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Avis de commission | Doc. 14165 | 11 octobre 2016

Enseignements à tirer de l’affaire des «Panama Papers» pour assurer la justice sociale et fiscale

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : M. Dirk Van der MAELEN, Belgique, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14034, Doc. 14045 et Doc. 14047, Renvoi 4210 du 27 mai 2016; et Doc. 13150, Renvoi 3952 du 26 avril 2013. Commission chargée du rapport: Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, voir Doc. 14141 et Addendum. Avis approuvé par la commission le 11 octobre 2016. 2016 - Quatrième partie de session

A. Conclusions de la commission

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1. La commission des questions politiques et de la démocratie considère que le rapport «Enseignements à tirer de l’affaire des “Panama Papers” pour assurer la justice sociale et fiscale», présenté par la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, est un document pertinent qui arrive à point nommé et elle en félicite M. Stefan Schennach, le rapporteur.
2. Ce rapport résulte du regroupement de trois propositions de résolution: Doc. 14034 «Les “Panama Papers” – une occasion de dénoncer la corruption et le crime organisé», Doc. 14045 «Les “Panama Papers” et le besoin de justice sociale et fiscale et de confiance dans notre système démocratique», et Doc. 14047 «Panama Papers: quels enseignements tirer pour l’état de la démocratie dans les Etats membres du Conseil de l’Europe?». Ces propositions ont été fusionnées par le Bureau (Renvoi 4210 du 27 mai 2016). En outre, la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable a décidé d’intégrer dans ce rapport la proposition intitulée «Pour une lutte efficace contre les dégâts de l’argent sale» (Doc. 13150, Renvoi 3952 du 26 avril 2013).
3. La commission se félicite des conclusions générales de ce rapport et propose de clarifier et d’affiner le projet de résolution contenu dans le rapport principal en y apportant un certain nombre d’amendements.

B. Amendements proposés

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Amendement A (au projet de résolution)

Au paragraphe 5, remplacer les mots «ne requiert pas nécessairement de nouvelles normes juridiques ou techniques, car c’est plutôt la mise en œuvre effective des normes existantes qui fait défaut» par les mots «requiert de nouvelles normes juridiques ou techniques; cependant, le plus urgent est la mise en œuvre effective des normes existantes».

Amendement B (au projet de résolution)

Au paragraphe 5.2, remplacer les mots «d’assurer rapidement une mise en œuvre globale et effective des normes d’échange de renseignements sur demande et d’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers en matière fiscale pour permettre la communication d’informations standardisées en matière fiscale», par les mots «de mettre en œuvre l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers en matière fiscale sur une base multilatérale et par le biais d’accords multilatéraux plutôt que bilatéraux».

Amendement C (au projet de résolution)

Au paragraphe 5.3, remplacer les mots «et stables», par les mots: «, stables et équitables».

Amendement D (au projet de résolution)

Au paragraphe 5.4, après les mots «en établissant un registre central», insérer les mots «et accessible au public».

Amendement E (au projet de résolution)

Après le paragraphe 5.8, ajouter le nouveau paragraphe suivant: «de prévoir des sanctions plus sévères pour les banques et les entités juridiques qui facilitent la fraude fiscale, notamment la suspension ou le retrait temporaire des licences d’exploitation, ainsi que le gel des comptes et des avoirs;».

Amendement F (au projet de résolution)

Après le paragraphe 5.8, ajouter le nouveau paragraphe suivant: «de faire en sorte que les lignes directrices de l’OCDE, relatives à l’érosion de la base d’imposition et au transfert de bénéfices (BEPS), qui ont déjà été approuvées par les pays de l’OCDE et du G20, devienne la nouvelle norme mondiale.»

Amendement G (au projet de résolution)

Après le paragraphe 5.8, ajouter le nouveau paragraphe suivant: «d’encourager l’OCDE à réexaminer, avec le Conseil de l’Europe, leur Convention conjointe concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, dans le but de faciliter la création d’un organisme international de coordination fiscale sous les auspices de l’OCDE, qui serait en mesure d’imposer des sanctions.»

