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Rapport | Doc. 13763 | 21 avril 2015

Projet de Protocole additionnel à la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : Lord John E. TOMLINSON, Royaume-Uni, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13753, Renvoi 4116 du 20 avril 2015. 2015 - Deuxième partie de session

Résumé

La limitation du flux de «combattants terroristes étrangers» qui quittent l’Europe pour rejoindre des groupes djihadistes à l’étranger est devenue la priorité absolue des gouvernements européens. Jusqu’à 5 000 jeunes Européens seraient partis combattre en Syrie et en Irak et lorsqu’ils rentrent dans leur pays, nombre d’entre eux sont radicalisés et possèdent de nouvelles capacités qui pourraient se révéler meurtrières.

Un nouveau protocole additionnel à la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme, inspiré de la Résolution 2178 (2014) du Conseil de sécurité des Nations Unies, a été négocié promptement pour faire face à cette nouvelle menace. La commission des questions juridiques et des droits de l’homme estime cependant que certains des doutes que le texte soulève n’ont pas été suffisamment pris en considération. Par exemple, l’infraction que constitue le fait de «se rendre à l’étranger à des fins de terrorisme» pourrait poser un problème du point de vue de la liberté de circulation.

La commission propose des modifications au texte qui contribueront à renforcer les garanties de respect des droits de l’homme, notamment en mettant davantage l’accent sur le droit à un procès équitable et sur le principe de sécurité juridique.

