1. Introduction
1. En 2015, le nombre de personnes
déplacées dans leur pays a atteint 8,6 millions sur un total de 12,4 millions
de déplacés, d’où la nécessité de s’attaquer aux causes des migrations
massives dans les pays où la pauvreté, les conflits et les conditions
climatiques contraignent des communautés entières à fuir. Ce phénomène
a pris une ampleur dramatique dans le contexte de la guerre en Syrie,
mais d’autres conflits ont continué à aggraver la crise, notamment
en Afghanistan, au Burundi, en Irak, en Libye, au Niger et au Nigeria,
en Centrafrique, au Congo, au Soudan du Sud et au Yémen. Ces pays
devraient bénéficier d’une aide financière pour favoriser leur développement
durable.
2. Parallèlement, la population mondiale continue d’augmenter.
Celle de l’Afrique devrait doubler et dépasser les 2 milliards à
l’horizon 2050. D’ici à 2030, le nombre de jeunes Africains demandeurs
d’emploi incitera toujours plus de personnes à migrer vers les pays
voisins et, directement ou par effet domino, vers l’Europe. Une
fois encore, la mise en place de programmes d’aide ou de soutien
au développement dans les pays concernés devrait permettre la création
ou le rétablissement de structures politiques, économiques et sociales
durables et donner des perspectives aux populations touchées.
3. Le présent rapport repose sur le postulat suivant: même si
elle devrait avoir pour objectif premier de réduire les inégalités
et de partager les richesses, la coopération pour le développement
présente une caractéristique importante en ce sens qu’elle est aussi
un instrument majeur de régulation des migrations massives en provenance
des pays plus pauvres du continent africain. Il s’agit donc d’un
investissement qui contribuera à éviter une forte augmentation des
flux migratoires dans l’avenir, par le renforcement des capacités
régionales et l’aide au développement économique dans les pays moins
développés. Il est toutefois devenu clair au cours de mes recherches
que l’équation n’est pas simple, car la pauvreté elle-même est l’un des
principaux obstacles à la mobilité et l’un des avantages de la vaincre
est la possibilité de voyager et de se déplacer. Les effets des
flux migratoires doivent par conséquent être envisagés sur le long
terme et d’autres résultats en matière de développement doivent
être pris en compte, parmi lesquels la réduction du taux de natalité
par l’offre d’éducation et d’emploi aux femmes et la modification
de la conception traditionnelle du rôle des femmes dans la société.
4. Dans un monde idéal, la migration permettrait un véritable
exercice du droit à la «liberté de circulation» et ne serait pas
un dernier recours pour des populations exposées à des conflits
et à des épreuves mettant leur vie en danger. Il en est largement
ainsi dans les pays développés, mais non manifestement pour ceux
qui contribuent à la forte augmentation récente des flux migratoires,
pour lesquels des efforts beaucoup plus importants s’imposent.
5. Mes travaux de recherche reposent essentiellement sur la visite
que j’ai effectuée au Burkina Faso du 10 au 13 juillet 2018. Ce
pays d’Afrique de l’ouest est l’un des plus pauvres au monde, n’ayant
pas de ressources naturelles conséquentes et connaissant des conditions
climatiques extrêmes qui compliquent l’exploitation agricole. Cela
étant, sa gouvernance relativement stable et le succès en particulier
de certains des nombreux projets de développement à petite échelle
menés au niveau local m’ont permis de me faire une idée de bon nombre
des difficultés que la région rencontre pour se développer et de
comparer la viabilité de différents types d’initiatives.