C. Exposé des motifs, par M. Dirk Van der Maelen, rapporteur pour avis

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1. L’une des trois propositions de résolution qui ont débouché sur le rapport de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable a été présentée par moi-même le 27 avril 2016 et s’intitule «Panama Papers: quels enseignements pour l’état de la démocratie dans les Etats membres du Conseil de l’Europe?».
2. Au début d’avril 2016, le monde a été confronté au scandale des Panama Papers, qui font référence à la fuite de 11,5 millions de documents confidentiels tirés de la base de données du cabinet juridique panaméen Mossack Fonseca, fournisseur de services aux entreprises, qui contenaient des informations détaillées sur plus de 214 000 sociétés offshore, notamment l’identité des actionnaires et des administrateurs de ces sociétés. Les documents montrent comment de riches particuliers, y compris des responsables publics, ont dissimulé leurs avoirs pour échapper au contrôle public.
3. Au moment de la publication, les documents désignaient cinq chefs d’Etat ou de gouvernement (Argentine, Islande, Arabie saoudite, Ukraine et Emirats arabes unis), mais aussi des responsables publics ainsi que des proches parents et proches collaborateurs de différents chefs de gouvernement de plus d’une quarantaine d’autres pays. Des manifestants ont forcé le Premier ministre islandais à démissionner en raison de son implication dans cette affaire.
4. L’Assemblée parlementaire a tenu un débat d’actualité sur les «Panama Papers» le 18 avril 2016. Il est clair que l’Assemblée doit continuer à suivre les conséquences politiques de cette affaire, en particulier ses répercussions sur le fonctionnement des institutions démocratiques dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. Nous devons tirer des enseignements de ce scandale et proposer des mesures telles que la transparence de la propriété des sociétés, des sanctions pour les paradis fiscaux non coopératifs ainsi que des sanctions pour les intermédiaires dans le secteur des services financiers, notamment les banques, les avocats et les comptables.
5. Il y a quatre ans, en avril 2012, j’ai présenté à l’Assemblée un rapport intitulé «Promouvoir une politique appropriée en matière de paradis fiscaux». Dans sa Résolution 1881 (2012), l’Assemblée s’était déclarée préoccupée «par l’ampleur du système financier offshore, notamment les paradis fiscaux, et par son impact sur les finances publiques, la stabilité des marchés financiers et la société tout entière».
6. Un an plus tard, dans mon rapport intitulé «Les activités de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en 2012-2013», j’ai indiqué que la fraude fiscale et l’évasion fiscale agressive pratiquées par des multinationales constituaient une menace pour les institutions démocratiques. Dans sa Résolution 1951 (2013), l’Assemblée présentait des mesures concrètes pour garantir l’équité fiscale en s’attaquant à l’évasion fiscale agressive.
7. Elle saluait «les travaux de l’OCDE sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (Base Erosion and Profit Shifting – BEPS)», invitait instamment «l’OCDE à continuer de mener résolument l’action visant à réformer les règles internationales pour la taxation des multinationales afin qu’elles reflètent convenablement les pratiques de production et de commerce dans l’économie mondiale contemporaine» et reconnaissait «l’importance de la collaboration entre Etats pour coordonner les systèmes fiscaux et garantir ainsi la confiance des contribuables dans ces systèmes».
8. Il reste beaucoup à faire, cependant, pour s’attaquer à la fraude fiscale et promouvoir des réformes profondes des systèmes fiscaux afin de lutter contre l’évasion fiscale agressive. Les gouvernements ont le devoir de veiller à ce que les impôts soient prélevés équitablement et efficacement. Une grande partie de la législation fiscale actuelle repose sur une vision dépassée de l’activité économique, axée principalement sur des actifs immobilisés et des échanges transfrontaliers limités. L’économie numérique, caractérisée par des immobilisations incorporelles et des transferts transfrontaliers rapides, impose l’adoption d’approches radicalement nouvelles en matière d’imposition. L’OCDE, compte tenu de sa mission, qui est d’élaborer des règles assurant un fonctionnement efficient des marchés mondiaux, est une instance appropriée pour l’élaboration de ces nouvelles approches. Il est désormais impératif d’aborder le problème d’une manière résolument nouvelle et de montrer que nous sommes déterminés à agir.
