vertu desquels l’obligation de signalement ne s’impose qu’à certaines catégories de professionnels est susceptible d’affaiblir le sentiment de responsabilité individuelle d’autres professionnels et d’autres segments de la population non soumis à cette obligation. Les détracteurs du signalement obligatoire ont également avancé le risque de voir des préjugés sociaux, culturels et raciaux influencer le système, contribuant par conséquent à la stigmatisation de certains groupes sociaux. Dans le cadre d’une étude menée aux Etats-Unis, les auteurs ont en effet constaté que les enfants afro-américains avaient plus de probabilité de faire l’objet d’un signalement de soupçons d’abus auprès des services de protection de l’enfance 
			(4) 
			Sege
R., «Forty years later – Inconsistencies in reporting of child abuse», Archives of Disease in Childhood, publication
en ligne, 6 juin 2008..
13. Tout en reconnaissant ces éventuels inconvénients, les partisans du signalement obligatoire répliquent qu'il s'agit là d'arguments dénonçant l'insuffisance des moyens à la disposition des services de protection de l'enfance et, peut-être, le manque de formation ou l’inefficacité de la formation des professionnels tenus de faire rapport ainsi que l’imprécision des textes de lois sur le signalement, plutôt que d'une mise en cause du système de signalement obligatoire lui-même. Ils estiment que la crainte d’un grand nombre de signalements infondés ne devrait pas avoir pour répercussion négative de protéger les auteurs d’abus. Ils proposent par conséquent que des ressources plus conséquentes soient affectées pour filtrer, évaluer et enquêter sur les signalements et que des normes plus strictes en matière de preuves soient mises en place afin d’écarter le plus rapidement possible tous les signalements sans fondement et de se concentrer sur les cas avérés. De plus, ils avancent qu’un système de signalement obligatoire n’est pas incompatible avec les efforts visant à améliorer la recherche d’aide volontaire.
14. Il convient de noter que la majorité des «éléments de preuve» utilisés pour justifier les arguments pour ou contre susmentionnés sont des déductions et relèvent de la présomption. Il n’existe guère de données empiriques susceptibles d’étayer ou de réfuter l’hypothèse selon laquelle le système de signalement obligatoire protège mieux les enfants. Il est par ailleurs extrêmement difficile de distinguer l’incidence directe du signalement à caractère contraignant sur l’amélioration de la protection des enfants 
			(5) 
			Wallace I. et Bunting
l., An examination of local, national and international arrangements
for the mandatory reporting of child abuse: the implications for
Northern Ireland, NSPCC (Société nationale pour la prévention de
la cruauté envers les enfants), août 2007.. Nous savons cependant, qu’indépendamment du système de signalement en place – obligatoire ou facultatif – de nombreux cas de soupçons d’abus commis sur des enfants, y compris d’abus sexuels, ne sont pas signalés. Il est selon moi essentiel de s’attaquer aux causes de ce défaut de signalement si nous voulons renforcer la protection des enfants à l’égard des abus sexuels (voir sous le point 3 ci-après).

2.2. Normes européennes et internationales pertinentes

15. L’article 19 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, tout en exigeant que les Parties prennent toutes les mesures appropriées pour protéger les enfants contre toute forme de violence, y compris les abus sexuels, dispose que ces mesures de protection comprennent, «le cas échéant», le signalement d’abus commis sur des enfants. Le Comité des droits de l'enfant souligne, dans son interprétation de l'article 19 de la convention, que, dans tous les pays, le signalement de cas de violence avérés ou supposés et de risques de violence devrait, au minimum, être exigé des professionnels qui travaillent directement avec des enfants. Le Comité ajoute que lorsque de tels signalements sont effectués en toute bonne foi, des mécanismes doivent être mis en place pour protéger les professionnels concernés 
			(6) 
			Observation générale
n° 13 (2011) «Le droit de l’enfant d’être protégé contre toutes
les formes de violence»..
16. L’article 12 de la Convention du Conseil de l'Europe sur la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels (STCE n° 201, «Convention de Lanzarote») énonce que chaque Partie prendra les mesures législatives ou autres nécessaires pour assurer la «possibilité» pour les professionnels amenés à travailler en contact avec des enfants d’effectuer un signalement, lorsqu’ils ont des motifs raisonnables de croire qu’un enfant est victime d’exploitation ou d’abus sexuels. Le même article impose la prise de mesures pour «encourager» toute personne agissant de bonne foi de signaler les cas avérés ou suspectés d’exploitation ou d’abus sexuels d’enfants.
17. Il est indiqué dans le rapport explicatif de la Convention de Lanzarote que les professionnels normalement liés par les règles du secret professionnel (tels que, par exemple, les médecins et les psychiatres) ne devraient pas risquer les conséquences juridiques liées au fait de briser le secret professionnel suite au signalement qu’ils ont effectué. Il est précisé que l’exigence d’un signalement effectué «de bonne foi» a pour objet d’éviter que la disposition ne puisse être invoquée pour autoriser la dénonciation de faits purement imaginaires et mensongers, effectuée dans une intention de nuire.
18. Enfin, l’article 16 de la Directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil relative à la lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants ainsi que la pédopornographie, contient une disposition quasi-identique à celle de l’article 12 de la Convention de Lanzarote.