6. Je tiens à remercier le Parlement du Burkina Faso d’avoir
organisé cette visite, en particulier M. Antoine Elysée Zong-Naba,
conseiller du Président, et Mme Isabelle
Chevalley, ma collègue au Parlement suisse qui mène des projets
de coopération avec ce pays depuis de nombreuses années, pour ses
conseils très précieux. Dans ce contexte, j’ai eu l’occasion de
rencontrer plusieurs ministres et représentants de directions ministérielles
clés, dont le ministre de la Jeunesse et la ministre de la Femme,
de la Solidarité nationale et de la Famille. J’ai eu avec le Président,
Roch Marc Christian Kaboré, qui m’a accordé une audience, une discussion
de fond sur le rôle du Burkina Faso sur la scène internationale
(dont la présidence à venir du G7 africain) et sur les difficultés
auxquelles le pays est confronté. Mme Chevalley
est aussi intervenue devant la commission des migrations, des réfugiés
et des personnes déplacées en janvier 2018. Les principales conclusions
de cette visite sont présentées ci‑après. Le pays a servi d’étude
de cas pour ce rapport et m’a permis d’élaborer quelques recommandations
pratiques contenues dans le projet de résolution.
7. L’audition organisée le 4 juin 2018 à Paris avec Mme Rachel
Scott, à la tête de l’équipe conflits, fragilités et résilience
de la Direction de la coopération pour le développement de l’Organisation
de coopération et de développement économiques (OCDE), a aussi été
très utile pour la rédaction du rapport. La compréhension des problèmes
qu’a Mme Scott et la discussion qui a
suivi ont permis d’étudier les principales tendances de la coopération
pour le développement et de mieux comprendre certaines des conditions
nécessaires à sa mise en œuvre avec succès.
2. Définitions
8. Le Comité d’aide au développement
(CAD) de l’OCDE définit cette aide comme tous les apports de ressources
fournis aux pays et territoires sur sa liste des bénéficiaires d’aide
publique au développement (APD) ou à des institutions multilatérales
émanant d’organismes publics, y compris les États et les collectivités locales,
ou d’organismes agissant pour le compte d’organismes publics. Chaque
opération a pour but de favoriser le développement économique et
l’amélioration du niveau de vie des pays en développement, est assortie
de conditions favorables et comporte un élément de libéralité au
moins égal à 25 %. Le financement de matériels ou de services militaires
n’est pas comptabilisable dans l’APD. Les activités de lutte contre
le terrorisme sont aussi exclues. Cela étant, les dépenses afférentes
à l’utilisation des forces armées des donneurs pour acheminer l’aide
humanitaire peuvent être prises en compte. La majeure partie des
dépenses relatives au maintien de la paix est exclue de l’APD.
9. Au cours de mes recherches, j’ai constaté que le terme «coopération»,
qui implique une progression, correspondait mieux au type d’assistance
fournie que le terme «aide», qui sous-entend la pleine participation des
pays bénéficiaires aux phases de conception, de planification et
de mise en œuvre des programmes, sur la base d’une évaluation précise
et fiable des besoins à partir des données du terrain. C’est pourquoi
j’ai obtenu l’autorisation de la commission de changer le titre
du rapport pour remplacer le terme «aide» par «coopération».
10. Le présent rapport porte sur la coopération pour le développement
apportée par l’intermédiaire des institutions internationales qui
en sont les principaux canaux de mise en œuvre sur lesquels les
États membres exercent un pouvoir de décision, mais aussi sur des
projets à plus petite échelle qui peuvent servir d’exemples de bonnes
pratiques. Les initiatives privées jouent également un rôle majeur
dans le développement, tout comme les envois individuels de fonds
par les diasporas des pays bénéficiaires. Bien que leur analyse
soit plus complexe, les politiques nationales peuvent contribuer
à faciliter ces relations individuelles et entrepreneuriales entre
les continents tout en veillant à faire en sorte que ces activités
soient exercées légalement et servent au mieux les intérêts de la
population des pays concernés.
3. Problèmes
de la coopération pour le développement
3.1. De
l’assistance humanitaire à la coopération pour le développement
11. La transition de l’assistance
humanitaire d’urgence à des programmes destinés à gérer durablement
les migrations et apporter une aide afin que les jeunes aient un
avenir dans leur propre pays a été examinée, en partie, dans le
rapport de 2017 de M. Cezar Florin Preda sur «Les possibilités d’améliorer
le financement des situations d’urgence impliquant les réfugiés»
. M. Preda souligne les difficultés
liées au partage des responsabilités financières et à l’efficacité
du ciblage et de l’affectation des fonds disponibles. La plupart
des recommandations figurant dans la
Résolution 2164 (2017) peuvent aussi s’appliquer au domaine de l’aide au développement:
transparence accrue et simplification des exigences de notification ;
rationalisation des données et évaluations impartiales des besoins;
soutien et financement pour les acteurs locaux et nationaux; renforcement
de l’utilisation et de la coordination des allocations en espèces
et accentuation de la participation des acteurs locaux et des bénéficiaires.
