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Rapport | Doc. 13458 | 21 mars 2014

Eradiquer la pauvreté des enfants en Europe

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteure : Mme Sevinj FATALIYEVA, Azerbaïdjan, GDE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13041, Renvoi 3911 du 5 octobre 2012. 2014 - Deuxième partie de session

Résumé

Trop d’enfants en Europe vivent dans des familles pauvres ou sont exposés au risque de pauvreté; une problématique qui a été accentuée par la crise économique et financière persistante. Dans cette situation, de nombreux enfants sont sous-alimentés, abandonnés par des parents migrants, contraints à travailler ou deviennent victimes de violence ou d’abus. A cause d’un manque d’égalité des chances pour les enfants pauvres, y compris dans l’éducation, la pauvreté des enfants devient un cercle vicieux dont il est difficile d’échapper. Des stratégies contre la pauvreté des enfants ont été élaborées aux niveaux européen et national, mais ne sont pas entièrement mises en œuvre dans l’actuelle situation de crise. C’est pourquoi de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe font face au défi de prévenir la marginalisation à long terme de certains groupes de leur population.

Les Etats membres devraient veiller à ce que l’éradication de la pauvreté des enfants soit une priorité dans les décisions politiques et budgétaires. Des normes récentes de l’Union européenne donnent des orientations afin d’aider les familles à accéder à des ressources, de réduire les inégalités entre les enfants dès le tout jeune âge et de promouvoir la participation des enfants dans les décisions les concernant. De telles orientations peuvent être un point de départ mais devraient être mieux mises en œuvre et étendues à la Grande Europe. La situation économique des enfants devrait être aussi prise en compte lors de la mise en œuvre des normes du Conseil de l’Europe en matière de droits de l’enfant.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 14 mars
2014.

(open)
1. La pauvreté des enfants fait sa réapparition en Europe. L’Assemblée parlementaire est consternée par les rapports réguliers émanant de divers pays européens à propos d’enfants sous-alimentés, d’enfants privés de protection parentale parce que leurs parents sont contraints de chercher un emploi à l’étranger, et de la résurgence du travail des enfants, sans oublier les taux de participation et de réussite plus faibles de nombreux enfants dans l’enseignement secondaire. Elle est également préoccupée par les risques accrus d’exploitation, de violence et d’abus encourus par les enfants sans protection parentale ou victimes de négligence.
2. Si de tels phénomènes ont malheureusement toujours été observés en Europe, la récente crise économique et financière subie par le continent depuis 2008 a engendré toute une série d’effets néfastes sur les systèmes de protection sociale. Elle a accentué davantage la vulnérabilité de nombreux enfants et continue d’avoir un impact considérable sur leur bien-être et l’égalité de leurs chances de développement.
3. De vastes stratégies et objectifs visant à éradiquer la pauvreté des enfants ont été établis aux plans européen et national. Et pourtant, leur mise en œuvre est bien loin de répondre aux attentes et aux besoins véritables des enfants. L’un des défis majeurs à compter d’aujourd’hui consistera à combler le fossé entre ces brillantes stratégies et la réalité quotidienne des enfants européens.
4. Certaines des causes profondes de la pauvreté des enfants sont difficiles à éliminer par des mesures ciblées en faveur des enfants et doivent être abordées par le biais des politiques sociales et économiques globales, liées au redressement économique et au développement des pays confrontés à des difficultés tels des taux de chômage élevés ou un travail peu rémunéré.
5. Pour mettre en œuvre des stratégies européennes et nationales d’éradication de la pauvreté des enfants de la manière la plus efficace possible, l’Assemblée exhorte les Etats membres:
5.1. à veiller à ce qu’une priorité et un poids politiques suffisants soient accordés à l’éradication de la pauvreté des enfants, en particulier par l’allocation de ressources budgétaires adéquate aux systèmes de protection sociale afin de les rendre efficaces, et à ce que des cibles et objectifs claires soient fixés aux plan national;
5.2. concernant les Etats membres qui le sont aussi de l’Union européenne, à mettre en œuvre avec le plus grand engagement la recommandation de la Commission intitulée «Investir dans l’enfance pour briser le cercle vicieux de l’inégalité», adoptée le 20 février 2013, en suivant rigoureusement les lignes directrices très pragmatiques qu’elle contient;
5.3. à s’inspirer de cette norme globale de l’Union européenne et à promouvoir et appliquer des mesures de lutte contre la pauvreté des enfants selon les lignes suivantes:
5.3.1. permettre aux familles d’accéder à des ressources adéquates en soutenant la participation des parents au marché du travail et en leur assurant un niveau de vie approprié;
5.3.2. réduire les inégalités dès le tout jeune âge:
5.3.2.1. en investissant dans l'éducation préscolaire et les structures d’accueil de la petite enfance;
5.3.2.2. en améliorant l’impact des systèmes éducatifs sur l’égalité des chances;
5.3.2.3. en améliorant la réactivité des systèmes de santé pour répondre aux besoins des enfants défavorisés;
5.3.2.4. en permettant aux enfants de vivre dans un environnement sûr et approprié;
5.3.2.5. en améliorant le soutien familial et la qualité de la prise en charge alternative;
5.3.3. promouvoir le droit des enfants à participer aux activités sportives, culturelles et de loisirs ainsi qu’aux décisions affectant leur vie;
5.4. à mobiliser les connaissances et les fonds publics et privés au niveau européen afin d’assurer la sécurité matérielle et l’égalité des chances pour tous les enfants;
5.5. à mettre en œuvre les politiques nationales en suivant des approches transversales associant, au besoin, divers ministères et services nationaux afin de parvenir à une plus grande efficacité dans la mise en œuvre des politiques de lutte contre la pauvreté des enfants;
5.6. tout particulièrement dans la période actuelle d’austérité budgétaire, à superviser étroitement et à évaluer toute coupe dans les dépenses sociales en tenant compte de leur éventuel impact sur le bien-être des enfants; à orienter les prestations sociales vers les plus démunis;
5.7. concernant les enfants appartenant à des groupes particulièrement vulnérables (tels que les migrants, les enfants handicapés ou les personnes vivant dans des régions rurales reculées), à prendre des mesures spécifiques pour améliorer la collecte de données et le suivi, afin de mettre un terme à toute discrimination et garantir à ces enfants les mêmes droits et le même soutien qu’aux autres enfants du pays;
5.8. le cas échéant, à veiller à ce que les autorités locales, qui sont le premier point de contact avec des groupes défavorisés de la population et ont compétence pour assurer des services sociaux, allouent des ressources suffisantes à ces services, et notamment au soutien des familles pauvres et à la protection et au bien-être des enfants;
5.9. à soutenir la poursuite des recherches sur les causes profondes de la pauvreté des enfants et sur les moyens de la combattre, et à contribuer, si nécessaire, à l’élaboration d’indicateurs paneuropéens communs permettant de suivre les résultats des investissements et des services publics en faveur des enfants et de leurs familles et à appliquer rigoureusement ces indicateurs aux politiques nationales;
5.10. à participer, dans la mesure du possible, aux échanges internationaux consacrés à la pauvreté des enfants, afin de s’inspirer des bonnes pratiques.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet
de recommandation adopté à l’unanimité par la commission le 14 mars
2014.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire, se référant à sa Résolution … (2014) «Eradiquer la pauvreté des enfants en Europe», se félicite à nouveau de l’engagement du Conseil de l’Europe en faveur des droits fondamentaux et de la protection des enfants, qui s’est manifesté récemment dans la Stratégie du Conseil de l’Europe pour les droits de l’enfant 2012-2015.
2. L’Assemblée note que, dans le cadre de la stratégie actuelle, la question de la pauvreté des enfants est considérée, au titre du troisième objectif stratégique, «garantir les droits des enfants en situation vulnérable», comme l’un des facteurs rendant les enfants encore plus vulnérables qu’ils ne le sont déjà. Cependant, l’Assemblée estime qu’il conviendrait d’accorder davantage de poids à la pauvreté des enfants dans la mise en œuvre de cette stratégie.
3. Beaucoup de services destinés aux enfants et proposés au plan national, y compris au niveau local, font face à des restrictions budgétaires susceptibles d’avoir un impact direct sur la qualité et la fourniture de ces services. A l’avenir, la participation des enfants devra jouer un rôle plus important, afin de mieux cibler les services sociaux et d’améliorer leur efficacité en identifiant ceux qui sont véritablement nécessaires aux enfants.
4. Afin de renforcer le bien-être des enfants et la protection de leurs droits au niveau européen, l’Assemblée invite le Comité des Ministres:
4.1. à accorder une plus grande priorité à la question de la pauvreté des enfants dans la préparation et l’adoption de la stratégie du Conseil de l’Europe sur les droits de l’enfant au-delà de 2015, s’agissant notamment de garantir les droits des enfants en situation de vulnérabilité et de promouvoir la participation des enfants;
4.2. à inviter ses diverses instances gouvernementales concernées par les droits des enfants à porter une attention particulière au contexte économique actuel et à la situation particulière des enfants vivant dans la pauvreté lors de la mise en œuvre de l’actuelle Stratégie pour les droits de l’enfant 2012-2015;
4.3. à prêter la même attention au contexte dans la mise en œuvre de la Recommandation CM/Rec(2012)2 du Comité des Ministres sur la participation des enfants et des jeunes de moins de 18 ans de la Recommandation CM/Rec(2011)12 sur les droits de l'enfant et les services sociaux adaptés aux enfants et aux familles, et des Lignes directrices sur les soins de santé adaptés aux enfants (2011) et sur une justice adaptée aux enfants (2010);
4.4. à inviter le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe à contribuer aux activités menées dans ce domaine, aux côtés du secteur gouvernemental et de l’Assemblée parlementaire, sachant que les autorités locales et régionales sont des acteurs importants dans la mise en œuvre des politiques sociales et des services en faveur des familles et des enfants.

