1. Introduction
1. Dans toute l’Europe, la police
effectue quotidiennement, de manière routinière, des contrôles d’identité dans
diverses situations. Cependant, elle cible plus particulièrement
certaines personnes pour ce type de contrôles en se fondant sur
des motifs tels que la race, la couleur
ou l’origine nationale
ou ethnique. Le fait d’appréhender une personne pour ces motifs
est constitutif de discrimination.
2. Mutuma Ruteere, ancien Rapporteur spécial des Nations Unies
sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale,
de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, estime que
«le profilage racial et ethnique perdure et continue de contrarier
sérieusement, à travers le monde, l’exercice effectif des droits
des membres de certains groupes raciaux, ethniques et religieux,
compte tenu en particulier des dispositifs actuels de lutte contre
le terrorisme »
.
Il décrit le profilage racial et ethnique
comme «le fait, pour les forces de l’ordre,
les services de sécurité et la police des frontières, de soumettre
des personnes à des fouilles poussées, des contrôles d’identité
et des enquêtes, ou de déterminer leur implication dans une activité
criminelle, en tenant compte de leur race, de leur couleur de peau,
de leur ascendance ou de leur origine nationale ou ethnique»
.
3. Le profilage ethnique peut avoir de graves répercussions sur
les victimes et sur la société au sens large et contribue à promouvoir
une vision déformée de la société où les stéréotypes, les préjugés
et la discrimination raciale sont non seulement tolérés, mais aussi
encouragés. Il renforce également la discrimination et affecte la
vie quotidienne des victimes et de la société dans son ensemble.
Le profilage ethnique peut survenir dans différents lieux publics,
dans les commissariats de police, dans la rue, dans un aéroport,
aux frontières, dans une gare, à un arrêt d'autobus, aux abords
de bâtiments religieux ou dans des établissements scolaires, pour
ne citer que quelques exemples. Le profilage ethnique est avant
tout le fait de fonctionnaires de police et de l'immigration, mais
des cas ont également été signalés dans d'autres secteurs, y compris
le système judiciaire.
4. Lors de l’adoption de la
Résolution
1968 (2014) «La lutte contre le racisme dans la police», l’Assemblée parlementaire
a déjà fait part de ses préoccupations concernant le profilage ethnique
en Europe, défini comme étant «l’utilisation par la police, sans
justification objective et raisonnable, de motifs tels que la race,
la couleur, la langue, la religion, la nationalité ou l’origine
nationale ou ethnique dans des activités de contrôle, de surveillance
ou d’investigation ».
5. Bien que le contenu de la Résolution 1968 (2014) soit toujours
valable selon moi, le contexte européen global a changé. La radicalisation
est en augmentation et le risque d'attentats terroristes qui ont
fait des centaines de victimes en Europe ces dernières années reste
élevé. La pression sur la police est énorme et, dans de telles circonstances,
il n'est pas surprenant que les opérations d'interpellation et de
fouille, en vue de prévenir de nouveaux attentats, se soient accrues
et que le profilage soit largement utilisé. Le recours au profilage
illicite n’en demeure pas moins discriminatoire, quelles que soient
les circonstances.
6. En outre, la pandémie de covid-19 a conduit les gouvernements
du monde entier à imposer diverses mesures d’urgence aux populations
pour empêcher la propagation du virus au printemps et à l’automne
2020, limitant ainsi la liberté de circulation. Des contrôles d'identité
ont été effectués pour garantir le respect des mesures de confinement.
Il a souvent été rapporté que les personnes de couleur, les personnes
issues de l’immigration ou les Roms étaient soumis à de tels contrôles
dans une proportion plus élevée que le reste de la population. La
pandémie de covid-19 a exacerbé les inégalités à tous les niveaux
et mis en lumière les pratiques discriminatoires existantes.
7. Le meurtre de George Floyd le 25 mai 2020 à Minneapolis aux
États-Unis a entraîné à l’échelle mondiale des mouvements de protestation
contre les violences policières et contre le racisme institutionnel
en général. Des manifestations ont été organisées dans les principales
villes européennes pour soutenir le mouvement Black
Lives Matter et dénoncer le racisme, le profilage ethnique,
la discrimination et les brutalités policières. Ces mouvements de
masse ont contribué à renforcer la sensibilisation au profilage
ethnique et à la nécessité de renforcer la lutte contre le racisme
institutionnel. En réaction à ces manifestations, plusieurs services
de police ont reconnu et dénoncé l'existence du racisme au sein
de leurs structures. Des enquêtes ont été lancées en Allemagne,
au Pays de Galles et en Écosse, pour n'en citer que quelques-unes.
Il est indispensable d’agir pour changer le système de l'intérieur,
tout en reconnaissant que le racisme systémique exige une réponse systémique
qui engage tous les aspects du problème.
8. Le travail des services de police est essentiel, tout comme
l'examen des décisions des autorités politiques qui orientent les
actions de la police. Ils sont en première ligne pour faire appliquer
la loi et peuvent jouer un rôle déterminant dans l'établissement
d'un climat de confiance entre les communautés. Il arrive trop souvent
qu’ils ne soient pas considérés comme des défenseurs des droits
humains, alors que, selon moi, c’est l’une de leurs fonctions premières,
outre leur mission de maintien de l’ordre. La police peut être un
acteur essentiel dans la lutte contre le racisme systémique. Le
recours au profilage ethnique par des fonctionnaires de police et
son acceptation silencieuse par d’autres sapent ce principe et propagent
la discrimination raciale dans la société en général. Il produit
des effets au-delà de la personne contrôlée: en effet, il donne
à penser qu’il est acceptable de distinguer des personnes en fonction
de leur couleur ou de leur appartenance ethnique.
9. Le profilage ethnique peut également réduire l’efficacité
de l’action policière en augmentant sa prévisibilité et en amenant
la police à se concentrer sur des critères non pertinents pour identifier
les crimes, tout en détournant son attention de facteurs plus pertinents,
tels que les comportements suspects. Il peut entraver le dépistage
de criminels potentiels ne correspondant pas à certains stéréotypes.
Il érode la confiance envers la police. Il peut aussi réduire la
coopération au cours des enquêtes et la probabilité que le public signale
les crimes et les menaces à la sécurité. Il peut également engendrer
des tensions et des conflits entre la population et la police. Le
profilage ethnique se répercute sur la responsabilité juridique
des autorités policières.