2.3. Aperçu du cadre juridique dans les Etats membres du Conseil de l’Europe

19. En janvier 2012, l’Assemblée a lancé une enquête par l’intermédiaire du Centre européen de recherche et de documentation parlementaires (CERDP) à l’intention des parlements nationaux sur l’obligation de signaler les soupçons d’exploitation ou d’abus sexuels commis sur des enfants. Trente-cinq parlements ont répondu à cette enquête destinée à obtenir une vue d’ensemble concise et actuelle des différentes lois nationales sur le sujet 
			(7) 
			Les réponses sont disponibles
sur demande auprès du Secrétariat de la commission des questions
sociales, de la santé et du développement durable. Les résultats
de cette enquête ont été présentés à la 7e réunion
du Réseau de l’APCE des parlementaires de référence contre la violence
sexuelle à l’égard des enfants qui s’est tenue le 24 avril 2012, à
Strasbourg, sur le thème suivant: «Obligation de signaler les soupçons
de violence sexuelle sur les enfants?»..
20. Les réponses ont montré que seuls 12 pays avaient instauré une obligation de signaler les soupçons d’exploitation et d’abus sexuels sur enfants. Dans certains pays, cette obligation s’appliquait à tout un chacun (en Estonie et en Suède, par exemple) et, dans d’autres, à certains professionnels, comme les prestataires de soins de santé (notamment en Finlande). Certains pays (dont l’Irlande) n’avaient encore édicté aucune disposition prévoyant l’obligation de signaler ce type de soupçons mais envisageaient de modifier leur législation pour y inclure cette obligation pour tous et/ou pour certains groupes de personnes. En revanche, d’autres pays comme l’Allemagne et le Royaume-Uni avaient examiné la question de l’instauration d’une obligation de signalement et s’étaient prononcés contre cette mesure. Les réponses révèlent en outre que, dans la plupart des pays, le signalement devait être effectué soit auprès des services de protection de l’enfance, soit auprès des forces de l’ordre, notamment les services de police, qui se chargent ensuite d’enquêter sur les accusations et le cas échéant, d’engager des poursuites.
21. Depuis l’étude susmentionnée, les Pays-Bas ont décidé de modifier leur législation. Ils ne disposent plus d’un système où le signalement d’abus à l’encontre d’enfants est obligatoire, mais d’un système que l’on pourrait qualifier d’hybride, avec obligation de mettre en place des règles de signalement (Meldcode). Selon la nouvelle loi, les organisations et professionnels indépendants travaillant auprès des enfants, tous secteurs confondus y compris ceux des soins de santé, de l’éducation, des services d’assistance à la maternité, des services sociaux, des secteurs de la jeunesse et de la justice, sont tenus de mettre sur pied et de suivre un «code de signalement» en cas de suspicion d’abus sur enfants ou de violence domestique. Ce code doit comporter les cinq étapes suivantes: déceler les signes d’abus, consulter ses pairs et, si nécessaire, consulter le centre de conseil et de signalement en cas d’abus et de négligences infligés aux enfants (ou le centre d’aide et de conseil aux personnes victimes de violences domestiques) afin d’interpréter les signes d’abus, s’entretenir avec le client (qui peut être la victime potentielle mais aussi un témoin ou l’auteur), évaluer la nature et la gravité de l’abus sur enfants identifié et décider soit d’organiser l’aide soit d’effectuer un signalement. Aussi, le Meldcode (ou code de signalement) fournit aux professionnels une feuille de route pour signaler les soupçons d’abus. Il remplit également une mission pédagogique en associant les professionnels à son élaboration, les sensibilisant ainsi aux cas d’abus commis sur des enfants et contribuant, au final, à la détection de ces abus 
			(8) 
			Avant l’adoption de
la nouvelle loi, le code de signalement était mis en œuvre à titre
pilote dans la municipalité de Rotterdam. Au cours de la période
d’essai, 85 % des institutions d’accueil, des services de protection
sociale et éducatifs de Rotterdam ont adopté un code de signalement
et le nombre de consultations adressées au centre de conseil et
de signalement a augmenté de près de 200 %, et celui des avis rendus
par ce même centre a progressé de 40 %..