12. La résolution appelle à «la multiplication des contacts entre
les acteurs de l’humanitaire et ceux du développement», ce qui renvoie
à la transition difficile dans certains pays et contextes entre
les programmes d’intervention d’urgence adoptés en période de crise
et les projets de développement durable à plus long terme, qui doivent
faire l’objet d’une planification et d’un contrôle plus rigoureux.
Des organisations comme l’OCDE appellent aussi au développement
des activités transversales et de la coopération entre les différents acteurs
contribuant à la gestion des crises à long terme et au renforcement
des capacités.
3.2. Conséquences
négatives d’une aide humanitaire prolongée
13. L’aide au développement est
au centre de plusieurs questions complexes relatives à la gestion
des migrations, car elle fait partie des solutions possibles au
problème de la gestion des flux migratoires vers l’Europe. La notion
d’aide au développement comme moyen d’apporter un soutien aux pays
en développement sortant d’un conflit et touchés par les changements
climatiques pour qu’ils bâtissent des sociétés durables et éliminent
la pauvreté est nécessairement invoquée par opposition à la notion
d’aide humanitaire considérée comme une mesure d’urgence destinée
à faire face aux catastrophes et aux crises majeures qui se produisent.
14. L’examen des effets de l’aide humanitaire gratuite sur les
économies locales montre bien pourquoi il est nécessaire de remplacer
rapidement les mesures d’urgence destinées à sauver des vies par
des mesures contribuant au développement. Lorsque les camps de réfugiés
et les centres d’accueil de migrants sont situés à une certaine
distance des zones urbaines, la distribution gratuite de nourriture
et d’autres biens est souvent considérée comme une nécessité et
comme un moyen de contrôler la vie quotidienne des migrants, des réfugiés
et des personnes déplacées. Cela a conduit dans certains cas à des
phénomènes de traite et de revente organisée de l’aide. Lorsque
les migrants et les réfugiés vivent au sein de communautés, toute
aide gratuite entraîne rapidement des perturbations majeures des
marchés locaux, régionaux, voire nationaux de biens et de produits.
15. Les distributions gratuites, comme première mesure destinée
à sauver des vies, devraient en conséquence être réservées aux situations
d’urgence. Les systèmes de bons d’échange et les paiements en espèces
sont un moyen bien plus viable de garantir un niveau de vie de base
et peuvent devenir un moteur économique pour le pays de transit
ou de destination tout en réduisant, du moins dans une certaine
mesure, le risque de trafic de marchandises et la corruption à grande
échelle. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés
(HCR), qui a vu cette transition, fait reposer l’assistance qu’il
apporte dans les centres et camps de réfugiés sur ces types d’aide.
Nous avons pu le constater lorsque nous nous sommes rendus, en mars
dernier, dans le camp de réfugiés de Zaatari en Jordanie.
3.3. Coopération
sélective: la « règle du bâillon mondial » et les autres restrictions
à la coopération
16. Certains pays subordonnent
leur assistance au respect de certaines conditions économiques ou idéologiques.
À cet égard, le problème le plus grave est lié au respect de ce
qu’il est convenu d’appeler la «règle du bâillon mondial» appliquée
par les États-Unis. Cette règle interdit aux ONG qui bénéficient
de l’assistance sanitaire mondiale américaine de procéder à des
avortements légaux, d’offrir des services ou des conseils en matière
d’avortement et de mener des activités de plaidoyer pour une réforme
de la loi sur l’avortement. En 2017, la politique du Président,
Donald Trump, «Protéger la vie dans le cadre de l’assistance sanitaire
mondiale» a renforcé la règle du bâillon mondial et l’a appliquée
à l’ensemble des $US 8,8 milliards alloués au financement de la
santé mondiale, y compris le VIH et le SIDA, le renforcement des
systèmes de santé et même les programmes sur l’eau, l’assainissement
et l’hygiène. Il en résulte des services de santé reproductive insuffisants
pour les femmes, des grossesses non désirées ainsi qu’une hausse du
taux de mortalité liée à la maternité et des avortements pratiqués
dans des conditions dangereuses. Par ailleurs, la règle du bâillon
mondial n’a pas diminué le taux d’avortement global, mais elle a
augmenté le nombre d’avortements risqués.