C. Exposé des motifs, par Mme Fataliyeva, rapporteure

(open)

1. Introduction

«L’investissement social (n’est) pas un dispositif superflu en période de prospérité.Il doit faire partie intégrante de la stratégie de sortie des crises actuelles.» Eurochild, mars 2013

1. La pauvreté des enfants est un phénomène dont certains se souviennent à la lecture des romans du XIXe siècle de Charles Dickens, et que l’on associe la plupart du temps aux pays en développement dans lesquels l’Unicef fait régulièrement état des taux de pauvreté infantile les plus élevés 
			(3) 
			Selon
l’Unicef, en 2005, plus d’un milliard d’enfants dans le monde, soit
la moitié des enfants dans le monde (dont beaucoup vivaient dans
les pays en développement), souffraient au moins d’une privation
grave, dont l’accès à une alimentation adaptée, à l’eau potable,
à des installations sanitaires, aux soins de santé, au logement,
à l’éducation et à l’information. Source: Unicef: La situation des
enfants dans le monde 2005: l’enfance en péril, <a href='http://www.unicef.org/'>www.unicef.org</a>.. Mais c’est aussi une triste réalité qui touche de nombreux enfants en Europe, un continent qui, normalement, s’inscrit parmi les régions les plus riches au monde. Notamment en ces temps récents de crise économique et d’austérité budgétaire, des exemples particulièrement choquants des conditions de vie des enfants ont été rapportés par divers pays européens, qui montrent que les formes les plus extrêmes de pauvreté sont en train de réapparaître en Europe.
2. Dans une déclaration publiée en juillet 2012, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Nils Muižnieks, a mis en garde contre la forte augmentation de la pauvreté des enfants au Portugal. La combinaison d’un chômage croissant et de la réduction des salaires, d’impôts en hausse et d’allocations sociales et de chômage en baisse se traduit par des revenus réduits et une pauvreté accrue qui touche de nombreuses familles portugaises. Selon lui, l’effritement des revenus familiaux risque de conduire à la résurgence du travail des enfants, surtout dans l’économie informelle et dans le secteur agricole. Il a par conséquent appelé les autorités nationales à se montrer particulièrement vigilantes et à veiller à la poursuite des programmes destinés à prévenir le travail des enfants 
			(4) 
			Déclaration du Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, «Portugal: les mesures
d’austérité menacent les plus vulnérables», 17 juillet 2012, <a href='http://human-rights-convention.org/2012/07/10/portugal-austerity-measures-threaten-the-most-vulnerable-says-commissioner-for-human-rights/'>http://human-rights-convention.org/2012/07/10/portugal-austerity-measures-threaten-the-most-vulnerable-says-commissioner-for-human-rights/</a>..
3. L’exemple de la Grèce a récemment montré qu’un nombre croissant d’enfants européens étaient confrontés à la faim ou au risque d’en souffrir. En 2012, en Grèce, une proportion estimée à 10 % des élèves des écoles primaires et secondaires souffraient de ce que les professionnels de santé publique ont appelé «l’insécurité alimentaire», tandis que des experts ont estimé que le pays se situait à présent au niveau de certains pays africains. Se faisant l’écho de ces tendances, des articles de la presse internationale ont rapporté les propos de chefs d’établissement qui ont vu «des enfants fouiller dans les poubelles scolaires en quête de nourriture, des gamins dans le besoin demandant à leurs camarades de leur céder leurs restes de repas et [des jeunes enfants] tordus de douleur à cause de la faim» 
			(5) 
			Liz Alderman, «Hunger
presses in on Greece», International
Herald Tribune,18 avril 2013..
4. Cependant, la pauvreté des enfants n’est pas qu’un problème urgent pour les pays les plus touchés par les crises récentes ou pour les pays européens les plus pauvres. Des statistiques dramatiques et des informations faisant état de cas d’extrême pauvreté nous parviennent chaque jour de nombreux pays, dont certains comptent parmi les plus riches d’Europe occidentale. Des rapports récents du Royaume-Uni, par exemple, ont montré qu’il était probable que la pauvreté des enfants continue d’augmenter dans le pays, pour passer de 2,4 millions au chiffre estimatif de 3,4 millions d’ici 2020, et ce malgré la loi de 2010 sur la pauvreté des enfants (Child Poverty Act) en vertu de laquelle le gouvernement est tenu responsable de la réduction de la pauvreté des enfants. Des études récentes ont révélé que, dans ce pays, les enfants pauvres réussissent moins bien à tous les niveaux scolaires et souffrent d’une moins bonne santé tout au long de leur vie, et ont notamment une moindre espérance de vie 
			(6) 
			Kate Picket, «Rising
child poverty makes us all poorer», The
Guardian, 8 mai 2013, <a href='http://www.guardian.co.uk/'>www.guardian.co.uk</a>..
5. Il ressort de ces premiers exemples que la pauvreté des enfants n’est pas seulement une question d’égalité des chances pour le développement des enfants; c’est également une question de survie pure et simple et d’accès aux ressources les plus fondamentales, et donc un problème auquel il faut s’attaquer de toute urgence. Il conviendrait de reconnaître la pauvreté et l’extrême pauvreté qui affectent beaucoup d’enfants en Europe comme l’une des causes principales de diverses violations des droits des enfants. Non seulement de nombreux enfants souffrent de graves privations – dont l’accès à une alimentation adaptée, à l’eau potable, à des installations sanitaires, aux soins de santé, au logement et à l’éducation – mais, de surcroît, cette précarité familiale crée un environnement favorable à l’exploitation sexuelle ou commerciale des enfants 
			(7) 
			Unicef,
La situation des enfants dans le monde 2005: l’enfance en péril, <a href='http://www.unicef.org'>www.unicef.org</a>..
6. Dans ce contexte, le présent rapport fait le point sur la situation actuelle des enfants en Europe, examine les mesures politiques qui s’imposent et formule un certain nombre de recommandations. A ce propos, je tiens à remercier Mme Angela Abela, spécialiste des questions familiales et professeur à la Faculté pour le bien-être social de l’Université de Malte, qui a apporté une contribution majeure à cette étude et à l’analyse qu’elle contient. Avec l’approbation de la commission et afin d’avoir une vue d’ensemble de la pauvreté des enfants dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, une brève enquête a été adressée aux Etats membres par l’intermédiaire du Centre européen de recherche et de documentation parlementaires (CERDP) 
			(8) 
			Le CERDP
est un mécanisme de recherche parlementaire permettant de contacter
rapidement les services de documentation des parlements nationaux
pour les consulter sur des questions d’actualité, 
			(8) 
			<a href='https://ecprd.secure.europarl.europa.eu/ecprd'>https://ecprd.secure.europarl.europa.eu/ecprd.</a>. Trente-cinq réponses ont été reçues au total, qui ont été prises en compte dans l’analyse présentée ci-après. Toutefois, les chiffres et exemples figurant dans cet exposé des motifs sont tirés de l’enquête et d’informations diffusées par les médias à propos de la pauvreté, ainsi que de données publiques disponibles dans divers Etats membres.