9. Il s’agit selon moi d’une question d’extrême urgence. En Europe, la divulgation de documents et de messages électroniques concernant des fonds qui auraient été cachés dans des comptes secrets dans des paradis fiscaux par des responsables politiques, des hommes/femmes d’affaires et d’autres particuliers fortunés ont sapé la confiance placée dans les institutions démocratiques. Selon la Commission européenne, l’évasion et la fraude fiscales privent les gouvernements de l’Union européenne de quelque 1 000 milliards d’euros de recettes annuelles, une somme qui dépasse le montant total que les Etats membres de l’Union européenne dépensent pour les soins de santé et qui est quatre fois supérieure au budget consacré à l’éducation.
10. La question ne concerne pas uniquement la fraude fiscale, mais aussi les pratiques tout à fait légales qui sont utilisées par des multinationales pour réduire leur imposition. En Grande-Bretagne, des sociétés comme Amazon, Google et Starbucks ont essuyé de nombreuses critiques parce qu’elles utilisent des montages comptables qui leur permettent de réduire légitimement le montant de l’impôt qu’elles paient au Trésor du Royaume-Uni, malgré des ventes florissantes sur le sol britannique.
11. En août dernier, l’Union européenne a ordonné à l’Irlande de récupérer 13 milliards d’euros d’impôts impayés par Apple, une pénalité record. Aux Etats-Unis, Apple a été critiquée au Congrès pour ne pas avoir payé d’impôts sur plusieurs dizaines de milliards de dollars de recettes provenant de ses opérations internationales, sommes qui ont été transférées par l’intermédiaire d’entités offshore. D’autres pays sont de plus en plus préoccupés par le fait que des sociétés multinationales exploitent injustement les possibilités offertes par les opérations comptables transfrontières afin de maximiser leurs profits en réduisant le montant des impôts qu’elles paient.
12. Il convient de noter cependant que l’évasion fiscale ne peut pas être réduite aux stratégies agressives des sociétés puisqu’elle résulte également des politiques fiscales des gouvernements nationaux, notamment celles qui visent à attirer les investissements des sociétés étrangères.
13. Par ailleurs, je crois que nous devrions intensifier la lutte contre la fraude fiscale généralisée qui continue d’être encouragée par les paradis fiscaux. En particulier, nous devrions aider l’OCDE à continuer de faire pression sur la communauté internationale pour mettre en place les modalités d’échange automatique de renseignements à des fins fiscales afin de lutter contre ce fléau.
14. A cet égard, l’OCDE travaille sur les normes d’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers en matière fiscale, qui constituent une étape essentielle pour lutter efficacement contre la fraude. L’échange automatique de renseignements peut aider à combattre la fraude offshore de plusieurs façons. Il permet de fournir rapidement des renseignements dans le cas d’une fraude fiscale concernant un rendement du capital ou le montant du capital sous-jacent, et peut également servir à détecter des cas de fraude que les administrations fiscales n’avaient pas soupçonnés auparavant. Enfin, l’échange automatique de renseignements a un effet dissuasif, favorise le respect volontaire de la loi et encourage les contribuables à communiquer toutes les informations pertinentes.
15. Le projet de résolution indique que «[l’] Assemblée considère que la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale ne requiert pas nécessairement de nouvelles normes juridiques ou techniques.» Si l’Assemblée déclare à juste titre que «c’est plutôt la mise en œuvre effective des normes existantes qui fait défaut», elle ne devrait pas cependant laisser entendre qu’il n’est pas nécessaire ou souhaitable d’élaborer de nouvelles normes juridiques ou techniques pour améliorer la lutte contre la fraude fiscale et l’évasion fiscale.
16. Depuis 2009, la transparence fiscale s’est grandement améliorée. Cette évolution s’est produite par étapes, et après chaque étape, il est apparu clairement qu’une autre étape était nécessaire. En 2009, le secret bancaire a été abandonné en activant l’échange, sur demande, de renseignements financiers à des fins fiscales. A cette époque, la norme internationale convenue était l’«échange d’informations sur demande».
17. Jusqu’en 2012, voire 2013, l’échange automatique d’informations (EAI) était jugé indésirable. Depuis lors, le consensus a changé, l’échange automatique de renseignements est devenu la nouvelle norme internationale et les pays se sont engagés à adopter la norme commune de déclaration de l’OCDE. De même, les normes de lutte contre le blanchiment d’argent ont changé au fil du temps et continueront de s’améliorer dans les années à venir.
