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Addendum au rapport | Doc. 14015 Add. | 20 avril 2016
Les préoccupations humanitaires concernant les personnes capturées pendant la guerre en Ukraine
Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées
1. Evénements ayant conduit au procès et à la condamnation de Mme Nadiia Savchenko
1. Mme Nadiia
Savchenko, pilote de l’armée de l’air ukrainienne devenue ultérieurement
membre de la Verkhovna Rada et de la délégation ukrainienne auprès
de l’Assemblée parlementaire, a participé à l’opération anti-terroriste
dans l’est de l’Ukraine en tant que membre du bataillon de défense
territoriale Aidar. Le 17 juin 2014, elle a été capturée par des
séparatistes à proximité du village de Metalist (province de Lougansk).
Le 30 juin 2014, elle a été placée en état d’arrestation en Fédération
de Russie où, selon les autorités russes, elle se serait rendue
de son propre chef le 23 juin 2014 .
Le 8 juillet 2014, Mme Savchenko a été
placée dans une maison d’arrêt à Voronej.
2. Selon ses propres déclarations, confirmées par les autorités
ukrainiennes, Mme Savchenko, après avoir été
capturée par des séparatistes dans la province de Lougansk, avait
été transportée de l’autre côté de la frontière contre son gré et
remise à des agents de renseignement russes .
3. Le tribunal a délivré un mandat d’arrêt à l’encontre de Mme Savchenko
le 16e jour de sa détention illégale et
l’a inculpée de complicité dans le meurtre de journalistes russes . En septembre 2014,
elle a été transférée à l’Institut Serbsky à Moscou pour y être
soumise contre son gré à une évaluation psychiatrique et psychologique.
Le 30 octobre 2014, elle a été déclarée en bonne santé mentale puis
transférée dans un établissement de détention provisoire.
4. Mme Savchenko a nié toutes les
charges retenues contre elle et accusé les autorités russes de l’avoir enlevée
et d’avoir monté de toutes pièces une affaire politique à son encontre.
5. Le Gouvernement ukrainien considère que Mme Savchenko
fait partie des ressortissants ukrainiens qui devraient être libérés
conformément aux accords de Minsk. Le 19 novembre 2014, Nadiia Savchenko
a été enregistrée par la Commission électorale centrale comme membre
de la Verkhovna Rada élue in absentia .
6. En décembre 2014, le Service de sécurité de l’Ukraine a fourni
aux avocats de Mme Savchenko un rapport
contenant les données de communication de son téléphone mobile et
des téléphones des deux journalistes décédés le 17 juin 2014. Ces
données ont permis d’établir où se trouvaient Mme Savchenko
et les deux journalistes pendant la première moitié de la journée
où a eu lieu l’incident et, en particulier, le fait que Mme Savchenko
avait déjà été capturée depuis plusieurs heures et était retenue
dans le centre de Lougansk au moment où les journalistes ont été
tués.
7. Le 15 décembre 2014, Mme Savchenko
a entamé une grève de la faim pour protester contre les fausses accusations
dont elle était l’objet, son incarcération illégale et l’impossibilité
d’obtenir des soins médicaux dans le centre de détention provisoire
où elle se trouvait.
8. Le 26 janvier 2015, Mme Savchenko
a été désignée membre de la délégation ukrainienne auprès de l’Assemblée
parlementaire. Cette dernière, dans sa Résolution 2034 (2015), a reconnu l’immunité parlementaire de Mme Savchenko
en tant que membre de la délégation de la Verkhovna Rada auprès
de l’Assemblée (décision qui a été rejetée par la Fédération de
Russie) et appelé à sa libération immédiate. De plus, dans l’avis
qu’elle a rendu à l’intention du Bureau de l’Assemblée ,
la commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles
a déclaré que Mme Savchenko bénéficiait
de l’immunité parlementaire européenne en tant que membre de l’Assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe, conformément aux dispositions
de l’Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de
l’Europe, depuis la ratification des pouvoirs de la délégation ukrainienne
le 26 janvier 2015.
9. Le procès de Mme Savchenko a commencé
en septembre 2015 à Donetsk. Mme Savchenko
a nié les accusations portées contre elle et ses avocats ont présenté
des éléments montrant qu’elle avait été capturée avant l’attaque
à laquelle elle était présumée avoir participé.
10. Selon Amnesty International, au cours du procès, le tribunal
russe a enfreint constamment les principes d’un procès équitable
en rejetant les éléments de preuve de la défense et en s’appuyant
sur les dépositions de témoins non identifiés. Le juge a rejeté
l’alibi de Mme Savchenko, présenté par
ses avocats, ainsi que les données d’utilisation de son téléphone
mobile qui prouvent qu’elle était déjà en captivité au moment où
les journalistes ont été tués .
11. La position du tribunal russe est contraire à la Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la
Convention») qui garantit le droit à un procès équitable, y compris
le droit de l’accusé d’«interroger ou faire interroger les témoins
à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins
à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge» (article
6.3.d de la Convention et
article 14.3.e du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques).
12. Selon des organisations de défense des droits de l’homme de
premier plan, le procès de Mme Savchenko
a été fortement politisé et constitue une
violation des normes en matière de procès équitable. L’issue de
ce procès était prévisible, puisque le parquet n’a jamais enquêté
sur les allégations soulevées par Mme Savchenko.
