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Rapport | Doc. 13870 | 14 septembre 2015

Egalité et coresponsabilité parentale: le rôle des pères

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteure : Mme Françoise HETTO-GAASCH, Luxembourg, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13443, Renvoi 4039 du 11 avril 2014. 2015 - Quatrième partie de session

Résumé

En Europe, le partage des responsabilités entre les femmes et les hommes au sein des familles a connu des évolutions remarquables dans le sens d’un plus grand équilibre. Toutefois, les pères se trouvent parfois confrontés à des législations, des pratiques et des stéréotypes de genre sur les rôles assignés à la femme et à l’homme qui peuvent aboutir à les priver de relations suivies avec leurs enfants. Or, le fait pour un parent et son enfant d’être ensemble constitue un élément essentiel de la vie familiale qui est protégée par la Convention européenne des droits de l’homme. Seules des circonstances exceptionnelles et particulièrement graves au vu de l’intérêt de l’enfant devraient pouvoir justifier une séparation, ordonnée par un juge.

La résidence des enfants et les droits de visite peuvent s’avérer des questions particulièrement sensibles et être source de conflits lorsque les parents se séparent. Les Etats sont appelés à introduire la résidence alternée ou, le cas échéant, à en faire un plus grand usage de ce qui est souvent la meilleure alternative pour préserver le lien entre l’enfant et ses parents. La résidence alternée doit toutefois être mise en œuvre avec discernement et en ayant toujours à l’esprit l’intérêt de l’enfant. L’exécution des décisions relatives à la résidence et aux droits de visite doit également être mieux assurée par les Etats.

Il conviendrait de recourir plus largement à la médiation familiale et de garantir l’égalité juridique effective des parents, quelle que soit leur situation matrimoniale. Enfin, il est rappelé que les parents ont certes des droits mais qu’ils ont surtout des obligations et des responsabilités vis-à-vis de leurs enfants.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l'unanimité par la commission le 10 septembre
2015.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire a de manière constante promu l’égalité entre les femmes et les hommes dans la vie professionnelle et dans la sphère privée. Des évolutions importantes, bien que toujours insuffisantes, peuvent être constatées dans ce domaine dans la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe. En matière familiale, l’égalité entre les parents doit être garantie et promue dès l'arrivée de l'enfant. L’implication des deux parents dans l’éducation de leur enfant est bénéfique à son développement. Le rôle des pères auprès de leurs enfants, y compris en bas âge, doit être mieux reconnu et valorisé.
2. La coresponsabilité parentale implique que les parents ont vis-à-vis de leurs enfants des droits, des devoirs et des responsabilités. Or, il apparaît que les pères se trouvent parfois confrontés à des législations, des pratiques et des préjugés qui peuvent aboutir à les priver de relations suivies avec leurs enfants. Dans sa Résolution 1921 (2013) «Egalité des sexes, conciliation vie privée-vie professionnelle et coresponsabilité», l’Assemblée appelait les autorités publiques des Etats membres à respecter le droit des pères à la coresponsabilité en assurant que le droit de la famille prévoit, en cas de séparation ou de divorce, la possibilité d’une garde conjointe des enfants, dans le meilleur intérêt de ceux-ci, sur la base d’un accord commun entre les parents.
3. L’Assemblée tient à rappeler que le respect de la vie familiale est un droit fondamental consacré par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5) et de nombreux instruments juridiques internationaux. Le fait pour un parent et son enfant d’être ensemble constitue un élément essentiel de la vie familiale. Une séparation entre un parent et son enfant a des effets irrémédiables sur leurs relations. Seules des circonstances exceptionnelles et particulièrement graves au vu de l'intérêt de l'enfant devraient pouvoir justifier une séparation, ordonnée par un juge.
4. L’Assemblée est par ailleurs convaincue que le développement de la coresponsabilité parentale contribue à dépasser les stéréotypes de genre sur les rôles prétendument assignés à la femme et à l’homme au sein de la famille et ne fait que refléter les évolutions sociologiques observées depuis un demi-siècle en matière d’organisation de la sphère privée et familiale.
5. Au vu de ces considérations, l’Assemblée appelle les Etats membres:
5.1. à signer et/ou ratifier, s’ils ne l’ont pas déjà fait, la Convention sur l’exercice des droits des enfants (STE no 160) et la Convention sur les relations personnelles concernant les enfants (STE no 192);
5.2. à signer et/ou ratifier, s’ils ne l’ont pas déjà fait, la Convention de La Haye de 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants et en assurer l'application effective, notamment en veillant à la coopération et la réaction rapide des autorités chargées de son exécution;
5.3. à assurer l'égalité effective des parents vis-à-vis de leurs enfants tant dans leur législation que dans les pratiques administratives afin de garantir à chaque parent le droit d'être informé et de participer aux décisions importantes pour la vie et le développement de leur enfant, dans le meilleur intérêt de celui-ci;
5.4. à éliminer des législations toute différence entre les parents ayant reconnu leur enfant basée sur leur statut matrimonial;
5.5. à introduire dans leur législation le principe de la résidence alternée des enfants après une séparation, mais en aucun cas dans les situations de violences sexuelles ou basées sur le genre, et en aménageant le temps de résidence en fonction des besoins et de l’intérêt des enfants;
5.6. à respecter le droit de l’enfant d’être entendu pour toutes les affaires le concernant dès lors qu’il est censé être capable de discernement pour ce qui est des affaires en question;
5.7. à prendre en compte le mode de résidence alternée dans l’attribution des prestations sociales;
5.8. à prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la pleine exécution des décisions relatives à la résidence des enfants et aux droits de visite, notamment en donnant suite aux plaintes relatives à la non-représentation d'enfants;
5.9. à encourager et, le cas échéant, développer la médiation dans le cadre des procédures judiciaires en matière familiale impliquant des enfants, notamment en instituant une séance d’information obligatoire ordonnée par un juge, en veillant à ce que les médiateurs reçoivent une formation appropriée et en favorisant une coopération pluridisciplinaire inspirée du modèle dit de Cochem;
5.10. à veiller à ce que les professionnels en contact avec les enfants lors des procédures judiciaires familiales aient reçu la formation interdisciplinaire nécessaire sur les droits et les besoins spécifiques des enfants de différentes catégories d’âge, ainsi que sur les procédures adaptées à ces derniers, conformément aux Lignes directrices du Conseil de l’Europe sur une justice adaptée aux enfants;
5.11. à encourager l’élaboration de plans parentaux qui permettent aux parents de définir eux-mêmes les principaux aspects de la vie de leur enfant et introduire la possibilité pour les enfants de demander la révision des arrangements les concernant directement, en particulier leur lieu de résidence;
5.12. à instaurer un congé parental payé dont les pères peuvent bénéficier, en privilégiant le modèle des périodes de congés incessibles.

B. Exposé des motifs, par Mme Hetto-Gaasch, rapporteure

(open)

1. Introduction

«Il faut examiner l’évolution du rôle des hommes dans la société, en tant que garçons, adolescents et pères, ainsi que les problèmes auxquels se heurtent les garçons qui grandissent dans le monde d’aujourd’hui. Nous continuerons de prôner le principe de la responsabilité partagée des parents pour ce qui est d’éduquer et d’élever les enfants, et mettrons tout en œuvre pour veiller à ce que les pères aient la possibilité de participer à la vie de leurs enfants.»
(Résolution S-27/2 de l’Assemblée Générale des Nations Unies, Un monde digne des enfants, 2002).

1. Le partage des responsabilités entre les femmes et les hommes au sein des familles a connu des évolutions remarquables ces dernières décennies dans le sens d’un plus grand équilibre. L’égalité au sein du couple a été au cœur de l’émancipation des femmes du modèle patriarcal qui les cantonnait au foyer. Toutefois, il apparaît aujourd’hui que la place des pères vis-à-vis de leurs enfants ne fait pas toujours l’objet d’une attention suffisante de la part des autorités nationales, notamment en raison de la persistance de stéréotypes sur les rôles de la femme et de l’homme dans les relations avec les enfants.
2. Alors que l’implication plus grande des hommes dans le foyer et la famille est généralement perçue favorablement, j’ai observé qu’au moment des séparations des couples, le rôle des pères vis-à-vis des enfants est souvent considéré comme secondaire par rapport à celui de la mère. Tout se passerait comme si l’implication du père, tant souhaitée et valorisée lorsque la famille est unie, ne le serait plus lorsque le couple se sépare. Il en résulte, dans la pratique, que l’exercice de la responsabilité parentale est le plus souvent dévolu à la mère, parfois au détriment du père, dans les cas de divorce et de séparation. 
3. Lors de la préparation de ce rapport, j’ai entendu le témoignage de nombreux pères pour lesquels la séparation de leurs enfants est une grande souffrance. A travers leurs histoires, j’ai aussi entendu l’histoire d’enfants pris dans les conflits entre leurs parents, parfois instrumentalisés et coupés de la relation avec l’un de leurs parents. Dans ces histoires, l’intérêt de l’enfant qui est si souvent mis en avant semblait bien théorique.
4. Les réactions suscitées par ce rapport, dont le titre initial faisait référence «aux droits des pères», ont été très instructives. Il m’a été souvent dit que la résidence alternée des enfants ne doit pas être accordée dans les cas avérés de violence conjugale, que le paiement des pensions alimentaires par les pères doit être exigé, que les pères n’ont pas de «droits» sur leurs enfants et que l’intérêt de l’enfant doit être dûment pris en compte dans les affaires familiales. Je suis totalement d’accord avec ces affirmations. La violence conjugale est certainement le signe d’une situation hautement conflictuelle qui ne convient pas à la résidence alternée, laquelle suppose une entente des parents sur les conditions de vie de leurs enfants. Il va de soi que l’obligation d’entretien des parents vis-à-vis de leurs enfants doit être exécutée. Il convient toutefois de garder à l’esprit que le rôle du père ne doit être uniquement celui de pourvoir à leurs besoins matériels et que les relations personnelles des enfants avec leur père doivent également être préservées. Je voudrais également appeler les pères à assumer pleinement leur rôle et leurs responsabilités vis-à-vis de leurs enfants, y compris lorsque leur situation familiale ou personnelle change.
5. L’intérêt de l’enfant a guidé toute la préparation de ce rapport. Je suis convaincue que, à l’exception de circonstances particulièrement graves, il est de l’intérêt des enfants de maintenir des liens avec leurs deux parents. Progresser vers une meilleure prise en compte des pères dans ce domaine est un moyen de réaliser la pleine égalité des hommes et des femmes et de dépasser les stéréotypes de genre. Mon objectif principal à travers ce rapport est ainsi d’identifier des bonnes pratiques et de proposer des mesures équilibrées pour promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes dans l’exercice de la coresponsabilité parentale, tout en veillant à ce que l’intérêt de l’enfant soit respecté.

