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Rapport | Doc. 14328 | 24 mai 2017

Le recours aux nouvelles technologies génétiques chez les êtres humains

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteure : Mme Petra De SUTTER, Belgique, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13927, Renvoi 4176 du 25 janvier 2016. 2017 - Troisième partie de session

Résumé

Le développement des nouvelles technologies génétiques va très vite: les découvertes récentes en matière de génome humain ont ouvert la voie à des opportunités nouvelles et des préoccupations éthiques sans précédent. La communauté scientifique estime aujourd’hui que ces techniques ne sont pas encore assez «sûres» pour induire une grossesse à partir de cellules germinales ou d’embryons humains dont le génome a été modifié de manière intentionnelle. Cependant, la modification intentionnelle du génome humain franchirait également des limites jugées éthiquement inviolables.

En conséquence, l’Assemblée parlementaire devrait recommander au Comité des Ministres une action en cinq étapes:

  • d’exhorter les États membres qui n’ont pas encore ratifié la Convention d’Oviedo à le faire le plus rapidement possible ou, au minimum, à interdire au niveau national les grossesses induites à partir de cellules germinales ou d’embryons humains dont le génome a été modifié de manière intentionnelle;
  • d’encourager un débat public ouvert et éclairé;
  • de demander au Comité de Bioéthique (DH-BIO) du Conseil de l’Europe d’évaluer les enjeux éthiques et juridiques y afférents;
  • de développer un cadre réglementaire et juridique commun;
  • de recommander aux États membres, sur la base des étapes précitées, d’élaborer une position nationale claire sur l’utilisation pratique des nouvelles technologies génétiques, en en fixant les limites et en promouvant de bonnes pratiques.

A. Projet de recommandation 
			(1) 
			Projet
de recommandation adopté à l’unanimité par la commission le 25 avril
2017.

(open)
1. Les techniques génétiques sont appliquées dans le domaine médical depuis plusieurs dizaines d’années. Cependant, le développement des nouvelles technologies va très vite: les découvertes récentes en matière de génome humain ont ouvert la voie à des opportunités nouvelles et des préoccupations éthiques sans précédent. D’une part, cette meilleure connaissance de la constitution génétique de l’être humain s’accompagne de possibilités encourageantes pour le diagnostic, la prévention et, finalement, le traitement de maladies à l’avenir. D’autre part, elle soulève des questions complexes du point de vue de l’éthique et des droits humains, notamment, mais pas seulement, quant aux préjudices involontaires pouvant découler des techniques utilisées, de l’accès et du consentement à ces techniques, et des abus potentiels à des fins d’amélioration du capital génétique ou d’eugénisme.
2. En particulier, les innovations récentes en matière de modification du génome ne manqueront pas d’entraîner assez rapidement des interventions sur la lignée germinale des êtres humains et donc à la venue au monde d’enfants dont le génome aura été modifié avec des conséquences imprévisibles dans la mesure où leur descendance est également concernée. La communauté scientifique estimant aujourd’hui que ces techniques ne sont pas encore assez «sûres», un moratoire de fait a été déclaré jusqu’à ce que la modification de la lignée germinale soit conforme à un niveau de risque-bénéfice acceptable pour autoriser des essais cliniques. Cependant, d’autres techniques, notamment le transfert pronucléaire (technique des «trois parents» pour prévenir la transmission de maladies mitochondriales par la mère), ont déjà donné lieu à des naissances, malgré les grandes incertitudes scientifiques quant aux effets à long terme.
3. La modification intentionnelle du génome humain franchirait des limites jugées éthiquement inviolables. La Convention du Conseil de l'Europe pour la protection des Droits de l'Homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine: Convention sur les Droits de l'homme et la biomédecine (STE no 164, «Convention d’Oviedo») de 1997, qui lie les 29 États membres qui l’ont ratifiée, postule à l’article 13 qu’«une intervention ayant pour objet de modifier le génome humain ne peut être entreprise que pour des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques et seulement si elle n’a pas pour but d’introduire une modification dans le génome de la descendance». En revanche, la convention prévoit également une procédure spécifique pour son amendement à l’article 32, qui doit être lu conjointement avec l’article 28, qui impose aux Parties de veiller «à ce que les questions fondamentales posées par les développements de la biologie et de la médecine fassent l'objet d'un débat public approprié à la lumière, en particulier, des implications médicales, sociales, économiques, éthiques et juridiques pertinentes, et que leurs possibles applications fassent l'objet de consultations appropriées».
4. De nombreuses instances scientifiques et éthiques commencent à formuler des recommandations pour l’instauration d’un cadre réglementaire relatif à la modification du génome et aux interventions sur la lignée germinale des êtres humains, les dernières en date étant l’Académie nationale des sciences et l’Académie nationale de médecine des États-Unis, et le Conseil consultatif scientifique des académies des sciences européennes (EASAC). L’interdiction actuelle des interventions visant à modifier le génome humain de nombreux États membres du Conseil de l’Europe et dans tous ceux de l’Union européenne n’empêchera pas la naissance ailleurs d’enfants dont le génome aura été modifié.
5. En conséquence, l’Assemblée parlementaire recommande au Comité des Ministres:
5.1. d’exhorter les États membres qui n’ont pas encore ratifié la Convention d’Oviedo à le faire le plus rapidement possible ou, au minimum, à interdire au niveau national les grossesses induites à partir de cellules germinales ou d’embryons humains dont le génome a été modifié de manière intentionnelle ;
5.2. d’encourager un débat public ouvert et éclairé sur le potentiel médical et les conséquences, du point de vue de l’éthique et des droits humains, de l’application des nouvelles technologies génétiques aux êtres humains;
5.3. de demander au Comité de Bioéthique (DH-BIO) du Conseil de l’Europe d’évaluer les enjeux éthiques et juridiques des technologies émergentes de modification du génome, à la lumière des principes énoncés dans la Convention d’Oviedo et dans le respect du principe de précaution;
5.4. de développer un cadre réglementaire et juridique commun qui prenne dûment en compte les bénéfices et risques potentiels liés à ces technologies, en vue de traiter certaines maladies graves, tout en prévenant les abus ou les effets indésirables de la technologie génétique sur l’être humain;
5.5. de recommander aux États membres, sur la base du débat public, de l’évaluation du DH-BIO et du cadre réglementaire et juridique commun défini, d’élaborer une position nationale claire sur l’utilisation pratique des nouvelles technologies génétiques, en en fixant les limites et en promouvant de bonnes pratiques.