2. Définitions

7. Une définition largement utilisée de la pauvreté des enfants est celle qui est fournie par Eurostat, à savoir «l’indicateur de risque de pauvreté ou d’exclusion sociale» (AROPE). Selon Eurostat, cet indicateur rend compte de la part de la population qui:
  • est menacée de pauvreté. Le taux de risque de pauvreté est défini comme la part des personnes ayant un revenu disponible équivalent (après transferts sociaux) inférieur à 60 % du revenu disponible équivalent médian national après transferts sociaux; ou
  • souffre de privations matérielles graves, c’est-à-dire du manque forcé de quatre ou plus des neuf critères de privation matérielle suivants dans le ménage où vit l’enfant: capacité de faire face à des dépenses imprévues, de s’offrir chaque année une semaine de vacances hors de son domicile, de payer les arriérés d’un emprunt ou d’un loyer, de payer des factures d’eau/gaz/électricité ou des achats à tempérament, de s’offrir un repas avec viande, volaille ou poisson un jour sur deux, de chauffer convenablement son domicile, d’avoir un lave-linge, de s’acheter un téléviseur couleur, un téléphone et une voiture; ou
  • vit dans des ménages à très faible intensité de travail (inférieure ou égale à 20 %).
8. L’adoption récente des trois critères ci-dessus a été considérée comme importante au sein de l’Union européenne dans la mesure où les taux de pauvreté monétaire relative ne donnent pas toujours une image précise des niveaux de pauvreté dans un pays donné. A titre d’exemple, entre 2009 et 2010, l’indice irlandais de privation des enfants affichait une hausse de 6,7 %. Pourtant, la baisse générale des salaires semblait indiquer que la pauvreté relative des enfants avait progressé de moins de 1 %. A cet égard, la liste susmentionnée des indicateurs de privation adoptée par le sous-groupe «Indicateurs» (ISG) du Comité de la protection sociale (CPS) de la Commission européenne permet d’avoir une vision plus globale et qualitative du niveau de vie dans les différents pays.
9. seuils de pauvreté nationaux quantitatifs peuvent aussi varier considérablement d’un pays à l’autre. Le seuil de pauvreté relative de la Roumanie, par exemple, a été fixé à $ 1,71 en 2010 et représentait davantage un seuil de pauvreté extrême puisqu’il se situait en dessous des $ 4 par jour retenus par la Banque mondiale pour les économies en transition de l’ex-Union soviétique et d’Europe orientale 
			(9) 
			Bradshaw J. et Mayhew
E. (2011), The Measurement of Extreme Poverty in the European Union
(Bruxelles, Direction générale de l’emploi, des affaires sociales
et de l’inclusion).. Certains pays tels que le Monténégro, la Serbie, la République de Moldova ou la Géorgie ont tendance à utiliser un seuil de pauvreté absolue lorsqu’ils font référence aux enfants vivant dans la pauvreté, alors que la Fédération de Russie applique le concept de «salaire minimum vital» pour mesurer la pauvreté des enfants.
10. L’Unicef s’est également penchée sur la définition de la pauvreté. Hormis la pauvreté monétaire relative avec des revenus équivalents inférieurs à 50 % du revenu médian national pour les pays de l’Union européenne et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), en 2012 le Centre de recherche Innocenti de l’Unicef a également inclus les 14 variables de l’indice de privation spécifiques aux enfants 
			(10) 
			Ce sont:
trois repas par jour, dont au moins un avec viande, poulet ou poisson
(ou équivalent végétarien), fruits et légumes frais tous les jours,
livres appropriés à l’âge et au niveau de connaissances de l’enfant
(à l’exclusion des livres scolaires), équipement de loisir extérieur
(bicyclette, rollers, etc.), activité de loisir régulière (natation,
instrument de musique, organisations pour la jeunesse, etc.), jeux
d’intérieur (au moins un par enfant, dont les jouets éducatifs pour bébé,
des cubes, des jeux informatiques, etc.), ressources financières
pour participer à des voyages et des manifestations scolaires, endroit
calme avec assez d’espace et de lumière pour faire les devoirs,
connexion internet, quelques vêtements neufs (pas tous d’occasion),
deux paires de chaussures de la pointure appropriée (y compris au
moins une paire de chaussures toutes saisons), possibilité d’inviter
parfois des amis à la maison pour partager un repas et jouer, possibilité
de célébrer des occasions spéciales (anniversaire, fête, fête religieuse,
etc.). introduites par Eurostat en 2009 
			(11) 
			«Mesurer la pauvreté
des enfants: Nouveaux tableaux de classement de la pauvreté des
enfants dans les pays riches», Bilan Innocenti 10, Centre de recherche
Innocenti de l’Unicef, Florence, 2012.. Dans sa dernière publication, le Centre de recherche Innocenti (2013) est allé plus loin et a mis l’accent sur le bien-être des enfants plutôt que de centrer ses travaux uniquement sur la pauvreté, en tenant compte d’autres critères tels que la santé et la sécurité, l’éducation, le comportement et les risques, et le logement et l’environnement.

3. La prévalence de la pauvreté des enfants en Europe

3.1. Chiffres globaux et éléments déterminants de la pauvreté

11. La pauvreté des enfants est un phénomène croissant en Europe. En 2011, 27 % des jeunes de moins de 18 ans étaient exposés au risque de pauvreté et d’exclusion sociale dans l’Union européenne des 27, faisant des enfants le groupe le plus vulnérable par rapport aux adultes et aux personnes âgées 
			(12) 
			Lopez Vilaplana C.
(2013), «Children were the age group at the highest risk of poverty
or social exclusion in 2011», Statistiques en bref 4/2013 (Luxembourg:
Eurostat).. En outre, les données européennes montrent que les phénomènes décrits ne touchent pas seulement une minorité d’enfants ou des pays moins prospères, comme on pourrait le croire, mais que la pauvreté des enfants en général continue d’augmenter en Europe. Selon l’Unicef, en 2012, environ 13 millions d’enfants dans l’Union européenne ainsi qu’en Norvège et en Islande manquaient des éléments de base nécessaires à leur développement, et 30 millions d’enfants vivant dans 35 pays à l’économie développée étaient en situation de pauvreté 
			(13) 
			«Mesurer la pauvreté
des enfants: Nouveaux tableaux de classement de la pauvreté des
enfants dans les pays riches», op. cit.. Dans l’Union européenne, on estime actuellement que 19 % des enfants seraient exposés au risque de pauvreté, contre une moyenne de 16 % pour la population totale. Environ 15 % des enfants interrompent leur scolarité avant la fin de l’enseignement secondaire.
12. En 2013, Eurostat a publié les taux nationaux d’enfants menacés de risque de pauvreté ou d’exclusion sociale pour l’Union européenne des 28 (à l’exception de la Croatie puisque les chiffres sont basés sur les estimations de 2011) 
			(14) 
			Lopez
Vilaplana C. (2013), «Children were the age group at the highest
risk of poverty or social exclusion in 2011», op.
cit.. J’attire votre attention sur les statistiques de l’Union européenne, en plus des chiffres résultant de l’enquête réalisée pour la préparation du présent rapport, car les statistiques officielles correspondent à la dernière définition de la pauvreté adoptée par l’Union européenne et sont donc plus facilement comparables (voir tableaux en annexe).
13. Les enfants les plus exposés au risque de pauvreté en 2011 vivaient dans des familles monoparentales ou dans des familles ayant de nombreux enfants à charge. Près de la moitié des ménages (45 %) à faible et très faible intensité de travail avec des enfants à charge étaient menacés de pauvreté. Les enfants dont la mère n’avait pas atteint le cycle d’enseignement secondaire supérieur ainsi que ceux qui étaient issus de l’immigration étaient aussi exposés au risque de pauvreté 
			(15) 
			Ibid..
14. Déjà en 2007, bien avant l’éclatement de la crise économique actuelle, l’Unicef attirait l’attention sur le fait que les enfants roms, en particulier en Europe du Sud-Est, comptaient parmi les groupes les plus vulnérables face à la pauvreté, aux privations et au manque d’accès aux soins de santé et à l’éducation. Même dans les pays ayant développé des plans d’action nationaux en faveur des Roms, qu’ils soient axés sur le logement, l’emploi, la santé ou l’éducation, il ressort que les besoins spécifiques des enfants avaient souvent été négligés et un soutien ciblé en leur faveur était considéré comme essentiel 
			(16) 
			Bureau régional de
l’Unicef pour l’Europe centrale et orientale et la Communauté des
Etats indépendants: Romani Children in South East Europe – The challenge
of overcoming centuries of distrust and discrimination, Social and Economy
Policy for Children, Discussion Paper Issue 7 (mars 2007)..
15. Eurochild, un réseau des défenseurs européens des droits de l’enfant soutenu par la Commission européenne, confirme que les principaux groupes d’enfants exposés au risque de pauvreté ou d’exclusion sociale sont les suivants: les enfants de familles monoparentales, ceux de familles nombreuses, ceux dont les parents sont au chômage ou sous-employés, les enfants de familles de minorités ethniques et issues de l’immigration et les enfants handicapés 
			(17) 
			Eurochild: Child poverty
in the EU, <a href='http://www.eurochild.org/'>www.eurochild.org</a>.. Toutefois, l’exemple ci-dessus concernant le Royaume-Uni montre que les enfants pauvres ne se trouvent pas seulement dans les «familles désunies», que la majorité d’entre eux vivent dans des ménages qui travaillent et que, par ailleurs, certains contés réussissent mieux que d’autres à accompagner les familles monoparentales 
			(18) 
			Kate
Picket, voir note de bas de page 7.. Les stéréotypes et généralisations sont de ce fait à éviter dans ce domaine, même si le chômage et le nombre et le niveau de revenus de la famille sont sans aucun doute des facteurs déterminants lorsqu’il s’agit de répondre aux besoins des enfants.