3. Au-delà de la législation sur le signalement: comprendre pourquoi les abus commis sur des enfants, y compris les abus sexuels, restent souvent cachés

22. De récentes affaires fortement médiatisées ont montré une fois de plus que les abus commis sur des enfants peuvent rester occultés pendant des années, avec toutes les conséquences les plus tragiques pour les victimes. En effet, jusqu’à très récemment, personne ne savait que Régis de Camaret, un ancien entraîneur de tennis français avait violé de jeunes stagiaires de son centre de tennis au début des années 1980 
			(9) 
			Régis
de Camaret a été condamné en appel à dix ans d’emprisonnement pour
viol et tentative de viol sur mineurs., pas plus qu’on ne soupçonnait l’ancien présentateur de la BBC, le défunt Jimmy Savile, d’avoir pu commettre des centaines d’abus sexuels, les victimes étant aussi bien des garçons et filles prépubères que des adultes 
			(10) 
			<a href='http://www.independent.co.uk/news/uk/home-news/jimmy-savile-could-have-abused-up-to-1000-victims-while-at-the-bbc-9070421.html'>www.independent.co.uk/news/uk/home-news/jimmy-savile-could-have-abused-up-to-1000-victims-while-at-the-bbc-9070421.html.</a>. Le jeune Daniel Pelka, âgé de quatre ans, serait peut-être encore en vie si les professionnels qui étaient quotidiennement en contact avec lui avaient été davantage conscients du problème d’abus commis sur des enfants et sensibles à celui-ci 
			(11) 
			Daniel Pelka est décédé
d’un hématome à la tête le 3 mars 2012. Sa mère et son compagnon
ont été reconnus coupables de meurtre. Une procédure spéciale d’enquête
a conclu que Daniel Pelka était «invisible» à certains moments et
qu’aucun professionnel n’avait fait suffisamment d’efforts pour
lui parler. <a href='http://www.bbc.co.uk/news/uk-england-coventry-warwickshire-24106823'>www.bbc.co.uk/news/uk-england-coventry-warwickshire-24106823</a>..
23. En effet, indépendamment du système de signalement en place – obligatoire ou facultatif – de nombreux cas d’abus commis sur des enfants, y compris d’abus sexuels, restent tus soit parce qu’ils passent inaperçus, soit parce qu’ils sont détectés mais non signalés. Par conséquent, le non-signalement demeure l’un des principaux défis posés aux systèmes de protection de l’enfance.
24. Le manque de sensibilisation du public et des professionnels (et l’absence de formation professionnelle nécessaire à cette sensibilisation) est le principal facteur expliquant pourquoi tant d’abus restent totalement ignorés. Quant à la décision consciente de ne pas effectuer de signalement, malgré le constat «qu’il se passe quelque chose de grave», plusieurs raisons peuvent l’expliquer selon qu’il s’agisse de professionnels travaillant avec les enfants ou de citoyens ordinaires 
			(12) 
			Les interactions possibles
entre le système de signalement en place et la décision de ne pas
procéder au signalement ne seront pas incluses dans l’analyse des
raisons susmentionnées, car en l’absence de preuves empiriques suffisantes,
elles sont source de controverse et n’amènent rien au débat. Il
en est ainsi de la question de savoir si un système de signalement
facultatif favorise l’absence de signalement ou si un système de
signalement obligatoire est une incitation à la formation professionnelle.
Voir note 4 supra.. Dans ce contexte, il convient de noter que le signalement d’abus sexuels sur enfants présente des complications supplémentaires dues au fait qu’il est souvent très malaisé de les détecter.

