Imprimer
Autres documents liés
Addendum au rapport | Doc. 14082 Add | 20 juin 2016
Les réfugiés en danger en Grèce
Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées
1. Introduction
1. Le présent addendum vise à
compléter le rapport approuvé par la commission des migrations,
des réfugiés et des personnes déplacées lors de sa réunion du 3 juin 2016.
Il met à jour les informations relatives à certaines situations
factuelles abordées dans le rapport et présente mes constations
et conclusions à la suite de ma visite en tant que rapporteure en
Grèce le 29 mai 2016 et de ma participation à la visite effectuée
par la commission ad hoc du Bureau de l’Assemblée parlementaire
les 30 et 31 mai . Je souhaite remercier la délégation
grecque pour son aide concernant l’organisation de ma visite le
29 mai, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés
(HCR) pour son aide au cours de la visite et le Conseil grec pour
les réfugiés, le Forum grec pour les réfugiés, Médecins sans Frontières
et Human Rights Watch, dont j’ai rencontré les représentants à Athènes.
Je souhaite également remercier l’organisation non gouvernementale
grecque METAdrasi, dont le représentant a participé à un échange
de vues avec la commission le 3 juin 2016.
2. L’évacuation d’Idomeni et les nouveaux sites à Thessalonique
2. Au cours de la semaine qui
a précédé ma visite en Grèce, les autorités grecques ont lancé une
grande opération d’évacuation du camp informel d’Idomeni situé à
la frontière avec «l’ex-République yougoslave de Macédoine». A Thessalonique,
j’ai pu visiter quelques-uns des nouveaux centres d’accueil vers
lesquels les occupants du camp d’Idomeni ont été transférés, notamment
Sindos (Karamanli), Oreokastro et Softex.
3. Ces centres sont tous situés sur des sites industriels désaffectés,
isolés des zones d’habitation, des commerces ou de toute activité
sociale. Ils ont été créés en quelques jours par l’armée, désormais
chargée de les administrer. A Softex, j’ai rencontré l’officier
de l’armée qui avait mené la construction de plusieurs de ces sites.
Il est évident que malgré son engagement professionnel et ses meilleures
intentions, il ignorait ce qui était nécessaire pour construire
un centre d’accueil conforme aux normes internationales. Le HCR
et des ONG spécialisées se sont plaints de ne pas avoir été écoutés
par les autorités. Deux officiers de police étaient présents sur
chaque site pour assurer la sécurité, bien qu’à Softex, selon ce
que l’on m’a dit, ils ne fussent pas intervenus lors d’une bagarre
générale qui avait éclaté la veille. Dans l’ensemble, il y avait
très peu de contacts entre les autorités et les résidents des camps.
A Oreokastro et Softex, les dangers physiques étaient manifestes,
tels que des fossés ouverts dans des zones non éclairées et des
déchets comme des éclats de bois et du métal rouillé; les enfants
jouaient avec des objets abandonnés qui ne convenaient pas du tout
à cet usage.
4. Au moment de ma visite, selon les chiffres officiels, les
trois sites étaient déjà à leur capacité maximale officielle voire
au-delà .
Les taux d’occupation officiels peuvent, toutefois, ne pas être
fiables: le HCR m’a confié qu’à Oreokastro, ils avaient demandé
aux autorités de procéder à un nouveau décompte, lequel a révélé 100 personnes
supplémentaires. En outre, la capacité prévue pour chaque site est
déjà supérieure à ce qu’elle devrait être si les normes internationales
étaient respectées: par exemple, le HCR m’a appris que selon leurs normes,
Oreokastro, dont la capacité officielle est de 1 500 personnes,
avait une capacité réelle de 700 personnes seulement. 90 % des habitants
du camp de Sindos sont des Syriens et 10 % des Iraquiens; Oreokastro
compte 96 % de Syriens et Softex, 99 % de Syriens.
