1. Je ne peux que féliciter M. Klich
pour son rapport, qui dresse le bilan des réformes menées au Maroc entre
juin 2015 et octobre 2018 et de la mise en œuvre des engagements
politiques souscrits par son parlement en juin 2011. Avec l’adoption
de la quasi-totalité des lois organiques prévues par la Constitution
de 2011, ce pays a fait de réels progrès dans le domaine de l’État
de droit et quant à l’instauration des institutions chargées de
la promotion des droits de l’homme. En outre, le partenariat pour
la démocratie avec l’Assemblée fonctionne de manière satisfaisante.
2. Je souhaiterais néanmoins proposer quelques modifications
au projet de résolution, afin d’en compléter les aspects liés au
respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales au Maroc.
Dans ses avis sur les deux rapports précédents de la commission
des questions politiques et de la démocratie de 2013 et 2015
, notre ancien collègue de la commission M. Jordi
Xuclà avait souligné un certain nombre de préoccupations en matière
de droits de l’homme. Malheureusement, la plupart d’entre elles
demeurent valables aujourd’hui, à la lumière des informations provenant
des médias et des rapports des Nations Unies et de plusieurs organisations
non gouvernementales (ONG) internationales et nationales de premier
plan. En outre, je souhaiterais que nous encouragions davantage
les autorités marocaines à abolir entièrement la peine de mort, un
engagement auquel le parlement marocain a souscrit en devenant un
partenaire pour la démocratie auprès de l’Assemblée en 2011.
1. Amendement A
(au projet de résolution)
Note explicative
3. Cet amendement tend à souligner
qu’en dépit de la mise en œuvre depuis 1993 d’un moratoire de fait sur
les exécutions, les tribunaux marocains continuent de prononcer
des condamnations à mort, comme indiqué dans le dernier rapport
de M. Klich
. Selon le
rapport
d’Amnesty International sur les condamnations à mort et les exécutions
en 2017 (paru en avril 2018), il s’agit d’au moins 95 personnes
et la Coalition mondiale contre la peine de mort (World Coalition
against the Death Penalty) estime aussi que 95 personnes demeurent sous
le coup de cette peine
.
4. Selon Amnesty International, en 2015, neuf personnes ont été
condamnées à mort au Maroc et au Sahara occidental
.
En 2016, ce chiffre s’élevait à six et certains condamnés à mort
ont bénéficié de commutation ou de grâces
.
En 2017, au moins 15 personnes ont été condamnées à mort et les
autorités ont accordé quatre commutations de peine
. D’autres condamnations
ont été également prononcées dans le courant de 2018.
En janvier 2019,
le roi a gracié un prisonnier condamné à mort
.
5. Dans le nouveau projet de Code pénal, la peine capitale reste
prévue pour 11 crimes
. En décembre 2016,
le Comité des droits de l’homme des Nations Unies s’est inquiété
des propositions de modifications du Code pénal visant à étendre
le champ de l’application de la peine de mort à trois nouvelles
catégories de crimes (malgré une réduction d’infractions passibles
de peine capitale); ces inquiétudes ont été réitérées par Amnesty
International en septembre 2017
. Le 17 décembre
2018, lors du vote à l’Assemblée générale des Nations Unies sur
sa dernière (septième résolution) sur un moratoire sur l’application
de la peine de mort
,
la délégation du Maroc s’est abstenue de voter.
2. Amendement B
(au projet de résolution)
Note explicative
6. L’amendement a pour objet d’encourager
les autorités marocaines à signer et à ratifier le
Deuxième Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits
civils et politiques visant à abolir la peine de mort, adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies à
New York le 15 décembre 1989. Rappelons que cet instrument juridique,
auquel 86 États sont Parties, prohibe les exécutions et engage les États
Parties à «prendre toutes les mesures voulues pour abolir la peine
de mort dans le ressort de sa juridiction». Une adhésion éventuelle
du Maroc à ce protocole facultatif constituerait un pas en avant
dans le processus de l’abolition de la peine capitale et démontrerait
davantage son engagement dans ce domaine
.
