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Rapport | Doc. 14339 | 09 juin 2017

L'influence politique sur les médias et les journalistes indépendants

Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias

Rapporteur : M. Stefan SCHENNACH, Autriche, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13775, Renvoi 4131 du 22 juin 2015. 2017 - Troisième partie de session

Résumé

La commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias s’inquiète du fait que l’éventail des tactiques utilisées pour porter atteinte à la liberté des médias et contraindre les journalistes à l’autocensure s’élargit. Aux violations les plus flagrantes s’ajoutent des multiples formes de violence psychologique, d’intimidation et de harcèlement, y compris sur internet et les réseaux sociaux. Par ailleurs, des changements en profondeur du modèle de fonctionnement des médias mettent en péril la viabilité financière de nombreux opérateurs; cela intensifie le risque de pressions financières et politiques.

Les autorités nationales devraient agir sur plusieurs fronts, entre autres: la mise en œuvre effective de la Recommandation CM/Rec(2016)4; un examen indépendant des lois et pratiques qui ont, ou pourraient avoir, un effet dissuasif sur la liberté des médias; l’amélioration des dispositions légales concernant la transparence de la propriété des médias; l’indépendance et la transparence du fonctionnement des organes de régulation; la neutralité des procédures de nomination des dirigeants et du personnel des médias de service public (MSP); des systèmes de financement des médias non discriminatoires; et un financement des MSP adéquat pour garantir qu’ils puissent s’acquitter convenablement de leur mission dans un environnement médiatique en évolution rapide.

Le Comité des Ministres devrait appeler les États membres à faire preuve d’un engagement plus fort pour contrer les graves menaces pour la liberté des médias recensées sur la Plateforme pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes. Il devrait également charger les instances intergouvernementales compétentes de promouvoir les bonnes pratiques en matière de gouvernance des médias de service public et d’entreprendre une étude exhaustive des lois et pratiques nationales qui sont utilisées abusivement pour étouffer les critiques des journalistes et des médias indépendants.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 25 avril
2017.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire considère que le droit à la liberté d’expression et d’information et la liberté et la diversité des médias sont des éléments fondamentaux d’une véritable démocratie et qu’aucun système ne peut se prétendre démocratique s’il n’assure pas efficacement le pluralisme et l’indépendance des médias.
2. Il n’y a pas d’indépendance lorsque les journalistes et leurs familles sont exposés à des menaces physiques ou sont victimes de détentions arbitraires, ou lorsque les médias qui les emploient sont confrontés au risque de leur disparition pure et simple. L’Assemblée est aussi vivement préoccupée par les multiples formes de violence psychologique, d’intimidation et de harcèlement, y compris sur internet et les réseaux sociaux, ainsi que par l’éventail des tactiques utilisées pour porter atteinte à la liberté des médias, contraindre les journalistes à l’autocensure, voire prendre le contrôle de certains médias pour les mettre au service de groupes d’intérêt.
3. Les autorités nationales doivent non seulement garantir la sécurité des journalistes et la liberté des médias en empêchant et en condamnant sans réserve les violations flagrantes, mais ils doivent également reconnaître et s'opposer à la menace que des méthodes plus insidieuses posent à l'indépendance et au véritable pluralisme des médias, à l’intérêt du public à recevoir une information impartiale et critique, et donc à nos systèmes démocratiques.
4. Le numérique provoque des changements en profondeur du modèle de fonctionnement des médias, ce qui met en péril la viabilité financière de nombreux opérateurs. Cela intensifie le risque que des pressions financières soient exercées sur les médias afin d’obtenir leur soumission. Le financement public revêt plus d’importance que par le passé, notamment – mais pas seulement – pour les médias de service public (MSP). La dépendance des médias des fonds publics engendre toutefois une plus grande vulnérabilité à l’influence politique. Ceci peut également résulter d’une instrumentalisation des procédures de nomination des cadres dirigeants des MSP.
5. L’Assemblée dénonce toutes les pratiques qui visent à alimenter la défiance à l’égard des médias. Malheureusement, certaines forces politiques ont recours à cette stratégie pour réduire au silence les voix critiques et museler les opinions dissidentes des médias indépendants. Cependant, la méfiance pourrait aussi découler de l’utilisation détournée des médias, et en particulier des nouveaux médias, en tant qu’armes contre les opposants politiques, ainsi que des risques accrus de manipulation de l’opinion publique par les médias.
6. Alors que les acteurs politiques (mais aussi économiques et sociaux) délaissent les médias traditionnels au profit d’internet et des réseaux sociaux pour leur communication publique, le journalisme pèse de moins en moins dans la manière dont le public accède, valorise et partage l’information; de ce fait, les médias indépendants sont de moins en moins en mesure de susciter et promouvoir un débat public de qualité. Cela les rend moins attractifs, moins compétitifs et, en définitive, moins viables, d’où une plus grande vulnérabilité à l’influence politique.
7. En conséquence, l’Assemblée lance un appel en faveur d’un engagement plus fort pour garantir la sécurité et la liberté des journalistes et défendre le pluralisme et l’indépendance des médias. Elle recommande aux États membres du Conseil de l’Europe:
7.1. d’assurer la mise en œuvre effective de la Recommandation CM/Rec(2016)4 sur la protection du journalisme et la sécurité des journalistes et autres acteurs des médias en axant leur action autour de quatre piliers: la prévention, la protection, les poursuites en cas de menaces contre des journalistes et pour la liberté des médias, et la promotion de l’information, de l’éducation et de la sensibilisation;
7.2. de demander un examen indépendant de leurs lois et pratiques qui ont, ou pourraient avoir, un effet dissuasif sur la liberté des médias, comme les lois sur la sécurité nationale, le terrorisme et la diffamation, et confier à des commissions des droits de l’homme ou à des médiateurs une mission de contrôle de leur application en vue d’éviter toute utilisation abusive de ces textes pour étouffer la liberté des médias;
7.3. d’améliorer les dispositions légales concernant la transparence de la propriété des médias (aux fins d’établir la distinction entre propriétaire légal et bénéficiaire effectif) ainsi que des mécanismes de financement et des structures d’organisation et de gestion des médias, de façon à permettre l’identification d’éventuelles sources de contrôle et d’influence et à renforcer l’obligation de rendre des comptes. À cet égard, l’Assemblée rappelle en particulier sa Résolution 2065 (2015) «Accroître la transparence de la propriété des médias»;
7.4. de revoir les mécanismes de gouvernance des MSP, en gardant à l’esprit les normes élémentaires fixées par les principes directeurs annexés à la Recommandation CM/Rec(2012)1 sur la gouvernance des médias de service public et en cherchant à garantir leur indépendance réelle (y compris leur autonomie éditoriale) tout en préservant le rôle de contrôle des autorités nationales, et notamment des parlements;
7.5. d’assurer la transparence du fonctionnement des organes de régulation; les dispositions relatives à leur établissement, leur mandat et leurs pouvoirs doivent garantir leur indépendance vis-à-vis de toute influence, notamment des gouvernements;
7.6. de veiller à ce que la procédure de nomination des dirigeants et du personnel des MSP dans laquelle une intervention des pouvoirs publics est requise:
7.6.1. respecte le rôle de l’opposition et, lorsque les parlements interviennent dans la procédure, prévoie que les décisions relatives aux nominations soient prises à la majorité qualifiée;
7.6.2. ne soit pas utilisée pour exercer une influence sur la programmation ou sur la politique éditoriale des MSP;
7.6.3. satisfasse à des critères clairs fondés sur le mérite, se rapportant rigoureusement au rôle et à la mission des MSP et neutres en ce qui concerne les opinions politiques;
7.6.4. précise la durée de la nomination, qui ne peut être réduite que dans des circonstances limitées et légalement définies;
7.6.5. soit respectueuse de l’équilibre entre les sexes;
7.7. de revoir les systèmes (nationaux, régionaux et locaux) de financement des MSP et des médias privés:
7.7.1. pour éviter que les mécanismes de financement ne soient utilisés (directement ou indirectement) pour influer sur le contenu éditorial ou menacer l’autonomie institutionnelle des bénéficiaires;
7.7.2. pour veiller à ce que les modalités de financement reposent sur des critères objectifs et équitables et soient appliquées de manière non discriminatoire;
7.7.3. pour garantir une transparence totale des opérations, notamment en ce qui concerne la part du financement public, des subventions et du parrainage, et faire en sorte que le public ait facilement accès à ces informations;
7.8. de concevoir des systèmes de financement des MSP en veillant:
7.8.1. à garantir un niveau de financement cohérent avec le rôle et la mission dévolus aux MSP afin qu’ils puissent s’acquitter convenablement de leur mission dans un environnement médiatique en évolution rapide;
7.8.2. à charger une instance indépendante de déterminer – et revoir régulièrement – le niveau de financement, après consultation des MSP concernés, en limitant étroitement la marge de manœuvre laissée aux responsables politiques (parlements et gouvernements) pour rectifier les propositions formulées par cette instance indépendante;
7.8.3. à garantir des revenus prévisibles et suffisamment stables, mais aussi la dynamique de financement. À cet égard, les autorités nationales devraient étudier la possibilité de combiner différentes sources de revenus (y compris la publicité), en privilégiant les redevances (payées par tous les ménages indépendamment du type d’appareil) et les taxes affectées, dont le niveau devrait être indexé afin de garantir la stabilité financière en termes réels;
7.8.4. à prévoir un mécanisme de recouvrement des revenus excédentaires des bénéficiaires et les réinvestir dans le système;
7.9. de concevoir des régimes d’aides publiques aux médias privés à but non lucratif de façon à ce que ces dispositifs:
7.9.1. renforcent le pluralisme en accordant également une attention particulière aux médias non commerciaux, comme les radios libres, ainsi qu’aux médias qui sont l’expression d’une perspective locale sur les enjeux sociétaux ou de la diversité culturelle;
7.9.2. favorisent la réalisation des investissements nécessaires pour accompagner le progrès technique des médias.
8. L’Assemblée exhorte toutes les forces politiques ainsi que l’ensemble des dirigeants politiques à condamner fermement la violence psychologique et les manœuvres de harcèlement, notamment en ligne, visant les journalistes et à unir leurs efforts afin de lutter contre la défiance grandissante envers le journalisme et les journalistes. Les acteurs politiques ont certes le droit de réagir face aux critiques et aux points de vue divergents exprimés par les médias, mais sans pour autant bafouer la liberté d’expression. Tout comportement tendant à inciter ceux qui les suivent à prendre pour cible les journalistes et les médias est à bannir.
9. L’Assemblée appelle les associations de médias à identifier et à dénoncer plus activement les abus commis par des non-professionnels qui s’octroient abusivement le titre de «journaliste» ou par des médias sans scrupules qui cherchent à manipuler l’opinion publique en diffusant de fausses informations. Les lynchages politiques orchestrés par des médias trompeurs doivent être combattus.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 25 avril 2017.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire attache une grande importance aux efforts grandissants déployés par le secteur intergouvernemental du Conseil de l’Europe pour améliorer la sécurité des journalistes et renforcer la liberté des médias. À cet égard, l’Assemblée se félicite de l’action menée conjointement avec les organisations partenaires de la Plateforme pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes et apprécie la pertinence des travaux en cours du Comité directeur sur les médias et la société de l’information (CDMSI) concernant la préparation d’un projet de recommandation aux États membres sur le pluralisme des médias et la transparence de leur propriété.
2. Cependant, le nombre et la gravité des attaques visant le journalisme indépendant ne cessent d’augmenter et la situation se dégrade dans beaucoup de pays européens. Outre des tendances inquiétantes en ce qui concerne les agressions physiques constatées à l’égard de journalistes et la prise de contrôle directe ou la fermeture de médias contestataires, il apparaît également que les stratégies visant à museler le journalisme critique s’appuient de plus en plus sur la violence psychologique et l’intimidation qui fragilise le droit à la liberté de l’information et force l’autocensure des journalistes, comme l’intimidation judiciaire par le biais d’une série de lois dont (mais pas uniquement) celles relatives à la sécurité nationale, au terrorisme et à la diffamation.
3. À cet égard, rappelant sa Résolution … (2017) sur l’influence politique sur les médias et les journalistes indépendants, l’Assemblée considère qu’il convient d’assurer un suivi approprié de la récente enquête menée par le Conseil de l’Europe intitulée «Journalistes sous pression – Pressions abusives, crainte et autocensure en Europe».
4. En outre, l’indépendance des médias de service public n’est pas toujours correctement garantie: il convient de promouvoir des modèles types de dispositions légales et des bonnes pratiques administratives dans le domaine des médias de service public, en vue de renforcer leur indépendance et leur capacité à s’acquitter de leur mission d’intérêt général.
5. En conséquence, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres:
5.1. d’appeler les États membres du Conseil de l’Europe à faire preuve d’un engagement plus fort en faveur d’un dialogue constructif afin que des mesures soient prises face aux graves menaces pour la liberté des médias recensées sur la Plateforme pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes;
5.2. de charger le CDMSI ou d’autres instances intergouvernementales concernées:
5.2.1. de reprendre les travaux sur les médias de service public dans le but de traduire en termes opérationnels les principes énoncés dans sa Recommandation CM/Rec(2012)1 sur la gouvernance des médias de service public, notamment en ce qui concerne les procédures de nomination, et proposer des dispositions types respectueuses de l’indépendance des médias de service public;
5.2.2. d’élaborer et soutenir la mise en œuvre de programmes ciblés de coopération visant à promouvoir les bonnes pratiques en matière de gouvernance des médias de service public;
5.2.3. d’entreprendre une étude exhaustive des lois et pratiques nationales qui sont utilisées abusivement pour étouffer les critiques des journalistes et des médias indépendants, à commencer par les lois relatives à la sécurité nationale, au terrorisme et à la diffamation, en vue de donner des orientations pour leur révision.