A. Projet d’avis 
			(1) 
			Projet
d’avis adopté à l’unanimité par la commission le 21 avril 2015.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire s’inquiète des effets que le terrorisme a sur la démocratie, la prééminence du droit et les droits de l’homme. Elle a toujours attaché la plus haute importance au respect des droits de l’homme dans la lutte contre le terrorisme, comme elle l’a réaffirmé dans la Résolution 1840 (2011) sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme. Les Etats doivent être capables de prendre les mesures appropriées pour lutter contre le terrorisme, mais «[i]l n’est pas nécessaire d’instaurer un compromis entre les droits de l’homme et les actions efficaces de la lutte contre le terrorisme» (voir le paragraphe 2 de la résolution). Des garanties suffisantes existent en droit international des droits de l’homme, y compris dans la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) et dans ses protocoles, pour réagir avec souplesse dans les situations d’urgence qui menacent l’existence même des sociétés et, de manière plus générale, pour protéger l’ordre public, la sécurité nationale ou d’autres intérêts légitimes.
2. Le projet de protocole additionnel à la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme (STCE no 196) fait écho à la Résolution 2178 (2014) du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les «menaces contre la paix et la sécurité internationales résultant d’actes de terrorisme». Il oblige les Etats à ériger en infraction pénale certains comportements pouvant avoir un lien avec la commission d’infractions terroristes et vise en particulier à prévenir et à limiter le flux de «combattants terroristes étrangers».
3. L’Assemblée note à ce sujet que le projet de protocole additionnel à la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme a été rédigé très rapidement, peu après les attentats terroristes commis à Paris les 7, 8 et 9 janvier 2015. Certaines organisations non gouvernementales (ONG) internationales de premier plan, dont Amnesty International, la Commission internationale de juristes et Open Society Justice Initiative, ont critiqué cette précipitation et exprimé leur préoccupation au sujet des éventuels effets négatifs de ce texte sur les droits de l’homme, dont la liberté de circulation, la présomption d’innocence ou la sécurité juridique, et de la séparation peu claire entre son application en temps de paix et de guerre et l’applicabilité du droit international humanitaire. Des doutes portent aussi sur l’incrimination d’actes préparatoires pour lesquels il ne semble pas que soit exigée une intention directe de commettre l’infraction principale (qualifiés d’actes de terrorisme) et qui sont très éloignés de la principale infraction (terroriste) pouvant être commise.
4. L’Assemblée est pleinement consciente des préoccupations mentionnées ci-dessus et considère qu’elles n’apparaissent pas suffisamment dans le projet de rapport explicatif du projet de protocole additionnel. En particulier, l’introduction de l’infraction de «se rendre à l’étranger à des fins de terrorisme» pourrait poser problème du point de vue de la liberté de circulation et du droit à une nationalité. L’Assemblée rappelle qu’il n’existe pas de définition du «terrorisme» arrêtée d’un commun accord, que les terroristes sont des criminels, non des soldats, et que les infractions qu’ils commettent n’équivalent pas à des actes de guerre. Comme le souligne la Résolution 1840 (2011), «le terrorisme doit être traité en priorité par le système de justice pénale, dont les garanties de procès équitable, intégrées et bien établies, permettent de protéger la présomption d’innocence et le droit à la liberté de tous» (paragraphe 6) et «[l]es mesures limitant les droits de l’homme doivent être formulées clairement et interprétées de façon stricte, notamment lorsque la responsabilité pénale est engagée, et doivent s’accompagner d’un contrôle judiciaire et politique adéquat» (paragraphe 5.3).
5. L’Assemblée ne juge pas particulièrement utile d’élargir le cadre juridique actuellement applicable à la lutte contre le terrorisme. Compte tenu toutefois du projet de rapport explicatif, elle considère que la Convention pour la prévention du terrorisme comporte des garanties suffisantes qui s’appliqueront aux Etats Parties si le protocole additionnel est adopté et entre en vigueur. En particulier, la convention dispose clairement qu’elle ne s’applique pas aux situations de conflit armé. L’Assemblée n’en reconnaît pas moins la nécessité de renforcer encore les garanties de respect des droits de l’homme dans le texte du projet de protocole additionnel proprement dit, comme elle le recommande ci‑dessous. De plus, l’application du protocole additionnel dépendra de la transposition, au besoin, de la convention dans le droit pénal des Etats Parties.
6. L’Assemblée recommande au Comité des Ministres d’apporter les amendements ci-après au projet de protocole additionnel à la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme:
6.1. dans le préambule, ajouter un nouveau paragraphe 8 libellé comme suit: «Vu l’Avis ... (2015), adopté par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe le ... avril 2015»;
6.2. à la fin de l’article premier, ajouter: «, et de leurs obligations en vertu du droit international des droits de l’homme»;
6.3. Au paragraphe 1 de l’article 8, après l’adverbe «notamment», ajouter «le droit à un procès équitable, le principe de sécurité juridique,»; après les mots «la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales», ajouter «et dans ses Protocoles additionnels»; et après les mots «le Pacte international relatif aux droits civils et politiques», ajouter «, dans la Convention relative aux droits de l’enfant»;
6.4. La deuxième phrase de l’article 9 devrait être libellée comme suit: «Pour les Parties, toutes les dispositions du présent Protocole sont considérées comme des articles additionnels à la Convention et s’appliquent en conséquence, à l’exception de l’article 9.»

B. Exposé des motifs, par Lord Tomlinson, rapporteur

(open)

1. Procédure

1. A sa 1255e réunion, tenue le 15 avril 2015, le Comité des Ministres (Délégués des Ministres) a invité l’Assemblée parlementaire à lui soumettre un avis sur le projet de protocole additionnel à la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme («projet de protocole additionnel»), en lui demandant de le faire au cours de sa partie de session d’avril 2015; l’Assemblée a décidé de traiter cette question selon la procédure d’urgence prévue à l’article 51 de son Règlement.
2. Le 20 avril 2015, l’Assemblée a transmis la demande du Comité des Ministres à la commission des questions juridiques et des droits de l’homme.
3. A sa réunion tenue le 18 mars 2015 à Paris, la commission des questions juridiques et des droits de l’homme m’a nommé rapporteur, en prévision de la décision du 20 avril 2015.

