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Rapport | Doc. 14227 | 09 janvier 2017

Le fonctionnement des institutions démocratiques en Ukraine

Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi)

Corapporteur : M. Jordi XUCLÀ, Espagne, ADLE

Corapporteur : M. Axel FISCHER, Allemagne, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Résolution 1115 (1997). 2017 - Première partie de session

Résumé

La commission de suivi salue l’ambitieux programme de réformes mis en place par les autorités ukrainiennes pour répondre aux demandes exprimées par la population ukrainienne lors de la «Révolution de la dignité». Elle est consciente que ces réformes interviennent dans un contexte difficile, en raison de l’agression russe dans l’est de l’Ukraine et de l’annexion illégale de la Crimée. Tout en reconnaissant qu’un certain nombre de réformes sont liées au processus de Minsk, la commission souligne que l’absence de progrès dans l’application des accords de Minsk ne doit pas servir d’excuse au ralentissement des réformes essentielles à la consolidation de la démocratie dans le pays, ni à une mobilisation moindre. D’importants progrès ont été accomplis s’agissant de la modification du cadre juridique pour la mise en place de ces réformes. Il importe maintenant de mettre en œuvre ces modifications législatives pour qu’elles se traduisent par des changements de comportement et de pratique.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 14 décembre 2016.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire salue l’ambitieux programme de réformes mis en place par les autorités ukrainiennes pour répondre aux demandes exprimées par la population ukrainienne lors de la «Révolution de la dignité». Elle est consciente que ces réformes interviennent dans un contexte difficile, en raison de l’agression russe dans l’est de l’Ukraine et de l’annexion illégale de la Crimée. Tout en reconnaissant qu’un certain nombre de réformes sont liées au processus de Minsk, l’Assemblée souligne que l’absence de progrès dans l’application des accords de Minsk ne doit pas servir d’excuse au ralentissement des réformes essentielles à la consolidation de la démocratie dans le pays, ni à une mobilisation moindre. D’importants progrès ont été accomplis s’agissant de la modification du cadre juridique pour la mise en place de ces réformes. Il importe maintenant de mettre en œuvre ces modifications législatives pour qu’elles se traduisent par des changements de comportement et de pratique.
2. L’Assemblée s’inquiète du durcissement du discours politique consécutif aux événements de l’Euromaïdan et à la guerre dans l’est de l’Ukraine, marqué par les accusations réciproques de traîtrise ou d’extrémisme lancées par les forces politiques ukrainiennes antagonistes. Une réponse doit certes être apportée aux problèmes du passé, mais l’Assemblée engage toutes les forces politiques à surmonter les divisions et les inimitiés et à œuvrer de concert pour instaurer la stabilité et consolider la démocratie dans le pays.
3. De même que le monde politique, le paysage médiatique est marqué par un climat de clivages et de tensions qui a conduit à plusieurs attaques contre des journalistes et des organes de presse, ce qui est inacceptable. Se félicitant de la condamnation de ces attaques par les autorités, l’Assemblée invite instamment ces dernières à mener des enquêtes exhaustives et transparentes sur ces actes, et à faire en sorte que les auteurs présumés soient déférés à la justice. Elle relève que plusieurs journalistes et représentants des médias russes ont été interdits d’entrée en Ukraine au motif qu’ils représenteraient une menace pour la sécurité nationale et l’ordre constitutionnel. Si les préoccupations des autorités ukrainiennes concernant la propagande de la Russie et la guerre de l’information que livre ce pays sont légitimes et compréhensibles, l’interdiction faite aux journalistes d’entrer en Ukraine est une mesure qui ne devrait être appliquée qu’en dernier ressort.
4. L’Assemblée rappelle l’importance d’une révision constitutionnelle complète pour la bonne mise en œuvre de la réforme globale du pays. Elle se réjouit à cet égard que les autorités et la Verkhovna Rada aient fait du processus de réforme constitutionnelle une de leurs priorités, et salue les résultats obtenus jusqu’à présent. En particulier, l’Assemblée:
4.1. salue la collaboration étroite avec la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) et le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe pour la rédaction du volet décentralisation, sur la base de la Charte européenne de l’autonomie locale (STE no 122) et des autres normes applicables du Conseil de l’Europe. Elle reconnaît que l’adoption de ce volet est étroitement liée à l’avancée de la mise en œuvre des Protocoles de Minsk, mais souligne que le processus de décentralisation est important pour la stabilité et la consolidation de la démocratie dans le pays dans son ensemble. Elle espère par conséquent que des progrès dans la mise en œuvre des Protocoles de Minsk de la part de tous les signataires, en particulier de la Fédération de Russie, permettront l’adoption prochaine en dernière lecture des modifications;
4.2. salue l’adoption en dernière lecture des modifications constitutionnelles relatives au pouvoir judiciaire et au système judiciaire, qui suppriment d’importants obstacles à la réforme de l’appareil judiciaire et sont conformes aux normes et aux règles du Conseil de l’Europe. Elle appelle les autorités, et en particulier la Verkhovna Rada, à adopter sans attendre toutes les dispositions législatives nécessaires, et au besoin à modifier la législation en vigueur, afin de mettre en œuvre ces modifications de la Constitution;
4.3. se félicite en particulier de la suppression de la fonction générale de supervision auparavant exercée par le procureur général, qui était contraire aux normes européennes. Elle souligne qu’en supprimant cette fonction de supervision, l’Ukraine met en œuvre l’un des engagements souscrits lors de son adhésion au Conseil de l’Europe qui lui restait à honorer.
5. L’Assemblée s’attend à ce que l’adoption des modifications de la Constitution donne un nouvel élan à la réforme du pouvoir judiciaire, l’objectif étant de garantir la réelle indépendance de celui-ci vis-à-vis des ingérences et des influences externes et internes. Par conséquent, l’Assemblée:
5.1. salue l’adoption d’une nouvelle loi sur la Cour suprême à la suite de la révision de la Constitution;
5.2. prend note des propositions de modifications de la loi sur la Cour constitutionnelle qui, de l’avis de la Commission de Venise, améliorent la situation par rapport à la législation actuelle; elle invite les autorités à donner suite aux autres recommandations de la Commission de Venise, en particulier en ce qui concerne les recours individuels devant la Cour constitutionnelle;
5.3. relève le fait que le projet de loi sur le Conseil supérieur de la justice a été rédigé en collaboration étroite avec le Conseil de l’Europe et invite les autorités à veiller à ce que toutes les recommandations soient reprises dans la loi qui sera adoptée par la Verkhovna Rada, pour garantir sa pleine conformité avec les normes du Conseil de l’Europe dans ce domaine.
6. De l’avis de l’Assemblée, le processus de réforme constitutionnelle ne devrait pas se limiter aux volets sur la décentralisation et la justice, mais porter aussi sur d’autres domaines dans lesquels des insuffisances ont été recensées, en particulier en ce qui concerne la répartition des pouvoirs.
7. L’Assemblée s’inquiète des problèmes de droits de l’homme liés à la loi de lustration. Par conséquent, elle engage vivement la Verkhovna Rada à adopter sans attendre les modifications de cette loi préparées en collaboration avec la Commission de Venise pour régler ces problèmes, et à trouver des mesures complémentaires permettant de garantir que toutes les recommandations du dernier avis de la Commission de Venise soient reprises dans la loi et que sa mise en œuvre soit en pleine conformité avec les normes européennes.
8. De l’avis de l’Assemblée, la corruption généralisée en Ukraine reste un point de préoccupation majeur. L’absence prolongée de progrès notables et concrets dans ce domaine, notamment pour ce qui est des poursuites et des condamnations, pourrait réduire les effets de l’ambitieux programme de réformes élaboré par les autorités et, à long terme, ébranler la confiance des citoyens dans le système politique et judiciaire dans son ensemble. Dans ce contexte, l’Assemblée s’inquiète de la lenteur des progrès de la lutte contre la corruption, et du peu de résultats concrets. Elle réitère en outre sa préoccupation face à l’existence de liens trop étroits entre les intérêts politiques et les intérêts économiques dans la sphère politique nationale, ce qui influence la perception de la population et peut entraver la lutte contre la corruption. L’Assemblée se félicite par conséquent du cadre institutionnel général mis en place pour lutter contre la corruption dans le pays, dont elle attend maintenant des résultats tangibles et concrets, notamment pour ce qui est des poursuites et des condamnations. En particulier, l’Assemblée:
8.1. salue la mise en œuvre du système de déclaration en ligne et appelle les autorités à faire en sorte que l’Agence nationale pour la prévention de la corruption dispose des ressources nécessaires pour procéder à l’examen des déclarations;
8.2. demande aux autorités de veiller à ce que le procureur spécialisé dans la lutte contre la corruption dispose des moyens suffisants pour s’acquitter de sa mission, notamment pour ouvrir des bureaux dans toutes les régions du pays;
8.3. invite les autorités à créer un tribunal spécialisé dans lutte contre la corruption, et à combattre la corruption généralisée au sein du pouvoir judiciaire, ce qui est essentiel pour le succès de la lutte contre la corruption en général;
8.4. salue l’adoption de la loi sur la fonction publique et demande aux autorités de veiller à l’adoption rapide de toutes les lois d’application de ce texte.
9. L’Assemblée réitère son appel en faveur de l’adoption d’un Code électoral consolidé pleinement conforme aux normes européennes et instituant un système régional d’élection à la proportionnelle. Elle s’inquiète de ce que l’article 81 de la Constitution ukrainienne permet de retirer son mandat à un parlementaire qui aurait quitté le parti ou le groupe pour lequel il a été élu, au profit d’une autre formation. Cela est contraire aux normes internationales et cet article de la Constitution devrait être modifié dans le cadre de la révision constitutionnelle en cours. Pour les mêmes raisons, l’Assemblée demande instamment à la Verkhovna Rada d’abroger les récentes modifications de la loi sur l’élection des députés du peuple, qui permettent aux partis politiques de modifier a posteriori les listes de candidats présentées pour les élections de 2016.
10. L’Assemblée relève que la Verkhovna Rada a ajourné la ratification de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210, «Convention d’Istanbul»). Elle l’invite à inscrire de nouveau ce point à son ordre du jour, et à ratifier sans attendre cet important instrument.
11. L’Assemblée note que des membres de la Verkhovna Rada ont déposé devant la Cour constitutionnelle un recours contre la loi sur les langues officielles, contestant la constitutionnalité de certaines dispositions ainsi que la façon dont le texte a été adopté. Soulignant qu’il est essentiel pour la stabilité du pays de poursuivre une politique inclusive à l’égard des langues minoritaires, l’Assemblée appelle les autorités à faire en sorte que, si la loi sur les langues officielles venait à être abrogée par la Cour, le seuil peu élevé pour l’utilisation des langues minoritaires prévu dans ce texte soit maintenu.