3.1. Sensibilisation aux abus commis sur des enfants et formation des professionnels

25. La sensibilisation de la population aux abus commis sur des enfants est essentielle pour déceler de tels abus. S’agissant des abus sexuels, dans de nombreux pays, la médiatisation croissance des affaires de violence sexuelle à l’encontre d’enfants contribue à l’augmentation du nombre de signalements, une tendance qui devrait encore s’amplifier grâce à cette sensibilisation. Cependant, il convient de poursuivre les efforts afin de faire prendre conscience à la population de la nature et de l’ampleur de tels abus, de leurs conséquences pour les enfants et la société dans son ensemble.
26. D’autre part, des campagnes d’information ciblant les mesures à prendre en cas de soupçon d’abus sur enfants pourraient inciter le public à devenir plus proactif en matière de signalement. La campagne lancée en 2009 aux Pays-Bas en est un parfait exemple. Intitulée «Que puis-je faire?» (Wat kan ik doen?), elle s’est poursuivie en 2010 et 2011 avec pour principal message: «Vous soupçonnez une négligence ou un abus commis sur un enfant? Vous pouvez toujours faire quelque chose!»
27. La prise de conscience de l’abus commis sur des enfants est encore plus cruciale pour les professionnels qui interagissent au quotidien avec eux, par exemple les assistantes maternelles, les enseignants et les médecins. Ces professionnels devraient être sensibilisés et motivés à assumer le rôle qui leur incombe d’intervenir dans les situations d’abus. Pour pouvoir remplir ce rôle essentiel, les professionnels doivent cependant être formés à la reconnaissance des caractéristiques et des mécanismes associés aux abus. Malheureusement, beaucoup d’entre eux ne disposent pas des outils leur permettant de repérer correctement les enfants victimes d’abus et de leur venir en aide. Ces outils doivent leur être fournis durant leur formation professionnelle tant initiale que continue 
			(13) 
			Les études menées dans
divers pays ont montré la nécessité d’une formation continue des
professionnels en matière de détection et de signalement des signes
précoces et des symptômes d’abus sur enfants. Rapport mondial sur
la violence et la santé, Organisation mondiale de la Santé, Genève,
2002.. Celle-ci devrait également aborder le cadre juridique, c’est-à-dire la question de savoir si le signalement est obligatoire et, le cas échéant, sous quelles conditions (le concept de «soupçon raisonnable»), auprès de quelle instance et qui doit s’en charger.
28. La détection des abus sexuels est cependant particulièrement complexe, car contrairement aux abus physiques, ils n’impliquent pas toujours un contact corporel ou un préjudice physique. Par ailleurs, même s’il existe des signes physiques, la plupart des professionnels travaillant auprès des enfants ne seraient pas en position de procéder à l’examen physique qui leur permettrait de déceler ces signes. D’où l’importance pour les professionnels d’être sensibles aux changements de comportement ou psychologiques qui peuvent résulter des abus sexuels et de savoir les reconnaître, sachant qu’ils peuvent facilement être interprétés à tort comme des sautes d’humeur ou de la désobéissance. Ils devraient également apprendre à communiquer avec les enfants pour être à même de reconnaître les éventuelles allégations d’abus sexuels formulées par les enfants eux-mêmes. Dans ce contexte, il convient de noter qu’il est très rare que les enfants profèrent de fausses allégations d’abus sexuels 
			(14) 
			Dans les affaires de
divorce difficile, le taux de fausses allégations d’abus sexuels
sur enfants peut être légèrement supérieur.. Il est donc essentiel pour les professionnels travaillant avec des enfants de savoir comment réagir de manière appropriée face à de telles accusations.
29. Une formation appropriée s’avère importante non seulement pour détecter les abus, mais aussi pour offrir une réponse adaptée aux cas avérés. Dans la récente affaire de sollicitation d’enfants qui s’est déroulée à Rochdale au Royaume-Uni, il a été avancé que les défaillances fondamentales du système, notamment le déploiement de détectives non formés à l’exploitation sexuelle des enfants pour interroger les victimes potentielles, ont joué un rôle déterminant dans l’échec des autorités à réagir de manière appropriée 
			(15) 
			<a href='http://www.theguardian.com/commentisfree/2013/dec/20/rochdale-child-grooming-report-wake-up-police?INTCMP=ILCNETTXT3487'>www.theguardian.com/commentisfree/2013/dec/20/rochdale-child-grooming-report-wake-up-police?INTCMP=ILCNETTXT3487</a>.. C’est pourquoi dans les affaires de violence, les enquêtes devraient être menées par des professionnels qualifiés parfaitement formés, en suivant une approche fondée sur les droits de l’enfant 
			(16) 
			Voir
note 6 supra..
30. Ces questions ont déjà été soulignées dans la Recommandation 1934 (2010) «Sévices sur des enfants placés en établissement: garantir la protection pleine et entière des victimes», dans laquelle l’Assemblée a appelé à l’élaboration de programmes spécifiques d’enseignement et de formation continue destinés à tous les professionnels et bénévoles travaillant avec des enfants et des adolescents, pour leur permettre d’identifier des abus potentiels et de réagir de façon adéquate aux situations d’abus. L’Assemblée a recommandé également de dispenser de tels programmes d’enseignement et de formation aux fonctionnaires de police, aux procureurs et aux juges ainsi qu’aux agents des services de protection de l’enfance car ce sont eux qui reçoivent les signalements de soupçons de violence et enquêtent sur les allégations.