2. Tendances récentes en matière de coresponsabilité parentale

6. En Europe, la répartition des rôles entre les hommes et les femmes a indéniablement évolué vers plus d’égalité. Dans sa Recommandation CM/Rec(2007)17 sur les normes et mécanismes d’égalité entre les femmes et les hommes, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe soulignait que «l’importance sociale de la maternité et de la paternité ainsi que le rôle des deux parents dans l’éducation des enfants doivent être pris en compte pour garantir que les droits de la personne, tant des femmes que des hommes, sont pleinement et également respectés». Dans le domaine familial, les femmes et les hommes doivent ainsi «avoir les mêmes droits et responsabilités en tant que parents, indépendamment de leur statut matrimonial, y compris s’agissant des dispositions sur l’entretien économique des enfants, les responsabilités parentales et les relations personnelles avec les enfants en cas de séparation» 
			(2) 
			Paragraphe 23.vii.. Le développement de la notion de coresponsabilité parentale témoigne précisément de cette évolution.

2.1. Définitions

7. La notion de «coresponsabilité parentale» a été développée au sein du Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales pour marquer l’évolution observée ces dernières décennies vers un partage plus grand des responsabilités entre les femmes et les hommes au sein du foyer. Le développement de cette notion s’inscrit dans le cadre plus général de travaux relatifs aux droits des enfants et à la parentalité.
8. L’article 18 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant rappelle le principe selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour élever l’enfant et assurer son développement. L’égalité juridique des parents est une condition préalable essentielle à l’exercice conjoint des responsabilités parentales. Une évolution nette en faveur de l’égalité des parents a été observée dans la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe à partir des années 70. Il est intéressant de relever à cet égard qu’en 1975, la Convention sur le statut juridique des enfants nés hors mariage (STE no 85) prévoyait à l’article 7 que «[l]orsque la filiation d'un enfant né hors mariage est établie à l'égard des deux parents, l'autorité parentale ne peut être attribuée de plein droit au père seul.» L’objectif poursuivi en 1975 était ainsi de protéger les droits de la mère. A cette époque, les notions de «chef de famille» ou de «puissance paternelle» figuraient, par exemple, dans le code civil français ou celle du père en tant que «gardien naturel de son enfant légitime» 
			(3) 
			La
disposition selon laquelle «A father is the natural guardian of
his legitimate child» a été retirée de la législation en 1989 (Children
Act).  dans la législation britannique. Or, nous constatons aujourd’hui que dans la plupart des pays européens l’autorité parentale tend à être dévolue aux deux parents. L’Islande offre une parfaite illustration de cette évolution: alors qu’en 1994 l’autorité parentale était exercée conjointement dans seulement 10 % des cas après une séparation, cela concernait 90 % des cas en 2011 
			(4) 
			La loi no 73/2003
sur les enfants, telle que modifiée en 2006 par la loi no 69/2006,
dispose que les parents acquièrent automatiquement l’autorité parentale
conjointe après un divorce ou la rupture d’une cohabitation enregistrée,
à moins qu’il n’en soit décidé autrement (article 31). Avant 2006,
les parents devaient parvenir à un accord pour exercer ensemble l’autorité
parentale. A défaut, elle était attribuée à un seul des deux parents..
9. Dès 1984, le Comité des Ministres adoptait Recommandation N° R (84) 4 sur les responsabilités parentales dans laquelle il soulignait la nécessité d’améliorer les régimes légaux existants en vue de protéger l’enfant et promouvoir son développement tout en garantissant l’égalité juridique entre les parents. Dans cette recommandation, les responsabilités parentales étaient définies comme «l’ensemble des pouvoirs et devoirs destinés à assurer le bien-être moral et matériel de l’enfant, notamment en prenant soin de la personne de l’enfant, en maintenant des relations personnelles avec lui, en assurant son éducation, son entretien, sa représentation légale et l’administration de ses biens». Cette définition s’est affinée au fil des années de travaux et de recherche mais les principes fondamentaux restent identiques.
10. Les responsabilités parentales désignent ainsi un ensemble d’obligations et de droits qui visent à promouvoir et à protéger les droits et le bien-être de l’enfant. Il convient toutefois de préciser que certains Etats membres préfèrent utiliser la notion d’«autorité parentale», comme par exemple l’Allemagne (elterliche Sorge), l’Italie (potestà genitoriale) ou la France, voire de «garde» comme cela est le cas au Canada et aux Etats-Unis. En revanche, d’autres pays, comme par exemple le Royaume-Uni, utilisent les termes de «responsabilité parentale» (parental responsibility). Le système juridique suisse connaît quant à lui les deux notions: la «responsabilité parentale» est ainsi utilisée comme terme générique se référant à l’ensemble des obligations des parents à l’égard des enfants et englobe, d’une part, l’autorité parentale et, d’autre part, l’obligation d’entretien. Dans ce contexte, «l’autorité parentale» comprend l’ensemble des droits et devoirs des parents envers les enfants. Cette différence d’approche terminologique complique la comparaison des législations et pratiques en vigueur, mais également la définition de règles communes aux Etats membres du Conseil de l’Europe.
11. Aux fins du présent rapport, je voudrais retenir une acception générale de la notion de responsabilité parentale, contenue dans une recommandation récente du Comité des Ministres, et qui désigne «un ensemble d’obligations, de droits et de prérogatives qui visent à promouvoir et à protéger les droits et le bien-être de l’enfant, en fonction du développement de ses capacités» 
			(5) 
			Recommandation CM/Rec(2015)4
du Comité des Ministres relative à la prévention et à la résolution
des conflits sur le déménagement des enfants, adoptée le 11 février
2015.. Ces obligations, droits et prérogatives incluent notamment la santé et le développement de l’enfant, ses relations personnelles, son éducation, la représentation légale, la détermination de sa résidence habituelle ou encore l’administration de ses biens. Par conséquent, je m’attacherai dans ce rapport à employer le terme de «responsabilité parentale». Toutefois, lorsque j’examinerai les pratiques de certains Etats membres, j’emploierai la terminologie en usage dans ces pays, comme par exemple «autorité parentale» s’agissant de l’Allemagne et de la France.
12. Le présent rapport consacre de longs développements à la résidence alternée des enfants à la suite d’une séparation ou d’un divorce. Aux fins de ce rapport, cette notion de «résidence alternée» désigne une modalité de résidence de l’enfant selon laquelle celui-ci réside de manière alternée avec chacun de ses parents pour des périodes plus ou moins égales, qui peuvent être fixées en jours ou en semaines, voire en mois. D’autres termes sont employés pour désigner cette modalité de vie de l’enfant: garde partagée, garde alternée, voire résidence égalitaire ou paritaire. Par opposition, la résidence dite «exclusive» consiste à fixer la résidence de l’enfant au domicile d’un seul de ses parents, l’autre parent ayant un droit de visite plus ou moins étendu.
13. Une confusion terminologique est entretenue par le fait que certains systèmes juridiques utilisent les termes de «garde» (custody) pour désigner la responsabilité ou autorité parentale, laquelle peut être «conjointe» (joint custody) ou «exclusive» (sole custody), et ceux de «garde partagée» (shared custody au Canada ou joint physical custody aux Etats-Unis) pour désigner les modalités de résidence de l’enfant. Or, le concept de garde (au sens de «résidence») doit être distingué de celui de responsabilité ou autorité parentale. En effet, la résidence d’un enfant chez un seul de ses parents n’implique pas l’autorité parentale exclusive. Le fait qu’un enfant vive avec l’un de ses parents ne doit pas priver l’autre parent de son droit d’être associé aux décisions importantes pour la vie de l’enfant, telles que sa santé ou sa scolarité. Ainsi, afin d’éviter toute confusion, je m’attacherai à utiliser, dans toute la mesure du possible, le terme de «résidence alternée» plutôt que celui de «garde».

