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Rapport | Doc. 14904 | 07 juin 2019

Dialogue postsuivi avec la Bulgarie

Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi)

Corapporteur : M. Frank SCHWABE, Allemagne, SOC

Corapporteur : M. Zsolt NÉMETH, Hongrie, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Résolution 1115 (1997). 2019 - Troisième partie de session

Résumé

La commission de suivi reconnaît les progrès substantiels réalisés par la Bulgarie depuis l'adoption du dernier rapport sur le dialogue postsuivi en 2013. La Bulgarie a introduit une législation dans le domaine du pouvoir judiciaire et de la lutte contre la corruption qui, à plusieurs exceptions près, est pleinement conforme aux normes du Conseil de l'Europe. Elle a également répondu à un certain nombre de préoccupations en suspens formulées par l'Assemblée parlementaire et d'autres mécanismes de suivi du Conseil de l'Europe.

Toutefois, la question de la pérennité et de l'irréversibilité des réformes ainsi que l'efficacité des mesures qui visent à combattre la corruption à haut niveau continuent à dépendre de la bonne application de la législation.

La commission de suivi propose de poursuivre un dialogue postsuivi avec la Bulgarie et d'évaluer, en juin 2020, les progrès réalisés dans les domaines suivants: le pouvoir judiciaire, la lutte contre la corruption à haut niveau, les médias, les droits fondamentaux des minorités, la lutte contre les discours de haine et la violence à l’égard des femmes.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 16 mai 2019.

(open)
1. La Bulgarie a adhéré au Conseil de l’Europe en 1992. Elle a fait l’objet d’une procédure complète de suivi jusqu’en 2000. L’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution 1211 (2000) sur le respect des obligations et engagements de la Bulgarie, dans laquelle elle a décidé de clore la procédure de suivi et d’engager un dialogue postsuivi sur un certain nombre de préoccupations en cours et sur toute autre question découlant des obligations qui incombent à chaque État membre du Conseil de l’Europe en vertu de l’article 3 du Statut du Conseil de l’Europe (STE no 1) en matière de démocratie, d’État de droit et de droits de l’homme.
2. En outre, l’Assemblée se réfère à sa Résolution 1915 (2013) sur le dialogue postsuivi avec la Bulgarie, dans laquelle elle reconnaît les progrès importants réalisés par la Bulgarie sur le plan des réformes cruciales et du cadre législatif qui ont été mis en place depuis la clôture de la procédure de suivi, et en particulier depuis l’adhésion de la Bulgarie à l’Union européenne en 2007, comme l’ont confirmé les rapports annuels de la Commission européenne établis au titre du mécanisme de coopération et de vérification.
3. L’Assemblée salue la volonté et l’engagement politiques permanents dont les autorités bulgares ont fait preuve pour respecter pleinement leurs obligations, comme le confirme leur coopération constante avec les mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe, les experts en droit et la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise).
4. L’Assemblée se félicite des progrès substantiels réalisés par la Bulgarie en direction de l’établissement de l’indépendance de la justice, conformément aux recommandations de l’Assemblée. Globalement, les réformes de 2015-2018 de la loi relative au système judiciaire et la réglementation ultérieure du fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature et de la magistrature dans son ensemble ont représenté une avancée majeure vers le plein respect des engagements et des obligations de la Bulgarie dans ce domaine.
5. La division du Conseil supérieur de la magistrature en deux chambres, l’une pour les juges et l’autre pour les procureurs, exerçant en toute indépendance leurs pouvoirs de nomination et de sanction disciplinaire des juges, des procureurs et des juges d’instruction, a permis de régler un problème signalé depuis longtemps par l’Assemblée et la Commission de Venise.
6. La procédure d’élection des membres du Conseil supérieur de la magistrature s’est considérablement améliorée dans le sens des recommandations de l’Assemblée. L’Assemblée constate avec satisfaction que, depuis son élection en 2017, le Conseil supérieur de la magistrature a nommé un certain nombre de responsables des instances judiciaires en application d’une procédure transparente et sans susciter la controverse.
7. Les problèmes signalés depuis longtemps par l’Assemblée à propos des défaillances du système d’évaluation et de l’évolution de carrière des magistrats ont été réglés par l’adoption en 2016, par le Conseil supérieur de la magistrature, du Règlement sur les indicateurs, la méthodologie et la procédure pour l’évaluation préalable d’un juge, président ou vice-président d’un tribunal et, en 2017, du Règlement pour les concours aux postes de magistrat et l’élection des chefs administratifs des organes judiciaires.
8. L’Assemblée observe avec satisfaction que ses recommandations relatives à la répartition de la charge de travail et à la question des retards ont été traitées de manière satisfaisante par la mise en place d’un système unique et efficace d'affectation aléatoire et nationale des affaires, ainsi que par la définition de critères clairs pour évaluer la complexité des affaires et leur incidence sur la répartition du volume de travail. Les mesures complémentaires prises pour procéder à la répartition du surplus de la charge de travail des juridictions les plus sollicitées, notamment le tribunal de Sofia, méritent également d’être saluées.
9. L’Assemblée félicite les autorités pour la création de l’Inspection du Conseil supérieur de la magistrature, à laquelle ont été conférées des compétences en matière de contrôle renforcées du respect de l’obligation de rendre des comptes de la magistrature et, en particulier, en matière de prévention de la corruption au sein de la magistrature et de procédures disciplinaires.
10. L’Assemblée reconnaît que les modifications apportées en 2017 au Code de procédure pénale et au Code pénal ont été en général conformes aux recommandations de l’Assemblée et constate avec satisfaction qu’elles ont porté remède à la lenteur des procédures pénales et ont permis une meilleure application des peines.
11. S’agissant du niveau élevé de corruption et de criminalité organisée, l’Assemblée se félicite de l’adoption par le Parlement bulgare en janvier 2018 d’une nouvelle loi sur la lutte contre la corruption et la confiscation des avoirs, qui est conforme à ses recommandations antérieures. La loi a créé une nouvelle agence unifiée de lutte contre la corruption, chargée de vérifier l’absence de conflits d’intérêts des hauts fonctionnaires et de contrôler leur patrimoine, de mener des enquêtes sur les allégations de corruption, d’établir des garanties pour la prévention de la corruption et de mettre en place des procédures de saisie et de confiscation des avoirs illicites.
12. L’Assemblée constate avec satisfaction que les recommandations adressées par le Groupe d'États contre la corruption (GRECO) à propos des incriminations ont été mises en œuvre de façon satisfaisante. Elle se félicite en outre du fait que la Bulgarie ait consacré des moyens considérables à l’information et à la sensibilisation d’un grand nombre de juges, de procureurs et de membres des forces de l’ordre aux questions relatives à la corruption et au trafic d’influence, ainsi qu’à l’incrimination des avantages non matériels.
13. Il convient en outre de féliciter le Parlement bulgare d’avoir mis en place des mesures particulières de lutte contre la corruption au niveau parlementaire qui ont suivi les recommandations du GRECO, en particulier la modification en 2016 du Règlement du Parlement en vue d’assurer la transparence du processus législatif.
14. Pour ce qui est du Code électoral, l’Assemblée se félicite de la série de modifications apportées entre 2014 et 2016, qui ont remédié à un certain nombre de préoccupations formulées par la Commission de Venise en 2013 et 2014, en améliorant notamment les dispositions relatives au financement des campagnes électorales et son contrôle, l’inscription des électeurs et les dispositions relatives à la couverture médiatique.
15. L’Assemblée reconnaît les progrès accomplis par la Bulgarie dans l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme portant sur la durée excessive des procédures judiciaires et l’absence de recours effectif à cet égard. Des progrès ont également été constatés dans la mise en œuvre des groupes d’affaires portant sur les mauvaises conditions de détention et les mauvais traitements infligés par des agents des forces de l’ordre.
16. L’Assemblée félicite la Bulgarie pour l’adoption, à la suite de la recommandation du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), des modifications apportées à la loi relative à l’exécution des peines et à la détention en 2017. Ces modifications ont porté sur les conditions de détention, le régime, les libérations anticipées et le contrôle juridictionnel des actes de l’administration pénitentiaire; en outre, l’Assemblée reconnaît que d’importants progrès ont été faits ces dernières années pour améliorer les conditions de détention dans les prisons.
17. S’agissant de la minorité rom, l’Assemblée reconnaît qu’un certain nombre de programmes, de stratégies et de plans d’action ont été adoptés ces dernières années pour améliorer la situation des Roms, dont la Stratégie nationale pour l’intégration des Roms (2012-2020), qui a notamment eu pour effet d’augmenter le nombre de Roms ayant fait des études supérieures, y compris des études universitaires.
18. Bien que les progrès d’ensemble réalisés par la Bulgarie dans le respect de ses engagements et obligations ne soient pas remis en question, un certain nombre de préoccupations subsistent, en particulier:
18.1. dans le domaine de la magistrature:
18.1.1. bien que la réforme de la structure et du fonctionnement du CSM ait répondu à la majorité des préoccupations de l’Assemblée, sa composition n’est pas pleinement conforme à la Recommandation CM/Rec(2010)12 du Comité des Ministres sur les «Juges: indépendance, efficacité et responsabilités», qui précise qu’«au moins la moitié des membres de ces conseils devraient être des juges choisis par leurs pairs issus de tous les niveaux du pouvoir judiciaire». Dans la composition actuelle du Conseil supérieur de la magistrature, les juges choisis par leurs pairs représentent six membres sur 25. Ce paramètre soulève un certain nombre de préoccupations, car le Conseil supérieur de la magistrature réuni en formation plénière conserve d’importantes compétences à l’égard de la magistrature;
18.1.2. la Commission de Venise juge préoccupant le degré de participation des procureurs, et du procureur général en particulier, à la gouvernance des juges au sein du Conseil supérieur de la magistrature;
18.1.3. aucune suite n’a été donnée à la recommandation formulée depuis longtemps par l’Assemblée à propos de la suppression ou de la réduction de la période probatoire de cinq ans prévue pour les juges;
18.1.4. les pouvoirs disciplinaires étendus de l’Inspection du Conseil supérieur de la magistrature, qui découlent en particulier du mode d’élection actuel de ses membres, suscitent un certain nombre de préoccupations. Malheureusement, aucune suite n’a été donnée aux recommandations de la Commission de Venise sur la nomination et la révocation des inspecteurs et sur la répartition des compétences entre l’Inspection et le Conseil supérieur de la magistrature;
18.1.5. les initiatives législatives importantes ne font l’objet d’aucun grand débat public et l’ensemble des parties prenantes ne sont pas suffisamment consultées. Il convient de souligner que la pérennité et l’irréversibilité des réformes reposent notamment sur le bon déroulement du processus législatif, qui suppose la participation de l’ensemble des parties prenantes et l’existence d’un grand débat public;
18.2. concernant l a corruption à haut niveau:
18.2.1. si la création d’une nouvelle agence unifiée de lutte contre la corruption représente une évolution positive, l’un des principaux défis à relever sera de gérer efficacement le large éventail de ses compétences, notamment en matière de prévention, d’enquête et de confiscation des avoirs. Le critère ultime de son efficacité sera le nombre d’affaires portées devant les tribunaux et le nombre de condamnations prononcées. L’enquête actuellement menée sur le scandale de l’acquisition de propriétés luxueuses à des prix avantageux par de hauts responsables politiques et de hauts fonctionnaires peut être considérée comme une mise à l’épreuve déterminante de la sincérité de la lutte contre la corruption menée par les autorités;
18.2.2. la recommandation du GRECO visant à établir des critères clairs, objectifs et transparents de rémunération supplémentaire au sein du système judiciaire n’a pas été mise en œuvre. Une pratique préoccupante subsiste: les présidents de tribunaux usent de leur pouvoir discrétionnaire pour accorder des primes de fin d’année aux juges placés sous leur autorité, qui auraient été utilisées pour assurer certaines allégeances au sein des tribunaux;
18.3. concernant les médias:
18.3.1. la situation de la liberté des médias en Bulgarie a connu une détérioration systématique ces dernières années, le plus préoccupant étant la concentration de leur propriété et l’absence de transparence dans ce domaine, l’ingérence politique dans les médias, l’influence exercée par l’État sur les entreprises de médias au moyen des budgets de communication des programmes opérationnels de l’Union européenne, ainsi que l’intimidation des journalistes et les violences dont ils font l’objet. L'Assemblée regrette le manque de données appropriées sur la propriété des médias. L'Assemblée se félicite de l'adoption d'une législation appropriée sur la transparence de la propriété des médias, qui reflète la Recommandation CM/Rec(2018)1 du Comité des Ministres sur le pluralisme des médias et la transparence de la propriété des médias. Les violences contre les journalistes doivent faire l’objet d’une condamnation rapide et décisive ainsi que d’enquêtes approfondies de la part des autorités bulgares;
18.4. concernant les droits de l’homme:
18.4.1. bien que l’Assemblée se félicite des modifications importantes apportées au Code pénal le 16 janvier 2019 et note que, selon le CPT, le traitement des personnes placées en garde à vue a connu une légère amélioration, surtout sur le plan de la gravité des mauvais traitements allégués depuis 2015, elle déplore cependant l’absence de véritable progrès dans l’application des garanties contre les mauvais traitements, à savoir le droit reconnu à l’intéressé d’informer un tiers de sa détention, le droit d’accès à un avocat et à un médecin et le droit d’être informé des droits susmentionnés;
18.4.2. le discours de haine raciste et intolérant employé dans les déclarations politiques qui ciblent les Roms, les musulmans, les juifs, les Turcs et les Macédoniens continue à poser un grave problème en Bulgarie. Les autorités bulgares doivent déployer des efforts importants pour condamner systématiquement et inconditionnellement les discours de haine, notamment en se conformant aux recommandations du dernier rapport de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) sur la Bulgarie;
18.4.3. malgré les initiatives prises par les autorités bulgares, la situation de la population rom ne s’est pas améliorée de manière tangible. Les représentants roms sont exclus du processus démocratique, ne font pas usage des instruments démocratiques déjà en place et ne sont présents à aucun niveau du processus décisionnel. Il n’existe aucun dialogue constructif entre les représentants roms et les autorités. La situation matérielle et sociale des Roms est en général très médiocre et leur discrimination sur le marché du travail demeure un obstacle à leur intégration. La récente flambée de violence interethnique perpétrée par des Bulgares de souche à l'encontre des Roms à Gabrovo, notamment la démolition et l'incendie de maisons appartenant à des Roms, illustre l'ampleur du problème;
18.4.4. la minorité macédonienne n’est pas reconnue comme telle par les autorités bulgares en raison de la stricte application de critères formels, bien que ce groupe ait manifesté à plusieurs reprises son souhait de bénéficier de la protection de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE no 157).
18.4.5. la Bulgarie a signé (en 2016), mais n’a pas encore ratifié, la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210, «Convention d’Istanbul»), ce qui est profondément regrettable. Bien que les modifications récemment apportées au Code pénal, qui offrent une protection juridique supplémentaire contre la violence domestique et la violence à l’égard des femmes, aillent dans le bon sens, elles devraient être suivies par la fourniture des ressources adéquates, y compris dans les domaines de l’éducation et de la prévention, ainsi que du soutien psychologique, qui permettraient d’assurer une véritable protection des victimes.
19. En conclusion, l’Assemblée reconnaît que la Bulgarie a réalisé des progrès substantiels depuis l’adoption du dernier rapport consacré au dialogue postsuivi en 2013. Elle a partiellement mis en place une législation qui, à plusieurs exceptions près, est conforme aux normes du Conseil de l’Europe et a permis de régler plusieurs préoccupations formulées par l’Assemblée et d’autres mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe. Mais la question de la pérennité et de l’irréversibilité des réformes, ainsi que l’efficacité des mesures qui visent à combattre la corruption à haut niveau, continuent à dépendre de la bonne application de la législation.
20. Malheureusement, en raison de la période d’instabilité politique traversée entre 2013 et 2016 et d’une succession d’élections, certaines réformes ont fait l’objet d’une procédure législative hâtive en 2016 et 2017, sans véritable consultation ni participation de l’ensemble des parties concernées. Il reste désormais à voir si elles apporteront des améliorations durables. La situation politique actuelle, marquée depuis février 2019 par le boycott du parlement par le Parti socialiste bulgare (BSP), pourrait avoir des répercussions négatives sur les avancées à réaliser et pourrait affaiblir le processus démocratique dans le pays.
21. L’Assemblée observe qu’afin d’assurer la pérennité et l’irréversibilité des réformes, certaines mesures, dont une modification de la législation le cas échéant, doivent encore être prises.
22. Au vu de ces éléments, l’Assemblée décide de poursuivre un dialogue de postsuivi avec la Bulgarie et d’évaluer, en juin 2020, les progrès réalisés dans les domaines suivants:
22.1. le système judiciaire: la Bulgarie devrait démontrer que les mesures remarquables prises en faveur d'un meilleur système judiciaire sont durables et efficaces;
22.2. la corruption à haut niveau: la nouvelle agence anticorruption a commencé à fonctionner il y a quelques mois à peine. Au cours des prochains mois, des progrès tangibles dans la lutte contre la corruption à haut niveau doivent être constatés. Cela n'a jusqu'à présent pas été visible;
22.3. les médias: l'un des principaux défis est la transparence de la propriété des médias. La Bulgarie doit prendre des mesures législatives pour garantir cette transparence;
22.4. droits de l'homme des minorités: la Bulgarie doit améliorer l'intégration des Roms et d'autres groupes minoritaires. Les droits des réfugiés doivent être pleinement respectés conformément aux normes européennes;
22.5. discours de haine: les discours de haine ne devraient pas faire l'objet de discussions politiques. Les membres du gouvernement, notamment, ont une obligation particulière à cet égard;
22.6. violence à l'égard des femmes: l`Assemblée demande à la Bulgarie de faire tous les efforts possibles pour ratifier la Convention d'Istanbul.