17. Certains pays appliquent d’autres restrictions, moins radicales.
D’autres subordonnent l’aide au développement à un accès exclusif
à des marchés, à des ressources naturelles ou à des produits manufacturés ;
la réussite économique des pays bénéficiaires est alors dépendante
de celle des pays donateurs, et ce bien après la fin du financement
des programmes. Si une certaine réciprocité peut être envisagée
et contribue à structurer les circuits et les débouchés commerciaux
pour faire place à l’innovation, les résultats escomptés devraient
être proportionnés à l’assistance fournie. Les problèmes liés à
ce que l’on appelle «immigration d’investisseurs», c’est-à-dire
les droits de citoyenneté ou de résidence dans un pays accordés
en échange d’investissements, seront abordés dans un nouveau rapport
sur la question, qui est en cours de préparation par la commission
.
3.4. Utilisation,
abusive ou non, de l’aide pour le développement pour l’accueil et
l’intégration des migrants
18. Une règle du CAD de 1988 autorise
les pays donateurs à comptabiliser dans l’APD certaines dépenses consacrées
aux réfugiés pendant la première année qui suit leur arrivée. L’APD
a joué un rôle essentiel dans la prise en charge des frais de subsistance
temporaire des réfugiés dans les pays les moins avancés qui accueillent
86 % des réfugiés dans le monde. L’Allemagne, l’Autriche, la Grèce
et l’Italie, par exemple, ont employé 20 % de l’APD pour la prise
en charge du coût des réfugiés.
19. La gestion des migrations est désormais utilisée pour justifier,
auprès du public, les dépenses consacrées à l’aide et à la coopération
et est présentée comme un moyen de réduire l’immigration en Europe, évitant
ainsi l’entrée de terroristes et l’extrémisme violent. L’objectif
initial du développement, qui consiste à rendre le monde meilleur
en éliminant la pauvreté, ne suffit plus à justifier le financement.
Ce raisonnement a eu des effets sur le développement et sur l’aide
et a même réduit, pendant un certain temps, les montants alloués
aux programmes sans rapport avec les migrations. Selon Mme Rachel
Scott de l’OCDE, cette tendance s’est stabilisée. Par ailleurs,
les populations de réfugiés et de migrants des pays les plus pauvres
pèsent sur les mécanismes de survie et l’aide aux migrations peut
réellement contribuer au développement lorsque les investissements
prennent en compte toutes les parties prenantes.
20. L’un des problèmes de la coopération pour le développement
est sa répartition inégale et son succès variable selon les structures
de gouvernance des pays bénéficiaires. Les États donateurs au passé
colonial auront conservé des relations avec leurs anciens sujets
et tendront en conséquence à préférer contribuer au développement
de ces pays alors que l’aide internationale au développement soit
se concentrera sur des objectifs géostratégiques soit ira à des
pays qui en ont besoin, indépendamment des structures politiques
et démocratiques en place pour assurer une mise en œuvre équitable
et efficace.
21. Dans plusieurs États membres de l’Union européenne, les coûts
d’accueil de réfugiés ont été imputés au budget de la coopération
pour le développement, précisément les fonds réservés à la lutte
contre la pauvreté et les inégalités. Ces dernières années, des
pays comme les Pays-Bas ou l’Italie ont dépensé 25 % à 30 % de leur
budget d’aide au développement la première année où ils ont accueilli
des demandeurs d’asile. Cela est compréhensible dans une certaine
mesure, car environ 1,5 million de personnes, soit le nombre le plus
élevé jamais enregistré, ont demandé l’asile dans des pays de l’OCDE
en 2015 au plus fort de la crise de la gestion des migrations.