2. Portée
du rapport et méthodes de travail
10. La proposition à l'origine
du présent rapport rappelle que l'Assemblée a déjà souligné les
effets négatifs et l'illégalité du profilage ethnique dans sa Résolution
1968 (2014). Elle fait valoir que le profilage ethnique peut avoir
une incidence négative sur les victimes et sur la société dans son
ensemble. Elle montre que, ces dernières années, plusieurs États
ont adopté des lois et des pratiques qui favorisent davantage le
profilage ethnique et fait état d'informations qui indiquent une
augmentation des abus liés à des contrôles discriminatoires. Elle
souligne que l'Assemblée devrait faire le point sur l’incapacité
des États membres de mettre fin au profilage ethnique et proposer
des mesures, y compris des bonnes pratiques, pour y remédier.
11. Dans le présent rapport, j’ai entrepris de faire le point
sur la situation actuelle en ce qui concerne la pratique du profilage
ethnique et de présenter les tout derniers développements en la
matière. J’ai analysé le travail de la police au cours des opérations
de contrôle et de fouille et des contrôles d'identité et j’ai passé
en revue les mécanismes d’obligation de rendre des comptes. Je me
suis également intéressé au profilage légal, aux effets du profilage
ethnique sur les victimes et les témoins des contrôles, et j’ai
effectué des recherches sur l’efficacité du profilage ethnique dans
l’action de la police.
12. Dans le cadre de la préparation de ce rapport, j'ai eu un
entretien avec M. Jacques Toubon, ancien Défenseur français des
droits, le 21 janvier 2019 à Strasbourg. Il m'a présenté ses travaux
sur la lutte contre les contrôles d'identité discriminatoires en
France et ses principales recommandations sur les moyens de les prévenir.
La commission a également tenu une audition le 10 avril 2019 avec
la participation de Mme Lanna Hollo,
juriste, Open Society Justice Initiative (Paris), et de M. Michael
Whine, membre de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance
(ECRI) pour le Royaume-Uni. Le 12 septembre 2019, la commission
a tenu une deuxième audition avec la participation de Mme Aydan
Iyigüngör, gestionnaire de projet, Unité Assistance technique et
renforcement des capacités, à l'Agence des droits fondamentaux de l'Union
européenne (FRA) à Vienne, et de M. Tamás Kádár, directeur adjoint
du Réseau européen des organismes de promotion de l'égalité (Equinet),
basé à Bruxelles.
13. J'ai participé à la conférence «La lutte contre le profilage
ethnique en Europe: leçons, bonnes pratiques et développements futurs»,
organisée par l’Open Society Justice Initiative et qui s'est tenue
du 28 au 30 juin 2019 à Valence (Espagne). À cette occasion, j’ai
pu rencontrer des représentant·e·s d'organisations non gouvernementales
autrichiennes, allemandes, néerlandaises, espagnoles et suédoises,
et m’entretenir avec des représentants de la police.
14. J'ai été invité à participer à la conférence intitulée «Les
relations police-population: enjeux et pratiques»
organisée par
le bureau du Défenseur français des droits, la FRA et l’Independent
Police Complaints Authorities Network (IPCAN) les 17 et 18 octobre
2019 à Paris. Malheureusement, je n’ai pas pu m’y rendre, mais M. Momodou
Malcolm Jallow (Suède, GUE), rapporteur général sur la lutte contre
le racisme et l'intolérance, y a pris part et a fait rapport à la
commission sur sa participation. Permettez-moi de profiter de cette
occasion pour le remercier de son engagement en tant que rapporteur
général et de remercier pour leurs contributions tous les expert·e·s
que j'ai rencontrés lors de réunions bilatérales ou qui ont participé
à des auditions.
15. J’ai suivi le webinaire organisé le 1er juillet
2020 par la commission sur l’égalité et la non-discrimination sur
l’action des parlements pour mettre fin à la discrimination systémique
et au racisme institutionnel en Europe
, et j’ai procédé à une recherche
documentaire sur le profilage ethnique pendant la pandémie. J’ai commencé
à travailler sur le présent rapport avant les récentes manifestations
de protestation contre le racisme et le profilage ethnique, et j’ai
été témoin de l’intérêt croissant suscité par cette question au
cours de l’année passée.
16. Je souhaiterais également remercier M. Ahmet Yildiz, président
de la délégation turque auprès de l’Assemblée, pour sa contribution
écrite reçue le 20 septembre 2020. Il a mis en relief le traitement discriminatoire
subi par les citoyen·ne·s turcs en Europe ainsi que l’accroissement
des violences policières exercées à leur encontre et à l’encontre
d’autres groupes d’immigrés. Selon ses termes, «en tant que reflet d’un
racisme institutionnalisé, le profilage ethnique fait chaque jour
reculer l’État de droit et le respect des droits humains», et je
ne peux qu’approuver ce constat.
3. Instruments
internationaux de lutte contre le profilage ethnique
17. Le Conseil de l'Europe et l’Organisation
des Nations Unies se sont tous deux employés à formuler des recommandations
et des orientations à l'intention de leurs États membres sur la
prévention et la lutte contre le profilage ethnique. La Convention
européenne des droits de l'homme (STE no 5)
ne mentionne pas spécifiquement le profilage ethnique. Toutefois,
plusieurs articles pourraient être applicables, notamment l'article 5
sur le droit à la liberté et à la sûreté, l'article 14 sur l'interdiction
de la discrimination et l'article 13 sur le droit à un recours effectif.
18. La Recommandation Rec(2001)10 du Comité des Ministres aux
États membres sur le Code européen d’éthique de la police souligne
que «la police doit être organisée de manière à promouvoir de bons
rapports avec la population et, le cas échéant, une coopération
effective avec d’autres organismes, les communautés locales, des
organisations non gouvernementales et d’autres représentants de
la population, y compris des groupes minoritaires ethniques. (...)
La formation des personnels de police doit pleinement intégrer la
nécessité de combattre le racisme et la xénophobie»
.
19. Dans son arrêt du 13 décembre 2005 rendu en l'affaire
Timichev c. Russie , la Cour européenne des droits de
l'homme a estimé que «le fait de traiter de manière différente,
sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées
dans des situations comparables constitue une discrimination. […]
La discrimination fondée sur l'origine ethnique réelle ou perçue
constitue une forme de discrimination raciale […]. La discrimination
raciale est une forme de discrimination particulièrement odieuse
et, compte tenu de ses conséquences dangereuses, elle exige une
vigilance spéciale et une réaction vigoureuse de la part des autorités.