5. La majorité des hébergements (tous les hébergements dans le
cas de Sindos) sont des tentes montées à l’intérieur d’un ancien
entrepôt. J’ai visité Sindos trop tôt le matin pour pouvoir regarder
à l’intérieur de l’entrepôt mais à Oreokastro et Softex, où j’ai
pu entrer à l’intérieur, les bâtiments étaient mal éclairés et ventilés
et les tentes étaient bien trop proches les unes des autres. L’alimentation
électrique des tentes était insuffisante et l’éclairage était trop
faible. Les occupants devaient choisir entre la lumière, en laissant
la porte de leur tente ouverte, et l’intimité, avec la porte fermée.
La proximité entre les tentes signifiait qu’en cas d’incendie, il
se propagerait rapidement et il serait difficile d’y échapper. De
nombreuses zones à l’intérieur des bâtiments étaient particulièrement
sombres et sinistres, ce qui peut dissuader les femmes de circuler
librement en raison du risque de violence sexuelle et fondée sur
le genre. Plus généralement, les conditions à l’intérieur des bâtiments
pourraient attiser les tensions et générer des troubles, voire des
incidents de violence.
6. A Oreokastro et Softex, des tentes étaient également plantées
à l’extérieur des bâtiments. A Oreokastro, les résidents avaient
eux-mêmes déplacé leurs tentes installées sur un terrain poussiéreux
vers la dalle en béton entourant le bâtiment, le terrain étant infesté
de rats et de serpents. A Softex, les tentes situées à l’extérieur
sont bien trop proches les unes des autres et elles ont été plantées
sur un terrain sans écoulement, ce qui est particulièrement problématique
en cas de fortes pluies étant donné que toutes les tentes ne sont
pas équipées d’une base étanche; il y a également une absence totale
d’ombre, ce qui rendra le soleil estival difficilement supportable.
7. Les installations sanitaires ne sont pas suffisantes en termes
de qualité et de quantité, avec seulement quelques toilettes chimiques
et cabines de douche pour des centaines de personnes. A Oreokastro,
les eaux usées des douches s’écoulaient sur la dalle en béton et
formaient une marre stagnante, à proximité des tentes habitées;
la zone était déjà infestée de moustiques. A Softex, les lavabos
étaient fixés à un mur extérieur, exposé aux intempéries. Impossible
de savoir si l’eau courante était potable, et ainsi, jusqu’à ce
que des tests soient réalisés, l’eau potable était fournie en bouteilles
– un litre et demi par personne et par jour, même si une ONG apportait
des quantités supplémentaires. Il m’a été assuré que les sanitaires
et l’approvisionnement en eau seraient grandement améliorés. Aucun
des sites ne mettait à la disposition de ses résidents un soutien psychosocial
bien que nombre d’entre eux aient subi un traumatisme avant et au
cours de leurs périples, et malgré le stress supplémentaire du transfert
soudain et inexpliqué vers de nouvelles installations lugubres et isolées
– et la gravité de nombreux cas nécessite plus qu’un simple soutien
psychosocial .
Aucun des sites ne proposait des activités éducatives, sociales
ou culturelles ou une aire de jeux, même si à Sindos, une ONG était
en train de construire une salle de classe .
8. Les autorités grecques ont fait des efforts impressionnants
pour évacuer le camp d’Idomeni et transférer ses occupants vers
d’autres sites, en particulier au vu de leurs contraintes budgétaires
importantes. A de nombreux égards, les nouveaux sites constituent
une amélioration par rapport à l’anarchie qui régnait à Idomeni,
même si au fil du temps un solide réseau d’ONG et de volontaires
s’était formé pour répondre aux nombreux besoins fondamentaux des
occupants. En l’état actuel des choses, cependant, les nouveaux
sites représentent malheureusement une occasion manquée de créer
des installations conformes aux normes internationales et pouvant
offrir un refuge à long terme et d’autres infrastructures essentielles
aux réfugiés et aux migrants. J’encourage vivement les autorités
grecques à poursuivre leurs efforts d’amélioration des sites, en
coopération avec le HCR et les ONG compétentes, et avec un plus
grand appui de l’Union européenne.