B. Exposé des motifs, par Mme Petra De Sutter, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. Le développement des nouvelles technologies dans le domaine médical est exponentiel: les découvertes récentes en matière de génome humain et de génétique ont ouvert la voie à un nouveau paradigme. Si cette connaissance améliorée de la constitution de l'être humain s'accompagne de possibilités encourageantes de diagnostic, de traitement – voire d'éradication de maladies dans l'avenir, elle peut présenter des risques des points de vue de l'éthique et des droits humains du fait des techniques utilisées.
2. Je pense qu’il est urgent de mener un débat politique sur les avancées des technologies génétiques, dont certaines font déjà l’objet d’applications sur les êtres humains. C'est pourquoi j’ai encouragé la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable à déposer une proposition de recommandation 
			(2) 
			Doc. 13927. sur la question en novembre 2015, et je me félicite des deux auditions organisées par notre commission sur ce thème. La première, intitulée «La fabrication d'une nouvelle espèce humaine?», en octobre 2015, a réuni des scientifiques, des responsables politiques et un représentant du Comité de Bioéthique du Conseil de l'Europe (DH-BIO) 
			(3) 
			Voir le procès-verbal
déclassifié de l'audition: <a href='https://pace.coe.int/documents/19855/1360734/AS-SOC-2015-PV07ADD2-FR.pdf/86475863-8979-497a-9760-06cd9a0e1aa3'>AS/Soc
(2015) PV 07 add 2</a>. Ont participé à cette audition: Jean-Yves Le Déaut,
Rapporteur général de l’Assemblée parlementaire sur l’évaluation
de l’impact de la science et de la technologie; M. Robin Lovell-Badge,
Chef de groupe à l’Institut Francis Crick (anciennement MRC National
Institute for Medical Research), Royaume-Uni; M. George M. Church,
Professeur de génétique à la faculté de médecine de Harvard et directeur
du personalgenomes.org, États-Unis (par vidéoconférence); M. Luigi
Naldini, Directeur de la division de la médecine régénératrice,
des cellules souches et de la thérapie génique, Institut scientifique
de San Raffaele, Italie; et M. Mark Bale, Président du Comité de
Bioéthique du Conseil de l'Europe.. La deuxième, sur «Le recours aux nouvelles technologies génétiques chez les êtres humains», en janvier 2017, a réuni un autre groupe d’experts et de représentants. 
			(4) 
			Audition
tenue en présence de Mme Mair Crouch,
généticienne et professeur de droit à l’université de Glasgow (Royaume-Uni),
Mme Anne Forus, représentante du Comité
de bioéthique du Conseil de l'Europe, et M. Cor Oosterwijk, Secrétaire
général du réseau de patients pour la recherche médicale et la santé
(Patients Network for Medical Research and Health, EGAN). Le procès-verbal
de l’audition a été déclassifié le 24 mars 2017 (<a href='https://pace.coe.int/documents/19855/3127051/20170124-SocPV01-FR.pdf/828a11c9-edda-4bb8-b250-82b8a6d8747f'>AS/Soc
(2017) PV 01 add</a>).
3. Mon propos, dans le présent rapport, est d'étudier, du point de vue de la santé, de l'éthique et des droits humains, les risques et les défis liés à l'utilisation et à la réglementation de ces techniques en vue d'adresser des recommandations appropriées au Comité des Ministres sur les mesures qui pourraient être prises pour établir un cadre commun applicable à l'utilisation de ces technologies 
			(5) 
			Paragraphe 3 de la
proposition de recommandation. .

