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Résolution 2144 (2017)

Mettre fin à la cyberdiscrimination et aux propos haineux en ligne

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 25 janvier 2017 (5e séance) (voir Doc. 14217, rapport de la commission sur l’égalité et la non-discrimination, rapporteure: Mme Marit Maij; et Doc. 14242, avis de la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias, rapporteur: M. Volodymyr Ariev). Texte adopté par l’Assemblée le 25 janvier 2017 (5e séance).Voir également la Recommandation 2098 (2017).

1. Internet est une ressource et un outil exceptionnel; il a révolutionné de nombreux aspects de notre vie et a créé de nouveaux moyens d’expression formidables. La liberté d’expression est l’un des fondements les plus importants des sociétés démocratiques et il est crucial de la préserver, y compris sur internet. Internet ne doit en aucun cas devenir un espace dans lequel la censure étouffe les voix discordantes, ou dans lequel les sociétés privées dictent les opinions et les personnes à écouter.
2. Cependant, un grand nombre de personnes sont chaque jour la cible de propos haineux en ligne. De plus en plus d’enfants migrants de première, deuxième ou troisième génération ainsi que des enfants adoptés et issus de minorités témoignent de racisme dans leur vie quotidienne. Sexe réel ou supposé, couleur, origine ethnique, nationalité, religion, statut migratoire, orientation sexuelle, identité de genre, convictions politiques ou autres, handicap ou autre condition sont autant de prétextes pour tenir des propos incendiaires et haineux, harceler et agresser une personne prise pour cible, voire la traquer, proférer des menaces ou inciter à la violence psychologique ou physique à son encontre. Le discours de haine ne se limite pas au racisme et à la xénophobie: il peut également se manifester sous forme de sexisme, d’antisémitisme, d’islamophobie, de misogynie, d’homophobie ou d’autres formes de propos haineux visant des groupes ou des individus spécifiques. De telles formes de comportement, qui ne sont pas acceptées hors ligne, sont tout aussi inacceptables en ligne. Tout comme dans les relations en face à face, les relations par le biais d’internet doivent permettre de se montrer critique sans pour autant laisser de place au discours de haine, y compris l’incitation à la violence.
3. La Cour européenne des droits de l'homme a estimé que la protection de la liberté d'expression garantie par la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5) ne s’étendait pas au discours raciste ou xénophobe. D'autres instruments internationaux, comme la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et le Protocole additionnel à la Convention sur la cybercriminalité relatif à l'incrimination d'actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques (STE no 189), visent également le discours raciste et xénophobe sans pour autant couvrir toutes les formes de discours de haine. En outre, toutes les normes internationales n’ont pas été universellement acceptées. Toutefois, et bien qu’il n’existe pas de définition unique et harmonisée du discours de haine applicable dans l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe, ceux-ci ont intégré dans leur droit interne une définition du discours de haine et de la discrimination. Ainsi, la législation nationale permet déjà de prendre des mesures efficaces contre certaines formes de propos haineux en ligne. Cependant, elle ne couvre pas toujours tous les comportements ou ne reconnaît pas toujours concrètement les nouvelles formes de communication. Ces lacunes législatives doivent être corrigées afin d'assurer une protection efficace contre toute manifestation de haine en ligne.
4. Les propos haineux en ligne reflètent la haine présente dans nos sociétés. Il est donc crucial que les stratégies d’élimination des manifestations de haine sur internet identifient et combattent l’hostilité et l’intolérance présentes dans le cœur et l’esprit des personnes. En parallèle, ces stratégies doivent également prendre en compte et traiter les spécificités d’internet et des comportements des internautes, telles que la diffusion instantanée et à grande échelle de contenus, la possibilité de rester anonyme et l’effet désinhibiteur que cela peut avoir dans les échanges, ainsi que les difficultés rencontrées pour intenter une action en justice, si cela est nécessaire, dans des cas qui dépassent souvent les frontières nationales.
5. Les stratégies visant à prévenir et à combattre les propos haineux en ligne doivent aussi reconnaître qu’internet est devenu un outil de communication omniprésent et indispensable que ses utilisateurs ne peuvent pas tout simplement abandonner afin d'éviter les abus, surtout lorsque la nature de leur travail les oblige à jouer un rôle public.
6. Il est également nécessaire de clarifier la responsabilité et le rôle des intermédiaires internet qui fournissent les outils, les forums et les plateformes permettant la communication sur internet, en ce qui concerne la prévention et la lutte contre les propos haineux en ligne. À cet égard, l’Assemblée souligne que la législation dans les États membres doit s’inspirer de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
7. À la lumière de ce qui précède, et compte tenu des recommandations à ce sujet formulées dans sa Résolution 2069 (2015) «Reconnaître et prévenir le néoracisme», l'Assemblée invite les États membres du Conseil de l'Europe:
7.1. au vu de la dimension internationale de la communication en ligne:
7.1.1. à ratifier, s’ils ne l'ont pas encore fait, la Convention sur la cybercriminalité (STE no 185) et son Protocole additionnel relatif à l'incrimination d'actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques;
7.1.2. à œuvrer ensemble pour veiller à ce que des définitions harmonisées et complètes du discours de haine puissent être appliquées en cas de propos haineux en ligne, et à s’inspirer à cet égard des recommandations de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) dans sa Recommandation de politique générale no 15 sur la lutte contre le discours de haine;
