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Addendum au rapport | Doc. 14082 Add | 20 juin 2016

Les réfugiés en danger en Grèce

Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées

Rapporteure : Mme Tineke STRIK, Pays-Bas, SOC

Origine - Addendum approuvé par la commission le 20 juin 2016. 2016 - Troisième partie de session

1. Introduction

1. Le présent addendum vise à compléter le rapport approuvé par la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées lors de sa réunion du 3 juin 2016. Il met à jour les informations relatives à certaines situations factuelles abordées dans le rapport et présente mes constations et conclusions à la suite de ma visite en tant que rapporteure en Grèce le 29 mai 2016 et de ma participation à la visite effectuée par la commission ad hoc du Bureau de l’Assemblée parlementaire les 30 et 31 mai 
			(1) 
			Mme Meritxell
Mateu (Andorre, ADLE) a présenté un rapport sur la visite de la
commission ad hoc du Bureau qui constituera un addendum au rapport
d’activité du Bureau (Doc.
14086 Addendum III).. Je souhaite remercier la délégation grecque pour son aide concernant l’organisation de ma visite le 29 mai, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) pour son aide au cours de la visite et le Conseil grec pour les réfugiés, le Forum grec pour les réfugiés, Médecins sans Frontières et Human Rights Watch, dont j’ai rencontré les représentants à Athènes. Je souhaite également remercier l’organisation non gouvernementale grecque METAdrasi, dont le représentant a participé à un échange de vues avec la commission le 3 juin 2016.

