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Rapport | Doc. 14779 | 12 décembre 2018

Promouvoir les droits des personnes appartenant aux minorités nationales

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteur : M. Viorel Riceard BADEA, Roumanie, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14251, Renvoi 4283 du 10 mars 2017. 2019 - Première partie de session

Résumé

La protection des personnes appartenant aux minorités nationales est cruciale pour garantir l’égalité entre les personnes, préserver la stabilité sociale et politique ainsi que la sécurité démocratique, et promouvoir la diversité des cultures en Europe. La Convention-cadre pour la protection des minorités nationales constitue un outil juridiquement contraignant mais souple pour la protection des droits des personnes appartenant aux minorités nationales, grâce à son approche multilatérale fondée sur les droits humains qui permet l’expression et la reconnaissance des différences, tout en promouvant l’égalité d’accès aux droits et aux ressources et en renforçant l’interaction sociétale ainsi que l’inclusion sociale.

Que les États considèrent ou non que des minorités nationales sont présentes sur leur territoire, et même s’ils sont déjà Parties à des accords bilatéraux, la ratification de la Convention-cadre serait dans l’intérêt non seulement de toutes les personnes appartenant à une minorité nationale en Europe, mais aussi de tous les États membres du Conseil de l’Europe. À l’inverse, l’absence de ratification de la Convention-cadre par certains États affaiblit la protection globale qu’elle peut offrir.

Le présent rapport entend fournir une base constructive pour poursuivre le dialogue et faciliter les progrès au sein des huit États membres qui ne sont pas encore Parties à la Convention-cadre. Il invite ces États, ainsi que tous ceux qui ne sont pas encore Parties au Protocole no 12 à la Convention européenne des droits de l’homme, à mener à bien les processus de signature et de ratification de ces traités.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 3 décembre
2018.

(open)
1. Les droits des personnes appartenant aux minorités nationales font partie intégrante du cadre international des droits de l’homme, tel que reconnu par la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE no 157, «la Convention-cadre»). L’Assemblée parlementaire souligne que la pleine ratification de la Convention-cadre par tous les États membres du Conseil de l’Europe constitue un moyen important de promouvoir la participation pleine et égale de tous les membres de la société, de favoriser la diversité des cultures et des langues en Europe et de garantir la stabilité, la sécurité démocratique et la paix sur l’ensemble du continent.
2. L’Assemblée rend hommage au rôle fondamental joué par la Convention-cadre dans le renforcement de la protection des personnes appartenant aux minorités nationales et la promotion de leurs droits depuis son entrée en vigueur il y a vingt ans. Elle se félicite également que le système multilatéral établi en vertu de la Convention-cadre offre aux États une source régulière d’analyses d’experts et d’avertissements préalables lorsque les structures et les canaux mis en place à l’échelle nationale pour protéger et promouvoir les droits des personnes appartenant aux minorités nationales et faciliter leur participation pleine et entière au sein de la société n’atteignent pas les objectifs escomptés.
3. L’Assemblée rappelle sa Recommandation 1766 (2006) sur la ratification de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales par les États membres du Conseil de l'Europe, dans laquelle elle demandait aux quatre États ayant signé la Convention-cadre mais ne l’ayant pas ratifiée, à savoir la Belgique, la Grèce, l’Islande et le Luxembourg, et aux quatre autres États ne l’ayant ni signée ni ratifiée, à savoir l’Andorre, la France, Monaco et la Turquie, de signer et/ou de ratifier au plus vite et sans réserves ni déclarations la Convention-cadre. Elle déplore l’absence ou le peu de progrès apparemment accomplis depuis lors par ces États sur la voie de la ratification.
4. L’Assemblée réitère une nouvelle fois son appel à tous les États membres pour qu’ils répondent positivement aux besoins des personnes appartenant aux minorités nationales et garantissent leurs droits, notamment tels qu’ils sont fixés par la Convention-cadre.
5. Dans ce contexte, elle rappelle que le principe de l’égalité et de la non-discrimination constitue un droit fondamental de toute personne. Bien que 20 États membres du Conseil de l’Europe aient ratifié le Protocole no 12 à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 177), y compris l’Andorre et le Luxembourg, 27 ne l’ont pas fait. Dix-huit États ont signé mais n’ont pas ratifié le Protocole no 12, notamment la Belgique, la Grèce, l’Islande et la Turquie, qui ne sont pas non plus Parties à la Convention-cadre. Neuf États, dont deux n’ont ni signé ni ratifié la Convention-cadre, la France et Monaco, n’ont ni signé ni ratifié le Protocole no 12.
6. L’Assemblée souligne que la ratification du Protocole no 12 à la Convention européenne des droits de l’homme renforcerait la protection des droits des personnes appartenant aux minorités nationales, que ces minorités soient reconnues comme telles ou non.
7. Elle regrette que depuis que le Comité d’experts sur les questions relatives à la protection des minorités nationales (DH-MIN) a cessé ses activités à la fin de l’année 2011, le Comité des Ministres n’ait offert aucun espace de discussion au-delà de ses échanges de vues périodiques avec le président ou la présidente en exercice du Comité consultatif de la Convention-cadre.
8. Au vu des questions soulevées par le Comité consultatif concernant les tendances et enjeux actuels de la protection des droits des minorités, reprises lors de la conférence tenue les 18 et 19 juin 2018 à l’occasion du 20e anniversaire de la Convention-cadre et de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE no 148), l’Assemblée souligne l’importance de traiter les droits des personnes appartenant aux minorités nationales dans le cadre d’une approche multilatérale, offrant des garanties et des mécanismes collectifs.
9. Compte tenu de ce qui précède, l’Assemblée invite:
9.1. les États membres qui ne l’ont pas encore fait à signer et à ratifier la Convention-cadre, sans réserves ni déclarations équivalentes à des réserves;
9.2. les États membres qui ont signé mais n’ont pas encore ratifié la Convention-cadre à ratifier cet instrument, sans réserves ni déclarations équivalentes à des réserves;
9.3. les États Parties qui ont ratifié la Convention-cadre tout en présentant des réserves ou des déclarations restrictives à les retirer.
10. L’Assemblée invite également:
10.1. les États membres qui ne l’ont pas encore fait à signer et à ratifier le Protocole no 12 à la Convention européenne des droits de l’homme;
10.2. les États membres qui ont signé mais pas encore ratifié le Protocole no 12 à la Convention européenne des droits de l’homme à ratifier cet instrument.