B. Exposé des motifs, par M. Jordi Xuclà et M. Axel Fischer, corapporteurs

(open)

1. Introduction

1. Le dernier rapport élaboré par la commission de suivi sur la situation en Ukraine a été débattu à l’Assemblée parlement aire selon la procédure d’urgence le 9 avril 2014, et a conduit à l’adoption de la Résolution 1988 (2014) «Développements récents en Ukraine: menaces pour le fonctionnement des institutions démocratiques» 
			(2) 
			Doc. 13482..
2. Depuis l’adoption de ce rapport, la situation en Ukraine a été dominée par l’agression militaire de la Fédération de Russie dans l’est du pays et par les initiatives menées dans le cadre des accords de Minsk en vue de parvenir à un règlement pacifique du conflit. Souvent éclipsé par les événements de l’Est, un important processus de réformes a néanmoins été entrepris en Ukraine pour répondre aux attentes exprimées par la population lors des manifestations de l’Euromaïdan qui ont conduit à la chute du régime Ianoukovitch.
3. Le 12 octobre 2016, à la suite d’un débat conjoint sur le rapport de la commission des questions politiques et de la démocratie sur les «Conséquences politiques du conflit en Ukraine 
			(3) 
			Doc. 14130. », préparé par notre collègue Mme Kristýna Zelienkova, et du rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme sur les «Recours juridiques contre les violations des droits de l’homme commises dans les territoires ukrainiens se trouvant hors du contrôle des autorités ukrainiennes 
			(4) 
			Doc. 14139.», préparé par notre collègue Mme Marieluise Beck, l’Assemblée a adopté la Résolution 2132 (2016) sur les conséquences politiques de l'agression russe en Ukraine et la Résolution 2133 (2016) sur les recours juridiques contre les violations des droits de l’homme commises dans les territoires ukrainiens se trouvant hors du contrôle des autorités ukrainiennes.
4. Ces deux excellents rapports font un point sur les événements liés à l’agression russe en Ukraine et sur la situation préoccupante des droits de l’homme dans les territoires ukrainiens se trouvant hors du contrôle des autorités ukrainiennes. Il est par conséquent inutile à ce stade que nous répétions ce qui a déjà été dit par l’Assemblée sur ces questions et nous n’aborderons pas ces sujets dans le présent rapport. Afin de compléter le tableau dressé par ces deux rapports, nous avons pensé qu’il était important de leur adjoindre un rapport sur les réformes en cours et sur l’évolution de la situation politique à cet égard en Ukraine. Sur notre proposition, la commission de suivi a accepté, lors de sa réunion tenue à Paris le 9 novembre 2016, de demander au Bureau de l’Assemblée d’organiser un débat sur «Le fonctionnement des institutions démocratiques en Ukraine» durant la partie de session de janvier 2017.
5. Nous sommes conscients du fait qu’il est impossible dans un délai aussi court de traiter en détail dans ce rapport de toutes les réformes en cours en Ukraine. Nous nous limiterons par conséquent à quelques-unes des principales, en particulier le processus de réforme constitutionnelle. Nous nous proposons de préparer un bilan détaillé et approfondi de l’ensemble des réformes pour le prochain rapport sur le respect des obligations et engagements de l’Ukraine.