C. Exposé des motifs, par M. Stefan Schennach, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le droit à la liberté d’expression et d’information et la liberté et la diversité des médias sont des éléments fondamentaux d’une véritable démocratie: aucun système ne peut se prétendre «démocratique» s’il n’assure pas efficacement le pluralisme et l’indépendance des médias.
2. Dans le cadre de l’Union européenne, le Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (ERGA) 
			(3) 
			L’ERGA rassemble les
dirigeants ou les représentants à haut niveau des organismes de
régulation nationaux indépendants du domaine des services audiovisuels
en vue de conseiller la Commission sur la mise en œuvre de la <a href='http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX:32010L0013'>Directive
«services de médias audiovisuels»</a> (SMA). a affirmé sans détours que: «[L’indépendance des médias] est la pierre angulaire de nos démocraties européennes, car elle permet aux citoyens de se forger leurs propres opinions et de ne pas se laisser orienter d’une manière ou d’une autre par quelque partie prenante que ce soit, y compris l’État.» 
			(4) 
			Déclaration du Groupe
des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (ERGA)
sur la nécessité de garantir l’indépendance des médias, ERGA, 11
janvier 2016, <a href='https://ec.europa.eu/digital-single-market/en/news/statement-european-regulators-group-audiovisual-media-services-erga-necessity-independent-media'>https://ec.europa.eu/digital-single-market/en/news/statement-european-regulators-group-audiovisual-media-services-erga-necessity-independent-media</a>. En septembre 2015, la Représentante de l’OSCE pour la liberté des médias – seule instance intergouvernementale de surveillance des médias dans le monde – a publié une fiche d’information sur la liberté des médias dans «la région de l’OSCE», dans laquelle elle affirme que la liberté des médias est fondamentale pour une société libre et ouverte, la démocratie ne pouvant se développer dans des pays où la liberté d’expression n’est pas garantie et où les diverses idées et opinions ne trouvent pas à s’exprimer 
			(5) 
			Voir la fiche d’information
établie par la Représentante spéciale de l’OSCE pour la liberté
des médias disponible à l’adresse suivante: <a href='http://www.osce.org/fom/186381?download=true'>www.osce.org/fom/186381?download=true
(en anglais uniquement).</a>. D’outre-mer, le Département de la défense des États‑Unis déclare dans la version révisée de son manuel sur le droit de la guerre: «Les journalistes remplissent une fonction essentielle dans une société libre régie par l’État de droit ainsi que dans l’information sur les conflits armés. 
			(6) 
			<a href='https://cpj.org/2016/07/pentagons-revised-law-of-war-manual-recognizes-rol.php'>https://cpj.org/2016/07/pentagons-revised-law-of-war-manual-recognizes-rol.php</a>.»
3. Ces affirmations constituent une reconnaissance forte de la nécessité de reconnaître et protéger partout et en toute circonstance le rôle du journaliste indépendant; mais la réalité n’est pas du tout en accord avec cette attente. Comme l’Union européenne de radio-télévision (UER) le souligne, «Des garanties législatives doivent venir étayer notre engagement en matière d’indépendance et tous nos actes doivent donner corps à l’importance que nous attachons à la sécurité des journalistes» 
			(7) 
			<a href='http://www.ebu.ch/files/live/sites/ebu/files/Publications/EBU-Empowering-Society_EN.pdf'>www.ebu.ch/files/live/sites/ebu/files/Publications/EBU-Empowering-Society_EN.pdf</a>.. Malheureusement, il ne s’agit pas d’une remarque gratuite. La liberté des médias n’est plus un défi qui se pose exclusivement aux démocraties nouvelles ou en évolution. Au contraire, le développement des nouveaux médias, et en particulier celui des réseaux sociaux, dont l’influence ne cesse d’augmenter, met à l’épreuve la tradition établie de longue date du respect de la liberté d’expression dans des démocraties établies de longue date elles aussi.
4. La Représentante de l’OSCE pour la liberté des médias, Dunja Mijatović, a reconnu que la liberté des médias dans la région de l’OSCE était menacée. 
			(8) 
			Voir
la fiche d’information établie par la Représentante spéciale de
l’OSCE pour la liberté des médias citée à la note 6. En 2014, elle est intervenue plus de 250 fois sur des questions liées à la liberté des médias dans les États membres de l’OSCE et, dans une publication de 2015 intitulée «Safety of journalists: an imperative for free media 
			(9) 
			<a href='http://www.osce.org/fom/194731?download=true'>www.osce.org/fom/194731?download=true</a>.» (la sécurité des journalistes: un impératif pour la liberté des médias), a déclaré que, entre 1997 et 2015, 137 journalistes ont été tués dans l’exercice de leurs fonctions dans les États participants de l’OSCE. Elle fait également part de sa vive préoccupation au sujet de la culture de l’impunité et de l’absence de poursuites à l’égard des auteurs d’actes de violence contre des journalistes.
5. Depuis 2002, Reporters sans frontières (RSF), une organisation phare pour la défense de la liberté des médias dans le monde, publie chaque année le Classement mondial de la liberté de la presse, dont l’édition 2016 dénonce «une dégradation profonde et préoccupante» de la situation 
			(10) 
			Le
classement mondial de la liberté de la presse peut être consulté
à l’adresse suivante: <a href='https://rsf.org/fr/classement'>https://rsf.org/fr/classement</a>.. En décembre 2016, RSF a publié son Bilan annuel des journalistes détenus, otages et disparus dans le monde, qui indique que «la tendance est dramatiquement à la hausse» 
			(11) 
			D’après ce document,
à la fin de l’année 2016, on comptait au total 348 journalistes
détenus dans le monde; plus de 100 journalistes et collaborateurs
de médias étaient détenus dans des prisons turques et des centaines
de journalistes turcs avaient été traduits en justice pour «insultes
au Président» ou «terrorisme», certains ayant été emprisonnés sans aucun
chef d’inculpation.. Une tendance négative est confirmée par l’augmentation du nombre de rapports sur de cas de violences contre de journalistes et d’atteintes à la liberté de la presse publiés par l’initiative Mapping Media Freedom (MMF) 
			(12) 
			L’initiative
Mapping Media Freedom est une plateforme couvrant 42 pays (tous
membres du Conseil de l’Europe, à l’exception du Bélarus et du Kosovo*),
qui est gérée par Index on Censorship en partenariat avec Reporters
sans frontières et la Fédération européenne des journalistes et
en coopération avec le Centre européen pour la liberté de la presse
et des médias; <a href='https://mappingmediafreedom.org/'>https://mappingmediafreedom.org/#/</a>. 
			(12) 
			* Toute référence au Kosovo, que ce soit
le territoire, les institutions ou la population, doit se comprendre
en pleine conformité avec la Résolution 1244 du Conseil de Sécurité
des Nations-Unies et sans préjuger du statut du Kosovo.. Les données qu’on peut extraire de la Plateforme du Conseil de l’Europe pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes 
			(13) 
			<a href='http://www.coe.int/fr/web/media-freedom'>www.coe.int/fr/web/media-freedom</a>. sont tout aussi inquiétantes et notre rapport sur «Attaques contre les journalistes et la liberté des médias en Europe 
			(14) 
			Doc. 14229.» a fait état d’une situation alarmante dans nombre de pays européens.
6. Discuter de l’indépendance des médias n’a pas beaucoup de sens lorsque les journalistes ne peuvent faire leur travail qu’au risque de leur vie ou de leur liberté et que les médias qui les emploient sont confrontés au risque de leur disparition pure et simple. Néanmoins, il existe des formes subtiles d’atteintes à la liberté des journalistes et des médias, comme forcer l’autocensure, voire prendre le contrôle de certains médias et les asservir aux intérêts de leurs oppresseurs. Il faut être conscients du danger que ces méthodes représentent pour l’indépendance et aussi pour le pluralisme réel des médias, et donc pour nos systèmes démocratiques.
7. Comme il résulte d’une récente consultation publique de la Commission européenne sur le pluralisme des médias et la démocratie, les méthodes visant à exercer une influence politique sur les comportements des médias et des journalistes ne sont pas nouvelles. Cependant, les méthodes traditionnelles d’influence ont été adaptées sans cesse aux développements dans les domaines de la politique, de l’économie et du journalisme, et les progrès technologiques ont apporté des nouvelles voies prédominantes d’accès aux canaux de communication. En m’appuyant sur l’excellent rapport d’expert qui nous a été soumis par Mme Margo Smit 
			(15) 
			Médiatrice au radiodiffuseur
public néerlandais NOS, Professeure de journalisme à l’université
d’État de Groningen, Pays-Bas., que je reprends très largement à mon compte, je me propose de mettre en lumière quelques-unes de ces méthodes, anciennes, transformées ou nouvelles, visant à influencer politiquement les journalistes et les médias, ainsi que leurs effets.