B. Exposé des motifs, par M. Viorel Riceard Badea, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. La protection des minorités nationales est cruciale pour garantir l’égalité entre les personnes, préserver la stabilité sociale et politique ainsi que la sécurité démocratique, et promouvoir la diversité des cultures en Europe. Appréhender les droits des minorités comme partie intégrante du cadre des droits de l’homme a marqué une étape décisive pour les personnes appartenant aux minorités nationales vers leur pleine participation dans les sociétés au sein desquelles elles vivent, et la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE no 157, «la Convention-cadre») constitue un formidable outil à cet égard.
2. En 2006, l’Assemblée parlementaire a invité le Comité des Ministres à poursuivre ses efforts pour encourager la pleine ratification de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales par tous les États membres, sans réserves ni déclarations restrictives 
			(2) 
			Recommandation 1766 (2006) sur la ratification de la Convention-cadre pour la protection
des minorités nationales par les États membres du Conseil de l'Europe.. Toutefois, aucune nouvelle ratification n’est intervenue depuis lors. Quatre États membres ont signé mais n’ont toujours pas ratifié la Convention-cadre, quatre ne l’ont toujours ni signée ni ratifiée 
			(3) 
			Respectivement la Belgique,
la Grèce, l’Islande et le Luxembourg et l’Andorre, la France, Monaco
et la Turquie., et aucune déclaration ni réserve n’a été retirée.
3. Au cours de cette même période, les 39 États Parties à cet instrument ont continué à prendre des mesures afin de renforcer la protection des personnes appartenant aux minorités nationales qui relèvent de leur juridiction. Le Comité consultatif de la Convention-cadre a régulièrement étudié la mise en œuvre de ce traité par les États Parties et a adopté plusieurs commentaires thématiques relatifs aux meilleures pratiques en ce qui concerne l’application de la Convention-cadre.
4. Au vu de l’importance de la Convention-cadre en tant que premier instrument multilatéral juridiquement contraignant en matière de protection des droits des personnes appartenant aux minorités nationales, la proposition de résolution à l’origine de ce rapport, déposée en janvier 2017 par la commission sur l’égalité et la non-discrimination 
			(4) 
			Doc. <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-FR.asp?fileid=23402&lang=FR'>14251</a>. Conformément à la décision prise par la commission
lors de sa réunion en juin 2017, la proposition de résolution déposée
par M. Talip Küçükcan (Turquie, CE) et d’autres membres de l’Assemblée
sur la «Protection des droits et libertés fondamentaux de la minorité
musulmane turque de Thrace occidentale en Grèce» (Doc. <a href='http://www.assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-FR.asp?fileid=22759&lang=FR'>14043</a>) a également été prise en considération dans l’élaboration
du présent rapport., a invité l’Assemblée à étudier la mise en œuvre de la Convention-cadre, à engager un dialogue avec les États membres qui rencontrent encore des obstacles relatifs à sa ratification et à examiner diverses façons de garantir l’application, à travers l’ensemble de l’Europe, des principes et standards découlant de la Convention-cadre.

2. Portée du rapport

5. Le présent rapport poursuit deux objectifs principaux. Le premier répond à la nécessité de dépolitiser des questions qui devraient au contraire être traitées sous l’angle des droits de l’homme universels. En effet, l’adoption de la Convention-cadre repose sur le postulat que la meilleure façon de garantir la protection des minorités est de procéder à travers un engagement commun des États membres du Conseil de l’Europe, qui consiste à protéger les personnes appartenant aux minorités nationales relevant de leur juridiction et à accepter que la situation de ces personnes fasse l’objet d’un suivi multilatéral indépendant.
6. Or, en raison du fait qu’un petit nombre d’États n’ont pas accepté cet engagement, il s’est créé un système à deux vitesses en Europe. D’une part, 39 États, dont certains n’ayant reconnu l’existence d’aucune minorité nationale sur leur territoire, se sont engagés concrètement à renforcer la protection et la promotion des droits des personnes appartenant aux minorités nationales et à soumettre les mesures prises à un contrôle régulier. D’autre part, et bien que des États qui ne sont pas Parties à la Convention-cadre prennent déjà certaines mesures qui pourraient correspondre aux finalités de cet instrument, aucun contrôle n’est effectué concernant la pertinence de ces mesures ni leur compatibilité avec les principes de la Convention-cadre.
7. Par conséquent, ce rapport examine tout d’abord les mesures déjà prises par les huit États qui ne sont pas Parties à la Convention-cadre, les obstacles les empêchant de ratifier cet instrument et les perspectives de sa ratification future par ces États.
8. Le second objectif consiste à examiner la mesure dans laquelle la mise en œuvre de la Convention-cadre par les États Parties au cours des vingt dernières années peut éclaircir les défis qui restent à relever pour les États non Parties en ce qui concerne la ratification de ce traité. Procéder à un examen détaillé de la situation en ce qui concerne les droits des personnes appartenant à des minorités nationales au sein de chacun des 39 États Parties irait clairement au-delà de la portée de ce rapport. Mon analyse se fonde par conséquent sur les éclairages qu’apporte le travail de suivi du Comité consultatif 
			(5) 
			Tel que présenté notamment
dans ses 9e, 10e et
11e rapports d’activité, couvrant la
période du 1er juin 2012 au 31 mai 2018., et sur ses commentaires thématiques 
			(6) 
			Voir notamment Comité
consultatif de la Convention-cadre (2016), «La convention-cadre:
un outil essentiel pour gérer la diversité au moyen des droits des
minorités. Commentaire thématique no 4:
Le champ d’application de la Convention-cadre pour la protection
des minorités nationales», adopté le 27 mai 2016..

3. Situation en ce qui concerne les États membres n’ayant pas ratifié la Convention-cadre

9. En 2006, lors du dernier examen détaillé de la ratification de la Convention-cadre par l’Assemblée, le Comité consultatif se trouvait à mi-parcours de son deuxième cycle de suivi, et il existait un seul et unique commentaire thématique sur la Convention-cadre. Aujourd’hui, ces commentaires sont au nombre de quatre; ils concernent l’éducation, la participation et les droits linguistiques en vertu de la Convention-cadre, ainsi que son champ d’application. Les avis du Comité consultatif incluent également un ensemble considérable d’analyses, le quatrième cycle de suivi étant déjà bien engagé. Cependant, dans la plupart des États qui ne sont pas encore Parties à la Convention-cadre, les minorités, si tant est qu’elles fassent l’objet de discussions, sont uniquement examinées dans un contexte national, sans tenir compte de l’aspect comparatif ni des meilleures pratiques qui ressortent du suivi continu de la mise en œuvre de la convention par les États Parties. Il est important à mes yeux d’encourager les États à profiter de ces ressources.
10. Par ailleurs, le processus de dialogue est important en tant que tel et fait pleinement partie du rôle de l’Assemblée. J’ai par conséquent cherché, tant en ma précédente qualité de président de la sous-commission sur les droits des minorités qu’en tant que rapporteur pour le présent rapport, à établir un dialogue avec les États membres qui ne sont pas Parties à la Convention-cadre.

