Imprimer
Autres documents liés

Rapport | Doc. 15231 | 01 mars 2021

Préserver les minorités nationales en Europe

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteure : Mme Elvira KOVÁCS, Serbie, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14553, Renvoi 4390 du 25 juin 2018. 2021 - Deuxième partie de session

Résumé

Le respect de la diversité linguistique, ethnique et culturelle, fondé sur la reconnaissance des droits fondamentaux à l’égalité et au respect de la dignité humaine, constitue l’une des pierres angulaires du système de protection des droits humains en Europe et est indispensable à la préservation de nos démocraties pluralistes et inclusives.

Aujourd’hui, cependant, certaines difficultés mettent en péril la capacité à protéger les droits des personnes appartenant à des minorités nationales en Europe, comme l’affaiblissement du soutien à la cause des droits humains; des tensions interétatiques et au sein des États, et parfois des conflits, qui mènent à ce que les minorités soient présentées comme une menace pour la sécurité; ainsi qu’une montée des propos inspirés par le nationalisme extrême et des propos haineux qui stigmatisent la diversité. Des problèmes ou des divisions d’ordre social, économique ou politique sont susceptibles d’aggraver ces dynamiques.

Les personnes appartenant aux minorités nationales doivent être en mesure de participer réellement à la vie culturelle, sociale et économique et aux affaires publiques du pays où elles vivent. Or, tout comme les sociétés dans leur ensemble, les minorités nationales sont hétérogènes et en évolution constante. Un dialogue continu doit ainsi être instauré entre les autorités et les minorités.

Le rapport réaffirme l’importance de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE no 157) en tant qu’instrument essentiel de protection des droits humains. Il invite les États membres à prendre une série de mesures afin de garantir partout en Europe la mise en œuvre effective des normes qu’elle consacre et de préserver la solidité du mécanisme lui-même.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 27 novembre 2020.