2. L’évacuation d’Idomeni et les nouveaux sites à Thessalonique

2. Au cours de la semaine qui a précédé ma visite en Grèce, les autorités grecques ont lancé une grande opération d’évacuation du camp informel d’Idomeni situé à la frontière avec «l’ex-République yougoslave de Macédoine». A Thessalonique, j’ai pu visiter quelques-uns des nouveaux centres d’accueil vers lesquels les occupants du camp d’Idomeni ont été transférés, notamment Sindos (Karamanli), Oreokastro et Softex.
3. Ces centres sont tous situés sur des sites industriels désaffectés, isolés des zones d’habitation, des commerces ou de toute activité sociale. Ils ont été créés en quelques jours par l’armée, désormais chargée de les administrer. A Softex, j’ai rencontré l’officier de l’armée qui avait mené la construction de plusieurs de ces sites. Il est évident que malgré son engagement professionnel et ses meilleures intentions, il ignorait ce qui était nécessaire pour construire un centre d’accueil conforme aux normes internationales. Le HCR et des ONG spécialisées se sont plaints de ne pas avoir été écoutés par les autorités. Deux officiers de police étaient présents sur chaque site pour assurer la sécurité, bien qu’à Softex, selon ce que l’on m’a dit, ils ne fussent pas intervenus lors d’une bagarre générale qui avait éclaté la veille. Dans l’ensemble, il y avait très peu de contacts entre les autorités et les résidents des camps. A Oreokastro et Softex, les dangers physiques étaient manifestes, tels que des fossés ouverts dans des zones non éclairées et des déchets comme des éclats de bois et du métal rouillé; les enfants jouaient avec des objets abandonnés qui ne convenaient pas du tout à cet usage.
4. Au moment de ma visite, selon les chiffres officiels, les trois sites étaient déjà à leur capacité maximale officielle voire au-delà 
			(2) 
			Le HCR
présente les chiffres du gouvernement au 30 mai indiquant que le
camp de Sindos/Karamanli, dont la capacité officielle est de 600 personnes,
accueille 607 personnes, le camp d’Oreokastro (capacité de 1 500 personnes) 1 432
et le camp de Softex (capacité de 1 000 personnes) 1 163.. Les taux d’occupation officiels peuvent, toutefois, ne pas être fiables: le HCR m’a confié qu’à Oreokastro, ils avaient demandé aux autorités de procéder à un nouveau décompte, lequel a révélé 100 personnes supplémentaires. En outre, la capacité prévue pour chaque site est déjà supérieure à ce qu’elle devrait être si les normes internationales étaient respectées: par exemple, le HCR m’a appris que selon leurs normes, Oreokastro, dont la capacité officielle est de 1 500 personnes, avait une capacité réelle de 700 personnes seulement. 90 % des habitants du camp de Sindos sont des Syriens et 10 % des Iraquiens; Oreokastro compte 96 % de Syriens et Softex, 99 % de Syriens.
5. La majorité des hébergements (tous les hébergements dans le cas de Sindos) sont des tentes montées à l’intérieur d’un ancien entrepôt. J’ai visité Sindos trop tôt le matin pour pouvoir regarder à l’intérieur de l’entrepôt mais à Oreokastro et Softex, où j’ai pu entrer à l’intérieur, les bâtiments étaient mal éclairés et ventilés et les tentes étaient bien trop proches les unes des autres. L’alimentation électrique des tentes était insuffisante et l’éclairage était trop faible. Les occupants devaient choisir entre la lumière, en laissant la porte de leur tente ouverte, et l’intimité, avec la porte fermée. La proximité entre les tentes signifiait qu’en cas d’incendie, il se propagerait rapidement et il serait difficile d’y échapper. De nombreuses zones à l’intérieur des bâtiments étaient particulièrement sombres et sinistres, ce qui peut dissuader les femmes de circuler librement en raison du risque de violence sexuelle et fondée sur le genre. Plus généralement, les conditions à l’intérieur des bâtiments pourraient attiser les tensions et générer des troubles, voire des incidents de violence.
6. A Oreokastro et Softex, des tentes étaient également plantées à l’extérieur des bâtiments. A Oreokastro, les résidents avaient eux-mêmes déplacé leurs tentes installées sur un terrain poussiéreux vers la dalle en béton entourant le bâtiment, le terrain étant infesté de rats et de serpents. A Softex, les tentes situées à l’extérieur sont bien trop proches les unes des autres et elles ont été plantées sur un terrain sans écoulement, ce qui est particulièrement problématique en cas de fortes pluies étant donné que toutes les tentes ne sont pas équipées d’une base étanche; il y a également une absence totale d’ombre, ce qui rendra le soleil estival difficilement supportable.
7. Les installations sanitaires ne sont pas suffisantes en termes de qualité et de quantité, avec seulement quelques toilettes chimiques et cabines de douche pour des centaines de personnes. A Oreokastro, les eaux usées des douches s’écoulaient sur la dalle en béton et formaient une marre stagnante, à proximité des tentes habitées; la zone était déjà infestée de moustiques. A Softex, les lavabos étaient fixés à un mur extérieur, exposé aux intempéries. Impossible de savoir si l’eau courante était potable, et ainsi, jusqu’à ce que des tests soient réalisés, l’eau potable était fournie en bouteilles – un litre et demi par personne et par jour, même si une ONG apportait des quantités supplémentaires. Il m’a été assuré que les sanitaires et l’approvisionnement en eau seraient grandement améliorés. Aucun des sites ne mettait à la disposition de ses résidents un soutien psychosocial bien que nombre d’entre eux aient subi un traumatisme avant et au cours de leurs périples, et malgré le stress supplémentaire du transfert soudain et inexpliqué vers de nouvelles installations lugubres et isolées – et la gravité de nombreux cas nécessite plus qu’un simple soutien psychosocial 
			(3) 
			Le
projet de réadaptation des victimes de torture et autres formes
de mauvais traitement de Médecins sans frontières, par exemple,
a reçu 147 personnes au cours des cinq premiers mois de l’année 2016.. Aucun des sites ne proposait des activités éducatives, sociales ou culturelles ou une aire de jeux, même si à Sindos, une ONG était en train de construire une salle de classe 
			(4) 
			Pour de plus amples
informations sur ces sites et d’autres sites en Grèce, consulter
le document «Site profiles – Greece», HCR..
8. Les autorités grecques ont fait des efforts impressionnants pour évacuer le camp d’Idomeni et transférer ses occupants vers d’autres sites, en particulier au vu de leurs contraintes budgétaires importantes. A de nombreux égards, les nouveaux sites constituent une amélioration par rapport à l’anarchie qui régnait à Idomeni, même si au fil du temps un solide réseau d’ONG et de volontaires s’était formé pour répondre aux nombreux besoins fondamentaux des occupants. En l’état actuel des choses, cependant, les nouveaux sites représentent malheureusement une occasion manquée de créer des installations conformes aux normes internationales et pouvant offrir un refuge à long terme et d’autres infrastructures essentielles aux réfugiés et aux migrants. J’encourage vivement les autorités grecques à poursuivre leurs efforts d’amélioration des sites, en coopération avec le HCR et les ONG compétentes, et avec un plus grand appui de l’Union européenne.