B. Exposé des motifs, par M. Frank Schwabe et M. Zsolt Németh, corapporteurs

(open)

1. Introduction

1. La Bulgarie est membre du Conseil de l’Europe depuis 1992. Elle a été soumise à la procédure de suivi stricto sensu jusqu’en 2000. Dans la Résolution 1211 (2000) sur le respect des obligations et engagements de la Bulgarie, l’Assemblée parlementaire a décidé de clore la procédure complète de suivi et d’engager avec les autorités bulgares un dialogue postsuivi «sur les questions figurant au paragraphe 4 [de la Résolution 1211 (2000)], ou toute autre question relevant des obligations de la Bulgarie en tant qu’État membre du Conseil de l’Europe».
2. Depuis, la commission de suivi a présenté seulement deux rapports sur les progrès réalisés par la Bulgarie: en 2010 et en 2013 
			(2) 
			<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?FileID=12847&lang=FR'>Doc. 12187</a> et <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?FileID=19244&lang=FR'>Doc. 13085</a>.. Les corapporteurs actuels, Frank Schwabe et Zsolt Németh, ont été nommés respectivement en 2015 et 2016. Nous avons mené trois visites d’information à Sofia: en 2015, 2016 et 2018. Lors de deux visites à Bruxelles (en 2017 et 2019), nous avons en outre rencontré les responsables du mécanisme de coopération et de vérification (MCV) au sein de la Commission européenne. Nous avons également participé aux missions d’observation des élections présidentielle et législatives conduites par l’Assemblée en 2016 et 2017 respectivement. Nous avons présenté à la commission deux rapports écrits d’information à la suite de nos visites d’information de 2015 et 2016 
			(3) 
			<a href='http://www.assembly.coe.int/nw/Page-FR.asp?LID=MonDocs'>AS/Mon
(2015) 27 déclassifié</a> et <a href='http://www.assembly.coe.int/nw/Page-FR.asp?LID=MonDocs'>AS/Mon
(2016) 28 déclassifié</a>..
3. La Bulgarie a adhéré à l’Union européenne en 2007. Au moment de l’adhésion de la Bulgarie, la Commission européenne a mis en place un mécanisme baptisé mécanisme de coopération et de vérification en vue de répondre aux préoccupations en suspens, notamment dans les domaines de la justice, de la corruption et de la criminalité organisée. Douze rapports annuels ont été publiés jusqu’à présent – le dernier en date a été adopté le 13 novembre 2018. Nous nous appuyons dans le présent rapport sur les constats des rapports successifs du MCV. En 2016, par ailleurs, cinq procureurs de plusieurs États membres de l’Union européenne, soutenus par le service d’appui à la réforme structurelle, ont mené à bien une analyse indépendante du modèle structurel et fonctionnel du ministère public, comprenant un examen de son indépendance. Nous avons pris connaissance des conclusions de cette analyse.
4. L’Assemblée parlementaire a observé les élections successives, notamment l’élection présidentielle de 2016 et les élections législatives de 2017. Les rapports respectifs 
			(4) 
			AS/Bur/BUL (2017) 02. des commissions ad hoc ont été présentés à l’Assemblée et débattus par celle-ci. Nous utilisons dans le présent rapport les conclusions des équipes d’observation.
5. Nous nous sommes également appuyés sur les avis juridiques concernant la loi relative au système judiciaire (adoptée en octobre 2017) 
			(5) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2017)018-e'>CDL-AD(2017)018</a> (anglais uniquement). d’une part, et les modifications du Code électoral (adoptées en juin 2017) 
			(6) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2017)016-e'>CDL-AD(2017)016</a> (anglais uniquement). d’autre part, préparés par la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) à la demande de la commission de suivi. En outre, nous avons utilisé le rapport sur l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire dans les États membres du Conseil de l’Europe préparé par le Bureau du Conseil consultatif des juges européens (CCJE) sur proposition du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe.
6. Nous avons aussi pris en considération les constatations et les conclusions des institutions et mécanismes de suivi pertinents mis en place dans le cadre des conventions du Conseil de l’Europe auxquelles la Bulgarie est Partie. Nous nous sommes appuyés en particulier sur le rapport du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe sur la Bulgarie 
			(7) 
			CommDH(2015)12., le rapport de conformité établi dans le cadre du quatrième cycle d’évaluation du Groupe d’États contre la corruption (GRECO) 
			(8) 
			GRECO RC4(2017)9., le rapport préparé par le Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) dans le cadre de son second cycle d’évaluation 
			(9) 
			GRETA(2015)32., le troisième avis sur la Bulgarie adopté par le Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales 
			(10) 
			ACFC/OP/III(2014)001., ainsi que le quatrième rapport présenté par la Bulgarie 
			(11) 
			ACFC/SR/IV(2017)006. et la résolution du Comité des Ministres sur la mise en œuvre de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales par la Bulgarie 
			(12) 
			CM/ResCMN
(2018) 2.. Nous avons également pris connaissance du rapport de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) sur la Bulgarie dans le cadre du cinquième cycle de monitoring 
			(13) 
			CRI(2014)36., des conclusions de l’ECRI sur la mise en œuvre des recommandations faisant l’objet d’un suivi intermédiaire adressées à la Bulgarie 
			(14) 
			CRI(2017)22. ainsi que des rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) 
			(15) 
			CPT/Inf(2018)15..
7. Lors de nos visites, nous avons rencontré les représentants au plus haut niveau du pouvoir législatif, exécutif et judiciaire du pays, notamment le Président de la République, la Présidente du parlement, le Premier ministre et tous les ministres concernés, les chefs des groupes politiques au parlement, le procureur général et le président de la Cour suprême. Ces rencontres ont offert d’excellentes occasions de dialogue politique. Parallèlement, nous avons consacré beaucoup de temps à des échanges de vues avec des représentants de la société civile, dont l’expertise et l’expérience de terrain nous ont beaucoup aidés à bien comprendre la situation sur place.
8. Nous considérons que les informations rassemblées à partir d’une telle diversité de sources nous ont permis de préparer un rapport objectif et équilibré, dans lequel nous nous attachons à évaluer les progrès accomplis par la Bulgarie s’agissant du fonctionnement des institutions démocratiques, et en particulier d’établir dans quelle mesure les réformes entreprises par les autorités répondent aux préoccupations formulées par l’Assemblée dans les résolutions adoptées précédemment, si le processus de réforme est durable et irréversible et s’il est suffisamment ancré dans la vie politique bulgare.
9. L’avant-projet de rapport a été soumis à la commission de suivi lors de sa réunion du 23 janvier 2019, qui a alors décidé de l’adresser aux autorités bulgares pour commentaires. Ces derniers nous sont parvenus le 27 avril 2019 et ont été pris en compte dans la version révisée.
10. Enfin et surtout, nous voudrions adresser tous nos remerciements à la délégation parlementaire bulgare auprès de l’Assemblée parlementaire et à son Secrétariat pour l’excellente coopération relative à l’organisation de nos visites dans le pays et son aide précieuse pour la prise de contact avec différentes autorités et la collecte d’informations.

2. Contexte politique

11. Depuis le dernier débat sur la Bulgarie tenu à l’Assemblée, en 2013, le pays a connu une période d’instabilité politique. En février 2013, l’alors Premier ministre Boïko Borissov, chef du parti de centre-droit GERB, a démissionné après que 14 personnes eurent été blessées dans des heurts avec la police intervenus durant des manifestations de protestation contre l’austérité. Le Président de l’époque M. Plevneliev a alors chargé un gouvernement par intérim, dirigé par Marin Raïkov, d’organiser des élections législatives anticipées. Le scrutin tenu en mai 2013 a vu le GERB devancer d’une courte tête le Parti socialiste bulgare (BSP), sans obtenir toutefois une majorité. Les parlementaires socialistes ont apporté leur soutien à un gouvernement technocratique emmené par Plamen Orecharski.
12. En juin et juillet 2013, le pays a été secoué par des manifestations massives suite à la nomination à la tête de la sécurité nationale du magnat controversé de la presse Delyan Peevski, et ensuite quand la nomination a été rejetée par le parlement pour corruption. Au plus fort de la protestation, le parlement s’est retrouvé bloqué et des affrontements ont eu lieu avec la police.
13. Le Premier ministre Plamen Orecharski a démissionné en juillet 2014, ouvrant la voie à la tenue d’élections anticipées. En octobre 2014, une élection anticipée peu concluante a donné naissance à un parlement divisé en huit partis. En novembre 2014, Boïko Borissov a formé un gouvernement de coalition rassemblant notamment le GERB et une formation de centre-droit, le Bloc réformateur.
14. Le premier tour de la dernière élection présidentielle en date s’est tenu le 6 novembre 2016. Les deux candidats arrivés en tête au premier tour, M. Roumen Radev, représentant le BSP, et Mme Tsetska Tsatcheva, représentant la majorité au pouvoir, ont obtenu respectivement 25,4 % et 21,97 % des suffrages. Lors du second tour tenu le 13 novembre 2016, 59,3 % (2 063 032) des voix se sont portées sur M. Radev et 36,1 % (1 256 485) sur Mme Tsatcheva. Le bulletin «aucun des deux» a été choisi par 4,47 % des électeurs. La participation a été de 50,44 %.
15. La commission ad hoc constituée par l’Assemblée parlementaire pour observer l’élection présidentielle en Bulgarie a conclu que le scrutin avait été bien organisé et que les libertés fondamentales avaient été respectées. La campagne a été concurrentielle et a permis de renforcer la confiance du public dans le processus électoral.
16. Parallèlement à l’élection présidentielle de 2016, un référendum portant sur les modifications à apporter au système électoral et au financement des partis politiques a été tenu. Cette consultation avait été organisée à la suite d’une pétition lancée par un présentateur d’émissions télévisées qui avait recueilli la signature de plus de 600 000 personnes (le seuil pour la tenue d’un référendum étant fixé en Bulgarie à 400 000 signatures).
17. En juillet 2016, la Cour constitutionnelle de Bulgarie avait rejeté à l’unanimité trois des six questions proposées pour le référendum. Elles portaient sur: 1) la mise en place du vote électronique pour les élections et les référendums; 2) la réduction du nombre de parlementaires de 240 à 120; 3) l’élection des chefs des directions régionales du ministère de l’Intérieur au scrutin majoritaire à deux tours avec nécessité d’obtenir la majorité absolue au deuxième tour. La Cour constitutionnelle a rejeté la question concernant la diminution du nombre de parlementaires au motif qu’une décision en la matière était du ressort d’une Grande Assemblée nationale.
18. Les trois questions retenues pour le référendum du 6 novembre portaient sur l’instauration du scrutin majoritaire pour les élections législatives, l’instauration du vote obligatoire et la diminution des subventions de l’État aux partis et alliances politiques, passant à un lev (environ 50 centimes d’euro) par vote valide.
19. Le 13 novembre 2016, le Premier ministre Borissov, chef du parti GERB, qui soutenait Mme Tsatcheva, a démissionné. Un gouvernement par interim a été formé. Le président élu Roumen Radev a pris ses fonctions le 22 janvier 2017. Deux jours plus tard, il a dissous l’Assemblée nationale et convoqué des élections législatives anticipées.
20. Les élections législatives anticipées se sont tenues le 26 mars 2017. Cinq partis ou coalitions ont franchi la barre des 4 %: Citoyens pour le développement européen de la Bulgarie (GERB) – 95 sièges (32,65 % des suffrages); le Parti socialiste – 80 sièges (27,2 %); le Front patriotique – 27 sièges (9,07 %); le Mouvement des droits et libertés – 26 sièges (8,99 %); Volya (Volonté) – 12 sièges (4,15 %). Les partis de la droite «traditionnelle» Union des forces démocratiques (UDF), Démocrates pour une Bulgarie forte (DSB) et le Bloc réformateur n’ont pas atteint le seuil de 4 % des suffrages. La participation a été de 54,07 %.
21. La délégation d’observation de l’Assemblée a conclu que les électeurs avaient pu faire leur choix librement le jour du scrutin. Le vote a été généralement bien organisé, bien que certaines lacunes procédurales aient été relevées lors du dépouillement.
22. Rassemblant le GERB et le Front patriotique (UP), un nouveau gouvernement, conduit par M. Boïko Borissov (dont c’était le troisième mandat de Premier ministre), a pris ses fonctions en mai 2017.
23. La dynamique politique a été marquée par l’effort de la coalition au pouvoir (GERB et UP) de rapprocher les points de vue sur les principaux enjeux et de préserver ce consensus, et par la confrontation entre le GERB et le BSP. Cette confrontation a pris une nouvelle dimension avec l’arrivée au pouvoir du président Roumen Radev, qui a adopté une approche beaucoup plus offensive et politique que son prédécesseur, en suivant de près le processus législatif et en exerçant son droit de veto.
24. Malheureusement, depuis février 2019, l'opposition BSP boycotte les travaux du parlement. Les changements initiés par le gouvernement et introduits par le Parlement en février 2019, notamment le durcissement du système de vote préférentiel, ont conduit à ces tensions politiques internes. Le BSP s'est retiré du Parlement et l'unité de la coalition gouvernementale s'est effondrée. Le 18 février 2019, le premier ministre bulgare a déclaré qu’il s’efforcerait de rétablir les limites d’origine du système de vote préférentiel mais sa déclaration n’a pas changé la position du BSP. Ces développements pourraient avoir un impact négatif sur les progrès et pourraient affaiblir les processus démocratiques dans le pays.
25. La Bulgarie a assuré la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne durant le premier semestre de l’année 2018. Elle avait fixé quatre domaines de priorité pour sa présidence: le renforcement de la coopération avec les Balkans occidentaux et l’encouragement au développement dans cette région; la stabilité et la sécurité, en mettant l’accent sur la question des migrations et sur les contrôles aux frontières; l’avenir de l’Europe et la jeunesse, en s’attachant particulièrement à la croissance économique et à la cohésion sociale; et l’économie numérique dans un marché numérique unique.
26. Événement majeur dans le domaine de la politique étrangère, la Bulgarie a signé avec «l’ex-République yougoslave de Macédoine» un traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération. Ce traité vient conclure 18 années de négociations et marque un grand pas en avant.
27. Les autorités bulgares demandent à entrer dans l’espace Schengen depuis l’adhésion du pays à l’Union européenne, en 2007. Selon la Commission européenne, le pays remplit les conditions techniques attendues et les conclusions du Conseil européen ont confirmé son degré de préparation.
28. La Bulgarie présente le plus faible produit intérieur brut (PIB) par habitant et le plus bas revenu médian de l’Union européenne. La conséquence est l’émigration massive des Bulgares, en particulier ceux ayant un bon niveau d’études et de bonnes compétences professionnelles, qui cherchent de meilleures perspectives dans d’autres pays. Selon les statistiques officielles, 17 % des lycéens bulgares choisissent de suivre des études universitaires à l’étranger, où ils finissent généralement par s’installer.