2. Evénements politiques dans le pays

6. Une élection présidentielle anticipée s’est tenue le 25 mai 2014 en Ukraine. Elle a vu la victoire de M. Petro Porochenko, homme d’affaires bien connu et soutien du mouvement de l’Euromaïdan, qui a été élu avec 54,7 % des suffrages 
			(5) 
			Voir aussi Doc. 13543 «Observation de l’élection présidentielle anticipée
en Ukraine (25 mai 2014)».. Le taux de participation pour cette élection, qui voyait s’affronter neuf candidats, a été de 60,3 %. Le processus a été observé par une mission internationale d’observation électorale (MIOE) à laquelle l’Assemblée était partie prenante. Selon la MIOE, «[l]’élection présidentielle anticipée en Ukraine s’est caractérisée par un fort taux de participation et la détermination claire des autorités à tenir ce qui s’est révélé être une élection digne de ce nom, globalement conforme aux engagements internationaux et respectueuse des libertés fondamentales dans la grande majorité du pays». Malheureusement, le scrutin n’a pu se tenir dans certaines zones de l’est du pays en raison de la dégradation de la situation sécuritaire à la suite de l’insurrection pro-russe, ni en Crimée, annexée illégalement par la Fédération de Russie. Le fort pourcentage de voix obtenu lors d’une élection démocratique et véritablement ouverte, marquée par un taux de participation élevé, a donné au Président Porochenko la légitimité démocratique suffisante pour diriger le pays et mettre en œuvre l’ambitieux programme de réformes qui était en cours d’élaboration pour répondre aux revendications exprimées par la population lors des manifestations de l’Euromaïdan.
7. Pour renforcer la légitimité de la Verkhovna Rada et de ses décisions à la suite des événements de l’Euromaïdan, et compte tenu de la détérioration rapide de la situation en matière de sécurité, des élections législatives anticipées ont été organisées le 26 octobre 2014. Elles ont été observées par l’Assemblée parlementaire dans le cadre de la mission internationale d’observation des élections 
			(6) 
			Doc. 13641, «Observation des élections législatives anticipées
en Ukraine (26 octobre 2014)».. Elles ont eu lieu dans un climat sécuritaire difficile en raison du conflit militaire dans l’est de l’Ukraine. De ce fait, le scrutin ne s’est pas tenu dans certaines parties des oblasts de Lougansk et de Donetsk se trouvant hors du contrôle des autorités ukrainiennes, ni en Crimée. Selon la MIOE, les «élections législatives anticipées du 26 octobre ont constitué une étape importante vers la réalisation des aspirations de l'Ukraine qui souhaite consolider le caractère démocratique des élections conformément à ses engagements internationaux 
			(7) 
			MIOE, Statement of
Preliminary Findings and conclusions.».
8. Les élections se sont tenues dans le cadre d’un système mixte majoritaire/proportionnel. Pour la partie à la proportionnelle, le Front populaire a obtenu 22,14 % des suffrages, le Bloc Porochenko 21,81 %, Samopomitch («Autosuffisance») 10,97 %, le Bloc de l’Opposition 9,43 %, le Parti radical d’Oleh Liachko 7,44 % et Batkivchchyna («Patrie») de Ioulia Timochenko de 5,68 %. Avec les mandats obtenus dans le cadre du scrutin majoritaire, le Bloc Porochenko a remporté au total 132 sièges, le Front populaire 82 sièges, Samopomitch 33 sièges, le Bloc de l’Opposition 29 sièges, le Parti radical d’Oleh Liachko 22 sièges, Batkivchchyna 19 sièges et Svoboda 6 sièges. Ukraine forte, le parti Volia, Zastup et le Secteur Droite ont obtenu chacun un siège. En outre, 94 candidats indépendants ont été élus. Le taux de participation a été de 52,4 %. Ces résultats ont mis en évidence un soutien clair aux partis pro-Maïdan et au programme de réformes lancé immédiatement après les événements de février 2014.
9. A la suite des élections législatives anticipées, un gouvernement de coalition comprenant la plupart des formations représentées au parlement, à l’exception des députés liés au Bloc de l’Opposition, a été formé 
			(8) 
			Le
Bloc de l’Opposition est principalement composé d’anciens membres
du Parti des régions de M. Ianoukovitch.. Le premier gouvernement de coalition rassemblait les partis suivants: le Bloc Petro Porochenko, le Front populaire du Premier ministre Arseni Iatseniouk, le Parti radical d’Oleh Liachko, Samopomitch et Batkivchchyna. Il s’agissait d’une coalition très hétérogène dont les membres avaient des avis divergents dans un certain nombre de domaines, notamment sur la question de la réforme de la Constitution et celle de la lutte contre la corruption. Le 1er septembre 2015, le Parti radical d’Oleh Liachko a quitté la coalition au pouvoir parce qu’il s’opposait au soutien du gouvernement à la décentralisation prévue par la réforme constitutionnelle (voir ci-après).
10. Il convient de souligner que, dans le contexte ukrainien, l’appartenance à un parti n’est pas un gage de soutien à tel ou tel point de vue ou telle ou telle politique. Au-delà des partis, il existe aussi des factions et des groupes internes et multipartites, souvent mobilisés autour d’une question spécifique ou d’autres intérêts, notamment des intérêts économiques et oligarchiques. Cette tendance est très clairement apparue en rapport avec la révision de plusieurs dispositions de la Constitution touchant à la décentralisation et au pouvoir judiciaire, qui ont suscité des oppositions indépendamment des appartenances partisanes.
11. Dans un contexte marqué par les problèmes de sécurité dans l’est de l’Ukraine et la lenteur des réformes, notamment en matière de lutte contre la corruption, la population a commencé à retirer son appui à un certain nombre de formations politiques ou de responsables de partis perçus comme appartenant à une élite politique attachée à la seule défense de ses intérêts. Mal perçu par une grande partie de la population ukrainienne qui le jugeait inefficace pour la mise en œuvre des réformes et la lutte contre la corruption endémique dans le pays, le Premier ministre Arseni Iatseniouk s’est retrouvé sur la sellette – le soutien à son parti a chuté sous la barre des 10 %.
12. Des élections locales ont eu lieu en Ukraine le 25 octobre 2015 et ont confirmé une évolution du soutien apporté aux divers groupes politiques. Le Front populaire de M. Iatseniouk, dont la cote de popularité était passée en dessous de 2 %, n’a pas pris part au scrutin. Le Bloc Porochenko a conservé l’appui dont il avait bénéficié lors des élections législatives, pour l’essentiel parce qu’il s’était joint à plusieurs coalitions au niveau local avec d’autres partis ou groupes. Les gagnants au sein du gouvernement de coalition ont été Batkivchtchyna et, dans une moindre mesure, Samopomitch. Deux nouveaux partis, Vidrodzhennia (du maire de Kharkov, Gennadiy Kernes) et l’UKROP, de l’ancien gouverneur adjoint de Dnipropetrovsk, Hennadiy Korban, ont acquis lors de ces élections locales la dimension de forces politiques nationales. Il convient de relever que si le parti de M. Porochenko a obtenu de relativement bons résultats en termes de pourcentage, six ou sept des principales capitales régionales ont été remportées par des membres d’autres partis.
13. Le 16 février 2016, le Président Porochenko a demandé au Premier ministre Arseni Iatseniouk de démissionner. Cependant, le gouvernement de M. Iatseniouk a survécu le jour même à une motion de censure de la Verkhovna Rada, apparemment avec l’aide de quelques députés du Bloc Petro Porochenko. Batkivchchyna, le 17 février 2016, puis Samopomitch, le 18 février 2016, ont annoncé qu’ils quittaient le gouvernement de coalition. Ayant perdu sa majorité du fait du départ de ces deux partis, le gouvernement disposait de 30 jours pour constituer une nouvelle majorité s’il voulait éviter des élections anticipées. A l’issue de plusieurs semaines de négociations politiques entre tous les partis, soucieux dans l’ensemble d’éviter des élections anticipées, M. Iatseniouk a officiellement démissionné le 12 avril 2016. Le président de la Verkhovna Rada, M. Volodymir Groïsman, lui a succédé. M. Groïsman, une personnalité qui jouit de l’estime de la communauté internationale, est un proche allié du Président Porochenko. Certains ministres du Front populaire de M. Iatseniouk ont conservé leur poste au sein du gouvernement, ce qui met en évidence le poids politique persistant du Front populaire. Le nouveau gouvernement a reçu le soutien du Bloc Petro Porochenko, du Front populaire et de Samopomitch, ainsi que de Renaissance et du parti Volonté du peuple. Batkivchchyna s’est officiellement déclaré dans l’opposition.
14. Le 30 mai 2015, le Président Porochenko a nommé au poste de gouverneur d’Odessa une personnalité controversée, l’ancien président géorgien Mikhaïl Saakachvili, faisant valoir son passé de réformateur et d’opposant au Kremlin. Les relations entre M. Saakachvili et le gouvernement de Kiev, y compris le Président Porochenko, n’ont toutefois pas tardé à se dégrader – en raison apparemment du style politique provocateur de M. Saakachvili et de ses interventions récurrentes dans les affaires intérieures de la Géorgie, qui ont déclenché des tensions dans les relations entre les deux pays. Pour sa part, M. Saakachvili a exprimé un mécontentement croissant face à la lenteur des réformes et aux résultats limités des initiatives de lutte contre la corruption. Evoquant la corruption dans les milieux gouvernementaux et la réticence à mettre en place des réformes, M. Saakachvili, de plus en plus isolé, a démissionné de son poste de gouverneur d’Odessa le 7 novembre 2016. Il a annoncé le jour même qu’il créait un parti politique en Ukraine.
15. Le 17 décembre 2015, le tribunal du district de Kiev a dissous le Parti communiste d’Ukraine en invoquant la loi condamnant les régimes communiste et national-socialiste et interdisant l’utilisation de leurs symboles. Cette décision a soulevé un certain nombre de questions concernant la liberté d’expression et d’association en Ukraine. A la demande de la commission de suivi, la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) a adopté en décembre 2015 un avis sur la loi ukrainienne relative à la condamnation des régimes communiste et nazi et à l’interdiction de l’utilisation de leurs symboles 
			(9) 
			CDL-AD(2015)041.. La Commission de Venise a conclu dans cet avis qu’elle ne niait «en rien le droit de l’Ukraine d’interdire, voire d’incriminer, l’utilisation de symboles de certains régimes totalitaires et la propagande en leur faveur. Si les Etats sont libres de promulguer des lois qui interdisent, voire érigent en infraction, l’utilisation de symboles de certains régimes totalitaires et la propagande en leur faveur, ces textes doivent satisfaire aux exigences de la Convention européenne des droits de l’homme et d’autres instruments», et que «si l’on peut considérer que la loi no 317-VIII poursuit des buts légitimes, elle n’est cependant pas suffisamment précise pour permettre aux citoyens de régler leur conduite conformément à la loi et empêcher toute ingérence arbitraire des autorités publiques 
			(10) 
			Ibid.,
paragraphes 116-120.». S’agissant de l’interdiction d’un parti, l’avis concluait qu’«il devrait être précisé dans la loi que l’interdiction d’une association est une mesure de dernier recours, qui ne peut être prise que dans des cas exceptionnels et doit être proportionnée à la gravité de l’infraction commise. Ces précisions sont surtout de mise pour ce qui est des partis politiques, compte tenu de leur fonction essentielle dans les sociétés démocratiques 
			(11) 
			Ibid.,
paragraphe 118.». Le Parti communiste d’Ukraine avait perdu sa crédibilité politique depuis qu’il avait expressément et publiquement soutenu l’annexion illégale de la Crimée par la Fédération de Russie. Faute d’appui, il a quasiment disparu et ne compte aucun député à la Verkhovna Rada. Nous tenons cependant à réaffirmer notre opinion selon laquelle il revient aux électeurs, en non aux tribunaux, de priver le parti de pouvoir politique.
16. L’existence de liens trop étroits entre intérêts politiques et intérêts économiques reste un sujet de préoccupation grave en Ukraine. M. Porochenko était un homme d’affaires important avant d’être élu à la présidence, et il a nommé un certain nombre de ses anciens collaborateurs à des postes publics. Par ailleurs, tous les partis sans exception comptent plusieurs riches hommes d’affaires dans leurs rangs. Les intérêts oligarchiques continuent ainsi d’exercer une grande influence sur la politique en Ukraine, et ce phénomène n’a pas reculé depuis les manifestations de l’Euromaïdan. La rupture des relations entre le Président Porochenko et Igor Kolomoïsky est significative à cet égard. M. Kolomoïsky, homme d’affaires prospère comme M. Porochenko, a été nommé par celui-ci gouverneur de Dnipropetrovsk. Il est réputé avoir usé de son influence pour éviter que l’insurrection lancée à Lougansk et Donetsk ne se propage jusqu’à Dnipropetrovsk et Kharkov. Il finance par ailleurs plusieurs bataillons de volontaires qui se sont battus dans l’est de l’Ukraine aux côtés de l’armée ukrainienne quand les capacités de celle-ci étaient trop sollicitées. A la suite d’une épreuve de force au sujet de la direction de la principale entreprise de distribution d’énergie d’Ukraine, le Président Porochenko a démis M. Kolomoïsky de ses fonctions de gouverneur de Dnipropetrovsk. L’arrestation de l’ancien gouverneur-adjoint de Dnipropetrovsk, Hennadiy Korban, l’un des dirigeants de l’UKROP – parti considéré comme proche de M. Kolomoïsky et s’inscrivant dans une opposition active à M. Porochenko et à la politique qu’il mène – a soulevé la polémique; les partisans de M. Korban ont dénoncé des motivations politiques. L’imbrication des intérêts oligarchiques et des intérêts politiques contribue à créer dans la population le sentiment que la corruption est généralisée et qu’une partie de la classe politique fait passer ses intérêts avant ceux des électeurs ou de la nation ukrainienne.
17. Le paysage médiatique se durcit en raison de l’intervention menée actuellement par la Russie dans l’est de l’Ukraine. Les journalistes qui ont demandé une accréditation auprès des autorités de fait de la «République populaire de Donetsk («RPD»)» et de la «République populaire de Lougansk» («RPL»), ou ceux qui critiquent ouvertement la politique concernant les zones se trouvant hors du contrôle du gouvernement central, sont fréquemment harcelés et menacés, voire attaqués 
			(12) 
			<a href='http://www.rferl.org/a/ukraine-attacks-on-journalists-media-landscape-press-freedom/27923284.html'>www.rferl.org/a/ukraine-attacks-on-journalists-media-landscape-press-freedom/27923284.html</a>.. La plupart de ces menaces et de ces agressions sont le fait de civils, mais il reste que ces actes ne font semble-t-il pas l’objet d’enquêtes appropriées. Cela crée un sentiment d’impunité qui met à mal la liberté de la presse. A cela est venue s’ajouter la publication d’informations obtenues dans des courriels de responsables de la «RPD» dont la messagerie avait été piratée 
			(13) 
			Selon
certaines déclarations, le Service de sécurité d’Ukraine (SBU) est
impliqué dans le piratage de ces comptes et la publication de leur
contenu, ce que le SBU a fermement démenti. – les courriels contenaient les noms et les coordonnées de journalistes ayant demandé une accréditation pour se rendre en «RPD». Le Président Porochenko a publiquement condamné la publication de ces informations, mais d’autres responsables publics, dont le ministre de l’Intérieur, s’en seraient félicités. Le 3 août 2016, la vice-ministre de la Politique de l’information, Mme Tetyana Popova, a démissionné de ses fonctions, invoquant l’absence de volonté des autorités d’enquêter sur les actes de harcèlement et les menaces dont les journalistes font l’objet. Le 20 juillet 2016, le journaliste Pavel Sheremet a été tué dans l’explosion d’une voiture à Kiev. Les autorités ont fermement condamné cet assassinat et indiqué qu’une enquête était menée sur la possible implication des services secrets russes. A ce jour, toutefois, personne n’a été arrêté ni inculpé pour cet assassinat. Au début du mois de septembre 2016, des manifestants ont bloqué l’accès aux locaux d’Inter 
			(14) 
			<a href='http://www.bbc.com/news/world-europe-37284528'>www.bbc.com/news/world-europe-37284528</a>, une chaîne de télévision très populaire qui appartient à Serhiy Lyovochkin, l’ancien chef de cabinet du président déchu Ianoukovitch 
			(15) 
			M. Lyovochkin
est actuellement député du Bloc de l’Opposition. et à l’oligarque Dmytro Firtash, et ont tenté d’incendier les bâtiments. Les contestataires reprochaient à la chaîne d’être pro-russe. Cet incendie criminel a été notamment condamné par la représentante de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) pour la liberté des médias, Mme Dunja Mijatovic. Dans le contexte de la guerre d’information à laquelle on assiste actuellement entre la Russie et l’Ukraine, le Président Porochenko a signé le 27 mai 2016 un décret interdisant l’entrée sur le territoire ukrainien à 17 journalistes et professionnels des médias russes, au motif qu’ils représenteraient une menace à la sécurité nationale et à l’ordre constitutionnel. Un décret similaire pris le 16 septembre 2016 avait fait l’objet de nombreuses critiques de la part de la communauté internationale. Si les inquiétudes des autorités ukrainiennes à propos de la propagande et de la guerre de l’information menée par la Russie sont légitimes et compréhensibles, interdire à des journalistes d’entrer en Ukraine et restreindre au bout du compte la liberté de la presse semble être une réponse inappropriée à cette menace.
18. Le Bloc de l’Opposition a fait état d’actes de harcèlement et d’intimidation perpétrés contre ses sympathisants, ce que les autorités démentent. Nous entendons par conséquent continuer à suivre de près ces allégations et l’évolution de la situation, et appelons toutes les forces politiques à vaincre les divisions et les inimitiés.
19. Concernant la stabilité du pays, il est également essentiel de poursuivre une politique inclusive à l’égard des langues minoritaires. La soi-disant abrogation 
			(16) 
			A
la suite des événements de l’Euromaïdan en février 2014, la Verkhovna
Rada s’est prononcée, le 25 février 2014, en faveur de l’abolition
de la loi sur les langues officielles. Le président par intérim,
Oleksandr Tourtchinov, a cependant refusé de promulguer cette décision
et la loi est depuis restée en vigueur. de la loi sur les langues officielles a été instrumentalisée pour déclencher l’annexion illégale de la Crimée et le conflit armé dans l’est de l’Ukraine. Cependant, comme il est souligné dans le rapport précité de 2014 sur les «Développements récents en Ukraine: menaces pour le fonctionnement des institutions démocratiques», cette loi n’a jamais été abrogée et reste en vigueur. Si les autorités n’ont semble-t-il pas l’intention d’abroger cette loi, 57 élus à la Verkhovna Rada ont saisi la Cour constitutionnelle d’un recours portant sur certaines dispositions du texte et sur les modalités de son adoption. La protection des minorités et l'utilisation de leurs langues sont garanties par la Constitution et par la loi portant ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE no 148). La loi sur les langues officielles place à 10 % le seuil relatif à l'utilisation des langues minoritaires dans les affaires publiques et dans l'éducation. Bien que nous ne puissions commenter le recours actuel devant la Cour constitutionnelle, nous demandons aux autorités de continuer à encourager une politique inclusive à l’égard des langues minoritaires et de s’assurer, au cas où la loi sur les langues officielles serait abrogée par la Cour, que le seuil de 10% relatif à l’utilisation des langues minoritaires soit maintenu.
20. Le 17 novembre 2016, la Verkhovna Rada a ajourné la ratification de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210, «Convention d’Istanbul»), en raison, a-t-il été indiqué, de préoccupations concernant les références à l’orientation sexuelle figurant dans la Convention. Nous espérons que la Verkhovna Rada parviendra rapidement à surmonter ses hésitations et l’engageons à ratifier sans attendre cet instrument important.
21. Le 15 novembre 2016, une manifestation a eu lieu à Kiev pour protester contre la hausse des prix et le marasme économique, ainsi que contre la faillite de certaines banques. Les journalistes de Radio Free Europe ont recueilli les témoignages de plusieurs personnes affirmant qu’elles avaient été payées pour participer à la manifestation, a indiqué la radio 
			(17) 
			<a href='http://www.rferl.org/a/ukraine-paid-protests/28124497.html'>www.rferl.org/a/ukraine-paid-protests/28124497.html</a>.. Les autorités avaient pratiquement bouclé le centre de Kiev pour l’occasion, craignant que les manifestations ne soient le début d’une campagne de déstabilisation de l’Ukraine orchestrée par la Russie, dont le projet avait été révélé dans des courriels du conseiller du Président Poutine, Vladislav Sourkov, obtenus à la suite d’un piratage de sa messagerie 
			(18) 
			Un groupe de pirates
informatiques ukrainiens a affirmé qu’il était parvenu à accéder
à la messagerie électronique de M. Sourkov et à celle de son assistante,
et a publié le 27 octobre 2016 les 2 337 premiers courriels du compte
de M. Sourkov. Le 3 novembre 2016, une nouvelle série de courriels
émanant d’un autre compte de messagerie utilisé par M. Sourkov ont
été rendus publics. Ces courriels ne contenaient pas de révélation
fracassante, mais des informations détaillant le rôle majeur joué
par la Russie dans la création et la progression de l’insurrection
dans l’est de l’Ukraine, ainsi que sur des projets visant prétendument
à créer un climat instable à Kiev entre novembre 2016 et mars 2017
dans l’objectif de créer les conditions imposant des élections législatives
et présidentielle anticipées en Ukraine. Les autorités russes ont
démenti le piratage du compte de M. Sourkov, mais plusieurs des
personnes dont le nom figurait dans les courriels publiés, ou qui
en étaient les auteurs, ont confirmé leur authenticité (<a href='http://www.nytimes.com/2016/10/28/world/europe/ukraine-russia-emails.html'>www.nytimes.com/2016/10/28/world/europe/ukraine-russia-emails.html</a>)..
22. La libéralisation du régime des visas avec l’Union européenne est l’une des priorités des autorités ukrainiennes. Le 20 avril 2016, la Commission européenne a proposé au Conseil européen et au Parlement européen de lever l’obligation de visa pour les ressortissants ukrainiens effectuant un court séjour dans l’espace Schengen. Le 17 novembre 2016, le Conseil européen a accepté une position de négociation sur la libéralisation des visas pour l’Ukraine. Le président de la commission des affaires étrangères du Parlement européen a appelé de ses vœux un avancement rapide du processus en vue de l’exemption des visas.