3. Les autres sites à Thessalonique et Athènes

9. Pendant mon séjour à Thessalonique, j’ai également visité le centre d’accueil de Diavata, qui a été établi en février 2016 sur un ancien camp de l’armée et qui est officiellement géré par le service Premier d’accueil du ministère de l’Immigration grec. Aucun représentant du ministère n’était présent lors de ma visite mais j’ai appris que la personne responsable ne venait dans le camp que toutes les quelques semaines. Le site est mieux que ceux décrits ci-dessus. Il est plus spacieux, dispose de zones communes ombragées, d’une aire de jeux et d’un terrain de football. La majorité des hébergements sont des constructions préfabriquées mais il n’en reste pas moins qu’en été il risque de faire très chaud à l’intérieur de ces préfabriqués et des tentes. Le HCR a fait l’éloge de l’engagement du personnel de l’armée qui, dans les faits, dirige le camp. Néanmoins des lacunes demeurent, notamment un manque d’informations sur la procédure d’asile et les droits des réfugiés et des migrants, un problème endémique dans toute la Grèce.
10. A Athènes, avec la commission ad hoc, nous avons visité un camp de réfugiés à Elliniko et le centre d’accueil de Skaramagas. Le camp d’Elliniko avait initialement été établi pour les séjours temporaires de courte durée. Sous la responsabilité du ministère de l’Immigration, il consiste en une jungle chaotique de tentes et d’abris de fortune érigés à l’intérieur et autour du bâtiment principal de l’ancien stade olympique de hockey. Certains sont fixés aux murs extérieurs, d’autres à l’intérieur, y compris au sous-sol où il n’y a pas de lumière naturelle ni de ventilation efficace. Je n’ai pas grand chose à ajouter à d’autres observations qui ont jugé les conditions du site complètement inadaptées aux séjours plus longs pour lesquels il est en réalité utilisé 
			(5) 
			Voir, par exemple,
le «Rapport de la visite d’information de l’Ambassadeur Tomáš Boček,
Représentant spécial du Secrétaire Général pour les migrations et
les réfugiés, en Grèce et dans “l’ex-République yougoslave de Macédoine”»,
7-11 mars 2016», 26 avril 2016, SG/Inf(2016)18.. Je constate que le ministre de l’Immigration, M. Mouzalas, a annoncé qu’après Idomeni, sa priorité suivante serait de déplacer les occupants du camp d’Elliniko (et du Pirée) 
			(6) 
			Voir, par exemple, «Elliniko
refugee camp next, after Idomeni is evacuated», Ekathimerini, 26 mai 2016.. Je l’y invite fortement, et j’exhorte les autorités à veiller à ce que les nouveaux sites respectent pleinement les normes internationales dès le début.
11. Le centre d’accueil de Skaramagas, ouvert en avril 2016 pour les personnes transférées du camp informel du port du Pirée et géré par la Marine grecque, était en revanche un site bien plus salubre. Construit dans un grand espace ouvert dans un port au nord d’Athènes, il comprend des logements en conteneurs dont la plupart voire tous sont équipés de la climatisation, qui sera indispensable à mesure que la température augmente étant donné qu’il n’y a pas d’ombre. Les sanitaires étaient suffisants et il y avait une salle de classe pour les enfants. Bien que sans doute un peu isolé des zones d’habitation, le camp de Skaramagas est une nette amélioration par rapport aux sites construits à la hâte comme Sindos, Oreokastro et Softex, et montre ce qui peut être fait en adoptant la bonne méthode.