2. Le contexte

4. Ainsi que l’indique M. Jacques Legendre (France, PPE/DC) dans son rapport intitulé «Attaques terroristes à Paris: ensemble pour une réponse démocratique» 
			(2) 
			Doc. 13684 du 24 janvier 2015, paragraphes 31 et 32. Voir aussi
la Résolution 2016 (2014) «Les menaces contre l’humanité posées par le groupe
terroriste connu sous le nom d’“EI”: la violence à l’encontre des
chrétiens et d’autres communautés religieuses ou ethniques», adoptée
le 2 octobre 2014., près de 5 000 jeunes Européens sont partis combattre en Syrie et en Irak (pour l’Etat islamique en Irak et au Levant, EIIL) et bon nombre d’entre eux reviennent en Europe aguerris à des techniques de combat. Dans la mesure où ils représentent une menace considérable pour la sécurité en Europe, il a été proposé, dans certains Etats membres, de les priver de leur passeport européen, lorsqu’ils ont une autre nationalité 
			(3) 
			La commission des questions
politiques et de la démocratie élabore actuellement un rapport sur
les combattants étrangers en Syrie (rapporteur: M. Dirk van der
Maelen, Belgique, Groupe socialiste)..
5. Le 24 septembre 2014, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la Résolution 2178 (2014) sur les «menaces contre la paix et la sécurité internationales résultant d’actes de terrorisme». Elle vise notamment à prévenir et à endiguer le flot de «combattants terroristes étrangers» et oblige les Etats parties à faire tomber sous le coup du droit pénal certains comportements qui pourraient être liés à la commission d’infractions terroristes, comme le fait de se rendre à l’étranger dans le dessein de commettre un acte terroriste. Ainsi que l’a souligné le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, certaines des mesures prises par les Etats sur la base de cette résolution risquent d’être très problématiques du point de vue du droit international des droits de l’homme 
			(4) 
			Rapport du Haut-Commissaire
des Nations Unies aux droits de l’homme sur la protection des droits
de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte contre le
terrorisme, 19 décembre 2014, A/HRC/28/28; voir en particulier les paragraphes 49
et 50..
6. La question de la radicalisation des combattants terroristes étrangers a été examinée à la 27e réunion du Comité d’experts sur le terrorisme (CODEXTER) du Conseil de l’Europe, en novembre 2014. Lors de cette réunion, le CODEXTER a proposé la création d’un comité qui serait chargé d’élaborer un Protocole additionnel à la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme (STCE no 196), afin de donner suite aux recommandations formulées dans la Résolution 2178 (2014) du Conseil de sécurité des Nations Unies. Le 22 janvier 2015, le Comité des Ministres a adopté le mandat du Comité sur les combattants terroristes étrangers et les questions connexes (COD-CTE) 
			(5) 
			CM(2015)19 final, 22 janvier 2015.. Après avoir tenu trois réunions entre février et mars 2015, le COD-CTE a soumis le projet de protocole additionnel au CODEXTER, qui l’a examiné et adopté à sa réunion tenue du 8 au 10 avril 2015. Le 10 avril 2015, le CODEXTER a soumis le texte au Comité des Ministres.