18. Je tiens donc à souligner que le changement permanent est un facteur important et je propose dans l’amendement A que le paragraphe 5 du projet de résolution se lise comme suit: «L’Assemblée considère que la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale requiert de nouvelles normes juridiques ou techniques; cependant, le plus urgent est la mise en œuvre effective des normes existantes. …»
19. Concernant l’échange automatique de renseignements, les Etats membres devraient non seulement être invités à rejoindre, s’ils ne l’ont pas encore fait, le Forum mondial de l’OCDE sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales afin d’assurer rapidement une mise en œuvre globale et effective de la norme d’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers en matière fiscale, mais ils devraient également être incités à l’appliquer sur une base multilatérale et par le biais d’accords multilatéraux (Accord multilatéral entre autorités compétentes ou en anglais, Mutual Competent Authority Agreement, MCAA) plutôt que bilatéraux, d’où ma proposition d’amendement B.
20. De nombreux pays sont susceptibles de se retirer du cadre multilatéral (MCAA) et ont montré qu’ils étaient prêts, à la place, à signer (ou à modifier) des traités bilatéraux pour mettre en œuvre l’EAI. L’approche multilatérale permet à tous les pays d’économiser du temps et des ressources et garantit une mise en œuvre rapide dans le monde entier ainsi que des conditions équitables pour tous. Enfin, le projet EAI manque de sanctions pour les juridictions récalcitrantes.
21. Comme de nombreux pays en développement ne seront pas en mesure d’adopter la norme commune de déclaration (NCD) dans un proche avenir, l’Assemblée parlementaire devrait proposer que des centres financiers publient des statistiques EAI agrégées. Au moins, chacun saurait où son argent se cache, sans porter atteinte à la confidentialité. En attendant que les pays en développement participent activement au projet EAI, tous les pays participants devraient commencer à échanger des informations spontanément avec ces pays, au moins en ce qui concerne les gros comptes.
22. La NCD ne prévoit pas de mesures pour lutter contre les certificats de résidence fictive, ce qui est une lacune importante. La NCD vise à déterminer la résidence de chaque titulaire de compte afin que les renseignements relatifs aux comptes soient envoyés dans les pays correspondants. Cependant, n’importe quel titulaire de compte peut éviter de faire une déclaration (à son véritable pays de résidence) en prétendant être un résident d’un paradis fiscal qui vend des certificats de résidence. Certaines juridictions émettent déjà un certificat de résidence en échange d’argent. L’Assemblée devrait recommander que les Etats membres veillent à ce que l’OCDE crée une liste noire des juridictions qui proposent des «résidences à vendre».
23. En ce qui concerne la recommandation sur les systèmes fiscaux, l’Assemblée devrait recommander non seulement des systèmes fiscaux nationaux solides, transparents et stables, mais également une fiscalité équitable, d’où ma proposition d’amendement C.
24. Pour ce qui est de la recommandation sur la mise en place d’un registre central des bénéficiaires effectifs (Ultimate beneficial owners, UBO), l’Assemblée devrait souligner qu’il est important que ces registres soient accessibles au public, d’où ma proposition d’amendement D.
25. Pour compléter les recommandations mentionnées dans le projet de résolution, je suis convaincu que les recommandations suivantes devraient être ajoutées (comme proposé dans les amendements E, F et G):
  • prévoir des sanctions plus sévères pour les banques et les entités juridiques qui facilitent la fraude fiscale, notamment la suspension ou le retrait temporaire des licences d’exploitation, ainsi que le gel des comptes et des avoirs;
  • faire en sorte que les lignes directrices de l’OCDE relatives à l’érosion de la base d’imposition et au transfert de bénéfices (BEPS), qui ont déjà été approuvées par les pays de l’OCDE et du G20, deviennent la nouvelle norme mondiale;
  • encourager l’OCDE à réexaminer, avec le Conseil de l’Europe, leur Convention conjointe concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, dans le but de faciliter la création d’un organisme international de coordination fiscale sous les auspices de l’OCDE, qui serait en mesure d’imposer des sanctions. A cet égard, je tiens à saluer la récente ratification de cette convention par la Suisse.