3. Réforme constitutionnelle

23. A la suite du changement de pouvoir consécutif aux événements de l’Euromaïdan, et conformément à l’accord conclu le 21 février 2014 sous les auspices de l’Union européenne, la Verkhovna Rada a rétabli les modifications de la Constitution ukrainienne adoptées en 2004, pour garantir une répartition du pouvoir plus inclusive, plus démocratique et assortie des garanties démocratiques nécessaires. Il convient de rappeler que l’Assemblée et la Commission de Venise avaient critiqué les modifications de 2004, soulignant qu’elles présentaient des failles et des manquements importants qui allaient entraver les réformes globales dont le pays avait besoin 
			(19) 
			Voir aussi Doc. 13482, paragraphes 41-45.. Soulignant l’opportunité unique qui s’offrait à elle à la suite des événements de l’Euromaïdan, l’Assemblée a engagé la Verkhovna Rada à mettre en œuvre une réforme globale de la Constitution afin de la mettre pleinement en conformité avec les normes et les règles européennes 
			(20) 
			Résolution 1988 (2014).. La nécessité de procéder à une révision de la Constitution figurait aussi dans l’accord conclu le 21 février 2014 sous les auspices de l’Union européenne.
24. La mise en œuvre du protocole de Minsk, conclu dans le cadre des efforts en vue de résoudre le conflit militaire dans l’est de l’Ukraine, a eu des répercussions sur le processus de révision constitutionnelle. Le protocole d’origine, signé le 5 septembre 2014, préconisait une décentralisation des pouvoirs 
			(21) 
			Protocole
de Minsk, paragraphe 3.. L’«ensemble de mesures en vue de l’application des accords de Minsk» signé le 12 février 2015 pour tenter de résoudre la situation créée par la rupture du cessez-le-feu et l’escalade des hostilités entre l’armée ukrainienne et les forces soutenues par les Russes, associait le principe de la décentralisation à la nécessité manifeste d’une réforme constitutionnelle 
			(22) 
			Ensemble de mesures
en vue de l’application des accords de Minsk, paragraphe 11: «Mise
en œuvre d’une réforme constitutionnelle en Ukraine avec entrée
en vigueur d’ici à la fin de 2015 d’une nouvelle Constitution prévoyant
comme élément clef une décentralisation compte tenu des spécificités
de certains arrondissements des régions de Donetsk et de Louhansk
définies en accord avec les représentants de ceux-ci, ainsi qu’adoption,
avant la fin de 2015, d’une législation permanente relative au statut
spécial de certains arrondissements des régions de Donetsk et de
Louhansk conformément aux mesures mentionnées en note 1.».
25. Compte tenu de l’ampleur de la réforme constitutionnelle à mettre en œuvre, et des délais très courts prévus par l’«Ensemble de mesures en vue de l’application des accords de Minsk», il a été convenu que la révision constitutionnelle porterait dans un premier temps sur la décentralisation et le système judiciaire. Tout en comprenant, et en reconnaissant, la nécessité de s’attacher avant tout à la modification des chapitres de la Constitution portant sur ces deux aspects, nous n’avons cessé d’exprimer, comme nos prédécesseurs, nos craintes qu’une mise en œuvre d’une réforme constitutionnelle en plusieurs étapes ne se transforme en réforme partielle de la Constitution. Réviser une constitution est toujours un processus compliqué, et il peut s’avérer difficile de trouver des majorités successives pour approuver des réformes constitutionnelles successives, en particulier dans un contexte marqué par l’hétérogénéité croissante de la Verkhovna Rada. Nous tenons à souligner que le processus de réforme constitutionnelle devrait aller au-delà des volets concernant la justice et la décentralisation. Les autres volets de la Constitution, en particulier les dispositions ayant trait à la répartition des pouvoirs entre le Président, le gouvernement et la Verkhovna Rada, doivent eux aussi être révisés afin de remédier aux failles relevées par l’Assemblée dans ses précédents rapports de suivi sur l’Ukraine.
26. Une Commission constitutionnelle chargée de l’élaboration des modifications de la Constitution a été établie par le Président Porochenko le 3 mars 2015. Elle est présidée par le président du parlement. Sa composition a été définie d’un commun accord le 31 mars 2015; elle inclut 12 membres de la communauté internationale. Le Conseil de l’Europe y est représenté par trois membres, le Représentant spécial du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux et la Commission de Venise. Trois groupes de travail ont également été créés, correspondant aux priorités de la Commission: le premier sur la réforme judiciaire, le deuxième sur la décentralisation et le troisième sur les droits de l’homme et les libertés fondamentales. A notre connaissance, cependant, les travaux du troisième groupe n’ont pas débouché sur des propositions de modification de la Constitution. Nous saluons la collaboration étroite entre cette commission et le Conseil de l'Europe, comme en témoigne la présence de trois membres du Conseil de l’Europe au sein de la structure.