2. La situation actuelle

2.1. Droit international et travaux d'organisations internationales et régionales

4. Le Conseil de l'Europe a pour mandat de promouvoir et de protéger les droits humains, la démocratie et l'État de droit. Parce qu'il reconnaît la subsidiarité et a pour mission de promouvoir les bonnes pratiques dans les États membres, il est idéalement placé pour remédier aux atteintes éventuelles aux droits humains à l'échelle européenne 
			(6) 
			La Convention européenne
des droits de l'homme (STE no 5) lie
les 47 États membres du Conseil de l'Europe. .
5. La «Convention d’Oviedo», ou Convention de 1997 du Conseil de l'Europe pour la protection des Droits de l'Homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine: Convention sur les Droits de l'Homme et la biomédecine (STE no 164), définit le cadre légal européen de protection des droits humains dans le domaine de la biomédecine, et a valeur contraignante pour les 29 États membres qui l’ont ratifiée.
6. Ce traité doit servir de référence dans le recours au génie génétique. L’article 13 de la Convention dispose: «Une intervention ayant pour objet de modifier le génome humain ne peut être entreprise que pour des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques et seulement si elle n'a pas pour but d'introduire une modification dans le génome de la descendance.» De plus, «lorsque la recherche sur les embryons in vitro est admise par la loi, celle-ci assure une protection adéquate de l'embryon» (article 18.1), et la constitution d’embryons humains aux fins de recherche est interdite par l’article 18.2.
7. La Convention d’Oviedo ne prend pas position sur la recherche génomique sur des embryons humains. Toutefois, il est communément admis que son article 13 interdit de fait le transfert d’un embryon portant des modifications (intentionnelles) du génome dans l’utérus d’une femme en vue de donner naissance à un enfant 
			(7) 
			La convention peut
être interprétée comme autorisant un transfert uniquement dans une
intervention n’ayant pour objet de modifier le génome humain que
pour des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques et
n’ayant pas pour but d’introduire une modification dans le génome
de la descendance. Cette interprétation n’est toutefois pas appuyée par
le rapport explicatif de la convention..
8. L’article 28 de la convention exige que les Parties «veillent à ce que les questions fondamentales posées par les développements de la biologie et de la médecine fassent l'objet d'un débat public approprié». L’article 32.4 demande de tenir compte des évolutions scientifiques, et cette mission a été confiée au Comité de Bioéthique, qui représente 47 États d’Europe. A sa 8e réunion, du 1er au 4 décembre 2015 à Strasbourg, ce Comité a adopté une «Déclaration sur les technologies de modification du génome 
			(8) 
			DH-BIO/INF(2015)13
FINAL.», dans laquelle il s’est déclaré «convaincu que la Convention d’Oviedo énonce des principes qui peuvent être des références pour le débat sollicité au niveau international sur les questions fondamentales soulevées par ces récents développements technologiques» et a décidé, dans le cadre de son mandat, qu’il «examinera les enjeux éthiques et juridiques soulevés par ces technologies émergentes de modification du génome, à la lumière des principes établis par la Convention d’Oviedo.» Ce travail est en cours, et pourrait conduire à un amendement de la convention, comme prévu dans son article 32.
9. L'Assemblée parlementaire a commencé à travailler sur cette question il y a plus de trente ans, et a adopté deux textes: la Recommandation 934 (1982) sur l'ingénierie génétique et la Recommandation 1512 (2001) sur la protection du génome humain par le Conseil de l'Europe.
10. L'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) a diffusé plusieurs recommandations sur la question, dont la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l'homme en 1997, la Déclaration internationale sur les données génétiques humaines en 2003 et la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l'homme en 2005 
			(9) 
			Il
existe aussi d'autres codes de conduite internationaux dans le domaine
des recherches cliniques et de la bioéthique, comme la Déclaration
d'Helsinki de l'Association médicale mondiale sur les principes
éthiques applicables aux recherches médicales sur des sujets humains
et les Directives internationales d'éthique pour la recherche biomédicale impliquant
des sujets humains du Conseil des organisations internationales
des sciences médicales.. En effet, le Comité international de bioéthique de l’UNESCO a proposé un moratoire sur les interventions portant sur la lignée germinale et les modifications du génome de la descendance 
			(10) 
			Rapport
du Comité international de bioéthique de l’UNESCO sur la mise à
jour de sa réflexion sur le génome humain et les droits humains,
octobre 2015..
11. Peu de temps après, un groupe international de chercheurs réuni à Washington en décembre 2015 pour le «Sommet international sur la modification des gènes humains» a également appelé à un moratoire sur les modifications transmissibles. La réunion était organisée par l’Académie nationale des sciences et l’Académie des médecine des États-Unis, l’Académie chinoise des sciences et la Royal Society de Londres 
			(11) 
			Ces
académies n’ont aucun pouvoir réglementaire, mais leur autorité
morale en la matière a de très bonnes chances d’être acceptée par
les chercheurs de la plupart des pays, voire tous. Nicholas Wade
pour le New York Times, «Scientists Seek
Moratorium on Edits to Human Genome That Could Be Inherited», 3
décembre 2015, <a href='http://www.nytimes.com/2015/12/04/science/crispr-cas9-human-genome-editing-moratorium.html?_r=0'>www.nytimes.com/2015/12/04/science/crispr-cas9-human-genome-editing-moratorium.html?_r=0</a>..
12. Pour finir, il existe des réglementations nationales, même si très peu de pays légifèrent sur les nouvelles technologies, essentiellement parce que la technologie progresse plus vite que les autorités de régulation. Toutefois, l'absence de réglementation se traduit par une absence de contrôle de la technologie. Souvent les acteurs en cause «autorégulent» la technologie, ce qui va à l’encontre du principe largement reconnu de la nécessité d’un contrôle par un organe indépendant (et transparent).
13. Très récemment, la commission sur la modification du génome humain instituée par l’Académie nationale des sciences et l’Académie nationale de médecine des États-Unis a finalisé un rapport intitulé «Human Genome Editing: Science, Ethics, and Governance» (La modification du génome humain: science, éthique et gouvernance 
			(12) 
			Toutes les références
à ce rapport, dans le présent document, renvoient à la version préliminaire
avant publication qui est disponible sur le site internet de la
National Academies Press (<a href='http://www.nap.edu/'>www.nap.edu</a>). Document consulté le 24 février 2017.) qui énonce un certain nombre de principes et de recommandations pour la gouvernance de la modification du génome humain. Ceux-ci pourraient, à long terme, devenir les normes mondiales de fait. En parallèle, le Conseil consultatif scientifique des académies des sciences européennes (EASAC) a également finalisé un rapport intitulé «Genome editing: scientific opportunities, public interests and policy options in the European Union» (Modification du génome: opportunités scientifiques, intérêts publics et options politiques au sein de l’Union européenne), qui formule différentes recommandations politiques, notamment en ce qui concerne la modification germinale (héréditaire) du génome humain 
			(13) 
			<a href='http://www.easac.eu/home/reports-and-statements/detail-view/article/genome-editi.html'>www.easac.eu/home/reports-and-statements/detail-view/article/genome-editi.html</a>. La Fédération européenne des Académies de médecine
(FEAM) a également récemment publié un rapport découlant d’un atelier
intitulé «Human Genome Editing in the EU» (La modification du génome
humain au sein de l’UE), tenu en 2016 à l’Académie française de médecine
(auquel j’ai eu l’honneur de participer), et qui contient des informations
intéressantes sur la réglementation applicable de l’Union européenne
et des discussions sur différentes interprétations de la Convention
d’Oviedo. <a href='http://www.interacademies.net/File.aspx?id=31273'>www.interacademies.net/File.aspx?id=31273</a>..