3. Les autres sites à Thessalonique et Athènes
9. Pendant mon séjour à Thessalonique,
j’ai également visité le centre d’accueil de Diavata, qui a été
établi en février 2016 sur un ancien camp de l’armée et qui est
officiellement géré par le service Premier d’accueil du ministère
de l’Immigration grec. Aucun représentant du ministère n’était présent
lors de ma visite mais j’ai appris que la personne responsable ne
venait dans le camp que toutes les quelques semaines. Le site est mieux
que ceux décrits ci-dessus. Il est plus spacieux, dispose de zones
communes ombragées, d’une aire de jeux et d’un terrain de football.
La majorité des hébergements sont des constructions préfabriquées
mais il n’en reste pas moins qu’en été il risque de faire très chaud
à l’intérieur de ces préfabriqués et des tentes. Le HCR a fait l’éloge
de l’engagement du personnel de l’armée qui, dans les faits, dirige
le camp. Néanmoins des lacunes demeurent, notamment un manque d’informations
sur la procédure d’asile et les droits des réfugiés et des migrants,
un problème endémique dans toute la Grèce.
10. A Athènes, avec la commission ad hoc, nous avons visité un
camp de réfugiés à Elliniko et le centre d’accueil de Skaramagas.
Le camp d’Elliniko avait initialement été établi pour les séjours
temporaires de courte durée. Sous la responsabilité du ministère
de l’Immigration, il consiste en une jungle chaotique de tentes
et d’abris de fortune érigés à l’intérieur et autour du bâtiment
principal de l’ancien stade olympique de hockey. Certains sont fixés
aux murs extérieurs, d’autres à l’intérieur, y compris au sous-sol
où il n’y a pas de lumière naturelle ni de ventilation efficace.
Je n’ai pas grand chose à ajouter à d’autres observations qui ont
jugé les conditions du site complètement inadaptées aux séjours
plus longs pour lesquels il est en réalité utilisé .
Je constate que le ministre de l’Immigration, M. Mouzalas, a annoncé
qu’après Idomeni, sa priorité suivante serait de déplacer les occupants
du camp d’Elliniko (et du Pirée) .
Je l’y invite fortement, et j’exhorte les autorités à veiller à
ce que les nouveaux sites respectent pleinement les normes internationales
dès le début.
11. Le centre d’accueil de Skaramagas, ouvert en avril 2016 pour
les personnes transférées du camp informel du port du Pirée et géré
par la Marine grecque, était en revanche un site bien plus salubre.
Construit dans un grand espace ouvert dans un port au nord d’Athènes,
il comprend des logements en conteneurs dont la plupart voire tous
sont équipés de la climatisation, qui sera indispensable à mesure
que la température augmente étant donné qu’il n’y a pas d’ombre.
Les sanitaires étaient suffisants et il y avait une salle de classe pour
les enfants. Bien que sans doute un peu isolé des zones d’habitation,
le camp de Skaramagas est une nette amélioration par rapport aux
sites construits à la hâte comme Sindos, Oreokastro et Softex, et
montre ce qui peut être fait en adoptant la bonne méthode.
4. La zone sensible de Lesbos–Moria, le centre d’accueil de Kara Tepe et l’hôtel Silver Bay
12. Avec une délégation restreinte
de la commission ad hoc, j’ai également visité Lesbos, notamment
la zone sensible de Moria, le centre d’accueil de Kara Tepe et l’hôtel
Silver Bay.