3. Problèmes persistants soulevés dans le dernier rapport

29. Dans le dernier rapport sur la Bulgarie, qui a fait l’objet d’une discussion en janvier 2013, l’Assemblée a salué les progrès substantiels faits par la Bulgarie vers l’accomplissement de ses obligations non encore respectées. Elle a aussi noté avec satisfaction que les autorités bulgares montraient une volonté et un engagement politiques soutenus pour honorer pleinement les obligations et engagements qui s’imposent à la Bulgarie en tant que membre du Conseil de l’Europe.
30. Dans le même temps, l’Assemblée observait que malgré des progrès importants en ce qui concerne le cadre législatif et malgré les réformes déterminantes mises en place, certaines mesures devaient encore être prises, en particulier s’agissant de l’indépendance de la justice et de la lutte contre la corruption. D’autres sujets de préoccupation, notamment les pratiques abusives exercées par les forces de l’ordre, l’indépendance des médias et, plus généralement, des violations des droits de l’homme, étaient également mentionnés.
31. Nous allons revenir dans les parties suivantes sur les problèmes persistants mis en lumière par le dernier rapport, et ferons le point sur les progrès accomplis depuis

3.1. Fonctionnement de l’appareil judiciaire

32. Le dernier rapport sur la Bulgarie présenté par la commission de suivi à l’Assemblée, en 2013, reconnaissait que d’importants progrès avaient été accomplis dans le domaine de l’indépendance de la justice depuis le précédent débat, en 2010. Il faisait toutefois état d’un certain nombre de problèmes persistants, liés notamment au fonctionnement et à la composition du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et de l’Inspection, aux nominations aux postes élevés de la magistrature et à la réforme du Code pénal.
33. Adoptée par le gouvernement en fonction en 2014, la stratégie de réforme judiciaire a été approuvée à une large majorité au parlement en 2015. Elle devait s’achever en 2020 et demeure le cadre général dans lequel s’inscrit la poursuite du processus de réforme judiciaire en Bulgarie. Il apparaît clairement, toutefois, que l’instabilité politique qu’a connue le pays entre 2013 et 2017 a eu des conséquences négatives en termes de possibilités de réforme. La volonté du gouvernement actuel de poursuivre dans la bonne direction n’est pas en cause, mais sa détermination à agir vite en matière législative soulève des préoccupations fondées quant à la qualité du processus lui-même et ce sur quoi il va déboucher.
34. Des représentants de la société civile rencontrés lors de notre visite ont déploré que d’importants projets de textes législatifs ne fassent pas l’objet d’un large débat public ni de consultations suffisantes auprès de toutes les parties prenantes. La suite réservée à l’initiative parlementaire de juillet 2017 illustre bien les risques inhérents à toute procédure menée de façon hâtive: un projet de modification de la loi sur le système judiciaire a été déposé sans consultation ni débat public préalables. De nombreuses critiques ont été exprimées sur les dispositions proposées, que beaucoup ont vu comme une menace contre l’indépendance de la justice. Certaines des dispositions les plus critiquées (en particulier celles qui auraient restreint l’accès des organisations professionnelles de magistrats à des financements étrangers) ont fini par être retirées, tandis que d’autres tout aussi controversées ont été adoptées, notamment celle prévoyant la suspension obligatoire, sans possibilité de recours, de tout magistrat faisant l’objet d’une information judiciaire, ou celle faisant obligation aux magistrats de déclarer leur appartenance à une organisation professionnelle 
			(16) 
			Dans leurs commentaires,
les autorités bulgares ont souligné qu’en ses paragraphes 1 et 2,
l’article 230 de la loi sur le système judiciaire établit une distinction
claire entre les types d’infractions pour lesquelles le magistrat
peut être accusé. La suspension obligatoire n’est envisagée que
pour les infractions intentionnelles poursuivies dans le cadre d’une
mise en accusation publique, sachant qu’elle est facultative dans
les autres cas. Il existe par ailleurs des garanties contre la violation
des droits de magistrats suspendus.. Le parlement a approuvé en octobre 2017 de nouvelles modifications de la loi, qui corrigeaient certains problèmes liés aux dispositions prises en juillet. Adoptées dans le cadre d’initiatives parlementaires, ces nouvelles dispositions n’avaient malheureusement pas davantage fait l’objet de consultations ou d’un débat public.
35. On peut aussi citer l’exemple des modifications du Code de procédure administrative qui ont été adoptées de manière précipitée à la mi-2018, malgré les critiques de la société civile qui soulevait des inquiétudes concernant l’accès à la justice, et auxquelles le président avait opposé son veto. La Cour constitutionnelle a été saisie d’une requête en inconstitutionnalité 
			(17) 
			Dans leurs commentaires,
les autorités bulgares ont précisé que les projets d’actes normatifs
soumis par le ministre de la Justice respectaient strictement l’ordre
juridique en vigueur en matière de débat public. Conformément aux paragraphes
2, 3 et 4 de l’article 26 de la loi sur les actes normatifs, les
consultations publiques font partie du processus d’élaboration;
le délai imparti pour soumettre des propositions et des observations
est d’au moins 30 jours et peut être ramené à 14 jours dans des
cas exceptionnels. L’ensemble des parties prenantes sont invitées
à participer aux toutes premières phases de préparation de la future
initiative législative, et des projets sont également examinés par
le Conseil concernant l’application de la stratégie actualisée pour
la poursuite de la réforme du système judiciaire..
36. Nous sommes fermement convaincus qu’un processus législatif conduit de manière adéquate, associant toutes les parties prenantes et donnant toute sa place à un large débat public est, entre autres, l’un des éléments essentiels garantissant des réformes durables et irréversibles. Faire l’impasse sur cette phase préparatoire de la réforme risque de conduire non seulement à l’adoption de lois de faible qualité, mais aussi à l’instauration d’un climat d’incertitude et à un manque d’appropriation. Les gains de temps sont de plus illusoires, comme on vient de le voir.
37. Cela étant, nous devons reconnaître que dans l’ensemble les récentes réformes ont indéniablement fait progresser les choses dans le domaine de la justice et ont pris en compte la plupart des problèmes recensés dans la Résolution 1915 (2013) sur le dialogue postsuivi avec la Bulgarie, améliorant ainsi l’indépendance du pouvoir judiciaire. L’une des recommandations essentielles de l’Assemblée a été satisfaite à la suite des modifications de la loi sur le système judiciaire adoptées en 2015 et 2016: le CSM a été divisé en deux chambres (ou collèges), l’une pour les juges et l’autre pour les procureurs, exerçant en toute indépendance leurs pouvoirs de nomination et de sanction disciplinaire à l’égard des juges, des procureurs et des magistrats instructeurs.
38. La formation plénière du CSM a ainsi perdu la plupart de ses pouvoirs de nomination, de révocation et de sanction, qui ont été confiés aux chambres respectives, conformément aux recommandations formulées par la Commission de Venise qui a considéré qu’il s’agissait là d’une mesure essentielle pour parvenir à l’indépendance du pouvoir judiciaire 
			(18) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdf=CDL-AD(2017)018-e&lang=fr'>CDL-AD(2017)018</a> (anglais uniquement).. La Commission de Venise a en particulier salué le fait que la nomination des juges, à l’exception du président de la Cour suprême de cassation, du président de la Cour suprême administrative et du procureur général, étaient du ressort des chambres respectives du CSM.
39. La Commission de Venise a toutefois regretté dans son avis que la réforme n’ait pas été faite de manière à assurer la pleine conformité avec la Recommandation CM/Rec(2010)12 du Comité des Ministres sur les «Juges: indépendance, efficacité et responsabilités», indiquant qu’«au moins la moitié des membres de ces conseils devraient être des juges choisis par leurs pairs issus de tous les niveaux du pouvoir judiciaire et dans le plein respect du pluralisme au sein du système judiciaire». Dans sa composition actuelle, le CSM n’est en effet pas conforme à ce critère dans la mesure où les juges élus par leurs pairs sont en minorité au sein de la formation plénière: ils ne disposent que de six voix sur 25. Même dans la chambre des juges, les juges élus par leurs pairs représentent moins de la moitié de l’ensemble des membres: sur les 14 membres de la chambre, six sont élus par des juges, six le sont par l’Assemblée et deux sont membres de droit.
40. La proportion de juges élus par leurs pairs par rapport à l’ensemble des membres du CSM est un élément essentiel car même si la formation plénière a moins de prérogatives qu’auparavant, elle conserve d’importants pouvoirs vis-à-vis des membres de l’appareil judiciaire. Elle peut par exemple proposer des candidats aux postes de président de la Cour suprême de cassation et de président de la Cour suprême administrative (la nomination est du ressort du chef de l’État) et révoquer des membres élus issus du corps judiciaire.
41. Dans son dernier avis sur la composition du CSM 
			(19) 
			Ibid., la Commission de Venise a également fait état de sa préoccupation concernant le fait que les procureurs, et en particulier le procureur général, jouaient toujours un rôle important dans la gouvernance des juges au sein du CSM. La Commission de Venise envisageait plusieurs solutions à ce problème. La chambre des juges pourrait par exemple se voir attribuer une partie des prérogatives du CSM plénier à l’égard des juges (en particulier le pouvoir de nommer/révoquer les deux présidents et de révoquer les membres élus issus du corps judiciaire). Une autre solution serait que ces décisions soient prises à la «double majorité» des membres élus issus du corps judiciaire et de la formation plénière du CSM 
			(20) 
			Les autorités
bulgares ont souligné que la formation plénière du CSM comprenait
14 représentants de la chambre des juges et 11 de la chambre des
procureurs, la voix du procureur général étant strictement égale
aux autres voix, ce qui limite l’influence des procureurs sur les
juges. De plus, les questions majeures concernant les juges sont
traitées par la chambre des juges..
42. La recommandation concernant la composition du CSM demeure par conséquent valide 
			(21) 
			C’est
également l’une des recommandations du rapport du GRECO sur la Bulgarie..
43. La réforme est venue considérablement améliorer la procédure d’élection des membres du CSM, conformément aux recommandations de l’Assemblée. L’un des progrès importants est que les 11 membres du «quota judiciaire» sont directement élus par les juges et les procureurs selon le principe «un magistrat – une voix». De plus, l’élection des 11 membres du «quota parlementaire» se fait désormais à la majorité des deux tiers, conformément à la recommandation que nous avons formulée sur la base de l’avis de la Commission de Venise.
44. L’élection des membres au titre du quota judiciaire était achevée en juin 2017. Grâce à un système de vote électronique, le taux de participation a été très élevé. Par ailleurs, selon nos interlocuteurs, le scrutin a donné de l’avis général un résultat juste et reflétant les préférences de l’ensemble du corps des magistrats. L’élection des membres au titre du quota parlementaire s’est achevée à l’Assemblée nationale en septembre 2017. La condition de la majorité des deux tiers a permis l’élection de personnes ayant recueilli les voix d’un large éventail de parlementaires, y compris des membres de l’opposition. Les 18 candidatures avaient été présentées en juin 2017, ce qui a laissé le temps d’un débat public.
45. Cela étant, nous avons entendu lors de notre visite des critiques de la société civile concernant cette partie de la procédure. En premier lieu, certains avaient l’impression que les grands partis politiques s’étaient mis d’accord au préalable et que le résultat, déterminé à l’avance, ne reflétait pas une prise en considération objective des mérites des différents candidats. Deuxièmement, certains nous ont dit que les auditions publiques devant la commission des affaires juridiques du parlement n’avaient pas ménagé le temps suffisant pour que toutes les questions aux candidats soient abordées, et que des points fondamentaux soulevés par des représentants de la société civile n’avaient pas été traités. En application de la loi, ces questions ont été publiées sur le site web du parlement.
46. Il reste que la procédure dans son ensemble s’est grandement améliorée par rapport à l’élection du précédent CSM, en 2012, et a intégré les recommandations de l’Assemblée. Le nouveau CSM est entré en fonction le 3 octobre 2017.
47. La nomination des chefs de juridiction et des chefs de parquet figure parmi les principales fonctions du CSM. La réforme de 2016 a donné aux tribunaux le pouvoir de désigner, lors d’une assemblée générale organisée dans chacun d’eux, les candidats à ces postes – la décision finale étant du ressort de la chambre des juges du CSM. Celle-ci peut toutefois aussi examiner des candidatures indépendantes et des candidatures transmises directement par le ministère de la Justice. Compte tenu des réserves formulées précédemment sur la composition du CSM, et de la recommandation de la Commission de Venise selon laquelle seules les assemblées générales de magistrats devraient avoir le pouvoir de soumettre des candidatures à la chambre des juges, cette disposition continue de poser problème. Le CSM désigne aussi des candidats pour les trois plus hauts postes de la magistrature bulgare, à savoir la présidence des deux cours suprêmes et le poste de procureur général. Ces candidatures sont ensuite soumises à l’approbation du chef de l’État.
48. L’une des premières tâches du nouveau CSM a été l’élection du président de la Cour suprême administrative. La procédure avait été lancée en juillet 2017 et le scrutin s’était tenu en septembre 2017 au sein du CSM sortant. Un candidat avait été choisi dans le cadre d’une nouvelle procédure, plus transparente, mise en place à la suite de l’adoption en 2016 de modifications à la loi sur le système judiciaire. Le Président, à qui il appartient de faire la nomination officielle, a toutefois décidé d’attendre l’entrée en fonction du nouveau CSM. Le 19 octobre 2017, celui-ci a confirmé le choix du candidat à une large majorité.
49. Le CSM a depuis nommé plusieurs chefs de juridiction sans que cela ne soulève apparemment de polémique majeure. Toutes les nominations se font dans le cadre d’une même procédure transparente comprenant une audition publique, la présentation par le candidat d’un document de fond dans lequel il expose les objectifs qu’il entend poursuivre une fois en poste, ainsi qu’une déclaration de patrimoine et d’intérêts. Les relevés de vote sont désormais publics. Cette transparence, qui constitue une rupture majeure avec la situation antérieure, a été instaurée pour garantir le contrôle de l’opinion publique et permettre une comparaison entre les mérites respectifs des différents candidats.
50. En mars 2018, le vote pour la nomination à la présidence du tribunal de la ville de Sofia s’est soldé par une égalité des voix au sein de la chambre des juges du CSM. Une nouvelle procédure de nomination est en cours afin de départager les deux candidats au poste. Une autre procédure a été lancée pour le poste de président de la juridiction spécialisée dans les affaires de criminalité organisée, et d’autres encore sont en préparation pour pourvoir les postes à tous les niveaux de la hiérarchie judiciaire, en commençant par la Cour suprême de cassation avant de poursuivre par les juridictions inférieures. Cela constitue aussi un important progrès par rapport à la pratique antérieure qui consistait à recourir à des mises à disposition de longue durée pour éviter la promotion officielle de juges.
51. Malheureusement, une autre recommandation formulée de longue date concernant la suppression ou la réduction de la période probatoire de cinq ans imposée aux juges n’a pas été mise en œuvre. Une recommandation similaire a été formulée par le GRECO dans le rapport du quatrième cycle d’évaluation. Lors de notre entretien au ministère de la Justice, il nous a été dit que cette question relevait de la Constitution 
			(22) 
			Article 129, paragraphe
3. et ne pouvait de ce fait être concernée par les modifications adoptées en 2016 sur le fonctionnement du CSM. Nous réaffirmons cependant que les périodes probatoires présentent par principe de sérieuses difficultés du point de vue de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Lorsqu’elles sont prévues par la loi, elles ne doivent pas excéder le temps nécessaire pour évaluer les compétences d’un juge.