3. Amendement C
(au projet de résolution)
Note explicative
7. Cet amendement vise à encourager
les autorités marocaines à finaliser rapidement l’instauration du Mécanisme
national de prévention de la torture (MNPT) au sein du Conseil national
des droits de l’homme (CNDH), prévue par la loi no 76-15
de février 2018 (voir paragraphe 51 du rapport de M. Klich), notamment
au vu des allégations de torture et traitements inhumains et dégradants
ou l’utilisation d’aveux obtenus à la suite de tels traitements
(voir ci-dessous), ainsi que la mise en œuvre d’autres dispositions
prévues par ladite loi.
4. Amendement D
(au projet de résolution)
Note explicative
8. Cet amendement cherche à souligner
que les points concernant le respect des droits de l’homme ont été
rapportés non seulement par la société civile, mais aussi par les
organes des Nations Unies et les médias. En outre, il convient d’appeler
les autorités marocaines à respecter non seulement la liberté d’expression,
la liberté de la presse et le droit d’association, mais tous les
droits de l’homme et libertés fondamentales (tels que garantis dans
les instruments juridiques internationaux auxquels la Maroc a adhéré).
En outre, cet amendement met l’accent sur la nécessité d’assurer
aux défenseurs des droits de l’homme, à la société civile et aux
médias un environnement propice à leur action, vu les cas et les
problèmes mentionnés ci-dessus (voir Amendement E).
5. Amendement E
(au projet de résolution)
Note explicative
9. Cet amendement tend à mettre
l’accent sur la situation des droits de l’homme au Maroc. Dans sa
Résolution 2061 (2015), l’Assemblée s’est montrée préoccupée par «l’insuffisance
de progrès relatifs aux sujets d’inquiétude évoqués» dans la
Résolution 1942 (2013), tels que le recours à la torture, les traitements inhumains
ou dégradants, les mauvaises conditions de détention, les violations
des libertés d’expression, d’association et de réunion pacifique
. Selon les informations provenant
des Nations Unies, des ONG internationales et nationales militant
en faveur des droits de l’homme et des médias, ces questions sont toujours
d’actualité.
10. En ce qui concerne la torture et les traitements inhumains
ou dégradants à l’encontre des personnes privées de liberté, plusieurs
cas ont été reportés en dépit de l’adhésion du Maroc, en novembre
2014, au Protocole facultatif se rapportant à la Convention des
Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants. Des allégations graves d’abus à
cet égard continuent d’être signalées
.
En octobre 2017, le Sous-comité pour la prévention de la torture
(SPT) des Nations Unies a effectué sa première visite dans le pays,
afin d’apporter son conseil et appui pour l’établissement d’un mécanisme
national de prévention de la torture. Dans ses observations de décembre
2016, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies demeurait
préoccupé par la persistance d’allégations d’actes de torture ou
de mauvais traitements perpétrés par des agents de l’État au Maroc
et au Sahara occidental, en particulier sur des personnes soupçonnées
de terrorisme, ou de menace à la sûreté de l’État ou l’intégrité
territoriale
. Le
rapport 2017/2018 d’Amnesty International dénonce de nouveau de
telles allégations ainsi que l’existence d’une culture d’impunité
.
Selon cette ONG, les tribunaux ont retenu à titre de preuve à
charge des déclarations faites en détention en l’absence d’un avocat,
sans enquêter en bonne et due forme sur les allégations selon lesquelles
ces déclarations auraient été arrachées sous la torture et d’autres
mauvais traitements infligés par les forces de l’ordre. Cela aurait
été le cas notamment lors du procès des leaders du Hirak (mouvement
de protestation socioéconomique né en 2016 dans la région du Rif).
En juin 2018, 53 activistes de ce mouvement ont été condamnés en
première instance à des peines allant jusqu’à 20 ans de prison.