2. Que sont les médias indépendants?

8. Il faut examiner l’«indépendance» des médias dans les contextes financier, opérationnel et éditorial. Elle est indissociable du pluralisme; il s’agit de deux piliers d’une vraie liberté des médias et d’une vraie démocratie, qui se renforcent réciproquement. Le présent rapport ne porte pas sur le pluralisme, mais il est clair que ce dernier soutient l’indépendance dans la mesure où il rend moins efficaces les pressions visant à stopper les critiques; en même temps, l’indépendance est une condition nécessaire pour que le pluralisme ne devienne pas formelle et de façade. L’indépendance des médias et l’indépendance des journalistes ne coïncident pas exactement: en théorie, un média peut jouir des garanties requises pour développer librement sa ligne éditoriale alors que les journalistes travaillant pour ce média (ou certains d’entre eux) peuvent faire l’objet de pressions ciblées ou de menaces spécifiques. Néanmoins, en pratique, des ingérences de l’extérieur sur un média ne sauraient rester sans conséquence sur le travail de ses journalistes et des pressions ou des menaces qui affectent le comportement des journalistes ne sauraient rester sans conséquence sur le fonctionnement des média qui les emploient.
9. La Déclaration de l’Union européenne de radio‑télévision (UER) relative aux valeurs fondamentales des médias de service public peut servir de cadre à la définition des médias indépendants: «Nous posons nos choix uniquement dans l’intérêt de notre public. Nous nous efforçons de faire preuve d’une impartialité et d’une indépendance totales à l’égard des influences et idéologies politiques, commerciales ou autres. Nous voulons être libres de contester la suprématie du plus fort, de remettre en cause les idéologies dominantes et de contribuer à former des citoyens avertis. Nous entendons faire preuve d’autonomie à tous les niveaux de notre mission, notamment la programmation, la prise de décisions éditoriales et les questions de personnel. 
			(16) 
			<a href='http://www.ebu.ch/files/live/sites/ebu/files/Publications/EBU-Empowering-Society_FR.pdf'>www.ebu.ch/files/live/sites/ebu/files/Publications/EBU-Empowering-Society_FR.pdf</a>. Cette déclaration, qui concerne directement les médias
de service public, peut s’appliquer aussi à d’autres médias.»
10. Cette déclaration peut être complétée par les éléments que l’Assemblée parlementaire a mis en avant dans sa Recommandation 1878 (2009) sur le financement de la radiodiffusion de service public: «Les radiodiffuseurs de service public doivent être une importante source publique d’informations impartiales et d’opinions politiques diverses. Leur activité doit être soumise à d’exigeantes normes éditoriales d’objectivité, d’équité et d’indépendance vis-à-vis de toute ingérence politique ou économique. Ils devraient, davantage que les radiodiffuseurs commerciaux, faire preuve de transparence et rendre des comptes au public quant à leur programmation.»
11. La transparence est une condition essentielle de l’indépendance des médias à tous les niveaux, depuis la propriété du capital aux relations de sponsoring, depuis les axes opérationnels à la politique et aux directives éditoriales (publication, application effective et sanctions en cas de non‑respect). La transparence doit s’appuyer sur des autorités de régulation indépendantes garanties par la loi, en ayant par exemple comme référence les recommandations formulées par le Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels 
			(17) 
			Voir le «ERGA Report
on the independence of NRAs» de 2015, <a href='https://ec.europa.eu/digital-single-market/en/news/erga-report-independence-national-regulatory-authorities'>https://ec.europa.eu/digital-single-market/en/news/erga-report-independence-national-regulatory-authorities</a>. et en tenant compte que, comme l’indique l’UER: «Pour que nous soyons en mesure de tenir notre engagement à l’égard du public, il nous faut une législation ferme et un financement approprié et viable. Nous devons disposer d’une gouvernance professionnelle pour préserver l’indépendance éditoriale et veiller à remplir notre mission avec le plus haut degré de professionnalisme. 
			(18) 
			<a href='http://www.ebu.ch/files/live/sites/ebu/files/Publications/EBU-Empowering-Society_FR.pdf'>www.ebu.ch/files/live/sites/ebu/files/Publications/EBU-Empowering-Society_FR.pdf</a>.»

3. Vulnérabilité à l’influence due à l’absence de transparence concernant la propriété des médias et les mécanismes de financement

12. Un rapport récent de la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias 
			(19) 
			«Accroître la transparence
de la propriété des médias», <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?FileID=21578&lang=FR'>Doc. 13747</a> (rapporteure: Mme Gülsün
Bilgehan, Turquie, SOC). aborde la question de la transparence de la propriété des médias de façon détaillée et éloquente. Je souhaite insister encore sur la nécessité d’interdire les montages juridiques non transparents et la propriété cachée, ainsi que sur la conclusion du rapport: «Les États membres devraient veiller à ce que le public ait accès aux informations spécifiques sur les structures de propriété et de gestion, les structures éditoriales des médias ainsi que leur financement. Les informations pertinentes doivent être adressées par les médias concernés à une autorité nationale indépendante chargée des médias.»
13. La disponibilité de données sur les propriétaires «bénéficiaires et réels» des médias et l’accès à ces données contribuent à la détection des abus de pouvoir médiatique par divers groupes d’intérêts puissants. Comme l’indique ce même rapport de notre commission: «Il faudrait encourager les organes judiciaires et législatifs à reconnaître expressément les liens entre la liberté d’expression, le pluralisme des médias et une démocratie qui fonctionne, d’une part, et la transparence de la propriété des médias, d’autre part. 
			(20) 
			Voir le paragraphe
49 de l’exposé des motifs.»
14. Le principe d’une transparence totale concernant les médias implique non seulement l’accès à des informations sur la propriété de ces derniers, mais aussi sur l’identité de leurs «principaux agents de contrôle», c’est-à-dire la «transparence sur les agents d’influence». Par conséquent, l’identification, entre autres, des membres des conseils d’administration des médias et de leurs principaux dirigeants est aussi fondamentale. La transparence est également nécessaire au niveau des organes de régulation: le mode de désignation de leurs membres, leur mandat, fonctions et compétences doivent être définis de sorte à garantir leur indépendance contre toute influence, en particulier de la part des gouvernements.
15. Un autre aspect à prendre en considération concerne la transparence des structures de propriété des médias et la participation commerciale des propriétaires de médias à d’autres domaines que le domaine médiatique. Il est relativement difficile, pour les citoyens ordinaires, de mesurer l’ampleur et l’impact de ce phénomène, qui, semble-t-il, n’est pas très répandu dans la région du Conseil de l’Europe.
16. Au niveau organisationnel, les rapports intitulés «Media Ownership Monitor» publiés récemment par Reporters sans frontières 
			(21) 
			<a href='http://www.mom-rsf.org/'>www.mom-rsf.org/</a>. révèlent l’ampleur, l’extrême gravité et les conséquences finales de l’influence politique – voire de la dépendance politique – qu’acceptent les propriétaires de médias lorsqu’ils compromettent l’indépendance de la production et de la diffusion de contenus médiatiques à des fins de davantage de profit.
17. Les médias recherchent le profit pour rester en vie. Le besoin de gagner de l’argent – pour un propriétaire ou d’autre partie prenante – ne se traduit pas nécessairement en défaut d’indépendance: une large gamme de journaux, de magazines, de sites internet, de stations de radio et de chaînes de télévision ayant des obligations commerciales se consacrent à un journalisme impartial et équilibré. Néanmoins, une transparence complète au sujet des structures de propriété et des liens financiers des médias, qu’ils soient publics ou à caractère commercial, renforce leur responsabilité et la confiance du public dans leur fonctionnement.
18. A la base de toute société démocratique se trouvent des citoyens capables de promouvoir son développement en s’appuyant sur des points de vue multiples, adoptés librement, et en faisant preuve d’esprit critique sur des questions sociétales. En vertu de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), ainsi que de la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle (2001), les États sont tenus de garantir le pluralisme des médias dans l’intérêt d’une société active et bien informée.
19. Dans ce contexte, la transparence des structures de propriété renforce le pluralisme des médias en garantissant la disponibilité d’informations émanant de sources diverses; elle contribue également à en assurer le suivi et à la promouvoir dans la mesure où elle permet d’évaluer le niveau des concentrations de médias (et, éventuellement, de les empêcher), ces dernières pouvant exercer une influence cachée grâce à leurs canaux de diffusion. Néanmoins, la situation actuelle n’est pas satisfaisante, comme nous l’avons constaté dans notre rapport «Accroître la transparence de la propriété des médias» 
			(22) 
			En 2012, Access Info
a publié un rapport sur la transparence de la propriété des médias
en Europe («Transparency of media ownership in Europe») qui présente
les conclusions d’une étude menée par l’organisation dans 19 États européens
(dont 11 États membres de l’Union européenne). Ce rapport dénonce
que la plupart des pays de l’étude sont dotés d’un cadre juridique
insuffisant pour garantir la transparence de la propriété des médias.
Ce même rapport renvoie également à une autre étude systématique
conduite par Access Info Europe en partenariat avec le Programme
Médias des Open Society Foundations concernant le cadre juridique
relatif à l’accès à l’information sur la propriété des médias en Europe,
qui concernait 20 pays membres de l’Union européenne ou de régions
voisines de l’Europe..
20. Je crois qu’il est également important ici d’alerter sur l’influence que pourraient avoir les pouvoirs politiques et économiques par le biais de leurs politiques publicitaires. Le risque de perdre des recettes publicitaires parce que vous pourriez publier des contenus contraires aux intérêts de l’annonceur (public ou privé) pourrait avoir un énorme effet dissuasif, notamment lorsque ces recettes sont indispensables pour la viabilité du média concerné. C’est pourquoi il est si important que, lorsque l’annonceur est une autorité publique, sa politique publicitaire soit déterminée selon des critères neutres quant à la politique éditoriale des bénéficiaires.

