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Recommandation 2173 (2020)
Lutter contre le trafic de tissus et de cellules d’origine humaine
1. Les progrès techniques en matière
de transplantation de cellules et de tissus d’origine humaine peuvent permettre
de sauver des vies, de rétablir des fonctions corporelles essentielles,
d’améliorer la qualité de vie et d’aider les individus à devenir
parents. De nos jours, les produits d’origine humaine, qui vont
des tissus musculosquelettiques, cardio-vasculaires et oculaires
jusqu’aux nombreux types de cellules et de gamètes, sont régulièrement
utilisés à des fins médicales, thérapeutiques et de recherche. Au
sein de la seule Union européenne, plus de 2 millions de produits
issus de tissus et de cellules d’origine humaine ont été distribués
à des fins médicales en 2016. Mais, en parallèle, l’utilisation
de produits d’origine humaine à des fins de transplantation et de
recherche soulève de nombreuses questions éthiques et juridiques.
2. La Convention du Conseil de l’Europe sur les droits de l’homme
et la biomédecine (Convention d’Oviedo, STE no 164)
précise que «le corps humain et ses parties ne doivent pas être,
en tant que tels, source de profit», qu’une «intervention dans le
domaine de la santé ne peut être effectuée qu’après que la personne concernée
y a donné son consentement libre et éclairé» et que «l'intérêt et
le bien de l'être humain doivent prévaloir sur le seul intérêt de
la société ou de la science». À l’heure actuelle, ces principes
risquent d’être contournés et édulcorés.
3. Contrairement au domaine des organes, les activités illicites
et contraires à l’éthique associées à l’obtention, au traitement
et à l’utilisation clinique des tissus et des cellules d’origine
humaine n’ont guère retenu l’attention. Cette situation s’explique
peut-être par le fait que la société est moins familiarisée avec
la transplantation de tissus et de cellules qu’avec la transplantation
d’organes, alors que cette dernière est bien moins fréquente.
4. Lorsque les activités illicites et contraires à l’éthique
concernent des donneurs, elles sont fréquemment en rapport avec
des personnes récemment décédées. Les tissus prélevés de manière
illicite sur une personne décédée peuvent atteindre 90 receveurs.
Divers scandales ont été signalés sur le plan de l’éthique et de
la sécurité, comme l’obtention de tissus ou de cellules sans consentement
ni autorisation, l’insuffisance du contrôle, l’inexactitude ou la
falsification des dossiers de donneurs, l’attribution irresponsable
et le commerce illicite. Ces situations ont donné lieu à des auditions,
à des procès, à des démissions et à des fermetures d’établissements
de conservation de tissus. Cependant, la connaissance de la véritable
étendue de ces activités illicites reste limitée. Peu d’informations
sont disponibles auprès des sources officielles.
5. En outre, il existe des activités qui, en plus de leur caractère
illicite et contraire à l’éthique, pourraient compromettre gravement
la qualité et la sécurité des tissus et des cellules, et donc la
santé des receveurs.
6. Lorsque ces pratiques illicites et contraires à l’éthique
prennent la forme d’une incitation financière au profit des donneurs
ou de leur famille, les éventuels donneurs vivants risquent de ne
pas suffisamment tenir compte des dangers de la procédure de don
et les familles des donneurs décédés risquent de ne pas communiquer
des informations médicales ou comportementales pertinentes qui interdiraient
normalement le don. Cette situation peut également pousser les intermédiaires
à dissimuler des informations par crainte de perdre leur commission.
7. L’indemnisation excessive des donneurs peut mettre en danger
la santé de donneurs vulnérables, qui peuvent être tentés de procéder
à un don motivé par des besoins financiers. Cette situation peut
être particulièrement préoccupante pour les donneuses d’ovocytes
lorsque les incitations financières poussent les femmes à procéder
à de multiples dons à des cliniques différentes, sans suivi ni soins
médicaux adéquats, ce qui présente des risques pour leur santé et
leur fertilité. Le danger de l’excès de dons est aggravé en cas
de don transfrontière, dès lors que les disparités financières entre
pays peuvent transformer des indemnisations à l’origine appropriées
dans un État en de véritables incitations aux dons pour les donneurs
issus de pays moins riches.
8. Le désespoir peut également conduire les patients à rechercher
des thérapies alternatives pour diverses pathologies, notamment
des traitements expérimentaux à base de cellules, promus sans sécurité
ni efficacité cliniquement démontrées.
9. Les pratiques illicites et contraires à l’éthique sapent la
confiance et le soutien du public. Les scandales liés à ces pratiques
entraînent une baisse de confiance à l’égard de tous les types de
substances issues des donneurs et une réticence de la population
en général à faire don des parties du corps humain. Cette situation finira
par nuire à la disponibilité des greffons tissulaires et cellulaires,
et peut tout autant compromettre la disponibilité des donneurs d’organes
et de sang.