13. Malgré la petite taille de la délégation qui a visité Moria,
tel que requis par les autorités grecques pour des raisons de sécurité,
nous n’avons pu voir que très peu de choses du site. Outre une rencontre
avec des représentants du Service d’asile grec, nous n’avons été
autorisés qu’à visiter un centre médical dirigé par Médecins du
Monde, séparé de la zone d’hébergement principale par une clôture
de plusieurs rangées de barbelés. Même si nous étions accompagnés
de plusieurs soldats, nous avons été informés qu’au-delà de cette
limite, les autorités ne pouvaient pas garantir notre sécurité;
la présence de visiteurs européens risquait d’échauffer les esprits,
l’«Europe» étant considérée comme responsable des fermetures des
frontières et de la restriction du nombre de nouveaux arrivants
dans les îles. Même de l’endroit où nous nous trouvions, il était évident
que l’ambiance dans le camp était extrêmement tendue, comme en témoignaient
les occupants brandissant des banderoles faites main à notre attention
et les slogans peints sur les murs. Alors que nous quittions Moria,
un groupe de jeunes hommes très agités s’est précipité vers notre
bus, hurlant à la liberté et à la fin de la discrimination (en référence
à la priorité accordée aux Syriens). La police a dû faire usage
de la force pour éviter que notre bus ne soit bloqué. Le lendemain
de notre visite, il y a eu une explosion notable de violence; 70 personnes
auraient été blessées, dont six nécessitant des soins hospitaliers,
et un grand incendie a détruit les tentes et les hébergements, laissant
des centaines de personnes sans abri . Il ne s’agit pas là de la première
flambée de violence à Moria; des d’émeutes en protestation contre
les conditions de détention avaient eu lieu fin avril, au cours
d’une visite des ministres de l’Immigration grec et néerlandais .
Il y a également eu des protestations et des troubles dans d’autres
zones sensibles, notamment à Chios et à Samos .
14. Nous avons vu de nombreux enfants à l’intérieur de la zone
d’hébergement; en plus de ceux vivant avec leurs parents, Médecins
sans frontières m’a dit qu’il y avait encore plus de 50 enfants
non accompagnés ou séparés qui vivaient dans cette zone sensible.
Avec sa clôture aux nombreuses rangées de barbelés, Moria a l’allure
d’une prison de haute sécurité, une impression accentuée par la
tension latente et les flambées de violence. Ce n’est absolument
pas un endroit pour les enfants, qu’ils soient avec leurs parents
ou non. Les autorités grecques devraient immédiatement transférer
tous les enfants et, le cas échéant, leurs parents ou proches accompagnants
en dehors de Moria et des autres zones sensibles, vers des lieux
d’hébergement appropriés.
15. Même si je n’ai pas vu de près les conditions de vie à Moria,
ce que j’ai vécu m’a laissé une forte impression de l’atmosphère
générale et de l’état psychologique de ses habitants. Il y a beaucoup
d’incertitude concernant de nombreux aspects de leur situation.
J’ai eu beaucoup de mal à tirer au clair la politique de rétention
mise en œuvre par les autorités. Selon la nouvelle loi entrée en
vigueur le 1er avril, les nouveaux arrivants
peuvent être détenus jusqu’à 25 jours pendant le traitement de leurs
demandes. Plusieurs ONG m’ont dit qu’en raison des capacités insuffisantes
du service d’asile, les personnes n’étaient même pas interrogées
dans le délai de rétention, si bien que dans les faits elles étaient
toujours détenues pendant la durée complète des 25 jours. Les autorités,
cependant, ont indiqué que dans la réalité la plupart des personnes étaient
autorisées à venir à Moria et à en partir dans un délai beaucoup
plus court, et elles ont même laissé entendre qu’en réalité le camp
était ouvert à tous, dès le jour de leur arrivée .
Dès lors qu’elles sortent du camp de rétention, les personnes qui
ont pu trouver un hébergement ailleurs dans l’île doivent venir
se présenter trois fois par semaine, et celles qui n’ont pas pu
trouver un autre hébergement doivent revenir au camp le soir. Les
personnes vulnérables doivent être contrôlées et transférées en
dehors des zones sensibles dans un délai de 10 jours à compter de
leur arrivée; Médecins sans frontières m’a confié, toutefois, qu’il
y avait encore de nombreuses personnes vulnérables à Moria (notamment
des mineurs non accompagnés, même s’ils sont séparés du reste de
la population), et que les transferts vers Kara Tepe (voir ci-après)
avaient cessé, bien que le camp pût accueillir beaucoup plus de
personnes. Les griefs les plus graves semblent concerner l’ignorance
des droits et des perspectives en vertu de la procédure d’asile.