7. Le COD-CTE a été créé peu après les attentats terroristes perpétrés à Paris les 7, 8 et 9 janvier 2015. Dans le discours qu’il a prononcé devant l’Assemblée le 29 janvier 2015, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe a appelé à apporter une réponse internationale déterminée à la menace terroriste, en comblant toute faille et «toute lacune juridique que les terroristes pourraient exploiter». Dans sa Résolution 2031 (2015) «Attaques terroristes à Paris: ensemble, pour une réponse démocratique», adoptée le 28 janvier 2015, l’Assemblée a invité les Etats membres à «faire en sorte qu’un juste équilibre soit trouvé pour défendre la liberté et la sécurité en évitant, ce faisant, de violer ces mêmes droits» et a déclaré se réjouir de la préparation, qu’elle soutenait pleinement, d’un protocole additionnel à la Convention pour la prévention du terrorisme sur «les combattants terroristes étrangers» 
			(6) 
			Paragraphes 14.1
et 15.2.. Pendant que le COD-CTE élaborait le projet de protocole additionnel, Amnesty International, la Commission internationale de juristes 
			(7) 
			<a href='http://www.icj.org/council-of-europe-icj-and-ai-third-submission-on-draft-foreign-fighters-protocol/'>www.icj.org/council-of-europe-icj-and-ai-third-submission-on-draft-foreign-fighters-protocol/.</a> et l’Open Society Justice Initiative 
			(8) 
			Comments on the Draft
Additional Protocol to the Council of Europe Convention on the Prevention
of Terrorism of 24 March 2015 (texte disponible auprès du Secrétariat). ont soumis des communications dans lesquelles ces organisations se plaignaient du manque de transparence des travaux du COD-CTE, critiquaient la précipitation qui caractérisait l’ensemble du processus et s’inquiétaient des conséquences importantes que la rédaction d’un tel texte pourrait avoir pour la protection des droits de l’homme. Certains commentateurs, dont Martin Scheinin, ancien rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste (2005-2011), ont émis des réserves sur l’utilité et la précision juridique du projet de protocole additionnel 
			(9) 
			Voir
l’article de M. Scheinin, <a href='http://justsecurity.org/21207/council-europe-draft-protocolӘ-foreign-terrorist-fighters-fundamentally-flawed/'>Council
of Europe Draft Protocol on Foreign Terrorist Fighters is Fundamentally
Flawed</a>, 18 mars 2015.. De plus, dans une déclaration du 23 mars 2015 
			(10) 
			<a href='http://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/le-commissaire-s-inquiete-des-nouvelles-mesures-antiterrorisme'>Le
Commissaire s’inquiète des nouvelles mesures antiterrorisme. </a>, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a rappelé que limiter des droits de l’homme afin de lutter contre le terrorisme était «une grave erreur et une mesure inefficace pouvant même aider la cause des terroristes» et exhorté les décideurs politiques à «la plus grande prudence lors de la préparation et de l’adoption de nouvelles mesures anti-terroristes».
8. A plusieurs occasions, la commission des questions juridiques et des droits de l’homme a condamné toutes les formes de terrorisme. Dans ses rapports, elle a toujours souligné que le terrorisme doit être combattu efficacement par des moyens respectant pleinement les droits de l’homme et la prééminence du droit 
			(11) 
			On trouvera une liste
des rapports sur ce sujet dans le document AS/Jur/Inf (2015) 01
du 9 janvier 2015.. J’ai moi-même été rapporteur sur «Les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme» il y a quelques années 
			(12) 
			Doc. 12712 du 16 septembre 2011.. Sur la base de mon rapport, dans lequel j’examinais les effets des mesures antiterroristes sur les droits de l’homme et présentais les normes du Conseil de l’Europe applicables en la matière, l’Assemblée a adopté la Résolution 1840 (2011) le 6 octobre 2011. L’Assemblée y faisait notamment observer qu’il n’est pas nécessaire d’instaurer un compromis entre les droits de l’homme et les actions efficaces de la lutte contre le terrorisme (paragraphe 2).