(open)
1. Il y a plus de vingt-cinq ans, en 1995, la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE no 157, «la Convention-cadre») était ouverte à la signature. Cet instrument essentiel se fonde sur une vision commune selon laquelle la préservation de la stabilité, de la sécurité démocratique et de la paix en Europe requiert la protection des minorités nationales; une société pluraliste et véritablement démocratique doit non seulement respecter l’identité ethnique, culturelle, linguistique et religieuse de toute personne appartenant à une minorité nationale, mais également créer des conditions propres à permettre d’exprimer, de préserver et de développer cette identité; et un climat de tolérance et de dialogue doit être créé pour permettre à la diversité culturelle d’être une source, ainsi qu’un facteur, non de division, mais d’enrichissement pour chaque société. Il est important de noter que la Convention-cadre reconnaît par ailleurs que la protection des droits et libertés des personnes appartenant à des minorités nationales fait partie intégrante de la protection internationale des droits humains, notamment du droit à une égalité pleine et effective.
2. La Convention-cadre a été ratifiée par 39 États membres du Conseil de l’Europe et signée par quatre autres. Depuis son entrée en vigueur en 1998, sa mise en œuvre, par l’adoption de mesures législatives et politiques importantes, a eu des répercussions positives pour les minorités nationales dans les États parties et a contribué à préserver leur identité linguistique, ethnique et culturelle.
3. Aujourd’hui, cependant, plusieurs difficultés mettent en péril cette capacité à protéger les droits des personnes appartenant à des minorités nationales en Europe. À bien des égards, la cause des droits humains ne mobilise plus autant qu’auparavant et l’attention accordée aux droits des minorités a décliné. Des tensions interétatiques et au sein des États, et parfois des conflits, ont fragilisé la stabilité des États comme celle des institutions européennes. Cette situation a malheureusement conduit les minorités à être parfois de nouveau perçues comme une menace pour la sécurité et l’intégrité territoriale des États, comme on l’a déjà vu dans le passé, et à l’instrumentalisation à des fins politiques des droits des personnes appartenant à des minorités. On observe également des tensions croissantes autour de l’utilisation des langues minoritaires et de l’enseignement de et dans ces langues.
4. En parallèle, on constate une montée des propos inspirés par le nationalisme extrême, du populisme, des propos haineux et des infractions motivées par la haine dans toute l’Europe, qui sont souvent axés sur une conception exclusive de la construction de la nation, stigmatisent la diversité et prennent pour cible toute personne perçue comme différente. Ce type de discours met en danger la cohésion sociale et la stabilité démocratique en utilisant les personnes appartenant aux minorités nationales comme des boucs émissaires. Ces dynamiques sont souvent aggravées dans les sociétés confrontées à des problèmes ou des divisions d’ordre social, économique ou politique.
5. L’Assemblée parlementaire constate que, tout comme les sociétés dans leur ensemble, les minorités nationales sont hétérogènes et en évolution constante. Par exemple, les flux migratoires internationaux et au sein des États ont profondément affecté les personnes appartenant à des minorités nationales ainsi que la mise en œuvre de leurs droits. En raison de cette évolution constante, un dialogue continu doit être instauré entre les autorités et les minorités, afin de pouvoir s’adapter rapidement aux besoins des minorités, qui évoluent.
6. L’Assemblée souligne que les personnes appartenant à des minorités nationales ne peuvent exercer pleinement leurs droits que lorsqu’elles sont en mesure de participer réellement à la vie culturelle, sociale et économique et aux affaires publiques du pays où elles vivent. Il est par conséquent essentiel de bâtir des sociétés inclusives et démocratiques, au sein desquelles les personnes appartenant aux minorités ont la possibilité de s’engager activement et à influencer les décisions les concernant. L’évolution du paysage médiatique peut créer de nouvelles possibilités d’expression dans les langues minoritaires mais aussi de nouveaux défis, et les États doivent s’assurer que cette dynamique n’entrave pas de manière arbitraire la liberté d’expression et l’accès à l’information des personnes appartenant à des minorités nationales.
7. Compte tenu de la multiplication des défis qui se posent aujourd’hui dans la mise en œuvre des droits des minorités en Europe, l’Assemblée considère qu’il est capital d’adopter une approche intégrée de ces droits pour préserver la protection des minorités. Les conséquences de toutes les politiques et décisions gouvernementales sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales, doit être évalué avant leur adoption et leur mise en œuvre. Cela concerne également des domaines allant au-delà des dispositions spécifiques de la Convention-cadre, comme la politique en matière de logement ou la privatisation de services publics, qui peuvent avoir un impact indirect sur la capacité des personnes appartenant à des minorités nationales à bénéficier de la dimension collective de leurs droits.
8. L’Assemblée réaffirme son soutien à la Convention-cadre. Le respect de la diversité linguistique, ethnique et culturelle, fondé sur la reconnaissance des droits fondamentaux à l’égalité et au respect de la dignité humaine, constitue l’une des pierres angulaires du système de protection des droits humains en Europe et est indispensable à la préservation de démocraties pluralistes et inclusives. L’Assemblée insiste sur l’importance du système de suivi multilatéral mis en place en vertu de cette convention et souligne que la Convention-cadre ne pourra donner sa pleine mesure en tant qu’instrument vivant sans l’engagement institutionnel du Conseil de l’Europe et la volonté politique de ses États membres.
9. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée demande instamment à tous les États membres du Conseil de l’Europe qui ne sont pas encore parties à la Convention-cadre de mener à son terme le processus de signature et de ratification de cet instrument, conformément à sa Recommandation 1766 (2006) «Ratification de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales par les États membres du Conseil de l'Europe» et à sa Résolution 2262 (2019) «Promouvoir les droits des personnes appartenant aux minorités nationales»; elle encourage également les États membres non parties à la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE no 148) à ratifier également cet instrument.
10. L’Assemblée appelle les États parties à la Convention-cadre à redoubler d’efforts pour la promouvoir et la mettre en œuvre dans la pratique, et en particulier:
10.1. à veiller à ce que les normes consacrées par la Convention-cadre soient effectivement intégrées dans le droit interne et mises en pratique, en s’abstenant de revenir sur des droits acquis des minorités et, au besoin, s’il y a lieu, en adoptant un cadre législatif complet pour la protection des droits des personnes appartenant à des minorités nationales, après que leurs représentant·e·s ont été dûment consulté·e·s;