J’y reviendrai ultérieurement.
16. Nous avons également visité le centre d’accueil de Kara Tepe
sur l’île de Lesbos, géré par la municipalité. Ce site était spacieux,
bien entretenu, bien équipé et proposait des activités sociales
à ses habitants, même si la qualité des hébergements à la périphérie
n’était pas aussi bonne que dans les zones centrales. De nombreuses
ONG nationales et internationales étaient présentes dans le centre,
offrant tout un éventail de services. L’atmosphère était calme et
détendue et nous avons pu explorer le site librement. Enfin, nous
avons visité l’hôtel Silver Bay géré par des ONG, notamment Caritas,
pour les réfugiés vulnérables. Là encore, les installations et les
services étaient bons et l’atmosphère calme et détendue.
17. Après ces visites, nous avons eu une réunion avec les autorités
locales et régionales, des représentants d’organisations non gouvernementales
locales et des représentants du HCR, de l’Agence européenne pour
la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures
des Etats membres de l’Union européenne (Frontex) et de la Commission
européenne. Trois thèmes liés se sont dégagés. Premièrement, selon
le maire, la population locale, qui se montrait jusqu’alors compatissante
à l’égard des réfugiés et des migrants victimes d’un grand malheur,
est de plus en plus frustrée et préoccupée depuis la mise en œuvre
de l’accord UE-Turquie, en particulier après le signalement de vols
effectués par des réfugiés et des migrants démunis. A moins que
des mesures ne soient prises pour garantir la sécurité et rassurer
la population locale, il existe un risque de réaction contre les
réfugiés et les migrants. Deuxièmement, les pouvoirs locaux n’ont
reçu aucune aide de la part du gouvernement central ni de l’Union
européenne, ils n’ont pu compter que sur leurs propres ressources . Ils nécessitent des fonds européens afin
de poursuivre leurs efforts. Les représentants de la Commission
européenne et le Service d’asile grec ont entamé de longues discussions
à ce sujet. La Commission européenne a affirmé que Bruxelles mettait
à disposition tous les fonds nécessaires, que toutes les décisions
étaient prises en accord avec les autorités grecques, et que les
problèmes concernaient la coordination entre les niveaux central,
régional et local de l’administration nationale, de sorte que les
fonds disponibles ne sont pas suffisamment utilisés. Le Service
d’asile grec a répondu que les fonds européens destinés aux activités
humanitaires étaient dirigés vers les ONG par l’intermédiaire du
HCR et n’étaient donc pas accessibles au gouvernement central ni,
indirectement, aux pouvoirs locaux. Le troisième thème portait sur
la situation sur l’île qui a été dépeinte de manière injuste et
inexacte dans les médias internationaux, ce qui a eu un effet important
sur le secteur du tourisme de l’économie locale.
5. L’opération de pré-enregistrement lancée par le Service d’asile, l’EASO et le HCR
18. Dans mon précédent exposé des
motifs, j’ai noté que le 14 mai, une «opération de pré-enregistrement» avait
été annoncée, en des termes quelque peu vagues et ambigus, par le
Service d’asile, l’EASO et le HCR. Au cours de ma visite, j’en ai
appris plus sur cette opération, qui s’avère être d’une grande importance . Elle est destinée aux personnes qui
se trouvent actuellement sur le continent, qui sont arrivées en
Grèce entre le 1er janvier 2015 et le
20 mars 2016 et qui n’ont pas encore de carte de demandeur d’asile.