3.1. Méthodes de travail

11. Lors de sa réunion qui s’est tenue à Paris le 27 octobre 2016, la sous-commission sur les droits des minorités a procédé à un premier échange de vues sur la ratification des traités du Conseil de l’Europe relatifs aux droits des minorités, en présence de la présidente du Comité consultatif ainsi que de sa vice-présidente d’alors. La sous-commission a demandé aux présidents des délégations nationales des huit États qui ne sont pas Parties à la Convention-cadre de l’aider à identifier les interlocuteurs appropriés. Deux membres de la délégation grecque auprès de l’Assemblée parlementaire, ainsi qu’un membre de la Représentation permanente de la Belgique auprès du Conseil de l’Europe, ont participé à la réunion.
12. Faisant suite au renvoi de la question à notre commission pour rapport, la commission a adopté le 19 mai 2017 un projet de questionnaire adressé aux huit États membres qui ne sont pas Parties à la Convention-cadre. Nous avons reçu des réponses de cinq de ces États, qui ont été examinées par la sous-commission sur les droits des minorités lors de sa réunion tenue le 12 octobre 2017 à Strasbourg.
13. Lors de la réunion tenue par la sous-commission le 21 novembre 2017 à Bucarest, les huit États qui ne sont pas Parties à la Convention-cadre ont été invités à désigner un représentant pour participer à un échange de vues en la présence non seulement de la sous-commission mais également de la présidente du Comité consultatif. Seule la Grèce, qui n’avait pas répondu à notre questionnaire écrit, a désigné une représentante, avec qui nous avons tenu un échange de vues détaillé (voir ci-dessous).
14. Dans le cadre de la préparation de ce rapport, j’ai également tenu plusieurs réunions bilatérales avec les représentants de la minorité de la Thrace occidentale (voir ci-dessous, paragraphe 3.2.4).

3.2. Réponses des États qui ne sont pas Parties au questionnaire de la commission

3.2.1. Andorre

15. Dans sa réponse au questionnaire, l’Andorre fait remarquer qu’il n’y a pas d’obstacles d’ordre constitutionnel à la ratification de la Convention-cadre. Cependant, les liens institutionnels avec l’Église catholique (l’un des coprinces étant l’Évêque de la Seu d’Urgell) pourraient soulever des questions relatives à l’égalité des confessions qui mériteraient un débat politique et sociétal. La question de l’égalité devant la loi et de la non-discrimination est, en Andorre, un principe normatif de premier ordre, et l’Andorre a ratifié une longue liste de traités sur la protection des droits des personnes. En outre, le gouvernement a adopté une stratégie progressive afin de garantir l’égalité des droits des groupes vulnérables. L’Andorre souligne que ses ressortissants sont eux-mêmes minoritaires au sein de la population de leur pays; toutefois, depuis qu’il est devenu plus facile d’obtenir la nationalité andorrane, la proportion de ressortissants andorrans a augmenté et il est plus vraisemblable que ce pays puisse un jour ratifier la Convention-cadre. Le Gouvernement de l’Andorre a par ailleurs accepté d’envisager sa ratification dans le cadre de l’Examen périodique universel des Nations Unies 
			(7) 
			Voir les documents
A/HRC/30/9/, paragraphe 84.24, et A/HRC/30/9/Add.1, des Nations
Unies.. Il convient également de noter que l’Andorre est Partie au Protocole no 12 à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 177), qui prévoit l’interdiction générale de la discrimination.

3.2.2. Belgique

16. La Belgique n’a pas répondu au questionnaire et n’a pas non plus envoyé de représentant à l’audition tenue à Bucarest. En 2002, la Conférence interministérielle de politique étrangère belge a créé un groupe de travail chargé d’établir une définition des minorités nationales dans le contexte belge. Toutefois, peu de progrès ont été accomplis depuis lors. Le 17 juillet 2018, en réponse aux questions récentes de deux parlementaires, le ministre des Affaires étrangères a déclaré que la dernière réunion du groupe de travail s’était tenue en juin 2016 et que son président avait quitté ses fonctions peu de temps après. Le processus de désignation d’un nouveau président était en cours. Une fois désigné, la première tâche du nouveau président serait d'assurer un suivi approprié aux décisions précédemment adoptées par le groupe de travail 
			(8) 
			Chambre des représentants
de Belgique, compte rendu intégral avec compte rendu analytique
traduit des interventions, Commission des relations extérieures,
mardi 17 août 2018 après-midi, <a href='http://www.lachambre.be/doc/CCRI/pdf/54/ic952.pdf'>CRIV
54 COM 952</a>, p. 2-5.. Selon la presse belge, néanmoins, plusieurs membres de ce groupe de travail n’avaient pas assisté à sa réunion de juin 2016, et ceux qui y avaient participé s’étaient posé la question de la valeur ajoutée d’une poursuite des travaux. Cependant, ils avaient estimé qu’il pourrait s’avérer utile d’organiser une rencontre à Bruxelles avec le Comité consultatif de la Convention-cadre, afin de s’entretenir avec celui-ci des éventuelles implications d’une ratification de la Convention-cadre sur la législation belge relative à l’emploi des langues en matière administrative 
			(9) 
			Le
Vif (2018), «Minorités: recherche président depuis 18 mois»,
1er août 2018..

3.2.3. France

17. La France évoque des questions d’ordre constitutionnel qui l’empêchent de ratifier la Convention-cadre, soulignant que les notions constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination, d’une part, ainsi que de l'unité et de l'indivisibilité de la nation (qui portent à la fois sur le territoire et la population), d’autre part, s'opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance. Dans son avis du 6 juillet 1995, le Conseil d'État a considéré que la Convention-cadre était, par son objet même, contraire à l'article 2 de la Constitution française, et il n’était pas dans l’intention des autorités françaises de procéder à une révision constitutionnelle. Cependant, la France attire l’attention sur les efforts considérables qu’elle fait pour lutter contre la discrimination et les infractions motivées par la haine, y compris par le biais d’une législation pénale forte, des travaux de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH), ainsi que des campagnes de sensibilisation menées à l’échelle nationale par les autorités. Par ailleurs, et compte tenu du fait que l'apprentissage de la langue française joue un rôle crucial mais ne doit pas être fait à l’exclusion d'autres langues, la France souligne que 14 langues ou groupes de langues régionales sont enseignés en France métropolitaine ou dans ses départements, régions ou collectivités d’outre-mer. La France, toutefois, n’a pas signé le Protocole no 12 à la Convention européenne des droits de l’homme.