C'est pourquoi celles-ci doivent recourir à tous les moyens dont
elles disposent pour combattre le racisme, en renforçant ainsi la
conception que la démocratie a de la société, y percevant la diversité
non pas comme une menace mais comme une richesse». La Cour n'envoie
pas seulement un message fort aux pouvoirs publics pour promouvoir
une société exempte de racisme, elle exige également que des mesures soient
prises pour mettre un terme à la discrimination raciale. Selon elle,
une différence de traitement fondée sur l'origine ethnique ne peut
être justifiée en aucune circonstance et constitue donc toujours
une discrimination
.
20. Une autre décision pertinente est l'arrêt
Lingurar c. Roumanie du 16 avril
2019
.
Pour la première fois, la Cour a jugé que les requérants avaient
été pris pour cible en raison de leur appartenance ethnique perçue par
les autorités et du préjudice lié à cette perception. Les autorités
associent la communauté rom à la délinquance et la ciblent donc
particulièrement. La Cour a estimé qu'il s'agissait là d'un profilage
ethnique et d'une discrimination.
21. L’ECRI a mené des travaux novateurs sur le sujet et a adopté
la
Recommandation
de politique générale n° 11 sur la lutte contre le racisme et la
discrimination raciale dans les activités de la police, où elle souligne d’emblée (paragraphe 1) que les États
devraient «définir et interdire clairement le profilage racial dans
la loi». Elle recommande également, entre autres, que les États introduisent
«un standard de soupçon raisonnable selon lequel les pouvoirs liés
aux activités de contrôle, de surveillance ou d’investigation ne
peuvent être exercés que sur la base d’une suspicion fondée sur
des critères objectifs». Dans l’exposé des motifs, l’ECRI explique
les raisons pour lesquelles cette pratique est néfaste et contre-productive.
Elle considère en effet que le profilage racial est une forme spécifique
de discrimination raciale, car il suppose «l’utilisation par la
police, sans justification objective et raisonnable, de motifs tels
que la race, la couleur, la langue, la religion, la nationalité
ou l’origine nationale ou ethnique dans des activités de contrôle,
de surveillance ou d’investigation». Je considère cette recommandation
de politique générale comme un solide instrument de lutte contre
le profilage ethnique qu’il convient de promouvoir davantage.
22. Lors de sa 82ème réunion plénière
(30 juin-2 juillet 2020), l'ECRI a adopté une déclaration sur les
abus policiers à caractère raciste, notamment le profilage racial,
et le racisme systémique
. Rappelant
ses travaux antérieurs et les positions de la Cour européenne des
droits de l'homme, l’ECRI souligne «qu’il est indispensable de créer
une culture policière selon laquelle les abus à caractère raciste
sont considérés comme n’ayant aucune place au sein de la police
et selon laquelle la prévention et la lutte contre le racisme se poursuivent
en toutes circonstances. En outre, les forces de l’ordre doivent
veiller à communiquer avec les médias et le public en général d’une
façon qui ne soit pas de nature à entretenir l’hostilité ou les
préjugés à l’encontre de groupes minoritaires».
23. La Convention internationale sur l'élimination de toutes les
formes de discrimination raciale des Nations Unies interdit clairement
le recours au profilage racial (articles 2, 4, 5 et 7)
.
Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale (CERD)
a également adopté la
Recommandation
générale n° 13 concernant la formation des responsables de l’application
des lois à la protection des droits de l'homme, ainsi que la Recommandation
générale n° 36 sur la prévention du profilage racial par la police
et la lutte contre cette pratique.
La recommandation générale comprend
une description des conséquences du profilage racial, des informations
sur le profilage algorithmique, les préjugés et la discrimination
raciale et des recommandations concernant les mesures législatives
et politiques, l'éducation et la formation aux droits humains, le recrutement,
la police de proximité, la responsabilisation, les données ventilées
et l'intelligence artificielle.
24. En outre, le Comité des droits de l'homme des Nations Unies
a précisé, dans une décision adoptée en 2009, que «les contrôles
d'identité effectués à des fins de sécurité publique ou de prévention
de la délinquance en général, ou pour contrôler l'immigration illégale,
visent un objectif légitime. Toutefois, lorsque les autorités procèdent
à de telles vérifications, les caractéristiques physiques ou ethniques
des personnes qui y sont soumises ne doivent pas être considérées
en soi comme un indice de leur présence illégale éventuelle dans le
pays »
.
25. Le 19 juin 2020, le Parlement européen a adopté une résolution
sur les manifestations contre le racisme après la mort de George
Floyd. Il «condamne le profilage racial et ethnique utilisé par
la police et les services répressifs et estime que la police et
les services répressifs doivent se montrer exemplaires en matière
de lutte contre le racisme et la discrimination; demande à l’Union
européenne et aux États membres de mettre au point des politiques
et des mesures de lutte contre la discrimination et de mettre un
terme au profilage racial ou ethnique sous toutes ses formes dans
le cadre de l’application du droit pénal, des mesures de lutte contre
le terrorisme et du contrôle de l’immigration. Il souligne, en particulier,
que les nouvelles technologies devant être utilisées par les services
répressifs doivent être conçues et utilisées de manière à ne pas
créer de risques de discrimination pour les minorités raciales et
ethniques; propose une action pour renforcer la formation des membres
des forces de police et des services répressifs à des stratégies
de lutte contre le racisme et la discrimination et pour prévenir
et identifier le profilage racial, et y réagir; demande aux États
membres de ne pas laisser les cas de brutalité policière et d’abus
impunis mais de mener des enquêtes, d’engager des poursuites et
de sanctionner ces agissements»
.
26. Le 18 septembre 2020, la Commission européenne a publié son
plan destiné à renforcer la lutte contre le racisme dans l’Union
européenne intitulé «Une Union de l’égalité: plan d’action de l’UE
contre le racisme 2020-2025»
. Ce plan souligne que «le profilage
est une pratique couramment et légitimement utilisée par les agents
des services répressifs pour prévenir, instruire et poursuivre des
infractions pénales. Cependant, le profilage qui engendre une discrimination
sur la base de catégories spécifiques de données à caractère personnel,
telles que les données révélant l’origine raciale ou ethnique, est
illicite». Il indique aussi que «la FRA sera invitée à recueillir
et à diffuser les bonnes pratiques favorisant des activités de police
équitables, en s’appuyant sur son manuel de formation et son guide
existants relatifs à la prévention du profilage illicite»
.