3. Observations relatives au projet de protocole additionnel à la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme

3.1. Observations générales

9. Le projet de protocole additionnel vise à compléter la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme («la convention»). Il ajoute des dispositions sur l’incrimination de certains faits en lien avec des infractions terroristes: le fait de participer à une association ou à un groupe à des fins de terrorisme (article 2), le fait de recevoir un entraînement pour le terrorisme (article 3), le fait de se rendre à l’étranger à des fins de terrorisme (article 4), le fait de financer des voyages à l’étranger à des fins de terrorisme (article 5) et le fait d’organiser ou de faciliter par quelque autre manière des voyages à l’étranger à des fins de terrorisme (article 6). Il comprend aussi une disposition sur l’échange d’informations entre les Etats Parties et la désignation d’un point de contact disponible 24 heures sur 24, sept jours sur sept (article 7). Il sera ouvert à tous les signataires de la convention, y compris aux Etats qui ne sont pas membres du Conseil de l’Europe, et entrera en vigueur trois mois après que six instruments de ratification, d’acceptation ou d’approbation auront été déposés, dont au moins quatre par des Etats membres du Conseil de l’Europe (article 10, paragraphes 1 et 2).
10. Dans leurs communications relatives au projet de protocole additionnel, Amnesty International et la Commission internationale de juristes 
			(13) 
			Voir,
en particulier, leur <a href='http://icj.wpengine.netdna-cdn.com/wp-content/uploads/2015/03/CouncilofEurope-Letter-ForeignFighters-Advocacy-Legal-Submission-2015-ENG.pdf'>communication
au CODEXTER du 7 avril 2015</a>. se sont concentrés sur deux points importants: le vaste champ d’application des infractions définies dans le projet de protocole additionnel et la relation peu claire entre la convention et le projet de protocole additionnel. Pour ce qui est du premier point, il est vrai que les infractions définies aux articles 2 à 6 du projet de protocole additionnel se rapportent à des «infractions terroristes». S’il n’existe aucune définition universelle du «terrorisme» et des «infractions terroristes» en droit international public 
			(14) 
			Voir
également le paragraphe 19 du projet de rapport explicatif du protocole
additionnel., d’après l’article 1.1 de la convention, on entend par «infraction terroriste» l’une quelconque des infractions définies dans l’un des traités énumérés en annexe (comme la Convention pour la répression de la capture illicite d’aéronefs, signée à La Haye le 16 décembre 1970, ou la Convention internationale contre la prise d’otages, adoptée à New York le 17 décembre 1973). En fait, la plupart de ces conventions ne s’appliquent pas aux conflits armés et n’entrent donc pas en ligne de compte dans le contexte des conflits armés en cours en Syrie et en Irak et du phénomène des combattants étrangers 
			(15) 
			Voir l’article de M. Scheinin,
note de bas de page no 10 ci-dessus.. De plus, des actes qui sont normalement considérés comme des actes de terrorisme en temps de paix seraient aussi interdits en tant que crimes de guerre en droit international humanitaire, ce qui fait encore plus douter de l’utilité d’un protocole additionnel à la Convention no 196. Comme l’a fait observer M. Scheinin 
			(16) 
			Ibid., les dispositions du projet de protocole additionnel ne seraient pas applicables aux personnes qui quittent l’Europe pour se rendre dans des zones de conflit, comme la Syrie ou l’Irak, et même si elles l’étaient en principe lorsqu’elles rentrent dans leur pays (européen), il serait très difficile de les mettre en œuvre dans la pratique, car le ministère public devrait prouver l’intention de ces personnes de commettre des infractions terroristes à leur retour.
11. Sans préjuger de l’utilité du projet de protocole additionnel ni de la probabilité de son application future, je suis convaincu de la nécessité de clarifier le champ des infractions terroristes et l’application du droit international humanitaire, sur lesquels portent déjà des dispositions de la convention proprement dite (respectivement aux articles 1 et 26, paragraphes 4 et 5). La relation entre le projet de protocole additionnel et la Convention no 196 serait régie par l’article 9 du projet de protocole additionnel («Les termes et expressions employés dans le présent Protocole doivent être interprétés au sens de la convention. Pour les Parties, toutes les dispositions de la convention s’appliquent en conséquence, à l’exception de l’article 9.»); l’application de l’article 9 de la convention, qui porte sur les infractions accessoires, a été exclue, car les articles 2 à 6 du projet de protocole additionnel érigent certaines de ces infractions en infractions pénales. Il est très important de souligner que la Convention no 196 s’applique, car cela clarifiera le rapport entre son application et celle du droit international humanitaire (voir le paragraphe 26.5 de la convention qui exclut l’application de cette dernière aux activités des forces armées en période de conflit armé) et le sens de l’expression «infraction terroriste» définie à l’article premier de la convention.
12. Je souhaiterais en conséquence proposer de reformuler la deuxième phrase de l’article 9 du projet de protocole additionnel de la manière suivante: «Pour les Parties, toutes les dispositions du présent Protocole sont considérées comme des articles additionnels à la Convention et s’appliquent en conséquence, à l’exception de l’article 9» (voir, par exemple, les Protocoles additionnels à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) dont les formulations sont analogues).