3.2.4. Grèce

18. Lors de l’audition tenue à Bucarest, Mme Marina Telalian, Cheffe du département des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères de la République hellénique, a rappelé que la Grèce était Partie au Traité de Lausanne. La Grèce n’a officiellement reconnu qu’une seule minorité, la minorité religieuse (musulmane) résidant en Thrace occidentale. Bien que la Convention-cadre donne aux États la possibilité de définir quelles sont les minorités nationales relevant de leur juridiction couvertes par ses dispositions, Mme Telalian relève qu’il est difficile pour la Grèce de ratifier ce traité parce que la minorité religieuse qu’elle reconnaît est constituée de trois composantes, aux membres respectivement d’origine ethnique turque, pomaque et rom, ayant la religion pour élément commun. Quant aux personnes souhaitant être reconnues comme appartenant à une minorité macédonienne, chacune est libre de s’identifier comme membre d’une telle minorité; il s’agit là du droit individuel à la libre identification. Toutefois, de l’avis des autorités, il n’existe pas de critère objectif qui pourrait permettre à l’État de reconnaître officiellement l’existence d’une minorité nationale. La Grèce estime ne pas avoir besoin de ratifier la Convention-cadre, une législation très avancée, allant au-delà des exigences du Traité de Lausanne, ainsi qu’un large éventail d’outils de protection des droits des minorités, étant déjà en place. Mme Telalian a expliqué de façon détaillée les différentes mesures prises par la Grèce en ce qui concerne les libertés de religion, d’association et d’expression, la participation à la vie publique, le droit à l’éducation, la diversité culturelle, la nomination et le rôle des muftis, le dialogue avec la société civile et la législation anti-discrimination 
			(10) 
			Voir le document <a href='https://pace.coe.int/documents/19879/3409170/AS-EGA-MIN-2018-PV-04-FR.pdf/506f3a84-6595-4901-b0d1-6557bae0f253'>AS/Ega/Min
(2017) PV 04</a>.. Au vu de ces éléments, la Grèce considérait qu’il n’y avait pas de lacunes dans la protection législative accordée aux minorités sur son territoire. L’absence de ratification ne signifiait pas que la Grèce ne faisait aucun cas de cet instrument, mais plutôt que la question de la ratification devait être envisagée à la lumière de la situation spécifique de la Grèce, y compris concernant l’existence ou l’absence de certaines minorités. La Grèce ne rejette pas la possibilité de ratifier la Convention-cadre dans l’avenir. Elle cherche également à s’assurer que la protection des minorités n’est pas fonction de la réciprocité ou des relations interétatiques, étant donné que dès l’adoption d’une approche bilatérale, la qualité de la protection des minorités devenait directement dépendante de la qualité de ces relations bilatérales.
19. Lors de nos échanges, les représentants de la minorité de la Thrace occidentale m’ont exprimé leurs préoccupations quant à la possibilité pour les personnes appartenant à des minorités de s’identifier librement, quant au discours de haine et aux attaques motivées par la haine commises à l’encontre des musulmans résidant en Grèce, ainsi que sur les difficultés à exercer le droit à la liberté d’association 
			(11) 
			Voir
également l’examen en cours par le Comité des Ministres de l’exécution
du groupe d’affaires Bekir Ousta c. Grèce., les restrictions et le manque d’autonomie dans l’exercice de la liberté de religion. Bien que les projets pilotes visant à accueillir des enfants de langue turque dans des jardins d’enfants gérés par l’État en Thrace occidentale aient été bien accueillis, la question du droit à l’éducation a également été soulevée, notamment en ce qui concerne la diminution du nombre d’écoles offrant un enseignement en langue turque et la qualité de l’enseignement proposé dans ces écoles.

3.2.5. Islande

20. L’Islande n’a pas répondu au questionnaire et n’a pas non plus désigné de représentant à l’audition tenue à Bucarest.

3.2.6. Luxembourg

21. Le Luxembourg a fait observer que 47,7 % des habitants du Grand-Duché ne sont pas des ressortissants luxembourgeois. Il a aussi souligné que même le Comité d’experts de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE no 148) (instrument auquel il est Partie) juge inutile de suivre l’application de la Charte par le Luxembourg, faute de langue pertinente à couvrir. En l’absence d’une définition de cette notion par la Convention-cadre elle-même, le Grand-Duché de Luxembourg entendait par «minorité nationale», au sens de la Convention-cadre, un groupe de personnes installées depuis de nombreuses générations sur son territoire, qui ont la nationalité luxembourgeoise et qui ont conservé des caractéristiques distinctes du point de vue ethnique et linguistique. Partant, il n'existait pas aux yeux du Grand-Duché de «minorité nationale» au Luxembourg et, de ce fait, la Convention-cadre ne pouvait être appliquée. Tout comme l’Andorre, le Luxembourg est Partie au Protocole no 12 à la Convention européenne des droits de l’homme, qui prévoit l’interdiction générale de la discrimination.

3.2.7. Monaco

22. La réponse de Monaco réitérait que la ratification de la Convention-cadre ne revêtait pas un caractère prioritaire, ses ressortissants étant de fait minoritaires. Monaco n’a pas signé le Protocole no 12 à la Convention européenne des droits de l’homme.

3.2.8. Turquie

23. La Turquie souligne que dans ce pays, chacun a les mêmes droits constitutionnels et les mêmes obligations, sans discrimination aucune. Par ailleurs, elle attire l’attention sur le fait que les droits de certaines minorités non musulmanes sont reconnus et protégés par le Traité de Lausanne de 1923. Les problématiques liées aux minorités nationales sont donc abordées dans le cadre de ce traité. Les minorités non musulmanes reconnues au sens du Traité de Lausanne disposent, par exemple, de leurs propres écoles, lieux de culte, fondations, hôpitaux et organes de presse. La Turquie estime qu’il y a eu des améliorations législatives relatives à des problématiques concernant les minorités, qui concernent entre autres des questions de propriété, de lieux de culte et de formation du clergé et que des mesures avaient été prises dans le domaine de l’enseignement et de la culture en faveur de la population non musulmane et des besoins de sa vie communautaire.

3.3. Résumé de la situation actuelle

24. Je me félicite des informations communiquées par six des huit États contactés au sujet de la probabilité qu’ils ratifient la Convention-cadre dans un avenir proche, même si je regrette que cinq de ces États aient choisi de répondre uniquement par écrit. Il est regrettable que ni la Belgique ni l’Islande n’aient répondu à nos invitations multiples à entrer en dialogue autour de ce sujet important. L’Islande avait également refusé de dialoguer avec l’Assemblée lors de son dernier examen de la ratification de la Convention-cadre; à l’époque, le rapporteur avait estimé que cela tenait peut-être au fait que l’Islande constituait un pays homogène sur les plans linguistique et ethnique 
			(12) 
			Doc. <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?FileID=11272&lang=FR'>10961</a> sur «La ratification de la Convention-cadre pour la
protection des minorités nationales par les États membres du Conseil
de l'Europe» (rapporteur: M. Boriss Cilevičs, Lettonie, SOC), paragraphe 43..
25. En ce qui concerne la Belgique, je constate que le gouvernement fédéral a récemment fait un pas vers la création de conditions susceptibles de permettre la reprise de discussions et de réflexions internes concernant la définition des minorités nationales dans le contexte belge. Le dialogue constitue la seule manière de progresser et je me félicite de cette avancée, en espérant que ces discussions porteront rapidement leurs fruits.
26. Trois pays, l’Andorre, le Luxembourg et Monaco, invoquent le fait que leurs ressortissants sont numériquement minoritaires dans leur pays. D’après l’Andorre, cette situation pourrait évoluer, au fur et à mesure qu’un plus grand nombre d’habitants est en droit d’acquérir la nationalité du pays. Cela pourrait faciliter à l’avenir la ratification par l’Andorre. Monaco n’a exprimé aucun intérêt pour la ratification de la Convention-cadre. Le Luxembourg a proposé une définition des minorités nationales selon laquelle aucune minorité nationale n’existerait dans le pays. Or, en l’absence d’une définition communément acceptée du concept de minorités nationales, nous constatons qu’il existe un éventail d’options, certains États ayant choisi une approche plus restrictive et d’autres une approche plus large. En tout état de cause, comme nous l’avons déjà souligné, l’article 6 de la Convention-cadre s’applique même lorsqu’aucune minorité nationale n’est reconnue.
27. Tant la Grèce que la Turquie attirent l’attention sur les garanties constitutionnelles relatives à l’égalité et la non-discrimination et soulignent la protection dont bénéficient déjà les minorités religieuses relevant de leur juridiction, conformément au Traité de Lausanne. Dans sa réponse écrite à notre questionnaire, la Turquie n’aborde pas la question de l’éventuelle reconnaissance en tant que minorités d’autres groupes. La sous-commission sur les droits des minorités a eu l’occasion de soulever cette question lors de l’audition tenue à Bucarest avec les autorités grecques, mais celles-ci ont estimé qu’il n’existait pas de critère objectif permettant la reconnaissance en tant que minorité des personnes dont il était question dans cet échange de vues. À ce stade, ni la Grèce ni la Turquie ne semblent disposées à poursuivre la possibilité de devenir Partie à la Convention-cadre en sus du Traité de Lausanne. Je reconnais que de bonnes raisons peuvent sous-tendre le souhait de ne pas perturber l’équilibre obtenu grâce à un traité de paix. Il convient toutefois de souligner que le droit international n’empêche nullement un État Partie à un traité de devenir également Partie à un autre traité couvrant un domaine similaire, à condition bien sûr que ledit État respecte l’ensemble de ses engagements et que ceux-ci ne se contredisent pas.
28. Seule la France estime qu’il existe des obstacles constitutionnels de nature à empêcher sa ratification de la Convention-cadre, essentiellement au motif que son ordre constitutionnel exclut la reconnaissance de droits collectifs. (Sur ce point, voir ci-dessous le paragraphe 4.2.)