4. Collecte
de données sur le profilage ethnique
27. Bien qu'il existe une multitude
de définitions et d'instruments internationaux condamnant l'utilisation
du profilage ethnique, les agents des services répressifs continuent
d’y avoir recours de manière routinière dans plusieurs États membres
du Conseil de l'Europe. Dans son article «
Le
profilage ethnique: une pratique persistante en Europe», publié le 9 mai 2019, Dunja Mijatović, Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, explique que «ce phénomène
reste très répandu dans l’ensemble des États membres du Conseil de
l’Europe, malgré une prise de conscience accrue de la nécessité
de le combattre ».
28. La collecte de données sur le profilage ethnique peut s'avérer
très difficile. En fait, dans la plupart des États membres du Conseil
de l’Europe, les données ethniques ne sont pas encore collectées,
et il peut y avoir une certaine réticence à signaler les cas de
profilage ethnique ou à les enregistrer. La protection des données est
souvent invoquée comme prétexte pour refuser de collecter des données
pertinentes, mais celles-ci peuvent être collectées et traitées
sans enfreindre les règles de protection des données à caractère
personnel. Sur ce point, je souhaiterais renvoyer à la Recommandation
de politique générale no4
de l’ECRI, qui souligne que toute
collecte de données personnelles devrait se dérouler dans le plein
respect des principes de confidentialité, de consentement éclairé
et d’auto-identification volontaire des personnes.
29. Les travaux et rapports de l'ECRI
constituent
une source importante d'informations sur le sujet. Dans le cadre
de son travail de suivi, l'ECRI a constaté que, dans un certain
nombre de pays, les membres de minorités ethniques et religieuses
et les migrants étaient davantage susceptibles d'être arrêtés et
fouillés par la police que le reste de la population.
30. Dans le rapport sur la Suède
adopté le 5 décembre 2017, l'ECRI
attire l'attention sur une décision du tribunal de première instance
de Stockholm, qui a estimé que la constitution d'une base de données comprenant
4 700 noms de membres de la communauté rom constituait un acte de
profilage ethnique. Elle explique que «la police a surveillé des
endroits stratégiques comme les stations de métro au cours d'une campagne
sur l'expulsion des demandeurs d'asile déboutés en 2013, mais elle
a demandé de façon sélective à voir les passeports et les permis
de séjour de certaines personnes, en se fondant prétendument sur
la seule “apparence étrangère” de ces personnes».
31. Selon des études présentées dans le dernier rapport de l'ECRI
sur les Pays-Bas
, sur l'ensemble des personnes interrogées
dans le cadre de l'enquête menée par la FRA en 2017
, 61 % et 43 % des personnes interrogées
d'origine nord-africaine et turque respectivement avaient perçu
leur dernier contrôle de police comme du profilage ethnique. La
police néerlandaise a mis en place un nouveau cadre opérationnel
pour effectuer des contrôles proactifs en 2017, afin de garantir
que les contrôles soient effectués de manière plus consciente et
sur des bases objectivables. Elle a également commandité une étude
détaillée sur le profilage racial, qui a conclu que les personnes
issues des minorités faisaient l'objet de contrôles préventifs à
une fréquence disproportionnée.
32. Dans son dernier rapport en date sur la Fédération de Russie,
adopté le 4 décembre 2018
, l'ECRI estimait
que le profilage racial par la police russe restait très répandu
et se manifestait par des contrôles d'identité arbitraires et des
arrestations superflues, visant en particulier les migrants d'Asie
centrale et du Caucase, ainsi que les Roms.
33. Dans son rapport sur la Roumanie, adopté le 3 avril 2019,
l'ECRI se référait aux données recueillies par la FRA, selon lesquelles
52 % des Roms arrêtés par la police percevaient cette pratique comme
du profilage ethnique en Roumanie
.
34. Le dernier rapport en date de l'ECRI sur l'Allemagne
comporte
une partie consacrée au profilage racial. L'ECRI se dit préoccupée
par l'utilisation du paragraphe 23 de la loi fédérale sur la police,
qui autorise les fonctionnaires de police à arrêter des personnes
sans qu'elles soient soupçonnées d'avoir commis une infraction pénale.
Il est également possible d'effectuer des contrôles d'identité aléatoires
dans des zones qualifiées de sensibles («criminal hotspots»). L'ECRI
considère que le profilage racial devrait être traité de manière
systématique aux niveaux fédéral et régional et qu'une étude devrait
être menée à ce sujet. Biplab Basu, fondateur de la campagne pour
les victimes de violences policières racistes (KOP), dénonce le
profilage ethnique depuis des années: «La police recherche d'abord
un criminel, puis un délit»
.
À la suite des manifestations antiracistes, des débats ont eu lieu
au niveau politique sur une éventuelle étude consacrée au racisme
dans la police. Annette Widmann-Mauz, Commissaire allemande à l'immigration,
aux réfugiés et à l'intégration, a demandé qu'une telle étude soit
réalisée
. Son lancement a été confirmé
par le gouvernement fédéral et j’attends sa publication avec impatience.
35. Dans son rapport sur l'Autriche adopté le 7 avril 2020, l'ECRI
a indiqué que «des allégations faisant état de l’usage du profilage
ethnique par la police, à l’encontre de personnes appartenant en
particulier aux communautés noires et musulmanes, continuent d’être
signalées»
. Elle «est
[également] préoccupée par les informations faisant état de cas
de profilage racial, lesquels auraient pris une nouvelle ampleur,
notamment dans le cadre de la lutte contre l’immigration irrégulière
en Belgique»
. Dans
son dernier rapport sur la Suisse
, elle
souligne que «le racisme institutionnel et structurel persiste au
sein de la police. Il se manifeste par un profilage racial et des
contrôles d’identité qui visent particulièrement les personnes au
mode de vie itinérant et les communautés noires». L’ECRI a recommandé
d'organiser une formation à l'intention de la police sur la prévention
du profilage ethnique.