2.2. Le point sur l'application des nouvelles technologies génétiques aux êtres humains

14. Le génome humain est l’ADN complet avec les 23 paires de chromosomes présentes dans le noyau des cellules, auxquelles s’ajoute une petite molécule d’ADN que renferment les mitochondries. À l’issue de la cartographie du génome humain, qui s’est terminée en 2003, environ 3 milliards de bases du code ADN ont été analysées, et quelque 20 000 gènes humains ont été identifiés et cartographiés (grâce aux systèmes bioinformatiques et à la recherche expérimentale). De nombreuses lacunes subsistent encore dans la séquence, et la fonction de nombreux gènes reste totalement inconnue, y compris la régulation fondamentale des gènes pour la croissance et la reproduction des cellules 
			(14) 
			Conception et synthèse
d’un génome bactérien élémentaire. Clyde A. Hutchison et al., Science, mars 2016..
15. Le terme maladie génétique désigne tout trouble lié à une anomalie dans le génome d’une personne. Certaines maladies génétiques sont héritées des parents, d’autres sont provoquées par des changements acquis, ou mutations. Le défaut n’est transmis que s’il survient dans les cellules germinales. Plus de 4 000 maladies humaines sont provoquées par des défauts dans un seul gène, dont la forme est reconnaissable (autosomiques dominantes, autosomiques récessives, liées à l'X), mais la majorité des maladies font intervenir plusieurs gènes et l’influence de l’environnement.
16. La récente mise au point d’une nouvelle technologie, un outil de modification du génome baptisé CRISPR-Cas9, permet de modifier l’ADN plus rapidement, à moindre coût et plus précisément que les techniques antérieures 
			(15) 
			Les
«courtes répétitions en palindrome regroupées et régulièrement espacées»
(CRISPR) sont des sections de code génétique renfermant de brèves
répétitions de séquences de bases de code génétique suivi de séquences
d'ADN «intercalaire». La protéine 9 associée à une CRISPR (Cas9)
et une endonucléase, un guide ARN synthétique permettant de cliver
les deux brins d’ADN en un endroit précis du génome.. L’outil fonctionne comme des «ciseaux moléculaires», sur un site «spécifique» de l’ADN, et serait capable d’exciser une mutation génétique afin de la remplacer par la séquence génétique correcte. Toutefois, si l’excision est très efficace pour un gène ciblé, l’étape de recombinaison homologue qui intervient plus tard dans la reproduction des cellules est plus difficile à réparer que le gène défectueux, ce qui engendre des problèmes potentiels de précision associés à des conséquences non souhaitées («cibles manquées»).
17. Pour certaines maladies génétiques (rares) associées à l’ADN mitochondrial hérité de la mère, une thérapie de remplacement mitochondrial a été mise au point pour éviter la transmission des maladies correspondantes. Deux méthodes le permettent: le transfert pronucléaire 
			(16) 
			Cette technologie engendre
un embryon portant l'ADN pro nucléaire des futurs parents et les
mitochondries saines extraites de l'ovule d'une donatrice (ce qui
implique la création de deux embryons). et le transfert de fuseau maternel 
			(17) 
			Cette
technologie permet de prélever l'ADN nucléaire d'un ovule d'une
donatrice en y laissant les mitochondries saines, et de le remplacer
par l'ADN nucléaire d'un ovule d’une femme porteuse d'une maladie
mitochondriale, avant de procéder à la fécondation (pour engendrer
un embryon unique).. D’un point de vue génétique, un enfant né par cette dernière procédure a trois parents (le troisième fournit le nouvel ADN mitochondrial sain). Bien que les traits d'un enfant soient hérités de l'ADN nucléaire de ses parents et non de l'ADN mitochondrial, les interactions et les fonctions entre le génome du noyau et les mitochondries sont cependant encore mal comprises.
18. Le premier bébé dont les gènes sont issus du transfert pronucléaire (technique des trois donneurs) est récemment né au Mexique 
			(18) 
			«Premier bébé au monde
né grâce à la nouvelle technique des “trois parents”», New Scientist, septembre 2016, <a href='https://www.newscientist.com/article/2107219-exclusive-worlds-first-baby-born-with-new-3-parent-technique/'>https://www.newscientist.com/article/2107219-exclusive-worlds-first-baby-born-with-new-3-parent-technique/.</a>, et le deuxième, en Ukraine 
			(19) 
			Il est inquiétant que
cette technique on ne peut plus expérimentale ait été utilisée dans
ce pays pour un couple stérile ne présentant aucune maladie mitochondriale.
Voir l’article publié par la BBC le 18 janvier 2017, intitulé «<a href='http://www.bbc.com/news/health-38648981'>IVF:
First three-parent baby born to infertile couple</a>» (Traitement de la stérilité: naissance du premier bébé
issu d’une «FIV à trois parents»).. Le Royaume-Uni est devenu, le 29 octobre 2015, le premier pays au monde à autoriser la naissance de bébés par la technique du transfert pronucléaire 
			(20) 
			La première autorisation
de créer un «bébé à trois parents» a été délivrée à une clinique
de Newcastle en mars 2017 par l’autorité britannique de régulation
des méthodes de procréation assistée; cette technique pourrait être
proposée par la clinique en question dès l’été 2017. Voir l’article
d’Ian Sample publié dans le Guardian du
16 mars 2017, intitulé «First UK licence to create three-person
baby granted by fertility regulator». (totalement interdite aux États-Unis) et l'utilisation aux fins de recherche d'embryons génétiquement modifiés (par modification du génome).
19. La nouvelle technologie rend également floue la dichotomie, autrefois stricte, entre cellules somatiques et cellules germinales, car les premières peuvent aujourd’hui être reprogrammées en cellules souches pluripotentes, et pourront l’être probablement à l’avenir en gamètes. Il est même possible d’induire des modifications par une association de techniques in vivo et in vitro, ce qui permet de faire l’impasse sur les approches conventionnelles du domaine de la thérapie génique in vivo 
			(21) 
			Les cellules des patients
sont isolées, génétiquement modifiées en laboratoire par la technique
CRISPR-Cas9, puis réimplantées dans le patient (ce qui permet en
outre de vérifier les changements avant de réimplanter les cellules).
Il est également possible de générer du sperme normal à partir de
cellules germinatives anormales par des techniques de culture de
tissus et d'édition génique..
20. De même, des problèmes surgissent à mesure que les frontières s’estompent entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée en génétique. Auparavant, il existait une grande différence entre la recherche fondamentale en laboratoire ou sur les embryons et les essais cliniques dont les applications pouvaient aboutir à une grossesse et à la naissance d'un enfant. Jadis, les nouvelles technologies génétiques n’étaient utilisées que dans des pays très développés, mais aujourd'hui la biotechnologie est plus accessible, à un coût faible, et facilite l'insertion, le retrait et la modification de gènes humains. En outre, sous l’effet de la mondialisation, les patients comme les chercheurs peuvent facilement voyager pour se rendre dans des cliniques privées de pays dépourvus de réglementation bioéthique (stricte).
21. Un premier article a été publié en mai 2015 sur l’application des techniques d’édition du génome (CRISPR-Cas9) sur des embryons humains non viables en Chine 
			(22) 
			CRISPR/Cas9-mediated
gene editing in human tripronuclear zygotes, Puping Liang et al., Protein
& Cell, mai 2015.. Février 2016 a vu la première validation au monde d’une autorité nationale de réglementation pour la recherche sur des embryons humains à l’aide de techniques d’édition du génome, au Royaume-Uni 
			(23) 
			UK scientists gain
licence to edit genes in human embryos, Team at Francis Crick Institute,
Ewen Callaway, Nature, février
2016.. Aux États-Unis, l’Institut national de la Santé a par contre décidé de ne pas financer le recours aux technologies de modification du génome pour les embryons humains 
			(24) 
			Déclaration sur le
financement par le NIH de la recherche sur les embryons humains
à l'aide de techniques de modification génétique, Francis S. Collins,
avril 2015. . Mais tous ces exemples démontrent à quel point la modification du génome de la lignée germinale chez l’être humain commence à sortir du domaine théorique pour entrer dans les applications de la recherche clinique.
22. Sur le plan des évolutions futures, le diagnostic génétique préimplantatoire sert généralement à éviter le transfert d'embryons porteurs d'une maladie génétique dans l'utérus, mais ne peut servir dans tous les cas 
			(25) 
			Les
deux parents ont une maladie génétique autosomique récessive.. Dans cette éventualité, pour éviter de transmettre une mutation néfaste aux générations suivantes, une nouvelle technologie peut s’avérer nécessaire à des fins thérapeutiques 
			(26) 
			La gravité des troubles
et la faisabilité et les chances de succès du traitement, évaluées
sur la base de modèles animaux, définissent la stratégie des recherches..