2.2. Les relations personnelles des enfants après une séparation

14. En Europe, plus de 10 millions d’enfants sont issus de couples divorcés. La question des relations personnelles de ces enfants avec leurs deux parents est essentielle pour eux. La Convention de 2003 du Conseil de l’Europe sur les relations personnelles des enfants (STE no 192) souligne ainsi le droit des enfants et de leurs parents d'entretenir des relations personnelles et des contacts directs de façon régulière. La Cour européenne des droits de l’homme a également maintes fois rappelé que pour un parent et son enfant, être ensemble constitue un élément essentiel de la vie familiale qui est protégée par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) 
			(6) 
			Pour un arrêt récent,
voir Kuppinger c. Allemagne,
Requête no 62198/11, arrêt du 15 janvier
2015, paragraphe 99. Voir également: Monory
c. Roumanie et Hongrie, Requête no 71099/01,
arrêt du 5 avril 2005, paragraphe 70; Tsikakis
c. Allemagne, Requête no 1521/06,
arrêt du 10 février 2011, paragraphe 74..
15. La résidence alternée se définit comme un arrangement en vertu duquel les enfants de parents séparés ou divorcés passent quasiment autant de temps chez chaque parent après la séparation, c’est-à-dire au moins 35 % (voire 50%) chez un parent. Je me suis posée la question de savoir s’il existe ou non un vrai bénéfice pour les enfants qui passent au moins 35 % avec chaque parent, en comparaison avec ceux qui vivent principalement chez leur mère et passent moins de 35 % avec leur père. Je me suis ainsi demandé quel type d’arrangement est le plus favorable pour les enfants.
16. Afin de trouver des réponses, j’ai étudié la synthèse faite par le Dr Linda Nielsen de 40 études relatives à ce sujet 
			(7) 
			L. Nielsen, «Shared
Residential Custody: Review of the Research», American
Journal of Family Law, 2013., ainsi que différentes analyses faites en Allemagne, en Belgique, en France et en Suisse. Il convient de préciser que le Dr Nielsen souligne que ces 40 études ont des limites à prendre en considération et notamment le fait que les enfants dont les parents disposent de revenus confortables et qui ont le moins de conflits entre eux auront probablement le moins de problèmes après la séparation de leurs parents. Or, seulement 16 des 40 études prennent ces données en compte. Il serait faux malgré tout d’en conclure que ces deux facteurs importent davantage que le facteur de la résidence alternée.
17. Les effets positifs de la résidence alternée ont été soulignés dans de nombreuses études. Aux Etats-Unis, l’étude la plus importante en la matière, réalisée dans les années 1980 (Stanford Custody Project), a analysé pendant quatre années la situation de 1 386 enfants âgés de 4 à 16 ans, issus de 1 100 familles divorcées. L’étude conclut qu’en comparaison avec les jeunes vivant principalement avec leur mère, les enfants vivant en résidence alternée étaient moins dépressifs, présentaient un comportement bien adapté, étaient moins stressés car ils ne se sentaient pas obligés de prendre soin de leur mère, étaient moins agités, savaient mieux gérer des conflits, étaient plus équilibrés et plus heureux, montraient moins de problèmes de santé et avaient une meilleure relation avec leurs deux parents. Leur père était beaucoup plus présent à des évènements à l’école et les enfants avaient l’impression que leurs parents avaient tous les deux le même poids en termes d’autorité.
18. Des résultats similaires ressortent d’études menées en Belgique, en France, aux Pays-Bas, en Norvège et en Suède. En Australie, une étude de 2009 soulignait que 70 % à 80 % des parents ayant opté pour la résidence alternée se disaient satisfaits de leur choix, mais surtout que la résidence alternée profite aux parents et aux enfants et que les enfants en tirent un vrai bénéfice 
			(8) 
			Australian Institute
of Family Studies, «The AIFS evaluation of the 2006 family law reforms.
A summary», R. Kaspiew et autres, 2009..
19. En Allemagne, le Professeur Hildegund Sünderhauf-Kravets souligne que 40 % des enfants perdent le contact avec le parent avec lequel ils ne vivent pas quelques années après la séparation ou le divorce et que 93 % des jeunes adultes ayant expérimenté la résidence alternée affirment qu’il s’agissait de la meilleure solution pour eux 
			(9) 
			H. Sünderhauf, «Shared parenting, psychology – law – best
practice», Springer VS, Wiesbaden, 2013..
20. Lors de l’audition organisée le 20 mars 2015 par la commission sur l’égalité et la non-discrimination, le Professeur Sünderhauf-Kravets a indiqué que la résidence alternée permet, d’une part, qu’il n’y ait plus de parent isolé et, d’autre part, un partage des responsabilités juridiques, éducationnelles et pratiques. Elle a en effet observé que la résidence au domicile d’un seul parent (soit la mère dans la majorité des cas) perpétue des rôles parentaux dépassés en surchargeant la femme de responsabilités. Les effets de la résidence alternée seraient ainsi majoritairement positifs, tant pour l’enfant que pour les parents. Les études sociologiques démontrent que le bien-être de l’enfant en cas de résidence alternée est souvent similaire à son bien-être dans une famille unie, de même que son attachement à chacun de ses parents. Il ressort également de ces études que les parents ont tous les deux la possibilité d’être actifs, ce qui leur permet de générer plus de revenus. Il apparaît ainsi que la résidence alternée est la plupart du temps la meilleure alternative pour préserver le lien avec le père et les droits des deux parents.
21. S’agissant des relations enfant–père, une étude de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui a analysé la situation d’enfants de différents pays âgés de 11, 13 et 15 ans, a conclu que le niveau de satisfaction des enfants est étroitement lié à leur possibilité de bien pouvoir communiquer avec leur père et ceci indépendamment de la situation familiale (intacte, résidence alternée, situation financière, etc.) 
			(10) 
			C.
Currie et al., eds., «Social determinants of health and well-being
among young people. Health Behaviour in School-aged Children (HBSC)
study: international report from the 2009/2010 survey», Copenhagen,
WHO Regional Office for Europe, 2012 (Health Policy for Children
and Adolescents, No. 6), p. 23 ss.. Il est ainsi très important de reconnaître le rôle des pères dans le développement harmonieux de leurs enfants.
22. Une étude précédente du Dr Nielsen montre également que la relation fille–père se trouve plus endommagée que la relation fils–père après le divorce. Il apparaît en effet que la résidence alternée a des effets plus importants pour les filles que pour les garçons. Bien que les filles se trouvent plus vite mêlées aux conflits de leurs parents, le fait de vivre régulièrement avec leur père les amène à se sentir moins responsables du bien-être de leur mère. Les garçons ont plus de facilité à ne pas se sentir impliqués dans les conflits des parents. Une étude menée aux Pays-Bas a également montré que dans des familles à haut potentiel de conflit, la résidence alternée est mieux adaptée aux garçons qu’aux filles.
23. D’une manière générale, il peut être affirmé que la résidence alternée a plus d’effets bénéfiques que la résidence chez un seul parent, ceci en termes de bien-être psychologique, émotionnel et social, de santé physique et de maladies liées au stress. De plus, et ceci semble le plus important, les enfants ont des relations plus intenses avec leur père, une plus grande facilité de communiquer avec lui.
24. S’agissant des enfants en bas âge, la question se pose souvent de savoir s’il existe un effet bénéfique ou néfaste pour les tout petits (de 0 à 4 ans) de passer la nuit alternativement chez l’un et l’autre parent. Une étude faite en Australie indique clairement que le «overnighting» n’a pas d’effet négatif sur les plus jeunes et qu’il y a un effet bénéfique pour les enfants de 4 à 6 ans, surtout pour les filles. Une résidence alternée bien organisée et rigoureusement respectée, ainsi qu’une bonne relation avec chaque parent, a plus d’impact que le fait que les enfants passent la nuit chez les deux parents.
25. Lors la préparation de ce rapport, j’ai tenu également à entendre des points de vue critiques sur la résidence alternée. S’agissant des enfants de moins de 4 ans, il est parfois avancé que le bon développement affectif de l’enfant nécessite de favoriser la stabilité du lien à la mère et d’éviter au maximum des séparations mère‑bébé répétées et prolongées, mais que des rencontres fréquentes avec le père peuvent être organisées 
			(11) 
			C. Frisch-Desmarez,
M. Berger, Garde alternée: les besoins
de l’enfant, Editions Fabert, Bruxelles, 2014, p. 17.. Je note avec beaucoup d’intérêt que ces critiques n’excluent cependant pas totalement la possibilité d’une résidence alternée voire proposent de recourir à un plan d’hébergement parental progressif à revoir en fonction du développement de l’enfant 
			(12) 
			Ibid.,
p. 18 et 57ss. et qui doit être respecté rigoureusement par les deux parents.
26. Les critiques de la résidence alternée sont souvent vigoureuses et mettent en avant, d’une part, l’intérêt de l’enfant et, d’autre part, l’effet déstabilisant de ce mode de résidence. Il a toutefois été observé que «les études les plus récentes démontrent (…) que ce n’est pas tant le type de garde qui compte mais les conditions dans lesquelles celle-ci s’exerce (…). Le contexte et les dynamiques familiales doivent être évaluées cas par cas puisque aucun modèle de garde unique convient à tous» 
			(13) 
			F. Cyr, «Sortir d’une
vision manichéenne pour penser la complexité», in G. Neyrand et
C. Zaouche Gaudron (dir.), Le livre blanc
de la résidence alternée, Editions Eres, 2014, p. 33..
27. La phase de transition d’un parent à l’autre est particulièrement délicate et le climat dans lequel ce passage de bras se fait a beaucoup d’importance pour les enfants 
			(14) 
			Voir
notamment en ce sens, C. Zaouche Gaudron, «Toutes nos réponses sont
limitées», in G. Neyrand et C. Zaouche Gaudron (dir.), précité,
p. 29-30.. J’ai été très choquée d’entendre que des parents déshabillent leur enfant sur le palier de leur ex-conjoint afin que les vêtements de leur enfant ne soient pas partagés. J’ai conscience que la séparation d’un couple est un moment douloureux et que la résidence alternée oblige les parents à se voir régulièrement et peut raviver des souffrances personnelles. Toutefois, je pense que les parents doivent faire preuve de responsabilité et agir avec respect à l’égard de leur enfant et en prenant en compte ses besoins.
28. Pour conclure ce point, je dois mentionner le fait que, sous certaines circonstances, le bénéfice de la résidence alternée est réduit, sans pour autant disparaître complètement. Ceci est le cas:
  • si les parents sont en conflit permanent. Dans ce cas, ce sont surtout les filles qui se sentent prises entre les deux parents, mais qui se sentent quand même proches de leur père, ne se sentant pas obligées de devoir prendre soin de leur mère;
  • si la relation avec le père ou la mère est mauvaise;
  • pour les adolescents qui se plaignent des inconvénients de devoir vivre dans deux foyers. Pourtant, ils disent également que ces inconvénients valent la peine, parce que la situation leur permet de garder le contact avec les deux parents;
  • si la distance géographique entre les deux foyers est trop grande.
29. Ainsi, si des facteurs tels que le revenu de la famille, le niveau d’éducation des parents, la qualité de la relation parent–enfant ou le niveau de conflit entre les parents ont une influence, je suis convaincue que la résidence alternée influence de manière déterminante le bien-être de l’enfant. Je voudrais également souligner que les enfants vivant en résidence alternée tissent des relations plus intenses et durables avec leur père. En effet, si nous pouvons tous être d’accord sur le fait que ce n’est pas le temps passé qui est décisif dans le processus d’attachement mais la qualité de la relation, il faut bien admettre avec le psychologue clinicien Gérard Poussin que «pour avoir une qualité de relation… il faut une relation ! Donc un minimum de temps passé en deçà duquel il n’est plus possible d’engager un processus d’attachement. On ne peut pas prétendre respecter la place du père tout en rendant impossible la création du lien entre l’enfant et lui» 
			(15) 
			G.
Poussin, «Le père est-il une mère suffisamment bonne?», in G. Neyrand
et C. Zaouche Gaudron (dir.), précité, p. 48.. Ainsi que le souligne Francine Cyr dans le Livre blanc de la résidence alternée, «une certaine fréquence et régularité de contacts [est] nécessaire pour que s’établisse un lien familier et sécurisant entre le parent et son enfant» 
			(16) 
			F.
Cyr, précité, p. 32..