36. Le CERD a également évoqué le profilage ethnique et racial
dans certaines de ses observations finales. Il s’est dit préoccupé
par le profilage racial auquel la police irlandaise soumettrait
fréquemment les personnes d’ascendance africaine, les Gens du voyage
(Travellers) et les Roms
. Il
a recommandé d’adopter une législation interdisant le profilage
racial, de mettre en place un mécanisme indépendant de traitement
des plaintes liées au profilage racial, de réviser les pratiques
et la formation de la police, en collaboration avec les populations
les plus touchées par le profilage racial, en intégrant les questions
liées au profilage racial dans le programme de formation des fonctionnaires
de police et en recueillant des données ventilées sur le sujet en vue
de les publier.
37. S’agissant de la Suède, le CERD a recommandé de veiller à
ce que «les garanties juridiques fondamentales soient appliquées
efficacement pour prévenir et combattre le profilage racial de tous
les groupes vulnérables par la police, en particulier des Suédois
d’origine africaine, des personnes d’ascendance africaine, des musulmans
et des Roms»
.
38. Le CERD a également déclaré que le profilage racial par la
police restait très répandu dans la Fédération de Russie «et [se
manifestait] par des contrôles d'identité arbitraires et des arrestations
superflues, qui [visaient] en particulier les migrants d'Asie centrale
et du Caucase, ainsi que les Roms»
. Il a
recommandé à l’État partie d’«ouvrir rapidement des enquêtes approfondies
et impartiales sur toutes les allégations de profilage racial, en
veillant à ce que les responsables répondent de leurs actes et en
assurant des recours utiles, notamment une indemnisation et des
garanties de non-répétition
».
39. Dans ses observations finales sur le Royaume-Uni
, le CERD
a fait le lien entre les mesures de lutte contre le terrorisme et
l’augmentation des cas de profilage.
40. Le profilage ethnique a également été dénoncé en France. M. Toubon,
ancien Défenseur français des droits, a souligné, lors de la conférence
de l'IPCAN, que «par rapport à la population générale et toutes
choses égales par ailleurs, les jeunes gens en France, qui sont
perçus comme arabes/maghrébins ou noirs, ont vingt fois plus de
chances d'être soumis à des contrôles d'identité que les autres»
. Il a également
fait référence à l'arrêt de la Cour de cassation qui, le 9 novembre
2016, a reconnu la responsabilité de l'État à l'égard de cinq personnes
ayant fait l'objet de contrôles d'identité discriminatoires. Human
Rights Watch signale elle aussi depuis des années les contrôles
de police abusifs en France
.
41. Ces dernières années, la FRA a mené plusieurs enquêtes
dont les résultats ont clairement
montré que le profilage ethnique était largement utilisé comme outil
par la police. Dans son étude intitulée «Être noir dans l’UE/Deuxième
enquête de l’Union européenne sur les minorités et la discrimination»
,
elle signale que les Européens d'ascendance africaine restent largement
victimes de discrimination en Europe
. Elle a constaté que, dans l'ensemble,
24 % des personnes interrogées (sur un total de 6 000 personnes
d'ascendance africaine interrogées dans 12 États membres) avaient
été contrôlées au cours des cinq dernières années. En Italie et
en Autriche, respectivement 70 % et 63 % des migrants d'origine
africaine ont dénoncé un racisme institutionnel des autorités policières.
42. Une augmentation du nombre d'interpellations et de fouilles
a été signalée depuis le début de la pandémie de covid-19. La police
métropolitaine de Londres a enregistré une augmentation de 22 %
de ces opérations entre mars et avril 2020
. Elle
rapporte que le nombre de personnes noires arrêtées et fouillées
a considérablement augmenté: 7,2 personnes noires sur 1 000 ont
été arrêtées et fouillées en mars et 9,3 en avril. Selon Amnesty
International, la police a exercé des contrôles des mesures de confinement
de manière disproportionnée dans les régions les plus pauvres, où
le nombre de membres appartenant à des minorités ethniques est souvent
plus élevé
.
5. Profilage
et opérations de contrôle et de fouille licites
43. Des formes spécifiques de profilage
criminel peuvent être justifiées dans certaines circonstances et peuvent
être licites dans des circonstances spécifiques. Les «profils de
suspects» individuels, ou descriptions de suspects, sont généralement
basés sur la description par un témoin d'une personne spécifique
liée à un crime particulier commis à un moment et en un lieu précis.
Ces descriptions portent sur des caractéristiques individuelles
telles que la taille et les vêtements et peuvent inclure le genre
et la couleur de la peau. L'utilisation de ces critères doit faire
partie d'une description détaillée des suspects et être clairement
circonscrite dans le temps et dans l'espace pour qu'elle soit légale.
D'autres formes de profilage criminel utilisent les renseignements
de la police et les données des sciences du comportement pour établir
des profils de pratiques de la criminalité organisée (passeurs de
drogue) ou des profils de délinquants pour des infractions spécifiques (tueurs
en série et auteurs de viol). La validité d'un tel profilage dépend
de l'exactitude et de la validité des données sources et de la science
sous-jacente; si ces données et ces théories sont elles-mêmes imprégnées de
préjugés raciaux, les profils qui en découlent perpétuent et renforcent
ces stéréotypes. Selon la FRA, «pour être licites, les opérations
de contrôle et de fouille et les renvois vers des vérifications
de deuxième ligne lors des contrôles aux frontières doivent être
fondés sur des motifs de suspicion raisonnables et objectifs. Un «pressentiment»
ne peut être considéré comme un motif raisonnable ou objectif»
.
44. La police utilise différentes méthodes pour les contrôles
d'identité et les opérations de contrôle et de fouille. Les récépissés
ou «formulaires de contrôle», qui contiennent des informations sur
le contexte du contrôle, la base juridique, les raisons spécifiques
du contrôle et son résultat, sont essentiels pour vérifier la légalité
du contrôle, en se fondant sur des motifs de suspicion objectifs
et précis, plutôt que sur des critères interdits, tels que l'origine
ethnique, la couleur de la peau ou la religion. Il est important
de noter que ces données permettent également d'analyser les modèles
de pratique, ce qui permet d'identifier des modèles de préjugés,
même lorsque les contrôles individuels peuvent sembler légaux. Au
Royaume-Uni, la loi exige que la police enregistre ses contrôles
et rende les données disponibles aux personnes qui ont fait l'objet
d'un contrôle, ce qui permet d'apporter la preuve qu'elles ont été
contrôlées, mais aussi de s'assurer que l'agent·e chargé·e du contrôle
rend compte de ses actes. Un certain nombre de services de police
locaux en Espagne ont également adopté des formulaires de contrôle.