3. Les bienfaits et risques potentiels des nouvelles technologies génétiques

23. Les nouvelles technologies génétiques offrent de nombreuses possibilités d’utilisation positive qui pourraient s’appliquer aux maladies infectieuses liées à des virus, à des bactéries, à des prions et à des champignons (par exemple en rendant les cellules résistantes à l’infection par l’hépatite B et le VIH). En rapport aussi avec la lutte contre les vecteurs de maladies comme la maladie à virus Zika ou le paludisme, plusieurs développements visent déjà à arrêter la reproduction de types de moustiques porteurs de maladies. En oncologie, un nouveau type de thérapie innovante qui utilise des cellules immunocompétentes spécifiques reprogrammées pour cibler et tuer des cellules cancéreuses semble prometteur. A cela s’ajoute l’utilisation de cellules souches pluripotentes induites spécifiques à chaque patient (cellules non différenciées qui peuvent l’être dans un sens ou un autre) en combinaison avec la modification du génome qui ouvre des perspectives uniques pour définir des modèles de maladies personnalisés à des fins de recherche.
24. Par ailleurs, il y a de nombreuses utilisations prometteuses pour la technologie CRISPR-Cas9 
			(27) 
			Par exemple, l’obtention
de cellules souches pluripotentes.: le potentiel thérapeutique combinerait les dernières avancées technologiques dans le domaine des cellules souches et les futures applications cliniques. L’utilisation de cellules souches pluripotentes induites (CSPi) spécifiques à chaque patient en combinaison avec les avancées de la biotechnologie et la modification du génome ouvre des perspectives uniques pour définir des modèles de maladies personnalisés et produire des tissus pour la médecine régénérative.
25. Toutefois, la mutagénèse (hors cible) indésirable et inexacte constitue une préoccupation majeure car elle peut causer un cancer ou des maladies rares et inconnues. Ce risque peut être réduit au minimum en optimisant la procédure dans le futur, mais même les petits changements peuvent s’avérer très dangereux et avoir des conséquences inconnues pour le patient et les générations futures. Le «mosaïcisme», c’est-à-dire la présence de deux ou plusieurs populations de cellules avec des génotypes différents, peut lui aussi être la source de plusieurs problèmes, notamment des maladies rares ou des problèmes pratiques relatifs à l’identification par l’ADN à des fins de diagnostic, de test de paternité ou d’identification médico-légale.
26. Le problème est que l’effet des modifications génétiques de cellules germinales humaines pourrait ne pas être pleinement connu tant qu’un certain nombre de générations n’ont pas hérité de ces mutations. Par ailleurs, des risques existent concernant les générations futures descendant de patients ayant de nouvelles maladies génétiques s’ils se reproduisent entre eux, en raison de la création d’une variété de combinaisons de gènes inconnues.
27. Dans un appel à déclarer un moratoire sur la modification génique d’embryons pouvant conduire à une grossesse 
			(28) 
			Voir paragraphe 12., des chercheurs concluaient qu’il serait «irresponsable de poursuivre dans cette voie», tant que les risques ne sont pas mieux compris et qu’un «large consensus social» ne s’est pas dégagé sur les recherches – notamment parce que jusqu’à présent notre connaissance des gènes est très limitée. Cette position a récemment été confirmée de nouveau, tant par l’Académie nationale des sciences et l’Académie nationale de médecine des États-Unis que par l’EASAC. En outre, à ce jour, aucun test clinique de la correction génique somatique n’a été réalisé in situ en faisant appel aux techniques d’édition génique les plus récentes. La recherche sur les thérapies géniques et les essais cliniques, qui donnent lieu à des milliers d’études chaque année dans le monde, n’ont pas encore réussi à déterminer les taux de survie et les résultats en termes d’espérance de vie.
28. La régulation future dépend du contexte et du but visé et pas seulement de l’ontologie présumée de la cellule ou du tissu 
			(29) 
			«I bet you won’t»:
The science–society wager on gene editing techniques, EMBO reports,
Matthias Braun et Peter Dabrock, février 2016.. La régulation physiologique des gènes modifiés et le rôle de l’épigénèse doivent être pris en considération. Il y a des changements dans l’expression des gènes (gènes actifs par opposition aux gènes inactifs) qui n’impliquent pas de changements de la séquence d’ADN sous-jacente (comme dans une technique d’édition génique). Par ailleurs, il se peut que le changement de gènes n’induise qu’une inhibition temporaire de certaines fonctions.
29. D’autre part, de vives préoccupations ont été exprimées concernant le risque d’utilisation inappropriée ou abusive de la technologie dans le but de produire un individu ou un groupe d’individus dotés de caractéristiques particulières ou de certaines qualités requises 
			(30) 
			Il serait même possible
de «militariser» l’utilisation des nouvelles technologies génétiques
sur l’être humain, par exemple pour réduire le besoin de sommeil
des soldats.. La thérapie génique germinale pourrait faire accepter la thérapie génique à des fins d’amélioration du capital génétique – ce qui ouvrirait des perspectives vers l’eugénisme (c’est-à-dire, la sélection génétique dans le but d’améliorer les caractéristiques génétiques). Je pense que l’histoire nous a montré ce sur quoi cela peut déboucher.
30. Depuis 1980, il est possible de breveter des micro-organismes en vertu d’accords internationaux. En fait, même durant le projet du génome, il a été envisagé de breveter l’ADN humain. Dans une décision historique rendue en juin 2013, la Cour suprême des États-Unis a conclu que l’ADN sous sa forme naturelle ne peut pas faire l’objet d’un brevet 
			(31) 
			US
National Human Genome Research Institute, Intellectual Property
and Genomics, <a href='https://www.genome.gov/19016590/intellectual-property/'>https://www.genome.gov/19016590/intellectual-property/</a>., mais qu’il est possible de breveter les procédures de détection de certains gènes humains, même ceux capables de causer un cancer. La justice est actuellement saisie de plusieurs affaires – dont le règlement requiert généralement plusieurs années – de réclamation en matière de droits de propriété intellectuelle concernant des technologies d’identification (seul le détenteur du brevet a le droit de séquencer l’ADN en question) ou de modification du génome humain, y compris le brevetage controversé de la technologie CRISPR-Cas9 elle-même 
			(32) 
			Le
15 février 2017, la commission du contentieux et des recours (Patent
Trial and Appeal Board – PTAB) du Bureau américain des brevets et
des marques (US Patent et Trademark Office – USPTO) a rendu une
décision dans une affaire concernant une revendication de priorité
d’invention opposant l’université de Californie Berkeley (UCB),
d’une part, et le Broad Institute du MIT et de Harvard (le Broad),
d’autre part. Cependant, cette décision est susceptible de recours
et n’est pas contraignante pour l’Office européen des brevets (OEB),
où des procédures similaires sont en instance. <a href='http://www.lexology.com/library/detail.aspx?g=b2ebd517-92d9-4bf1-90b3-a1d80a7c1677'>www.lexology.com/library/detail.aspx?g=b2ebd517-92d9-4bf1-90b3-a1d80a7c1677.</a>.
31. Bien que cela ne soit pas l’objet essentiel du présent rapport, je souhaiterais faire remarquer en passant que l’application de la technologie génétique à la faune et à la flore montre que des intérêts commerciaux s’intéressent à la question, ce qui est préoccupant, car cela pourrait avoir de graves conséquences environnementales. Actuellement, les investissements publics dans cette technologie ne profitent qu’à de petites entités publiques ou à des sociétés privées plutôt qu’à la société dans son ensemble. 
			(33) 
			Le rapport de l’EASAC
de mars 2017 comporte des chapitres sur la modification génétique
de la faune et de la flore. Les prétentions de détenteurs multiples de brevets ayant trait au génome font obstacle à la traduction des découvertes génétiques en bienfaits sur le plan de la santé, en termes de soins de santé de qualité accessibles et de coût abordable, ce qui n’est pas sans conséquences sur le plan des droits humains.
32. Par ailleurs, les scientifiques sont enclins à vouloir chacun être un pionnier de l’évolution de la technologie génétique, publier des documents de recherche dans ce domaine et récolter les bénéfices économiques de leurs travaux (par exemple en participant à une entreprise technologique). Cela soulève la question de possibles conflits d’intérêt. A mon avis, la science donne des connaissances, mais les scientifiques ne devraient pas avoir l’exclusivité des décisions sur les politiques de recherche (par exemple, les limites à fixer à la recherche) et sur l’utilisation des résultats de la recherche.
33. On entend souvent dire qu’une transparence totale de la recherche et des essais cliniques compromettrait la confidentialité des données du patient et les droits de propriété intellectuelle. Il importe de publier et de partager les connaissances médicales, y compris dans ce domaine, tout en protégeant l’anonymat du patient. L’impossibilité de déterminer que des changements ont été introduits artificiellement constitue, en fait, une des difficultés associées à la technologie de l’«édition génique». Cela induit un problème en ce qui concerne non seulement le traitement des patients ayant subi des changements génétiques, mais aussi la traçabilité de la faune et de la flore.
34. La recherche sur les animaux est pour l’essentiel réalisée sur des souris. Cela étant dit, la plupart des avancées récentes de la technologie génétique n’ont même pas encore fait l’objet d’essais sur des singes et autres primates (qui partagent 96 % du patrimoine ADN des êtres humains, tout en affichant 40 millions de différences). La recherche s’est plutôt appliquée directement à la recherche sur des patients ou des embryons humains. De plus, l’expérience en recherche sur les animaux est insuffisante, et la tendance à arrêter la recherche sur les animaux reste un obstacle dans le domaine de la génétique. Cependant, il peut s’avérer nécessaire d’accroître la recherche sur les animaux dans le domaine de la génétique pour éviter des conséquences dangereuses pour les êtres humains. D’un autre côté, la recherche sur les animaux comme sur les embryons humains présente l’inconvénient de ne pas permettre une analyse approfondie des possibles conséquences des modifications génétiques sur les caractéristiques psychologiques et comportementales.