10. Le cadre juridique international en vigueur, élaboré par l’Organisation
mondiale de la santé, l’Union européenne et le Conseil de l’Europe,
comporte de solides dispositions pour assurer la qualité et la sécurité des
tissus et des cellules, qui énoncent les principes de consentement,
d’interdiction du profit et d’obligation d’autorisation. Ces principes
ne sont toutefois pas pleinement mis en œuvre et leur violation
ne fait pas systématiquement l’objet de poursuites. L’interdiction
du gain financier, principe universellement admis pour ce type de
don, n’est pas toujours facile à faire respecter. Les disparités
de revenus entre les différents pays et au sein de ceux-ci, auxquelles
s’ajoute la facilité avec laquelle les tissus et les cellules peuvent
être stockés et envoyés, créent des conditions propices à la réalisation
d’un profit et aux abus.
11. Qui plus est, l’absence de définition internationalement admise
de ce qui constitue un trafic de tissus et de cellules, d’une part,
et la diversité des dispositions juridiques de l’Union européenne,
des États membres du Conseil de l’Europe et des pays tiers, d’autre
part, rendent difficile l’engagement de poursuites pour des activités
illicites et contraires à l’éthique.
12. L’Assemblée rappelle que dans sa Recommandation 2009 (2013) «Vers
une convention du Conseil de l’Europe pour lutter contre le trafic
d’organes, de tissus et de cellules d’origine humaine», elle indiquait
que la question du trafic de tissus et de cellules d’origine humaine
était différente de celle du trafic d’organes humains et que ces
deux questions devaient être traitées au moyen de deux instruments
juridiques distincts. L’Assemblée avait donc invité le Comité des
Ministres à établir une feuille de route pour l’élaboration d’un protocole
additionnel sur le trafic de tissus et de cellules d’origine humaine
au projet de convention contre le trafic d’organes humains.
13. Depuis, la Convention du Conseil de l’Europe contre le trafic
d’organes humains (STCE no 216) a été ouverte
à la signature et à la ratification. Elle a été ratifiée par 9 pays
et signée, mais pas encore ratifiée, par 15 autres États. Elle est
entrée en vigueur en 2018. Le Comité des Parties se réunira à l’issue
de la dixième ratification. Comme prévu, cette convention ne traite
pas de la question des tissus et cellules.
14. Pour ce qui est du trafic des cellules et des tissus d’origine
humaine, l’Assemblée se félicite des travaux du Comité européen
sur la transplantation d’organes, en particulier de son rapport
de 2018 «Les activités illicites et contraires à l’éthique en lien
avec des tissus et cellules d’origine humaine: répondre à la nécessité d’élaborer
un instrument juridique international pour protéger les donneurs
et les receveurs». Ce rapport recense les lacunes des cadres juridiques
internationaux, rappelle les préoccupations du comité au sujet de l’absence
d’accord sur ce qui constitue des activités illicites dans ce domaine
et souligne la nécessité d’établir un nouvel instrument juridique
pour lutter contre ces activités.
15. L’Assemblée prend note des avancées réalisées jusqu’ici, ainsi
que des défis qu’il reste à relever. Elle est convaincue que les
États membres du Conseil de l’Europe doivent agir plus vigoureusement
dans ce domaine.
16. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée recommande au Comité
des Ministres:
16.1. d’entamer la
rédaction d’un instrument juridiquement contraignant du Conseil
de l’Europe contre le trafic de tissus et de cellules d’origine
humaine, si possible sous la forme d’un protocole additionnel à la
Convention contre le trafic d’organes humains;
16.2. de veiller à ce qu’un tel instrument juridique:
16.2.1. donne une définition des activités illicites dans ce domaine
et se fonde sur une approche d’ensemble, qui englobe la prévention
et la répression de la criminalité, la protection des victimes,
la promotion de politiques adéquates, ainsi que la coopération nationale
et internationale;
16.2.2. prévoie des mécanismes de collecte et d’analyse régulières
des données sur le trafic de cellules et de tissus d’origine humaine,
conformément aux structures de gouvernance démocratique, ainsi qu’un
suivi et une mise en œuvre transparents, qui fassent autorité et
soient efficaces;
16.3. d’inviter les États membres du Conseil de l'Europe qui
n'ont pas encore ratifié les conventions relatives à ce domaine,
comme la Convention du Conseil de l'Europe sur les droits de l'homme
et la biomédecine, la Convention sur la lutte contre la traite des
êtres humains (STCE no 197) et la Convention
contre le trafic d'organes humains, à considérer cette ratification
comme une priorité et une contribution au Programme de développement
durable des Nations Unies – objectif 3: Bonne santé et bien-être,
et objectif 16: Paix, justice et institutions efficaces.