3. Etat des législations et des pratiques dans les Etats membres du Conseil de l’Europe en matière familiale

30. Le droit des enfants d’entretenir des relations avec leurs parents est inscrit dans plusieurs instruments juridiques internationaux. L’article 9 de la Convention de 1989 des Nations Unies sur les droits de l’enfant rappelle le droit des enfants de ne pas être séparés de leurs parents, à moins que l’intérêt supérieur de l’enfant ne l’exige, et à entretenir des relations personnelles avec le ou les parent(s) dont il est séparé.
31. Toutefois, malgré les textes internationaux et nationaux favorables au maintien de liens de l’enfant avec ses parents, il faut constater que les droits en matière de résidence et de visite peuvent être mis à mal dans le cas de séparations hautement conflictuelles. Des femmes peuvent voir leurs droits violés, comme la Cour européenne des droits de l’homme a pu le constater dans une affaire récente contre la République de Moldova 
			(17) 
			Cour européenne des
droits de l’homme, Tocarenco c. République
de Moldova, Requête no 769/13,
arrêt du 4 novembre 2014. Dans cette affaire, le conjoint et les
beaux-parents de la requérante l’ont empêchée de tout contact avec
son fils en bas âge pendant plus de deux années. La Cour a condamné
la République de Moldova pour n’avoir pas pris les mesures nécessaires
pour assurer les contacts entre la requérante et son enfant et pour
avoir de cette manière «toléré un processus d’aliénation du lien
parental au détriment de la requérante, méconnaissant ainsi son
droit au respect de sa vie familiale garanti par l’article 8 de
la Convention» (paragraphe 67).. Les pères sont cependant particulièrement touchés par le non-respect de leurs droits à entretenir des contacts avec leurs enfants. Le fait qu’un couple ne soit pas marié aggrave parfois encore la situation en matière de responsabilité parentale.

3.1. La résidence des enfants de parents séparés

32. Dans sa Résolution 1921 (2013) «Egalité des sexes, conciliation vie privée‑vie professionnelle et coresponsabilité», l’Assemblée parlementaire appelait les autorités publiques des Etats membres du Conseil de l’Europe à respecter le droit des pères à la coresponsabilité en assurant que le droit de la famille prévoit, en cas de séparation ou de divorce, la possibilité d’une garde conjointe des enfants, dans le meilleur intérêt de ceux-ci, sur la base d’un accord commun entre les parents, tout en précisant que cette garde ne doit jamais être imposée.
33. La plupart des législations des Etats membres du Conseil de l’Europe prévoient la possibilité d’une résidence alternée des enfants à la suite d’une séparation ou d’un divorce. Dans les faits, la résidence exclusive est toutefois dans la grande majorité des cas confiée à la mère. Il faut préciser que cela reflète souvent le fait que relativement peu de pères demandent la résidence exclusive des enfants, en particulier quand ils sont en bas âge.
34. Au Luxembourg, la résidence alternée n’est pas prévue par la loi. Ainsi, la garde sera confiée à l’un des parents et l’autre parent aura un droit de visite plus ou moins étendu. De plus, après un divorce, l’exercice conjoint de l’autorité parentale n’est pas garanti par les textes applicables. Il doit être décidé par un juge. Cela signifie que des juges refusent parfois d’accorder l’autorité parentale conjointe, y compris dans les cas de divorce par consentement mutuel 
			(18) 
			ORK (Ombuds‑Comité
pour les droits des enfants), Rapport de 2014 à la Chambre des députés
du Luxembourg, p. 51-53.. Or, dans un arrêt du 12 décembre 2008, la Cour constitutionnelle du Luxembourg a déclaré non conformes au principe d’égalité contenu à l'article 10 bis (1) de la Constitution certains articles du Code civil dans la mesure où ils n'autorisent pas l'exercice conjoint par les parents divorcés de l'autorité parentale sur les enfants communs. Malgré cet arrêt, ces articles du Code civil n’ont pas été mis en conformité avec la Constitution. En pratique, les tribunaux continuent ainsi de décider au cas par cas auquel des deux parents l’autorité parentale sera attribuée, surtout lorsque le divorce est conflictuel. Dans un tel cas, l’autorité parentale sera attribuée au parent gardien, qui le plus souvent est la mère.
35. Lors des réunions que j’ai eues à Luxembourg le 27 février 2015, il m’a été signalé que l'introduction de la résidence alternée et la suppression du statut de «parent non gardien» du Code civil seraient de nature à remettre les deux parents sur un pied d'égalité. La réalité vécue par les parents «non gardiens» au Luxembourg a été jugée très discriminatoire. En effet, même si le parent non gardien a l'autorité parentale, il est dans les faits exclu des décisions les plus importantes concernant son enfant: les informations envoyées par l'école ne lui sont pas souvent adressées et il n'a pas un accès automatique au carnet de santé de son enfant.
36. La société luxembourgeoise est sans aucun doute prête à une évolution des lois sur le divorce et la filiation. Le mariage et l'adoption par des personnes de même sexe sont autorisés depuis le 1er janvier 2015, ce qui démontre, si besoin était, cette ouverture d'esprit sur les questions sociétales et familiales. Pourtant, des notions telles que «enfant légitime/enfant naturel», «parent gardien/non gardien» et des principes telles que l'autorité parentale dévolue systématiquement à la mère en cas de séparation d'un couple non marié ou la résidence exclusive pour l'un des parents et le droit de visite uniquement pour l'autre ne devraient plus figurer dans la législation. Je me félicite que le ministre de la Justice ait annoncé qu'un nouveau projet de loi sur le divorce sera déposé. Cette réforme est d'autant plus importante qu'elle concerne un grand nombre de personnes. En effet, il est estimé qu'au Luxembourg, 54 % des couples mariés divorcent. Il conviendrait toutefois de prendre également en compte la situation des couples non mariés qui ont des enfants et qui se séparent.
37. En France, la résidence alternée a été introduite par la loi en 2002. L’article 373-2-9 du Code civil prévoit que la résidence de l’enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l’un d’eux. D’après une enquête du ministère de la Justice 
			(19) 
			Ministère
de la Justice (France), Direction des Affaires civiles et du Sceau,
«La résidence des enfants de parents séparés; de la demande des
parents à la décision du juge», novembre 2013., la résidence alternée est prononcée dans 17 % des cas de séparation ou divorce, ce qui est l’un des taux les plus élevés en Europe. De plus, elle résulte dans 80 % des cas d’un accord entre les parents.
38. Lors d’une audition organisée le 20 mars 2015 par la commission sur l’égalité et la non-discrimination, Mme Anne Solaz de l’Institut national des études démographiques, une des auteurs d’une étude récente de l’INSEE sur les conditions de vie des enfants après un divorce 
			(20) 
			INSEE,
«Les conditions de vie des enfants après le divorce», Insee Première,
no 1536, février 2015., a indiqué que deux tiers des divorces en France impliquent des enfants mineurs et que la résidence chez la mère est la norme dans trois-quarts des cas. Cette étude a mis en lumière que la résidence alternée est plus pratiquée dans les milieux aisés, notamment en raison de certaines contraintes financières, telle que la nécessité pour chacun des parents d’avoir un logement suffisamment grand pour accueillir les enfants. Pourtant, la résidence alternée progresse en France. Elle a doublé depuis son introduction en 2002. Mme Solaz a souligné devant la commission l’enjeu symbolique de la résidence alternée pour l’égalité des droits des deux parents et son enjeu concret pour le maintien des liens entre le père et son enfant.
39. Interrogés par la chaîne de télévision Arte en 2013 sur la pratique de la résidence alternée, des magistrats français ont exprimé l’avis que, bien que de plus en plus appliquée en France, elle ne deviendrait probablement jamais la règle parce qu’elle n’est pas envisageable dans de nombreuses situations, soit pour des raisons pratiques, lorsque les domiciles des parents sont trop éloignées ou si leurs horaires de travail sont très contraignants, soit en raison des relations extrêmement conflictuelles des parents 
			(21) 
			Arte, «Affaires familiales:
la parole aux juges», 2013.. En effet, la résidence alternée est généralement envisagée lorsque les deux parents y consentent. Afin d’éviter tout veto de la part d’un parent, le juge français peut imposer la résidence alternée dans l’intérêt de l’enfant. Toutefois, dans la grande majorité des cas, le juge ne prononce pas la résidence alternée lorsque l’un des parents s’y oppose. Il faut ainsi constater que lorsque le père demande une garde partagée et la mère une résidence exclusive, le père ne l’obtient que dans 25 % des cas, contre 40 % des cas lorsque la situation est inversée. Cette tendance a pu être dénoncée comme étant particulièrement défavorable au père, voire discriminatoire 
			(22) 
			V.
Vezzetti, «European children and the divorce of their parents»,
Colibri (European Platform for Joint Custody, Co-Parenting and Childhood),
2013, p. 6.. Elle crée en effet un déséquilibre entre les deux parents et est de nature à décourager les pères de demander la résidence alternée, perpétuant ainsi la perception d’un système judiciaire globalement défavorable aux pères.
40. Le 24 juin 2015, j’ai eu un entretien avec Mme Josiane Bigot, Présidente de Chambre à la Cour d’Appel de Colmar sur sa pratique, en tant que magistrate, de la résidence alternée. Mme Bigot m’a indiqué que la résidence alternée a été introduite en France en se fondant sur la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant qui prévoit qu’un enfant a le droit de ne pas être séparé de ses parents. Pourtant, de plus en plus souvent, la résidence alternée devient un arrangement des parents, voire un droit des parents, et l’intérêt de l’enfant apparaît renvoyé au second plan. Pour Mme Bigot, un enfant devrait non seulement être consulté au moment où la décision relative à sa résidence est prise, mais également avoir la possibilité de saisir le juge aux affaires familiales pour que cette décision soit réexaminée si elle ne lui convient pas, ou plus. Je pense en effet qu’il est très important de pouvoir adapter le mode de résidence d’un enfant au cas par cas et dans le temps 
			(23) 
			Voir également en ce
sens: G. Neyrand et C. Zaouche Gaudron (dir.), Le livre blanc de la résidence alternée,
Editions Eres, 2014.. De même, le partage du temps passé avec chacun des parents doit être modulé en fonction des capacités de l’enfant. Enfin, je suis convaincue que la résidence alternée doit être un droit des enfants à avoir des relations avec ses deux parents, et non pas un droit des parents.
41. Il est fondamental pour moi que le droit de l’enfant d’être entendu soit respecté dans toutes les procédures le concernant dès lors qu’il est censé être capable de discernement pour ce qui est des procédures en question. Cette obligation est contenue dans de nombreux instruments juridiques internationaux et notamment dans la Convention européenne sur l’exercice des droits des enfants (STE no 160) qui prévoit que dans les procédures judiciaires, un enfant devrait recevoir toute information pertinente, être consulté et exprimer son opinion, et être informé des conséquences éventuelles de la mise en pratique de son opinion et des conséquences éventuelles de toute décision (article 3). Les Lignes directrices du Conseil de l’Europe sur une justice adaptée aux enfants, adoptées en 2010, ont par ailleurs utilement rappelé que «un enfant ne devrait pas être empêché d’être entendu du seul fait de son âge. Si un enfant prend l’initiative de se faire entendre dans une affaire le concernant directement, le juge ne devrait pas, sauf dans l’intérêt supérieur de l’enfant, refuser de l’écouter et devrait entendre ses points de vue et avis sur les questions le concernant dans l’affaire» 
			(24) 
			Lignes directrices
sur une justice adaptée aux enfants, adoptées par le Comité des
Ministres du Conseil de l’Europe le 17 novembre 2010, paragraphe
47. . Ces principes devraient guider l’ensemble des professionnels intervenant dans les procédures familiales.
42. Je voudrais conclure ce point en indiquant que, outre le Luxembourg, d’autres Etats membres ne prévoient pas de résidence alternée dans leur législation, comme par exemple l’Albanie, la Grèce ou la Pologne. Dans d’autres pays, bien que la résidence alternée soit prévue par la loi, elle reste marginale, par exemple en Italie ou au Portugal 
			(25) 
			En Italie comme au
Portugal, la résidence alternée n’est prononcée que dans environ
3 % des cas, alors même qu’elle est possible en Italie depuis 2006
et au Portugal depuis 1995.. J’espère par ce rapport encourager ces Etats à engager la réflexion sur l’introduction de la résidence alternée dans leur système juridique ou à encourager son application par les autorités judiciaires.