3.2. Rapports et chiffres provenant de pays particuliers

16. Le problème de la pauvreté des enfants a été examiné en détail dans divers Etats européens et beaucoup de pays établissent régulièrement des rapports sur les enfants vivant dans des situations vulnérables et défavorisées. Le présent rapport ne permet pas de dresser un tableau exhaustif de la situation des pays, mais quelques exemples peuvent servir à illustrer la situation dramatique que vivent des enfants en Europe.
17. Dans certains pays européens, les familles sont confrontées à des problèmes de survie pure et simple. C’est notamment le cas en Grèce, comme nous l’avons mentionné dans l’introduction 
			(19) 
			Liz Alderman, «Hunger
presses in on Greece», International
Herald Tribune, 18 avril 2013.. Des exemples similaires et des chiffres alarmants sont également rapportés par d’autres pays européens: en Espagne, le gouvernement régional de l’Andalousie a ouvert les écoles pendant l’été 2013 principalement pour apporter un soutien aux enfants vivant dans des conditions précaires à cause de la crise prolongée de l’économie. Des programmes similaires ont été mis en place à une plus petite échelle en Estrémadure et dans les îles Canaries. L’année dernière, des enseignants ont remarqué que des enfants s’endormaient de fatigue et parce qu’ils n’avaient pas une alimentation appropriée. Pendant les cours d’été, un petit-déjeuner, un déjeuner et un goûter composés de fruits frais, de poisson, de viande et de légumes ont été servis aux enfants.
18. En 2013, l’Unicef a constaté que 20 % des enfants espagnols âgés de 0 à 7 ans vivaient dans des ménages dont le revenu équivalent était inférieur à 50 % du revenu médian. L’Italie, la Grèce et le Portugal se classaient juste derrière 
			(20) 
			Tobias Buck, «School
Scheme shows social impact of Spain’s economic crisis», Financial Times, 8 septembre 2013.. Au Royaume-Uni, d’après un rapport publié en 2011 par l’Institut d’études budgétaires, la pauvreté des enfants devait commencer à augmenter en 2013 
			(21) 
			«Mesurer
la pauvreté des enfants: Nouveaux tableaux de classement de la pauvreté
des enfants dans les pays riches», op. cit. et progresser de 41,6 % d’ici à 2020 
			(22) 
			Kate Pickett, «Rising
child poverty in the UK makes us all poorer», The
Guardian, 8 mai 2013..
19. En Albanie, l’un des plus jeunes pays d’Europe après le Kosovo 
			(23) 
			Toute référence au
Kosovo dans le présent document, qu'il s'agisse de son territoire,
de ses institutions ou de sa population, doit être entendue dans
le plein respect de la Résolution 1244 du Conseil de sécurité de
l'Organisation des Nations Unies, sans préjuger du statut du Kosovo., qui compte plus de 578 000 enfants de moins de 15 ans (recensement de 2011), beaucoup d’enfants connaissent des situations dramatiques. Selon la dernière étude officielle de l’INSTAT (Enquête nationale sur le travail des enfants), 7,7 % des enfants de 5 à 17 ans sont exploités, contraints d’accomplir des travaux pénibles ou de mendier. Il est clair que, en vivant dans la rue, ces enfants courent également le risque d’être exploités sexuellement, enlevés et entraînes dans la prostitution ou la traite des être humains 
			(24) 
			World Vision Albania,
The chains of the poverty in Albania: <a href='http://www.wvi.org/albania/article/chains-poverty-albania'>www.wvi.org/albania/article/chains-poverty-albania</a>. .
20. La situation est également dramatique dans certains pays comme la Roumanie et la République de Moldova: beaucoup d’enfants y sont privés de protection parentale parce que leurs parents sont contraints d’aller travailler à l’étranger pour assurer la subsistance de la famille et parce qu’aucun proche n’est susceptible de s’occuper des enfants en leur absence. Cela concerne souvent des enfants très jeunes, laissés à leurs aînés, avec un accès restreint aux ressources et services de base, comme une alimentation adaptée, des soins de santé et l’éducation 
			(25) 
			«Sie
haben aufgehört zu weinen» («Ils ont cessé de pleurer»), Les enfants
en Moldova, Frankfurter Allgemeine Zeitung,
27 avril 2013, <a href='http://www.faz.net/'>www.faz.net.</a>. On estime que 250 000 enfants se trouvent dans cette situation dans la seule République de Moldova.
21. Dans le domaine spécifique des soins de santé, des situations absolument dramatiques sont là encore rapportées en Grèce. La crise économique s’y est aggravée depuis le renflouement du pays par la communauté internationale en 2010, et 2013 a été la sixième année consécutive de repli économique. En dépit de la rhétorique insistant sur «le maintien de l’accès universel à des soins de santé de qualité» dans le plan de sauvetage de la Grèce, les politiques menées ont entraîné un transfert des coûts aux patients, menant à une réduction de l’accès aux soins de santé. En raison de la diminution des revenus des familles et du chômage des parents, la santé des enfants a également été affectée. Ils sont de plus en plus nombreux à être exposés au risque de pauvreté avec un accès réduit aux services de santé et une alimentation inadaptée. Une augmentation de 19 % du nombre de nouveaux nés souffrant d’une insuffisance pondérale a par ailleurs été relevée entre 2008 et 2010 
			(26) 
			Kentikelenis,
Karanikolos, Reeves, McKee et Stuckler, Greece’s health crisis:
from austerity to denialism. Health Policy, The
Lancet, Vol. 383, 22 février 2014..
22. La situation actuelle des enfants est également grave en Géorgie 
			(27) 
			Bradshaw J., Chzhen
Y., Gugushyili D. et Hoelscher, P. (2010), Child Poverty in Georgia
Working Paper, n° EC2412, <a href='http://www.york.ac.uk/inst/spru/research/extreme/CP5.pdf'>www.york.ac.uk/inst/spru/research/extreme/CP5.pdf</a>.: 12 % d’entre eux vivent actuellement sous le seuil de pauvreté alimentaire et 28 % sous le seuil de pauvreté totale. Les variables de privation sont différentes de celles qui sont retenues par les pays de l’Union européenne et comprennent un téléviseur, un fer à repasser, un réfrigérateur, un téléphone portable, une machine à laver, une voiture ou un aspirateur. De même, les logements sont dans de très nombreux cas insalubres, 45 % des enfants pauvres vivant derrière des fenêtres sans vitres, et 31 % dans des logements où le plancher doit être remplacé ou réparé. Dans 27 % des ménages pauvres, une partie du logement est détruite, les murs sont fissurés et humides et plusieurs, voire toutes les pièces, n’ont pas d’éclairage électrique.
23. L’enquête du CERDP révèle en outre que la Géorgie, le Monténégro et la Serbie sont les seuls parmi les pays répondants à ne pas offrir de système de tutorat aux enfants qui ont besoin d’un soutien spécial. En Fédération de Russie, le taux de pauvreté global a été divisé par deux en l’espace d’une décennie, passant de 27,5 % en 2001 à 13,2 % en 2009. Toutefois, la pauvreté des enfants est encore élevée, avec un taux de 19,8 % en 2009 
			(28) 
			Denisova I. (2012),
Income Distribution and Poverty in Russia, Documents de travail
de l’OCDE sur les affaires sociales, l’emploi et les migrations,
n° 132, Publications de l’OCDE, <a href='http://dx.doi.org/10.1787/5k9csf9zcz7c-en'>http://dx.doi.org/10.1787/5k9csf9zcz7c-en</a>..
24. Mon propre pays, l’Azerbaïdjan, reste lui aussi confronté à plusieurs défis concernant le bien-être des enfants. En dépit des progrès significatifs enregistrés ces dernières années dans la situation et le bien-être des enfants, et malgré le fait que de l’éducation et des soins de santé gratuits soient garantis par la Constitution de notre pays, des améliorations peuvent encore être faites. Environ un million de réfugiés présents dans le pays ont reçu tous les moyens de subsistance nécessaires, tels que des écoles pour leurs enfants ou des maisons construites pour eux; néanmoins, la prospérité économique, largement tirée de l’industrie pétrolière, n’a malheureusement pas encore atteint toute la population, et les taux de pauvreté restent relativement élevés dans beaucoup de familles 
			(29) 
			Humanium (NGO): Children
of Azerbaijan, Realizing Children’s Rights in Azerbaijan: <a href='http://www.humanium.org/en/azerbaijan/'>www.humanium.org/en/azerbaijan/</a>..
25. Cependant, des statistiques et des exemples d’enfants pauvres ne sont pas seulement rapportés de pays d’Europe méridionale touchés par la crise ou de pays d’Europe orientale dont les économies sont encore en phase de transition. Les nations prospères d’Europe occidentale connaissent elles aussi des situations de pauvreté des enfants. En Autriche, un enfant sur six serait exposé au risque de pauvreté 
			(30) 
			Source pour l’Autriche:
Kinderarmut in Österreich, FM4-ORF, 16 octobre 2013: <a href='http://fm4.orf.at/stories/1726693/'>http://fm4.orf.at/stories/1726693/</a>. , et dans la région belge de la Wallonie 
			(31) 
			Source
pour la Belgique: En Belgique, 424 000 enfants vivent sous le seuil
de pauvreté, RTBF Info, 13 octobre 2013: <a href='http://www.rtbf.be/info/societe/detail_en-belgique-424-000-enfants-vivent-sous-le-seuil-de-pauvrete?id=8111865'>www.rtbf.be/info/societe/detail_en-belgique-424-000-enfants-vivent-sous-le-seuil-de-pauvrete?id=8111865</a>., ce taux passe même à un enfant sur quatre, alors qu’en Allemagne près de 20 % des mineurs sont confrontés à la pauvreté en termes de revenus. Bien évidemment, ces statistiques font référence à des taux de pauvreté relative et beaucoup de ces enfants vivent en réalité dans des familles plus aisées que ceux de pays plus pauvres, mais les conditions de vie que traduisent ces chiffres affectent néanmoins les enfants et beaucoup d’entre eux ont des chances moindres de parvenir à de bons niveaux d’éducation ou sont limités dans leur développement physique ou psychologique 
			(32) 
			Sources
pour l’Allemagne: Deutscher Kinderschutzbund (Fédération allemande
de protection de l’enfance): <a href='http://www.dksb.de/CONTENT/SHOWPAGE.ASPX?CONTENT=459&TPL=0'>www.dksb.de/CONTENT/SHOWPAGE.ASPX?CONTENT=459&TPL=0</a>; El-Sharif, Yasmin: Deutschlandkarte: Wo die meisten
armen Kinder wohnen (carte de l’Allemagne: où vivent les enfants
les plus pauvres), Der Spiegel,
9 janvier 2014, <a href='http://www.spiegel.de/wirtschaft/soziales/kinderarmut-in-deutschland-hier-wohnen-die-meisten-armen-kinder-a-942431.html'>www.spiegel.de/wirtschaft/soziales/kinderarmut-in-deutschland-hier-wohnen-die-meisten-armen-kinder-a-942431.html</a>..
26. Ces quelques tristes exemples rapportés de toute l’Europe montrent, en particulier dans le contexte économique et financier actuel de menace sur les revenus des familles et de réduction générale des aides publiques, qu’il est urgent d’agir en faveur des enfants vivant dans la pauvreté et qu’aucun pays européen n’est épargné: des enfants pauvres vivent même dans les économies européennes les plus prospères. Il est indispensable de combiner les efforts et les actions des diverses parties prenantes, notamment des gouvernements, du secteur privé, des organisations non gouvernementales (ONG) et des bénévoles à titre individuel, afin de parvenir à des résultats tangibles pour les enfants dans le besoin.