3.1. Décentralisation

27. La réforme constitutionnelle relative à la décentralisation concerne deux questions à la fois distinctes et interdépendantes:
  • les dispositions constitutionnelles nécessaires pour permettre la décentralisation des pouvoirs et l’instauration des principes d’autonomie locale et régionale;
  • les dispositions constitutionnelles permettant de conférer un statut spécial à certaines régions comme les oblasts de Donetsk et de Lougansk.
28. Les dispositions constitutionnelles relatives à la décentralisation ont été rédigées en étroite collaboration avec la Commission de Venise et le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux. Dans son avis sur le projet initial concernant le volet relatif à la décentralisation, la Commission de Venise a conclu que ce volet offrait une base solide aux réformes et était «largement compatible avec la Charte européenne de l’autonomie locale 
			(23) 
			CDL-AD(2015)028.». Elle a formulé un certain nombre de recommandations visant à mettre ce volet en parfaite conformité avec la Charte. Dans une note préparée par le Secrétariat 
			(24) 
			DDL-AD(2015)029. par la suite, la Commission de Venise s’est félicitée que la plupart de ses recommandations, notamment toutes ses recommandations essentielles, aient été introduites par les autorités dans les modifications constitutionnelles adoptées en première lecture par la Verkhovna Rada.
29. Le volet relatif à la décentralisation prévoit la nomination de «préfets», ou de représentants du Président, au niveau régional. Leur fonction principale est de superviser et de coordonner les services fournis par le gouvernement central. Cependant, plusieurs partis au sein de la coalition au pouvoir ont dit craindre que les préfets aient des pouvoirs étendus qui permettraient au Président d’imposer ses préférences politiques et ses politiques aux collectivités locales et de bloquer les décisions de ces dernières qu’il jugerait indésirables d’un point de vue politique 
			(25) 
			Il
convient ici de noter qu’à la suite d’une recommandation de la Commission
de Venise, tout ordre du Président de suspendre un acte d’une collectivité
locale, ou la collectivité locale elle-même, doit être confirmé
sans attendre par la Cour constitutionnelle.. Le Congrès et la Commission de Venise ont souligné que la fonction de préfet telle que prévue dans les modifications de la Constitution n’est pas contraire aux normes européennes.
30. La disposition constitutionnelle permettant la création d’un statut spécial pour certaines zones des oblasts de Donetsk et de Lougansk est la plus controversée et la plus contentieuse. Pour respecter les obligations lui incombant au titre de l’ensemble de mesures en vue de l’application des accords de Minsk 
			(26) 
			Voir aussi AS/Mon (2015)
13 et AS/Mon (2015) 21., la Verkhovna Rada a adopté en première lecture, le 31 août 2016, l’article 18 des dispositions transitoires, selon lequel «[les] dispositions particulières de l’autonomie locale dans certaines parties des régions de Donetsk et de Lougansk font l’objet d’une loi distincte». Le fait que cet article ait été inclus dans les dispositions transitoires a soulevé des questions au sujet de sa validité dans le temps. Dans son avis sur la question 
			(27) 
			CDL-AD(2015)030., préparé à la demande des pays du «format Normandie», la Commission de Venise a conclu que, comme l’article 18 avait été adopté selon la même procédure et avec la même majorité que le reste de la Constitution, il aurait le même poids et les mêmes effets que le reste de la Constitution, et ne pourrait donc en aucun cas être considéré de nature temporaire. Comme pour les autres dispositions de la Constitution, l’article demeure valide jusqu’à ce qu’il soit abrogé par la Verkhovna Rada.
31. Il convient de noter que, en application des accords de Minsk 
			(28) 
			Protocole de Minsk,
paragraphe 3: «Procéder à une décentralisation des pouvoirs, notamment
grâce à l’adoption d’une Loi de l’Ukraine relative aux modalités
temporaires de l’exercice de l’autonomie locale dans certains arrondissements
des régions de Donetsk et de Lougansk (Loi portant statut particulier).», le Parlement ukrainien avait adopté le 17 mars 2015 la loi relative au statut spécial du Donbass. Dans le groupe de contact trilatéral, les représentants des forces séparatistes ont indiqué qu’ils désiraient conserver le plein contrôle du pouvoir judiciaire, du ministère public et des forces de police, souhait rejeté par les autorités de Kiev au motif qu’il irait à l’encontre du principe d’unité de la nation. A cet égard, il est regrettable que, dans un entretien, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, ait affirmé que le statut spécial du Donbass devrait être permanent et inclure «le droit de parler la langue russe sur le territoire du Donbass, le droit d’entretenir des liens économiques particuliers avec la Russie, le droit de prendre part à la nomination des procureurs et des juges, de disposer de ses propres organes chargés de maintenir l’ordre, y compris d’une milice populaire, et bien plus encore 
			(29) 
			<a href='http://tass.ru/en/world/849055'>http://tass.ru/en/world/849055</a>.». Ce n’est pas ce qui avait été convenu dans l’ensemble de mesures en vue de l’application des accords de Minsk ni dans les accords de Minsk eux-mêmes.
32. Les modifications de la Constitution relatives à la décentralisation, notamment l’article 18 des dispositions transitoires, qui a soulevé des controverses, ont été adoptées en première lecture le 31 août 2016. Comme cela a déjà été indiqué dans le rapport de Mme Zelienkova, les violations persistantes de l’accord de cessez-le-feu par la Fédération de Russie et l’absence de progrès dans la mise en œuvre par ce pays des autres dispositions des accords de Minsk concernant la situation sécuritaire ont créé au sein de la population ukrainienne le sentiment que l’Ukraine est la seule à appliquer les accords de Minsk, tandis que la Fédération de Russie et ses alliés à Lougansk et Donetsk ne respectent pas leurs obligations au regard de ces accords. Comme il apparaît peu probable que soient réunis, dans un tel contexte, les soutiens suffisants pour l’adoption en dernière lecture des modifications de la Constitution relatives à la décentralisation – dont l’article 18 des dispositions transitoires –, le vote en dernière lecture a été pour l’instant ajourné, dans l’attente que la Fédération de Russie et ses alliés de Donetsk et Lougansk aient accompli des progrès substantiels dans la mise en œuvre des accords de Minsk.
33. Tout en comprenant les difficultés et les retards qui entravent l’adoption des paragraphes sur la décentralisation, du fait du lien étroit existant entre ces dispositions et les progrès, ou plutôt l’absence de progrès, dans la mise en œuvre des accords de Minsk, nous tenons à souligner que, pour nous, cette absence de progrès ne devrait pas servir d’excuse pour ne pas engager les autres réformes essentielles à la consolidation de la démocratie dans le pays. Dans ce contexte, nous nous félicitons que, bien que les modifications constitutionnelles sur la décentralisation n’aient pas encore été adoptées, les autorités poursuivent leurs efforts de décentralisation du pouvoir et de renforcement des collectivités locales en Ukraine. Après l’adoption, le 25 décembre 2015, d’une loi sur la fusion des collectivités locales, 847 villages ont accepté de se regrouper pour former 172 nouvelles localités, dotées de compétences et de moyens accrus. On espère que cela conduira à de nouvelles fusions qui viendront renforcer les pouvoirs locaux en Ukraine et asseoir une base solide pour de futures réformes en matière de décentralisation.