4. Les médias de service public

21. Du fait de l’évolution rapide des habitudes de consommation des médias, de l’internationalisation et de l’accès omniprésent à l’information, le besoin d’avoir des médias (nationaux) de service public (MSP) est remis en cause. Je suis convaincu que ce besoin est aujourd’hui plus fort que jamais. A cet égard, dans sa Déclaration sur la gouvernance des médias de service public 
			(23) 
			Adoptée
le 15 février 2012., le Comité des Ministres «alerte quant au risque d’atteinte au pluralisme et à la diversité dans les médias et, par conséquent, au débat démocratique et à l’engagement démocratique si le modèle actuel qui comprend les médias de service public, les médias commerciaux et ceux des communautés, n’est pas préservé».
22. L’Union européenne de radio‑télévision déclare qu’un MSP doit être «une source fiable d’information objective et impartiale; un fournisseur régulier de contenus culturels de haute qualité; un garant de la pluralité des opinions, y compris les opinions minoritaires; et un point de référence en période de crise nationale» 
			(24) 
			Ingrid Deltenre, Directrice
générale de l’UER, in R. Burnley,
«Public Funding Principles for Public Service Media», UER, Genève,
janvier 2016, p. 4.. Difficile d’expliquer mieux pourquoi nos systèmes démocratiques ont besoin de MSP indépendants et suffisamment solides pour rester compétitifs dans un marché de l’information et du divertissement extrêmement concurrentiel; ils constituent un rempart indispensable à la fois contre la mauvaise information (indiscriminée, non pertinente, fourvoyante) et la désinformation qui vise à manipuler les opinions.
23. En fait, le Comité des Ministres affirme que: «En tant que source importante d’informations impartiales et d’opinions politiques variées, ils doivent rester indépendants de toute ingérence politique ou économique et respecter des critères rédactionnels élevés d’impartialité, d’objectivité et de probité. 
			(25) 
			Déclaration
sur la gouvernance des médias de service public, op. cit.» Sur la même ligne, dans la Recommandation CM/Rec(2012)1, le Comité des Ministres dit: «La première priorité des médias de service public doit être de garantir que leur culture, leurs politiques, leurs processus et leur programmation reflètent et garantissent leur indépendance éditoriale et opérationnelle.»
24. Pour remplir leur rôle de fournisseurs d’information indépendante et impartiale au public, les MSP doivent d’abord disposer d’un financement régulier et suffisant 
			(26) 
			Cette
question est évoquée au paragraphe 13 de la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?FileID=17763&lang=FR'>Recommandation
1878 (2009)</a> de l’Assemblée sur le financement de la radiodiffusion
de service public. . Cependant, du fait du mécontentement croissant du grand public – qui affirme ne pas se sentir représenté par les radiodiffuseurs publics – et de la volonté de certains responsables politiques de se faire l’écho de ce mécontentement 
			(27) 
			On trouvera des exemples
de responsables politiques qui attisent le mécontentement du public
à l’égard de médias publics et d’un organe indépendant de régulation
des médias dans le rapport sur la mission d’enquête en Croatie menée en
juin 2016 par l’International Press Institute (IPI) et le Centre
européen pour la liberté de la presse et des médias (ECPMF): Scott
Griffen, «Croatia: Media Freedom in Turbulent Times», Rapport de
la mission internationale commune de juin 2016, août 2016, p. 11-12, <a href='http://seemo.org/files/ Croatia-Report-IntlMission-PDF.pdf'>http://seemo.org/files/
Croatia-Report-IntlMission-PDF.pdf</a>. en exigeant de plus en plus des MSP qu’ils justifient leur existence en tant qu’organes publics, il est devenu fréquent de considérer les MSP comme des organes élitistes et coûteux, en en faisant ainsi une cible facile pour les coupes budgétaires. Par ailleurs, l’évolution constante de ces mécanismes de financement rend les MSP vulnérables à l’exercice (ou aux tentatives d’exercice) de pressions politiques.
25. A ce jour, la commercialisation des écrans de publicité reste la principale source de financement des services de radiodiffusion émettant en clair, et les abonnements, celle des services commerciaux tels que les chaînes de télévision cryptées, qui, pour la plupart, ne diffusent pas de publicité. Les MSP sont essentiellement financés soit directement par les budgets publics, soit par des redevances statutaires. Cependant, dans certains pays (notamment l’Autriche, le Danemark, la Hongrie, l’Irlande et l’Italie), ils sont également financés en partie par la publicité. En Pologne, cette dernière représente même leur principale source de revenu. Au Royaume-Uni, il existe deux systèmes parallèles: celui de la British Broadcasting Corporation (BBC), qui est exclusivement financée par des redevances, et celui de Channel 4, ITV et Five, qui dépendent essentiellement des revenus publicitaires (dans la mesure où ils ne perçoivent aucune part des revenus issus des redevances) 
			(28) 
			Voir, à cet égard,
le numéro spécial d’IRIS sur les «Activités en ligne des médias
de service public: mission et financement» publié par l’Observatoire
européen de l’audiovisuel en 2015. Le chapitre 3 (p. 35-43), contenant
une «Etude comparative de certains modèles de financement de la
radiodiffusion en Europe», donne un aperçu de la situation dans 12
Etats, à savoir l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique (les trois
régions), le Danemark, la Finlande, la France, la Hongrie, l’Irlande,
l’Italie, les Pays-Bas, la Pologne, la Suède et le Royaume-Uni. .
26. La redevance est toujours considérée comme le système de financement le mieux apte à assurer l’indépendance des MSP. Par exemple, au Danemark, l’introduction en 2007 de la redevance audiovisuelle (un impôt très axé sur le principe de la neutralité technologique qui frappe les foyers fiscaux possédant un/des appareil(s) de réception) a donné de bons résultats en termes de stabilité du système dans la mesure où elle a permis de garantir la continuité du financement. 
			(29) 
			Ibid.,
chapitre 4. Néanmoins, dans la région couverte par l’UER, la tendance est à l’abandon des redevances au profit d’autres systèmes de financement comme les subventions directes ou l’attribution d’une part (pas toujours précisément définie) des recettes fiscales. Cette évolution se traduit pour les MSP par une plus grande incertitude au sujet de leurs ressources budgétaires car, une fois la redevance remplacée par une part de l’impôt général, il devient beaucoup plus facile aux gouvernements de réduire les budgets des radiodiffuseurs publics, alors qu’auparavant ils étaient tenus d’allouer aux MSP le produit d’une redevance fixe.
27. Un rapport récent de l’UER 
			(30) 
			Union européenne de
radio‑télévision, «Funding of Public Service Media», version publique
communiquée par le Service d’analyse médias de l’UER, Genève, décembre
2015, <a href='https://www.ebu.ch/files/live/sites/ebu/files/Publications/EBU-MIS - Funding of PSM 2015 - Public version.pdf'>https://www.ebu.ch/files/live/sites/ebu/files/Publications/EBU-MIS%20-%20Funding%20of%20PSM%202015%20-%20Public%20version.pdf.</a> sur le financement des médias de service public parmi ses membres 
			(31) 
			Ce rapport couvre 45
des 56 États membres de l’UER. Des médias membres de l’UER sont
en activité dans tous les États membres du Conseil de l’Europe à
l’exception du Liechtenstein. montre la place importante qu’occupent toujours les MSP sur le marché européen, ainsi que les menaces qui pèsent sur leurs systèmes de financement. En effet ce rapport souligne des tendances préoccupantes:
  • une érosion structurelle du financement des MSP, notamment à cause des coupes budgétaires ou du gel des redevances, alors que leur champ d’activité continue à s’étendre dans le nouvel environnement médiatique 
			(32) 
			En dépit de l’évolution
nominalement positive entre 2010 et 2014 (+1,8 %), le rapport (p.
5) fait état d’une baisse des recettes totales des MSP au net des
effets de l’inflation (-5,7 %), avec une tendance plus marquée dans
les pays de l’Union européenne (-6,1 %).;
  • une dépendance accrue des MSP de fonds publics (y compris les redevances), par rapport aux recettes commerciales 
			(33) 
			En 2014, pour l’ensemble
des pays considérés par l’étude, les recettes publiques représentaient
77,9 % du total avec une évolution par rapport à 2010 de +1.1 %,
alors que dans la même période les recettes commerciales ont baissé
à 18,6 % du total, soit une variation de -1,5 % (p. 8 du rapport). ;
  • le fait que dans une majorité de pays le financement des MSP s’appuie sur des ressources publiques différentes des redevances 
			(34) 
			Cette tendance est
en partie masquée par le fait que sur l’ensemble des pays considérés,
les redevances continuent de représenter la source principale de
financement avec 66,8 %, avec une évolution positive de leur montant
par rapport à 2010 de +3,5 % (p. 9 du rapport). Ce résultat est
dû au fait que la redevance est la source essentielle pour le financement
des MSP dans quatre grands marchés comme l’Allemagne, la France,
l’Italie et le Royaume-Uni, mais aussi, entre autres, en Turquie. ; or, la tendance à la suppression des systèmes de financement par la redevance a pour effet de rendre les ressources disponibles plus vulnérables à des décisions gouvernementales partisanes (motivées par des considérations politiques) sur l’attribution de fonds publics à des sources d’information indépendantes, et donc de rendre les MSP plus vulnérables aux influences politiques.
28. Cette dernière tendance résulte aussi d’un autre rapport consacré à l’étude des redevances, où l’UER indique: «Plus la redevance est élevée dans un pays, plus grande est la part du marché intérieur détenue par les MSP. Il y a là clairement un argument en faveur d’une non‑diminution des redevances et surtout de la garantie de niveaux de financement stables et durables pour les MSP. 
			(35) 
			Union européenne de
radio‑télévision, «Licence Fee 2015», version publique communiquée
par le Service d’analyse médias de l’UER, Genève, décembre 2015,
p. 6, <a href='http://www.ebu.ch/files/live/sites/ebu/files/Publications/EBU-MIS - Licence Fee 2015 - Public version.pdf'>www.ebu.ch/files/live/sites/ebu/files/Publications/EBU-MIS%20-%20Licence%20Fee%202015%20-%20Public%20version.pdf.</a>»
29. Une analyse comparative récente des risques d’influence politique pesant sur les MSP dans 19 pays de l’Union européenne 
			(36) 
			Maja Šimunjak, «Comparative
analysis of risks for political independence of Public Service Media
across 19 European Union Member States», Institut universitaire
européen, Centre Robert Schuman d’études avancées, Centre pour le
pluralisme et la liberté des médias, San Domenico di Fiesole, juillet 2016, <a href='http://cadmus.eui.eu/ bitstream/handle/1814/42526/RSCAS_2016_34.pdf?sequence=1&isAllowed=y'>http://cadmus.eui.eu/
bitstream/handle/1814/42526/RSCAS_2016_34.pdf?sequence=1&isAllowed=y</a>. met en évidence plusieurs menaces, dont l’une des plus graves est l’influence sur les systèmes de financement. Cette analyse, se référant aussi à la Recommandation CM/Rec(2012)1, demande d’assurer un niveau de financement conforme aux besoins des MSP grâce à la participation de ces derniers «au processus décisionnel concernant le niveau de financement. Autrement dit, l’État ne devrait pas avoir la possibilité de fixer le montant de la redevance sans consultations préalables et sans prendre en compte les besoins financiers des MSP» 
			(37) 
			Maja
Šimunjak, op. cit., p. 3..
30. L’existence d’organes de régulation nationaux résolument indépendants peut aussi jouer un rôle tampon supplémentaire à cet égard 
			(38) 
			Sur la conception et
le rôle des organes de régulation indépendants, voir Groupe des
régulateurs européens des services de médias audiovisuels, «ERGA
Report on the independence of NRAs», op.
cit. – y compris en retirant aux organes politiques la responsabilité de fixer le montant de la redevance et en réalisant une évaluation indépendante du coût des MSP – et l’indépendance de ces organes à l’égard des pouvoirs politiques devrait être garantie. En outre, les jeunes générations étant moins enclines à acheter une radio ou un téléviseur, ce qui peut entraîner une baisse des recettes provenant de la redevance si celle-ci est fondée sur la liste actuelle des appareils soumis à redevance, la question se pose de savoir s’il faudrait redéfinir les modalités de la redevance pour déterminer à quel moment est en relation avec quels types d’appareils elle doit être perçue, en examinant aussi la possibilité d’y inclure les nouveaux appareils connectés 
			(39) 
			Il n’existe pas encore
de politique générale à ce sujet parmi les États membres de l’UER.
Cependant, en 2015, un tribunal autrichien a explicitement exclu
les nouveaux appareils connectés du champ d’application de la redevance
dans ce pays (cf. Union européenne de radio‑télévision, «Licence
Fee 2015», p. 11)..
31. Examinant les autres méthodes de financement des MSP, l’analyse comparative susmentionnée note: «A l’autre extrémité du spectre, on trouve le plus souvent des subventions versées directement par l’État aux MSP, qui sont fréquemment perçues comme un moyen pour l’État d’exercer une influence sur les MSP (…). Ce type de financement est parfois nuisible aux MSP car il peut avoir un impact négatif sur l’image que le public a de leur indépendance. Certaines données semblent indiquer, en effet, qu’il existe une corrélation entre l’indépendance politique des MSP et la confiance du public à leur égard; par conséquent, plus l’État est en mesure d’exercer une influence sur les MSP, moins les citoyens ont confiance dans les contenus qu’ils diffusent. 
			(40) 
			Maja Šimunjak, op. cit., p. 3.»
32. Cette étude montre que «six des 19 pays pris en compte ne disposent pas d’une législation sur les médias instituant une procédure transparente et objective pour déterminer le montant des fonds à attribuer aux MSP (Autriche, Chypre, Lettonie, Lituanie, Roumanie et Slovénie). De plus, cinq des 13 pays restants qui se sont dotés de dispositions législatives adéquates sont considérés comme des pays à risque en raison des modalités par lesquelles leurs gouvernements décident du montant à attribuer aux MSP (Irlande, Luxembourg, Malte, Slovaquie et Espagne). Dans notre échantillon, la moitié des pays examinés (n=9) ont des MSP qui reçoivent directement de l’État des subventions d’un montant substantiel, ce qui constitue un risque pour leur indépendance car le versement de ces subventions pourrait être utilisé comme un moyen de pression par l’État» 
			(41) 
			Ibid.,
p. 8. .
33. Ouvrir le financement des MSP à un éventail de sources plus large, y compris la publicité, le sponsoring et le placement de produits (comme plusieurs pays le font déjà dans une certaine mesure), pourrait les libérer d’une dépendance étouffante à l’égard des pouvoirs publics. Mais, ici encore, l’essentiel demeure la transparence complète et l’obligation de rendre des comptes au sujet des politiques financières, opérationnelles et éditoriales eu égard aux sources de recettes. En fait, si leurs revenus dépendaient principalement de l’argent versé par les annonceurs, le choix du contenu présenté serait essentiellement dicté par ces derniers, qui sont souvent liés aux élites et aux partis politiques (au pouvoir ou dans l’opposition) et représentent donc une source d’influence politique. Certains développements intéressants en matière de taxation et de prélèvements devraient être examinés de près car ils pourraient se révéler favorables aux médias indépendants 
			(42) 
			En Pologne, par exemple,
le financement des MSP sera assuré au moyen d’un prélèvement par
prise de courant sur les factures d’électricité..
34. Dans un paysage médiatique de plus en plus soumis à des contraintes financières, de nombreux médias (hyper)locaux trouvent une source de financement dans la diffusion (impression, diffusion en continu ou radiodiffusion) des annonces publiques et de la réglementation (locales). Cependant, si ces médias couvrent la vie politique locale d’une manière jugée gênante ou défavorable par les autorités locales, il n’est pas difficile de leur couper cette source de recettes. Il peut même s’agir d’un moyen rudimentaire mais très efficace d’exercer une influence politique, car les médias locaux ne sont guère en mesure de résister à ce type de pression et peuvent être conduits à s’autocensurer pour conserver cette source de financement 
			(43) 
			Aux Pays‑Bas, par exemple,
un conseil municipal qui était mécontent des articles publiés dans
un hebdomadaire local a décidé en 2013 de confier la publication
de ses annonces publiques (ainsi que leur impression, qui était
également une source de recettes) à un organe concurrent. Cette
décision a porté un grave coup financier à l’hebdomadaire. Il a néanmoins
décidé de maintenir son orientation; voir <a href='http://www.bd.nl/regio/oss-uden-veghel-e-o/landerd/landerd-breekt-met-weekblad-arena-1.3691078'>www.bd.nl/regio/oss-uden-veghel-e-o/landerd/landerd-breekt-met-weekblad-arena-1.3691078</a>.. Les études sur ce type de phénomène sont rares et présentent un caractère fortement anecdotique car ni les organes des collectivités locales, ni les organisations de médias n’ont intérêt à déclarer de tels incidents. Il est clair cependant que, lorsqu’une autorité gouvernementale ou des intérêts commerciaux qui lui sont liés sont la principale source de publicité, l’exercice d’une influence politique par l’intermédiaire de ce mode de financement peut avoir des conséquences plus graves 
			(44) 
			Un rapport de 2015
sur l’Europe du sud et du sud‑est basé sur des entretiens approfondis
avec une centaine de praticiens des médias de 11 pays de la région
présente plusieurs exemples à ce sujet, notamment en Bulgarie, en
Grèce et en Slovénie; voir Eugenia Siapera, «Building a Safety Net
for European Journalists», <a href='http://www.balcanicaucaso.org/eng/Media-Freedom-Net/Building-a-Safety-Net-for-European-Journalists2'>www.balcanicaucaso.org/eng/Media-Freedom-Net/Building-a-Safety-Net-for-European-Journalists2</a>. Ce rapport fait partie du projet <a href='http://www.balcanicaucaso.org/eng/Media-Freedom-Net'>«Safety
Net for European Journalists. A Transnational Support Network for
Media Freedom in Italy and South-East Europe»</a>, mené sous la direction de l’Osservatorio Balcani e
Caucaso (OBC) en coopération avec la SEEMO (South-East Europe Media Organisation),
l’IPI (International Press Institute), l’Ossigeno per l'Informazione
et Eugenia Siapera de l’université de Dublin City..
35. Je souhaiterais évoquer ici, en des termes positifs, l’expérience des «radios libres» telle qu’observée en Autriche, en Allemagne, en Suisse et aux Pays-Bas, par exemple. 
			(45) 
			Je suppose qu’il existe
des médias alternatifs de ce genre dans de nombreux autres pays
européens. En Autriche, l’association des radios libres du pays
(VFRÖ), fondée en 1993, défend les intérêts de 15 radios libres/locales
non commerciales. L’Allemagne est dotée d’une structure similaire. Aux radiodiffuseurs de service public et aux radios commerciales privées s’ajoutent les radios libres (ainsi que les «antennes ouvertes»), qui peuvent être considérées comme un troisième acteur du secteur médiatique. Ce sont des associations indépendantes, autonomes et locales, souvent à but non lucratif, dont les revenus ne proviennent pas de la publicité commerciale. Elles se veulent des canaux de communication au niveau des communes et des régions, dont elles visent à soutenir le développement. Ces radios font partie des successeurs des mouvements politiques pirates, entre autres, et représentent des médias alternatifs qui traitent des questions sociétales sous un angle critique, s’inscrivant dans ce que l’on a appelé la «contre-sphère publique». Ces médias contribuent au débat public en remettant en question le message véhiculé par les médias généralistes traditionnels. Elles contribuent ainsi au renforcement de la liberté d’expression. En Autriche, elles peuvent bénéficier de subventions publiques, et ce, sans ingérence de l’État dans leurs politiques éditoriales.
36. Pour empêcher les collectivités locales d’imposer leur point de vue de cette manière, on pourrait envisager d’interdire la publication des annonces d’organes gouvernementaux dans les médias indépendants. Cela reviendrait à supprimer une source de revenu importante pour les médias (hyper)locaux, souvent de petite taille, qu’il serait difficile de remplacer. Dans les pays où ce phénomène existe, les systèmes de financement devraient s’éloigner de ce type de financement direct au profit, par exemple, d’un système d’aides, en érigeant une «muraille de Chine» entre les donneurs (qui pourront être des organes gouvernementaux) et les bénéficiaires de ces aides 
			(46) 
			Ces aides pourraient
prendre pour modèles les procédures d’aide ou de subvention utilisées
dans le domaine des arts et des sciences où le donneur d’aide (qui
est souvent le gouvernement) fournit des fonds, qui sont ensuite
alloués par un organe indépendant sur la base de critères transparents
comme le rôle spécifique d’un moyen d’expression au sein de la société
ou la valeur du travail effectué.. De tels systèmes d’aides pourraient aussi, si cela paraît nécessaire ou souhaitable, être étendus aux médias privés qui diffusent des nouvelles et des informations indépendantes qui ne sont pas (ou pas suffisamment) accessibles par d’autres moyens 
			(47) 
			Le Journalismfund,
qui est actif dans toute l’Europe mais fonctionne en partie sur
la base de fonds fournis par le Gouvernement belge, est un exemple
d’organe versant des aides gouvernementales aux médias tant privés
que publics. Il a pour but de promouvoir les projets d’investigation
transfrontières (<a href='http://www.journalismfund.eu/about-us'>www.journalismfund.eu/about-us</a>). Le Fonds Pascal Decroos verse également des aides
en faveur du journalisme d’investigation en Belgique (le gouvernement
fédéral soutient ainsi le journalisme critique et les reportages
en profondeur mais n’intervient pas dans l’attribution des aides, <a href='http://www.fondspascaldecroos.org/en/inhoud/panel/about-fund'>www.fondspascaldecroos.org/en/inhoud/panel/about-fund</a>), de même que le Stimuleringsfonds voor de Journalistiek
des Pays‑Bas, qui est ouvert à tous les médias pour le soutien de
projets journalistiques innovants (<a href='https://www.svdj.nl/dutch-journalism-fund/'>https://www.svdj.nl/dutch-journalism-fund/</a>)..
37. Nous devrions nous interroger sur les mesures à mettre en œuvre et les conditions à respecter pour protéger et promouvoir l’intérêt public et assurer que les MSP rendent des comptes au public, plutôt que de procéder à des coupes dans leur budget; cependant, en dépit de leurs difficultés financières, ces derniers sont relativement protégés contre les fluctuations du marché et bénéficient encore d’une meilleure sécurité financière que les médias privés. À cet égard, une action orientée vers la solution concernant leur financement devrait aussi porter une attention particulière aux exigences publiques que les PSM doivent respecter et évaluer dans quelle mesure elles répondent véritablement aux exigences souvent négligées par les médias privés.