3.2. Facteurs influençant la décision des professionnels travaillant auprès des enfants de procéder ou non à un signalement

31. Des études montrent que beaucoup de professionnels travaillant auprès des enfants décident de ne pas procéder à un signalement, même s’ils ont décelé des cas suspects et même lorsqu’ils y sont contraints par la loi. Outre leur formation, leurs expériences personnelles et opinions à propos du système de protection de l’enfance en place entrent en jeu dans leur décision d’effectuer ou non un signalement 
			(17) 
			Voir
note 4 supra..
32. Parmi les raisons le plus souvent avancées par les professionnels pour expliquer le défaut de signalement, on peut citer la peur de se tromper, la crainte de représailles de la part de la famille de l’enfant ou de l’auteur présumé des abus et le souci de préserver les liens entre l’enfant et sa famille. Le signalement peut avoir entre autres conséquences le retrait de l’enfant à sa famille, une éventualité qui préoccupe très sérieusement bon nombre de professionnels compte tenu de son effet perturbateur sur la vie familiale de l’enfant. Ma collègue, Mme Olga Borzova (Fédération de Russie, GDE), procède actuellement à un examen de la situation juridique et pratique en termes de retrait d’enfants de leurs familles dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. Cependant, je pense que nous pouvons d’ores et déjà affirmer que le retrait d’un enfant à sa famille doit rester une mesure exceptionnelle, utilisée uniquement en dernier recours, lorsqu’il n’existe pas d’autre moyen d’assurer la sécurité et le bien-être immédiats et à long terme de l’enfant.
33. Une autre raison majeure du défaut de signalement de la part des professionnels est leur manque de confiance dans le système de protection de l’enfance. Le scepticisme des professionnels peut reposer sur leurs expériences personnelles antérieures ou les récits de leurs collègues ou des médias laissant entrevoir que les enfants ayant fait l’objet d’un signalement continuent d’être victimes d’abus. Ils peuvent également craindre que les procédures pénales ou autres déclenchées par leur signalement entraînent une «revictimisation» de l’enfant. Un tel scepticisme peut aussi être amplifié si, comme c’est souvent le cas, les professionnels sont rarement informés des suites données à leur signalement par les agences de protection de l’enfance. A titre d’exemple, il est rapporté qu’en Suède, le manque de retour d’informations de la part des services sociaux peut conduire certains à hésiter à procéder à un signalement 
			(18) 
			Voir note 12 supra..
34. Les règles de confidentialité que doivent respecter certains professionnels dans l’exercice de leurs fonctions peuvent aussi faire obstacle au signalement si leur violation risque d’entraîner des poursuites pénales ou disciplinaires à leur encontre. Il ressort d’études qu’ils sont plus enclins à signaler leurs soupçons lorsque cette obligation est assortie d’une protection juridique contre les procédures pénales et disciplinaires. En principe, dans les pays disposant d’un système de signalement obligatoire, les professionnels sont protégés contre de telles procédures. Cependant, en dépit de la protection que leur accorde la loi, des médecins ont été poursuivis pour faute professionnelle parce qu’ils avaient signalé des soupçons de mauvais traitements aux services de protection de l’enfance 
			(19) 
			Voir note 4 supra..
35. De telles garanties juridiques sont également pertinentes en l’absence de toute obligation de signalement imposée aux professionnels. En effet, dans des pays comme le Royaume-Uni, on a fait valoir que les procédures disciplinaires engagées contre des médecins à cause de leur témoignage et/ou de leur signalement de soupçons d’abus commis sur des enfants ont eu des conséquences préjudiciables pour la protection des enfants. Du fait de ces cas et du nombre croissant de plaintes déposées contre eux, les pédiatres sont moins enclins à signaler leurs soupçons d’abus sur les enfants et à accepter de jouer un rôle de premier plan dans la protection de l’enfance 
			(20) 
			Mathews B. et al., «A way to restore British
Paediatricians’ engagement with child protection», Child Abuse & Neglect 2008,
publié en ligne, 3 février 2009; doi:10.1136/adc.2008.154997.. Par ailleurs, il convient de noter que dans certains pays, en dépit de l’absence d’obligation de signalement en tant que telle, le défaut de signalement des soupçons d’abus peut engager la responsabilité des professionnels pour négligence. Ils peuvent ainsi se trouver dans une situation ambiguë: soit ils procèdent à un signalement mais risquent des poursuites ou une sanction administrative pour violation du secret professionnel, soit ils ne signalent pas l’affaire mais risquent d’être poursuivis pénalement pour non-respect de leur obligation de protéger. Ces situations devraient également être évitées.