4. La zone sensible de Lesbos–Moria, le centre d’accueil de Kara Tepe et l’hôtel Silver Bay

12. Avec une délégation restreinte de la commission ad hoc, j’ai également visité Lesbos, notamment la zone sensible de Moria, le centre d’accueil de Kara Tepe et l’hôtel Silver Bay.
13. Malgré la petite taille de la délégation qui a visité Moria, tel que requis par les autorités grecques pour des raisons de sécurité, nous n’avons pu voir que très peu de choses du site. Outre une rencontre avec des représentants du Service d’asile grec, nous n’avons été autorisés qu’à visiter un centre médical dirigé par Médecins du Monde, séparé de la zone d’hébergement principale par une clôture de plusieurs rangées de barbelés. Même si nous étions accompagnés de plusieurs soldats, nous avons été informés qu’au-delà de cette limite, les autorités ne pouvaient pas garantir notre sécurité; la présence de visiteurs européens risquait d’échauffer les esprits, l’«Europe» étant considérée comme responsable des fermetures des frontières et de la restriction du nombre de nouveaux arrivants dans les îles. Même de l’endroit où nous nous trouvions, il était évident que l’ambiance dans le camp était extrêmement tendue, comme en témoignaient les occupants brandissant des banderoles faites main à notre attention et les slogans peints sur les murs. Alors que nous quittions Moria, un groupe de jeunes hommes très agités s’est précipité vers notre bus, hurlant à la liberté et à la fin de la discrimination (en référence à la priorité accordée aux Syriens). La police a dû faire usage de la force pour éviter que notre bus ne soit bloqué. Le lendemain de notre visite, il y a eu une explosion notable de violence; 70 personnes auraient été blessées, dont six nécessitant des soins hospitaliers, et un grand incendie a détruit les tentes et les hébergements, laissant des centaines de personnes sans abri 
			(7) 
			«Refugees hospitalised
after huge fire and clashes at Lesbos detention centre amid warnings
over more violence», The Independent,
2 juin 2016.. Il ne s’agit pas là de la première flambée de violence à Moria; des d’émeutes en protestation contre les conditions de détention avaient eu lieu fin avril, au cours d’une visite des ministres de l’Immigration grec et néerlandais 
			(8) 
			Voir, par exemple,
«Underage Refugees Clash with Riot Police at Lesbos Camp», Greek Reporter, 26 avril 2016.. Il y a également eu des protestations et des troubles dans d’autres zones sensibles, notamment à Chios et à Samos 
			(9) 
			Voir, par exemple,
«Doctors of the World Leave Chios Hotspot After Refugee Fight», Greek Reporter, 1er avril
2016; «The Chios Hilton: inside the refugee camp that makes prison
look like a five-star hotel», The Independent, 22
avril 2016; «250 migrants break out of Samos hotspot and cause havoc
on island», Themanews, 7 avril
2016; «Six injured in migrant clashes on Samos island», Ekathimerini, 3 juin 2016.  
			(10) 
			La Cour européenne
des droits de l’homme a récemment communiqué une requête soumise
par des détenus dans la zone sensible de Chios au gouvernement grec,
posant des questions concernant les problèmes soulevés par l’application
des conditions de détention, la légalité de la détention et la fourniture
d’informations sur les raisons de la détention..
14. Nous avons vu de nombreux enfants à l’intérieur de la zone d’hébergement; en plus de ceux vivant avec leurs parents, Médecins sans frontières m’a dit qu’il y avait encore plus de 50 enfants non accompagnés ou séparés qui vivaient dans cette zone sensible. Avec sa clôture aux nombreuses rangées de barbelés, Moria a l’allure d’une prison de haute sécurité, une impression accentuée par la tension latente et les flambées de violence. Ce n’est absolument pas un endroit pour les enfants, qu’ils soient avec leurs parents ou non. Les autorités grecques devraient immédiatement transférer tous les enfants et, le cas échéant, leurs parents ou proches accompagnants en dehors de Moria et des autres zones sensibles, vers des lieux d’hébergement appropriés.
15. Même si je n’ai pas vu de près les conditions de vie à Moria, ce que j’ai vécu m’a laissé une forte impression de l’atmosphère générale et de l’état psychologique de ses habitants. Il y a beaucoup d’incertitude concernant de nombreux aspects de leur situation. J’ai eu beaucoup de mal à tirer au clair la politique de rétention mise en œuvre par les autorités. Selon la nouvelle loi entrée en vigueur le 1er avril, les nouveaux arrivants peuvent être détenus jusqu’à 25 jours pendant le traitement de leurs demandes. Plusieurs ONG m’ont dit qu’en raison des capacités insuffisantes du service d’asile, les personnes n’étaient même pas interrogées dans le délai de rétention, si bien que dans les faits elles étaient toujours détenues pendant la durée complète des 25 jours. Les autorités, cependant, ont indiqué que dans la réalité la plupart des personnes étaient autorisées à venir à Moria et à en partir dans un délai beaucoup plus court, et elles ont même laissé entendre qu’en réalité le camp était ouvert à tous, dès le jour de leur arrivée 