10.2. à envisager, dans le cas des États parties ayant ratifié la Convention-cadre tout en présentant des déclarations et/ou des réserves restrictives, le retrait de ces déclarations et/ou réserves;
10.3. à promouvoir des sociétés pluralistes et inclusives, au sein desquelles les personnes appartenant aux minorités nationales peuvent exprimer leurs identités multiples tout comme leur loyauté aux principes constitutionnels démocratiques, contribuant ainsi à une Europe unie dans la diversité;
10.4. à intensifier le dialogue avec les personnes appartenant à des minorités nationales et à le mener sans interruption, notamment en créant des mécanismes de consultation permanents lorsqu’ils n’existent pas encore, tout en tenant compte du fait que la composition et le fonctionnement de ces structures doit permettre la participation pleine et effective des minorités nationales sur tous les sujets susceptibles de concerner leurs droits et leur donner la possibilité d’influer de manière tangible sur les conclusions de ces travaux;
10.5. à veiller à ce que les politiques et les pratiques relatives aux minorités nationales tiennent compte de la diversité qui existe au sein des minorités et des questions intersectionnelles qui peuvent les concerner, afin que toutes les personnes appartenant à des minorités nationales puissent jouir d’une égalité pleine et effective, comme le prévoit la Convention-cadre;
10.6. à prendre au sérieux les menaces que représentent les propos haineux promus par des acteurs étatiques et des parlementaires qui déshumanisent les personnes appartenant à des minorités et accentuent leur vulnérabilité à la stigmatisation, à la discrimination et aux violences; à appeler les représentants de l’État et les responsables politiques à s’abstenir de prononcer des propos haineux et à initier des mesures supplémentaires pour lutter contre les propos haineux et les infractions motivées par la haine commises à l’encontre de personnes appartenant à des minorités;
10.7. à nouer un dialogue avec les représentant·e·s des minorités nationales et à les consulter systématiquement pour déterminer les meilleurs moyens de mettre en œuvre les recommandations adressées à l’État partie dans le cadre du mécanisme de suivi de la Convention-cadre, et à les mettre en œuvre rapidement sur la base de ces consultations;
10.8. à envisager de mettre au point des indicateurs pour contribuer à mesurer et évaluer les résultats obtenus dans ce domaine, en particulier en ce qui concerne l’intégration des minorités dans la société;
10.9. à élaborer de nouvelles stratégies d’information permettant de communiquer au sujet de la Convention-cadre et de diffuser auprès du grand public les conclusions de son Comité consultatif, notamment dans la langue de l’État et dans les langues des minorités nationales; ces stratégies devraient tirer pleinement parti de la disponibilité croissante des nouvelles technologies.
11. Elle appelle en outre les États non parties à Convention-cadre à mettre en œuvre des mesures en ligne avec celles énumérées aux paragraphes 10.2, 10.3, 10.4 et 10.5 ci-dessus, afin de renforcer leur dialogue avec les personnes appartenant aux minorités nationales au sein de leur territoire et à promouvoir leur égalité pleine et effective.
12. L’Assemblée invite l’ensemble des États membres à intensifier leur dialogue multilatéral sur la protection des droits des minorités et à lui donner un caractère plus permanent. Elle rappelle à cet égard le rôle important que peuvent également jouer les mécanismes complémentaires qui existent dans ce domaine, et en particulier le rôle du Haut Commissaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe pour les minorités nationales dans la prévention des conflits. Compte tenu du lien étroit qu’il y a entre le respect des droits humains et le bon fonctionnement de l’État de droit et des institutions démocratiques, il conviendrait aussi de renforcer les synergies mises en place avec l’Union européenne dans ce domaine.
13. L’Assemblée invite les États membres à explorer tous les moyens qui permettent de garantir l’intégration dans la législation interne et la mise en œuvre des normes du Conseil de l’Europe, en aidant les institutions européennes à développer leur réglementation visant à préserver les minorités nationales en Europe.
14. Enfin, étant donné que les droits des personnes appartenant à des minorités nationales ne peuvent être dûment exercés sans la mise en place d’un cadre solide pour protéger et promouvoir une égalité pleine et effective, l’Assemblée demande instamment aux États membres qui ne sont pas encore parties au Protocole no 12 à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 177) de mener sans délai à son terme le processus de signature et de ratification de cet instrument.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté par la commission le 27 novembre 2020.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution… (2021) «Préserver les minorités nationales en Europe», dans laquelle elle appelle les États membres du Conseil de l’Europe à renforcer leur engagement en faveur de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE no 157, ci-après «la Convention-cadre») et de la mise en œuvre de ses normes, qui font partie intégrante de la protection internationale des droits humains.
2. L’Assemblée rappelle que le maintien d’un dialogue entre les représentant·e·s des minorités nationales et les autorités, ainsi qu’entre les autorités et l’organe de suivi créé en vertu de la Convention-cadre, est un moyen essentiel d’atteindre les objectifs de celle-ci et souligne l’importance d’une collaboration multilatérale permanente dans ce domaine.
3. L’Assemblée appelle donc le Comité des Ministres:
3.1. à encourager les États parties à engager des efforts accrus pour mettre pleinement en œuvre les recommandations des organes de suivi du Conseil de l’Europe, afin de préserver la diversité linguistique, ethnique et culturelle et de bâtir des sociétés dans lesquelles les minorités ne sont pas simplement tolérées, mais respectées et perçues comme des composantes égales et à part entière;
3.2. à renforcer ses efforts visant à assurer l’adoption rapide des résolutions qui clôturent le cycle de suivi à l’égard de chaque État partie, conformément à la procédure énoncée dans la résolution CM/Res(2019)49 relative au mécanisme révisé de suivi prévu aux articles 24 à 26 de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, adoptée par le Comité des Ministres le 11 décembre 2019;
3.3. à étudier les moyens permettant d’assurer une coopération régulière et formelle entre le Comité consultatif de la Convention-cadre et la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) lorsqu’il s’agit d’évaluer la conformité avec les normes et standards du Conseil de l’Europe de la législation nationale des États membres relative à la protection des minorités nationales;
3.4. à envisager l’instauration d’une coopération plus multidimensionnelle avec la société civile par la création d’une plateforme publique en ligne qui permettrait de recueillir davantage de données et d’identifier plus rapidement les questions gravement préoccupantes relatives aux droits des personnes appartenant à des minorités nationales, à l’image de la Plateforme pour la protection du journalisme et la sécurité des journalistes déjà mise en place par le Conseil de l’Europe.