13. En conséquence, le 22 mars 2016, le tribunal régional russe
de Rostov a jugé Nadiia Savchenko coupable de complicité dans l’assassinat
des journalistes de la télévision russe Anton Voloshin et Igor Kornelyuk,
commis le 17 juin 2014 pendant le conflit armé dans l’est de l’Ukraine,
et l’a condamnée à une peine de détention de 22 ans, assortie d’une
amende de 30 000 roubles ($US 450). Elle a par ailleurs été reconnue coupable
de tentative d’assassinat sur des civils et de franchissement illégal
de la frontière russo-ukrainienne en tant que réfugiée. Mme Savchenko
et ses avocats ont annoncé qu’ils ne se pourvoiraient pas en appel contre
le verdict, considérant le procès comme une mascarade judiciaire.
14. Le verdict a pris effet le 5 avril 2016. En signe de protestation,
Mme Savchenko a entamé une nouvelle grève
de la faim.
2. Réactions de la communauté internationale au verdict du tribunal
15. L’enlèvement, la détention
illégale et le caractère politique de l’enquête et de la procédure
judiciaire, ainsi que le verdict final, ont suscité de fortes condamnations
de la part d’organisations internationales, de gouvernements, d’organisations
non gouvernementales (ONG) et de particuliers.
16. Le Sénat des Etats‑Unis et le Parlement européen ont adopté
des résolutions appelant à la libération immédiate de Mme Savchenko.
17. Les pressions internationales au sujet de l’affaire Savchenko
se sont encore intensifiées avec l’établissement par la Lituanie
– après l’Ukraine – d’une «liste Savchenko» officielle comprenant
46 personnes de nationalités russe et ukrainienne, qui sont interdites
de séjour en Lituanie en relation avec l’emprisonnement de la pilote .
18. A la suite du verdict, le Bureau du Procureur général d’Ukraine
a ouvert deux procédures pénales à l’encontre des juges et procureurs
russes impliqués dans la condamnation de Mme Savchenko.
Les autorités ukrainiennes ont approuvé des sanctions visant 84
ressortissants russes impliqués dans le procès de Mme Savchenko.
19. Anne Brasseur, alors Présidente de l’Assemblée parlementaire,
a demandé au président de la Douma russe, M. Sergueï Naryshkine,
son aide pour obtenir la libération d’urgence de Mme Savchenko,
en soulignant que «cette question pourrait continuer d’empoisonner
les relations entre la Russie et l’Ukraine et mettre en danger la
vie d’une jeune femme si elle n’est pas résolue rapidement» . Son successeur,
Pedro Agramunt, a aussi lancé un appel en faveur de la libération
immédiate de Nadiia Savchenko .
20. Liliane Maury Pasquier (Suisse, SOC) et Théodora Bakoyannis
(Grèce, PPE/DC), ainsi que Jordi Xuclà (Espagne, ADLE) et Axel Fischer
(Allemagne, PPE/DC), respectivement corapporteurs de la commission
de suivi de l’Assemblée pour la Fédération de Russie et pour l’Ukraine,
ont souligné que Mme Savchenko, en tant que
membre de l’Assemblée parlementaire, devrait jouir de l’immunité
à l’égard de toute poursuite aux termes de l’Accord général sur
les privilèges et immunités du Conseil de l’Europe et de ses protocoles.
Les quatre rapporteurs ont réitéré l’appel de l’Assemblée pour la
libération immédiate de Mme Savchenko
et invité instamment les autorités russes à lui permettre de rentrer
en Ukraine.
21. Daniel Mitov, Président du Comité des Ministres du Conseil
de l’Europe, a indiqué que le cas de Mme Nadiia
Savchenko avait été abordé à plusieurs reprises au sein du Comité
des Ministres et que celui-ci avait déjà exprimé ses préoccupations
au sujet de l’état de santé de Mme Savchenko,
en appelant les autorités russes à la remettre en liberté sans tarder
pour raisons humanitaires.
22. En ma qualité de rapporteur pour le présent rapport, j’ai
fait plusieurs déclarations afin d’appeler l’attention de la communauté
internationale sur le maintien en détention de Mme Savchenko
par la Fédération de Russie et de demander sa libération.
3. Conclusion
23. Les accusations portées contre
Mme Savchenko semblent avoir été fabriquées
et le déroulement du procès manipulé de telle façon qu’un verdict
de culpabilité était acquis d’avance.
24. La communauté internationale, y compris le Parlement européen,
l’Union européenne et les Etats-Unis, a condamné le procès inéquitable
de Mme Savchenko et appelé à sa libération
immédiate. Conformément aux négociations antérieures, les autorités
ukrainiennes ont répété qu’elles étaient disposées à procéder à
un échange de prisonniers afin de permettre le retour de Mme Savchenko
et d’autres prisonniers politiques ukrainiens. Son état de santé
est extrêmement préoccupant, étant donné qu’elle poursuit sa grève
de la faim.
25. Jusqu’à présent, les autorités russes ont rejeté tous les
appels à la libération de Mme Savchenko.
De surcroît, elles n’ont autorisé aucun médecin ukrainien à examiner
son état de santé. J’ai la conviction qu’il est du devoir de l’Assemblée
de condamner le procès inéquitable et illégal de Mme Savchenko
par le tribunal russe et d’appeler la Fédération de Russie à la
libérer immédiatement. La remise en liberté de Mme Savchenko constituerait,
vu ses problèmes de santé, un message humanitaire fort et contribuerait
au rétablissement de la confiance dans le processus de paix engagé
pour résoudre la crise en cours depuis deux ans à l’intérieur et autour
de l’Ukraine.