3.2. Pouvoir judiciaire et système judiciaire

34. L’Assemblée a souligné à plusieurs reprises que l’adoption de modifications constitutionnelles garantissant l’indépendance du pouvoir judiciaire constituait une condition préalable cruciale à la réforme de l’ensemble du système judiciaire, conformément aux normes européennes. Les avancées considérables obtenues en ce qui concerne la réforme constitutionnelle dans les domaines du système judiciaire et du pouvoir judiciaire doivent par conséquent être saluées.
35. A l’issue de longues négociations, la Verkhovna Rada a adopté en dernière lecture, le 2 juin 2016, les modifications de la Constitution concernant le pouvoir judiciaire et le système judiciaire. Les modifications constitutionnelles relatives au système judiciaire ont été rédigées en étroite consultation avec la Commission de Venise. Dans son avis final 
			(30) 
			CDL-AD(2015)027. sur les projets de modifications, la Commission de Venise s’est félicitée que nombre de ses recommandations, formulées dans un avis préliminaire, aient été suivies par les autorités.
36. Les projets de modifications constitutionnelles dessaisissaient la Verkhovna Rada et le Président de leur rôle dans la nomination des juges et abolissaient le droit du Président de révoquer des juges, éliminant ainsi ce qui était considéré comme les principales menaces pesant sur l’indépendance du pouvoir judiciaire. Désormais, le Président effectue la nomination officielle des juges en se conformant strictement à la proposition contraignante de la Haute Commission de qualification, une composante indépendante du Conseil supérieur de la justice, le seul organe habilité à révoquer les juges. La Commission de Venise avait recommandé que la promotion et le transfert des juges soient la prérogative du seul Conseil supérieur de la justice, bien qu’au vu de la situation actuelle en Ukraine, on pourrait admettre que le Président conserve ces pouvoirs pendant une période de transition clairement délimitée. Les modifications de la Constitution ont aussi changé la composition du Conseil supérieur de la justice, de sorte que la majorité de ses membres soient des juges et que le Président et la Verkhovna Rada ne soient pas en mesure de dominer ou d’influencer indûment ses travaux et ses décisions. A la suite de la révision constitutionnelle, le Président Porochenko a déposé à la Verkhovna Rada, le 26 septembre 2016, un projet de loi sur le Conseil supérieur de la justice. Le Conseil de l’Europe et le Conseil sur la réforme judiciaire ont apporté leur expertise sur le projet de loi et la plupart de leurs recommandations ont été intégrées dans le texte qui a été soumis au parlement, selon les informations recueillies. Le projet de loi prévoit que le Conseil supérieur de la justice sera composé de 21 membres. Dix seront élus par le Congrès des juges, deux seront nommés par le Président et deux par la Verkhovna Rada. Deux autres seront élus par le Congrès des avocats ukrainiens, deux par le Congrès des procureurs de l’Ukraine et deux par des institutions de l’enseignement supérieur. Le Président de la Cour suprême ukrainienne est membre de droit du Conseil supérieur de la justice.
37. Elément positif, le procureur général a été dessaisi de sa fonction de supervision, qui était contraire aux normes et aux règles européennes. L’Ukraine met ainsi en œuvre l’un des engagements souscrits lors de son adhésion au Conseil de l’Europe qui lui restait à honorer.
38. La réforme de la Constitution a mis en place un système judiciaire à trois degrés et une Cour suprême unifiée, ce qui avait été recommandé depuis longtemps par la Commission de Venise. La Verkhovna Rada a adopté une loi instituant la Cour suprême dans son nouveau format et autorisant la nomination de ses membres (on parle de «reset» de la Cour suprême), mais le texte a été transmis à la Cour constitutionnelle le 3 octobre 2016 sur décision unanime des juges siégeant actuellement à la Cour suprême. Nous espérons que cela n’entraînera pas de gros retards dans la mise en place de la nouvelle Cour suprême, compte tenu du rôle important qu’elle est amenée à jouer pour garantir un fonctionnement efficace du système judiciaire.
39. Une question importante a été soulevée lors du processus d’adoption des modifications de la Constitution concernant le pouvoir judiciaire: comment garantir que les juges en exercice aient l’intégrité et les capacités professionnelles requises pour exercer leurs fonctions? Beaucoup parmi les forces politiques, et la société ukrainienne dans son ensemble, préconisaient que tous les juges en poste soient révoqués et aient à postuler de nouveau pour reprendre leurs fonctions. La Commission de Venise s’est fermement opposée à cette idée, qui violerait les normes européennes relatives à l’indépendance du pouvoir judiciaire et l’Etat de droit. Les autorités s’y sont opposées pour la même raison. La solution de compromis adoptée dans la révision constitutionnelle prévoit que tous les juges en exercice seront soumis à une procédure d’évaluation avant leur nomination pour une durée indéterminée. Cette disposition est conforme aux normes européennes. Une commission spéciale, la Haute Commission de qualification, a été mise en place à cet effet. Elle relève du Conseil supérieur de la justice, mais en est indépendante. Un total de 300 juges ont été évalués pendant la période février-juin 2016. Selon les informations qui nous ont été transmises, 20 % des juges ont démissionné ou ont refusé de participer au processus d’évaluation et 5 % ont été envoyés à l’Ecole nationale de la magistrature pour y recevoir une formation complémentaire; la commission de qualification a ajourné sa décision dans 15 % des cas, dans l’attente d’un «nouvel examen». Les 60 % de juges restants ont été nommés à un poste permanent à l’issue de l’évaluation. Le processus a suscité un certain nombre de polémiques, en particulier chez les juges eux-mêmes. Les juges de la Cour suprême et ceux des juridictions spécialisées n’ont pas encore été soumis à la procédure d’évaluation de la Haute Commission de qualification.
40. Un Conseil public pour l’intégrité, dont certains membres seraient issus de la société civile, est également prévu dans le cadre du processus d’habilitation des juges, pour assister la Haute Commission de qualification dans sa mission d’évaluation des candidats à un poste au sein du pouvoir judiciaire. La Haute Commission pourra ne pas tenir compte de l’avis du Conseil, mais il reste que le principe de l’implication d’un organe apparemment non judiciaire dans le processus de nomination des juges soulève potentiellement certaines questions quant à de possibles violations du principe d’indépendance de la justice. A tout le moins, les prérogatives exactes de cet organe et le processus de nomination de ses membres devraient être clairement encadrés par la loi.
41. Pour ce qui est des réformes législatives, les autorités ont préparé une nouvelle loi sur la Cour constitutionnelle, sur la base des modifications de la Constitution relatives au pouvoir judiciaire. Le 7 octobre 2016, le Président de l’Ukraine a sollicité l’avis de la Commission de Venise sur cette loi. Dans son projet d’avis 
			(31) 
			CDL(2016)042., la Commission de Venise a indiqué que la nouvelle loi représentait une avancée nette et était conforme aux normes européennes en matière de justice constitutionnelle. La nouvelle procédure de nomination des juges de la Cour constitutionnelle constitue l’un des aspects clés de cette loi. Un tiers des juges sont nommés par le Président de l’Ukraine, un tiers par la Verkhovna Rada et un tiers par le Congrès des juges, sur la base d’une sélection par concours dans laquelle interviennent des commissions de sélection constituées à cet effet. Ce processus de sélection par concours a été accueilli favorablement par la Commission de Venise, qui a toutefois recommandé que le résultat de la sélection par les commissions soit contraignant pour les organes chargés de la nomination et que la majorité nécessaire pour la nomination par la Rada soit portée au deux tiers des parlementaires, afin de mieux garantir l’indépendance de la Cour constitutionnelle. La disposition prévoyant un délai strict pour la nomination des juges a également été saluée, compte tenu de la crise constitutionnelle de 2005 où, faute de nomination de nouveaux juges, la Cour avait perdu le quorum nécessaire pour rendre des décisions. L’Ukraine autorise les recours individuels normatifs devant la Cour constitutionnelle. La Commission de Venise a recommandé dans son projet d’avis sur la loi sur la Cour constitutionnelle que les particuliers aient «la possibilité de protéger leurs droits fondamentaux effectivement au niveau national devant les juridictions ukrainiennes sans devoir saisir la Cour européenne des droits de l'homme 
			(32) 
			Ibid.,
paragraphe 38.». Tout en saluant les avancées contenues dans ce projet de loi, nous engageons les autorités à prendre en compte toutes les recommandations formulées dans l’avis de la Commission de Venise, notamment en ce qui concerne le recours individuel.
42. Il est maintenant nécessaire d’adopter plusieurs lois importantes en vue de mettre en œuvre les modifications de la Constitution, ainsi que des modifications de la législation existante. Conscients de la charge de travail que cela représente, nous demandons toutefois instamment aux autorités d’adopter sans attendre les textes législatifs permettant la mise en place d’un pouvoir judiciaire réellement indépendant et d’une justice efficace. Ces deux éléments sont une condition indispensable à l’efficacité de la lutte contre la corruption endémique que connaît le pays, un problème que nous aborderons dans la prochaine partie.
43. La question de la «lustration» des responsables publics a soulevé une forte polémique en Ukraine. Une loi relative à la lustration a été adoptée par la Verkhovna Rada le 16 septembre 2014, et promulguée le 9 octobre 2014. Elle est entrée en vigueur le 16 octobre 2014. Conformément à cette loi, sont frappées d’une interdiction d’exercer des fonctions au sein du gouvernement ou d’occuper des postes de haut niveau au sein de la fonction publique, entre autres, les personnes qui ont contribué à l’usurpation de pouvoir par les précédentes autorités, celles dont les actions ou omissions ont sapé les fondements de la sécurité nationale de l’Ukraine, celles qui ont occupé des postes importants durant l’ère soviétique ou encore celles qui ont ordonné ou encouragé l’action de la police contre les manifestants de l’Euromaïdan. Les élus sont expressément exclus du processus de lustration, tout comme les personnes qui ont participé depuis à des opérations antiterroristes dans l’est de l’Ukraine (au sein de l’armée régulière ou des bataillons de volontaires). Un certain nombre de questions de droits de l’homme étaient en jeu et la commission de suivi a par conséquent demandé à la Commission de Venise d’émettre un avis sur cette loi.
44. La Commission de Venise a rendu un avis intérimaire le 12 décembre 2014 
			(33) 
			CDL-AD(2014)044. et adopté un avis final lors de sa session plénière des 19 et 20 juin 2015 
			(34) 
			CDL-AD(2015)012.. Elle a estimé que la lustration ne constituait pas en soi une violation des droits de l’homme, ni une infraction aux normes européennes. Néanmoins, pour être acceptable au regard des normes européennes, le processus de lustration doit remplir un certain nombre de critères: la culpabilité doit être prouvée dans chaque cas d’espèce; une procédure régulière doit être garantie; la lustration doit être strictement limitée dans le temps, ce qui vaut aussi bien pour la période d’application que pour la période à examiner, et elle ne doit pas se substituer au droit pénal, autrement dit ne pas être conçue comme une sanction pour ceux qui ont enfreint la loi. Dans ce contexte, la Commission de Venise a relevé dans son avis intérimaire des points posant problème: la période à examiner par la loi de lustration, le large éventail de postes soumis à la lustration et l’insuffisance des garanties propres à assurer que la culpabilité individuelle est établie. Les autorités ukrainiennes ont reconnu que la loi comportait des défauts et ont instauré un dialogue constructif 
			(35) 
			Ibid.,
paragraphe 109. avec la Commission de Venise sur les possibilités d’améliorer le texte. Plusieurs décrets sont venus régler ou clarifier des points litigieux et, en avril 2015, les autorités ont transmis un ensemble de projets de modifications de la loi de lustration qui, a estimé la Commission de Venise, apportent une réponse à un grand nombre des manquements du texte – mais pas à tous néanmoins. A notre grand regret, cependant, ces modifications n’avaient pas été adoptées par la Verkhovna Rada au moment de la rédaction du présent projet de rapport. La loi et le processus de lustration soulèvent donc toujours un certain nombre de problèmes en termes de respect des droits de l’homme. Nous engageons la Verkhovna Rada à adopter sans attendre ces modifications et à apporter une réponse aux sujets de préoccupation recensés par la Commission de Venise et qui n’étaient pas concernés par les modifications.
45. La première phase du processus de lustration, qui concerne les ministères et les services de sécurité, a été mise en œuvre immédiatement après l’entrée en vigueur de la loi. Le 28 octobre 2014, le ministère de la Justice a publié sur son site web une liste de 179 responsables gouvernementaux révoqués dans le cadre du processus de lustration. Le 5 novembre 2014, le Premier ministre Iatseniouk a annoncé le lancement de la deuxième phase du processus de lustration concernant toutes les administrations de l’Etat, y compris les services répressifs.