5. Politiques en matière de nomination et de personnel

38. La pratique des «nominations politiques», l’une des méthodes les plus anciennes pour acquérir ou conserver une influence politique, semble avoir récemment gagné en force et en attrait: «dans les pays d’Europe centrale et orientale, la nomination des membres des conseils d’administration des MSP est l’une des méthodes les plus fréquemment employées pour continuer à exercer un contrôle sur les médias publics. 
			(48) 
			Maja Šimunjak, op. cit., p. 2.» L’utilisation de cette méthode assez grossière d’influence politique sur les médias indépendants n’est évidemment pas limitée aux pays d’Europe centrale et orientale.
39. Bien qu’il ne couvre pas l’ensemble de la région du Conseil de l’Europe, l’Observatoire du pluralisme des médias (Media Pluralism Monitor, MPM) 
			(49) 
			L’Observatoire
du pluralisme des médias (Media Pluralism Monitor) est un outil
évolutif conçu par le Centre pour le pluralisme et la liberté des
médias (CMPF) pour évaluer les menaces pesant sur le pluralisme
des médias à l’intérieur de l’Union européenne sur la base d’indicateurs
scientifiques neutres (<a href='http://monitor.cmpf.eui.eu/'>http://monitor.cmpf.eui.eu/</a>). peut mettre en lumière certaines de ces méthodes d’influence politique sur les médias indépendants. Il contient une section distincte consacrée à l’indépendance politique des médias qui permet d’examiner le cadre juridique régissant le fonctionnement des MSP, ainsi que le degré de mise en œuvre de la législation pertinente et de protection effective de l’indépendance des MSP. Le recours (ou les tentatives de recours) aux nominations politiques est considéré comme une menace importante pour l’indépendance des médias en général 
			(50) 
			Pour une évaluation
des menaces pesant sur l’indépendance politique, voir <a href='http://monitor.cmpf.eui.eu/results-2014/political/'>http://monitor.cmpf.eui.eu/results-2014/political/</a>, p. 45-48, et <a href='http://monitor.cmpf.eui.eu/mpm2015/results/political/'>http://monitor.cmpf.eui.eu/mpm2015/results/political/</a>, p. 22-32. et pas seulement des MSP, bien que ceux‑ci soient souvent les premiers à subir des pressions gouvernementales. Les données recueillies par le MPM pour 2015 ont été publiées en 2016 
			(51) 
			Dans
ses conclusions sur l’évaluation de l’indépendance politique des
médias dans 19 États membres de l’Union européenne, le MPM2015 déclare:
«L’analyse comparative des risques relatifs à l’indépendance politique
montre que, dans la plupart des pays examinés, le niveau de risque
est moyen et que, dans sept d’entre eux (Suède, Allemagne, Luxembourg,
Portugal, Pays‑Bas, Finlande et Lettonie), le niveau de risque d’influence
politique sur le système des médias est faible»; <a href='http://monitor.cmpf.eui.eu/mpm2015/results/political/'>http://monitor.cmpf.eui.eu/mpm2015/results/political/</a>, p. 22.; depuis, de nouveaux exemples criants de cette forme d’influence politique ont été observés, par exemple – mais pas exclusivement – en Croatie 
			(52) 
			La mission d’enquête
menée par l’IPI/ECPMF en Croatie en juin 2016 a fait état d’une
réorganisation du personnel et de changements de programmation à
HRT, le radiodiffuseur public, que les observateurs indépendants
décrivent comme un pas vers la politisation des contenus et de la
rédaction. Sans prendre parti à ce sujet, on notera que le rapport
de la mission d’enquête souligne l’importance de la transparence
des politiques en matière de nomination, afin d’éviter les «représailles»
d’un gouvernement à l’autre, au détriment du radiodiffuseur public;
cf. Scott Griffen, op. cit.,
p. 8-9. et en Turquie 
			(53) 
			Depuis l’échec de la
tentative de coup d’État militaire le 15 juillet 2016, plusieurs
centaines de journalistes turcs des médias publics et commerciaux
se sont vus retirer leur carte professionnelle, ont été remplacés
ou licenciés; des chaînes de radio et de télévision ont été interdites;
des publications en ligne et des journaux ont été fermés au motif
qu’ils auraient soutenu les auteurs de la tentative de coup d’État. .
40. Les institutions européennes se contentent souvent de critiquer prudemment cette évolution. En effet, elles hésitent fortement à se prononcer sur ces questions car, en vertu du principe de subsidiarité, les politiques de nomination relèvent de la compétence des États membres. Cependant, cette hésitation peut être interprétée comme une forme d’indifférence ou une manière de fermer les yeux, incitant ainsi les autorités à intervenir avec (semble-t-il) de plus en plus d’aplomb. À cette audace croissante s’ajoute manifestement un mécontentement grandissant du public à l’égard des médias (publics), alimenté ou non par certains acteurs politiques 
			(54) 
			Pour plus de détails,
voir Scott Griffen, op. cit.,
p. 5-6., qui permet de justifier plus facilement la politisation des nominations dans les médias.
41. Il serait donc nécessaire au minimum de réfléchir à des lignes directrices et des principes transnationaux sur les procédures de nomination des membres du conseil d’administration, des dirigeants et des employés des médias (indépendants) – et, mieux encore, d’élaborer de telles lignes directrices. En 2012, le Comité des Ministres a déclaré à propos des MSP: «Il est légitime que l’État soit impliqué dans la nomination de leur plus haute instance de surveillance ou de prise de décision. 
			(55) 
			Annexe
à la Recommandation <a href='https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=09000016805cb4c0'>CM/Rec(2012)1</a> du Comité des Ministres sur la gouvernance des médias
de service public, paragraphe 27.»
42. Il a également souligné que les processus de nomination devraient être conçus de manière à garantir l’indépendance des MSP à l’égard de l’État, mais sans indiquer les mesures concrètes à prendre à cette fin. Au vu des développements récents observés lors des missions mentionnées plus haut dans plusieurs États membres du Conseil de l’Europe, il est plus qu’urgent d’entamer et d’orienter la définition de procédures de nomination transparentes et dépolitisées. Les données recueillies dans le cadre du MPM, les travaux du Conseil de l’Europe et les résultats de plusieurs missions d’enquête de l’IPI et de l’ECPMF pourraient servir de base à l’élaboration de lignes directrices applicables aux différents écosystèmes médiatiques des États membres.
43. Outre les nominations de personnel au sein des organisations de médias, l’ingérence politique peut aller jusqu’à peser ou tenter de peser sur l’autonomie éditoriale des médias, en particulier lorsque ceux‑ci dépendent du parti au pouvoir d’un point de vue financier ou pour l’obtention d’une licence de radiodiffusion 
			(56) 
			Un exemple criant de
la manière dont les gouvernements peuvent enfreindre l’indépendance
rédactionnelle des médias a été signalé à l’ECPMF en septembre 2015
au sujet de la Hongrie. L’ECPMF a eu connaissance d’une note du Gouvernement
hongrois adressée à tous les journalistes travaillant pour le radiodiffuseur
de service public hongrois, leur demandant de ne pas diffuser d’images
d’enfants réfugiés dans les reportages télévisés consacrés aux milliers
de personnes qui fuyaient alors la guerre civile en Syrie via la
Hongrie. Les autorités ont indiqué par la suite que cette note avait
pour but de protéger l’identité et la vie privée des enfants. Le
journaliste qui a communiqué la note à l’ECPMF l’a néanmoins interprétée
comme un avertissement visant à empêcher la diffusion d’images de
familles en détresse de nature à sensibiliser les téléspectateurs
au sort des réfugiés. . L’exercice d’une influence politique sur les conditions générales de travail des journalistes, qu’il s’agisse du niveau des salaires, de l’accréditation des journalistes ou d’autres questions, n’est pas non plus souhaitable. Deux rapports distincts de notre commission abordent les questions concernant l’intégrité éditoriale et le statut des journalistes; il n’est donc pas nécessaire d’en dire plus ici.