52. En revanche, nous avons noté avec satisfaction que les modifications adoptées en 2016 avaient répondu à une autre préoccupation de l’Assemblée concernant les défaillances du système d’évaluation des juges, l’absence de normes claires et cohérentes pour l’évaluation des résultats et d’autres difficultés liées à l’évolution de carrière des magistrats. Sur proposition de la chambre des juges, la plénière du CSM a adopté le Règlement sur les indicateurs, la méthodologie et la procédure pour l’évaluation d’un juge, président ou vice-président d’un tribunal. Cette procédure qui vise à permettre une meilleure évaluation des juges avant qu’ils soient nommés à vie comprend des normes et des indicateurs de conformité avec le Code de déontologie, dont le contrôle supplémentaire de la déclaration de patrimoine, des conflits d’intérêts et des récusations liées à l’obtention d’une confirmation pour la nomination à vie.
53. En outre, la plénière du CSM a adopté, en 2017, le Règlement pour les concours aux postes de magistrat et l’élection des chefs administratifs des organes judiciaires, qui précise les indicateurs et la méthodologie à utiliser pour conduire l’évaluation d’un juge, d’un procureur ou d’un magistrat instructeur. Les évaluations des juges, quelles qu’elles soient, sont toutes conduites par la Commission des évaluations et des concours auprès de la chambre des juges du CSM. Une réponse a donc été apportée aux préoccupations de l’Assemblée concernant la nomination et l’évaluation des juges. Comme nous l’avons expliqué plus haut, ce sont les chambres respectives du CSM qui procèdent aux nominations à des fonctions judiciaires. De plus, la Commission de Venise s’est félicitée de l’application de critères objectifs et du fait qu’une majorité de juges siégeaient automatiquement dans les commissions chargées des concours.
54. La question de la nomination et de l’évaluation des juges est liée à celle de l’efficacité de la justice et de la pratique judiciaire, qui avait été soulevée dans le précédent rapport sur la Bulgarie. La dernière résolution portait sur la question des retards de publication des motifs de décision et recommandait la mise en place d’un système unique et efficace d’affectation aléatoire et nationale des affaires, et la définition de critères clairs pour évaluer la complexité des affaires et leur incidence sur la répartition du volume de travail. Nous sommes heureux de constater que ces recommandations ont été mises en œuvre de façon satisfaisante.
55. En décembre 2015, le CSM a adopté les Règles pour l’évaluation du volume de travail des juges, qui sont entrées en vigueur en avril 2016. Ces règles donnent des indicateurs objectifs pour évaluer la complexité juridique et factuelle des affaires et fixent les modalités permettant de déterminer le volume individuel de travail ainsi que les limites de la charge normale de travail des juges. Le «système de calcul du volume de travail des juges» a été établi à partir de ces règles. Il est intégré dans le «système centralisé de répartition des affaires». Les deux systèmes garantissent l’absence d’interférence humaine à la fois dans le processus d’attribution aléatoire des affaires et dans le processus de rapport sur la charge individuelle de travail. Nous saluons ce changement qui permet une attribution juste et équitable des affaires.
56. De façon complémentaire, le CSM a pris, en coopération avec le service d’appui à la réforme structurelle de la Commission européenne, des initiatives pour redistribuer la charge de travail des tribunaux les plus engorgés, généralement situés à Sofia, vers d’autres tribunaux. Cette approche a déjà abouti à des modifications concrètes adoptées depuis peu par le parlement. Parallèlement à ces initiatives législatives, le CSM a récemment lancé plusieurs procédures en vue du transfert de postes judiciaires vers les principaux tribunaux de Sofia 
			(23) 
			COM(2018)850final..
57. Ce point nous amène à une autre préoccupation formulée par l’Assemblée, qui concerne l’obligation pour les membres du corps judiciaire de rendre compte de leurs actes, et plus spécifiquement les procédures disciplinaires, qui a été prise en compte d’une manière satisfaisante. En 2016, la chambre des juges du CSM a approuvé les Règles pour l’organisation et les activités des commissions de déontologie des tribunaux. En cas d’infraction au Code de déontologie, la commission doit informer les organes habilités à lancer une procédure (le président du tribunal, le haut responsable administratif, l’Inspection du CSM et le ministre de la Justice), ainsi que la chambre des juges du CSM. Selon les modifications adoptées, celle-ci a le pouvoir d’imposer des sanctions disciplinaires aux juges.
58. À la suite des modifications concernant le CSM qui ont été adoptées en 2015, l’Inspection du Conseil supérieur de la magistrature (l’Inspection), un organe subsidiaire du Conseil, s’est vue dotée de pouvoir accrus sur les questions d’intégrité, pour la vérification des déclarations d’intérêts et de patrimoine des magistrats ainsi que pour les opérations de contrôle dans les cas où l’intégrité des magistrats est mise en cause. Son rôle a également été renforcé en ce qui concerne les procédures disciplinaires. Elle est compétente pour examiner presque tous les aspects des activités des tribunaux, des parquets, et des juges et procureurs pris individuellement, et notamment l’organisation interne et l’organisation du travail, la cohérence de la jurisprudence, la situation financière des magistrats ainsi que leur patrimoine, leur comportement dans la sphère privée, etc.
59. Avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, en octobre 2016, la commission de suivi a sollicité l’avis de la Commission de Venise. Celle-ci a estimé dans son avis 
			(24) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdf=CDL-AD(2017)018-e&lang=fr'>CDL-AD(2017)018</a> (anglais uniquement)., que les pouvoirs accrus de l’Inspection peuvent constituer une menace pour l’indépendance de la justice. Même si le pouvoir de décision officiel appartient toujours au CSM, le fait de confier à l’Inspection autant de nouvelles fonctions, qui viennent souvent chevaucher celles du CSM, peut avoir pour conséquence un transfert de fait du pouvoir dévolu au CSM.
60. Dans ce contexte, le mode d’élection des membres de l’Inspection (l’inspecteur général et 10 inspecteurs) est d’une importance fondamentale. Tous sont élus par le parlement à la majorité des deux tiers. La nécessité de trouver un compromis au parlement devrait donner lieu à la désignation de personnalités neutres, mais dans le contexte bulgare toutes les réserves formulées à propos de l’élection des membres du CSM au titre du quota parlementaire s’appliquent ici aussi. Nos interlocuteurs de la société civile ont déploré les marchandages politiques qui conduisent à une situation dans laquelle il y a toutes les chances que chaque inspecteur soit redevable de quelque obligation politique vis-à-vis d’un parti ou d’un autre 
			(25) 
			Dans leurs commentaires,
les autorités bulgares ont précisé que le mode d’élection était
conforme à l’une des recommandations formulées par la Commission
de Venise dans son Avis no 816/2015..
61. L’avis de la Commission de Venise contient des recommandations concrètes sur les procédures de nomination et de révocation des inspecteurs, et sur la séparation des pouvoirs entre l’Inspection et le CSM. La Commission préconise aussi une nouvelle clarification des règles régissant les procédures d’inspection et les procédures disciplinaires.
62. À la suite de cet avis, les autorités bulgares ont élaboré, en coopération avec le service d’appui à la réforme structurelle de la Commission européenne, un projet visant au renforcement des capacités de l’Inspection pour le traitement des questions liées à l’intégrité des magistrats. Ce projet, mis en œuvre par le Conseil de l’Europe, a été lancé à la fin de l’année 2018 pour s’achever en 2019.
63. En attendant, l’Inspection a entrepris ses nouvelles tâches. Depuis le 1er janvier 2017, tous les magistrats doivent présenter une déclaration de patrimoine et d’intérêts. Outre les éléments concernant leurs biens et avoirs, celle-ci doit comporter les informations sur une éventuelle participation à des entreprises commerciales ou à des organes de contrôle et de gestion d’entreprises commerciales ou de personnes morales à but non lucratif, et sur tout contrat avec des personnes exerçant des activités dans un domaine lié aux fonctions officielles du magistrat. La déclaration doit être soumise dans le mois suivant la prise de fonctions, tous les ans avant le 15 mai, dans le mois qui suit la cessation de fonctions et dans le mois qui suit le premier anniversaire de la date de cessation de fonctions. L’Inspection a reçu et publié les déclarations de patrimoine et d’intérêts de plus de 4 000 magistrats concernés par les nouvelles règles. Des procédures ont été entamées contre les magistrats qui n’ont pas soumis leur déclaration.
64. L’Inspection a été dotée de moyens supplémentaires afin d’enquêter sur d’éventuels conflits d’intérêts et sur les avoirs personnels des magistrats. Elle dispose d’un accès direct aux bases de données électroniques du gouvernement central et des collectivités locales, ainsi qu’aux autorités judiciaires et à d’autres institutions; elle peut demander des informations complémentaires à ces organes, qui ont l’obligation de répondre dans un délai d’un mois. Elle peut en outre demander la divulgation de données protégées par le secret bancaire ou le secret de l’assurance, ainsi que d’informations de nature fiscale ou liées à l’assurance sociale.
65. L’Inspection tient des registres publics en ligne où peuvent être signalés des cas potentiels de conflit d’intérêts, de fausses déclarations ou de pratiques corrompues de la part de magistrats. Elle reçoit aussi des signalements sur le travail des magistrats, mais jusqu’à présent un petit nombre seulement ont donné lieu à des investigations, car les informations données n’étaient pas complètes, a-t-il été expliqué. L’Inspection ne peut pas intervenir à partir d’un signalement anonyme, ou d’un signalement ne comportant pas suffisamment d’éléments concrets. Quant au suivi, elle peut inviter le magistrat concerné à un entretien, mais l’intéressé n’est pas légalement obligé de se présenter. Plus généralement, les pouvoirs d’enquête de l’Inspection sont limités. Il s’ensuit que seul un très petit nombre de signalements reçus jusqu’à présent ont débouché sur l’ouverture d’une procédure d’inspection et sur la mise au jour d’irrégularités. Le nombre de procédures disciplinaires conduites est encore plus faible.
66. Lors de notre visite nous avons entendu des critiques émanant de la société civile quant aux capacités de l’Inspection de vérifier efficacement l’existence potentielle d’un conflit d’intérêts. Il apparaît en outre que le système de signalement ne s’est pas révélé efficace jusqu’à présent.
67. Une disposition adoptée dans le cadre des modifications récentes oblige désormais le CSM à publier tous les ans un rapport sur l’autonomie et la transparence de la pratique judiciaire et de sa propre pratique. Ce rapport est soumis au débat public. Cette nouvelle mesure répond à la recommandation formulée par l’Assemblée.
68. En conclusion, nous constatons que les modifications de la loi sur la justice et des autres dispositions concernant le fonctionnement du CSM qui ont été adoptées en 2015 et 2016 constituent un progrès très important vers le plein respect par la Bulgarie de ses obligations et engagements.
69. En ce qui concerne le procureur général, la Commission de Venise a soulevé dans son dernier avis la question de l’obligation de rendre des comptes. Pour renforcer cette obligation, indiquait-elle, le CSM devrait mettre en place une procédure permettant la tenue d’une enquête effective et indépendante lorsque des manquements sont reprochés au procureur général. De plus, les fonctions et pouvoirs du parquet ne touchant pas au domaine pénal devraient être strictement limités. Enfin, la suspension des juges faisant l’objet d’une enquête devrait être soumise au contrôle effectif de la chambre des juges du CSM.
70. Sur ce dernier point, nous avons été informés au ministère de la Justice que de nouvelles dispositions avaient été adoptées en octobre 2017 pour que le CSM dispose d’une marge d’appréciation lui permettant de se prononcer sur le fond dans les affaires où il n’y a pas d’infraction liée aux responsabilités officielles du magistrat, et pour permettre la saisine de la Cour suprême administrative.
71. Lors de notre entretien avec le procureur général à l’occasion de la dernière visite que nous avons effectuée dans le pays, nous avons appris qu’une étude indépendante du modèle structurel et fonctionnel du parquet avait été conduite en 2016 par cinq experts indépendants de l’Union européenne – des procureurs venus d’Allemagne, d’Espagne, des Pays-Bas et du Royaume-Uni et intervenant sous l’égide du service d’appui à la réforme structurelle à la demande des autorités bulgares. Lors de leurs sept visites dans le pays, ces experts internationaux se sont entretenus avec plus de 200 personnes, parmi lesquelles des magistrats, des policiers, des avocats, des journalistes d’investigation et des représentants de la société civile. Ils ont élaboré un rapport comportant un certain nombre de recommandations en matière de pratique judiciaire au parquet, dans les tribunaux, au CSM, à l’Inspection et au ministère de la Justice. À la suite de l’étude, le procureur général a publié en 2017 un plan d’action pour la mise en œuvre des recommandations figurant dans l’étude indépendante sur le parquet. Une feuille de route a été élaborée avec le ministère de la Justice.
72. Selon le procureur général, la mise en œuvre des recommandations a beaucoup avancé. Suite aux amendements à la loi relative au système judiciaire, le procureur général présente tous les six mois à la chambre des procureurs du CSM, à l’Inspection et au ministère de la Justice, une synthèse faisant état des affaires ouvertes, closes et en cours. Il soumet en outre à la formation plénière du CSM un rapport annuel sur la mise en œuvre de la législation et sur la pratique judiciaire au parquet et chez les magistrats instructeurs. Les membres du Conseil peuvent poser des questions écrites concernant le rapport envoyées par des particuliers, des institutions et des organisations non gouvernementales (ONG). Le rapport est publié sur le site web du ministère public. Le CSM le communique au parlement. Le procureur général est auditionné par la commission des affaires juridiques tous les trois mois. Le procureur général estime que toutes ces mesures ont renforcé l’obligation de rendre compte liée à sa fonction.
73. Il nous a aussi été expliqué que le groupe de travail chargé par le ministère de la Justice de préparer des propositions de modification du Code pénal et du Code de procédure pénale (voir le paragraphe 83 infra) examinait la question des procédures permettant d’amener les titulaires des plus hautes fonctions de la magistrature, y compris un procureur général en exercice, à rendre compte de leurs actes en cas d’allégations de manquements graves ou d’infractions pénales.
74. Enfin, nous avons été informés que, dans un objectif de transparence et de responsabilité, le ministère de la Justice publiait depuis le début de 2017 un rapport semestriel sur l’avancée de la mise en œuvre de la stratégie de réforme judiciaire. Avant leur publication, les rapports provisoires font l’objet de consultations et de discussions auxquelles participent des représentants des institutions concernées par la mise en œuvre de la stratégie, ainsi que des organisations de professionnels et non gouvernementales. Un organe consultatif spécifique, le Conseil de la réforme judiciaire, a été créé à cette fin sous l’égide du ministère de la Justice. Ces mécanismes viennent compléter utilement les consultations officielles sur les initiatives législatives.
75. Le rapport préparé au titre du mécanisme de coopération et de vérification de l’Union européenne qui a été publié en novembre 2018 a jugé positif le processus de réforme judiciaire, en particulier en ce qui concerne l’élection et le fonctionnement du CSM et de l’Inspection. Dans ses conclusions, la Commission européenne a indiqué qu’elle estimait pouvoir clôturer avant la fin du mandat de la Commission actuelle le processus lancé au titre de ce mécanisme à propos de la Bulgarie, si la tendance positive se maintenait.
76. Les représentants de la société civile avec qui nous nous sommes entretenus lors de notre visite ont exprimé un avis plus mesuré. Tout en reconnaissant que des progrès indéniables avaient été faits en matière d’indépendance de l’appareil judiciaire, ils ont souligné qu’il était trop tôt pour pouvoir évaluer toutes les incidences des réformes et de la mise en œuvre des nouvelles dispositions législatives.
77. Les résultats du sondage d’Eurobaromètre, qui montre que en 2017, 74 % des Bulgares tendaient à ne pas faire confiance à la justice et au système judiciaire de leur pays, et que 18 % y faisaient confiance vont dans le même sens que les critiques qui précèdent. Il s’agit du taux le plus bas de l’Union européenne.