4. Enseignements tirés de la mise en œuvre de la Convention-cadre par les États Parties

29. Les expériences des 39 États membres du Conseil de l’Europe qui sont déjà Parties à la Convention-cadre, tout comme les analyses obtenues grâce au travail de suivi du Comité consultatif, peuvent fournir un éclairage utile aux États qui ne sont pas Parties à cet instrument.

4.1. Conséquences de l’absence d’une définition des minorités nationales et de l’absence de groupes au sein d’un État susceptibles de correspondre à une telle définition

30. Pour quatre des huit États n’ayant pas ratifié la Convention-cadre à ce jour, la question de la définition des personnes couvertes et de la mesure dans laquelle elles devraient être couvertes par ses dispositions semble poser des difficultés majeures. Ainsi, l’Andorre, le Luxembourg et Monaco mettent en avant la situation numériquement minoritaire de leurs ressortissants et soulignent que dans ce contexte, la notion de minorités nationales est difficile à définir, voire n’a pas de sens. Bien que l’Islande n’ait pas répondu à nos invitations au dialogue, il semblerait que son manque d’intérêt apparent pour la Convention-cadre soit dû en partie au fait que la diversité n’ait pas été considérée jusqu’à présent comme une question importante au sein de la société islandaise. Par ailleurs, s’agissant de la Belgique, l’approbation de plusieurs niveaux de gouvernement est nécessaire en ce qui concerne la définition des minorités nationales applicable dans son contexte. Malgré la création, il y a 16 ans, d’un groupe de travail chargé de traiter cette question, à ce jour aucune définition consensuelle n’a pu être établie.
31. Les raisons pour lesquelles le texte de la Convention-cadre ne contient aucune définition des minorités nationales sont bien connues. La diversité des situations et la variété des problèmes à résoudre en Europe ont été soulignées au moment de l’adoption de cette convention. Il a ainsi été reconnu qu’il n’était pas possible, à ce moment-là, de parvenir à une définition susceptible de recueillir le soutien global de tous les États membres du Conseil de l’Europe, et qu’il était nécessaire d’adopter une approche pragmatique 
			(13) 
			Voir les paragraphes
12 à 13 du Rapport explicatif de la Convention-cadre pour la protection
des minorités nationales, consacrés aux approches et aux concepts
fondamentaux..
32. Cela étant dit, comme l’ont expliqué les représentants du Comité consultatif lors de l’audition tenue par la sous-commission sur les droits des minorités le 27 octobre 2016 à Paris, l’absence d’une définition des minorités nationales dans la Convention-cadre ne devrait pas être considérée comme un obstacle à la ratification, car cela laisse aux États une certaine marge d’appréciation leur permettant d’adapter cet instrument à leur contexte national. Au moment de la ratification de la Convention-cadre, les États précisent généralement dans une déclaration quels sont les groupes couverts sur leur territoire. Certains États choisissent d’adopter une définition des minorités nationales adaptée à leur contexte national; d’autres choisissent de dresser la liste des minorités nationales qu’ils reconnaissent, sans définir le terme; et un troisième groupe de pays affirme qu’il n’y a pas de minorités nationales sur leur territoire mais qu’ils ont ratifié la Convention-cadre dans un esprit de solidarité. En tout état de cause, les auteurs de la convention ne visaient pas à restreindre l’application ratione personae de ce traité. Comme indiqué lors de la conférence à l’occasion du 20e anniversaire de la Convention, bien qu’elle ait été dans un premier temps perçue comme une faiblesse, l’absence de définition a, dans les faits, renforcé la résilience de cette Convention, permettant à chaque État de s’adapter à ses exigences à son rythme et en fonction de ses caractéristiques spécifiques 
			(14) 
			«Minorities and Minority
Languages in a Changing Europe», Conférence à l’occasion du 20e anniversaire
de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales
et de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires,
Conseil de l’Europe, Strasbourg, France, 18-19 juin 2018, Conclusions
et observations finales du rapporteur de la conférence, M. Philippe
Boillat..
33. Adopté en 2016 et portant sur le champ d’application de la Convention-cadre, le quatrième commentaire thématique du Comité consultatif apporte un éclairage supplémentaire sur cette question 
			(15) 
			Comité consultatif
sur la Convention-cadre (2016), «La Convention-cadre: un outil essentiel
pour gérer la diversité au moyen des droits des minorités», op. cit.. Sans adopter une approche normative, ce commentaire thématique se fonde sur une lecture comparative des avis formulés par le Comité consultatif au sujet du champ d’application de la Convention-cadre dans les quatre cycles de suivi menés jusqu’à présent. Ce sujet a été choisi afin d’aider à préciser qui entre dans le champ de la protection des minorités nationales, comment et pour quels droits. Il peut s’avérer particulièrement utile pour les États qui ne sont pas encore Parties à la Convention-cadre, dans la mesure où il peut les aider à identifier de manière plus précise les conséquences qui pourraient découler, dans leur contexte national spécifique, de la ratification de ce traité.
34. Il convient de relever en premier lieu un point inhérent au texte de la Convention-cadre elle-même et qui a régulièrement été souligné par le Comité consultatif, à savoir qu’adhérer à la Convention-cadre n’oblige pas à adopter une approche du «tout ou rien», mais permet aux États d’appliquer la Convention aux personnes appartenant à différentes minorités nationales de manière flexible et suivant une approche article par article, en adaptant les protections aux situations spécifiques des différentes minorités nationales couvertes 
			(16) 
			Ibid.,
Partie IV, L’approche contextuelle article par article développée
par le Comité consultatif..
35. Certains droits énoncés dans la Convention-cadre s’appliquent à toute personne, indépendamment de la question de savoir si l’existence de minorités nationales au sein de la société est officiellement reconnue. Il s’agit en particulier des droits liés à la promotion de la tolérance, au respect mutuel et au dialogue interculturel parmi toutes les personnes vivant sur le territoire d’un État, ainsi que de la protection contre les menaces ou les actes de discrimination, d’hostilité ou de violence en raison de l’identité ethnique, culturelle, linguistique ou religieuse (article 6). Par conséquent, le Comité consultatif examine la mise en œuvre de ces obligations par tous les États Parties, y compris ceux qui affirment avoir ratifié la Convention-cadre dans un esprit de solidarité malgré le fait qu’ils considèrent ne pas avoir de minorités nationales 
			(17) 
			Ibid.,
Partie V, Les droits de la Convention-cadre applicables à toutes
les personnes, paragraphe 52..
36. D’autres droits garantis par la Convention-cadre ont un champ d’application large (mais pas universel) et un troisième groupe de droits (dont par exemple la présentation d’indications topographiques dans les langues minoritaires) a un champ d’application beaucoup plus restreint, couvrant seulement les régions traditionnellement habitées par un nombre substantiel de personnes appartenant à une minorité nationale. Conformément aux termes explicites de la Convention-cadre, le quatrième commentaire thématique du Comité consultatif précise que l’accès à ces droits peut être limité aux zones géographiques où les personnes appartenant à des minorités nationales résident traditionnellement ou en grand nombre. Cependant, le Comité consultatif a maintes fois invité les États Parties à favoriser l’exercice de ces droits également lorsque les conditions ne sont pas formellement remplies mais que la mise en œuvre de ces droits contribuerait à créer une société ouverte 
			(18) 
			Ibid., Partie VII, Les droits des
minorités ayant un champ d’application spécifique, paragraphe 79..
37. Par ailleurs, le Comité consultatif a toujours appelé les États Parties à réexaminer périodiquement toute déclaration qu’ils ont faite au moment de la ratification de la Convention-cadre. Cela s’inscrit dans une logique de reconnaissance permanente de la diversité existant au sein de la société, tout en reconnaissant que cette diversité est elle-même dynamique et évolue au fil du temps. Cela permet aux États de réagir concrètement face à des changements résultant, par exemple, de la migration interne de personnes appartenant aux minorités nationales des zones rurales vers les grandes villes 
			(19) 
			Voir le document <a href='https://pace.coe.int/documents/19879/3409170/AS-EGA-MIN-2018-PV-04-FR.pdf/506f3a84-6595-4901-b0d1-6557bae0f253'>AS/Ega/Min
(2017) PV 04</a>..