6. Utilisation de la législation et de la réglementation

44. Il est malheureusement assez fréquent d’observer que des lois ou des règlements en eux‑mêmes légitimes et/ou nécessaires sont utilisés indûment pour restreindre ou empêcher la couverture de certains sujets par des médias indépendants ou imposer des limites à leurs activités. La question de l’utilisation abusive ou à mauvais escient de la législation dans un but de dissuasion est une question transversale qui a été également abordée dans deux autres rapports récents 
			(57) 
			Doc. 14274, «Le contrôle parlementaire de la corruption: la coopération
des parlements avec les médias d’investigation», et Doc. 14229, «Attaques contre les journalistes et la liberté des
médias en Europe».. Cette question n’est donc pas analysée en profondeur dans le présent rapport mais son impact sur l’indépendance des médias ne peut être ignoré et il n’est pas inutile de mentionner brièvement ici quelques exemples d’ingérence gouvernementale dans la libre circulation de l’information.
45. Pendant la période récente, des pratiques restrictives ont été mises en œuvre au nom de la lutte contre le terrorisme ou de la nécessité de réprimer les manifestations publiques de protestation contre des mesures impopulaires (par exemple, les mesures d’austérité). Ainsi, avec la prolongation en France des mesures instituant l’état d’urgence 
			(58) 
			En vertu
de la loi du 20 novembre 2015 promulguant l’état d’urgence en France,
les journalistes peuvent être soumis à des restrictions de déplacement
les empêchant de couvrir certains événements publics, les préfets
pouvant leur imposer une interdiction de séjour dans tout ou partie
d’un département; pour un exemple concret, voir la <a href='http://www.coe.int/en/web/media-freedom/all-alerts?p_p_id=sojdashboard_WAR_coesojportlet&p_p_lifecycle=0&p_p_state=normal&p_p_mode=view&p_p_col_id=column-1&p_p_col_pos=2&p_p_col_count=4&_sojdashboard_WAR_coesojportlet_mvcPath=%2Fhtml%2Fdashboard%2Fsearch_results.jsp&_sojdashboard_WAR_coesojportlet_yearOfIncident=0&_sojdashboard_WAR_coesojportlet_selectedCategories=11709510&_sojdashboard_WAR_coesojportlet_fulltext=1'>Plateforme</a> du Conseil de l’Europe sur laquelle sont postées des
alertes relatives à la liberté des médias., qui peuvent empêcher les journalistes de se déplacer dans certains endroits, ou l’adoption en Hongrie 
			(59) 
			En
janvier 2016, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que
la loi hongroise sur la surveillance antiterroriste n’était pas
conforme à l’article 8 de la Convention européenne des droits de
l’homme. Cette loi peut, en particulier, être utilisée à l’encontre
des journalistes Voir <a href='http://hudoc.echr.coe.int/app/conversion/pdf?library=ECHR&id=003-5268616-6546444&filename=Judgment%20Szab%F3%20and%20Vissy%20v.%20Hungary%20-%20legislation%20on%20anti-terrorist%20secret%20surveillance.pdf'>http://hudoc.echr.coe.int/app/conversion/pdf?library=ECHR&id=003-5268616-6546444&filename=Judgment%20Szab%F3%20and%20Vissy%20v.%20Hungary%20-%20legislation%20on%20anti-terrorist%20secret%20surveillance.pdf</a>. de réglementations qui visent à mettre sous surveillance les travailleurs des médias ou à interdire aux journalistes de couvrir certaines manifestations ou la crise des réfugiés, les gouvernements, selon les organes indépendants de surveillance de la liberté des médias, étendent de façon excessive leur contrôle sur les sujets qu’il est possible de traiter librement. L’ingérence dans le libre travail des médias peut aller plus loin encore, comme on le voit depuis peu en Turquie où des médias ont été interdits et des publications en ligne contraintes à cesser leur activité. En Allemagne, le gouvernement a déposé un projet de loi qui permettrait à la Bundesnachrichtendienst de surveiller les journalistes appartenant à un pays non membre de l’Union européenne 
			(60) 
			Reporters sans frontières
(RSF) a lancé un mouvement international appelant le gouvernement
allemand à amender cette proposition de loi, voir <a href='https://rsf.org/en/campaigns/reporters-without-borders-leads-international-alliance-campaign-against-surveillance-foreign'>https://rsf.org/en/campaigns/reporters-without-borders-leads-international-alliance-campaign-against-surveillance-foreign</a>..
46. L’utilisation potentiellement abusive des lois réprimant la diffamation pour (menacer de) poursuivre des médias et les contraindre au silence ou à l’obéissance 
			(61) 
			On
en trouvera plusieurs exemples dans le rapport de la mission d’enquête
en Croatie: Scott Griffen, op. cit., p. 11‑12.
Cette question fait l’objet d’un rapport récent complet de l'OSCE
«Defamation and Insult Laws in the OSCE Region: A Comparative Study»
(mars 2017), qui a été commandé par la représentante de l'OSCE sur
la liberté des médias, <a href='https://ipi.media/criminal-defamation-unduly-limits-media-freedom/'>https://ipi.media/criminal-defamation-unduly-limits-media-freedom/</a>., ou pour dissuader des sources de communiquer des informations, constitue un problème grave. Étant donné le caractère transfrontière de l’internet et de l’accessibilité des contenus journalistiques, un «nivellement par le bas» est à craindre sous l’effet du «tourisme de la diffamation» à la recherche de pays offrant les plus grandes possibilités de poursuivre des médias. Bien que l’élaboration des textes de loi sur la diffamation relève de la sphère de compétence des États en vertu de la règle de subsidiarité, il devrait être possible de formuler et de publier des observations générales applicables à tous les pays sur les limites des normes en matière de diffamation, de préférence sous l’égide d’organisations internationales dignes de confiance. La dépénalisation de la diffamation est devenue l’un des principaux chevaux de bataille of de la Représentante de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) pour la liberté des médias, qui n’a pas ménagé ses efforts dans ce domaine ces dernières années, en particulier dans les États du sud-ouest de l’Europe. Ceux-ci ont en effet bénéficié de conseils et d’une expertise concernant la mise en œuvre de réformes de la législation sur les médias, aux fins de la dépénalisation de la diffamation et du renforcement, par là même, du sentiment de sécurité des journalistes et du journalisme indépendant en général.
47. La restriction (accrue) de l’accès aux données et aux documents, par exemple en invoquant le respect de la vie privée d’individus et du secret commercial d’entreprises proches d’acteurs politiques, ou encore la sécurité de l’État, est une méthode extrêmement inquiétante employée depuis peu pour exercer une influence sur les médias indépendants. L’accès aux données et aux documents constitue un élément essentiel de la liberté d’information et ne peut être soumis qu’à des restrictions justifiées, dans les limites envisagées à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. En effet, en (re)définissant la sécurité de l’État, le secret commercial, la vie privée ou même ce qui constitue un document, les autorités politiques peuvent faire reculer le droit du public (et des journalistes) à accéder l’information et à l’utiliser. Il est donc très important de réagir contre de telles restrictions.
48. Une véritable démocratie ne peut exister sans permettre aux citoyens (et donc aux journalistes) d’avoir accès aux documents d’intérêt public grâce à l’application d’une loi sur la liberté de l’information. Sans entrer dans le détail 
			(62) 
			Cette question a été
abordée plus en détail dans le rapport sur «Le contrôle parlementaire
de la corruption: la coopération des parlements avec les médias
d’investigation»., les amendements proposés dans plusieurs pays à la législation et à la réglementation sur la liberté de l’information (qui sont parfois dépassées et nécessitent une actualisation urgente) peuvent avoir pour effet d’empêcher le traitement sans heurt des demandes d’accès à des informations 
			(63) 
			Pour un exemple de
la manière dont les gouvernements sont prêts à utiliser l’interprétation
littérale d’un texte de loi sur la liberté de l’information au détriment
des journalistes, voir le cas des Pays‑Bas: <a href='https://www.villamedia.nl/ artikel/nieuwe-wob-truc-houdt-documenten-bij-journalisten-weg'>https://www.villamedia.nl/
artikel/nieuwe-wob-truc-houdt-documenten-bij-journalisten-weg</a>.. Toutefois, il existe aussi en ce domaine des bonnes pratiques, notamment les décisions récentes de la ville de Madrid 
			(64) 
			Bien
que l’Espagne n’ait adopté que très récemment (2014) une loi opérationnelle
sur la liberté de l’information, la ville de Madrid a annoncé en
juillet 2016 la mise en place d’un système de transparence remarquable
incluant, par exemple, des lignes directrices proactives en matière
de publication et des droits étendus d’accès à l’information et
aux documents; voir <a href='https://www.access-info.org/esp/24035'>https://www.access-info.org/esp/24035</a>., qui pourraient servir d’inspiration ou de modèle de référence et méritent d’être promues.
49. Le traitement des lanceurs d’alerte suscite des préoccupations dans toute l’Europe, comme le montrent les manifestations organisées récemment pour protester contre la condamnation du lanceur d’alerte à l’origine des informations diffusées par le Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ) dans l’affaire de fraude fiscale connue sous le nom de «LuxLeaks» 
			(65) 
			Voir <a href='https://support-antoine.org/en/blog/2016/06/29/pr-verdict/'>https://support-antoine.org/en/blog/2016/06/29/pr-verdict/</a>.. Bien que, dans cette affaire, aucun journaliste n’ait été inculpé, la condamnation d’un lanceur d’alerte très médiatisé pourrait avoir des effets dissuasifs bien au‑delà des frontières d’un seul pays 
			(66) 
			Cette
question est abordée plus en détail dans le rapport sur «Le contrôle
parlementaire de la corruption: la coopération des parlements avec
les médias d’investigation»..
50. La prolifération des nouveaux médias et des méthodes utilisées pour la révélation d’affaires politiques, liées, pour la plupart, à des cas de corruption ou à des affaires pénales, a remis en question la disposition des élites politiques à créer des cadres juridiques pour la protection des lanceurs d’alerte. Soulignons, par exemple, qu’au début de l’année 2015, «l’ex-République yougoslave de Macédoine» a été touchée par un vaste scandale d’écoutes téléphoniques impliquant le Premier ministre, M. Gruevski, et des membres de son cabinet, qui auraient commis de graves abus de pouvoir. Bien que des tentatives aient été faites en vue de l’adoption de lois de protection des lanceurs d’alerte par le parlement, elles ont échoué.
51. Face aux dangers croissants qui menacent les fournisseurs d’informations, Reporters sans frontières appelle à la création d’un «Représentant spécial pour la sécurité des journalistes» qui serait directement rattaché au bureau du Secrétaire général des Nations Unies, arguant que «Pour l’heure, les nombreuses résolutions de l’ONU sur la protection des journalistes et la lutte contre l’impunité n’ont pas donné de résultats satisfaisants.»