Les personnes qui vivent dans des sites informels comme celui du
Pirée et de la station essence EKO près d’Idomeni seront uniquement
pré-enregistrées si elles veulent être déplacées vers un site officiel
– bien qu’il n’y ait actuellement pas de places disponibles. Les
nom, âge, nationalité et l’intention de déposer une demande d’asile
des individus seront enregistrés et les demandeurs d’asile recevront
une carte de demandeur d’asile. Aucun détail de la demande d’asile
ne sera divulgué mais cet enregistrement préalable permettra de
fixer des entretiens avec les demandeurs d’asile. Il devrait donc
remplacer le processus actuel en vertu duquel les demandeurs doivent
utiliser Skype pour prendre rendez-vous pour déposer leur demande
d’asile: un processus raté qui a généré une frustration énorme parmi
le grand nombre de demandeurs d’asile dont les appels sont restés
sans réponse, apparemment en raison du manque de personnel chargé
de réceptionner les appels au sein du Service d’asile .
L’opération de pré-enregistrement devrait se terminer fin juillet.
Malheureusement, il y a eu des retards même avant qu’elle ne démarre,
et la date de lancement a été reportée du 30 mai au 6 juin. (Il semble
qu’en définitive l’opération ait commencé le 8 juin.) Le calendrier
des phases ultérieures est également incertain: les rendez-vous
pour les entretiens avec le Service d’asile seront donnés «probablement
fin juillet» et ils pourront avoir lieu «quelques mois» après le
pré-enregistrement. Les personnes qui ne respectent pas rigoureusement
les règles de procédure de l’opération de pré-enregistrement devront
revenir au processus Skype. Etant donné le très grand nombre de
demandes d’asile attendu, cela pourrait prendre beaucoup de temps
avant qu’elles ne soient toutes entièrement traitées.
19. Il est absolument primordial que l’opération de pré-enregistrement
se déroule dans les délais, de manière efficace et rationnelle.
Le manque de clarté et l’incertitude concernant la procédure d’asile
est source de grande angoisse pour les réfugiés sur tout le territoire
grec et constitue l’un des facteurs principaux à l’origine des tensions
et des émeutes dans les zones sensibles. Tant que les personnes
ne sont pas préalablement enregistrées, elles ne peuvent être prises
en compte pour un transfert en vertu des décisions de l’Union européenne,
un regroupement familial en vertu du Règlement de Dublin ou le statut
de réfugié en Grèce – pour lesquels elles sont nombreuses à remplir
les conditions nécessaires –, et sans carte de demandeur d’asile
elles peuvent rencontrer des difficultés à accéder aux services
essentiels, notamment les soins médicaux. Par conséquent, cette
opération présente un véritable intérêt également pour les autorités grecques,
étant donné que les principaux mécanismes de coopération internationale
ne peuvent être mis en place pour les personnes qui n’ont pas été
préalablement enregistrées. De ce fait, il est indispensable que
le système fonctionne. Le soutien de l’Union européenne à la Grèce
doit accorder la priorité à cette question, et l’Union européenne
et les autres Etats concernés doivent veiller à ce que les procédures
de regroupement familial et de transfert soient menées avec rapidité
et efficacité. Le pré-enregistrement ne constitue que la toute première
étape administrative et il doit être rapidement suivi de l’ouverture
d’une procédure d’asile ou de relocalisation.
6. Bureaucratie, responsabilité et informations: efficacité et transparence
20. Face à la situation actuelle,
les autorités grecques semblent réagir avec une grande complexité bureaucratique
et beaucoup d’inefficacité. Par exemple, sur les huit sites gérés
par les pouvoirs publics que j’ai visités, un (Elliniko) était dirigé
par le ministère de l’Immigration, deux (Moria et Diavata) par le
ministère de l’Intérieur (bien que dans les faits il soit dirigé
par l’armée), trois (à Thessalonique) par l’armée, un (Skaramagas)
par la Marine et un (Kara Tepe) par les pouvoirs locaux. Conséquence
de cette multiplicité des acteurs, lors de la visite de la commission
ad hoc à Athènes, nous avons rencontré pas moins de cinq ministres du
gouvernement. Cela cache peut-être une certaine logique mais ne
favorise pas la coordination, la logistique et les économies d’échelle.