Le tribunal a retenu comme preuves les «aveux» des accusés, qui
ont essayé de les réfuter en alléguant que ces «aveux» avaient été
obtenus sous la contrainte, et n’a pas expliqué pourquoi il avait
écarté des rapports médicaux suggérant qu’au moins une partie des
accusés avaient subi des violences policières pendant ou après leurs
arrestations
. En outre, des allégations
de torture ont été écartées dans d’autres procès, notamment dans
l’affaire des affrontements meurtriers en 2010 à Gdim Izik (Sahara
occidental)
.
11. En outre, selon Amnesty International, les autorités n’ont
pris aucune mesure pour remédier à l’impunité dont bénéficiaient
les auteurs de graves violations perpétrées au Maroc et au Sahara
occidental entre 1956 et 1999 (pratique systématique de la torture,
disparitions forcées et exécutions extrajudiciaires)
.
12. Concernant les conditions de détention, fin 2016, elles ne
semblaient toujours pas conformes aux normes et principes des Nations
Unies relatifs aux établissements pénitentiaires, notamment en raison
du recours excessif à la détention provisoire, la moitié des personnes
incarcérées étant des prévenus
. Même si le
gouvernement a annoncé de mesures pour résoudre ce problème (notamment
un recours aux peines alternatives)
,
le problème de la surpopulation des établissements pénitentiaires
a été soulevé lors de l’Examen périodique universel de juillet 2017
.
13. Concernant la liberté d’expression, des peines de prison pour
plusieurs délits d’expression non-violente (contre l’Islam, la monarchie
ou remettant en cause l’intégrité territoriale) sont toujours maintenues
dans le Code pénal, malgré le fait que le Code de la presse et de
l’édition de 2016 a éliminé ces peines. Certains journalistes, blogueurs
et militants ont fait l’objet de poursuites pénales et ont été placés
en détention pour avoir publiquement critiqué les autorités ou relayé
des informations sur des violations des droits de l’homme (notamment
dans le Sahara occidental), des actes de corruption ou des manifestations
populaires, notamment celles dans le Rif
.
Les dispositions pénales sur les infractions liées à la sûreté de
l’État ainsi que la législation antiterroriste sont vagues et servent
souvent de prétexte pour mettre en accusation et condamner des journalistes
ou des militants. Par exemple, le journaliste Hamid El Mahdaoui,
critique connu du gouvernement, a été condamné à deux peines d’emprisonnement
– une fois pour avoir «incité des citoyens à participer à une manifestation
interdite» et l’autre fois pour «avoir omis de signaler une menace
sécuritaire»
.
Sept personnes, dont des militants, des journalistes et l’universitaire
Maâti Monjib, ont été accusés d’«atteintes à la sûreté de l’État»
pour avoir fait la promotion d’une application mobile de journalisme
citoyen protégeant la confidentialité de ses utilisateurs
, et le journaliste
Ali Anouzla – d’«apologie du terrorisme, assistance et incitation
au terrorisme» en raison d’un article publié sur internet.
En
outre, le 4 décembre 2018, la journaliste Nazhla el Khalidi, membre
du collectif sahraoui Équipe Media (fondé en 2009 pour documenter
et diffuser des informations sur les violations des droits de l’homme
au Sahara Occidental) a été arrêtée pendant quelques heures par
la police de Laâyoune (Sahara occidental) alors qu’elle filmait
les violences policières visant les participants d’une manifestation;
elle prétend avoir été agressée par la police lors de son arrestation
. En janvier 2019, un autre membre
de l’Équipe Media, Mohamed Mayara, aurait été agressé physiquement
par la police à l’aéroport de Laâyoune, alors qu’il rentrait d’une
visite des camps de réfugiés sahraouis
.
14. Le respect des libertés d’association et de réunion pacifique
continuent également de poser problème. Les autorités entravent
l’enregistrement de plusieurs nouvelles organisations, notamment
si ces dernières sont jugées critiques à l’égard des politiques
et des pratiques gouvernementales
. En outre, entre janvier 2017 et juillet
2018, elles ont empêché la tenue de 16 événements organisés par
des sections locales de l’Association marocaine des droits humains
(AMDH), en refusant l’accès aux participants ou en forçant l’opérateur
de la salle d’annuler l’événement. Depuis 2015, le gouvernement
interdit de fait
les missions
de recherche d’Amnesty International. Même si les chercheurs de
Human Rights Watch ont pu mener de telles missions au Sahara occidental
en 2018, ils ont été fréquemment suivis par des voitures avec des
hommes en civil à bord
.