7. Violence psychologique et intimidation

52. Au cours de l’échange de vues avec notre commission le 23 mars 2017 
			(67) 
			La commission a entendu
Mme Marilyn Clark, professeure au département
de psychologie de la faculté pour le bien-être social de l’université
de Malte, et M. Ricardo Gutiérrez, Secrétaire général de la Fédération
européenne des journalistes (FEJ), Bruxelles. , Mme Marilyn Clark nous a présenté les principales conclusions de l’enquête «Journalistes sous pression – Pressions abusives, crainte et autocensure en Europe» 
			(68) 
			À paraître. 940 journalistes
et d’autres opérateurs de médias (dont 54 % d’hommes et 46 % de
femmes) des 47 États membres du Conseil de l’Europe et du Bélarus
ont participé à l’enquête; 700 (78 %) d’entre eux étaient originaires
de l’Union européenne ou de pays d’Europe occidentale non membres
de l’Union européenne.. Les réponses obtenues des journalistes font apparaître une situation de détresse généralisée, induite non seulement par les menaces les plus évidentes dont nous avons l’habitude et que nous n’avons de cesse de condamner – sans succès apparent –, mais encore par des formes de pression abusive qui, bien que moins visibles, réussissent malheureusement à provoquer l’autocensure. Ainsi, sur la période 2014-2016, 46 % des journalistes constituant l’échantillon ont été menacés d’agression avec usage de la force et 31 % ont subi une agression physique; 69 % ont subi des violences psychologiques et 53 % ont été harcelés en ligne. Plus particulièrement, les violences psychologiques incluaient, entre autres, des pressions exercées par les autorités publiques sous forme d’actes d’intimidation (56 %), d’humiliation (48 %) et de campagnes de calomnies ou de diffamation (43 %).
53. Ces méthodes sont combinées à – et augmente l’effet – d’autres menaces telles que la surveillance ciblée (24 % des journalistes ont répondu qu’ils ne se sentaient pas protégés contre cette menace) et l’intimidation judiciaire (qui concernait 23 % des journalistes constituant l’échantillon) sous forme d’arrestations, d’investigations ou de poursuites (éventuelles) en vertu de diverses lois, à commencer par celles relatives à la diffamation, à l’ordre public et à la sécurité nationale ou la législation antiterroriste. Il est fort triste, mais nécessaire, de souligner que nous ne parlons pas ici uniquement de la Turquie, de la Russie ou du Bélarus. En effet, 63 % des journalistes originaires de l’Union européenne ou de pays d’Europe occidentale non membres de l’Union européenne avaient été victimes de violences psychologiques. Nous ne pouvons pas simplement regarder ailleurs et prétendre que tout va bien dans nos propres pays.
54. L’effet cumulatif des violences physiques et psychologiques est choquant à la fois en termes de répercussions psychologiques 
			(69) 
			Les journalistes constituant
l’échantillon ont fait état de stress (64 %), d’anxiété (47 %),
de crainte pour leur sécurité personnelle (27 %), de dépression
(24 %) et de burn-out (15 %). et d’autocensure 
			(70) 
			31 % des journalistes
ont déclaré avoir édulcoré des reportages sensibles et critiques;
23 % ont gardé pour eux certaines informations; 19 % ont élaboré
les contenus conformément aux intérêts de l’entreprise; 15 % ont
abandonné des reportages sensibles et critiques.. Globalement, la vie personnelle de 40 % des journalistes constituant l’échantillon et l’activité de 37 % d’entre eux étaient affectées. Le fait que 36 % des journalistes aient affirmé leur détermination à résister les pressions n’est pas un soulagement; leur force de caractère mérite la plus grande estime, mais ils attendent de notre part non pas des éloges, mais une protection plus efficace.

8. Atteinte à l’image publique et à la réputation

55. Un phénomène nouveau, encore peu exploré et susceptible d’avoir un impact négatif sur le journalisme indépendant et le discours public est l’utilisation des médias sociaux par des responsables politiques pour présenter les médias indépendants comme des médias partiaux, malhonnêtes, non fiables et poursuivant en fait des objectifs politiques contre les partis au pouvoir ou des personnages politiques. Ce phénomène s’accompagne d’une tendance à se servir des médias sociaux comme d’un outil pouvant remplacer le dialogue entre les responsables politiques et le public via les médias traditionnels indépendants.
56. On a observé un exemple intéressant de ce phénomène dans la campagne pour l’élection présidentielle aux États-Unis: M. Trump a mené sa campagne principalement au moyen de Twitter et de réunions publiques, en empêchant plusieurs médias traditionnels de la suivre au motif qu’ils publieraient des informations «inexactes» 
			(71) 
			<a href='http://fortune.com/2016/06/13/trump-bans-washington-post/'>http://fortune.com/2016/06/13/trump-bans-washington-post/</a>. Les médias interdits d’accès à la campagne Trump incluent,
par exemple, National Review, Des Moines Register, Univision, BuzzFeed, The Daily Beast, The Huffington Post et Mother Jones. et des comptes rendus déformés (consciemment ou non) sur la campagne. Les médias traditionnels ont couvert néanmoins largement la campagne, mais sans avoir accès normalement au candidat ni pouvoir l’observer directement, et donc sans être en mesure de produire des reportages équilibrés.
57. On relèvera de plus en plus d’exemples de responsables politiques évitant les médias indépendants et organisant leur propre couverture médiatique, ainsi que de candidats diffamant la presse en général sans contradiction, dans la mesure où le public se tourne de plus en plus vers d’autres sources de nouvelles et d’informations que les médias traditionnels, les médias sociaux n’étant que l’une de ces nouvelles sources d’information; les partis politiques jugent avantageux et ont des possibilités de plus en plus grandes de contourner les médias critiques 
			(72) 
			Aux
Pays‑Bas, par exemple, un homme politique de l’opposition qui occupe
le devant de la scène depuis plusieurs années communique avec son
électorat presque exclusivement via Twitter et n’utilise les médias
classiques que pour de brèves interviews. Un autre parti de l’opposition
utilise principalement comme moyen d’information sa propre chaîne YouTube; <a href='http://www.trouw.nl/tr/nl/4500/Politiek/article/detail/4325496/2016/06/22/Gedrag-van-Denk-Geert-Wilders-2-0.dhtml'>www.trouw.nl/tr/nl/4500/Politiek/article/detail/4325496/2016/06/22/Gedrag-van-Denk-Geert-Wilders-2-0.dhtml</a>.. Plus leur communication avec le grand public passera directement par des canaux comme Twitter, Facebook et YouTube, moins les responsables politiques se sentiront obligés de rendre des comptes par le biais de médias critiques. Ce phénomène entraîne non seulement un risque d’appauvrissement du débat public, il représente aussi une menace pour le journalisme indépendant et pour son rôle d’accompagnement de la réflexion critique et de formation de l’opinion publique. Les partis politiques sont évidemment libres de choisir leurs méthodes de communication et le fait pour un candidat d’opter pour des médias qui lui sont favorables n’a en soi rien de nouveau. Cependant, l’ampleur de cette évolution au profit de moyens de communication sélectifs est un fait notable et l’on voit mal comment contrebalancer cette évolution autrement que par la poursuite de l’éducation sur l’importance d’une information impartiale, en développant ainsi l’éducation aux médias parmi le grand public 
			(73) 
			Osservatorio Balcani
e Caucaso, un partenaire de l’ECPMF, a produit récemment des outils
qui pourraient servir de bonnes pratiques pour les projets en cours
visant à promouvoir la tolérance et une meilleure compréhension
de la liberté des médias et du pluralisme parmi certains groupes
particuliers: Open Migration (<a href='http://openmigration.org/en/'>http://openmigration.org/en/</a>), Get the trolls out (<a href='http://www.getthetrollsout.org/'>www.getthetrollsout.org</a>), Media Fact Checking Service (<a href='http://factchecking.mk/'>http://factchecking.mk</a>). Ces outils aident à replacer dans leur contexte des
histoires complexes, permettent de vérifier et d’analyser les données,
donnent des exemples de couverture médiatique ou d’activité en ligne
bonnes/mauvaises, examinent des exemples de fausses rumeurs circulant dans
le discours public et incitent à déconstruire les stéréotypes..
58. On observe également dans le public une méfiance, une attitude critique et un scepticisme croissants à l’égard du journalisme et des journalistes. Certaines fractions de la population se sentent mal ou sous‑représentées, remettent en cause la véracité des médias et leur couverture et vont jusqu’à questionner l’existence même de ces médias ou à leur interdire de couvrir certains événements. Par exemple, dans de nombreux pays, des discussions sont en cours sur le niveau requis de financement public des médias indépendants comme les radiodiffuseurs publics 
			(74) 
			Voir R. Burnley, «Public
Funding Principles for Public Service Media», UER, Genève, janvier
2016.. L’an dernier en Allemagne ont eu lieu des manifestations (parfois violentes) contre la «presse mensongère» (Lügenpresse) 
			(75) 
			Le Centre européen
pour la liberté de la presse et des médias (ECPMF) a mené en novembre‑décembre 2015
une mission d’enquête sur cette question. Pour un résumé de ses
observations, notamment au sujet des efforts concertés visant à
ternir l’image de journalistes et de l’ensemble de la profession,
voir <a href='https://ecpmf.eu/news/ecpmf/pegida'>https://ecpmf.eu/news/ecpmf/pegida</a>..
59. Dans les cas les plus graves, on constate que des forces politiques attisent directement la méfiance du public à l’égard des médias. La mission d’enquête commune en Croatie 
			(76) 
			Cette mission menée
en juin 2016 était conduite par l’International Press Institute
(IPI), l’Organisation des médias du sud‑est de l’Europe (SEEMO),
l’Union européenne de radio‑télévision (UER), la Fédération européenne
des journalistes (FEJ), le Centre européen pour la liberté de la
presse et des médias (ECPMF), Reporters sans frontières – Autriche (RSF),
avec comme observateur le Bureau du Représentant de l’OSCE pour
la liberté des médias. a rapporté plusieurs exemples de campagnes de diffamation menées à l’encontre des médias ou des régulateurs des médias et de manifestations de rue à ce sujet. Elle indique en conclusion dans son rapport: «La situation dans le domaine des médias, telle que décrite par des journalistes et des organisations de la société civile, se caractérise par le fait que certains personnages politiques, y compris des membres éminents de la coalition HDZ-Most, cherchent délibérément à promouvoir un climat de méfiance à l’égard des médias critiques, des organes de régulation et des défenseurs des droits de l’homme, afin de saper la crédibilité de ces institutions. Cela se manifeste fréquemment par des attaques verbales contre les “médias gauchistes” accusés de manquer de “patriotisme” et contre les journalistes qualifiés de “traîtres”, d’“anti-Croates” ou assimilés à des organisations comme les Četniks (une organisation paramilitaire serbe accusée d’avoir commis des atrocités contre les Croates et d’autres groupes ethniques pendant la deuxième guerre mondiale). 
			(77) 
			Scott Griffen, op. cit., p. 5.»