4. La lutte contre la corruption

46. Le phénomène de corruption endémique que connaît l’Ukraine reste un sujet de préoccupation majeur. L’absence prolongée de progrès notable et concret dans ce domaine, notamment pour ce qui est des poursuites et des condamnations, pourrait réduire les effets de l’ambitieux programme de réforme élaboré par les autorités et ébranler la confiance dans le système politique de la population ukrainienne, qui y verrait une trahison des principes de la «Révolution de la dignité». Toutes les parties prenantes ukrainiennes sont par conséquent invitées à redoubler d’efforts, à tous les niveaux, pour combattre la corruption dans le pays.
47. Le 16 novembre 2016, Transparency International a publié un rapport intitulé «People and Corruption: Europe and Central Asia 2016». Selon les études effectuées pour ce rapport, l’Arménie, la Bosnie-Herzégovine, la Lituanie, la République de Moldova, la Fédération de Russie, la Serbie et l’Ukraine sont considérées comme présentant les problèmes de corruption les plus graves. L’indice 2015 de perception de la corruption dans le monde de Transparency International place l’Ukraine au 130e rang (sur 168 pays évalués) avec un score de 27 points, légèrement en hausse par rapport au précédent.
48. La plupart des réformes dans le domaine de la lutte contre la corruption ont porté sur la mise en place d’un nouveau cadre institutionnel. Ce cadre destiné à la mise en œuvre de la stratégie de lutte contre la corruption est formé d’un ensemble d’institutions articulé sur trois niveaux: le Bureau national de lutte contre la corruption (NABU); le Bureau du procureur spécialisé dans la lutte contre la corruption (SAPO); et l’Agence nationale pour la prévention de la corruption (NAPC). Plusieurs formations politiques se sont demandé si, eu égard à la corruption endémique au sein du pouvoir judiciaire, l’actuel système juridictionnel aurait la capacité, ou même la volonté, de traiter effectivement les affaires de corruption. Elles ont par conséquent réclamé la création d’une juridiction spécialement chargée des affaires de corruption, qui viendrait compléter les institutions mentionnées ci-dessus.
49. Le Bureau du procureur spécialisé dans la lutte contre la corruption a été le premier mis en place. Il fonctionne indépendamment du Bureau du procureur général, qui n’a pas le droit d’intervenir dans les affaires dont s’occupe le procureur spécial. Avant la création du NABU, cependant, le procureur spécialisé dépendait des services d’enquête du Bureau du procureur général. Cela aurait semble-t-il donné lieu à des tensions entre les deux services, qui ont entravé la tenue effective d’enquêtes sur des cas de corruption présumée.
50. Les tensions entre les deux institutions sont apparues de manière particulièrement évidente pendant le mandat de Viktor Shokin, nommé procureur général le 10 février 2015. Malgré les vives critiques à son égard formulées dans le pays et à l’étranger, cette homme perçu par beaucoup comme peu enclin à s’attaquer au problème endémique de la corruption au sein du gouvernement ou à réformer le ministère public, est toutefois resté en fonctions jusqu’au 29 mars 2016. Lorsque le chef du Service de sécurité d’Ukraine, Valentyn Nalyvaichenko, un homme très respecté, a publiquement demandé pourquoi le procureur général n’avait pas donné suite à plusieurs affaires de corruption à haut niveau soumises à son attention par le Service de sécurité d’Ukraine, il a été démis de ses fonctions par le Président Porochenko. Ce n’est que le 15 février 2016, lorsque le vice-procureur général Kasko, réformateur bénéficiant d’un soutien considérable de la part de la communauté internationale, a présenté sa démission en citant «une corruption clientéliste, un manque de réformes et une absence d’avancées dans des enquêtes importantes», que le chef de l’Etat a demandé au procureur général Shokin de démissionner. Le 22 février 2016, le Président Porochenko a officiellement déposé une demande de révocation du procureur général Shokin auprès de la Verkhovna Rada. La révocation a été prononcée le 29 mars 2016.
51. Le 12 mai 2016, la Verkhovna Rada a nommé au poste de procureur général un proche allié de M. Porochenko, M. Iouri Loutsenko, chef du groupe parlementaire du PPB. Ministre de l’Intérieur dans le gouvernement de Ioulia Timochenko, M. Loutsenko a été emprisonné sur la base d’accusations à caractère politique par l’ancien président Ianoukovitch. Il a dénoncé publiquement la corruption endémique dans le pays et est considéré par beaucoup comme quelqu’un qui va donner un nouvel élan à la lutte contre ce fléau.
52. Le NABU et la NAPC sont opérationnels depuis l’été 2016. Le cadre institutionnel permettant la mise en œuvre de la stratégie de lutte contre la corruption est donc en place.
53. Le NABU compte 284 agents, dont 200 enquêteurs. Selon les informations recueillies, 187 enquêtes ont été lancées depuis sa mise en place, dont 19 ont pour l’instant été déférées à la justice. Le NABU a commencé à enquêter sur des faits de corruption présumée impliquant des procureurs adjoints, ce qui a provoqué des tensions entre le Bureau du procureur et le NABU. Le procureur général, Iouri Loutsenko, a questionné à plusieurs reprises la prérogative exclusive du NABU d’enquêter sur les affaires de corruption, en particulier au vu de sa dimension relativement modeste et de sa présence géographique restreinte (du moins pour l’instant) 
			(36) 
			Le NABU n’est actuellement
présent que dans trois régions. La création d’autres bureaux régionaux
est prévue dans un avenir proche..
54. La NAPC nouvellement créée s’est notamment consacrée à la mise en place du système de déclaration électronique de patrimoine pour les responsables publics (la «e-déclaration», ou déclaration en ligne). Elaboré avec l’aide du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), ce système a été approuvé par les membres de la NACP le 10 juin 2016 et est opérationnel depuis le 15 août 2016. Des questions ont été soulevées à propos de la certification du système et de la protection des données. Plus de 50 000 responsables publics, dont le Président, les ministres et les élus à la Verkhovna Rada, devaient déposer avant le 30 octobre 2016 une déclaration faisant état de leur patrimoine et de celui de leurs proches. A partir de janvier 2017, tous les autres agents publics concernés par la loi devront à leur tour remplir leur déclaration en ligne, ce qui devrait porter à plus de 100 000 le nombre total de personnes contrôlées. Un groupe de 45 parlementaires, pour la plupart du Bloc de l’Opposition, ont saisi la Cour constitutionnelle d’un recours sur la constitutionnalité de la loi sur la déclaration de patrimoine.
55. Consultables publiquement, les déclarations peuvent constituer un outil très efficace dans la lutte contre la corruption et permettre à la population ukrainienne d’examiner le patrimoine des élus, des fonctionnaires, des juges et des responsables du gouvernement. Plus de 200 juges auraient démissionné de leurs fonctions pour échapper à l’obligation de déclarer leur patrimoine, ce qui met en évidence le potentiel du système.
56. Les résultats de la publication, conformément à la loi, des déclarations de patrimoine des responsables du gouvernement et des membres de la Verkhovna Rada, ont suscité bien des discussions. Ils ont mis en évidence en effet que plusieurs responsables détenaient des actifs considérables, y compris de grandes quantités d’argent en espèces 
			(37) 
			Dans
plusieurs cas des sommes largement supérieures à un million d’euros.. Il faut garder à l’esprit que cette pratique peut être la marque d’un manque de confiance dans le système bancaire ukrainien, et que ces sommes en espèces ne sont pas nécessairement obtenues de manière illicite, mais il reste que les faits mettent en relief le fossé séparant ces responsables de l’Ukrainien moyen, dont le revenu et le patrimoine n’ont rien à voir avec ces montants. Le mécontentement de la population consécutif à la révélation du patrimoine des responsables du gouvernement et des parlementaires a suscité des appels à l’extension des pouvoirs du NABU et à l’accélération de la mise en place d’un tribunal spécial pour la lutte contre la corruption. Ces révélations sont en outre venues renforcer au sein de la population le sentiment que les autorités ne font pas suffisamment pour combattre la corruption. Il est essentiel que les autorités soient perçues comme faisant de la lutte contre la corruption une priorité et qu’elles commencent à obtenir des résultats concrets – les résultats sont pour l’instant trop limités par rapport à l’étendue du problème. Par ailleurs, l’indignation générale suscitée par la publication des déclarations en ligne doit également être regardée comme un signe de son efficacité, ou en tout cas des possibilités qu’elle recèle. C’est la raison pour laquelle les premiers résultats ont été largement salués par la communauté internationale.
57. Afin de conserver la confiance des citoyens dans le système politique, il faut maintenant veiller à ce que ces déclarations fassent l’objet d’un examen transparent, que toute déclaration suspecte, ou tout écart manifeste entre les actifs d’une personne et ses revenus, donne lieu à une enquête exhaustive et que des poursuites pénales soient ouvertes si des éléments de preuve le justifient. Conformément à la loi sur la déclaration de patrimoine, la NAPC va maintenant procéder à l’examen des déclarations et vérifier leur exactitude. Si des erreurs ou omissions volontaires sont repérées, ou bien si des incohérences flagrantes entre les revenus et le patrimoine apparaissent, la NAPC transmettra le dossier pour enquête au NABU, qui pourra à son tour transmettre au SAPO si des faits justifiant l’ouverture d’une procédure pénale sont mis au jour. On ignore exactement comment la NAPC pourra, avec les moyens dont elle dispose actuellement, vérifier dans un délai raisonnable les plus de 100 000 déclarations attendues. Compte tenu des possibilités ouvertes par le système de déclaration en ligne pour la lutte contre la corruption, il est essentiel que la NAPC soit dotée des moyens dont elle a besoin pour mener à bien sa mission. Il faut par ailleurs aussi compter sur le fait que les déclarations sont publiques, ce qui permet aux citoyens de les examiner et de signaler tout élément indiquant un possible enrichissement illicite.
58. La réforme de la fonction publique en Ukraine est également un point important dans le contexte de la lutte contre la corruption. Une nouvelle loi sur la fonction publique est entrée en vigueur le 1er mai 2016 et une stratégie de réforme en la matière a été adoptée par le gouvernement le 24 juin 2016. La loi sur la fonction publique régit, entre autres, le processus de recrutement des agents et fixe des règles en matière de déontologie et de conflit d’intérêts. Son application est toutefois subordonnée à l’adoption des textes d’application et à la modification d’autres dispositions législatives.