4.2. La question des droits collectifs

38. Comme nous l’avons relevé ci-dessus, la réticence de la France en ce qui concerne la ratification de la Convention-cadre se fonde au moins en partie sur l’opinion selon laquelle cela obligerait la France à reconnaître des droits collectifs. Or, comme nous l’avons entendu à Bucarest, un tel argument traduit une interprétation erronée de la Convention-cadre. En effet, le rapport explicatif à cette convention précise que la possibilité d’exercice en commun des droits et libertés reconnus par la convention est distincte de la notion de droits collectifs. Bien que la Convention-cadre prévoie l’exercice conjoint de certains droits, elle n’envisage et n’implique la reconnaissance d’aucun droit collectif 
			(20) 
			Voir les paragraphes
13, 31 et 37 du Rapport explicatif de la Convention-cadre pour la
protection des minorités nationales, consacrés aux approches et
aux concepts fondamentaux, à l’article 1er et
à l’article 3, paragraphe 2.. Il s’agit là d’une logique qui n’est pas différente de celle qui permet déjà à la France de reconnaître, par exemple, les libertés d’association, de réunion ou de religion. Celles-ci sont des droits individuels de toutes les personnes relevant de la juridiction de l’État, garantis par la Convention européenne des droits de l’homme (entre autres instruments internationaux), mais qui sont, à des degrés divers, exercés conjointement avec d’autres personnes, et qui ne sont perçus comme des menaces ni à l’unité ni à l’indivisibilité de la nation. Il convient également de noter que la Convention-cadre a pour finalité de fournir une plateforme appropriée pour l’affirmation des droits individuels spécifiques des personnes appartenant aux minorités nationales sans porter atteinte à leur intégration au sein de la société dans laquelle elles vivent, afin de préserver la stabilité sociale et politique ainsi que la sécurité démocratique et de promouvoir la diversité.

4.3. Les traités bilatéraux, les relations interétatiques et la Convention-cadre

39. Un des avantages essentiels de la Convention-cadre pour les États qui reconnaissent l’existence de minorités nationales au sein de leurs sociétés, c’est le fait qu’elle traite la protection des droits et des libertés des personnes appartenant aux minorités nationales comme faisant partie intégrante de la protection internationale des droits humains et les aborde de manière universelle. En effet, cette convention se fonde avant tout sur le devoir qu’ont les États de protéger les droits des personnes appartenant aux minorités nationales relevant de leur juridiction. Par conséquent, la reconnaissance et la protection des droits des personnes appartenant aux minorités nationales ne dépendent pas de l’existence d’un «État parent». La responsabilité à l’égard des personnes appartenant aux minorités nationales incombe au premier chef à l’État où vivent ces minorités, et la capacité des mesures mises en œuvre par cet État à concrétiser les principes de protection fait l’objet d’un examen par les mécanismes de suivi spécifiques auquel l’État a consenti.
40. Cette approche n’ignore pas l’atout supplémentaire que peuvent constituer les contacts transfrontaliers et les bonnes relations de voisinage pour faire avancer la protection des droits des personnes appartenant aux minorités nationales, à condition toutefois que les principes du droit international soient dûment respectés. Cela est même reconnu par la Convention-cadre (article 18 lu conjointement avec l’article 21). Cependant, il est bien connu que la protection des droits des personnes appartenant aux minorités nationales constitue le meilleur moyen de garantir la stabilité générale, la sécurité démocratique et la paix, grâce au partage d’informations et de préoccupations, à la poursuite d’intérêts et d’idéaux et à la protection supplémentaire des droits des personnes appartenant aux minorités nationales telle que consentie par l’État de résidence. Les accords bilatéraux ne sont ainsi indiqués que dans la mesure où ils renforcent le processus de protection des droits des personnes appartenant aux minorités nationales, et non comme instrument se substituant aux obligations de l’État de résidence. La même approche est suivie par le Haut-Commissaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) pour les minorités nationales 
			(21) 
			Haut-Commissaire
de l’OSCE pour les minorités nationales, Recommandations de Bolzano/Bozen
sur les minorités nationales dans les relations interétatiques,
juin 2008..

4.4. La ratification de la Convention-cadre n’est pas une fin en soi

41. Vingt ans après l’entrée en vigueur de la Convention-cadre, un certain nombre d’améliorations ont été constatées en ce qui concerne la protection des droits des personnes appartenant aux minorités nationales dans l’ensemble des États Parties. Il s’agit en particulier de l’adoption d’une législation qui protège les personnes appartenant à des minorités nationales, du renforcement des lois garantissant l’égalité et la non-discrimination, et de la création de structures participatives ou consultatives destinées à faciliter le dialogue entre les personnes appartenant aux minorités nationales et l’État.
42. Ces constatations montrent que la ratification de la Convention-cadre ne marque pas la fin de l’histoire, et qu’elle n’est pas une fin en soi. Au contraire, elle fait partie d’un processus qui doit être continu et qui suppose des efforts constants de la part des États. S’ils acceptent les normes définies par la Convention et les mécanismes de suivi associés, les États peuvent ainsi bénéficier d’une source régulière d’analyses d’experts et d’avertissements préalables lorsque les structures et les canaux mis en place à l’échelle nationale pour protéger et promouvoir les droits des personnes appartenant aux minorités nationales et faciliter leur participation pleine et entière au sein de la société n’atteignent pas les objectifs escomptés. La pleine ratification de la Convention-cadre par tous les États membres du Conseil de l’Europe n’est donc pas simplement un objectif symbolique mais un moyen de promouvoir la participation pleine et égale de tous les membres de la société et de favoriser la stabilité, la sécurité démocratique et la paix à travers tout le continent.