4. Conséquences de la pauvreté sur les enfants menant au «cycle de la pauvreté»

27. Les éléments que nous venons de présenter à propos de différents pays européens montrent que la situation est dramatique et qu’il importe d’agir de toute urgence pour améliorer la situation et le bien-être des enfants dans l’ensemble de l’Europe. La pauvreté a une incidence sur la confiance et l’estime personnelle des enfants, et sur leurs relations avec les autres. Les enfants vivant dans la pauvreté sont souvent en mauvaise santé, ils ont en général un plus faible niveau d’instruction et par conséquent des possibilités limitées de trouver un emploi et des difficultés à s’intégrer à la société. Il y a cinq principaux facteurs qui ont une influence sur le bien-être des enfants. Ce sont: la santé et la nutrition, la santé mentale des parents, la relation parents-enfant, et l’environnement familial et le quartier.
28. La malnutrition a des conséquences sur les capacités neurocognitives. Les enfants pauvres ont souvent un faible poids à la naissance, qui peut s’accompagner d’un retard de croissance. Cela peut aussi avoir des répercussions sur le développement cognitif de l’enfant. Des travaux de recherche montrent que dès l’âge de deux ans, il y a une différence considérable dans le développement cognitif des enfants vivant dans la pauvreté et des autres enfants, différence qui continue à être visible et s’accentue même au fil des années. Les tests montrent que les performances cognitives des enfants issus de milieux favorisés sont 60 % plus élevées que celles des enfants défavorisés 
			(33) 
			Abela
A. et Renoux M.C., Families living on the Margins in Affluent Societies,
in Abela A. et Walker J. (2014), Contemporary
Issues in Family Studies Global perspectives on Partnerships. Parenting
and Support in a Changing World, Wiley-Blackwell, Royaume-Uni.. Bien que plus de recherches en la matière sont nécessaires, certaines données disponibles démontrent certainement le besoin d’intervenir à un stade très préliminaire, comme nous le soulignons au point 5 du présent rapport.
29. Les soins prodigués par les parents jouent un rôle primordial sur le climat émotionnel au sein du foyer et sur la sensation de bien-être des enfants. La situation des parents a une incidence directe sur les enfants et des répercussions sur leurs résultats scolaires, leur comportement avec leurs camarades et leur sentiment de confiance. Certains parents vivant dans la pauvreté ont tendance à être en proie au stress, à l’anxiété et à la dépression. Cela peut perturber leur comportement, ils peuvent devenir plus stricts et ne sont pas toujours d’humeur égale, voire ils n’apportent pas à leurs enfants la chaleur et l’affection dont ces derniers ont besoin pour s’épanouir, même si ce genre de phénomènes peut, bien évidemment, aussi être observé dans d’autres classes sociales. Il convient cependant d’éviter tout stéréotype selon lequel les parents pauvres ne sont généralement pas en mesure d’être «de bons parents».
30. L’une des conséquences à long terme pour les enfants vivant dans la pauvreté est que nombre d’entre eux quittent l’école avant la fin de l’enseignement secondaire. Le chômage des jeunes est environ deux fois plus élevé que le taux de chômage moyen pour les enfants qui sont pris au piège de la pauvreté. C’est par ce cercle vicieux que le cycle intergénérationnel de la pauvreté se perpétue de génération en génération.

5. Comment le contexte économique et les programmes d’austérité budgétaire affectent les enfants et les familles

31. La chute de l’une des plus grandes banques mondiales aux Etats-Unis en septembre 2008 a conduit à la pire crise économique que nous ayons connue depuis 80 ans. En Europe, la réaction initiale des gouvernements à la crise financière a été d’adopter des mesures de relance monétaire et budgétaire et des plans de sauvetage. Malgré les sommes considérables que les gouvernements respectifs injectaient dans l’économie, le Fonds monétaire international (FMI) indiquait que 60 % de la dette publique qui s’était accumulée après l’effondrement de 2008 était dû à une baisse des recettes provenant de l’impôt sur le revenu et au chômage et à des stabilisateurs automatiques (tels que les allocations de chômage) plutôt qu’aux dépenses publiques pour mettre en œuvre les mesures de relance monétaire et budgétaire et les plans de sauvetage.
32. Dès qu’ils sont sortis de la récession en 2010, certains pays européens ont cessé de stimuler leur économie et ont mis en place des coupes budgétaires. Au Royaume-Uni, cela a eu pour effet de réduire le déficit budgétaire de 3 points de pourcentage en 2013. Les réductions ont été même plus importantes dans les pays d’Europe du Sud. Si les mesures d’austérité ont un rôle à jouer sur un plan macro-économique, elles peuvent avoir un impact social majeur et accentuer les inégalités, à la fois à travers la taxation (de salaires ou de la consommation) ou à travers la réduction des prestations sociales 
			(34) 
			The Economist, Stimulus versus austerity
– Sovereign Doubts, 28 septembre au 4 octobre 2013.. Certains chercheurs soutiennent que si la consolidation budgétaire est nécessaire, elle ne doit toutefois pas se faire aux dépens des pauvres 
			(35) 
			Davies
R. (2013), Child poverty and social exclusion. A framework for European
action. Library briefing. Bibliothèque du Parlement européen, 14
juin 2013.. Cette dynamique a également été analysée par l’Assemblée parlementaire dans ses travaux menant à la Résolution 1884 (2012) «Mesures d’austérité – un danger pour la démocratie et les droits sociaux».
33. Plus récemment, le Commissaire aux droits de l’homme, Nils Muižnieks, s’est penché, dans son dernier document thématique, sur le lien entre les actuels programmes d’austérité et l’exercice des droits humains. Il y souligne que «les dépenses sociales publiques ont été les premières cibles des mesures d’austérité dans bon nombre des Etats membres», et qu’elles engendrent «des conditions d’accessibilité plus strictes pour certaines prestations sociales, et d’autres coupes dans les systèmes éducatifs et de soins de santé». Il indique par ailleurs que «les mesures d’austérité appliquées aux allocations familiales, le chômage généralisé et l’augmentation des prix alimentaires sont des questions cruciales affectant le bien-être des enfants», dont les taux de pauvreté ont plus fortement augmenté que pour le reste de la population 
			(36) 
			Commissaire
aux droits de l’homme, Safeguarding human rights in times of economic
crisis, document thématique, Conseil de l’Europe, Strasbourg, novembre
2013, <a href='http://www.commissioner.coe.int/'>www.commissioner.coe.int</a>. .
34. D’après les informations pays par pays recueillies par Eurochild en 2011, les conséquences de la crise financière ont été multiples et ont eu de graves répercussions sur les enfants et leurs familles. 
			(37) 
			Eurochild (2011), L’impact
de la crise économique et financière sur les enfants et les jeunes
en Europe. Citons entre autres une hausse des niveaux de pauvreté absolue, une progression du chômage qui a plus durement touché les groupes marginalisés, notamment les migrants, des réductions de salaire qui continuent de faire progresser le nombre de travailleurs pauvres et une baisse des opportunités d’emplois pour les jeunes. Certains d’entre eux sont «sans emploi, sans éducation ou formation» (NEET). L’Irlande et l’Espagne ont des taux de NEET de plus de 10 % 
			(38) 
			«Le
bien-être des enfants dans les pays riches. Vue d’ensemble comparative
11». Centre de recherche Innocenti de l’Unicef, Florence, 2013.. Au Royaume Uni, il semble que le fossé social entre les jeunes des quartiers favorisés et ceux des quartiers défavorisés est de plus en plus préoccupant, ces derniers se tournant parfois vers la criminalité et les économies informelles pour assurer leur survie 
			(39) 
			The
Economist, «Poverty seen up close», 14 janvier 2013..
35. De nouvelles coupes ont également été opérées dans les dépenses publiques. En Lituanie, les allocations familiales universelles ont été supprimées, au Danemark elles ont été réduites de 5 %, en Irlande, une réduction de 10 euros (20 euros pour le troisième enfant) a été instaurée. En Espagne, la prime à la naissance va être supprimée, et au Royaume-Uni, les prestations familiales ont été supprimées pour les contribuables des tranches supérieures de revenus. En outre, les prestations familiales ont été gelées et les crédits d’impôt pour enfant réduits. La promesse d’augmenter les crédits d’impôt pour enfant plus que le taux d’inflation en 2012 et 2013 a été abandonnée. Selon l’Institut d’études budgétaires (IFS) 
			(40) 
			«Mesurer la pauvreté
des enfants: Nouveaux tableaux de classement de la pauvreté des
enfants dans les pays riches», op. cit., cette décision à elle seule pourrait avoir pour effet de faire passer 100 000 enfants de plus sous le seuil de pauvreté.
36. Toute une série d’autres prestations sont menacées en Europe. En Allemagne, les réductions opérées en 2010 concernaient les services sociaux pour les demandeurs d’emploi, les aides au logement et les prestations parentales. En Hongrie, l’aide au logement a été suspendue; au Danemark, les allocations de chômage sont désormais versées pendant deux ans au lieu de quatre. De même, les services d’aide à l’enfance et à la famille sont supprimés. En Roumanie, des ONG offrant des services préventifs pour des enfants et leurs parents dans des centres de jour ne bénéficient plus de soutien financier pour poursuivre leurs activités. En Irlande du Nord, un service de santé et d’aide sociale a été démantelé, de sorte qu’il ne reste que les services de santé existants.
37. Une récente étude d’Eurochild a confirmé aussi que, depuis le début de la crise économique et financière, plusieurs gouvernements ont instauré des réductions des dépenses sociales qui ont été ressenties directement par les enfants et leurs familles, notamment dans des domaines comme les allocations familiales, les allocations de chômage, les services publics d’aide aux enfants et aux familles ou les services de santé. Ces effets sont régulièrement attestés par des rapports concernant certains pays, dont la Lettonie, où les vastes programmes d’austérité, cités en exemple sur la scène internationale, ont indéniablement fait augmenter la pauvreté et les inégalités en terme de revenus, et ont eu un impact sur les groupes les plus défavorisés, comme les enfants de familles monoparentales, tandis que les enfants des familles à revenus moyens ou élevés étaient soutenus plus généreusement (ainsi que l’ont remarqué les experts de la Banque mondiale) 
			(41) 
			«The Invisible Side
of Latvia’s Success Story: Life with “God’s Mercy” and the Goodness
of Others», Re: Baltica, The Baltic Centre for Investigative Journalism,
17 octobre 2012..
38. Déjà en 2009, l’Overseas Development Institute du Royaume-Uni avançait que «les gouvernements peuvent faire beaucoup pour protéger les enfants des conséquences de la crise économique, à condition de reconnaître le problème et de planifier en conséquence» 
			(42) 
			Harper, Jones, McKay
et Espey, Children in times of economic crisis: Past lessons, future
policies, Overseas Development Institute (ODI), Background Note,
mars 2009.. Si la phase de reconnaissance du problème semble désormais atteinte, du moins au niveau de l’Union européenne (voir ci-dessous), il est grand temps de redoubler d’efforts en faveur des enfants pauvres touchés par la crise et de prendre des mesures concrètes pour briser le cycle de la pauvreté menaçant bien trop d’entre eux.