En mai 2018, deux citoyens suédois et membres d’Emmaus Stockholm,
qui soutient l’Association sahraouie des victimes des violations
graves des droits de l’homme par l’État marocain (ASVDH) – Caroline
Nord et Juan Obregón – ont été arrêtés et interrogés par la police
douanière à l’aéroport de Laâyoune et déportés vers Stockholm
.
15. La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme
(FIDH) a reporté plusieurs cas de harcèlement de défenseurs des
droits de l’homme, membres d’ONG œuvrant dans ce domaine. Par exemple, en
avril 2018, Zine el Abidine Erradi, membre de l’AMDH Section Paris/Île-de-France,
ancien prisonnier politique marocain, réfugié en France, a été arrêté
à l’aéroport d’Agadir et a été placé en détention provisoire. En
2016, la Cour d’appel d’Agadir l‘avait condamné
in absentia à un an de prison ferme
pour «manifestation violente et non autorisée» et «désobéissance
civile»
. En outre, Ettalbi Hafdalla et Babit
El Kori, respectivement conseiller juridique et Président de l’association
El Ghad pour les Droits de l’Homme (
Tomorrow
Association for Human Rights), et l’épouse de ce dernier,
ont fait l’objet de harcèlement et de menaces de la part d’agents
de la police ou d’inconnus. Les dernières menaces qu’ils ont subies
étaient liées à l’invitation que Messieurs Hafdalla et El Kori avaient
reçue de la part de la Commission européenne pour participer au
processus de consultation du peuple sahraoui
.
16. Concernant la liberté de réunion pacifique, en 2017 et 2018,
les ONG ont fait état à de nombreuses reprises du recours excessif
à la force par les forces de sécurité pour disperser des manifestations
(notamment dans des villes du Sahara occidental comme Laâyoune,
Smara, Boujdour et Dakhla) ainsi que d’arrestations de manifestants
pacifiques pour des motifs tels que manifestation sans autorisation
et agression
de policiers. Entre mars et mai 2018, au moins 69 participants aux
manifestations socioéconomiques de Jerada, dans le nord-est du pays,
ont été arrêtés. Quant aux manifestations dans le Rif, elles ont
mené à l’arrestation de plus de 400 activistes, dont un grand nombre
ont été condamnés à des peines allant jusqu’à 20 ans d’emprisonnement
pour des atteintes à la sûreté de l’État
.
Selon Amnesty International, la justice n’a pas enquêté sérieusement
sur les circonstances de la mort de deux manifestants (Imad El Attabi
et Adbelhafid Haddad).
17. De surcroît, le respect du droit à un procès équitable reste
également un problème, en particulier dans le contexte de l’utilisation
d’aveux obtenus par la torture ou d’autres mauvais traitements ou
du refus des tribunaux d’autoriser les avocats de la défense à procéder
à un contre-interrogatoire des témoins de l’accusation ou à citer
des témoins à décharge (voir ci-dessus). Ces pratiques ont déjà
été pointées du doigt par le Comité des droits de l’homme des Nations
Unies
. En plus, dans son rapport
2017/2018, Amnesty International indique que plusieurs manifestants,
blogueurs et militants ont été condamnés à des peines d’emprisonnement
à l’issue de procès iniques sur la base d’accusations fallacieuses
(voir notamment les cas du blogueur et du militant sahraouis Walid
El Batal et Hamza El Ansari)
. Rappelons également que le Code de procédure
pénale autorise tout accusé à contacter son avocat après 24 heures
de garde à vue, ce délai pouvant être prolongé à 36 heures. Néanmoins,
les détenus n’ont pas le droit d’être assistés par un avocat lorsqu’ils
sont interrogés par la police ou lorsque cette dernière leur présente
des déclarations pour signature.