3.2. L’exécution des décisions relatives à la résidence de l’enfant et aux droits de visite

43. La plupart des Etats membres prévoient des sanctions en cas de non-représentation d’enfants. Dans mon pays, le Luxembourg, alors que la non-représentation d’enfants est passible de sanctions pénales sévères, il s’avère que les poursuites ne sont pas engagées de manière systématique, ce qui tend à créer un sentiment d’impunité chez le parent qui ne respecte pas le droit de visite de l’autre parent. Il est vrai qu’il s’agit d’un domaine sensible et la réponse judiciaire adéquate n’est pas toujours facile à trouver. Ainsi, alors même que le cadre juridique semble en place dans la grande majorité des Etats membres du Conseil de l’Europe, de nombreuses affaires nous obligent à constater que les décisions de justice sur les droits de garde ou de visite ne sont pas suffisamment respectées.
44. La Cour européenne des droits de l’homme a eu à connaître d’un grand nombre d’affaires familiales relatives à l’exécution des décisions relatives à la résidence de l’enfant et au droit de visite. Dans une affaire de 2006, la Cour a ainsi condamné la République tchèque pour n’avoir pas pris toutes les mesures pour faire respecter le droit de visite du requérant 
			(26) 
			Koudelka
c. République tchèque, Requête no<a href='http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx'> 1633/05</a>, arrêt du 20 juillet 2006.. La même année, la Cour a condamné à nouveau la République tchèque pour n’avoir pas permis au requérant de contester une décision lui retirant l’accès à ses enfants après que les autorités nationales n’aient pris aucune mesure pour exécuter la décision lui accordant cet accès 
			(27) 
			Fiala
c. République tchèque, Requête no<a href='http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx'> 26141/03</a>, arrêt du 18 juillet 2006.. Dans une affaire de 2013 contre l’Italie, la Cour a rappelé que «si des mesures coercitives à l’égard des enfants ne sont pas souhaitables dans ce domaine délicat, le recours à des sanctions ne doit pas être écarté en cas de comportement manifestement illégal du parent avec lequel vit l’enfant» 
			(28) 
			Nicolò Santili c. Italie, Requête
no 51930/10, arrêt du 17 décembre 2013,
paragraphe 72.. La conséquence de l’inaction des autorités nationales peut en effet aboutir à l’impossibilité de construire une relation stable entre un parent et son enfant.
45. Les questions de résidence et de visite peuvent être particulièrement compliquées dans les cas de couples bi-nationaux où les législations et autorités judiciaires de plusieurs pays trouvent à s’appliquer. Cette difficulté est illustrée par l’affaire Shaw c. Hongrie portée en 2009 devant la Cour européenne des droits de l’homme qui concernait un enfant né d’un père irlandais et d’une mère hongroise, tous deux résidant à Paris. Le jugement de divorce rendu en 2005 accordait l’autorité parentale conjointe aux deux parents et prévoyait que l’enfant resterait en France pour que le père puisse exercer ses responsabilités parentales. Toutefois, en 2007, la mère décida de partir en Hongrie avec l’enfant et de ne plus revenir en France. Le père engagea une procédure devant les juridictions hongroises qui reconnurent que la résidence de l’enfant était en France. La mère refusa de se conformer à cette décision et disparut avec l’enfant. Le père engagea en vain une procédure en Hongrie puis en France où, en 2008, le retour de l’enfant en France fut ordonné. Les tribunaux hongrois refusèrent d’exécuter cette décision. Le père fut ainsi privé de tout contact avec sa fille pendant trois années et demi. Dans un arrêt de 2011, la Cour européenne des droits de l’homme conclut à la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit au respect de la vie familiale et condamna la Hongrie pour n’avoir pas pris les mesures adéquates et effectives nécessaires à l’exécution de l’ordre de retour de l’enfant auprès de son père. Quinze jours après cet arrêt, la police hongroise retrouva la fillette chez ses grands-parents maternels. Elle vit depuis avec son père en France.
46. Lors de son audition le 28 janvier 2015 par la commission sur l’égalité et la non-discrimination, M. Shaw a fait état de la multitude d’obstacles auxquels il a dû faire face pour obtenir le retour de sa fille. Il a indiqué avoir engagé environ 70 procédures dont certaines sont toujours en cours. Il a fait preuve d’une persévérance remarquable et il serait tout à fait compréhensible que dans des circonstances similaires d’autres pères soient découragés par l’énergie, les procédures et les sommes d’argent à consacrer. M. Shaw a insisté sur la nécessité d’une réaction rapide des autorités lorsqu’un enlèvement d’enfant est signalé. Le temps est en effet un élément crucial tant pour assurer le retour de l’enfant que pour préserver la relation entre le parent et son enfant. La Cour européenne des droits de l’homme a souligné à cet égard à plusieurs reprises que le passage du temps peut avoir des conséquences irrémédiables sur les relations entre l’enfant et le parent qui ne vivent pas ensemble 
			(29) 
			Voir parmi les arrêts
récents: Kuppinger c. Allemagne,
Requête no 62198/11, arrêt du 15 janvier
2015; Ferrari c. Roumanie,
Requête no 1714/10, arrêt du 28 avril
2015..
47. Lors de cette audition organisée le 28 janvier 2015, Maître Thuan dit Dieudonné, avocat de M. Shaw, a appelé à une mise en œuvre effective par les Etats de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants. Cette convention, très largement ratifiée 
			(30) 
			Au 1er août
2015, 93 Etats étaient Parties à cette convention, dont 43 Etats
membres du Conseil de l’Europe, soit la quasi-totalité des membres
à l’exception de l’Azerbaïdjan, du Liechtenstein, de la République
de Moldova et de Saint-Marin., met en place un système de coopération entre les autorités centrales et une procédure accélérée visant au retour rapide de l'enfant dans son Etat de résidence habituelle à la suite de son enlèvement par son père ou sa mère. Le principe du retour immédiat qui est au cœur de cette convention revêt une fonction dissuasive considérée par la convention comme étant dans l'intérêt général de l'enfant. La décision de retour a ainsi vocation à restaurer le statu quo existant avant le déplacement ou le non-retour illicites, et à soustraire au parent ravisseur tout avantage que l'enlèvement aurait pu lui procurer. Les exceptions au retour sont précisément énumérées par la convention. Elles concernent par exemple l’existence d’un risque grave pour l’enfant d’être exposé à un danger physique ou psychique, le refus de l’enfant s’il a atteint un âge et une maturité suffisante, ou encore si plus d’une année s’est écoulée et si l’enfant s’est intégré à son nouvel environnement. Ce dernier cas de figure montre à quel point une réaction rapide des autorités nationales est essentielle. Or la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme abonde de cas où les délais pour assurer le retour d’un enfant ont été anormalement longs, au point d’aboutir à une violation des droits familiaux des requérants, qu’il s’agisse du père ou de la mère 
			(31) 
			Fiche
d’information préparée par le Greffe de la Cour européenne des droits
de l’homme sur les enlèvements internationaux d’enfants, février
2015..