7.2. en ce qui concerne la législation nationale:
7.2.1. à veiller, en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, à ce que leur législation nationale permette la poursuite effective des propos haineux en ligne, tout en respectant pleinement la liberté d'expression et en particulier la liberté de critiquer les actions des pouvoirs publics;
7.2.2. à veiller à ce que la législation nationale couvre toutes les formes d’incitation à la violence à l’encontre d’une personne ou d’un groupe de personnes, d'intimidation, de harcèlement, de menace et de traque en ligne, de sorte que ces comportements puissent être effectivement poursuivis en vertu du droit national;
7.2.3. à modifier la législation nationale ou les lignes directrices chaque fois que cela est nécessaire afin de veiller à ce que toutes les caractéristiques considérées comme des motifs de protection au titre des dispositions anti-discrimination soient prises en compte dans les cas de propos haineux en ligne, notamment le sexe, la couleur, l'origine ethnique, la nationalité, la religion, l'orientation sexuelle, l'identité de genre, les convictions politiques ou autres, le handicap ou toute autre condition;
7.3. en ce qui concerne l’application de la législation nationale:
7.3.1. à former les services de police, les procureurs et les juges sur la gravité de toutes les formes de propos haineux en ligne, notamment le discours de haine, l'intimidation, le harcèlement, les menaces et la traque en ligne;
7.3.2. à former les services de police et leur fournir des lignes directrices claires sur la nécessité d'enregistrer tous les incidents signalés dans ce domaine et d'enquêter sur ces incidents rapidement et efficacement, et sur la procédure à suivre; cette formation et ces lignes directrices devraient également présenter les moyens dont dispose la police lorsqu’elle n’a pas les capacités techniques d’enquêter elle-même;
7.3.3. à fournir également une formation et des lignes directrices claires aux procureurs et aux juges sur la façon d’appliquer la loi en vigueur en cas de propos haineux en ligne;
7.3.4. à veiller à ce que les plaintes des victimes de propos haineux en ligne soient prises au sérieux et que les personnes concernées bénéficient de tout l’appui nécessaire pour faire face aux conséquences;
7.3.5. à fournir des instruments pour signaler les propos haineux en ligne et encourager leur retrait;
7.4. en ce qui concerne la prévention, l’éducation et la sensibilisation:
7.4.1. à sensibiliser davantage la société à l’étendue et à l’impact des propos haineux en ligne;
7.4.2. à reconnaître que les enfants et les jeunes sont particulièrement vulnérables aux effets négatifs de la cyberdiscrimination et de la haine en ligne, et à assurer très tôt l’éducation des enfants et des jeunes tant aux possibilités exceptionnelles que représentent les échanges sur internet qu’aux défis qu’ils posent; à veiller également à ce que les compétences en matière d’internet deviennent un élément important dans les programmes scolaires;
7.4.3. à lancer des programmes et à soutenir les initiatives de la société civile et d’autres acteurs concernés afin d’encourager une utilisation responsable d’internet, de lutter contre la cyberintimidation, mais aussi d’aider les victimes à y faire face, de donner aux individus les moyens d’élaborer un contre-discours et des messages alternatifs au discours de haine, de rétablir le dialogue et de désamorcer des conflits en ligne, de mobiliser les réseaux et de former des alliances entre les acteurs de la lutte contre les propos haineux en ligne;
7.4.4. à faire en sorte que ces initiatives et programmes soient financés à long terme et conçus pour avoir un impact durable sur la position des individus à l’égard des propos haineux en ligne;
7.4.5. à organiser des événements réguliers pour souligner la nécessité de combattre en permanence les manifestations de haine, par exemple en déclarant le 22 juillet «Journée européenne pour les victimes des crimes de haine», comme demandé par l’Assemblée dans sa Recommandation 2052 (2014) «Faire barrage aux manifestations de néonazisme et d'extrémisme de droite»;
7.5. en ce qui concerne les intermédiaires internet:
7.5.1. à veiller à ce que les normes en matière de liberté d’expression fixées par la Convention européenne des droits de l’homme et par la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance soient appliquées à la communication en ligne dans les États membres;
7.5.2. à encourager les intermédiaires internet à établir des procédures internes claires et efficaces pour la gestion des signalements de discours de haine;
7.5.3. à encourager les efforts déployés par ces intermédiaires pour que les contenus pouvant être assimilés à des propos haineux, de l'intimidation, du harcèlement, des menaces et de la traque en ligne, sur la base des motifs mentionnés au paragraphe 7.2.3 ci-dessus, soient rapidement retirés, sans préjudice de la possibilité d’engager une action en justice contre leur auteur;
7.5.4. à encourager ces intermédiaires à prendre au sérieux les propos haineux en ligne et à coopérer étroitement avec les autorités policières, dans le respect de la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (STE no 108) pour les affaires concernant les manifestations de haine en ligne;
7.5.5. à définir dans la loi, si cela n'a pas déjà été fait, la responsabilité et le rôle des intermédiaires internet dans le retrait des contenus en ligne motivés par la haine, en utilisant, autant que possible, une approche de notification et retrait.
8. Enfin, l'Assemblée invite les parlements nationaux à se mobiliser contre les discours de haine et toutes les formes de racisme et d'intolérance, notamment en participant à des initiatives telles que l'Alliance parlementaire contre la haine, élaborée par l’Assemblée elle-même.