5. Réforme électorale

59. L’Assemblée recommande depuis longtemps une réforme du système électoral et l’adoption d’un Code électoral consolidé qui donnerait de la cohérence aux dispositions légales régissant les différentes élections en Ukraine. Cette recommandation est encore plus importante depuis la signature d’un train de mesures d’application des accords de Minsk, le 12 février 2015, qui réaffirme que les élections locales devraient être organisées dans certains arrondissements des régions de Donetsk et de Lougansk sur la base du droit ukrainien 
			(38) 
			Ensemble de mesures
en vue de l’application des accords de Minsk, paragraphe 4: «Le
premier jour suivant le retrait engager un dialogue sur les modalités
de la tenue d’élections locales conformément à la législation ukrainienne
et à la Loi de l’Ukraine relative aux modalités temporaires de l’exercice
de l’autonomie locale dans certains arrondissements des régions
de Donetsk et de Lougansk, ainsi que sur le régime futur de ces
arrondissements en vertu de ladite loi.».
60. Comme l’indiquent des rapports antérieurs, la Commission de Venise et l’Assemblée ont maintes fois recommandé, pour les élections législatives, la mise en place d’un nouveau dispositif consolidé instituant une variante du scrutin proportionnel régional, afin de résoudre les problèmes structurels de séparation des pouvoirs et de fonctionnement des partis politiques et de la Verkhovna Rada.
61. Dans sa Résolution 1988 (2014) adoptée le 9 avril 2014, l’Assemblée a donc invité les autorités à organiser les prochaines élections législatives «sur la base d'un nouveau Code électoral unifié et d'un système régional d'élection à la proportionnelle 
			(39) 
			Résolution 1988 (2014), paragraphe 7.» dont l’adoption devrait constituer «la priorité immédiate des autorités ukrainiennes 
			(40) 
			Ibid.,
paragraphe 8.». Toutefois, comme l’indique le rapport de la commission ad hoc qui a observé les élections législatives anticipées du 26 octobre 2014 
			(41) 
			Doc. 13641, paragraphes 12-14., ces élections sont intervenues avant qu’il ait été possible de mettre en œuvre bon nombre des réformes électorales, et ont donc été organisées dans le cadre des lois électorales de 2012 (modifiées). Malheureusement, comme cela semble souvent être le cas, après les élections l’intérêt des milieux politiques pour la réforme électorale s’est émoussé et a laissé la place à d’autres événements et priorités.
62. Plusieurs projets de Code électoral consolidé sont officiellement inscrits à l’ordre du jour de la Verkhovna Rada 
			(42) 
			Les membres de la Verkhovna
Rada ont un droit d’initiative individuelle et peuvent proposer
des projets de loi. . Certaines de ces propositions ont été élaborées avec l’aide de la Commission de Venise et visent à combler les lacunes constatées par l’Assemblée et par la Commission de Venise; d’autres contiennent des dispositions dont le caractère problématique, au regard des normes internationales, a été souligné. Un groupe de travail réunissant des experts et des parties prenantes a été créé et travaille en étroite collaboration avec la Commission de Venise; il est chargé d’élaborer un Code électoral consolidé, notamment sur la base de ces propositions. Aucune préférence n’a été indiquée pour l’un ou l’autre des projets de loi qui circulent. Il semblerait malheureusement, d’après plusieurs interlocuteurs, que la volonté politique reste insuffisante pour faire aboutir la rédaction d’un tel Code électoral consolidé, surtout depuis que l’échéance électorale est passée.
63. Il importe d’accorder la priorité à l’élaboration d’un nouveau Code électoral consolidé qui tienne pleinement compte des recommandations de la Commission de Venise, et que ce point soit inscrit à l’ordre du jour de la Verkhovna Rada bien avant les prochaines élections législatives.
64. Le 16 février 2016, la Verkhovna Rada a adopté une série de modifications de la loi sur l’élection des députés du peuple. Ces dispositions permettraient aux partis de modifier l’ordre des candidats sur une liste, et en pratique de les retirer de celle-ci, après une élection mais avant qu’ils ne prêtent serment au parlement. La validité de cette loi est limitée aux listes électorales des élections anticipées de 2016 et semble viser à conférer aux partis politiques un contrôle sur les personnes accédant au parlement pour occuper les sièges vacants à l’issue du remaniement gouvernemental prévisible 
			(43) 
			Voir
le paragraphe 13 ci-dessus.. En effet, immédiatement après son adoption plusieurs partis politiques ont demandé à la Commission électorale centrale de retirer un ou plusieurs candidats de leurs listes.
65. Même si ces dispositions étaient limitées dans le temps, elles soulèvent plusieurs problèmes du point de vue des normes internationales, notamment en rapport avec le principe du suffrage direct et du droit des électeurs d’être pleinement informés de l’effet de leurs suffrages, c’est-à-dire des représentants qu’ils élisent. La commission de suivi a donc demandé, le 9 mars 2016, un avis de la Commission de Venise sur ces modifications. Dans cet avis adopté lors de sa réunion plénière des 9 et 10 juin 2016, la Commission de Venise 
			(44) 
			CDL-AD(2016)018. estime que «le fait d’habiliter les partis politiques à priver a posteriori les électeurs de leur choix et à retenir à leur place ceux qui sont en position d’être élus sur la liste du parti 
			(45) 
			Ibid.,
paragraphe 39.» et, par conséquent, le «pouvoir des partis politiques de rayer de leurs listes des candidats après la tenue du scrutin, alors qu’ils ont été censés être «non éligibles», mais qu’ils pourraient malgré tout être élus 
			(46) 
			Ibid.» est contraire aux normes internationales. Tout comme la Commission de Venise nous demandons instamment que, même si leur validité se limite aux listes électorales dans ce scrutin, ces dispositions soient supprimées de la loi.
66. En rapport avec cet avis, la Commission de Venise a relevé que l’article 81 de la Constitution ukrainienne permet de retirer son mandat à un parlementaire qui aurait quitté le parti ou la coalition pour lequel il a été élu afin de rejoindre une autre formation, à la demande du parti de la liste sur laquelle il était inscrit lors de son élection. La Commission de Venise a réitéré ses préoccupations concernant cette disposition permettant de révoquer un député élu, ce qui est contraire aux normes européennes. Nous recommandons vivement que cette possibilité soit supprimée de la Constitution dans le cadre de la réforme constitutionnelle en cours.

6. Remarques finales

67. A la suite des événements de l’Euromaïdan, les autorités ukrainiennes ont lancé un vaste et ambitieux programme de réformes. Il faut saluer la détermination des autorités à procéder à des réformes dans un contexte politique et économique difficile en raison des répercussions de la guerre qui se déroule dans l’est de l’Ukraine et de l’annexion illégale de la Crimée. Il convient toutefois de souligner que, si les événements qui se déroulent dans l’est de l’Ukraine éclipsent le processus de réforme auquel ils sont étroitement liés dans plusieurs domaines, l’absence de progrès dans l’application des accords de Minsk ne doit pas servir d’excuse à un ralentissement des réformes essentielles à la consolidation de la démocratie dans le pays, ni à une mobilisation moindre. D’importants progrès ont été accomplis avec la réforme du cadre juridique et l’adoption de nouvelles lois. Il importe maintenant de mettre en œuvre ces modifications législatives pour qu’elles se traduisent par les changements de comportement et de pratique que l’on attend. Cela vaut particulièrement pour la lutte contre la corruption endémique que connaît le pays.
68. La réforme de la Constitution, qui est une recommandation de longue date de l’Assemblée, doit être saluée. Le processus de réforme constitutionnelle a été axé jusqu’à présent sur les volets de la décentralisation, du pouvoir judiciaire et du système judiciaire. La réforme ne doit toutefois pas se limiter à ces domaines et reste nécessaire dans d’autres secteurs, en particulier pour ce qui est de la répartition des pouvoirs entre le Président, le gouvernement et la Verkhovna Rada, afin de remédier aux lacunes systémiques relevées par l’Assemblée à cet égard. Dans ce contexte, nous renouvelons la recommandation de l’Assemblée en vue de l’adoption d’un Code électoral consolidé bien en amont de la tenue des prochaines élections.
69. Nous saluons vivement l’adoption des modifications de la Constitution sur le pouvoir judiciaire, qui permettront de résoudre de nombreuses défaillances liées au système judiciaire et à l’indépendance de la magistrature, en abolissant notamment la fonction générale de supervision du procureur général, ce qui était l’un des engagements pris par l’Ukraine lors de son adhésion au Conseil de l’Europe. Il est essentiel que le pays adopte maintenant toutes les lois d’application nécessaires et modifie, le cas échéant, la législation existante pour permettre une rapide mise en œuvre des modifications de la Constitution.
70. Tout en saluant le fait que le cadre institutionnel de lutte contre la corruption endémique qui affecte le pays est désormais en place, nous sommes préoccupés par le rythme trop lent de la lutte contre la corruption, et par les trop maigres résultats concrets obtenus. C’est pourquoi nous prions instamment les autorités d’intensifier la lutte contre la corruption et de veiller à ce que le nouveau cadre institutionnel induise à présent des résultats nets et tangibles. Dans ce contexte, les autorités pourraient notamment accélérer la création d’un tribunal spécial contre la corruption.