			(11) 
			J’ai compris qu’il
fallait distinguer ce point de l’argument des autorités selon lequel
dans la mesure où les personnes ne sont pas bloquées à l’intérieur
de leur hébergement à Moria la nuit, il ne s’agit pas d’une «détention»,
même si leur circulation est toujours limitée à l’intérieur du périmètre
du site. Je note en passant que cet argument n’est pas cohérent avec
la définition du terme «détention» en vertu de la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 5).. Dès lors qu’elles sortent du camp de rétention, les personnes qui ont pu trouver un hébergement ailleurs dans l’île doivent venir se présenter trois fois par semaine, et celles qui n’ont pas pu trouver un autre hébergement doivent revenir au camp le soir. Les personnes vulnérables doivent être contrôlées et transférées en dehors des zones sensibles dans un délai de 10 jours à compter de leur arrivée; Médecins sans frontières m’a confié, toutefois, qu’il y avait encore de nombreuses personnes vulnérables à Moria (notamment des mineurs non accompagnés, même s’ils sont séparés du reste de la population), et que les transferts vers Kara Tepe (voir ci-après) avaient cessé, bien que le camp pût accueillir beaucoup plus de personnes. Les griefs les plus graves semblent concerner l’ignorance des droits et des perspectives en vertu de la procédure d’asile. J’y reviendrai ultérieurement.
16. Nous avons également visité le centre d’accueil de Kara Tepe sur l’île de Lesbos, géré par la municipalité. Ce site était spacieux, bien entretenu, bien équipé et proposait des activités sociales à ses habitants, même si la qualité des hébergements à la périphérie n’était pas aussi bonne que dans les zones centrales. De nombreuses ONG nationales et internationales étaient présentes dans le centre, offrant tout un éventail de services. L’atmosphère était calme et détendue et nous avons pu explorer le site librement. Enfin, nous avons visité l’hôtel Silver Bay géré par des ONG, notamment Caritas, pour les réfugiés vulnérables. Là encore, les installations et les services étaient bons et l’atmosphère calme et détendue.
17. Après ces visites, nous avons eu une réunion avec les autorités locales et régionales, des représentants d’organisations non gouvernementales locales et des représentants du HCR, de l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l’Union européenne (Frontex) et de la Commission européenne. Trois thèmes liés se sont dégagés. Premièrement, selon le maire, la population locale, qui se montrait jusqu’alors compatissante à l’égard des réfugiés et des migrants victimes d’un grand malheur, est de plus en plus frustrée et préoccupée depuis la mise en œuvre de l’accord UE-Turquie, en particulier après le signalement de vols effectués par des réfugiés et des migrants démunis. A moins que des mesures ne soient prises pour garantir la sécurité et rassurer la population locale, il existe un risque de réaction contre les réfugiés et les migrants. Deuxièmement, les pouvoirs locaux n’ont reçu aucune aide de la part du gouvernement central ni de l’Union européenne, ils n’ont pu compter que sur leurs propres ressources 
			(12) 
			Cela me rappelle la
visite de la sous-commission ad hoc dans les centres d’accueil de
migrants sur l’île de Kos (Grèce), qui a entendu les mêmes plaintes
des pouvoirs locaux: voir le rapport d’information, AS/Mig (2015)
37.. Ils nécessitent des fonds européens afin de poursuivre leurs efforts. Les représentants de la Commission européenne et le Service d’asile grec ont entamé de longues discussions à ce sujet. La Commission européenne a affirmé que Bruxelles mettait à disposition tous les fonds nécessaires, que toutes les décisions étaient prises en accord avec les autorités grecques, et que les problèmes concernaient la coordination entre les niveaux central, régional et local de l’administration nationale, de sorte que les fonds disponibles ne sont pas suffisamment utilisés. Le Service d’asile grec a répondu que les fonds européens destinés aux activités humanitaires étaient dirigés vers les ONG par l’intermédiaire du HCR et n’étaient donc pas accessibles au gouvernement central ni, indirectement, aux pouvoirs locaux. Le troisième thème portait sur la situation sur l’île qui a été dépeinte de manière injuste et inexacte dans les médias internationaux, ce qui a eu un effet important sur le secteur du tourisme de l’économie locale.