En France, l'idée de délivrer des attestations à la suite de contrôles
a été discutée mais n'a pas encore été mise en œuvre ou imposée
à la police. Les débats sur cette question ont porté sur l’incidence
qu’aurait la délivrance de ces attestations sur le temps de travail
des agent·e·s de police et leur efficacité, et ont révélé une forte
opposition à leur introduction
. De nombreuses institutions, dont
le Défenseur des droits français et la Commission nationale consultative
des droits de l'homme, ont toutefois souligné leur pertinence pour
accroître l'efficacité et réduire les discriminations. Ces attestations
permettent aussi de suivre l'opération et de recueillir des données
et des informations sur l'origine ethnique des personnes contrôlées
et sur l’objectif de l’opération
.
Ces données et informations permettent de comparer le nombre d'opérations
de contrôle et de fouille effectuées par ethnicité et par groupe
d'âge. Elles permettent également de garantir que la police rend
compte de ses actes, ce qui contribue à établir et à renforcer la
confiance envers la police. Dans certains cas, les attestations
papier sont remplacées par des instruments numériques (applications
technologiques spécifiques pour enregistrer les opérations)
.
La pratique consistant à délivrer des attestations a été largement
reconnue comme une bonne pratique et devrait être encouragée en
tant que telle.
45. Des lois spécifiques peuvent limiter ou étendre l'ampleur
des opérations de contrôle et de fouille. En Autriche, une loi de
1999 autorise les opérations d'interpellation et de fouille aux
endroits où les migrants peuvent se rassembler.
46. Selon la FRA, le profilage licite préserve un maintien de
l'ordre efficace voire le renforce, alors que le profilage illicite
a des effets négatifs sur la confiance dans les forces de police
et les bons rapports avec la population locale
. Le profilage fondé uniquement sur l'ethnicité
est illicite. Les formulaires d'interpellation et de fouille pourraient
aider les agent·e·s à réfléchir à leurs opérations. Dans le domaine
du maintien de l’ordre, le profilage algorithmique est utilisé pour
des actions de police préventives, mais son efficacité n'a pas encore été
prouvée.
6. Le
profilage ethnique est-il efficace?
47. Ces dernières années, l'efficacité
de l'utilisation du profilage ethnique pour contrer les menaces terroristes
ou lutter contre la délinquance en général a été mise en doute.
Lors de notre audition en avril 2019, Lanna Hollo, de l’Open Society
Justice Initiative, a souligné que le profilage ethnique était à
la fois inefficace et contre-productif. Dans son rapport intitulé
«La prévention et la lutte contre le profilage racial des personnes d'ascendance
africaine: bonnes pratiques et difficultés», le Haut-Commissaire
des Nations Unies aux droits de l'homme indique que certains travaux
de recherche ont montré «que les personnes visées par les forces
de l’ordre tendent à avoir moins confiance dans ces dernières et,
par conséquent, à être moins enclines à coopérer avec la police,
au risque de limiter l'efficacité de cette dernière»
.
48. La Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe
a également déclaré que le profilage ethnique est contre-productif
et illégal: «Il est immoral de la part de la police de distinguer
des personnes pour des raisons liées à leurs caractéristiques physiques.
Cela est également contre-productif parce que le profilage ethnique
porte profondément atteinte aux rapports entre la police et la population,
ce qui est un élément fondamental d’une société pacifique et prospère»
.
49. Comme l'a souligné l'ECRI dans sa
déclaration publiée le 6 juillet 2020, «La confiance placée dans
la police par tous les éléments d’une société renforce la sécurité
de tout un chacun». Les fautes et les abus affectent le travail
de la police dans son ensemble. Le profilage ethnique n'est pas
un outil de maintien de l’ordre comme les autres. Il peut soit refléter
un racisme institutionnalisé, soit être perçu comme permettant à une
telle culture de se développer. Les personnes appréhendées et fouillées
peuvent être considérées comme des délinquant·e·s potentiels par
le reste de la population.
50. L'utilisation du profilage ethnique rend le travail de la
police prévisible, ce qui réduit l'efficacité des investigations.
Il peut en fait être contre-productif parce qu’il diminue le degré
de confiance de la population, alors que la coopération est essentielle
pour un maintien de l'ordre efficace. «Le profilage ethnique nuit
à l'efficacité des services de police, car il détourne des ressources
rares et il aliène des individus et des populations dont la coopération
serait un atout pour la détection et la prévention efficaces de
la délinquance»
.
51. Selon M. Kádár, le profilage ethnique consiste à cibler les
personnes pour ce qu'elles sont et non pour ce qu'elles ont fait.
Il est injuste et inefficace, car il stigmatise certains groupes
et sape la confiance dans les forces de l'ordre, il perpétue les
stéréotypes négatifs et légitime le racisme.
52. Le profilage ethnique va à l'encontre du principe de présomption
d'innocence. Comme l'a souligné M. Jallow – qui a lui-même été appréhendé
et fouillé à maintes reprises sans aucune raison objective – lors
de notre audition du 12 septembre 2019, «si une personne noire a
commis une infraction, cela ne devrait pas signifier que la police
doit harceler toutes les personnes noires». Le profilage consiste
à associer une caractéristique à un groupe. Il est trop simpliste
pour être efficace. En outre, le profilage ethnique engage les travaux
d’investigation sur une mauvaise voie.
53. Lors de la conférence de l'IPCAN, Michael O'Flaherty, directeur
de la FRA, a décrit le cercle vicieux du profilage illégal, qui
peut stigmatiser et traumatiser, conduire à une sous-déclaration
des infractions et contribuer à créer un environnement hostile et
à la violence.
7. Recommandations
pour prévenir et combattre le profilage ethnique
7.1. Interdiction
légale du profilage ethnique
54. Les États pourraient mettre
en œuvre un large éventail de mesures pour contribuer à prévenir
et à combattre le profilage ethnique. Tout d'abord, il faut qu’ils
veillent à ce que le profilage ethnique mis en œuvre par la police
soit clairement défini et interdit par la loi au niveau national.
Il convient d’interdire clairement les contrôles d’identité discriminatoires.