4. La nécessité d’une réglementation internationale et le respect du principe de précaution

35. La conférence d’Asilomar sur l’ADN recombinant, tenue en Californie en 1975 sous la houlette des États-Unis, a examiné les risques biologiques potentiels ainsi qu’une possible réglementation. C’était la première fois que les dangers dans le domaine de la génétique faisaient l’objet d’un débat public. A l’époque, la Conférence s’est concentrée sur l’étude des risques biologiques et a formulé des recommandations sur la nécessaire limitation de la recherche sur l’ADN hybride – même si ces recommandations ont été émises sans l’évaluation politique et pluridisciplinaire indépendante, équilibrée et transparente préalable qui aurait été souhaitable.
36. A ce jour, la communauté scientifique s’est accordée sur deux arguments à propos des interventions sur le génome humain, à savoir: d’une part, les préoccupations liées à la sécurité, fondées principalement sur les effets collatéraux de l’édition génique (c’est-à-dire les effets sur d’autres gènes) et, d’autre part, les préoccupations liées aux droits humains, en particulier en ce qui concerne les effets sur les générations futures (une modification du génome signifie une modification du patrimoine commun de l’humanité). Cependant, une réglementation internationale fait toujours cruellement défaut.
37. Au IVe siècle avant JC, Hippocrate a établi le principe du «faire du bien, ou au moins ne pas faire de mal». Les principes de la bioéthique sont la non-maléficience, la bénéficience, le respect de l’autonomie et la justice. Il importe d’expliquer que l’autonomie du patient est principalement liée au consentement informé (qui fait défaut dans le cas des générations futures) et au principe de justice (égalité d’accès aux soins) qui va de pair avec un traitement équitable. D’autres principes bioéthiques ont été formulés sur les soins de santé, tels que l’équité et l’accessibilité de la nouvelle technologie, la responsabilité des scientifiques et des professionnels de la santé, la confidentialité des données sur le patient et la nécessaire réparation en cas de préjudice. Il importe de trouver le juste milieu entre tous ces principes, comme dans la Convention d’Oviedo du Conseil de l’Europe.
38. Le Comité des Ministres et l’Assemblée parlementaire conviennent qu’il est nécessaire de prôner «une culture de la précaution qui intègre cette dernière au sein des processus de recherche scientifique, dans le respect de la liberté de recherche et d’innovation» 
			(34) 
			Voir la Recommandation 1787 (2007) de l’Assemblée sur le principe de précaution et la gestion
responsable des risques, et la réponse du Comité des Ministres y
relative (Doc. 11491), en particulier son paragraphe 4.. Dans ce contexte, le Comité des Ministres a rappelé en 2008 les engagements pris par les Chefs d’État et de Gouvernement du Conseil de l’Europe dans la Déclaration finale du 3e Sommet du Conseil de l’Europe, consistant à «garantir la sécurité [des] citoyens dans le plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales» et à relever, dans ce contexte, «les défis inhérents aux progrès de la science et de la technique».
39. Selon la définition retenue par l’Union européenne, le principe de précaution permet de réagir rapidement grâce à des prises de décision préventives en cas de risque, tel qu’un possible danger pour la santé humaine, notamment lorsque les données scientifiques ne permettent pas une évaluation complète du risque 
			(35) 
			Le principe de précaution
est détaillé à l’article 191 du Traité sur le fonctionnement de
l’Union européenne.. Le risque zéro n’existant pas, les mesures doivent être proportionnées au risque conformément au principe de précaution. Cependant, en raison du manque de connaissances fondées sur des preuves en ce qui concerne les conséquences des nouvelles technologies génétiques, le calcul du risque dans ce domaine est assez difficile. Néanmoins, toute réglementation dans ce domaine devrait se fonder sur le principe de précaution plutôt que sur le principe de prévention 
			(36) 
			La
portée de ce principe n’est pas aussi étendue que celle du principe
de précaution; cependant, il prévoit non seulement de réparer les
dommages produits, mais aussi de prévenir la survenue de ces dommages.
Cependant, le principe de prévention ne contient pas la même notion
d’évaluation du risque, en particulier lorsque le risque n’est pas clairement
défini. Les États-Unis appliquent uniquement le principe de prévention. , qui ne va pas aussi loin en termes de protection contre de possibles dangers.
40. Sur ce point, il est très utile de disposer au plan national d’organes consultatifs, tels que des académies et des collèges de scientifiques ou autres, en mesure de procéder à une évaluation du risque associé aux utilisations possibles de la technologie en prenant en considération les conséquences pour les nouveau-nés, les générations futures, les patients eux-mêmes ou l’environnement. Cette évaluation du risque devrait être rendue publique, afin de mettre en évidence certains dangers et les limites de la recherche.
41. Malheureusement, ce n’est pas ce qui se passe aujourd’hui: un groupe chinois a fait approuver le premier essai clinique utilisant la technologie révolutionnaire CRISPR–Cas9 
			(37) 
			CRISPR gene-editing
tested in a person for the first time, Nature,
novembre 2016.. Ce groupe a modifié des cellules immunitaires in vitro pour attaquer des cellules cancéreuses, sans que ces changements du génome de la cellule ne se transmettent à la génération suivante, ce qui veut dire que les éventuels effets collatéraux (par exemple l’attaque de cellules normales) ne toucheront que le patient. Pour un essai clinique similaire, les États-Unis suivent la procédure d’approbation axée sur un panel consultatif de l’US National Institute of Health (Institut national de la santé des États-Unis), qui a déjà approuvé le projet, l’US Food and Drug Administration (FDA – organisme de surveillance des aliments et des médicaments des États-Unis) et le comité d’examen de l’université concernée. De son côté, la Chine suit principalement le système d’approbation axé sur le comité d’examen interne de l’hôpital, sans se plier aux exigences de transparence ou de respect des droits humains. Il existe un réel danger que les pays s’engagent dans une course pour être les premiers, sans prendre en considération l’aspect des droits humains, l’analyse bioéthique et les possibles conséquences.