3.2. Le cadre juridique

78. Dans le dernier rapport sur la Bulgarie, l’Assemblée demandait aux autorités bulgares d’achever les travaux sur un nouveau code pénal, en coopération étroite avec des experts juridiques du Conseil de l’Europe. Le cadre juridique alors en vigueur, et en particulier certaines dispositions du Code de procédure pénale et du Code pénal, constituaient des obstacles empêchant les autorités judiciaires de mener des enquêtes et des poursuites dans les affaires de corruption à un haut niveau et de criminalité organisée.
79. En 2016, le ministère de la Justice, appuyé par les services du procureur général et d’autres organes de l’appareil judiciaire, a préparé un projet de modification du Code de procédure pénale. En raison des événements politiques qu’a connus alors la Bulgarie, le projet n’a toutefois pas été porté plus avant dans le processus législatif. En juin 2017, le nouveau gouvernement du Premier ministre M. Boïko Borissov a déposé le projet au parlement, qui l’a adopté sans attendre, en juillet 2017.
80. Les nouvelles dispositions visaient à résoudre le problème des lenteurs de la procédure pénale, notamment en limitant la possibilité pour les tribunaux de renvoyer les affaires devant le parquet pour des raisons de forme. Un autre changement important est le transfert des affaires de corruption à un haut niveau au parquet et au tribunal spécialisés dans les affaires liées à la criminalité organisée. Nous nous pencherons plus en détail sur ce point dans la sous-partie qui suit. Des mesures visant à assurer une meilleure exécution des peines, des délais plus courts et une plus grande souplesse dans la durée de l’instruction des affaires complexes ont également été adoptées.
81. Les changements sont dans l’ensemble conformes aux recommandations formulées précédemment. Cependant, la société civile et certains acteurs de l’appareil judiciaire ont déploré que le travail législatif ait été mené à un rythme rapide, ce qui n’a pas permis de véritable débat public à ce stade, et indiqué que certaines des modifications adoptées posaient problème. L’accélération des procédures et l’imposition de règles plus strictes limitant la capacité des juridictions à renvoyer des affaires au parquet risque d’entraîner des acquittements injustifiés, les délais imposés pouvant être parfois irréalistes.
82. Les modifications adoptées sont maintenant en vigueur. Le parquet spécialisé a été doté de nouveaux moyens pour faire face au volume de travail supplémentaire. En termes d’impact, on observe un grand nombre de renvois en début de procédure. Cela peut être le signe d’une approche plus prudente de la part des juges, mais il faut tenir compte aussi du fait que la procédure se déroule désormais plus rapidement une fois que la phase préliminaire est achevée. Les résultats positifs des modifications devraient être mis en évidence dans quelques mois.
83. Des groupes de travail constitués en 2017 sous l’égide du ministère de la Justice étudient actuellement la possibilité d’introduire de nouvelles modifications du Code pénal et du Code de procédure pénale dans un certain nombre de domaines. Ces points sont recensés dans un document intitulé «Concept de politique pénale», qui a été élaboré en coopération avec des experts néerlandais.
84. Les questions examinées s’agissant du Code de procédure pénale portent notamment sur l’encadrement des contrôles ex ante conduits par les enquêteurs avant l’ouverture officielle d’une instruction, l’autorisation de recourir à des mesures d’investigation spéciales, le rôle des témoins dans l’instruction et la possibilité de donner des pouvoirs d’enquête à l’Agence nationale de sécurité.
85. En ce qui concerne le Code pénal, un certain nombre de questions sont actuellement à l’étude, notamment la possibilité d’étendre au secteur privé les infractions d’abus d’autorité et la nécessité d’apporter la preuve des dommages résultant de l’abus d’autorité.
86. Lors de la visite, nous avons été informés que le parquet avait commencé, parallèlement au travail effectué dans ce domaine par le ministère de la Justice, à préparer un projet de modification de certaines dispositions essentielles du Code de procédure pénale sur les critères appliqués pour le renvoi d’une affaire devant les tribunaux ainsi que le contenu et la forme de la mise en accusation.
87. Il est clair que la mise en place d’un cadre juridique complet pour la politique pénale est une entreprise de longue haleine qui exige une analyse à de multiples niveaux, des consultations et un débat public, et que nous devons nous garder de vouloir accélérer le processus et le travail des différentes parties prenantes. Nous remercions les autorités bulgares pour leur ouverture et leur coopération avec les experts juridiques du Conseil de l’Europe, et exprimons notre satisfaction face à leur volonté d’introduire des modifications ciblées en vue d’améliorer les enquêtes et les poursuites dans le domaine de la corruption à un haut niveau et de la criminalité organisée.