6. Réponses politiques apportées et requises pour réduire efficacement la pauvreté des enfants

6.1. Stratégies et cibles européennes pour lutter contre la pauvreté des enfants

39. En ce qui concerne les réponses politiques au niveau européen, la protection des enfants et la défense de leurs droits fondamentaux comptent parmi les priorités pour le Conseil de l’Europe, en particulier de par son programme intitulé «Construire une Europe pour et avec les enfants» et de sa stratégie actuelle pour 2012-2015. Déjà, dans sa Résolution 1800 (2011) «Combattre la pauvreté», l’Assemblée a appelé les Etats membres à s’engager à éliminer la pauvreté des enfants d’ici à 2025.
40. Dans sa stratégie «Europe 2020», l’Union européenne fixe un objectif européen commun consistant à réduire le nombre de personnes exposées au risque de pauvreté et d’exclusion sociale d’au moins 20 millions d’ici à 2020. Dans sa recommandation du 20 février 2013 intitulée «Investir dans l’enfance pour briser le cercle vicieux de l’inégalité», la Commission européenne appelle à traiter le problème de la pauvreté sous l’angle des droits de l’enfant et définit à cette fin un cadre européen commun. Le document offre également une «visibilité accrue au consensus qui s’est établi» 
			(43) 
			Davies R. (2013): Child
Poverty and social exclusion, a framework for European action, <a href='http://www.europarl.europa.eu/RegData/bibliotheque/briefing/2013/130537/LDM_BRI%282013%29130537_REV1_EN.pdf'>www.europarl.europa.eu/RegData/bibliotheque/briefing/2013/130537/LDM_BRI%282013%29130537_REV1_EN.pdf</a>. sur la marche à suivre et comprend un ensemble de principes directeurs sur la manière de lutter le plus efficacement contre la pauvreté des enfants en Europe. La Commission préconise de garantir l’accès à des ressources suffisantes et l’accès à des services de qualité et d’un coût abordable (y compris des services d’éducation des jeunes enfants de qualité), sans oublier la mise en œuvre du droit des enfants à participer à la vie sociale 
			(44) 
			Commission européenne:
recommandation de la Commission intitulée «Investir dans l’enfance
pour briser le cercle vicieux de l’inégalité», 20 février 2013,
C(2013) 778 final.. La recommandation de l’Union européenne note en outre que la lutte contre la pauvreté des enfants est un investissement essentiel pour l’avenir d’une société et de l’Europe compte tenu des effets pervers à long terme de la pauvreté sur les enfants. La prévention et l’intervention précoce sont mises en avant et perçues comme s’inscrivant dans une stratégie intégrée qui tient également compte de la réussite professionnelle des parents dans un emploi suffisamment rémunéré. Le droit à une santé adéquate, à l’éducation, au logement et à des services de protection sociale est également mis en exergue.
41. Le document de l’Union européenne envisage le problème de la pauvreté sous l’angle des droits de l’enfant et s’inspire de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant qui a été ratifiée par tous les Etats membres du Conseil de l’Europe. Dans le même temps, il reconnaît l’importance des familles dans la vie des enfants; de fait, la qualité des relations au sein de la famille est considérée comme la variable prépondérante pour évaluer le sentiment de bien-être chez les enfants 
			(45) 
			Voir: Enquêtes trimestrielles
de la Children’s Society au Royaume-Uni.. Il accorde de l’importance aux stratégies intégrées qui vont au-delà de la sécurité matérielle pour les enfants et vise à promouvoir l’égalité des chances pour tous les enfants. Une attention particulière est accordée aux groupes à risque. Enfin l’importance de la poursuite des politiques engagées et d’une planification à long terme est également soulignée. Les stratégies intégrées promues par l’Union européenne s’appuient sur trois piliers: 1) l’accès à des ressources adéquates; 2) la nécessité de services de qualité; et 3) l’importance d’une participation des enfants.