Je constate également que le Service d’asile collabore avec deux
organisations internationales différentes (l’EASO et le HCR) dans
le cadre de l’opération de pré-enregistrement. Cependant, ces situations
ne sont pas toujours provoquées par les autorités grecques, comme
l’attribution par l’Union européenne de l’aide humanitaire aux réfugiés
et migrants en Grèce non pas au gouvernement grec mais au HCR (voir
paragraphe 17), qui à son tour gère la répartition de cette aide
entre les ONG partenaires qui fournissent les services sur le terrain
– le gouvernement grec jouant alors un rôle de contrôle. Ce processus ajoute
certainement des couches de complexité administrative, du retard
et des dépenses, au détriment des bénéficiaires désignés.
21. A plusieurs moments au cours de la préparation de mon rapport,
je me suis trouvée confrontée à des ambiguïtés apparentes, des incohérences
et des omissions dans les informations disponibles concernant, par exemple,
le nombre d’agents grecs et de l’EASO opérationnels dans les îles
et le nombre de décisions prononcées et de recours tranchés. D’autres
zones d’ombre sont énumérées dans cet addendum, comme les taux d’occupation
des centres d’accueil et la responsabilité journalière de leur administration,
la politique de rétention dans les zones sensibles, le décaissement
et l’attribution des fonds de l’Union européenne, ainsi que le calendrier
de pré-enregistrement des réfugiés et des migrants et le traitement
ultérieur de leurs demandes d’asile. Un récent rapport conclut que
la majorité des informations qui seraient nécessaires pour évaluer
la mise en œuvre de l’accord UE-Turquie ne sont simplement pas disponibles,
ou du moins publiées de manière éparse, incohérente et incomplète .
22. Les considérations ci-dessus sont toutes importantes pour
la transparence et la responsabilité des efforts déployés par les
autorités nationales et l’Union européenne afin de répondre à la
situation des migrants et des réfugiés en Grèce. Si ces organes
ne possèdent pas des informations claires, cohérentes et complètes sur
la situation et leurs réponses à cette dernière, il est difficile
de voir comment leurs activités peuvent être bien ciblées, bien
coordonnées, efficaces et rationnelles. S’ils possèdent ces informations
– ce que j’espère de tout cœur – il convient alors de les diffuser
sous une forme facilement accessible, afin de faciliter la compréhension
du public et de permettre un contrôle externe approprié. Il est
également difficile de demander aux pouvoirs publics, y compris
les organisations internationales, de rendre des comptes de manière
efficace lorsqu’on ne sait pas très bien qui est responsable de
quoi, dans le cas où plusieurs organes sont conjointement responsables
d’une même activité ou lorsqu’ils sont responsables d’activités
similaires. J’encourage à la fois les autorités grecques et l’Union
européenne à publier des informations adaptées, cohérentes, claires,
complètes et compréhensibles et à coopérer de manière à ce que les
obstacles bureaucratiques soient minimisés.
7. Conclusions
23. Dans l’ensemble, ma visite
m’a permis de mieux comprendre la situation en Grèce telle qu’elle
est présentée dans le rapport. Il y a des lueurs d’espoir, comme
la qualité généralement acceptable des centres d’accueil à Skaramagas
et Diavata, par exemple, et même la détermination et l’efficacité
démontrées par les autorités dans le transfert des personnes du
camp d’Idomeni. Néanmoins, ces points positifs sont assombris par
les conditions inacceptables du camp d’Elliniko, dans les nouveaux
sites de Thessalonique et dans la zone sensible de Moria. Au vu
de leur situation financière actuelle, personne ne peut s’attendre
à ce que les autorités grecques puissent résoudre ces problèmes
si elles ne reçoivent pas une assistance et un soutien extérieurs beaucoup
plus grands. Je suis désormais plus convaincue que jamais qu’à moins
que les choses ne changent bientôt, la situation en Grèce n’est
tout simplement pas durable.