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Résolution 2218 (2018)

Lutter contre le crime organisé en facilitant la confiscation des avoirs illicites

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 26 avril 2018 (17e séance) (voir Doc. 14516, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme, rapporteur: M. Mart van de Ven). Texte adopté par l’Assemblée le 26 avril 2018 (17e séance).

1. L’Assemblée parlementaire constate avec une profonde préoccupation que, selon les estimations de la Banque mondiale et de l’Union européenne, les organisations criminelles réalisent chaque année des centaines de milliards d’euros de gains illicites. Les avoirs illicites accumulés par les criminels au fil du temps leur permettent de corrompre et de faire pression sur les responsables politiques, les agents des forces de l’ordre et les témoins, ainsi que de truquer des marchés entiers, en faussant, voire en éliminant la concurrence. Cette puissance va jusqu’à menacer la stabilité des démocraties les plus solides et le contrat social passé entre les citoyens et l’État, sur lequel repose l’ensemble des sociétés libres.
2. La confiscation des avoirs illicites présente de multiples avantages: elle rend les activités criminelles financièrement moins rémunératrices, sape le pouvoir conféré aux criminels par leur fortune, les prive des moyens nécessaires au financement de leurs prochains actes criminels et génère des ressources qui permettent d’indemniser les victimes et de reconstruire les communautés auxquelles la criminalité cause un préjudice.
3. L’Assemblée observe que la confiscation des avoirs d’origine criminelle est souvent entravée par la charge déraisonnablement excessive de la preuve qui pèse sur les autorités nationales compétentes et par l’inefficacité de la coopération entre les autorités des différents pays à des fins de recherche, de gel et de confiscation des avoirs d’origine criminelle au-delà des frontières.
4. Elle note par ailleurs que l’Irlande, l’Italie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont adopté une législation particulière pour faciliter la confiscation des avoirs illicites, en particulier en allégeant la charge de la preuve de l’origine criminelle d’un enrichissement sans cause qui pèse sur les autorités, grâce au recours à des présomptions de fait, voire, à certaines conditions, au renversement de fait de la charge de la preuve.
5. Ces mesures (qualifiées également de confiscation sans condamnation préalable, confiscation civile, confiscation civile des avoirs obtenus de manière illicite ou confiscation d’un enrichissement sans cause) ont passé avec succès le contrôle des plus hautes juridictions des pays concernés et de la Cour européenne des droits de l’homme. Ces juridictions ont conclu que ces mesures étaient compatibles avec les droits de l’homme, notamment avec la présomption d’innocence et le droit de jouissance paisible de ses biens reconnu à toute personne.
6. Sous réserve de l’existence de garanties suffisantes, en particulier du contrôle juridictionnel complet de toute mesure confiscatoire par des juridictions indépendantes et impartiales, l’Assemblée souscrit pleinement aux mesures de confiscation sans condamnation préalable ou à des mesures similaires, qui représentent pour les États le moyen le plus réaliste de s’attaquer à la gigantesque puissance financière de la criminalité organisée, dont la croissance est inexorable, en vue de défendre la démocratie et l’État de droit.
7. L’efficacité de la coopération internationale à des fins de recherche, de gel et de confiscation des avoirs d’origine criminelle dépend de l’existence d’un cadre juridique adéquat, garantissant une harmonisation suffisante de la procédure tout en permettant des approches nationales différentes, sans discrimination.
8. Parmi les instruments internationaux pertinents figurent la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale de 1959 (STE no 30) et ses deux protocoles additionnels (STE nos 99 et 182), la Convention de 1990 relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime (STE no 141), la Convention de 2005 du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme (STCE no 198) et plusieurs instruments des Nations Unies (dont la Convention de 1988 contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, la Convention de 2000 contre la criminalité transnationale organisée et la Convention de 2003 contre la corruption). Ces conventions ne sont cependant pas toutes ratifiées par l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe et des autres États qui jouissent d’un statut spécial auprès du Conseil de l’Europe ou de son Assemblée parlementaire. Cette situation crée un vide juridique qui permet à la criminalité organisée de continuer à échapper à la confiscation de ses avoirs illicites.
9. L’Assemblée invite par conséquent tous les États membres du Conseil de l’Europe et les autres États qui jouissent d’un statut spécial auprès du Conseil de l’Europe:
9.1. à prévoir dans leur droit interne la confiscation sans condamnation préalable, ainsi que la possibilité de procéder à une confiscation d’une valeur équivalente et à l’imposition des gains illicites, tout en établissant des garanties adéquates, et à adopter les bonnes pratiques dont la mise à l’essai a été satisfaisante, notamment:
9.1.1. en autorisant le contrôle judiciaire complet, par un tribunal indépendant et impartial, dans un délai raisonnable, de toute décision de gel ou de confiscation d’avoirs illicites;
9.1.2. en octroyant une réparation aux personnes dont les avoirs ont été gelés ou confisqués à tort;
9.1.3. en prévoyant une aide juridictionnelle pour le contrôle judiciaire et la procédure de réparation au profit des personnes qui n’ont pas les moyens de payer un représentant en justice;
9.1.4. en constituant une instance spécialisée en charge du gel et de la confiscation des avoirs illicites, composée d’un personnel professionnel et pluridisciplinaire ayant accès aux informations pertinentes détenues par les services répressifs (en particulier la police et les douanes), les services fiscaux et les services sociaux;
9.1.5. en veillant à ce que cette instance spécialisée gère les avoirs gelés de manière à en conserver la valeur jusqu’à leur confiscation définitive, et disposer des avoirs confisqués pour que la société dans son ensemble en retire le plus grand bénéfice et pour éviter toute incitation inappropriée;
9.1.6. en autorisant cette instance spécialisée à recourir à des techniques spéciales d’enquête, comme l’accès aux informations financières détenues par d’autres organismes publics, les opérations d’infiltration et le suivi en temps réel des comptes bancaires;
9.1.7. en informant régulièrement le grand public à la fois des opérations réussies et des problèmes rencontrés;
9.2. à promouvoir la coopération internationale dans ce domaine, en agissant rapidement et en coopérant les uns avec les autres dans toute la mesure du possible à des fins d’enquête et de procédure visant la confiscation des instruments et des produits du crime, en particulier:
9.2.1. en signant et en ratifiant tous les instruments juridiques internationaux facilitant la recherche, le gel et la confiscation des avoirs illicites (paragraphe 8);
9.2.2. en appliquant ces instruments dans un esprit de coopération non bureaucratique, en mettant tout particulièrement l’accent sur les échanges spontanés d’informations, sans insister sur la réciprocité et sans exclure ou désavantager les États qui disposent déjà d’un régime de confiscation sans condamnation préalable;
9.2.3. en promouvant les réseaux internationaux de professionnels compétents, comme le CARIN (Camden Assets Recovery Interagency Network-Réseau Camden regroupant les autorités compétentes en matière de recouvrement des avoirs) et la plate-forme ARO (Asset Recovery Offices- bureaux de recouvrement des avoirs) et les autres forums pertinents;
9.2.4. en constituant et en utilisant plus souvent des équipes communes d’enquête, comme celles qui ont été mises en place avec l’aide d’Eurojust et d’Europol, et en promouvant la participation plus fréquente des États non membres de l’Union européenne à ces équipes;
9.2.5. en mettant les techniques spéciales d’enquête à disposition dans les enquêtes transfrontières;
9.2.6. en définissant clairement les dispositions applicables au partage des avoirs confisqués avec succès entre les pays concernés.