5. L’opération de pré-enregistrement lancée par le Service d’asile, l’EASO et le HCR

18. Dans mon précédent exposé des motifs, j’ai noté que le 14 mai, une «opération de pré-enregistrement» avait été annoncée, en des termes quelque peu vagues et ambigus, par le Service d’asile, l’EASO et le HCR. Au cours de ma visite, j’en ai appris plus sur cette opération, qui s’avère être d’une grande importance 
			(13) 
			Pour plus d’informations,
voir les documents «Pre-Registration Step By Step Banner» et «Pre-Registration
– Questions and Answers», publiés par le service d’asile, l’EASO
et le HCR.. Elle est destinée aux personnes qui se trouvent actuellement sur le continent, qui sont arrivées en Grèce entre le 1er janvier 2015 et le 20 mars 2016 et qui n’ont pas encore de carte de demandeur d’asile. Les personnes qui vivent dans des sites informels comme celui du Pirée et de la station essence EKO près d’Idomeni seront uniquement pré-enregistrées si elles veulent être déplacées vers un site officiel – bien qu’il n’y ait actuellement pas de places disponibles. Les nom, âge, nationalité et l’intention de déposer une demande d’asile des individus seront enregistrés et les demandeurs d’asile recevront une carte de demandeur d’asile. Aucun détail de la demande d’asile ne sera divulgué mais cet enregistrement préalable permettra de fixer des entretiens avec les demandeurs d’asile. Il devrait donc remplacer le processus actuel en vertu duquel les demandeurs doivent utiliser Skype pour prendre rendez-vous pour déposer leur demande d’asile: un processus raté qui a généré une frustration énorme parmi le grand nombre de demandeurs d’asile dont les appels sont restés sans réponse, apparemment en raison du manque de personnel chargé de réceptionner les appels au sein du Service d’asile 
			(14) 
			Voir par exemple «Europe
migrant crisis: Asylum seekers in Greece struggle with “dysfunctional”
Skype applications», ABC News,
16 mai 2016. Un réfugié syrien entreprenant a lancé une pétition
en ligne demandant à remplacer le système Skype par des services
personnalisés, laquelle a recueilli plus de 211 000 signatures.. L’opération de pré-enregistrement devrait se terminer fin juillet. Malheureusement, il y a eu des retards même avant qu’elle ne démarre, et la date de lancement a été reportée du 30 mai au 6 juin. (Il semble qu’en définitive l’opération ait commencé le 8 juin.) Le calendrier des phases ultérieures est également incertain: les rendez-vous pour les entretiens avec le Service d’asile seront donnés «probablement fin juillet» et ils pourront avoir lieu «quelques mois» après le pré-enregistrement. Les personnes qui ne respectent pas rigoureusement les règles de procédure de l’opération de pré-enregistrement devront revenir au processus Skype. Etant donné le très grand nombre de demandes d’asile attendu, cela pourrait prendre beaucoup de temps avant qu’elles ne soient toutes entièrement traitées.
19. Il est absolument primordial que l’opération de pré-enregistrement se déroule dans les délais, de manière efficace et rationnelle. Le manque de clarté et l’incertitude concernant la procédure d’asile est source de grande angoisse pour les réfugiés sur tout le territoire grec et constitue l’un des facteurs principaux à l’origine des tensions et des émeutes dans les zones sensibles. Tant que les personnes ne sont pas préalablement enregistrées, elles ne peuvent être prises en compte pour un transfert en vertu des décisions de l’Union européenne, un regroupement familial en vertu du Règlement de Dublin ou le statut de réfugié en Grèce – pour lesquels elles sont nombreuses à remplir les conditions nécessaires –, et sans carte de demandeur d’asile elles peuvent rencontrer des difficultés à accéder aux services essentiels, notamment les soins médicaux. Par conséquent, cette opération présente un véritable intérêt également pour les autorités grecques, étant donné que les principaux mécanismes de coopération internationale ne peuvent être mis en place pour les personnes qui n’ont pas été préalablement enregistrées. De ce fait, il est indispensable que le système fonctionne. Le soutien de l’Union européenne à la Grèce doit accorder la priorité à cette question, et l’Union européenne et les autres Etats concernés doivent veiller à ce que les procédures de regroupement familial et de transfert soient menées avec rapidité et efficacité. Le pré-enregistrement ne constitue que la toute première étape administrative et il doit être rapidement suivi de l’ouverture d’une procédure d’asile ou de relocalisation.