22. En France, les activités militaires sont complétées par l’aide
au développement qui, d’après le Président Emmanuel Macron, est
trop peu appréciée dans la lutte contre la radicalisation islamiste.
L’Alliance pour le Sahel a récemment été créée pour lancer des programmes
en faveur de l’agriculture, de l’investissement et de l’éducation
dans la région. Le Gouvernement français a annoncé une augmentation progressive
des dépenses d’aide au développement en Afrique et au Moyen-Orient,
qui passeront de 0,38 % du produit intérieur brut (PIB) actuellement
à 0,55 % d’ici à 2022. Cependant, certains signes (et critiques) indiquent
que les dépenses de développement à l’extérieur du pays ont entraîné
une réduction du budget consacré à l’élimination de la pauvreté
au niveau national.
3.5. Les
pays en développement: pays de destination, mais aussi pays d’origine
23. Une autre façon pour le développement
de servir d’outil puissant de gestion des migrations consiste à aider
les pays pauvres à mettre en œuvre des politiques migratoires efficaces
et à tirer profit du potentiel de migration des pays limitrophes
plutôt que d’accroître la pression exercée sur leurs économies affaiblies.
24. Trois pays africains, à savoir l’Ouganda, le Kenya et l’Éthiopie
(respectivement bénéficiaires de 3,2 %, 4,9 % et 7 % de l’aide des
États membres du CAD de l’OCDE) répondent efficacement aux besoins
liés à la gestion des migrations. L’Ouganda est l’un des pays d’accueil
les plus progressistes au monde en matière d’accueil de réfugiés ;
il leur accorde en effet le droit de circuler librement et de travailler.
Le fait d’autoriser des réfugiés ruraux à cultiver des parcelles
de terre dans des régions sous-peuplées a permis de soutenir le développement
du pays. À la fin des années 1990, l’approche a été définie officiellement
comme une «stratégie d’autosuffisance». Les réfugiés tout comme
la communauté d’accueil en sont les bénéficiaires: les réfugiés
peuvent créer des entreprises et nombre d’entre eux font du commerce
avec les citoyens du pays d’accueil ou les emploient. Le nombre
de réfugiés dans le pays a atteint 1,4 million pendant les récents
conflits au Soudan du Sud et au Congo, mais le gouvernement a maintenu
sa politique et, tandis que de nouveaux camps étaient installés,
le droit de travailler a favorisé le développement de nouveaux bourgs
locaux source d’opportunités pour de nombreux Ougandais.
25. La «politique de cantonnement» du Kenya n’autorise pas les
500 000 réfugiés à travailler et à circuler librement, mais de récents
progrès ont permis l’ouverture d’un nouveau camp de réfugiés à Kalobeyei,
selon un modèle d’autosuffisance similaire à celui de l’Ouganda.
Le camp a élargi les possibilités offertes à l’agriculture et à
l’entrepreneuriat et il a permis un partage du marché entre les
réfugiés et la population locale, ce qui s’est traduit par des revenus
plus élevés et une meilleure sécurité alimentaire. L’Éthiopie évolue
aussi progressivement vers l’autosuffisance puisqu’elle prévoit
d’autoriser les 900 000 réfugiés qu’elle compte à travailler et
à circuler librement. Avec l’aide de la coopération pour le développement,
l’Afrique est désormais de mieux en mieux armée pour gérer les migrations
sur le continent et rendre les communautés d’accueil autonomes.
4. Les
organisations internationales et la coopération pour le développement
4.1. Nations
Unies
26. Les Nations Unies ont adopté,
le 21 octobre 2015, le Programme de développement durable à l’horizon 2030,
dans lequel la contribution positive des migrants à la croissance
inclusive et au développement durable est reconnue et les migrations
internationales sont considérées comme constituant «une réalité pluridimensionnelle
qui a une grande importance pour le développement des pays d’origine,
de transit et de destination et qui appelle des réponses cohérentes
et globales».