3.3. Facteurs influençant la décision de citoyens ordinaires de procéder ou non à un signalement

36. Les citoyens ordinaires peuvent aussi être réticents à signaler des soupçons d’abus sexuels pour des raisons très proches de celles des professionnels: parce qu’ils ne veulent pas s’immiscer dans la vie de famille d’autrui et risquer de briser un foyer, qu’ils craignent que leur identité ne soit découverte par l’auteur présumé d’abus (peur de représailles, y compris par des procédures judiciaires) ou, simplement, parce ce qu’ils pensent que leur signalement ne sera pas suivi d’effet ou mènera à une nouvelle victimisation de l’enfant. Concernant la crainte de représailles, il conviendrait de noter qu’aux Etats-Unis, beaucoup d’Etats prévoient une protection spéciale contre la divulgation de l’identité de la personne à l’origine du signalement aux auteurs présumés des abus. Dans certaines juridictions, l’identité de l’auteur du signalement peut être divulguée à certaines conditions ou à des services ou agents spécifiques. A titre d’exemple, la divulgation de l’identité de la personne à l’origine du signalement peut être ordonnée par un tribunal s’il conclut que celle-ci a sciemment effectué un faux signalement.
37. Dans l’affaire Juppala c. Finlande 
			(21) 
			Requête n° 18620/03,
arrêt du 2 décembre 2008., la Cour européenne des droits de l’homme a reconnu que les allégations d’abus sexuels commis sur un enfant, même si elles s’avèrent infondées par la suite, peuvent avoir des conséquences graves pour l’honneur et la réputation d’une personne, et qu’il était de ce fait nécessaire d’infliger des sanctions à toute personne effectuant un signalement tout en sachant qu’il est faux. Cependant, de l’avis de la Cour, ceux qui procèdent de bonne foi à un signalement doivent être protégés et les lois sur la diffamation qui ont un effet inhibiteur sur le signalement d’abus potentiel sur un enfant violent la liberté d’expression. A cet égard, la Cour a déclaré que «la gravité du problème social que constituent les abus envers les enfants commande en effet que les personnes qui agissent de bonne foi, en croyant protéger l’intérêt de l’enfant, ne soient pas influencées par la peur d’être poursuivies devant les juridictions pénales ou civiles lorsqu’elles se posent la question de l’opportunité de communiquer ou non leurs doutes (…). La ligne qui sépare des mesures prématurées de mesures trop tardives est ténue et c’est une tâche délicate que de prendre la bonne décision en la matière. Le devoir envers l’enfant commande que cette démarche ne soit pas influencée par le risque qu’un parent choqué dépose une plainte si les soupçons se révèlent infondés».
38. Au vu de ce qui précède, la reconnaissance de la confidentialité de l’identité de la personne qui fait part de ses soupçons de violence pourrait être une mesure législative susceptible d’encourager le public à procéder à des signalements. L’auteur du signalement devrait également bénéficier d’une immunité à l’égard de toute procédure judiciaire, sous réserve qu’il agisse de bonne foi.