5. Faire avancer le dialogue

43. Indépendamment de la question de savoir s’ils considèrent que des minorités nationales sont présentes sur leur territoire, et même s’ils sont déjà Parties à des accords bilatéraux, la Convention-cadre concerne tous les États. Elle prévoit trois piliers essentiels, susceptibles d’aider les États à atteindre les objectifs de stabilité, de sécurité démocratique et de paix qui sont au centre de ce traité et au cœur même de la construction européenne. La Convention-cadre permet l’expression et la reconnaissance de la différence, tout en admettant que l’identification de chaque individu peut être complexe, multiple et fonction de la situation, que les minorités sont diverses et que les situations évoluent avec le temps. Elle promeut l’égalité d’accès aux droits et aux ressources malgré les différences, et traduit la nécessité pour les États d’adopter une approche volontariste et des politiques claires dans ce domaine. En effet, comme nous l’avons entendu à Bucarest, ce n’est pas la reconnaissance de certains droits mais le refus ou l’absence d’accès à certains droits qui peut susciter des divisions, des tensions ou un sentiment de peur. La Convention-cadre a également pour finalité de renforcer l’interaction et l’inclusion sociales par-delà les différences, exprimant ainsi le fait (qui doit être reconnu tant par la société majoritaire que par les minorités) que les droits des minorités ne peuvent être protégés de manière efficace qu’au sein de sociétés intégrées et inclusives où la diversité est ancrée, valorisée et vécue 
			(22) 
			Voir le document <a href='https://pace.coe.int/documents/19879/3409170/AS-EGA-MIN-2018-PV-04-FR.pdf/506f3a84-6595-4901-b0d1-6557bae0f253'>AS/Ega/Min (2017) PV 04 </a>; voir également le Comité consultatif de la Convention-cadre, 10e rapport
d’activité couvrant la période du 1er juin 2014
au 31 mai 2016, Avant-propos de la présidente du Comité consultatif.
44. Il serait erroné de rejeter la ratification de la Convention-cadre en arguant que cela ne représente qu’un fardeau pour les États Parties. Au contraire, comme l’ont souligné les représentants du Comité consultatif lors de la réunion de la sous-commission sur les droits des minorités, qui s’est tenue à Paris le 27 octobre 2016, ceux-ci peuvent en tirer des bénéfices concrets. Premièrement, la ratification oblige l’État à consulter les personnes appartenant aux minorités nationales ou souhaitant être reconnues comme telles et à faire en sorte que celles-ci puissent donner leur avis, en particulier sur les questions qui les concernent. Cela renforce le dialogue entre les minorités et l’État et promeut la confiance et la compréhension mutuelles. Deuxièmement, la ratification incite les États à adopter des lois générales ou spécifiques pour promouvoir l’accès aux droits et lutter contre la discrimination, ainsi que des politiques et des stratégies visant à protéger les droits des personnes appartenant aux minorités nationales. Troisièmement, la participation de ces personnes à la vie économique et sociale peut ainsi se voir améliorée. Quatrièmement, les personnes appartenant aux minorités nationales qui estiment avoir été victimes d’une violation de leurs droits ont généralement davantage accès aux voies de recours internes dans les États qui ont ratifié la Convention-cadre.
45. Le mécanisme de suivi créé au titre de la Convention-cadre repose sur un processus d’action responsable et de dialogue constructif. L’objectif poursuivi, tout en tenant dûment compte des réalités historiques, sociales, économiques et politiques et en respectant l’intégrité territoriale et la souveraineté nationale des États, est d’aider à la fois les États et les personnes appartenant aux minorités nationales à identifier les solutions les mieux à même de favoriser le renforcement du régime de protection de leurs droits tout en assurant une meilleure intégration dans la société. Le rôle du mécanisme de suivi est de contribuer à créer un climat de tolérance et de dialogue au sein de la société, permettant à la diversité culturelle d’être une source et un facteur, non de division, mais d’enrichissement pour chaque société.
46. Enfin, je souhaite insister sur le fait que l’un des objectifs essentiels de la Convention-cadre consiste à veiller à ce que toutes les personnes appartenant aux minorités nationales puissent participer à tous les aspects de la vie en société sur un pied d’égalité avec les autres. Tous les États membres du Conseil de l’Europe, qu’ils soient ou non Parties à la Convention-cadre, devraient agir dans le but de parvenir à la pleine égalité des personnes relevant de leur juridiction et à l’absence de toute discrimination à leur égard. Dans cette optique, les États ont d’ailleurs adopté des lois anti-discrimination de plus en plus rigoureuses au fil des années. Ce processus devrait aboutir à la ratification du Protocole no 12 à la Convention européenne des droits de l’homme, qui prévoit une interdiction générale de la discrimination applicable au niveau international. À ce jour, cet instrument a été ratifié par 20 États membres. Parmi les 27 autres États membres, 18 ont signé mais n’ont pas ratifié le protocole et neuf États membres ne l’ont ni signé ni ratifié. J’encourage vivement ces 27 États à accélérer leurs démarches visant à ratifier le Protocole no 12.