42. En Europe, certains pays se sont dotés d’un comité spécialement chargé de la médecine de la reproduction: par exemple, au Royaume-Uni, la loi sur l’embryologie et la fécondation humaines a établi en 1990 la Human Fertilization and Embryology Authority (HFEA – autorité britannique pour la fécondation et l’embryologie humaines), qui apporte des réponses juridiques au progrès scientifique. Rares sont les autres pays qui disposent d’un organe national chargé de réglementer les nouvelles avancées scientifiques ou d’une législation spécifique sur l’édition génique 
			(38) 
			Editing
policy to fit the genome?. R. Isasi et
al., Science, janvier
2016..
43. Le rapport sur «La modification du génome humain: science, éthique et gouvernance» établi par la commission sur la modification du génome humain de l’Académie nationale des sciences et l’Académie nationale de médecine des États-Unis propose les sept principes fondamentaux suivants 
			(39) 
			Voir
paragraphe 14., qui devraient sous-tendre les systèmes de surveillance de modification du génome humain, la recherche dans ce domaine et les utilisations cliniques auxquelles elle donne lieu: la promotion du bien-être, la transparence, la vigilance, la responsabilité de la communauté scientifique, le respect de la personne, l’équité et la coopération transnationale 
			(40) 
			Version préliminaire
avant publication, consultée le 24 février 2017, p. 139-140. . S’il est difficile de critiquer ces principes (en dehors du fait que, de mon point de vue, ils devraient s’accompagner d’autres principes au moins aussi importants, tels que le respect des droits humains et le principe de précaution), leur application au domaine de «la modification transmissible du génome» donne cependant lieu à des recommandations plus discutables. Ainsi, dans la conclusion du rapport, il est notamment indiqué qu’il convient de faire preuve de prudence dans les essais de modifications transmissibles du génome, ce qui ne veut pas dire que de tels essais doivent être interdits 
			(41) 
			Recommandation
5-1, ibid., p. 145.. S’ensuivent alors des recommandations pour l’établissement d’un «cadre réglementaire solide et efficace» qui devrait autoriser les essais cliniques impliquant une modification du génome de la lignée germinale. Cependant, la commission sur la modification du génome humain reconnaît elle-même qu’il serait surprenant que tout le monde adhère à cette recommandation 
			(42) 
			Ibid., p. 145.. En effet, le Président de l’EASAC a déclaré que ces recommandations étaient «controversées» et nécessitaient «un engagement public beaucoup plus important de la part des communautés scientifique et médicale afin de débattre des diverses questions et perspectives 
			(43) 
			Avant-propos de Thierry
J-L Courvoisier au rapport de l’EASAC de mars 2017 sur la modification
du génome, p. 1. Le chapitre du rapport intitulé «terrain glissant,
risques et proportionnalité» semble aussi pertinent sur ce sujet
(p. 21-22).».
44. Fait intéressant, le dernier point de cette recommandation (5-1) concerne la mise en place de «mécanismes de surveillance fiables afin de prévenir l’extension de l’usage de telles techniques à des fins autres que la prévention d’une maladie ou d’une anomalie génétique grave» 
			(44) 
			Ibid., p. 145.. Là aussi, la Commission reconnaît que «d’aucuns pensent que le dernier point (…) ne pourra pas être respecté» et qu’une fois que l’on aura donné le feu vert à la modification du génome de la lignée germinale, les mécanismes de régulation mis en place ne pourront limiter les usages de ces techniques à ceux qui sont énoncés dans la recommandation. De fait, la commission conclut que si le dernier point de cette recommandation ne peut être respecté, la modification du génome de la lignée germinale ne saurait être autorisée de son point de vue. 
			(45) 
			Ibid.
45. La commission reconnaît aussi que la modification du génome de la lignée germinale soulève également des inquiétudes liées aux usages prématurés ou non probants de cette technologie et, par conséquent, à l’apparition de «paradis réglementaires» où la législation dans ce domaine serait plus laxiste, voire inexistante, et où les «prestataires» ou les «clients» pourraient être tentés de se rendre pour profiter des techniques dont l’usage est limité sur d’autres territoires. En conséquence, la commission souligne la nécessité d’une réglementation complète 
			(46) 
			Ibid. qui, selon moi, devrait idéalement être adoptée au niveau international et reposer sur un modèle établi par le Conseil de l’Europe.
46. Concernant l’éventuelle utilisation clinique des interventions germinales, l’EASAC parvient à une conclusion similaire : «Ces applications soulèvent plusieurs questions importantes, parmi lesquelles le risque de modification erronée ou incomplète, la difficulté de prédire les effets indésirables, l’obligation de tenir compte à la fois des individus et des générations futures qui porteront ces modifications génétiques, et la probabilité que les améliorations biologiques au-delà de la prévention et du traitement de maladies puissent exacerber les inégalités sociales ou être utilisées de manière coercitive. Il serait irresponsable de continuer, à moins que et jusqu’à ce que les questions d’éthique, de sûreté et d’efficacité soient résolues et qu’un consensus sociétal vaste soit atteint 
			(47) 
			Rapport de l’EASAC
de mars 2017 sur la modification du génome, p. 2-3.