6. Bureaucratie, responsabilité et informations: efficacité et transparence

20. Face à la situation actuelle, les autorités grecques semblent réagir avec une grande complexité bureaucratique et beaucoup d’inefficacité. Par exemple, sur les huit sites gérés par les pouvoirs publics que j’ai visités, un (Elliniko) était dirigé par le ministère de l’Immigration, deux (Moria et Diavata) par le ministère de l’Intérieur (bien que dans les faits il soit dirigé par l’armée), trois (à Thessalonique) par l’armée, un (Skaramagas) par la Marine et un (Kara Tepe) par les pouvoirs locaux. Conséquence de cette multiplicité des acteurs, lors de la visite de la commission ad hoc à Athènes, nous avons rencontré pas moins de cinq ministres du gouvernement. Cela cache peut-être une certaine logique mais ne favorise pas la coordination, la logistique et les économies d’échelle. Je constate également que le Service d’asile collabore avec deux organisations internationales différentes (l’EASO et le HCR) dans le cadre de l’opération de pré-enregistrement. Cependant, ces situations ne sont pas toujours provoquées par les autorités grecques, comme l’attribution par l’Union européenne de l’aide humanitaire aux réfugiés et migrants en Grèce non pas au gouvernement grec mais au HCR (voir paragraphe 17), qui à son tour gère la répartition de cette aide entre les ONG partenaires qui fournissent les services sur le terrain – le gouvernement grec jouant alors un rôle de contrôle. Ce processus ajoute certainement des couches de complexité administrative, du retard et des dépenses, au détriment des bénéficiaires désignés.
21. A plusieurs moments au cours de la préparation de mon rapport, je me suis trouvée confrontée à des ambiguïtés apparentes, des incohérences et des omissions dans les informations disponibles concernant, par exemple, le nombre d’agents grecs et de l’EASO opérationnels dans les îles et le nombre de décisions prononcées et de recours tranchés. D’autres zones d’ombre sont énumérées dans cet addendum, comme les taux d’occupation des centres d’accueil et la responsabilité journalière de leur administration, la politique de rétention dans les zones sensibles, le décaissement et l’attribution des fonds de l’Union européenne, ainsi que le calendrier de pré-enregistrement des réfugiés et des migrants et le traitement ultérieur de leurs demandes d’asile. Un récent rapport conclut que la majorité des informations qui seraient nécessaires pour évaluer la mise en œuvre de l’accord UE-Turquie ne sont simplement pas disponibles, ou du moins publiées de manière éparse, incohérente et incomplète 
			(15) 
			Voir «Navigating the
Aegean: What the EU ought to know, and say, about refugees and the
Greek islands – A policy proposal», Initiative européenne pour la
stabilité, 4 mai 2016..
22. Les considérations ci-dessus sont toutes importantes pour la transparence et la responsabilité des efforts déployés par les autorités nationales et l’Union européenne afin de répondre à la situation des migrants et des réfugiés en Grèce. Si ces organes ne possèdent pas des informations claires, cohérentes et complètes sur la situation et leurs réponses à cette dernière, il est difficile de voir comment leurs activités peuvent être bien ciblées, bien coordonnées, efficaces et rationnelles. S’ils possèdent ces informations – ce que j’espère de tout cœur – il convient alors de les diffuser sous une forme facilement accessible, afin de faciliter la compréhension du public et de permettre un contrôle externe approprié. Il est également difficile de demander aux pouvoirs publics, y compris les organisations internationales, de rendre des comptes de manière efficace lorsqu’on ne sait pas très bien qui est responsable de quoi, dans le cas où plusieurs organes sont conjointement responsables d’une même activité ou lorsqu’ils sont responsables d’activités similaires. J’encourage à la fois les autorités grecques et l’Union européenne à publier des informations adaptées, cohérentes, claires, complètes et compréhensibles et à coopérer de manière à ce que les obstacles bureaucratiques soient minimisés.

7. Conclusions

23. Dans l’ensemble, ma visite m’a permis de mieux comprendre la situation en Grèce telle qu’elle est présentée dans le rapport. Il y a des lueurs d’espoir, comme la qualité généralement acceptable des centres d’accueil à Skaramagas et Diavata, par exemple, et même la détermination et l’efficacité démontrées par les autorités dans le transfert des personnes du camp d’Idomeni. Néanmoins, ces points positifs sont assombris par les conditions inacceptables du camp d’Elliniko, dans les nouveaux sites de Thessalonique et dans la zone sensible de Moria. Au vu de leur situation financière actuelle, personne ne peut s’attendre à ce que les autorités grecques puissent résoudre ces problèmes si elles ne reçoivent pas une assistance et un soutien extérieurs beaucoup plus grands. Je suis désormais plus convaincue que jamais qu’à moins que les choses ne changent bientôt, la situation en Grèce n’est tout simplement pas durable.