4. Conclusion

39. A chaque fois qu’un scandale lié à l’abus d’un enfant fait la une des journaux, des voix s’élèvent pour demander «Comment cela a-t-il été possible?». Passé le choc initial, commence un processus d’analyse des défaillances du système en place afin de comprendre comment les choses ont pu en arriver à ce «degré d’horreur». Parfois, c’est le système proprement dit qui est remis en question. Au Royaume-Uni par exemple, à la lumière des récents scandales d’abus d’enfants, des appels ont été lancés pour rendre obligatoire le signalement de tels actes. Cependant, il serait naïf de penser que le signalement obligatoire est la solution magique au problème complexe des abus sexuels sur enfants. En fait, le système peut s’avérer incapable de protéger les enfants contre les abus pour diverses raisons: le diagnostic n’a pas été posé, les soupçons d’abus sont intentionnellement passés sous silence, aucune intervention n’a lieu, ou l’intervention est inappropriée ou inadéquate.
40. Pour remédier à ces lacunes, d’abord et avant tout, il est urgent d’élaborer et de mettre en place des activités de formation pour apprendre aux professionnels qui interagissent régulièrement avec des enfants à repérer les enfants victimes d’abus sexuels et à leur venir en aide. Les professionnels devraient partager la même vision claire des possibilités et des moyens dont ils disposent pour signaler les abus commis sur des enfants. Il faut en outre concevoir des campagnes de sensibilisation pour inciter le public à agir au nom des victimes, sans causer plus de tort.
41. Deuxièmement, il faut s’attaquer aux causes du défaut de signalement, en commençant par renforcer la confiance dans le système de protection de l’enfance en place. Les services de protection de l’enfance ne devraient pas être considérés par les professionnels et les citoyens comme un processus manquant de sensibilité dans ses évaluations et d’efficacité dans les services rendus. Dans ce contexte, il convient de ne pas oublier que, quel que soit le système de signalement choisi, son efficacité dépendra de la qualité des services proposés si, après examen, le signalement s’avère fondé. En fait, l’obligation de signalement des soupçons d’abus n’a pas grand intérêt si le système de protection de l’enfance est faible 
			(22) 
			Safe
and child-sensitive counselling, complaint and reporting mechanisms
to address violence against children, rapport conjoint de la Représentante
spéciale du Secrétaire général sur la violence à l’encontre des
enfants et du Rapporteur spécial sur la vente d'enfants, la prostitution
des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, Nations
Unies, New York, 2012. et en l’absence de politiques judicieuses prévoyant une réponse appropriée après examen et confirmation des faits. Dans ce contexte, il convient de faire preuve d’une grande prudence afin d’éviter de soumettre l’enfant à de nouveaux préjudices induits par l’enquête et le processus judiciaire. Les enfants victimes de violence doivent être traités avec empathie et d’une manière qui leur soit adaptée. Rappelons que des réponses inappropriées ou le manque de réponse à des signalements d’abus peuvent dissuader les enfants et les tiers de signaler ces agissements mais font aussi obstacle au rétablissement des enfants qui en ont été victimes.
42. Enfin, il faut garder à l’esprit que le signalement n’est qu’une mesure parmi beaucoup d’autres pour protéger efficacement les enfants contre les abus sexuels et qu’il doit être appuyé par des services intégrés dispensant conseils et soins aux enfants et des initiatives communautaires visant à changer les attitudes et les normes sociales liées à la protection de l’enfance et susceptibles également de contribuer à mettre fin à la culture du silence et au défaut de signalement.