5. Conclusions et recommandations

47. Bien que les sciences génétiques se développent rapidement, nous commençons tout juste à comprendre ce domaine, de nombreux travaux de recherche tentant de déterminer les fonctions génétiques et des traitements possibles pour les maladies génétiques et héréditaires. Nous devons évaluer les possibles risques et conséquences de l’application de ces nouvelles technologies, à travers une évaluation politique et pluridisciplinaire indépendante, équilibrée et transparente. Le grand public doit être correctement informé aux fins d’un large débat public concernant l’état des connaissances scientifiques sur les nouvelles technologies génétiques. Les droits humains, y compris les principes bioéthiques, la prééminence du droit et les principes démocratiques doivent faire partie intégrante de ce débat.
48. Les parlementaires, les autorités réglementaires et les organes publics concernés doivent se faire conseiller par des organes spécialisés (c’est-à-dire qui possèdent les connaissances nécessaires sur les nouveaux progrès de la science) et indépendants. Les États membres doivent définir une position claire sur l’utilisation pratique des nouvelles technologies génétiques, en en fixant les limites et en promouvant des pratiques exemplaires et responsables dans le plein respect du principe de précaution. L’absence de réglementation ne doit pas être une option. Il convient que les États membres arrêtent au plus tôt une position (y compris des mesures préventives), à défaut de quoi les technologies seront largement appliquées sans une analyse appropriée.
49. On observe une explosion des études génétiques et des informations sur les «big bio-data», qui doivent être mieux comprises avant d’être appliquées aux cellules reproductrices humaines ou aux nouveau-nés, les conséquences d’une telle application étant inconnues à l’heure actuelle. On ne peut pas encore considérer que la création d’un embryon avec une modification du génome et son implantation dans un utérus constituent une pratique sûre. Les êtres humains ne doivent pas être utilisés comme des objets d’expérimentation sans une connaissance des conséquences fondée sur des essais sur des animaux, dans un contexte où la recherche et les expérimentations animales utilisant les nouvelles technologies génétiques sont insuffisantes. Le moratoire volontairement décrété et observé sur les changements du génome humain susceptibles d’être transmis à la descendance doit donc être maintenu. Dans les États qui n’ont pas encore mis en place de moratoire de jure ou d’interdiction, il devrait être intégré dans la législation ou la réglementation sur cette question afin de garantir qu’il ne puisse être levé que par l’État (et non par un scientifique ou un groupe de scientifiques). Malheureusement, la science progresse à un tel rythme que cela pourrait s’avérer irréaliste.
50. On peut soutenir que la modification intentionnelle du génome humain franchit des limites jugées éthiquement inviolables. Cependant, je ne pense pas que nous parviendrons à nous mettre d’accord sur la question de savoir s’il convient de ne mettre en place qu’un moratoire sur le recours délibéré à la modification du génome humain ou s’il convient plutôt d’interdire de telles pratiques, comme le fait la Convention d’Oviedo. En outre, l’interdiction actuelle, dans toute l’Union européenne 
			(48) 
			Ibid., p. 23. et de nombreux États membres du Conseil de l’Europe, des interventions visant à modifier le génome humain n’empêchera pas la naissance ailleurs de bébés dont le génome aura été modifié. L’Académie nationale des sciences et l’Académie nationale de médecine des États-Unis ont récemment énoncé un certain nombre de principes et de recommandations pour la gouvernance de la modification du génome humain qui, à terme, pourraient devenir les normes mondiales de fait si l’Europe n’est pas à même de proposer de meilleure alternative.
51. Je pense qu’un cadre juridique international est nécessaire pour fixer les limites et compléter les lois et les règlements au plan national. L’Europe devrait prendre la tête des opérations en la matière en établissant un cadre réglementaire et juridique commun prenant dûment en compte les bénéfices et risques potentiels de ces technologies, d’une part, et l’objectif d’éradiquer ou de traiter certaines maladies graves, d’autre part, tout en prévenant les abus ou les effets indésirables de la technologie génétique sur l’être humain. Le Conseil de l'Europe est idéalement placé pour concevoir un tel cadre, qui, s’il est suffisamment convaincant et accepté en Europe, pourrait devenir la norme mondiale.
52. Un cinquième du génome humain fait l’objet de revendications de brevet, lesquelles constituent un obstacle de taille à la recherche, au diagnostic et à l’application thérapeutique. Nous avons besoin d’une nouvelle législation pour empêcher toute reconnaissance de droits de propriété intellectuelle en rapport avec l’identification et la modification du génome humain. Les investissements publics dans cette technologie ne profitent qu’à de petites entités publiques ou à des sociétés privées plutôt qu’à la société dans son ensemble, alors que les sciences humaines et la médecine doivent être une source ouverte de savoirs partagés. L’intérêt général doit prévaloir sur les intérêts particuliers, tout en prenant garde à ne pas «sacrifier» l’individu au nom d’un bien commun perçu.
53. Par conséquent, je suis d’avis que l’Assemblée parlementaire devrait recommander au Comité des Ministres de suivre une approche en cinq étapes qui soit compatible avec les opinions divergentes dans et entre les 47 États membres, tout en garantissant un résultat qui soit conforme aux valeurs et principes de l’Organisation. La première de ces étapes consisterait à exhorter les États membres qui n’ont pas encore ratifié la Convention d’Oviedo à le faire le plus rapidement possible ou, au minimum, à interdire au niveau national les grossesses induites à partir de cellules germinales ou d’embryons humains dont le génome a été modifié de manière intentionnelle.
54. La deuxième étape serait d’encourager la tenue d’un débat public ouvert et éclairé sur le potentiel médical et les conséquences, du point de vue de l’éthique et des droits humains, de l’application des nouvelles technologies génétiques aux êtres humains, de sorte à établir une base axée sur des faits et démocratique pour la troisième étape, à savoir une évaluation, par le Comité de Bioéthique du Conseil de l’Europe, des enjeux éthiques et juridiques que posent les technologies émergentes de modification du génome, à la lumière des principes énoncés dans la Convention d’Oviedo et dans le respect du principe de précaution.
55. La quatrième étape serait le développement par le Conseil de l’Europe d’un cadre réglementaire et juridique commun qui prenne dûment en compte les bénéfices et risques potentiels de ces technologies, d’une part, et l’objectif d’éradiquer ou de traiter certaines maladies graves, d’autre part, tout en prévenant les abus ou les effets indésirables de la technologie génétique sur l’être humain. Enfin, la cinquième étape consisterait à rendre le pouvoir aux États membres, qui seraient invités à élaborer, sur la base du débat public, de l’évaluation du Comité de Bioéthique et du cadre juridique et réglementaire défini, une position nationale claire sur l’utilisation pratique des nouvelles technologies génétiques, en en fixant les limites et en promouvant de bonnes pratiques en la matière. Notre principale difficulté dans ces travaux est le temps, qui ne joue pas en notre faveur.