27. Les États membres se sont engagés à coopérer à l’échelle internationale
pour faire en sorte que les migrations se déroulent en toute régularité,
dans la sécurité et en bon ordre. Cette coopération devra aussi s’attacher
à renforcer la résilience des communautés d’accueil, notamment dans
les pays en développement. L’objectif 10 du programme vise à «réduire
les inégalités dans les pays et d’un pays à l’autre».
28. Les 17 objectifs de développement durable des Nations Unies
ont pris effet en janvier 2016 pour orienter les politiques et le
financement au cours des 15 années à venir. Ils s’appuient sur les
objectifs
du Millénaire pour le développement pour y ajouter de nouveaux domaines comme les changements
climatiques, les inégalités économiques, l’innovation, la consommation
durable, la paix et la justice. Ils sont établis pour guider l’action
à mener dans les cinq domaines majeurs définis par le Programme
de développement durable à l’horizon 2030 que les Nations Unies
ont adopté, à savoir l’humanité, la planète, la prospérité, la paix
et les partenariats
. Le but annoncé d’éliminer la pauvreté
est au centre du Programme 2030, de même que l’idée selon laquelle
le monde entier devrait s’engager sur la voie d’un développement
plus prospère et durable. Le rapport examinera la manière dont les
nouvelles politiques des Nations Unies seront mises en œuvre par l’Organisation.
4.2. Union
européenne
29. Les objectifs du Millénaire
pour le développement des Nations Unies ont défini le cadre de l’action
de l’Union européenne et de ses États membres qui s’efforcent de
lutter contre la pauvreté et de promouvoir l’égalité de genre et
la sauvegarde de l’environnement. Les nouveaux Objectifs de développement
durable adoptés en septembre 2015 sont un nouveau pas dans cette
direction, élargissant et approfondissant les cibles fixées et les
rendant applicables aux pays en développement comme aux pays développés.
À cette fin, la cohérence des politiques relatives au développement
devrait devenir un moteur de l’élaboration des politiques de l’Union
européenne, le but étant de renforcer la cohérence des politiques
extérieures elles‑mêmes, grâce à des instruments financiers plus
cohérents et mieux coordonnés, ainsi que celle des politiques intérieures
et extérieures de l’Union européenne.
30. L’instrument de coopération au développement de l’Union européenne
dispose d’un budget annuel de 19 700 millions d’euros et la rubrique
consacrée à l’aide humanitaire est dotée d’un budget de 6 621 millions d’euros.
Enfin, le Fonds européen de développement (FED), doté d’un budget
de 30 506 millions d’euros pour la période 2014-2020 financé directement
par les États membres en dehors du budget de l’Union européenne, est
le principal instrument financier de la politique de coopération
de l’Union européenne pour le développement.
31. La critique de la récente priorité que l’Union européenne
a accordée à la sécurité porte essentiellement sur la nécessité
de veiller à ce que l’aide au développement soit utilisée conformément
à son objectif initial, en tenant dûment compte du principe de l’efficacité
de l’aide et des activités de développement. L’inefficacité des systèmes
de suivi et d’évaluation rend aussi difficile l’évaluation des résultats
bien que des rapports de commissaires aux comptes aient mis en évidence
des résultats positifs en ce qui concerne les politiques de développement
de l’Union européenne. Malgré le soutien constant à la coopération
pour le développement de l’Union européenne, l’augmentation du budget
alloué à la protection des frontières de l’Europe a un effet négatif
sur les budgets consacrés à l’aide aux pays non européens.
32. D’après une tribune de l’
EUobserver , la proposition de plan européen
d’investissement pour l’Afrique a été présentée par la Commission
européenne en 2017 pour freiner les migrations de l’Afrique vers
l’Europe en favorisant la croissance économique, l’emploi et le
développement du secteur privé. L’idée serait d’utiliser les 3,35
milliards d’euros destinés à l’aide publique au développement afin
de mobiliser jusqu’à 44 milliards d’euros d’investissements du secteur
privé en Afrique en tant que «contribution essentielle pour s’attaquer
aux causes profondes des migrations».