9. Conclusions

9.1. Mécanismes de financement qui sauvegardent l’indépendance des MSP

60. L’exercice de pressions financières sur des médias afin d’obtenir leur soumission est sans doute aussi ancien que les mass‑médias eux‑mêmes. Cependant, l’effet de telles pressions est renforcé avec la disparition du modèle classique de fonctionnement des médias, due à l’omniprésence et au faible coût des technologies de communication et à la réticence croissante du public à payer pour avoir accès aux nouvelles et aux informations. Dans ce contexte, le financement public revêt encore plus d’importance, mais la vulnérabilité des médias qui dépendent de ce type de financement s’accroît également.
61. A cet égard, nous devrions encourager les autorités nationales à revoir leurs systèmes nationaux de financement des MSP, et ce, avec les objectifs clés suivants 
			(78) 
			Ces propositions s’appuient
sur les principes directeurs établis dans la Recommandation CM/Rec(2012)1
du Comité des Ministres aux Etats membres sur la gouvernance des
médias de service public (voir, en particulier, ceux énoncés au paragraphe
26 – «Financement»). Mais je trouve également intéressante la liste
des critères à remplir pour un système sain de financement des MSP
telle qu’établie par les Länder allemands (qui sont compétents pour
l’adoption de règles relatives à la radiodiffusion) avant l’introduction,
en 2013, de la nouvelle redevance frappant les ménages. Ainsi, il
a été décidé que le système devait: fournir une base fiable, sûre
et durable aux MSP; être protégé contre toute influence de l’Etat;
être simple, équitable et socialement équilibré. Pour de plus amples
renseignements au sujet du système allemand, voir le chapitre 5
du numéro spécial d’IRIS sur les «Activités en ligne des médias
de service public: mission et financement», publié en 2015 et cité
plus haut, qui aborde le financement des médias de service public
dans ce pays.:
  • les MSP devraient bénéficier d’un niveau de financement qui soit prévisible et suffisamment stable (de manière à permettre une planification réaliste) et qui leur permette de s’acquitter convenablement de leur mission;
  • le système doit être conçu de sorte à éviter que les mécanismes de financement ne soient utilisés pour influer sur le contenu éditorial ou menacer l’autonomie institutionnelle des MSP;
  • le système devrait être dynamique pour pouvoir résister aux effets néfastes des cycles économiques négatifs;
  • il doit y avoir une transparence totale en ce qui concerne le financement, les subventions et les parrainages dont bénéficient les MSP, et le public doit avoir facilement accès aux informations sur le financement de ces derniers.
62. Naturellement, certaines difficultés se posent à cet égard, notamment celles de savoir comment déterminer le bon équilibre entre les différentes sources de financement et le niveau adéquat de financement, et celle de l’identification des personnes chargées de prendre les décisions en la matière. Il semble difficile de prescrire une recette unique dans ce domaine au vu de la grande diversité des structures des marchés, des cadres législatifs des MSP et des modèles économiques que présentent les différents pays – sans oublier les habitudes sociales, qu’il est difficile de modifier radicalement tout d’un coup. Cependant, je crois que nous pourrions au moins convenir de certains principes de base.
63. En ce qui concerne le niveau de financement, je suis d’avis que ce dernier devrait être évalué régulièrement, en consultation avec les MSP concernés, et qu’il devrait rester cohérent par rapport au rôle et au mandat qui leur ont été fixés. Pour éviter toute ingérence politique, la détermination du niveau adéquat de financement devrait être confiée à une instance indépendante qui évaluerait si les décisions relatives à la programmation des MSP sont compatibles avec leur mission de service public et si les besoins de financement estimés par les MSP respectent les principes d’efficience et d’économie 
			(79) 
			Telles sont les dispositions
de la législation allemande à cet égard. Voir la publication citée
plus haut. ; la marge de manœuvre ensuite laissée aux responsables politiques (parlements et gouvernements) pour modifier les propositions de financement émises par cette instance indépendante devrait être étroite; il faudrait en particulier exclure la possibilité de réduire le montant du financement pour des raisons liées à la programmation ou à la politique éditoriale. J’ajouterais que, lors de la détermination du niveau de financement, il conviendrait de tenir compte de la nouvelle configuration de l’environnement médiatique, au sein duquel les médias en ligne occupent une place de plus en plus importante.
64. Les États membres devraient également envisager la possibilité d’établir des règles spécifiques interdisant aux MSP de conserver les recettes excédant leurs besoins réels. Ainsi, les revenus excédentaires pourraient être placés sur des fonds de réserve qui pourraient ensuite être utilisés à différentes fins, notamment pour financer en partie le programme de l’année suivante, pour effectuer les investissements nécessaires pour accompagner le progrès technique, pour soutenir les programmes d’éducation aux médias ou pour renforcer le pluralisme en versant des subventions aux médias privés non commerciaux, tels que les radios libres, etc.
65. S’agissant du dynamisme des systèmes de financement, je pense qu’il pourrait être renforcé en combinant différentes sources de revenus. L’on pourrait ainsi privilégier les redevances (auxquelles seraient soumis tous les ménages, indépendamment du type d’appareil de réception possédé) et/ou les taxes affectées, à indexer (peut-être automatiquement) sur le taux d’inflation. En matière de publicité, je suggérerais de ne pas soumettre les MSP à des contraintes excessives par rapport à celles imposées aux médias privés.

9.2. Mécanismes de nomination qui sauvegardent l’indépendance des MSP

66. Un autre problème épineux est celui des nominations politiques comme moyen d’acquérir une influence sur des médias. Naturellement, nous pouvons rappeler à cet égard les dispositions du paragraphe 27 des «Principes directeurs sur la gouvernance des médias de service public,», qui figurent dans l’annexe de la Recommandation CM/Rec(2012)1, à savoir que «les nominations ne peuvent pas être utilisées pour exercer une influence politique ou autre sur le fonctionnement des médias de service public» et qu’il devrait y avoir des «critères de nomination clairs, limités et se rapportant directement au rôle et à la mission des médias de service public». Mais ces dispositions restent trop générales. Ce même paragraphe contient deux autres critères plus concrets. Il énonce en effet que les nominations doivent être effectuées «pour une durée précise qui ne peut être réduite que dans des circonstances limitées et légalement définies – qui ne devraient pas inclure d'éventuels différends concernant les positions ou décisions éditoriales» et que «la représentation des hommes et des femmes dans les organes de prise de décision devrait être équilibrée». Cependant, à eux seuls, ces principes ne permettent pas réellement de résoudre le problème.
67. Il conviendrait d’examiner plus en profondeur quels sont les options pour de mécanismes de nomination qui peuvent sauvegarder l’indépendance réelle, y compris l’autonomie éditoriale, des médias de service public, tout en préservant le rôle de contrôle des autorités nationales. De mon point de vue, il serait bon de renforcer le rôle des parlements et la nécessité de préserver le rôle et la voix de l’opposition dans les nominations des hauts dirigeants des MSP. Nous devrions aussi recommander au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe de reprendre ses travaux sur cette importante question dans le but de développer concrètement les principes établis dans sa Recommandation CM/Rec(2012)1.

9.3. Traiter la question de la violence contre les journalistes

68. La violence contre les journalistes et les atteintes contre la liberté des médias se sont amplifiées au courant des dernières années. Les meurtres; les agressions physiques, y compris d’ordre sexuel en particulier contre les femmes journalistes et les blogueuses; les menaces à leur vie et à celles de membres de leur famille; la détention illégale et les arrestations pour des motifs non fondés; la destruction d’équipements privés ou professionnels, y compris par des actes de vandalisme ou des incendies; les descentes arbitraires dans des rédactions et au domicile de journalistes... Nous devons désormais ajouter à ces menaces des tactiques plus sophistiquées de violence psychologique exercée par le biais de manœuvres d’intimidation ou de harcèlement, de la surveillance ciblée ou du harcèlement en ligne, déployées pour faire taire les voix critiques et museler la liberté d’expression.
69. Sur la base de propositions concrètes formulées par les experts que nous avons entendus, je crois que nous devons exhorter l’ensemble des États membres à assurer la mise en œuvre effective de la Recommandation CM/Rec(2016)4 sur la protection du journalisme et la sécurité des journalistes et autres acteurs des médias en axant leur action autour de quatre piliers: la prévention, la protection, les poursuites en cas de menaces contre des journalistes ou pour la liberté des médias, et la promotion de l’information, de l’éducation et de la sensibilisation.
70. Les experts suggèrent également qu’il soit procédé à un examen indépendant des lois et pratiques pertinentes, notamment les lois sur la sécurité nationale, le terrorisme et la diffamation, et que des commissions des droits de l’homme ou des médiateurs effectuent régulièrement de nouvelles révisions de ces textes. Il s’agit-là d’une tâche délicate et je considère que le Conseil de l’Europe a un rôle d’orientation et d’accompagnement à jouer en la matière. C’est pourquoi je propose d’adresser une recommandation ciblée au Comité des Ministres à ce sujet. A travers lui, nous devrions aussi appeler nos États membres à faire preuve d’un engagement plus fort en faveur d’un dialogue constructif sur toutes les graves menaces qui pèsent sur la liberté des médias recensées sur la Plateforme en ligne pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes.

9.4. S’opposer à la méfiance grandissante envers le journalisme et les journalistes

71. Nous devons dénoncer fermement et sans hésiter les pratiques qui visent à alimenter la méfiance du public à l’égard des médias. Nous devons le faire non seulement en tant membres de l’Assemblée parlementaire, mais aussi en tant que députés de nos parlements nationaux.
72. Selon moi, le problème vient en partie de l’utilisation détournée des médias, et en particulier des nouveaux médias, en tant qu’armes contre les opposants politiques. Dans notre récent rapport intitulé «Médias en ligne et journalisme: défis et responsabilités», nous avons abordé les questions de la société post-vérité et des risques de manipulation de l’opinion publique par les médias, qui à son tour, engendre la méfiance. Nous devons à présent appeler les associations de médias à identifier et à dénoncer plus activement les abus. En outre, les organisations de médias et les journalistes peuvent aider à restaurer la confiance à l’égard des contenus qu’ils produisent, par exemple:
  • en divulguant tout intérêt financier et mécanisme de financement;
  • en élaborant des codes d’éthique du journalisme sur la base des pratiques internationales et des normes du journalisme de qualité 
			(80) 
			Pour
un outil de travail sur le journalisme de qualité, une excellente
référence est le livre de Tom Rosenstiel et Bill Kovach, The Elements
of Journalism, 2007; voir aussi <a href='https://www.americanpressinstitute.org/journalism-essentials/what-is-journalism/elements-journalism/'>https://www.americanpressinstitute.org/journalism-essentials/what-is-journalism/elements-journalism/</a>.;
  • en mettant en place des mécanismes de plainte ou de réclamation faciles d’accès.

Cette question entre dans le champ de notre futur rapport sur l’intégrité rédactionnelle et c’est pourquoi je ne formule pas de recommandations concrètes à ce stade.

9.5. Faire face à l’érosion du rôle du journalisme dans l’environnement médiatique de nos jours

73. Un phénomène véritablement nouveau est l’utilisation par certains acteurs politiques des médias sociaux et de l’internet pour contourner les médias traditionnels et les codes journalistiques dans leur communication avec le public et les électeurs. Dans le contexte de la concurrence entre anciens et nouveaux médias, l’évolution des habitudes de la «génération numérique», notamment, semble favoriser ce développement. Le journalisme pèse de moins en moins dans la manière dont le public accède à l’information et dont il valorise et partage cette information; de ce fait, les médias indépendants sont de moins en moins en mesure de fournir des informations de qualité et de susciter un débat public de qualité.
74. Enfin, le développement de l’internet et des réseaux sociaux nous offre aussi une grande opportunité pour renforcer l’indépendance des médias et des journalistes si nous savons garantir les conditions nécessaires à cet effet. Ici encore, mon rapport risque de faire double emploi avec d’autres rapports en cours; ainsi je me limiterai à souligner ici l’importance de renforcer le soutien accordé par les décideurs, d’une part, à l’éducation aux médias, notamment pour sensibiliser à l’importance, pour la démocratie, de l’existence de médias libres et d’un journalisme de qualité, et, d’autre part, à la formation des journalistes, et ce, afin de renforcer leur probité et leur honnêteté vis-à-vis de leur public.