3.3. La médiation familiale

48. Les recherches et entretiens que j’ai menés pendant l’élaboration de ce rapport ainsi que les témoignages de parents que j’ai pu recueillir m’ont convaincue de l’importance de développer la médiation dans les affaires familiales relatives à la résidence des enfants après une séparation. Plusieurs instruments du Conseil de l’Europe ont souligné l’importance de la recherche d’un accord entre les parents. Il s’agit notamment de la Convention de 1996 sur l’exercice des droits des enfants (STE no 160) et dont l’article 13 encourage la mise en œuvre de la médiation ou de toute autre méthode de résolution des conflits 
			(32) 
			Voir également la Recommandation
No R (98) 1 du Comité des Ministres sur
la médiation familiale ou les Lignes directrices visant à améliorer
la mise en œuvre des Recommandations existantes concernant la médiation
familiale et en matière civile, élaborées en 2007 par la Commission
européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ).. Tous les Etats membres devraient ratifier cette convention et mettre en œuvre cette disposition essentielle relative à la médiation.
49. La médiation est un moyen qui permet de responsabiliser les parents en les amenant à définir eux-mêmes les conditions de vie de leur enfant après la séparation. Lors des entretiens que j’ai eus au Luxembourg le 27 février 2015, Mme Lydie Err, Médiatrice du Luxembourg, a ainsi évoqué le «sur-mesure de la médiation» par opposition au «prêt-à-porter judiciaire» qui appliquera, à défaut d'accord entre les parents, la formule du «un week-end sur deux et la moitié des vacances» 
			(33) 
			Mme
Err a été, en 2003, rapporteure pour l’Assemblée parlementaire sur
«Médiation familiale et égalité des sexes» (Doc. 9983). L’Assemblée a adopté sur cette base la Recommandation 1639 (2003) à laquelle je renvoie pour plus d’informations
sur les principales caractéristiques de la médiation familiale. . Une séance gratuite d’information sur la médiation est prévue par la loi au Luxembourg et il conviendrait de faire plus largement usage de cette possibilité donnée aux juges d’imposer dans tous les cas litigieux une telle séance d’information.
50. Au Royaume-Uni, de fortes mesures d’incitation à recourir à la médiation ont été développées. Une séance d’information (mediation information and assessment meeting) est ainsi devenue obligatoire, en avril 2014, pour tous les couples avec enfants qui se séparent, à l’exception toutefois des cas de violence domestique. La question du recours à la médiation dans les cas de violence domestique fait débat dans les Etats européens. Comme au Royaume-Uni, il est interdit en Espagne par la loi organique 1/2004 du 28 décembre 2004 relative aux mesures de protection exhaustives contre la violence fondée sur le genre. Il faut toutefois relever que la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210 «Convention d’Istanbul») n’interdit pas le recours à la médiation mais exclut son caractère obligatoire (article 48). Ainsi, en Autriche, le recours à la médiation est possible mais il est accompagné de mesures de protection de la victime, tels que son consentement exprès à la médiation, l’absence d’obligation de rencontrer l’auteur de violence domestique, ou encore le droit d’être accompagné par un avocat d’un centre de soutien aux femmes (Intervention Centre).
51. Parmi les bénéfices constatés, il apparaît que la médiation permettra souvent aux parents de restaurer le dialogue et de trouver ensemble la meilleure solution possible à leur conflit et dans l’intérêt de l’enfant. Cette solution s’inscrira presque toujours dans la durée puisqu’elle aura été conçue par les deux parents eux-mêmes et non pas imposée par un juge. Il a également été observé que le respect de l’obligation alimentaire est plus important lorsque les parents ont conclu un accord. Il apparaît en effet que le versement des pensions alimentaires dépend plus de la qualité des relations entre les parents que du niveau de revenu du parent auquel incombe l’obligation alimentaire 
			(34) 
			Catherine
Collombet, «Consensus et médiation dans les séparations parentales
en Europe», Politiques sociales et familiales,
no 117, septembre 2014, p. 75-79..
52. Divers modèles de médiation existent. Je voudrais mentionner ici le modèle dit de Cochem, du nom d’une ville allemande où un juge de la famille, M. Jürgen Rudolph, a institué un système de collaboration entre les autorités judiciaires, l’ordre des avocats, l’office de protection de la jeunesse et les services de consultation qui permet d’amener les parents en conflit à trouver des solutions amiables pour répondre aux besoins de leurs enfants.
53. Lors de l’entretien que j’ai eu avec le Professeur Rudolph, le 18 mai 2015, ce dernier m’a expliqué que le modèle de Cochem vise en premier lieu à convaincre des parents en situation de séparation ou de divorce qu’ils ont une responsabilité commune par rapport à leurs enfants. Ainsi, les diverses personnes, spécialistes, institutions qui interviennent dans la procédure collaborent de façon interdisciplinaire pour amener les parents à se parler et à accepter le lien de l’enfant avec ses deux parents. Le Professeur Rudolph m’a fait part de ses critiques vis-à-vis de la trop grande focalisation sur les parents, laquelle nuit aux enfants. Partant du postulat qu’un enfant aime ses deux parents, le plus important est, d’après lui, de maintenir le lien de l’enfant avec ses deux parents et de permettre à l’enfant de continuer à vivre ces relations après la séparation des parents.
54. D’après le modèle de Cochem, les parents doivent se parler et se concerter sur tout ce qui concerne leur enfant, même s’il s’agit de problème mineur. La perspective de l’enfant doit déterminer la manière dont une décision sera prise et les différentes compétences des différents intervenants sont interconnectées. Enfin, le cadre qui est défini doit être rigoureusement respecté. Le professeur s’est prononcé en faveur d’une consultation obligatoire d’un médiateur en cas de divorce, qui peut être organisée par un juge et que les parents s’engagent à suivre.
55. Plusieurs éléments du modèle de Cochem apparaissent dans la nouvelle loi allemande relative aux procédures en matière familiale et aux juridictions gracieuses du 17 décembre 2008 
			(35) 
			Gesetz über das Vefahren
in Familiensachen und in den Angelegenheiten der freiwilligen Gerichtsbarkeit, FamFG, Bundesgesetzblatt 2008
I, S. 2586 bis 2743., et en particulier l’article 155 sur la procédure accélérée (la date d’audience est fixée au plus tard un mois après l’introduction de la procédure), l’article 156 relatif à l’information sur la possibilité de se faire conseiller ou de recourir à un médiateur et l’article 163 sur le rapport d’expertise qui doit être orienté vers une solution.
56. Une procédure familiale accélérée (Das beschleunigte Familienverfahren) a ainsi été développée à Berlin par le barreau des avocats et les tribunaux aux affaires familiales à partir du modèle de Cochem. Lancée dès avril 2007, cette initiative a connu un grand succès et s’est vue décerner, en 2014, le prix «Balance de cristal» par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ). Cette procédure familiale accélérée est partie du constat que les enfants ont besoin de relations stables et harmonieuses avec leurs deux parents et que la qualité des relations ne peut pas être imposée par un juge. L’objectif a ainsi été de parvenir à une solution que les deux parents ont définie en commun et qu’ils peuvent tous deux soutenir dans la durée. Les trois axes principaux de cette procédure consistent en la mise en place d’une procédure spécifique, soutenue par des équipes pluridisciplinaires (juges, avocats, offices de jeunesse) qui ont la même attitude et transmettent le même message aux parents.
57. Grâce à cette procédure, 70 % des plans parentaux se font par consentement mutuel, sans qu’une décision judiciaire ne soit nécessaire. De plus, il a été observé qu’elle permet d’éviter l’aggravation des conflits parentaux et a accru la compréhension mutuelle entre les professionnels. Les résultats de cette procédure sont très impressionnants. Dans la seule ville de Berlin, elle implique 100 juges aux affaires familiales ainsi que près de 14 000 avocats, 12 services d’aide sociale à l’enfance et 600 travailleurs sociaux. Je voudrais préciser que pour atteindre de tels résultats les implications financières et humaines ont été très limitées puisqu’il s’est agi dans la pratique de réallouer efficacement les ressources disponibles. Ce modèle devrait être une source d’inspiration pour les autres Etats membres du Conseil de l’Europe.
58. D’autres pays ont développé des pratiques innovantes, tel que le Canada où la médiation permet aux parents de convenir d'un plan parental qui définit les aspects les plus importants de la vie de l’enfant, tels que le lieu de résidence, l'école fréquentée, les activités parascolaires, etc. Ce plan peut être révisé par entente directe entre les deux parents, par la médiation voire par le juge en cas de désaccord 
			(36) 
			Plus
d’informations sont disponibles sur le site Internet du ministère
de la Justice du Canada: <a href='http://www.justice.gc.ca/'>www.justice.gc.ca.</a>. De même, en Croatie, le Code civil prévoit l’élaboration d’un plan de coparentalité dans lequel seront détaillés les différents aspects relatifs à la vie de l’enfant tels que sa résidence, le temps passé avec chaque parent, le montant de la pension versé par le parent avec lequel l’enfant ne réside pas. Il est très intéressant de noter que le Code civil exige des parents qu’ils informent l’enfant du contenu de ce plan de coparentalité et recueillent son avis selon son âge et sa maturité. Cela souligne l’importance d’associer l’enfant aux décisions qui le concernent directement.
59. Ces exemples très positifs de médiation devraient être davantage développés dans nos Etats membres en tant qu'instrument de pacification des relations parentales et de responsabilisation vis-à-vis des enfants. Il me semble crucial de soutenir les mécanismes de médiation et d’encourager la pratique des plans parentaux qui permettent aux parents de définir eux-mêmes les principaux aspects de la vie de leur enfant. Il en va de l'intérêt des enfants qui deviennent trop souvent un enjeu des relations de leurs parents. Je crois enfin que la médiation permet de faire émerger le couple parental quand le couple conjugal a cessé d'exister.