6.2. Défis actuels posés à l’éradication effective de la pauvreté des enfants

42. Il ressort d’un bon nombre des situations décrites plus haut que, pour éradiquer la pauvreté des enfants, il faut apporter un soutien global aux familles dont la détresse a des répercussions sur les enfants. Si l’on aide les familles à améliorer leurs conditions de vie, en trouvant un emploi ou un logement décent, par exemple, ces familles peuvent élever leurs enfants dans un environnement sain et stable, ce qui permet d’interrompre la transmission intergénérationnelle de la pauvreté. Pour garantir un impact des politiques de lutte contre la pauvreté des enfants, il importe aussi d’aller à la rencontre des enfants là où ils vivent et de manière à ce qu’ils puissent avoir accès, dans des conditions d’égalité, aux ressources et services de base; l’environnement familial inclut aussi les structures éducatives. En prenant comme grille les trois piliers de la lutte contre la pauvreté des enfants actuellement promus par l’Union européenne (voir paragraphe 41), il est possible d’identifier certains des défis à relever pour les politiques nationales.
43. D’abord, des ressources adéquates pour les familles, telles que les demande l’Union européenne, supposent des emplois qui non seulement procurent un revenu suffisant mais aussi respectent la vie familiale. Le cas échéant, il se peut que les emplois nécessitent d’être complétés par des politiques de redistribution efficaces 
			(46) 
			Whiteford P. et Adema
W. (2007), What works best in reducing child poverty: a benefit
or a work strategy?, OCDE., 
			(47) 
			Pisu M. (2012), Less
income inequality and more growth –are they compatible?, OCDE.. Malheureusement, la crise financière a conduit les pouvoirs publics à effectuer des coupes dans les transferts sociaux et autres formes de soutien financier aux enfants et familles, qui accentuent les inégalités sociales. De l’étude du CERDP menée pour le présent rapport, il ressort de l’enquête que, alors que tous les pays participants offrent des aides financières pour venir en aide aux familles, notamment une aide sociale spécifique, un certain nombre d’entre eux ne fournissent pas d’aide spécifique aux parents démunis pour les aider à accéder au marché du travail. Ces pays sont huit pays membres de l’Union européenne, ainsi que la Géorgie, l’Islande et la Turquie.
44. Le second pilier de stratégies efficaces contre la pauvreté des enfants repose sur des services de qualité pour les enfants. Des services publics de qualité sont nécessaires pour les enfants défavorisés dont les parents dépendent très largement de ce soutien et ne peuvent pas avoir recours à des services privés de remplacement. L’importance de services de qualité est également soulignée par l’Unicef qui fait observer qu’il doit y avoir des indicateurs pour mesurer la qualité des services. A cet égard, l’Unicef considère l’absence d’indicateurs de ce type comme une «lacune criante» qui nous prive de la possibilité de contrôler les services et de les comparer à ceux d’autres pays 
			(48) 
			«Le
bien-être des enfants dans les pays riches. Vue d’ensemble comparative
11», Centre de recherche Innocenti de l’Unicef, Florence, 2013. . L’accent particulier qui est ainsi mis sur des politiques fondées sur des observations factuelles garantissant un retour sur investissement maximal a pris encore plus d’importance dans le contexte économique actuel où les ressources sont rares et doivent faire l’objet d’investissements judicieux.
45. L’enquête susmentionnée du CERDP fait apparaître que, alors qu’un large éventail de services est proposé dans les écoles pour veiller à l’égalité des chances, des services d’éducation de la petite enfance ne sont toujours pas disponibles pour tous les enfants dans de nombreux pays d’Europe, malgré les effets bénéfiques qu’ils ont en particulier sur les enfants vivant dans la pauvreté. Les objectifs convenus au Conseil européen de Barcelone 2002 en matière d’accueil des enfants étaient que 90 % des enfants à partir de trois ans soient admis à l’école maternelle et que 33 % des enfants âgés de moins de trois ans (cible considérée basse par certains) devraient avoir une place dans des structures d’accueil de la petite enfance.
46. Il est clair que la simple mise en place de services d’éducation des jeunes enfants, sans prêter attention à la qualité (et à l’accessibilité économique) de ces services n’est pas la réponse au besoin de fournir des structures d’accueil, et l’on ne soulignera jamais assez l’importance de la qualité sur la quantité. Nous savons à présent que les premières années jouent un rôle fondamental dans le développement cognitif et émotionnel de l’enfant et ceux qui vivent dans la pauvreté sont extrêmement défavorisés dès le plus jeune âge. C’est pourquoi il est sage d’investir dans l’accompagnement des enfants qui vivent dans la pauvreté et de leurs parents en leur accordant un soutien accru durant cette période qui est d’une importance cruciale pour le développement de l’enfant.
47. Enfin, la participation des enfants est un troisième pilier essentiel de la stratégie de l’Union européenne. A ce jour, il n’existe aucun indicateur de mise en œuvre et les experts s’accordent à dire qu’il faut acquérir plus d’expérience dans ce domaine 
			(49) 
			Davies R. (2013), Child
Poverty and social exclusion A framework for European action, <a href='http://www.europarl.europa.eu/RegData/bibliotheque/briefing/2013/130537/LDM_BRI%282013%29130537_REV1_EN.pdf'>www.europarl.europa.eu/RegData/bibliotheque/briefing/2013/130537/LDM_BRI%282013%29130537_REV1_EN.pdf.</a>. Dans son dernier rapport sur cette question, l’Unicef insiste sur le fait que la participation des enfants à des sujets qui les concernent n’est pas facile à accepter. Il fait valoir que les enfants des classes moyennes sont souvent privilégiés dans ces circonstances et qu’ils ont généralement plus de chances de faire entendre leur point de vue. Des études menées sur des enfants défavorisés indiquent toutefois que, lorsqu’ils en ont la possibilité, ils sont capables d’exprimer leur opinion de façon très claire et d’apporter des contributions importantes non seulement en ce qui concerne l’exploitation des services mais aussi à propos d’aspects liés à leur bien-être 
			(50) 
			Abela A. et Smith La
Rosa M. (2007), Maltese Youngsters with very Challenging Behaviour
Speak about School Journal of Maltese
Educational Research 5, 2 62- 85; 
			(50) 
			Abela
A. (avec Abdilla N., Abela C., Camilleri, J., Mercieca D. et Merciec
G.) (2012), Exploring the long term outcomes of children in out
of home care, <a href='http://www.tfal.org.mt/MediaCenter/PDFs/1_Study 3 full version.pdf'>www.tfal.org.mt/MediaCenter/PDFs/1_Study%203%20full%20version.pdf</a>; 
			(50) 
			Gonzi M. Abela A. et al (2006), See me!
Listen to Me! Children’s Perspectives in A FAIR DEAL. A Study on
Children and Young People with Very Challenging Behaviour, publié
par le centre de presse du Commissaire à l’enfance, Malte..
48. A la suite ou parallèlement à certaines des activités susmentionnées de normalisation européennes, de nombreux pays d’Europe ont mis en place des politiques ou stratégies nationales de lutte contre la pauvreté des enfants. Toutefois, si l’on veut éradiquer la pauvreté des enfants, le plus difficile sera de réduire le décalage entre, d’une part, la situation réelle des enfants (qui tend à s’aggraver dans le contexte de crise économique) et les intentions et déclarations politiques, et, d’autre part, la mise en œuvre effective des politiques en faveur des enfants. Ainsi que le montrent les rapports concernant différents pays, il est très fréquent que les mesures et politiques nationales ne parviennent pas à protéger les enfants contre la pauvreté parce qu’elles ne sont pas suffisamment ciblées, voire aggravent la situation des enfants; c’est notamment le cas lorsque des mesures d’austérité conduisent à des réductions des prestations sociales ayant des effets directs sur les enfants et les familles qui sont dans le besoin.
49. Dans son analyse des programmes nationaux de réforme (PNR) de 2013, Eurochild 
			(51) 
			Frazier
H., The 2013 National Reform Programmes (NRP) from a child poverty
and well-being perspective, Rapport août 2013, Eurochild. a conclu à certaines améliorations modestes en matière de droits de l’enfant par rapport aux PNR des années précédentes. Certains pays n’ont apparemment pas pris en compte les problèmes liés aux mesures d’austérité, au chômage ou à la situation alarmante des travailleurs pauvres. Des progrès ont été enregistrés en Bulgarie, en Espagne, en France, en Hongrie et en Roumanie par rapport à 2012. Néanmoins, la situation générale de beaucoup d’enfants reste la même et la lutte contre la pauvreté infantile demeure une tâche extrêmement difficile.
50. Un certain consensus semble avoir été atteint parmi les 28 Etats membres de l’Union européenne à propos des conséquences néfastes de la pauvreté sur les enfants et leurs parents et sur la société en général. Cependant, compte tenu de l’hétérogénéité des différents pays d’Europe, y compris ceux qui ne sont pas membres de l’Union européenne, il faut des recommandations applicables à tous les pays de la Grande Europe.