3.3. Corruption à un haut niveau et criminalité organisée

88. En comparaison avec d’autres domaines, la lutte contre la corruption est le secteur dans lequel, jusqu’à une période récente, les progrès avaient été les plus faibles depuis le dernier débat à l’Assemblée. Les agences spécialisées du Conseil de l’Europe, notamment le GRECO, l’Union européenne dans ses rapports successifs au titre du mécanisme de coopération et de vérification et d’autres organisations internationales ont invariablement considéré que la corruption à un haut niveau était un problème majeur en Bulgarie.
89. Dans son indice de perception de la corruption 2017, Transparency International a classé la Bulgarie au 71e rang, sur un total de 180 pays, avec une note de 43 sur une échelle de 0 (niveau de corruption élevée) à 100 (pas ou peu de corruption) par rapport à une note de 41 en 2016. Pour l’indicateur «maitrise de la corruption» des Indicateurs mondiaux de la gouvernance de la Banque mondiale, la Bulgarie a obtenu en 2017 un score de 51,4 (exprimé en centiles). Si ce niveau est légèrement meilleur que celui de l’année précédente, il reste bien plus mauvais que celui de 2004 et de 2005.
90. Selon l’Eurobaromètre spécial sur la corruption de 2017, 87 % des Bulgares pensent qu’il existe de la corruption dans les institutions publiques nationales, ce qui représente une augmentation de 5 % par rapport à l’année 2016. L’enquête montre en outre que 83 % des personnes interrogées pensent que les affaires de corruption à un haut niveau ne font pas l’objet de poursuites efficaces.
91. Ces dernières années, des scandales de corruption impliquant des personnes à un haut niveau de responsabilité ont éclaté au grand jour, et notamment en 2017: le «TsumGate» (rencontre hors de tout cadre officiel entre des hommes d’affaires et le procureur général, durant laquelle des menaces ont été formulées et des pressions exercées en vue d’obtenir un traitement de faveur dans plusieurs procès commerciaux); le «Suzdhukgate», impliquant un ancien parlementaire du GERB ayant joué de son influence pour contourner la réglementation en matière de sécurité sanitaire des aliments, éliminer la concurrence et obtenir du parquet qu’il n’ouvre pas d’enquête sur une affaire d’homicide involontaire; l’affaire «de l’hôpital militaire», dans laquelle un ancien ministre de la Santé est accusé d’avoir eu recours à des procédures de passation de marché irrégulières; et la faillite de la Banque centrale coopérative, dans laquelle est impliqué un haut responsable de la Banque nationale bulgare. Bien que le parquet ait ouvert une enquête dans tous ces cas, aucune condamnation n’a été prononcée jusqu’à présent. L’aspect plus positif de ces affaires est que leur plus grande médiatisation semble avoir conduit les partis à faire preuve de moins de tolérance vis-à-vis de leurs membres impliqués dans des scandales, et à ne plus tenter de les couvrir.
92. Certains dysfonctionnements du système judiciaire entravent de toute évidence la lutte contre la corruption; ils ont fait l’objet de recommandations de l’Assemblée dans le domaine de l’indépendance de la justice. Nous nous sommes penchés dans les parties précédentes sur les questions spécifiques liées au rôle du Conseil supérieur de la magistrature en tant que garant de l’indépendance des juges. La nouvelle structure du CSM, sa composition, le mode de désignation de ses membres, ses pouvoirs, la mise en place d’une procédure simple et transparente pour garantir une évaluation rigoureuse et approfondie des qualifications, de l’intégrité, des capacités et de l’efficacité d’un juge avant qu’il soit nommé à vie, et l’élaboration de critères transparents et objectifs pour l’évaluation et la promotion des personnes, les pouvoirs accrus de l’Inspection, notamment en ce qui concerne le contrôle des déclarations de patrimoine et d’intérêts: toutes ces mesures positives prises à la suite de nos recommandations précédentes contribuent à la lutte contre la corruption. Elles avaient aussi été préconisées par le GRECO dans son rapport du quatrième cycle d’évaluation sur la Bulgarie et ont été considérées comme satisfaisantes dans le rapport de conformité de 2017.
93. Malheureusement, certains problèmes concernant l’indépendance de la justice et pouvant avoir une incidence sur la lutte contre la corruption n’ont pas été traités: il s’agit notamment de la recommandation du GRECO appelant à l’application au sein du système judiciaire d’un système de rémunération supplémentaire soumis à des critères clairs, objectifs et transparents. Dans son rapport d’évaluation, le GRECO mentionnait une pratique préoccupante, à savoir l’octroi, à la fin de l’année, à chaque juge d’une prime déterminée par le président de son tribunal, et des rumeurs selon lesquelles cette pratique servait à favoriser certaines allégeances au sein des tribunaux.
94. La deuxième catégorie de problèmes concernant directement la lutte contre la corruption est liée aux instruments offerts par le Code pénal et le Code de procédure pénale. Après avoir évoqué de manière générale les changements dans la politique pénale dans la sous-partie précédente, nous souhaitons ici nous pencher sur des questions plus spécifiques. Dans le dernier rapport sur la Bulgarie, l’Assemblée demandait aux autorités de mettre en œuvre les recommandations formulées par le GRECO, en particulier celles concernant l’incrimination claire de corruption et de trafic d’influence, et de veiller à une interprétation plus large du concept d’avantage indu ainsi qu’à l’application intégrale et à l’utilisation des possibilités offertes par la loi relative à la confiscation au profit de l’État de biens acquis de manière illicite, adoptée en 2012.
95. Dans ses deux rapports de conformité et dans un addendum au deuxième rapport de conformité sur la Bulgarie du troisième cycle d’évaluation 
			(26) 
			Greco
RC-III(2012)14F, GRECO RC-III(2014)12F et GRECO RC-III(2015)10F., le GRECO reconnaissait que la recommandation sur l’incrimination avait été mise en œuvre de façon satisfaisante. En septembre 2015, le parlement a adopté les modifications du Code pénal prévoyant expressément l’incrimination de la corruption à la fois passive et active et du trafic d’influence lorsque l’avantage retiré est destiné à un tiers. L’incrimination de la corruption d’arbitres étrangers a en outre été introduite.
96. Nous saluons le fait que la Bulgarie a investi des moyens considérables dans la formation et la sensibilisation d’un grand nombre de juges, de procureurs et de membres des forces de l’ordre sur les questions ayant trait à la corruption et au trafic d’influence et sur l’incrimination des avantages non matériels. Nous avons par ailleurs été informés lors de notre visite de l’adoption par les services du procureur général d’un catalogue unifié des infractions de corruption, conforme aux définitions de la corruption figurant dans les instruments juridiques internationaux. Cet outil est une référence pour les rapports statistiques et l’analyse des données que le procureur général doit publier à intervalles réguliers (voir les paragraphes 71 et 72).
97. En janvier 2018, le parlement a adopté une loi sur la lutte contre la corruption et la confiscation des avoirs, qui est conforme aux recommandations formulées précédemment. Les personnes que nous avons rencontrées lors des réunions officielles ont souligné le fait que cette nouvelle loi mettait en place une réforme complète du cadre législatif pour la prévention des conflits d’intérêts, de l’enrichissement illicite et de la corruption.
98. La nouvelle loi prévoit aussi la création d’une agence unifiée de lutte contre la corruption – la Commission de lutte contre la corruption et de confiscation des avoirs – chargée de vérifier l’absence de conflits d’intérêts et de contrôler le patrimoine des hauts fonctionnaires, de mener des enquêtes sur les allégations de malversation parmi ces fonctionnaires, d’établir des garanties pour la prévention de la corruption et de mener des procédures pour la saisie et la confiscation des avoirs illicites. Cette mesure vient répondre à une autre recommandation formulée dans le précédent rapport, par laquelle l’Assemblée demandait aux autorités bulgares de mettre sur pied des institutions indépendantes dans le domaine de la lutte contre la corruption en les dotant de la compétence et de l’obligation de formuler des propositions, d’intervenir de façon proactive et d’assurer un suivi indépendant, conformément aux recommandations formulées par la Commission européenne.
99. La nouvelle agence repose sur la fusion de cinq institutions existantes, dont la commission pour la confiscation des avoirs illicites, et a repris leur personnel et leurs ressources. Elle est compétente pour assister le parquet dans les enquêtes sur des cas présumés de corruption à un haut niveau. Bien qu’elle ne dispose pas de pouvoirs indépendants d’enquête pénale, elle a une compétence étendue pour mener des activités de surveillance et de renseignement dans le cadre de ses attributions. Elle est chargée de vérifier l’absence de conflit d’intérêts et de contrôler la déclaration de patrimoine de quelques 15 000 hauts responsables, notamment les ministres, les maires et les hauts fonctionnaires. Elle est aussi la principale agence responsable de la saisie et de la confiscation d’avoirs illicites. La loi prévoit qu’elle est responsable devant le parlement et qu’elle doit publier un rapport annuel.
100. Parallèlement, le gouvernement, par une ordonnance adoptée en juin 2018, a mis à jour et précisé le cadre juridique des services d’inspection internes de l’administration de l’État, notamment en élargissant leurs pouvoirs en ce qui concerne les conflits d’intérêts et la vérification des déclarations de patrimoine des fonctionnaires. L’amendement à la loi sur la fonction publique a été adopté en octobre 2017. Les nouvelles règles prévoient également un renforcement du rôle de coordination de l’inspection principale relevant du cabinet du Premier ministre et des règles plus claires pour le travail et les qualifications des inspecteurs. Des moyens humains et matériels supplémentaires ont été donnés aux services d’inspection.
101. Lors de notre visite, l’agence était déjà pleinement opérationnelle et tous nos interlocuteurs du ministère de l’Intérieur, du ministère de la Justice et du parquet étaient convaincus qu’elle allait permettre de franches avancées dans la lutte contre la corruption. Nous avons aussi relevé, cependant, certaines critiques émanant de représentants de la société civile qui déploraient la faible protection accordée aux lanceurs d’alerte et le fait que l’encadrement de l’agence était élu à la majorité simple au sein du parlement – ce qui pourrait donner lieu à des arrangements politiques. Le président Radev a opposé son veto à la loi, mais celui-ci a été annulé par l’Assemblée. Selon le Président, le projet de loi ne serait pas assez efficace et pourrait être utilisé pour persécuter des opposants politiques 
			(27) 
			Dans leurs commentaires,
les autorités bulgares ont souligné que la nouvelle loi de lutte
contre la corruption offre aux personnes qui effectuent des signalements
de nouvelles possibilités ainsi qu’une meilleure protection que
la législation antérieure..
102. Un des principaux défis à relever par la nouvelle agence sera de gérer efficacement le vaste champ de ses compétences, allant de la prévention aux activités liées aux enquêtes et à la confiscation des avoirs. L’indicateur essentiel de son efficacité tiendra dans les décisions qu’elle prendra au bout du compte sur les cas de corruption à un haut niveau, et dans le nombre de condamnations. En 2016, le parquet a procédé à l’examen d’un échantillon d’affaires de corruption achevées afin de recenser les problèmes qui entravent l’aboutissement des poursuites dans ces affaires. Un certain nombre de mesures ont été prises à la suite de cet examen, et des propositions de modification législative ont été formulées.
103. Lors de notre visite, nous avons appris que dans le premier semestre 2018 un nombre important de hauts responsables (dont un ministre, deux vice-ministres et plusieurs maires) avaient été inculpés d’infractions de corruption. Un parlementaire, trois ministres, deux vice-ministres et plusieurs maires ont été mis en accusation par les tribunaux. Plusieurs affaires, dont six concernaient des maires, ont débouché sur une condamnation. En outre, plusieurs enquêtes de grande ampleur étaient en cours.
104. Ceci nous amène à la question plus générale d’un mécanisme visant à informer le grand public des progrès réalisés dans les affaires de corruption à un haut niveau. La Bulgarie a créé en 2017 un mécanisme visant à informer le grand public des progrès réalisés dans les affaires de criminalité organisée à un haut niveau relevant du domaine public. La mise en place à la Cour suprême de cassation d’un site web public présentant des informations sur les procédures en cours est un élément positif à cet égard. Le procureur général doit communiquer sur les enquêtes et les mises en accusation, et la Cour suprême de cassation et le ministère de la Justice sur les condamnations et l’exécution des peines.
105. Nous attendons par ailleurs avec intérêt le résultat concret des discussions menées par les groupes de travail placés sous l’égide du ministère de la Justice (voir le paragraphe 83) sur d’autres points de la politique pénale qui concernent la corruption à un haut niveau. Ces groupes sont parvenus en 2018 à des conclusions sur un certain nombre de questions pour lesquelles il n’a pas été jugé nécessaire de donner une suite législative. Parmi ces points qui devraient faire l’objet de mesures administratives figurent notamment le contenu et la forme des mises en accusation, et l’implication de la direction dans les décisions sur des cas concrets au sein du parquet.
106. Des discussions sont toujours en cours sur un certain nombre de questions fondamentales, notamment le seuil requis pour l’ouverture d’une instruction ou le recours à des enquêtes préliminaires. Comme nous l’avons vu, la question de la responsabilisation du procureur général fait également l’objet de discussions et nous avons bon espoir que les solutions proposées répondront aux préoccupations formulées par la Commission de Venise dans le document CDL-AD(2018)018.
107. Enfin, l’Assemblée a recommandé en 2013 aux autorités d’effectuer une analyse exhaustive des insuffisances dans les procédures d’enquête dans le but de redresser la situation et, sur la base des expériences passées, améliorer l’efficacité de la police, du ministère public et des tribunaux. Nous avons abordé de manière générale la question des procédures judiciaires et des modifications du Code pénal et du Code de procédure pénale dans la partie 3.2. Nous avons également évoqué l’analyse du modèle structurel et fonctionnel du parquet conduite par des procureurs de différents pays de l’Union européenne, et la suite qui a été donnée à leurs recommandations (voir les paragraphes 71-72).
108. Dernier point, nous avons été informés lors de notre visite à l’Assemblée nationale des mesures spécifiques visant à combattre la corruption au niveau du parlement. À la suite des recommandations formulées par le GRECO, le Règlement du parlement a été modifié en octobre 2016 dans le but de garantir la transparence du processus législatif et de renforcer l’interaction avec la société civile et les autres parties intéressées. Les nouvelles dispositions prévoient des sanctions spécifiques en cas d’infraction aux règles éthiques et ont mis en place une procédure en ce sens.
109. Afin de faire mieux connaître les règles éthiques, la Commission parlementaire pour la lutte contre la corruption et les conflits d’intérêts et la promotion d’une éthique parlementaire a l’obligation d’émettre à destination des députés des avis consultatifs sur la mise en œuvre des règles éthiques de conduite. Toute personne physique ou morale peut saisir la commission ou bien signaler une infraction. Les décisions concernant les procédures disciplinaires contre des parlementaires sont publiées au registre public du parlement. Le mandat de la Commission de lutte contre la corruption et de confiscation des avoirs concerne aussi bien entendu les parlementaires.
110. Pour ce qui est de la lutte contre la criminalité organisée, les rapports successifs du mécanisme de coopération et de vérification relèvent d’importants progrès. Cela a été confirmé lors de nos visites au ministère de l’Intérieur, où les données statistiques sur la traite et le trafic nous ont été communiquées. Sur ce point également, il faut saluer le travail des autorités, qui ont mis en place un système assurant la transparence sur le compte rendu des progrès accomplis en la matière. En ce qui concerne la corruption en général, y compris au niveau local et aux frontières, les rapports du MCV et du GRECO indiquent que la Bulgarie a pris des mesures pour répondre aux recommandations formulées précédemment.
111. Le dernier rapport du GRECO, qui date de juillet 2017, indique que 12 des 19 recommandations faites aux autorités ont été mises en œuvre et relève d’importants progrès. Le dernier rapport du MCV se félicite aussi des progrès accomplis par la Bulgarie l’année dernière en matière de corruption et compte que le processus de suivi sera clôturé avant la fin du mandat de la Commission actuelle.
112. Sur la base de toutes ces informations, nous estimons que d’importants progrès ont été réalisés cette dernière année dans la lutte contre la corruption. La nouvelle loi de lutte contre la corruption et les autres améliorations apportées au cadre législatif et administratif pour la tenue des enquêtes et des poursuites en matière de corruption donne aux organes chargés de l’application des lois tous les outils nécessaires. Il faut maintenant parvenir à des résultats concrets et constituer un acquis solide. Nous espérons que la transparence et l’obligation de rendre des comptes, qui semblent désormais faire partie intégrante du travail de toutes les parties prenantes, contribueront à de nouveaux progrès dans ce domaine.

3.4. Médias

113. La situation de la liberté de la presse en Bulgarie est la plus mauvaise de toute l’Union européenne. Dans son classement mondial de la liberté de la presse 2018, Reporters sans frontières (RSF) a placé la Bulgarie au 111e rang mondial (sur 180), derrière des pays comme le Ghana, la Mongolie ou le Kirghizstan. La situation n’a cessé de se détériorer ces dernières années, comme en atteste l’évolution du classement: le pays se situait à la 70e place en 2010, à la 80e en 2011 et à la 109e en 2017.
114. L’un des principaux problèmes et obstacles à la liberté de la presse en Bulgarie est la concentration de la propriété et l’absence de transparence. La législation bulgare ne prévoit pas de seuils spécifiques permettant de prévenir une forte concentration de propriété des médias. Les données disponibles sur cette question et sur les parts de marché sont insuffisantes et ne permettent pas d’évaluer correctement la réalité de la concentration entre différents secteurs des médias sur le marché national.
115. Selon Reporters sans frontières, 80 % de la presse écrite se trouve dans le New Bulgarian Media Group, un groupe aux mains d’une seule personne, le responsable politique et homme d’affaires Delyan Peevski. Ses journaux sont pour la plupart des titres progouvernementaux. Le groupe occupe aussi une position dominante au sein de la seule société de distribution de presse du pays.
116. Les stations de radio et les chaînes de télévision doivent obtenir une licence auprès du Conseil des médias électroniques, un organe indépendant dont le budget est approuvé par le parlement. Selon plusieurs organisations internationales et un certain nombre d’études, la délivrance de licences se fait de manière arbitraire 
			(28) 
			Dans leurs commentaires,
les autorités bulgares ont fait valoir que cette critique était
infondée, dans la mesure où la mise en concurrence prévue par la
loi sur la radio et la télévision, les critères d’évaluation rendus
publics et la décision finale font l’objet d’un contrôle judiciaire
et constituent des garanties suffisantes en matière de transparence
et de justice du processus dans son ensemble.. La nomination des membres de l’autorité de régulation du secteur de la radiodiffusion commerciale et publique est purement politique et se décide entre le parlement et le Président. La nomination du directeur général de la Télévision nationale bulgare, puis celle de dirigeants à un échelon inférieur de la hiérarchie, ont également été marquées par l’absence de transparence 
			(29) 
			Les autorités bulgares
ont affirmé que cette nomination avait respecté une procédure totalement
transparente, énoncée dans la Décision no RD-05-159/2016
du Conseil des médias électroniques..
117. La législation de lutte contre l’ingérence politique dans les médias n’interdit pas expressément aux responsables politiques de détenir des organes de presse. S’ajoute à cela le fait qu’elle ne protège pas de manière adéquate les politiques éditoriales indépendantes.
118. Dans sa dernière résolution sur le dialogue postsuivi avec la Bulgarie, adoptée en 2013, l’Assemblée a demandé aux autorités d’adopter une législation faisant obligation aux médias de radiodiffusion de divulguer les noms de leurs véritables propriétaires, comme c’était déjà le cas pour la presse écrite. Cette loi a été adoptée le 1er novembre 2018. Selon la société civile, cependant, les dispositions législatives portant sur la transparence de la propriété des médias ne sont pas appliquées, ou seulement en partie. Le système actuel d’enregistrement ne garantit pas la transparence car la plupart des organes de presse sont enregistrés en tant que sociétés offshore, sociétés anonymes ou fondés de pouvoir.
119. En mars 2018, le Comité des Ministres a adopté la Recommandation CM/Rec(2018)1 sur le pluralisme des médias et la transparence de leur propriété, qui met à jour les normes visant à garantir la pluralité du paysage médiatique, la transparence de la propriété des médias, la diversité du contenu des médias et le caractère inclusif des médias de service public. Elle fixe des normes qui, nous l’espérons, seront intégrées dans les futures lois de la Bulgarie.
120. Selon l’Association des journalistes européens, un autre problème grave de l’environnement médiatique en Bulgarie est l’influence des pouvoirs publics sur les organes de presse, qui s’exerce au moyen des budgets de communication des programmes opérationnels de l’Union européenne, dont les fonds sont attribués en échange d’un traitement médiatique favorable. Du fait de la crise économique, les ventes et les recettes publicitaires ont diminué ces dernières années, ce qui a accru la dépendance de tous les médias vis-à-vis du soutien de l’État. L’attribution par le gouvernement des fonds de l’Union européenne à certains organes de presse se fait dans une totale absence de transparence, sans concurrence et sans que soit appliquée la législation en matière de passation des marchés publics.
121. Dans un entretien accordé à la télévision, un vice-Premier ministre a menacé de priver le groupe de presse BTV et le groupe de radiodiffusion Nova (les deux plus grandes chaînes privées de télévision du pays) de leurs fonds européens, les accusant de manipuler l’opinion publique et de ne pas rendre compte correctement de l’action des pouvoirs publics 
			(30) 
			Freedom
House, Rapport de pays sur la Bulgarie 2017..
122. Le problème fondamental est toutefois celui de l’intimidation et de l’utilisation de poursuites pénales en tant que moyen de pression. Les journalistes qui subissent des pressions injustifiées réagissent souvent en s’autocensurant. Les menaces et les pressions dont font l’objet les journalistes travaillant dans de petits médias locaux sont particulièrement préoccupantes.
123. Lors de deux entretiens distincts tenus en octobre 2017, un député membre d’un parti de la coalition au pouvoir et un vice-Premier ministre ont tenu des propos menaçants à l’égard d’un journaliste, sous-entendant qu’il allait subir le même sort que son ancienne collègue, contrainte à la démission peu de temps auparavant après une série d’attaques politiques. À la suite des manifestations organisées en signe de protestation, le député en question a démissionné et le vice-Premier ministre a dû faire une déclaration publique. Il reste, malheureusement, que ce cas n’est pas isolé.
124. Plusieurs cas d’ingérence politique directe dans la presse ont été signalés ces dernières années. L’exemple le plus flagrant est celui de la journaliste d’investigation Dilyana Gaytandhzieva, qui a reçu des menaces directes et a été licenciée sans explications après avoir publié certaines révélations.
125. Plus des deux tiers des 200 journalistes bulgares interrogés dans le cadre d’une enquête de l’Association des journalistes européens reconnaissent que la plupart des ingérences qu’ils subissent sont le fait de responsables politiques. Ces ingérences sont fréquentes et répandues, indiquent 92 % des journalistes.
126. Cette situation pèse sur la qualité du débat public. Elle a aussi des conséquences sur l’indépendance de la justice, du fait des attaques ciblées de certains médias contre des juges et de la difficulté de faire aboutir les recours contre ces actes. Plus généralement, un environnement médiatique faible n’est pas propice à la responsabilisation des hommes et des femmes qui détiennent le pouvoir.
127. En revanche, nous considérons comme infondées les protestations qui ont eu lieu au sujet d’un autre cas emblématique. En septembre 2018, deux journalistes ont été détenus pendant quelques heures dans les locaux de la police. Ils avaient tenté de tourner des images concernant la destruction par le feu de documents portant sur une affaire de corruption (détournement de fonds européens). L’affaire a été reprise dans les médias internationaux. Nous avons soulevé cette question auprès du ministre de la Justice et du vice-ministre de l’Intérieur. Tous deux nous ont assuré que le placement en détention était le résultat d’une mauvaise communication; les journalistes n’avaient pas prévenu la police de leur présence, qui était prévue. Pour le reste, la coopération avec ces deux journalistes et avec les journaux qu’ils représentent a toujours été très bonne, ont fait savoir nos deux interlocuteurs. Un représentant de l’Association des journalistes européens avec qui nous nous sommes entretenus par la suite a confirmé cette explication.
128. Par ailleurs, les violences contre les journalistes sont en hausse. On relève par exemple l’agression perpétrée contre Khristo Geshov, producteur de l’émission télévisée «On Target». Un autre journaliste, Georgui Ezekiev, de Zov News, a enregistré des menaces qui lui étaient adressées; des enquêtes ont été ouvertes dans les deux cas. En 2017, l’Association des journalistes européens a recensé 10 cas d’intimidation. Nous avons pris note avec satisfaction de la réaction du Premier ministre Boïko Borissov, qui a déclaré en public que «les agresseurs doivent être punis avec toute la sévérité de la loi».
129. L’événement tragique le plus récent a vu la mort d’une journaliste d’investigation, Victoria Marinova, assassinée en octobre 2018 
			(31) 
			Le 8 octobre 2018,
nous avons publié une déclaration dans laquelle nous avons demandé
aux autorités bulgares de mener une enquête approfondie et de traduire
en justice les auteurs de cet acte.. Le 7 décembre 2018, nous avons reçu une lettre du président de la délégation bulgare nous fournissant des informations à jour sur l’état d’avancement d’une enquête sur le meurtre et sur la procédure judiciaire en cours. Les analyses de l’ADN et d’autres éléments de preuve ont permis d’identifier un citoyen bulgare suspect, âgé de 21 ans, qui, entre-temps, s’était installé en Allemagne. Le tribunal allemand avait décidé d’accorder une demande d’extradition. Actuellement, le suspect subit des examens psychiatriques et l’audience devant la Cour aura lieu dans un délai de quatre mois. Les autorités bulgares supposent que l’agression est de nature criminelle.
130. Les autorités bulgares devraient se conformer aux dispositions de la Recommandation CM/Rec(2016)4 du Comité des Ministres sur la protection du journalisme et la sécurité des journalistes et autres acteurs des médias.
131. Dans un registre positif, une recommandation de l’Assemblée sur la dépénalisation de la diffamation, formulée de longue date, a été mise en œuvre; une disposition en ce sens a été introduite dans le Code pénal.