3.2. Observations spécifiques

13. Les actes incriminés dans le projet de protocole additionnel relèvent principalement de la préparation d’actes terroristes (par exemple, se rendre à l’étranger à des fins de terrorisme). De plus, il est proposé d’incriminer toute tentative de se rendre à l’étranger à des fins de terrorisme (article 4.3), comme le requiert la Résolution 2178 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Dans leurs communications, Amnesty International et la Commission internationale de juristes déplorent l’absence d’un lien de causalité suffisamment direct avec l’acte criminel principal (constituant une infraction terroriste). Ils regrettent également que ne soit pas exigée une intention claire et sans ambiguïté de commettre tous les éléments d’une infraction.
14. Le projet de rapport explicatif du projet de protocole additionnel précise que «[l]’obligation d’ériger, lorsque cela est nécessaire, certains comportements en infractions pénales n’oblige pas les Parties à établir des infractions indépendantes dans la mesure où, en vertu du système juridique pertinent, ces actes peuvent être considérés comme des actes préparatoires à la commission d’infractions terroristes ou sont incriminés en vertu d’autres dispositions, y compris celles liées à la tentative» (paragraphe 21). Concernant l’article 4.3, «[l]’infraction de tentative doit être établie, non seulement en vertu, mais également en conformité avec le droit interne d’une Partie. Les Parties peuvent choisir d’incriminer la tentative de voyager, en vertu de dispositions existantes, comme un acte préparatoire ou une tentative de commettre l’infraction terroriste principale» (paragraphe 53). Pour ce qui est de la question de l’intention, les infractions définies aux articles 2 à 6 du projet de protocole additionnel doivent être commises «intentionnellement» et requièrent un élément subjectif supplémentaire – soit un but terroriste (articles 2 à 4), soit la connaissance du but terroriste (articles 5 et 6). Je comprends parfaitement que les organisations non gouvernementales (ONG) s’inquiètent pour la sécurité juridique en relation avec de nouvelles infractions pénales, mais beaucoup dépendra de la façon dont les Etats parties appliquent le protocole. Compte tenu de la diversité des législations pénales nationales, certaines dispositions du projet de protocole additionnel n’obligeront pas nécessairement les Etats à créer de nouvelles infractions dans leur Code pénal si celui-ci incrimine comme il convient la préparation d’une infraction pénale ou la tentative de commission d’une infraction pénale. La pratique fera aussi apparaître les difficultés auxquelles pourraient se heurter les autorités de poursuite pour prouver l’existence de l’intention de commettre les infractions définies dans le projet de protocole additionnel.
15. Etant donné les conséquences que toute nouvelle disposition de droit pénal pourrait avoir pour le respect des droits de l’homme, je souhaite proposer, outre l’ajout d’une référence à l’Avis de l’Assemblée dans le préambule du texte qui sera adopté, deux autres amendements au dispositif, afin de tenir compte des préoccupations à ce sujet exprimées par diverses parties prenantes au cours de l’élaboration du texte.
  • Je proposerais d’ajouter à la fin de l’article premier les mots suivants: «, et de leurs obligations en vertu du droit international des droits de l’homme»;
  • Au paragraphe 1 de l’article 8, je proposerais, après l’adverbe «notamment», d’ajouter les mots «le droit à un procès équitable, le principe de sécurité juridique,»; après les mots «la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales», d’ajouter «et dans ses Protocoles additionnels»; et après les mots «le Pacte international relatif aux droits civils et politiques», d’ajouter «, dans la Convention relative aux droits de l’enfant».