4. La persistance de discriminations et stéréotypes fondés sur le sexe ou le statut matrimonial

60. Les médias se font parfois l’écho de pratiques discriminatoires à l’encontre des pères, qu’il s’agisse du refus d’une entreprise d’accorder un temps partiel à ses employés masculins 
			(37) 
			The Telegraph, «Father wins sex
discrimination case after request to work part-time rejected», 4
novembre 2014. ou d’une décision de justice refusant d’annuler la procédure d’adoption d’un enfant né sous X et de le confier à son père biologique 
			(38) 
			Le Monde, «Enfant né sous x: la
justice refuse de le restituer à son père biologique», 24 novembre
2014.. Je vois dans ces cas le signe d’une persistance des rôles stéréotypés attribués aux hommes et aux femmes dans leur relation à la famille et aux enfants. Le droit au congé parental est particulièrement parlant à cet égard, de même que la situation dans certains Etats membres des pères non-mariés.
61. Au cours de mes recherches, j’ai également constaté un certain nombre de pratiques adoptées par des autorités administratives de nos pays qui contribuent à perpétuer les stéréotypes et à marginaliser le rôle des pères. Par exemple, il est fréquent que les informations transmises par l’école soient adressées à la mère uniquement. Cela est particulièrement vrai lorsque les parents sont séparés. Dans ce cas, le parent avec lequel l’enfant ne vit pas est traité différemment. Une étude récente au Danemark a également montré que, dans la plupart des cas, les informations relatives aux garderies, aux visites médicales, à la fréquentation scolaire sont envoyées par les municipalités aux mères uniquement, alors même que 85 % des parents sont d’accord sur le fait que ces informations devraient être envoyées aux deux parents 
			(39) 
			Institut
danois pour les droits de l’homme, Hvem
får posten? Analyse af kommuners information til forældre (en danois
uniquement), mai 2015; résumé fourni par Equinet, 16 juillet 2015.. Autre exemple, au Luxembourg, la carte de sécurité sociale n’est pas attribuée aux deux parents. De même, en France, malgré le développement de la résidence alternée, les prestations sociales sont souvent inadaptées à ce mode de résidence, notamment en matière de prestations de garde d’enfants ou d’allocations de logement, qui ne peuvent bénéficier qu’à l’un des deux parents.

4.1. Le congé parental

62. Plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe réservent le congé parental payé aux mères, malgré les nombreux textes internationaux qui font obligation aux Etats d’assurer l’égalité entre les femmes et les hommes en matière de droits et responsabilités familiales. D’après une étude récente de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Chypre, la République slovaque, la Suisse, la République tchèque et la Turquie ne prévoient pas de congé parental payé pour les pères 
			(40) 
			OECD
Family database, PF2.1 Key characteristics of parental leave systems,
13 mai 2015, p. 6..
63. Une affaire récente devant la Cour européenne des droits de l’homme a montré que le droit au congé parental peut parfois être réservé aux femmes malgré les recommandations répétées du Conseil de l’Europe. Dans l’affaire Markin c. Russie, un militaire, père de trois enfants et divorcé, avait convenu avec son ex-femme que les enfants résideraient chez lui. L’un des enfants étant en bas âge, le requérant a demandé à bénéficier d’un congé parental de trois ans, ce qui lui a été refusé au motif qu’un tel congé ne bénéficie qu’au personnel militaire de sexe féminin. En revanche, un congé de trois mois lui fut accordé. La Cour a conclu à la violation de l’article 8 de la Convention relatif au droit au respect de la vie familiale combiné avec l’article 14 de la Convention qui interdit toute discrimination. La Cour a considéré que «la répartition traditionnelle des rôles entre les sexes dans la société ne peut servir à justifier l’exclusion des hommes, y compris ceux travaillant dans l’armée, du droit au congé parental. (…) les stéréotypes liés au sexe – telle l’idée que ce sont plutôt les femmes qui s’occupent des enfants et plutôt les hommes qui travaillent pour gagner de l’argent – ne peuvent en soi passer pour constituer une justification suffisante de la différence de traitement en cause, pas plus que ne le peuvent des stéréotypes du même ordre fondés sur la race, l’origine, la couleur ou l’orientation sexuelle 
			(41) 
			Markin c. Russie, Requête no 30078/06,
arrêt du 22 mars 2012, paragraphe 143.».
64. J’ai appris que depuis l’arrêt Markin, les autorités russes examinent un amendement à la loi autorisant les pères militaires de bénéficier d’un congé parental allant jusqu’à une durée de trois ans. Je me félicite de ce développement.
65. Par ailleurs, il est intéressant de relever qu’avec cet arrêt la Cour a renversé sa jurisprudence précédente, en particulier l’arrêt Petrovic c. Autriche de 1998, en s’appuyant sur l’évolution constatée dans les Etats membres du Conseil de l’Europe s’agissant du partage des responsabilités entre les hommes et les femmes en matière d’éducation des enfants, et notamment du rôle du père auprès des jeunes enfants. La Cour a également rappelé que «des références aux traditions, présupposées d’ordre général ou attitudes sociales majoritaires ayant cours dans un pays donné ne suffisent pas à justifier une différence de traitement fondée sur le sexe 
			(42) 
			Ibid., paragraphe 127.». La doctrine a pu souligner qu’avec cet arrêt, la Cour européenne des droits de l’homme fait preuve d’audace en s’attaquant aux stéréotypes tenaces au sein de nombreuses sociétés sur le rôle alloué aux hommes et, par ricochet, aux femmes 
			(43) 
			L.
Burgorgue-Larsen, Actualité de la Convention européenne des droits
de l’homme, AJDA, 2012, p. 1726..
66. Ce faisant, la Cour s’est appuyée sur une évolution amorcée par la Cour de justice de l’Union européenne dans une affaire qui concernait le congé dit «d’allaitement» en Espagne. Les mères ayant le statut de travailleur salarié pouvaient bénéficier de ce congé, de même que les pères ayant le statut de travailleur salarié mais à condition que la mère de leur enfant possède aussi ce statut. Dans le cas porté devant la Cour de justice, un père salarié contestait le fait de ne pas avoir pu bénéficier de ce congé au motif que la mère de son enfant exerçait une profession indépendante. Dans un arrêt de 2010, la Cour de justice a tout d’abord relevé que le congé dit «d’allaitement» a pour effet de modifier les horaires de travail et n’est pas limité à l’allaitement puisque les pères salariés peuvent en bénéficier. Elle a souligné que «le fait de considérer (…) que seule la mère ayant le statut de travailleur salarié serait titulaire du droit de bénéficier du congé en cause au principal alors que le père ayant le même statut ne pourrait jouir de ce droit sans en être le titulaire est plutôt de nature à perpétuer une distribution traditionnelle des rôles entre hommes et femmes en maintenant les hommes dans un rôle subsidiaire à celui des femmes en ce qui concerne l’exercice de leur fonction parentale» 
			(44) 
			CJUE, Pedro Manuel Roca Alvarez c. Sesa Start España
ETT SA, C-104/09, 30 septembre 2010, paragraphe 36.. La Cour de justice a conclu que la mesure en cause n’est pas compatible avec la directive de 1976 sur l’égalité de traitement entre hommes et femmes dans l’emploi. Le Code du travail espagnol a été modifié en février 2012 et, désormais, les parents salariés bénéficient de manière égale de ce congé en Espagne.
67. En revanche, en Grèce, le congé parental payé ne peut être accordé aux fonctionnaires de sexe masculin que si leur épouse ne travaille pas, alors que les fonctionnaires de sexe féminin peuvent en bénéficier quelle que soit la situation professionnelle de leur époux. Dans un arrêt de juillet 2015, la Cour de justice de l’Union européenne a considéré que cette disposition du code grec des fonctionnaires établit une discrimination directe fondée sur le sexe, en contradiction avec la réglementation européenne sur l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi 
			(45) 
			CJUE, Konstantinos Maïstrellis c. Ypourgos Dikaiosynis,
Diafaneias kai Anthropinon Dikaiomaton, C-222/14, 16 juillet
2015, paragraphe 52..
68. L’Assemblée a rappelé dans sa Résolution 1274 (2002) sur le congé parental que celui-ci «est intimement lié au rôle des hommes dans la vie familiale, car il permet d’instaurer un véritable partenariat dans le partage des responsabilités entre les hommes et les femmes dans les sphères privée et publique». En 2013, dans sa Résolution 1939 (2013) sur le congé parental, moyen d’encourager l’égalité des sexes, l’Assemblée a invité les Etats membres à instaurer un congé parental qui permet de «réserver une partie du congé au père, non transmissible à l’autre parent et perdue si elle n’est pas utilisée, sauf circonstances exceptionnelles, et prévoir un système de bonus pour les cas où les deux parents prendraient le congé, afin d’inciter les pères à prendre un congé parental».
69. De bonnes pratiques peuvent être observées dans certains Etats membres du Conseil de l’Europe et pourraient être une source d’inspiration pour les autres pays.
70. En Islande, la loi no 95/2000 relative au congé de maternité/paternité et au congé parental a été adoptée en 2000 avec comme double objectif, d’une part, de veiller à ce que l’enfant bénéficie des soins de ses deux parents et, d’autre part, de permettre aux hommes et aux femmes de concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale. Le congé, initialement de six mois, est aujourd’hui de neuf mois et il est partagé entre les deux parents: trois mois pour la mère, trois mois pour le père et trois mois supplémentaires à partager entre les deux parents. Il est intéressant de noter que les trois mois de congé attribués à chaque parent ne sont pas transférables. De plus, le salaire est maintenu à 80 %.
71. D’après une étude publiée en 2013, cette loi a favorisé un partage plus équitable des responsabilités parentales au sein des familles et un plus grand engagement des pères vis-à-vis de leurs enfants 
			(46) 
			Ásdís
A. Arnalds, Guðný Björk Eydal, Ingólfur V. Gíslason, «Equal rights
to paid parental leave and caring fathers – the case of Iceland», Icelandic Review of Politics and Administration,
Vol. 9, Issue 2, p. 327.. Environ 90 % des pères islandais prennent leur congé parental non-transférable de trois mois et une augmentation régulière du nombre des pères qui utilisent la part pouvant être partagée entre le père et la mère a été observée. Il apparaît toutefois que les pères qui ne vivent pas avec la mère de leur enfant font peu usage de leur congé parental.
72. L’impact sur l’enfant d’une plus grande présence paternelle est jugé positif à plusieurs titres 
			(47) 
			Ibid.,
p. 330.. Il a notamment été relevé que lorsque les parents ne se conforment pas aux stéréotypes des rôles féminin et masculin, les enfants sont moins susceptibles d’adopter des attitudes fondées sur des stéréotypes de genre. De plus, la présence de deux parents stimule le développement cognitif de l’enfant qui est confronté à deux individus plutôt qu’à un seul. Cela serait également bénéfique au couple et réduirait les conflits, chaque parent ayant la possibilité de développer à la fois sa relation à l’enfant et sa vie professionnelle. Egalité et intérêt de l’enfant peuvent ainsi aller de pair. Enfin, il a été observé récemment que les pères qui ont pris un congé au moment de la naissance de leur enfant sont plus impliqués dans l’éducation de leur enfant que ceux qui, par exemple, auraient uniquement assisté aux séances prénatales et à la naissance de leur enfant 
			(48) 
			«The dad dividend», The Economist, 16 mai 2015, p. 53..
73. Des avancées peuvent être constatées dans de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe qui ont adopté des règles relatives au congé parental au bénéfice des deux parents. En Pologne, par exemple, le Code du travail a été amendé en 2013 pour y introduire de nouveaux régimes de congés parentaux. Il prévoit notamment que le congé parental de 26 semaines, qui s’ajoute au congé de maternité et de paternité, peut être pris indifféremment par la mère ou le père. Toutefois, il n’est pas prévu qu’une partie du congé soit réservée au père et non-transmissible. Or, nous avons pu constater en Islande et dans les autres pays nordiques, l’effet incitatif d’une telle mesure. En revanche, au Royaume-Uni, le congé parental est de 18 semaines et ne peut pas être transféré. Il a cependant été observé que le pourcentage de pères utilisant ce droit au congé parental est très faible (entre 2 % et 7 % selon les estimations), principalement en raison du fait que ce congé n’est pas payé 
			(49) 
			European Network of
Legal Experts in the Field of Gender Equality, «The Implementation
of Parental Leave Directive 2010/18 in 33 European countries», Commission
européenne, 2015, p. 226..