7. Conclusions

51. La recommandation de l’Union européenne relative à la pauvreté des enfants (évoquée précédemment) a été adoptée et publiée en février 2013. Elle contient des lignes directrices très complètes visant à éradiquer la pauvreté des enfants, susceptibles de servir de source d’inspiration pour tous les pays de la Grande Europe. Elle énumère notamment les principales mesures suivantes de lutte contre la pauvreté des enfants:
  • permettre aux familles d’accéder à des ressources suffisantes en soutenant la participation des parents au marché du travail et assurer des conditions de vie correctes grâce à une combinaison de prestations;
  • permettre à tous les enfants et à leurs familles d’accéder à des services de qualité et d’un coût abordable en réduisant les inégalités dès la petite enfance, en investissant dans l’éducation et l’accueil des jeunes enfants, en améliorant l’influence du système éducatif sur l’égalité des chances, en améliorant la réactivité des systèmes de santé pour répondre aux besoins des enfants défavorisés, en offrant aux enfants un logement et un cadre de vie sûrs et adéquats et en améliorant les services d’assistance aux familles et la qualité des services de soins alternatifs;
  • promouvoir le droit des enfants de participer aux activités sportives, culturelles et de loisirs ainsi qu’aux processus décisionnels les concernant.
52. La récente adoption de la recommandation de l’Union européenne a été saluée par le réseau européen Eurochild et d’autres défenseurs des droits de l’enfance. Elle a été perçue comme un instrument important comblant le fossé entre la rhétorique politicienne et la mise en œuvre des politiques 
			(52) 
			Eurochild
(mars 2013), Evaluation de la recommandation de la Commission européenne
sur «Investir dans l’enfance pour briser le cercle vicieux de l’inégalité»
et suggestion de mise en œuvre au plan national.. Suite à l’adoption de ce document, Eurochild a formulé un certain nombre de recommandations sur la façon dont la politique européenne pourrait être mise en œuvre. Certaines méritent d’être mentionnées 
			(53) 
			Les gouvernements traînent
les pieds en matière de pauvreté des enfants, Eurochild, Agence
Europe, Bruxelles, 10 septembre 2013. et pourraient compléter la stratégie de l’Union européenne lors de sa mise en œuvre:
  • la volonté politique de lutter contre la pauvreté des enfants doit être une priorité dans tous les pays européens. A cet égard, des objectifs précis doivent être définis d’entrée de jeu;
  • des indicateurs testés et éprouvés de suivi des résultats pour les enfants et leurs familles devraient être les principaux outils d’évaluation pour s’assurer de la mise en œuvre des politiques. D’autres travaux de recherche doivent être menés dans cet important domaine si les politiques doivent s’appuyer davantage sur des éléments factuels. Les indicateurs devraient également être communs à tous les pays, afin de permettre l’apprentissage mutuel à partir d’exemples de bonnes pratiques des uns et des autres;
  • des sources de financement additionnelles, en particulier pour les pays les plus pauvres, sont nécessaires pour tâcher de combler le fossé entre les différents pays;
  • les pays qui disposent de davantage de données peuvent aider les autres à créer leurs propres bases de données, notamment via transfert des connaissances;
  • les ratios de répartition des revenus doivent être ajustés, en particulier dans les pays où l’écart entre le quintile le plus riche et les revenus les plus faibles est grand;
  • la planification nationale doit se faire sur le long terme; des approches transversales et des synergies développées entre les différents ministères contribueraient à maximiser les ressources.
53. En collaboration avec le Réseau européen des associations de lutte contre la pauvreté (EAPN), Eurochild a édité un excellent manuel intitulé «Explicatif sur la pauvreté infantile dans l’Union européenne», dans lequel l’organisation identifie les facteurs de risque, les causes et les mythes entourant la pauvreté des enfants, explique la recommandation de l’Union européenne de manière aisément compréhensible et illustre les possibilités de mise en œuvre par des exemples de bonnes pratiques. Ce manuel ne peut qu’être chaudement recommandé aux acteurs nationaux soucieux d’améliorer l’efficacité de leurs stratégies de lutte contre la pauvreté des enfants 
			(54) 
			Eurochild/EAPN, Vers
le bien-être des enfants en Europe – Explicatif sur la pauvreté
infantile dans l’Union européenne, Bruxelles 2013..
54. Dans son étude 2012 sur les enfants et les jeunes face à la crise, Eurochild a également souligné que les groupes les plus vulnérables, notamment les enfants, sont les premiers touchés par l’affaiblissement des systèmes de protection sociale, et que l’accès à des services de soutien préventif, de soins de santé et à une éducation abordables, disponibles et de bonne qualité ne doit pas être considéré comme un coût, mais plutôt comme un investissement sur l’avenir 
			(55) 
			Eurochild, How the
economic and financial crisis is affecting children and young people
in Europe? Rapport basé sur des faits recueillis auprès des membres
d’Eurochild, décembre 2012. . Concernant certaines catégories d’enfants, par exemple ceux issus des minorités nationales (enfants roms et autres), il conviendra de déployer des efforts particuliers pour améliorer la collecte de données relatives à leur situation (afin d’en permettre le suivi), mettre fin aux discriminations auxquelles leurs communautés sont généralement confrontées et leur garantir les mêmes droits et soutien qu’aux autres enfants 
			(56) 
			Bureau régional de
l’Unicef pour l’Europe centrale et orientale et la Communauté des
Etats indépendants: Romani Children in South East Europe – The challenge
of overcoming centuries of distrust and discrimination, Social and Economy
Policy for Children, Discussion Paper Issue 7 (mars 2007).. En général, les enfants doivent aussi être protégés contre tout préjudice et toute violation des droits humains pendant qu’ils vivent dans la pauvreté, par exemple contre le travail des enfants, la violence physique ou psychologique, l’exploitation et les abus sexuels ou la traite – des phénomènes contre lesquels le Conseil de l’Europe lutte également par l’intermédiaire de sa propre action normative.
55. Tous les enfants d’Europe doivent pouvoir satisfaire leurs besoins essentiels en ayant accès à l’alimentation, à l’éducation et aux soins de santé, mais aussi bénéficier de l’égalité des chances pour leur développement, sans subir d’exclusion sociale ou être exposés à des risques pour leur intégrité physique ou psychologique. C’est pourquoi l’Assemblée devrait appeler tous les Etats membres à poursuivre avec détermination la lutte contre la pauvreté des enfants, par leur ferme attachement à cette cause et par des stratégies nationales ciblées.
56. S’agissant de la mise en œuvre de ces stratégies, l’engagement de tous les niveaux de gouvernement est d’une importance décisive. Les pouvoirs locaux comptent parmi les acteurs principaux et les premiers points de contact avec les groupes défavorisés de la population. Ils doivent de ce fait disposer des ressources nécessaires et pouvoir assumer leurs responsabilités envers les communautés locales 
			(57) 
			Child Poverty Action
Group/Rys Farthing, Local authorities and child poverty: balancing
the threats and opportunities, Londres, juillet 2013. , entre autres par des plans d’action locaux.
57. Dans le contexte économique actuel, les Etats membres devraient en particulier continuer ou, le cas échéant, commencer à revoir les programmes d’austérité nationaux et à prendre la mesure de leurs effets directs et indirects sur le bien-être des enfants; ils devraient aussi concevoir et mettre en œuvre des politiques nationales qui tiennent compte des besoins les plus urgents des enfants et utiliser des mécanismes permettant de garantir que les ressources consacrées à la lutte contre la pauvreté des enfants parviennent effectivement à ceux qui en ont le plus besoin.
58. Dans son dernier document thématique, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe appelle les Etats membres à «réaliser systématiquement des études visant à mesurer l'impact des budgets et des politiques sociales et économiques sur les droits humains et l'égalité» 
			(58) 
			Commissaire
aux droits de l’homme: voir note de bas de page 37 ci-dessus (Recommandations
du Commissaire).. L’Assemblée devrait soutenir cette proposition et aller plus loin en déclarant que toute réduction des dépenses sociales doit être soigneusement supervisée et évaluée quant à son éventuel impact sur les groupes les plus vulnérables de la société, et en particulier sur le bien-être des enfants. C’est en soutenant aujourd’hui les enfants pauvres et en leur offrant une égalité des chances pour leur développement, que nous veillons à ne pas perpétuer et accroître la pauvreté des enfants et des familles dans l’avenir, au risque sinon de voir s’appauvrir nos sociétés entières.

Annexe – Données nationales sur les enfants exposés au risque de pauvreté

(open)

Tableau 1: Taux par pays d’enfants menacés de risque de pauvreté ou d’exclusion social,

pour 2011 par type de risque 
			(59) 
			Comme on peut le voir,
seuls les chiffres en gras dans la colonne «risque de pauvreté monétaire»
fournis par Eurostat concordent avec ceux qui ont été fournis par
les Etats dans l’enquête.

 

AROPE (“at risk of poverty or social exclusion”)

Privations matérielles graves

Faible intensité de travail

Risque de pauvreté monétaire

Chiffres fournis dans l’enquête du CERDP

Suède

15,9

1,3

5,4

14,5

14,5

Danemark

16,0

3,3

8,9

10,2

1 % de tous les enfants

Finlande

16,1

3,2

7,6

11,8

11,9 (2009)

Slovénie

17,3

5,3

4,4

14,7

13,5

Pays-Bas

18,0

2,9

6,3

15,5

Autriche

19,2

5,6

6,7

15,4

331 000 âgés de moins de 20 ans

Allemagne

19,8

5,4

8,6

15,6

17,34

République tchèque

20

8

6,9

15,2

15,2 % (2012)

Luxembourg

21,7

1,2

2,9

20,3

20,3

Chypre

21,8

13,7

2,9

11,9

11,9

France

23,0

7

8,2

18,8

19,6 % (2010)

Belgique

23,3

8,2

13,9

18,7

18,7

Estonie

24,85

9,1

9,1

19,5

9,5 %?

Malte

25,8

7

8,3

21,1

Slovaquie

26

12,4

7,3

21,2

18,8

Royaume-Uni

26,9

7,1

14

18

17 % (2011/2012)

Portugal

28,6

11,3

7,1

22,4

21,70 %

Pologne

29,8

13,2

4,1

22

16,7 %

Grèce

30,4

16,4

7,2

23,7

23,7

Espagne

30,6

4,2

9,8

27,2

26,20 %

Italie

32,3

12,2

7,6

26,3

17,6 % dont 7 % vivant dans la pauvreté absolue

Lituanie

33,4

15,9

11,3

24,3

25,2 % avant transferts sociaux

Irlande

(données de 2010)

37,6 %

10,6

25,5

19,7

9,3 % (2011)

Hongrie

39,6

29,8

14,1

23

20,3 % (2010)

Lettonie

43,6

33,5

12,9

25

Roumanie

49,1

35,8

4,6

32,9

48,70 %

Bulgarie

51,8

45,6

14

28,9

Croatie

n’était pas un membre de l’Union européenne en 2011

21,5 %

Tableau 2: Enfants exposés au risque de pauvreté ou d’exclusion sociale dans les Etats ayant le statut d’observateur auprès de l’Assemblée parlementaire

Canada

15 % (inférieur à 50 % du revenu médian)

Israël

36 % (inférieur à 50 % du revenu médian)

Tableau 3: Enfants exposés au risque de pauvreté ou d’exclusion sociale dans les Etats non membres de l’Union européenne

 

Chiffres tirés de l’enquête entreprise via le Centre européen de recherche et de documentation parlementaires (CERDP)

Albanie

Andorre

Arménie

Azerbaïdjan

Bosnie-Herzégovine

Géorgie

12 % sous le seuil de pauvreté alimentaire

Islande

4,7 % (inférieur à 50 % du revenu médian)

9 % d’enfants vivant dans le dénuement

Liechtenstein

République de Moldova

19 %

10,4 % malnutrition

Monaco

Monténégro

14,1 %

Norvège

7,6 %

Fédération de Russie

non communiqués

Saint-Marin

Serbie

12,2 % selon les critères de la FAO

Suisse

17,5 % (inférieur à 60 % du revenu médian)

«L’ex-République yougoslave de Macédoine»

Turquie

16 % (inférieur à 60 % du revenu médian)

Ukraine