33. Cela semble indiquer que la maîtrise des flux migratoires
est devenue l’objectif premier de la coopération pour le développement
de l’Union européenne, ce qui serait contraire au Traité de Lisbonne
qui dispose que: «L’objectif principal de la politique de l’Union
[dans le domaine de la coopération pour le développement] est la
réduction et, à terme, l’éradication de la pauvreté.» Le sacrifice
de l’aide au développement à des intérêts à court terme en matière
de migration intervient à un moment où il est urgent de mettre pleinement
en œuvre le Programme 2030, au vu en particulier des 750 millions
de personnes pauvres et vulnérables, dont la moitié vit en Afrique.
34. Si l’on prend l’exemple du Burkina Faso, les objectifs et
les programmes du partenariat avec l’Union européenne dans le cadre
du 11e Fonds européen de développement
et les réalisations du 10e Fonds de développement,
doté de 708 millions d’euros destinés à améliorer les infrastructures
et l’accès à l’eau et à l’assainissement ainsi qu’à promouvoir la
gouvernance politique, démocratique et locale, semblent conformes aux
objectifs de développement et axés sur le renforcement des capacités
du pays. Je dois toutefois avouer que je n’ai guère vu de signes
d’amélioration, ce qui ne veut pas dire qu’il n’en existe pas, mais
plutôt qu’il faut investir beaucoup plus.
35. Ces analyses apparemment contradictoires sont la preuve de
la nécessité d’équilibrer les dépenses budgétaires de l’Europe et
de planifier des programmes transversaux ; si le développement doit
avoir une influence sur les flux migratoires en offrant des perspectives
aux pays sous-développés, il est impossible de réduire les fonds
pour payer les conséquences de cette migration.
5. Rôle
de la société civile et des initiatives privées
36. J’ai pu constater, lorsque
je me suis rendu au Burkina Faso, les effets positifs du travail
associatif et même individuel sur le terrain.
37. Depuis ma visite, j’ai noté avec une grande satisfaction que
l’un des lauréats du Right Livelihood Award (prix Nobel alternatif)
2018, Yacouba Sawadogo, est un paysan du Burkina Faso qui a utilisé
une technique traditionnelle de captage de l’eau dans des trous
creusés dans le sol pour inverser la désertification. J’ai vu la mise
en œuvre de plusieurs initiatives de ce type aux niveaux local et
régional, en particulier celles de la Chambre régionale d’agriculture
du Nord avec son projet «Promouvoir une agriculture durable dans
la région du Nord: les producteurs au service des besoins» et du
collectif agricole «Burkina vert», qui permet aux agriculteurs d’utiliser
plus efficacement les ressources en eau. J’ai aussi rencontré un
groupe de femmes travaillant à la transformation des aliments destinés
à l’exportation, qui employait plus de 20 femmes et, par leur intermédiaire,
leurs familles. Tous mes interlocuteurs ont insisté sur la nécessité
d’accroître les ressources consacrées à l’éducation et à la formation
professionnelle.
38. Il ressort des exemples ci-dessus que le financement du développement
doit être davantage axé sur le soutien de projets locaux et régionaux
déjà bien définis par les acteurs locaux et exécutés sur les territoires bénéficiaires,
plutôt que sur l’importation de nouveaux projets moins adaptés aux
réalités du terrain. Or les projets semblaient plutôt dépendre du
soutien périodique d’acteurs de la société civile et/ou de donateurs privés.
Un soutien international plus important s’ajouterait à ces sources
de financement et assurerait une plus grande durabilité.
39. Lors des discussions menées au sein de notre commission et
de la réunion que nous avons organisée en mars 2018 en Jordanie,
nous avons aussi appris que de petites organisations de la société
civile mettaient par exemple en place, à l’adresse des femmes syriennes
et jordaniennes, des formations destinées à les aider à lancer une
activité.