6. Conclusions

47. Construire des sociétés dans lesquelles les minorités nationales peuvent exprimer librement, sûrement et de manière pacifique leur identité et leur culture nécessite des efforts concertés et une attention constante, de même qu’une adaptation permanente aux évolutions sociétales. Toutefois, ces efforts seront certainement récompensés, les sociétés devenant grâce à eux plus ouvertes, plus tolérantes et robustes, et par conséquent mieux à même de faire face aux défis posés par un monde qui est en constante évolution.
48. Une tendance inquiétante à la repolitisation de la protection des droits des personnes appartenant aux minorités nationales, à l’instrumentalisation de cette question et/ou à son analyse à travers le prisme de la sécurité semble aujourd’hui se dessiner en Europe 
			(23) 
			Comité consultatif
de la Convention-cadre, 11e rapport d’activité
couvrant la période du 1er juin 2016 au 31 mai 2018, Partie I: Tendances
et enjeux pour la protection des minorités en Europe.. Ce phénomène est regrettable puisqu’il peut tendre à créer une dynamique du «nous contre eux», à raviver des controverses dangereuses où des «États parents» justifient des interventions (quelle qu’en soit leur nature) sur le territoire de l’État de résidence des personnes appartenant aux minorités nationales selon des modalités contraires au droit international. Il est à souligner que la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) a déjà, dans son rapport de 2001 sur le traitement préférentiel des minorités nationales par leur État parent 
			(24) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-INF(2001)019-f'>CDL-INF(2001)019.</a>, examiné de manière approfondie les limites qui s’imposent en conformité avec le droit international aux interventions d’un État parent en faveur d’une minorité vivant dans un autre État.
49. Il convient, tel qu’il est prévu par la Convention-cadre, d’adopter une approche multilatérale et fondée sur les droits humains. Tous les États, et pas seulement les États parents, doivent dire leur inquiétude dès lors qu’un État empêche ou limite l’exercice des droits des personnes appartenant aux minorités nationales. Les États doivent concentrer leurs politiques en la matière sur l’avancement de la protection des droits des personnes appartenant aux minorités nationales et se garder d’introduire des lois qui restreindraient les droits déjà reconnus ou limiteraient l’exercice de ces droits puisque de telles mesures portent atteinte au niveau de protection garanti en vertu de la Convention-cadre.
50. Je suis fermement convaincu que la ratification de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales par chacun des 47 États membres du Conseil de l’Europe serait dans l’intérêt non seulement de toutes les personnes appartenant à une minorité nationale en Europe, mais aussi de tous les États membres. Aussi longtemps que cela n’aura pas été fait, l’absence de ratification de la Convention-cadre par certains États continuera à affaiblir la protection qu’elle peut apporter.
51. Certes, la pleine ratification de la Convention-cadre ne peut se faire sans volonté politique de la part des huit États membres qui n’y sont pas encore Parties, et il est essentiel d’entamer un dialogue sur la meilleure manière de progresser sur ce chemin. Je suis persuadé que l’Assemblée devrait aider les États à surmonter les obstacles rencontrés dans ce domaine. Par conséquent, mon rapport se propose depuis le départ comme un moyen de renouer un dialogue fondé sur l’ensemble des informations et analyses disponibles aujourd’hui quant aux implications de cette ratification. Bien que jusqu’à présent les États concernés n’aient saisi cette occasion que dans une faible mesure, j’espère que les éléments présentés dans mon rapport pourront fournir une base constructive pour la poursuite du dialogue et les prochaines étapes.
52. Ce dialogue doit bien sûr reposer sur une expertise certaine. Par les voix de ses représentantes qui ont participé depuis 2015 à plusieurs auditions tenues par la sous-commission sur les droits des minorités, le Comité consultatif de la Convention-cadre a précisé qu’il se tient prêt à fournir une source d’expertise. Différents biais ont été évoqués, qu’il s’agisse des échanges tenus avec des parlementaires nationaux au sein de la sous-commission, d’échanges directs avec les gouvernements, de conférences, tables rondes ou séminaires, ou en invitant les États intéressés à prendre part à un exercice de simulation de suivi montrant ce que suppose le fait de rédiger un rapport étatique et de recevoir des conseils, comme cela s’est déjà fait dans certains États pour la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
53. Le processus de préparation de ce rapport a montré une fois de plus que dans le domaine des personnes appartenant aux minorités nationales, il n’existe pas de solution toute faite. En même temps, il est apparu qu’une approche des enjeux pragmatique, fondée sur les droits et axée sur la création de sociétés intégrées, permet de trouver des solutions qui bénéficient non seulement aux personnes appartenant aux minorités nationales mais aussi à nos sociétés dans leur ensemble.
54. Je suis convaincu que les États qui ne sont pas Parties à la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales devraient réexaminer la situation dans leur pays, en tenant compte des avantages que présenterait la ratification de cet instrument pour leur société ainsi que pour la protection des droits des personnes appartenant à des minorités nationales à travers l’ensemble de l’Europe. Les recommandations formulées dans le projet de résolution se concentrent sur ces questions.

Annexe – Avis divergent de M. Mustafa Yeneroğlu (Turquie, GDL) 
			(25) 
			En application de l’article
50.4 du Règlement de l’Assemblée («En outre, le rapport d’une commission
comporte un exposé des motifs établi par le rapporteur. La commission
en prend acte. Les avis divergents qui se sont manifestés au sein
de la commission y sont inclus à la demande de leurs auteurs, de
préférence dans le corps même de l’exposé des motifs, sinon en annexe
ou dans une note de bas de page»)., membre de la commission

(open)

Le présent avis divergent se veut une réponse à certaines informations erronées du rapport sur la façon dont la Grèce applique le système de protection de la minorité turque. Par le présent avis, nous donnons notre propre point de vue sur les questions concernées.

Il est indiqué dans le rapport que la Grèce estime qu’une législation avancée, allant au-delà des exigences du Traité de Lausanne, et qu’un large éventail d’outils de protection des droits des minorités existent déjà. Il est aussi précisé que la Grèce considère qu’il n’y a pas de lacunes dans la protection législative accordée aux minorités sur son territoire. Bien que le gouvernement grec affirme se fonder au premier chef sur le Traité de Lausanne pour ce qui est de ses politiques à l’égard de la minorité turque de Thrace occidentale, le fait que la Grèce n’applique pas le Traité de Lausanne dans son intégralité en ce qui concerne les droits des minorités est largement établi. Certains problèmes touchant aux droits et aux libertés peuvent se résumer comme suit.

Au vu des faits concernant la situation en Thrace occidentale et des conditions de vie de la population turque musulmane de Rhodes et de Kos, les affirmations ci-dessus ne semblent pas fondées. L’identité ethnique des membres de la minorité a toujours été niée. Par conséquent, le droit de la minorité de créer des associations est aussi bafoué, car les ONG qui la représentent, dont l’appellation comprend l’adjectif «turc», continuent de pâtir de cette politique. La minorité s’attend à ce que ces ONG soient reconnues conformément aux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme. Elle ne peut pas non plus administrer ses fondations caritatives. Les muftis élus ne sont pas reconnus. Les autorités grecques ont intensifié les pressions juridiques exercées sur les muftis élus, ce qui constitue une violation des libertés et des droits religieux de la minorité. De nouvelles dispositions portant sur les pouvoirs des muftis désignés émanant de la loi islamique ont été adoptées (l’application de la loi islamique sera facultative. En cas de désaccord entre les parties, le droit civil prévaudra) sans que les muftis élus aient été consultés. La minorité craint que l’application des nouvelles dispositions porte atteinte au statut de la fonction de mufti tel que reconnu par les accords pertinents. Il est interdit d’ouvrir des écoles maternelles ou autres pour la minorité, à quelque niveau que ce soit. En raison de l’application de l’article 19, désormais abrogé, du Code grec de la citoyenneté, quelque 60 000 membres de la minorité ont été déchus de leur citoyenneté. Comme l’abrogation de cet article en 1998 n’a pas eu d’effet rétroactif, ils n’ont pas été réintégrés dans leur nationalité. La population turque musulmane de Rhodes et de Kos, privée du statut de minorité, demeure en outre confrontée à de graves restrictions dans l’exercice des droits et libertés fondamentaux au motif que ces îles étaient sous domination italienne lorsque le Traité de paix de Lausanne a été signé.

La situation générale en ce qui concerne les droits des minorités en Grèce n’est pas conforme aux normes du Conseil de l’Europe. Il conviendrait d’inviter instamment la Grèce à respecter les normes du Conseil de l’Europe qui ont trait aux minorités.