55. Les États devraient également introduire une norme de suspicion
raisonnable, selon laquelle les pouvoirs relatifs aux activités
de contrôle, de surveillance ou d'enquête ne peuvent être exercés
que sur la base d'une suspicion fondée sur des critères objectifs
et précis.
7.2. Codes
de conduite et conseils opérationnels
56. Les codes de conduite peuvent
aider les fonctionnaires de police à éviter le profilage ethnique.
La police néerlandaise utilise un cadre politique (Handelingskader pro-actief controleren)
pour lutter contre le profilage racial. Celui-ci explique en détail
ce qu'implique, entre autres choses, la «prise de décision non discriminatoire» par
les policiers: «Il n'est pas permis de sélectionner une personne
pour une vérification parce qu'elle appartient (ou semble appartenir)
à un groupe qui est surreprésenté dans les statistiques de la délinquance».
57. Par exemple, le Code de déontologie de la police slovaque
ne mentionne pas explicitement le profilage ethnique, mais il prévoit
que «les membres des forces de police sont tenus de respecter les
droits humains et d'exercer leurs fonctions indépendamment de tout
facteur religieux, racial, national, social, politique, de classe ou
autre facteur extérieur»
.
7.3. Dénonciation
ferme du profilage ethnique par les responsables
58. Si le profilage légal peut
être nécessaire, le profilage ethnique est contraire au principe
de non-discrimination, car c’est une forme de discrimination raciale.
Cette pratique ne cessera pas si les forces de l'ordre n'ont pas
reçu l'ordre d'y mettre fin et si les responsables ne font pas preuve
de fermeté, tant au sein des forces de l'ordre qu'au niveau politique,
pour la dénoncer et y mettre un terme.
7.4. Formation
59. Des directives claires devraient
être données aux agent·e·s chargés des opérations d'interpellation
et de fouille pour s'assurer d’éviter des préjugés conscients ou
inconscients au moment de procéder à une telle opération. Il devrait
être obligatoire d'expliquer pourquoi une personne est appréhendée
avant tout contrôle de ses papiers d’identité, et donc de son nom
et de son origine. Une formation aux droits humains devrait être dispensée
tout au long de la carrière et pas seulement au début, et des codes
d'éthique et de conduite devraient être adoptés si ce n’est pas
déjà le cas et mis en œuvre. Les cours de formation de la FRA sur
les droits humains et la diversité destinés à la police devraient
être davantage encouragés.
60. Selon David Martín
,
fonctionnaire de police espagnol depuis 1996, la formation de base
de la police devrait être fondée sur les droits humains et les compétences
en matière de règlement des conflits ainsi que sur la résolution
des problèmes. Cette formation contribuerait à jeter des ponts pour
promouvoir le partage des connaissances.
7.5. Dialogue
61. La police joue un rôle important
dans la société en tant que gardienne de l'application de la loi
et des droits humains. Elle est un acteur important dans l’action
menée par la société pour combattre la discrimination raciale. Le
profilage ethnique n'est pas seulement illégal, mais il est également
nuisible et affecte négativement la perception et la confiance du
public dans la police ainsi que le signalement des actes de profilage
ethnique. La lutte contre le racisme et le profilage ethnique implique
également de rétablir la confiance entre la police et la population
qu'elle sert. Afin de remédier à la méfiance entre la police et
la population, y compris les groupes minoritaires, il serait important
d'encourager le dialogue et les échanges réguliers. La police devrait
être proche de la population locale pour assurer un maintien de
l'ordre plus efficace.
7.6. Promouvoir
la diversité dans le recrutement des forces de police
62. Les recherches et les rapports
des organismes de surveillance indiquent que la promotion de la
diversité dans le recrutement de la police est une mesure efficace.
Les procédures de recrutement devraient tenir compte de cet élément.
7.7. Remise
d’attestations à la suite d'opérations d'interpellation et de fouille
63. Comme nous l'avons déjà mentionné,
il convient de promouvoir davantage le contrôle des opérations de
contrôle et de fouille et la remise d’attestations lors de ces opérations.
Si elles peuvent alourdir le travail de la police, ces attestations
sont aussi une garantie de son obligation de rendre des comptes,
une source essentielle de collecte de données et un moyen de rétablir
la confiance entre la police et la population. Les fonctionnaires
de police qui effectuent ces tâches devraient aussi être aisément
identifiables au moyen d’un matricule placé sur leur uniforme, par
exemple.
7.8. Mécanismes
indépendants de plaintes contre la police
64. La mise en place de mécanismes
de plainte indépendants est recommandée depuis des années. Au Royaume-Uni,
le mécanisme indépendant d'examen des plaintes visant la police
a contribué à améliorer les relations et la confiance entre la population
et la police.
7.9. Effets
de l’intelligence artificielle sur le maintien de l’ordre
65. Le recours au profilage par
intelligence algorithmique/artificielle pourrait aussi être une
source de préoccupation, car il peut reposer sur des informations
biaisées, incomplètes ou incorrectes et renforcer ainsi d'autres
formes de profilage et de discrimination ethniques ou raciales.
Il pourrait y avoir une représentation disproportionnée et des stéréotypes
qui perpétuent davantage les discriminations. Faute d’évaluations
sur les méthodes informatiques appliquées, il reste difficile de
mesurer l'incidence de l'utilisation croissante de l'intelligence
artificielle sur les individus et sur l’efficacité de l’action policière.
Sur ce thème, mon rapport intitulé «Justice par algorithme – le
rôle de l’intelligence artificielle dans les systèmes de police
et de justice pénale» a été examiné en octobre 2020 lors d’un débat
conjoint de la Commission permanente sur l’intelligence artificielle
. Sur ce thème, j’aimerais aussi
citer le rapport de M. Christophe Lacroix (Belgique, SOC) “Prévenir les
discriminations résultant de l’utilisation de l’intelligence artificielle”
.
7.10. Sensibilisation
66. La sensibilisation des forces
de police, des victimes potentielles et/ou des victimes du profilage
ethnique et du grand public à l'impact négatif du profilage ethnique
constitue également une bonne pratique.
7.11. Dimension
intersectionnelle du profilage
67. Le profilage ethnique comporte
également une dimension intersectionnelle. Des femmes peuvent être interpellées
et fouillées en raison d’une origine étrangère apparente ou du port
d’un foulard, par exemple. La formation des fonctionnaires de police
devrait intégrer un prisme intersectionnel et les mesures prises
pour lutter contre le profilage ethnique devraient tenir compte
de cette dimension.