3.5. Code électoral

132. Ainsi que le reconnaît la Commission de Venise dans son dernier avis sur le Code électoral, adopté en juin 2017 
			(32) 
			Avis conjoint
de la Commission de Venise et du Bureau des institutions démocratiques
et des droits de l'homme de l’Organisation pour la sécurité et la
coopération en Europe (OSCE/BIDDH) sur des amendements au Code électoral, CDL-AD(2017)016., les diverses modifications du Code électoral adoptées entre 2014 et 2016 ont amélioré le code sur plusieurs points, reprenant certaines recommandations formulées dans de précédents avis, en 2013 et 2014. Les nouvelles dispositions ont amélioré notamment le financement des campagnes électorales et sa surveillance, l’enregistrement des électeurs et la couverture médiatique des campagnes.
133. Un certain nombre de problèmes demeurent toutefois. En outre, certaines des modifications adoptées entre 2014 et 2016 soulèvent des préoccupations.
134. Selon les recommandations de la Commission de Venise dans son avis rendu en 2017, il conviendrait d’améliorer la procédure d’enregistrement des électeurs et la compilation des listes électorales; de réduire les restrictions du droit de suffrage des citoyens purgeant une peine de prison, quelle que soit la gravité de l’infraction commise; de veiller à ce que les citoyens bulgares possédant une double nationalité puissent effectivement exercer leur droit de se présenter à une élection; de revenir sur les restrictions imposées à l’observation des élections; d’harmoniser divers délais prévus dans le processus électoral, notamment les délais relatifs aux procédures de dépôt des recours; et d’admettre l’utilisation des langues des minorités dans les campagnes électorales.
135. La Commission recommande en outre qu’une large consultation publique soit tenue et que toute réforme du Code électoral intervienne bien avant des élections.

3.6. Questions relatives aux droits de l’homme

3.6.1. Mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme

136. Depuis son adhésion au Conseil de l’Europe, la Bulgarie a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour») pour traitements inhumains ou dégradants dans plus de 80 affaires (y compris ces cas concernant l’absence de procès équitable et quelques cas de torture). En comparaison, la République tchèque, dont la population est plus importante, n’a été condamnée qu’à deux reprises dans de telles affaires.
137. À la suite des arrêts rendus par la Cour, la Bulgarie a dû verser 641 535 euros à titre d’indemnités en 2017 – soit à peu près 12 fois plus que l’Allemagne et 15 % de plus que l’année précédente 
			(33) 
			Comme les autorités
bulgares l’ont souligné à juste titre dans leurs commentaires, en
2018, l’Allemagne a versé 1 131 472 € à titre d’indemnités et la
Bulgarie 747 161 €. Nous reconnaissons que notre comparaison peut
être trompeuse..
138. La Bulgarie est l’un des pays comptant la plus grande proportion d’arrêts non mis en œuvre. Dans la Résolution 2075 (2015) sur la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, l’Assemblée a relevé qu’elle figurait parmi les neuf États qui comptent le nombre le plus élevé d’arrêts non exécutés, dont certains particulièrement importants qui révèlent l’existence de problèmes structurels et n’ont pas été réglés depuis plus de cinq ans.
139. La Bulgarie est l’un des quatre États (avec la Turquie, la Roumanie et la Géorgie) pour lesquels une surveillance renforcée a été mise en œuvre (7 % du nombre total de cas sont placés sous surveillance renforcée). Les principaux problèmes concernent la durée des procédures judiciaires et l’absence de recours effectif à cet égard, les mauvaises conditions de détention et les mauvais traitements perpétrés par des membres des forces de l’ordre, l’expulsion d’étrangers en violation de leur droit au respect de la vie familiale ainsi que l’ineffectivité des enquêtes pénales.
140. D’après les statistiques du Comité des Ministres sur la surveillance de l’exécution des arrêts, 207 affaires concernant la Bulgarie étaient pendantes devant le Conseil des Ministres en décembre 2017 et 208 en décembre 2018. Ce chiffre était toutefois en baisse par rapport aux années précédentes.
141. Se fondant sur un grand nombre d’affaires qui lui avaient été soumises au cours des années précédentes, la Cour a retenu en 2015 un problème systémique tenant à l’absence d’enquête effective sur les infractions pénales en Bulgarie.
142. À la suite de cela, le parquet bulgare a mené en 2016 une étude de la jurisprudence de la Cour concernant le pays. Il a recensé un certain nombre de défaillances aux plans législatif et administratif et formulé des recommandations en vue d’y remédier. L’étude a été rendue publique sur le site du parquet. En 2017, celui-ci a publié une feuille de route comprenant une analyse de la jurisprudence sur le contrôle juridictionnel des décisions du ministère public de classement sans suite, et prévoyant la désignation de procureurs et d’enquêteurs spécialisés dans les affaires où il y a dépôt de plainte pour usage excessif de la force par des agents des forces de l’ordre et la révision des contrôles internes au sein du ministère public.
143. Un grand nombre des problèmes identifiés ont été examinés plus haut. Plusieurs mesures administratives ont été prises en complément d’éventuelles initiatives législatives. Une formation en matière d’enquête effective a été mise en place pour les procureurs. En juin 2018, en outre, un groupe de travail a été instauré en vue d’étudier les moyens de renforcer la coopération entre le ministère de la Justice et le parquet s’agissant de la suite à donner aux futurs arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme concernant les lacunes dans l’efficacité des enquêtes pénales en Bulgarie. Enfin, l’établissement des statistiques du ministère public a été revu de manière à inclure les contrôles ex ante et les instructions concernant les plaintes pour violences commises par des membres des forces de l’ordre et des agents des établissements pénitentiaires et des autres structures de détention. Tous les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme doivent être publiés sur le site web du ministère de la Justice avec les commentaires du ministère public.
144. Le dernier rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée sur la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme 
			(34) 
			Doc 14340., qui a été débattu en juin 2017, a reconnu les progrès accomplis par la Bulgarie quant au problème de la durée excessive des procédures judiciaires et de l’absence de recours effectif à cet égard. En septembre 2015 et en février 2017, au vu des mesures introduites dans le Code de procédure pénale bulgare, le Comité des Ministres a clos respectivement 56 et 34 affaires. Certains progrès ont également été relevés dans le cadre de la mise en œuvre des groupes d’affaires portant sur les mauvaises conditions de détention (groupe d’affaires Kehayov et arrêt pilote Neshkov et autres) et les mauvais traitements par des agents des forces de l’ordre (groupe Velikova) (voir infra).

3.6.2. Personnes en détention

145. Les conditions de détention en Bulgarie posent des problèmes et le CPT a fait état dans ses rapports en 2015 
			(35) 
			Voir
CPT/Inf(2015)36 (anglais uniquement). de mauvaises conditions matérielles et d’abus systémiques de la part des forces de police
146. Lors de notre dernière visite, nous avons été amplement informés des mesures adoptées pour améliorer la situation à la fois dans les prisons, qui demeurent placées sous la responsabilité du ministère de la Justice, et dans les postes de police, administrés par le ministère de l’Intérieur.
147. En réponse aux préoccupations exprimées par le CPT, le parlement a adopté en janvier 2017 des modifications de la loi sur l’exécution des peines et la détention. Les modifications concernent les conditions de détention, le régime, les libérations anticipées et le contrôle juridictionnel de l’administration pénitentiaire 
			(36) 
			Dans leurs commentaires,
les autorités bulgares ont mentionné la déclaration faite par le
président du CPT lors de la réunion du Comité des Ministres tenue
du 13 au 15 mars 2018, au cours de laquelle il avait cité la Bulgarie
en exemple pour la réussite de la réforme du système pénitentiaire
menée après 2014..
148. Les conditions matérielles sont très différentes d’un centre de détention à l’autre, mais quelques améliorations ont été relevées de façon générale. De grands travaux de rénovation ont été menés à bien dans certaines prisons grâce à des fonds norvégiens octroyés spécifiquement à cette fin. La capacité totale actuelle du système pénitentiaire bulgare est de 8 500 places, selon les normes du CPT, pour 5 000 détenus en ce moment. Pour la détention provisoire, les chiffres respectifs sont de 1 500 et 860. Les autorités projettent de construire une nouvelle prison équipée d’un centre de formation pour le personnel pénitentiaire.
149. La Cour européenne des droits de l’homme a pris acte des progrès importants effectués ces dernières années en vue d’améliorer les conditions carcérales et a conclu à la non-violation dans deux affaires récentes.
150. En ce qui concerne le traitement réservé aux personnes en garde à vue, le CPT a émis en 2018 une déclaration faisant état d’une légère amélioration par rapport à sa dernière visite, en 2015, en particulier pour ce qui est de la gravité des mauvais traitements signalés. Le CPT a regretté l’absence de progrès véritable dans l’application des garanties contre les mauvais traitements, à savoir le droit d’informer un tiers de son placement en détention, le droit d’accès à un avocat et à un médecin et le droit d’être informé des droits susmentionnés.