16. Ces modifications visent à renforcer les clauses relatives aux droits de l’homme figurant à l’article premier et au paragraphe 1 de l’article 8 du projet de protocole additionnel. Concernant le premier amendement, il convient de mentionner explicitement les obligations juridiques internationales relatives au respect des droits de l’homme afin de montrer l’engagement des Etats à respecter les droits de l’homme dans leur lutte contre le terrorisme.
17. Concernant le second amendement, je propose de mentionner expressément le droit à un procès équitable (inscrit à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme) et le principe de sécurité juridique (inscrit à l’article 7 de la Convention). Le droit à un procès équitable, et en particulier le principe de la présomption d’innocence, revêtent une importance cruciale dans le contexte de l’incrimination de certains comportements susceptibles de conduire à commettre des actes terroristes, mais qui ne sont pas manifestement liés à de tels actes, comme le fait de se rendre à l’étranger. Vu qu’il pourrait s’avérer très difficile pour le ministère public de prouver l’intention de commettre un acte terroriste dans de telles circonstances, les droits garantis par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme doivent prévaloir. De même, il convient d’insister sur le principe de sécurité juridique – nulla poena sine lege –, car le protocole additionnel peut obliger les Etats Parties à modifier leur législation pénale (voir aussi les raisons invoquées au paragraphe 14 ci-dessus). Par ailleurs, il convient, à mon avis, d’ajouter une référence aux Protocoles additionnels à la Convention européenne des droits de l’homme qui énoncent d’autres droits de l’homme d’une importance cruciale dans ce contexte. En particulier, l’instauration de l’infraction consistant à «se rendre à l’étranger à des fins de terrorisme» risque de remettre en cause la liberté de circulation et le droit de quitter n’importe quel pays, y compris le sien 
			(17) 
			Pour
des informations plus détaillées sur la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’homme concernant ce droit, voir par exemple
le document thématique sur «le droit de quitter un pays», publié
en 2013 par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe., garanti par l’article 2 du Protocole no 4 à la Convention européenne des droits de l’homme. Bien que ces droits ne soient pas absolus, toute restriction qui leur est appliquée (dans le cadre d’une enquête pénale), comme l’interdiction de voyager ou le retrait du passeport, doit être conforme aux critères établis dans cette disposition telle qu’interprétée par la Cour européenne des droits de l’homme. En outre, je propose d’ajouter une référence à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant de 1990, car le phénomène des «combattants étrangers» concerne – dans une certaine mesure – des personnes âgées de moins de 18 ans dont les droits, dans le cadre d’une procédure pénale, doivent faire l’objet d’une protection spéciale.
18. Enfin, et ce n’est pas le moins important, je voudrais soulever d’autres problèmes touchant au respect des droits de l’homme dans le contexte des incriminations prévues aux articles 2 à 6 du projet de protocole additionnel. La privation de la nationalité (même si la personne concernée possède d’autres nationalités) dans le contexte de l’incrimination de toute forme de contribution à la commission d’une infraction terroriste soulève de graves préoccupations sous l’angle du droit à une nationalité et de l’obligation juridique internationale des Etats d’éviter l’apatridie. Les Etats devraient toujours faire tout leur possible pour offrir des garanties suffisantes contre l’apatridie 
			(18) 
			Voir
par exemple la Résolution 1989 (2014) de l’Assemblée sur l’accès à la nationalité et la mise
en œuvre effective de la Convention européenne sur la nationalité,
adoptée le 9 avril 2014.. De plus, aucune mesure prise par les Etats dans le cadre de la mise en œuvre du protocole additionnel (s’il est adopté) – comme l’ouverture de poursuite pénales contre un individu – ne doit être fondée uniquement sur le critère de son origine ethnique ou de sa nationalité, car cela serait discriminatoire.