7.12. Obligation
de la police de rendre des comptes
68. Il est essentiel d’obliger
la police à rendre compte de ses actes, car c’est une condition
pour restaurer la confiance. Ainsi, à la suite d'une plainte déposée
par un policier pour des pratiques discriminatoires au sein de la
police, l’ancien Défenseur français des droits a demandé qu'une
enquête officielle soit engagée par le ministère de l'Intérieur
pour examiner les pratiques de profilage ethnique et social de la
police à Paris
. Le 14 juillet 2020, le Président français
Emmanuel Macron a annoncé que les fonctionnaires de police seraient équipés
de caméras-piétons, ce qui est une bonne chose
. Plusieurs organisations ont demandé que
les contrôles et fouilles de la police soient dûment documentés
afin de garantir l’obligation de rendre des comptes.
69. Il faudrait aussi garantir une aide aux victimes de bavures
policières et prendre des sanctions en cas de faute.
7.13. Réforme
et mutation en profondeur
70. David Martín travaille depuis
de nombreuses années à la prévention et à la lutte contre le profilage ethnique.
Il souligne que la gouvernance démocratique de la police devrait
être améliorée et qu'un organisme externe devrait s'occuper de la
procédure de plaintes et qu’il faudrait obligatoirement enquêter
sur les plaintes.
7.14. Coopération
avec les organismes de promotion de l'égalité et les institutions
nationales des droits humains
71. Le rôle des organismes nationaux
pour l'égalité et des institutions nationales des droits humains
doit également être souligné. Lors de notre audition, M. Kádár a
souligné que les organismes de promotion de l'égalité collaborent
avec les forces de l'ordre pour promouvoir la diversité, la sensibilité
interculturelle et les programmes de formation généraux dans des
pays tels que la Belgique, le Portugal et le Royaume-Uni. La sensibilisation
par l'organisation de débats, de discussions ou de conférences avec
la police, les élus et la société civile est également une pratique
prometteuse à développer. Ils peuvent également s’exprimer publiquement
contre le profilage ethnique. La collecte de données ventilées sur
l'ampleur du profilage ethnique est importante dans le cadre de
l’action visant à prévenir et à combattre le phénomène. Les organismes
de promotion de l'égalité de traitement pourraient être mobilisés
pour la collecte de données et la recherche sur le profilage ethnique.
8. Conclusions
72. J’espère que l’année 2021 marquera
un tournant décisif compte tenu de l’attention accrue portée à la discrimination
raciale à l'échelle mondiale. Il faut que nous fassions le bilan
de la mobilisation historique contre le racisme et le profilage
ethnique dans le monde et que nous appelions à une réflexion générale
sur ce qui constitue la discrimination et le racisme ou ce qui pourrait
être considéré comme un traitement injuste. Il en résulterait un
mouvement de grande ampleur en faveur d’une mutation profonde.
73. Les pouvoirs publics et les dirigeantes et dirigeants politiques
devraient ouvrir le pas et prendre des mesures claires pour lutter
contre le racisme systémique. Parmi les moyens d’action disponibles
figurent l’adoption d’une législation interdisant la discrimination,
la condamnation du profilage ethnique dans les débats publics, la
réaction aux discours racistes, le rejet de tout climat de haine
et le refus de justifier le racisme de la part de représentant·e·s
des autorités gouvernementales. Il convient de prévenir le profilage
ethnique et de le combattre, car il est l’expression d’une discrimination
et sape la confiance dans les autorités, ce qui peut se répercuter
plus largement sur la cohésion de la société.
74. Les forces de police constituent un acteur essentiel de la
société et devraient être respectées et dignes de confiance. Leur
comportement doit être exemplaire et exempt de tout préjugé pour
qu'elles puissent remplir leur mission. Une personne victime de
discrimination de la part de la police est moins susceptible de
lui faire confiance et donc de s’adresser à elle ou de coopérer.
La police devrait donc s'engager dans une révision de ses pratiques,
afin de restaurer son crédit auprès du grand public et, partant,
de renforcer l’efficience de son action.
75. Comme M. Kádár, j’estime que la lutte contre le profilage
ethnique pose plusieurs problèmes, notamment des contraintes institutionnelles,
le manque de données, la difficulté de renverser la charge de la preuve
et les sous-déclarations. Tous ces problèmes ne doivent pas empêcher
d’agir pour mettre fin à cette forme de discrimination. La connaissance
des problèmes existants permet au contraire d’aller de l’avant.
76. N’oublions pas que dans plusieurs États membres du Conseil
de l'Europe, la police est confrontée à d'énormes difficultés dans
son travail, compte tenu des niveaux croissants de tensions, de
protestation et de mécontentement publics, du terrorisme et des
menaces qui pèsent sur la sécurité, de nouvelles difficultés et d’une
plus grande méfiance. La pandémie de covid-19 a également alourdi
sa charge de travail, puisqu’elle doit veiller au respect du confinement
et des autres mesures de protection. Malgré cela, aucune surcharge
de travail ne saurait justifier le recours au profilage ethnique
comme un outil de maintien de l’ordre. La discrimination et le traitement
discriminatoire ne cessent pas pendant les pandémies ou en situation
d’urgence, bien au contraire: ils augmentent en fréquence et en
intensité, exigeant donc une attention renforcée.
77. Selon moi, l’éventail d’outils disponibles au niveau international
est largement suffisant pour prévenir et combattre le profilage
ethnique, mais il faudrait plus largement les faire connaître et
les mettre en œuvre. Il serait en outre judicieux de mettre l’accent
sur la sensibilisation aux effets et aux conséquences négatives
du profilage ethnique, de tenir des registres des contrôles d'identité
effectués, de collecter des données sur l'incidence du profilage
ethnique, de mettre en place des mécanismes indépendants chargés
des plaintes contre la police, d'investir pour former les agent·e·s
de police aux droits humains tout au long de leur carrière, de fournir
aux forces de l’ordre les ressources nécessaires à l'accomplissement
de leur mission et d'encourager davantage le dialogue et la coopération
entre la police et la population pour prévenir et combattre efficacement
le profilage ethnique. Nous possédons tous les outils nécessaires
pour sensibiliser aux risques et aux conséquences du profilage ethnique;
à nous de faire en sorte qu’ils soient plus largement connus.