3.6.3. Groupes minoritaires

151. Selon les chiffres du recensement de 2011, la population comptait 7,3 millions d’habitants, dont 5,6 millions de Bulgares (84,8 % de la population), 588 000 Turcs (8,8 %), 325 000 (4,6 %) Roms et 49 000 personnes (0,7 %) se déclarant comme «autres» (Russes, Arméniens, Macédoniens, Valaques, Grecs, Ukrainiens et Juifs) 
			(37) 
			La réponse
à la question sur l’appartenance ethnique n’étant pas obligatoire
lors du recensement de 2011, 10 % des répondants ont choisi de ne
pas y répondre..
152. Des sources non gouvernementales estiment que la population rom est bien supérieure aux chiffres officiels et compte environ 700 000 personnes. Le chiffre d’un million de personnes a été avancé lors d’un entretien avec un représentant de la communauté. Selon les autorités, cet écart avec les résultats du recensement est dû au fait que de nombreux Roms se déclarent comme Bulgares ou Turcs.
153. La Bulgarie a ratifié la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales en 1999. La mise en œuvre a depuis fait l’objet de quatre rapports dans le cadre du mécanisme de suivi de la Convention. Les structures pertinentes ainsi que le cadre législatif et administratif ont été mis en place et ont fait l’objet d’une analyse dans le rapport établi par notre prédécesseur, en 2013. Nous ne revenons donc pas sur cette question.
154. Lors de notre visite, nous avons rencontré des représentants de la société civile qui s’occupent des questions de minorités, notamment des représentants des Roms et des Macédoniens. Nous souhaitons évoquer ici plusieurs motifs de préoccupation dont ils nous ont fait part.
155. Sur un plan plus général, nos interlocuteurs nous ont dit que le discours de haine à caractère raciste et intolérant revêtait toujours un caractère très préoccupant en Bulgarie. Les principales cibles de ce discours de haine sont les Roms, les musulmans, les juifs, les Turcs et les Macédoniens. Dans le dernier rapport sur la Bulgarie, l’Assemblée a demandé aux autorités bulgares de condamner systématiquement et sans conditions les discours de haine contre les minorités, de renforcer les mesures visant à favoriser la tolérance et le respect mutuel, et d’encourager les responsables politiques à adopter un comportement exemplaire. Nous avons malheureusement appris que la situation à cet égard ne s’était pas améliorée. Nous appelons une nouvelle fois les autorités à suivre les recommandations détaillées énoncées par l’ECRI dans son rapport présenté dans le cadre du cinquième cycle de suivi 
			(38) 
			Dans leurs commentaires,
les autorités bulgares ont fait état d’un certain nombre de mesures
qui ont été prises pour lutter contre les propos haineux et les
infractions motivées par la haine..
156. Les Roms constituent le groupe minoritaire le plus important de Bulgarie. Une part importante de la population rom (300 000 personnes environ) vit dans le nord-ouest du pays. Selon nos interlocuteurs, la situation de ces personnes s’est détériorée ces dernières années. Les représentants de la communauté sont exclus du processus démocratique et ne sont présents à aucun niveau du processus décisionnel. Ils n’utilisent pas les instruments politiques.
157. Leur situation matérielle et sociale est dans l’ensemble très mauvaise. Quelque 200 000 familles ont des problèmes de logement. On peut parler d’une société parallèle: dans les zones où vivent les Roms, on ne voit ni l’État, ni ses institutions ni ses agents. Ce cercle vicieux d’exclusion sociale et de discrimination se traduit par une pauvreté toujours plus grande et une émigration massive. Environ 30 % à 40 % des jeunes Roms quittent le pays pour se rendre dans d’autres pays de l’Union européenne, en particulier en Allemagne.
158. Notre interlocuteur nous a indiqué que son association, qui représente les Roms, tente d’établir un dialogue constructif avec les autorités et d’aider la population à s’emparer des outils politiques existants. Il reconnaît que des progrès importants ont été réalisés dans le domaine de l’éducation: environ 90 % des Roms ont une instruction élémentaire et quelque 60 %-70 % terminent leurs études secondaires. La discrimination sur le marché du travail reste toutefois un obstacle à une véritable intégration. Notre interlocuteur a regretté que les manuels scolaires n’aient pas été modifiés de manière à refléter l’histoire et la culture des Roms, et que les Roms n’occupent pas de postes d’enseignant.
159. Les incidents les plus récents dans le village de Gabrovo, en avril dernier, concernent des violences exercées contre la population rom instiguées par la large diffusion d’une vidéo montrant des hommes identifiés comme rom supposés provoquer une rixe dans un magasin. Ces violences ont duré plusieurs jours et ont eu comme conséquence la fuite de 80 % de la population rom du village comptant 800 habitants, ce qui illustre le problème dans le pays.
160. Une autre source de préoccupation a trait à la minorité macédonienne, qui n’est pas reconnue comme telle par les autorités bulgares du fait de l’application restrictive des critères officiels, alors que ce groupe a fait part à de multiples reprises de son souhait de bénéficier de la protection offerte par la Convention-cadre. De ce fait, il n’y a pas de représentant macédonien à la Commission des minorités. Les Macédoniens ne bénéficient d’aucun programme destiné aux communautés ethniques et ne reçoivent aucune aide de l’État pour la conservation et le développement de leur culture et de leur identité. Ni la langue ni l’histoire macédoniennes ne sont enseignées à l’école. Aucune organisation ou formation macédonienne n’est enregistrée. Nos interlocuteurs estiment que les membres de leur communauté font l’objet de discriminations.
161. Nous avons évoqué toutes ces questions avec les autorités, qui nous ont répondu que plusieurs programmes, stratégies et plans d’action avaient été adoptés au cours des dernières années pour améliorer la situation des Roms, notamment la Stratégie nationale pour l’intégration des Roms (2012-2020). Un travail a été entrepris avec les régions et les municipalités en vue d’élaborer des stratégies spécifiques à chaque région de Bulgarie. Le nombre de Roms parvenant à un niveau d’études plus élevé, y compris d’études universitaires, a augmenté. Certaines initiatives, telles que le recrutement de médiateurs pour les questions de santé et de travail, ont par ailleurs eu des effets positifs.
162. Dans sa dernière résolution sur la mise en œuvre de la Convention-cadre par la Bulgarie, adoptée en 2018, le Comité des Ministres a relevé un certain nombre de faits positifs. La Commission pour la protection contre la discrimination continue d’examiner les réclamations individuelles pour discrimination raciste et ethnique en vertu de la loi sur la protection contre la discrimination et a étendu son réseau de représentants régionaux. Son budget annuel a été augmenté.
163. Il existe diverses dispositions touchant à la protection des droits culturels des personnes appartenant aux minorités et, fait encourageant, les autorités élaborent actuellement une stratégie culturelle nationale comptant la promotion de la diversité culturelle parmi ses objectifs opérationnels. Les autorités ont invité l’ensemble des ONG intéressées à participer au processus.
164. Des programmes en langue turque continuent d’être diffusés quotidiennement, soit une émission télévisée de dix minutes et un programme radiophonique de trois heures sur les ondes moyennes. Le turc, l’arménien, l’arabe, le grec, l’hébreu et le romani sont toujours enseignés dans les écoles. Le nombre d’élèves étudiant la langue romani a considérablement augmenté ces dernières années. Des manuels scolaires et des cahiers d’exercices ont été créés pour promouvoir l’histoire et le folklore roms.
165. Les personnes appartenant aux minorités continuent d’être représentées dans les partis politiques au parlement. Dans les régions où elles vivent en nombre substantiel, elles sont également maires et membres des instances élues locales. Organe consultatif et de coordination, le Conseil national de coopération sur les questions ethniques et l’intégration est le principal mécanisme de participation des représentants des minorités ethniques. Il compte de nombreuses ONG et les autorités ont indiqué qu’elles étaient disposées à ce que d’autres y soient représentées.
166. La résolution relevait aussi certains sujets de préoccupation. Les autorités bulgares n’ont organisé aucune consultation ou discussion sur la protection offerte par la Convention-cadre avec certaines personnes qui s’identifient comme appartenant à des minorités nationales et ont à plusieurs reprises manifesté un intérêt pour que la Convention-cadre leur soit appliquée, mais qui, selon les autorités bulgares, ne remplissent pas tous les critères.
167. Selon des données officielles, 10 % environ des plaintes déposées auprès de la Commission pour la protection contre la discrimination concernent des questions de race ou d’appartenance ethnique.
168. Des cas d’incitation à l’intolérance et au racisme ont été signalés. Il n’existe toujours pas dans le Code pénal de disposition spéciale faisant de la motivation raciste une circonstance aggravante 
			(39) 
			Dans leurs commentaires,
les autorités bulgares ont souligné que, même si le Code pénal ne
contient pas de disposition spécifique, l’article 54 oblige les
juges à prendre en compte le degré de dangerosité de l’infraction
pour la société, et comme la pratique le montre, ils considèrent
systématiquement la motivation raciste comme une circonstance aggravante..

3.6.4. Réfugiés et demandeurs d’asile

169. La Bulgarie a ratifié en 1993 la Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés et le Protocole de 1967. Elle a adopté un cadre législatif et administratif régissant l’accueil et les procédures d’asile. Située à un carrefour des routes migratoires à la frontière sud-est de l’Union européenne, le pays a connu une forte augmentation des arrivées de migrants à la suite du conflit en Syrie. En 2015 et 2016, quelque 15 000 personnes ont traversé la frontière avec la Turquie, contre un millier en moyenne les années précédentes.
170. Le nombre de réfugiés et de demandeurs d’asile a considérablement baissé depuis lors. Selon les informations qui nous ont été communiquées oralement au ministère de l’Intérieur, 3 700 demandes d’asile ont été déposée en 2017; 804 personnes ont obtenu le statut de réfugié et 900 la protection subsidiaire 
			(40) 
			On
nous a dit qu’il est difficile d’évaluer le nombre exact de réfugiés
et de demandeurs d’asile, car bon nombre des personnes à qui un
statut a été attribué se dirigent vers d’autres pays de l’Union
européenne, en particulier l’Allemagne et les pays scandinaves.. La chute est due en partie à la décision du gouvernement de construire un mur provisoire le long d’une partie de sa frontière avec la Turquie, et au déploiement de 600 agents de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex).
171. Nos interlocuteurs de la société civile ont dénoncé les défaillances de la politique et des pratiques en matière d’asile et à l’égard des réfugiés. Nous souhaitons mettre en relief les effets positifs des programmes d’appui global aux localités accueillant des réfugiés, qui permettent de faire tomber l’hostilité vis-à-vis des nouveaux venus et de soutenir le développement durable. Nos interlocuteurs ont aussi déploré le nombre insuffisant de cours de langue, qui constitue un frein à une intégration réussie 
			(41) 
			D’après les commentaires
reçus des autorités bulgares, les centres d’enregistrement de l’Agence
nationale pour les réfugiés organisent des cours de langue et des
formations sont dispensées tout au long de la procédure de détermination du
statut. Parallèlement, les enfants sont intégrés dans le système
éducatif bulgare et bénéficient de cours supplémentaires de langue
bulgare..
172. La dernière visite en Bulgarie du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe 
			(42) 
			Voir CommDH(2015)12. a porté sur les problèmes liés aux demandeurs d’asile et aux migrants en situation irrégulière. Le Commissaire ayant formulé des recommandations concrètes en vue d’améliorer la situation, nous n’approfondirons pas cette question ici. Nous invitons les personnes intéressées à consulter le rapport du Commissaire.
173. Dans leurs commentaires, les autorités bulgares nous ont informés des développements positifs récents, selon leur évaluation, concernant les politiques et pratiques en matière d’asile et à l’égard des réfugiés, s’agissant en particulier de l’aide juridique offerte aux demandeurs d’asile, de l’identification des personnes appartenant à des groupes vulnérables qui demandent une protection internationale et un soutien approprié, ou encore de l’intégration sociale et culturelle.

3.6.5. Droits des femmes

174. La question de la ratification de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210, «Convention d’Istanbul») a suscité un très vif débat au sein de la société bulgare. La Convention a été signée par la Bulgarie le 21 avril 2016. Le 8 février 2018, alors que la ratification allait être soumise à l’Assemblée nationale, 75 députés, pour la plupart membres du Groupe socialiste, ont saisi la Cour constitutionnelle d’une requête en inconstitutionnalité, arguant que la Convention introduisait les concepts de «rôles socialement construits» et de «rôles stéréotypés», ainsi que le terme de «genre», et que ces éléments ouvraient la voie au mariage entre personnes de même sexe.
175. Dans son arrêt du 27 juillet 2018, la Cour constitutionnelle bulgare a jugé la Convention d’Istanbul contraire à la Constitution. La décision a été prise par huit voix contre quatre. La Cour a estimé que malgré d’indéniables aspects positifs, la Convention présentait des contradictions internes qui créaient une dualité. La signification de certaines des dispositions de la Convention allait ainsi au-delà de son but déclaré et de son titre, indique l’arrêt. La Cour a considéré en particulier que l’utilisation du mot «femmes» en tant qu’objet de la protection n’était pas cohérente avec les définitions, qui comprennent le mot «genre» 
			(43) 
			Arrêt no 13
(Journal officiel no 65
du 7 août 2018)..
176. Les représentants du parti GERB (au pouvoir) que nous avons rencontrés ont insisté sur le fait qu’ils étaient favorables à la ratification. Compte tenu de la décision de la Cour constitutionnelle, ils ont décidé de préparer un ensemble de modifications législatives du Code pénal et du Code de procédure pénale ainsi que de la loi sur l’exécution des peines et la détention provisoire afin de renforcer la protection des victimes de violences, dont la violence domestique. Les travaux étaient en cours lors de notre visite. Tout en regrettant que la Convention d’Istanbul n’ait pas été ratifiée, ces représentants considéraient que grâce au débat tenu, l’adoption d’une telle loi semblait désormais possible.
177. Nous avons aussi rencontré lors de notre visite des représentantes d’organisations non gouvernementales de défense des droits des femmes, qui avaient un point de vue différent et considéraient que le débat a eu des effets beaucoup plus négatifs. En premier lieu, le débat a selon elles soulevé beaucoup d’émotion et donné lieu à l’utilisation d’arguments fallacieux et de propos haineux qui ont favorisé l’expression d’une hostilité ouverte vis-à-vis de la communauté lesbienne, gay, bisexuelle et transgenre (LGBT), et entraîné la fermeture d’associations LGBT.
178. L’arrêt de la Cour constitutionnelle aura une autre conséquence négative: l’absence d’une loi d’ensemble de protection des femmes, dont l’adoption revêt pourtant un caractère d’urgence en Bulgarie. Actuellement, les victimes de violences se retrouvent dans une situation dramatique et malgré tous les efforts de la société civile, cette situation ne s’améliorera pas tant que des politiques publiques adaptées et des fonds suffisants ne seront pas mis en place. Certaines régions ne disposent pas de centres d’accueil et n’offrent aucune aide matérielle ou psychologique.
179. Nos interlocutrices de la société civile se sont montrées très sceptiques quant à la perspective de l’adoption d’une loi sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes. Elles ont déploré de n’avoir à aucun moment été associées à sa préparation. Selon les informations qui nous été transmises, il n’y avait pas de consultation en cours sur ce sujet. Nous espérons néanmoins que le texte, de toute évidence nécessaire, sera adopté.
180. Dans leurs commentaires, les autorités bulgares ont précisé que les amendements proposés avaient été inscrits dans le registre public – conformément à l’article 76 des règles d’organisation et de procédure de l’Assemblée nationale – et publiés le 24 octobre 2018 sur le site internet officiel de l’Assemblée avec une date limite fixée au 22 novembre 2018 pour la soumission de commentaires. Sept ONG ont présenté leur avis. Par ailleurs, les amendements ont été examinés au sein d’un groupe de travail interinstitutions du ministère de la Justice auquel ont participé des représentants de neuf ONG et de la société civile.
181. Le 7 février 2019, le Parlement bulgare a adopté la loi modifiant et complétant le Code pénal.

4. Conclusions

182. En conclusion, nous reconnaissons que la Bulgarie a accompli des progrès importants depuis l’adoption, en 2013, du dernier rapport sur le dialogue postsuivi. Le pays a partiellement mis en place une législation qui, à plusieurs exceptions près, est conforme aux normes du Conseil de l’Europe et a par ailleurs répondu à quelques préoccupations formulées par l’Assemblée et d’autres mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe. Cependant, la pérennité et l’irréversibilité des réformes ainsi que l’efficacité des mesures visant à lutter contre la corruption à haut niveau restent subordonnées à une bonne mise en œuvre de la législation.
183. Malheureusement, en raison de la période d’instabilité politique qu’a connue le pays entre 2013 et 2016 et des élections successives, un certain nombre de réformes ont fait l’objet d’une procédure législative menée de façon hâtive dans les années 2016-2017, sans réelle consultation ni participation appropriée de toutes les parties prenantes. Il reste à voir si elles apporteront des améliorations durables. La situation politique actuelle, marquée depuis février 2019, par le boycott des travaux du parlement par le parti d’opposition Parti socialiste bulgare, pourrait freiner les progrès et fragiliser le processus démocratique dans le pays.
184. L’Assemblée note que, pour assurer la pérennité et l’irréversibilité des réformes, certaines mesures, dont le cas échéant des modifications législatives, doivent encore être mises en œuvre.