5.1. Envois
de fonds
40. D’autres types de flux financiers
ont des effets sur les migrations ; les envois de fonds sont à la
fois le produit des migrations et la raison pour laquelle il faut
régler le problème. L’objectif 10 c des objectifs de développement
durable des Nations Unies vise à «d’ici à 2030, faire baisser au-dessous
de 3 % les coûts de transaction des envois de fonds effectués par
les migrants et éliminer les couloirs de transferts de fonds dont les
coûts sont supérieurs à 5 %»
. Cela montre que l’Organisation est
consciente de l’importance des envois de fonds pour les pays en
développement (voir le rapport de M. Preda qui montre que les transferts
de fonds pris dans leur ensemble représentent plus que tous les
autres types de budget de développement pour le continent africain).
5.2. Prêts
et micro-crédits
41. Bien qu’il ne soit pas spécifiquement
lié à la coopération pour le développement, le recours accru à l’aide en
espèces aux migrants est aussi un moyen de garantir des conditions
de vie décentes aux migrants dans les pays en développement tout
en étant profitable aux économies des pays d’accueil. Les programmes
de paiements électroniques («Mobile Money»)
du HCR sont particulièrement intéressants à cet égard, par exemple
au Niger et dans d’autres régions d’Afrique occidentale. Ils montrent
également qu’il est possible de coordonner efficacement les différents
types d’actions en faveur de plans de développement cohérents.
42. Lorsque je me suis rendu au Burkina Faso, j’ai constaté qu’il
existe des microcrédits dans le pays, mais que leurs conditions
d’octroi sont souvent trop restrictives – leurs taux d’intérêt et
leurs conditions de ressources en bloquent l’accès, en particulier
aux femmes. Il m’a semblé nécessaire d’adapter leur développement
aux besoins présents et d’évaluer les conditions d’octroi en fonction
de chaque contexte.
6. Conclusions
43. Il est réellement nécessaire
de poursuivre l’élaboration d’un discours cohérent sur la migration
et le développement afin d’obtenir des résultats en matière de développement
et de faire en sorte que les migrations se déroulent en toute régularité,
dans la sécurité et en bon ordre. Les parlements nationaux devraient
œuvrer à la promotion de politiques de développement à l’échelle
internationale, nationale et régionale. Les investissements visant
à améliorer la vie dans les pays les moins développés devraient
demeurer prioritaires par rapport aux préoccupations plus immédiates
en matière de sécurité, qui résultent principalement de l’incapacité
à aider les pays d’origine à traiter les problèmes qui en sont à
l’origine.
44. Je tiens également à souligner que la prévention est la solution.
Au Burkina Faso, l’accent a surtout été mis sur la nécessité d’améliorer
l’éducation et la formation et de les rendre plus accessibles. Le
centre de formation professionnelle que j’ai visité ne fonctionnait
pas à plein régime en raison de frais d’inscription qui, sans être
très élevés, demeurent prohibitifs pour de nombreux jeunes étudiants
potentiels. Partout où je me suis rendu dans le pays, la nécessité
d’une éducation plus accessible, généralisée et professionnelle
s’est fait sentir. Pareille éducation est également indispensable
pour venir à bout des habitudes traditionnelles qui freinent le
progrès, comme les méthodes agricoles inefficaces et la hausse du
taux de natalité, le fait d’avoir de nombreux enfants étant considéré
comme un signe de féminité accomplie et une source de subsistance
à venir des familles à travers l’emploi.
45. Il faut aussi mettre en œuvre des programmes de développement
sans donner aux gouvernements des pays bénéficiaires l’impression
qu’eux-mêmes n’ont pas besoin d’investir dans la protection sociale.
Plusieurs pays sont tombés dans ce régime de «subventionnement»,
d’où la nécessité d’être plus attentif, au moment de prendre des
décisions, à la destination des investissements et à la nature des
incitations à offrir. C’est à ce niveau que le concept de «coopération»
revêt toute son importance et que des enseignements devraient être tirés
des échecs précédents par une analyse d’impact approfondie.
46. Les gouvernements et les organisations doivent répartir les
budgets aussi rapidement que possible et accorder plus d’attention
aux meilleures pratiques ainsi qu’aux nouveaux projets novateurs.
47. Enfin, mes recommandations entendent montrer que l’efficacité
de l’aide passe par une plus grande cohésion multilatérale et multisectorielle
de toutes les acteurs travaillant sur le terrain, et ce dans les
différents domaines d’action.