4.2. Le cas particulier des enfants nés de couples non mariés

74. Plusieurs Etats membres prévoient, ou prévoyaient, dans leur législation qu’en cas de séparation d’un couple non-marié, l’autorité parentale revenait automatiquement à la mère. Tel est le cas encore aujourd’hui de la Grèce ou du Luxembourg.
75. Cela était également le cas de l’Allemagne jusqu’en 2013. Jusqu’à cette date, le Code civil allemand prévoyait, à l’article 1672a§2, que l’autorité parentale conjointe sur un enfant né hors mariage ne pouvait être obtenue que par mariage, déclaration jointe ou décision de justice. A défaut, l’autorité parentale exclusive était attribuée à la mère. Les autorités allemandes expliquaient cette disposition par le fait que le partage de l’autorité parentale contre la volonté de la mère serait contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant. Dans l’affaire Zaunegger c. Allemagne, un père s’étant vu refusé l’exercice conjoint de l’autorité parentale sur la base de l’article 1672a§2 du Code civil en raison de l’opposition de la mère, se plaignait devant la Cour européenne des droits de l’homme de la nature discriminatoire de la législation allemande à l’égard des pères non-mariés. La Cour est allée dans son sens et a conclu à la violation des articles 8 (droit au respect de la vie familiale) et 14 (interdiction de la discrimination) de la Convention européenne des droits de l’homme 
			(50) 
			Zaunegger
c. Allemagne, Requête no 22028/04,
arrêt du 3 décembre 2009..
76. A la suite de cet arrêt, la Cour constitutionnelle fédérale décida en juillet 2010 que cette disposition du Code civil allemand était contraire à la loi fondamentale allemande, d’une part, parce qu’elle privait par principe le père de son droit de garde si la mère de l’enfant n’y consentait pas et, d’autre part, parce que le père ne pouvait pas obtenir d’examen judiciaire de la décision de garde de l’enfant. Dans cette décision, la Cour constitutionnelle allemande a également demandé aux tribunaux aux affaires familiales, dans l’attente d’un amendement du Code civil, d’accorder, sur demande d’un parent, la garde de l’enfant aux deux parents, voire au père, pour autant que cela soit compatible avec l’intérêt de l’enfant. Le Code civil allemand a finalement été amendé en ce sens en mai 2013. Je salue cette décision et appelle les autres Etats membres concernés à s’engager sur la même voie, y compris mon pays, le Luxembourg.
77. Au Luxembourg, en effet, l’article 380 du Code civil prévoit que même si le père et la mère non-mariés ont reconnu l’enfant, l’autorité parentale est exercée par la mère. Elle peut toutefois être exercée en commun par les deux parents s’ils en font la déclaration conjointe devant le juge des tutelles. Dans un arrêt du 26 mars 1999, la Cour constitutionnelle a déclaré cette disposition contraire à l’article 11 de la Constitution au motif qu’il attribue l’autorité parentale privativement à la mère même dans le cas où l’enfant a été reconnu par ses deux parents. Dans un arrêt rendu le 7 juin 2013, la Cour constitutionnelle a confirmé sa position et constaté que l’article 380 du Code civil n’avait pas été mis en conformité avec la Constitution.
78. Un projet de loi relatif à la responsabilité parentale a été préparé par le Gouvernement luxembourgeois et soumis à la Chambre des députés en avril 2008. Il prend acte des évolutions observées dans les pays européens et des standards développés au niveau international pour introduire un système de coparentalité qui consacre l’exercice en commun de la responsabilité parentale par les père et mère, mariés ou non, et, le cas échéant par-delà la séparation du couple. La procédure législative est toujours en cours.

5. Conclusions

79. Malgré les évolutions positives constatées en matière de coresponsabilité parentale, les questions relatives à la résidence des enfants et aux droits de visite peuvent s’avérer particulièrement sensibles lorsque les parents se séparent. Dans ce domaine, le maintien des relations entre les enfants et leur père peut s’avérer problématique, la primauté étant fréquemment donnée à la mère. Je tiens pourtant à rappeler que le respect de la vie familiale est un droit garanti par la Convention européenne des droits de l’homme et que le fait pour un parent et son enfant d’être ensemble constitue un élément essentiel de la vie familiale.
80. Je suis convaincue que les pères sont des figures d’attachement importantes pour les enfants. Ils sont, de la même façon que les mères, «un agent de la construction de l’identité sexuée des garçons et des filles» 
			(51) 
			C.
Zaouche Gaudron, «Toutes nos réponses sont limitées», in G. Neyrand
et C. Zaouche Gaudron (dir.), op.cit., p. 29.. La résidence alternée devrait devenir le principe pour les arrangements parentaux pour les enfants de tout âge, y compris les très jeunes enfants. Elle doit néanmoins avoir comme pierre angulaire le droit de l’enfant à voir ses deux parents et doit pouvoir être adaptée au cas par cas. Il faut en effet se garder de transformer la résidence alternée en droit des parents.
81. Ainsi que je l’ai souligné, la résidence alternée a des effets bénéfiques pour les enfants de tout âge, indépendamment de la situation financière des parents. La résidence alternée a moins d’effets positifs si les disputes et les conflits entre parents sont fréquents ou si la relation enfants–père ou enfants–mère n’est pas bonne. La résidence alternée ne se prête certainement pas aux situations familiales où l’on constate des abus sexuels, de la violence, de la toxicomanie, de l’alcoolisme ou des troubles mentaux. Il faut toutefois garder à l’esprit que seulement un petit pourcentage des couples divorcés ou séparés entre dans cette catégorie. La résidence alternée est ainsi un modèle à promouvoir largement dans nos Etats membres, mais elle doit être mise en œuvre avec discernement et en ayant toujours à l’esprit l’intérêt de l’enfant.
82. Les séparations des couples et les questions relatives aux conditions de vie des enfants après une séparation sont très souvent douloureuses, pour les parents et pour les enfants. Les parents ont la responsabilité de leurs enfants et je pense que le couple parental doit pouvoir se substituer au couple conjugal, dans l’intérêt des enfants. La médiation est un moyen de rétablir le dialogue et de dépassionner les relations. Le recours à la médiation produit des effets très positifs là où il est appliqué et tous les Etats membres devraient prévoir la possibilité d’une médiation dans leur système juridique.
83. Enfin, je voudrais conclure en rappelant que les parents ont certes des droits, mais qu’ils ont surtout des obligations et des responsabilités vis-à-vis de leurs enfants. Les pères doivent prendre toute leur place auprès de leurs enfants, dès la naissance, en veillant à leur éducation et en contribuant à leur entretien. Les Etats doivent eux prendre toutes les mesures nécessaires pour rompre avec la perpétuation des rôles stéréotypés des femmes et des hommes dans la sphère privée et familiale et reconnaître plus largement la place des pères à l’égard de leurs enfants, que ce soit par l’octroi du congé parental payé ou par l’application ou, le cas échéant, l’introduction de la résidence alternée. Je suis convaincue que l’évolution des mentalités doit aussi passer par une modification des législations applicables et des pratiques administratives.