C. Exposé des motifs par Mme Elvira Kovács, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. Il y a vingt-cinq ans, le 1er février 1995, la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE no 157, «la Convention-cadre»), traité du Conseil de l’Europe, était ouverte à la signature. Cet instrument, issu d’années de dialogue entre le Comité des Ministres et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe 
			(3) 
			Pour plus de détails,
voir le Rapport explicatif de la Convention-cadre pour la protection
des minorités nationales., se fonde sur l’idée que la protection des minorités nationales est «essentielle à la stabilité, à la sécurité démocratique et à la paix» en Europe, «qu’une société pluraliste et véritablement démocratique doit non seulement respecter l’identité ethnique, culturelle, linguistique et religieuse de toute personne appartenant à une minorité nationale, mais également créer des conditions propres à permettre d’exprimer, de préserver et de développer cette identité» et que «la création d’un climat de tolérance et de dialogue est nécessaire pour permettre à la diversité culturelle d’être une source, ainsi qu’un facteur, non de division, mais d’enrichissement pour chaque société». La Convention-cadre reconnaît par ailleurs explicitement, et cela est fondamental, que la protection des droits et libertés des personnes appartenant aux minorités nationales fait partie intégrante de la protection internationale des droits humains 
			(4) 
			Préambule
à et article 1 de la Convention-cadre..
2. A bien des égards, la cause des droits humains ne mobilise plus aujourd’hui autant qu’auparavant. Si l’attention portée aux minorités à l’époque de l’adoption de la Convention-cadre était forte, nous l’avons vu diminuer depuis. Le message reste peut-être inchangé, mais la difficulté est de mieux le faire passer dans un environnement marqué par le soutien déclinant des États et aussi de certaines ONG qui militaient traditionnellement en faveur des minorités et dont le centre d’intérêt semble s’être déplacé. Face à cette situation, nous devons donc tous revoir notre façon de penser.
3. En parallèle, nous assistons dans toute l’Europe à la montée des discours extrémistes, souvent dirigés contre toute personne perçue comme «différente» 
			(5) 
			Voir
entre autres la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?fileid=27636'>Résolution
2275 (2019)</a> «Rôle et les responsabilités des dirigeants politiques
dans la lutte contre le discours de haine et l’intolérance».. Ces discours mettent en danger la cohésion sociale et la stabilité démocratique en utilisant les membres des communautés minoritaires comme des boucs émissaires. Les messages de haine trouvent un terrain particulièrement fertile dans les sociétés confrontées à des problèmes ou des divisions d’ordre social, économique ou politique plus larges.
4. Face à une rhétorique qui stigmatise la diversité de manière de plus en plus délibérée et à l’instrumentalisation fréquente des droits des minorités à des fins politiques, il est important de réaffirmer que le respect de la diversité linguistique, ethnique et culturelle constitue l’une des pierres angulaires du système de protection des droits humains en Europe. Il est temps de revenir aux bases, à la dignité humaine, à l’inclusion, au respect et à la reconnaissance des droits des minorités dans un environnement en mutation et de regarder comment les notions d’égalité et de non-discrimination peuvent s’inscrire dans un discours global sur les minorités.
5. Les langues, les cultures et les nations sont en interaction et s’influencent mutuellement, alimentant ainsi une évolution constante, générant de nouvelles idées et contribuant à l’évolution intellectuelle de l’Europe.
6. La préservation de la diversité linguistique, ethnique, culturelle et nationale joue aussi un rôle important dans le maintien de la paix et de la stabilité en Europe. Les tensions ethniques représentent un risque important pour la stabilité et aucun pays européen n’est totalement homogène sur le plan ethnique. Il importe donc d’autant plus que les organisations internationales ne négligent pas ces questions pour ne s’en préoccuper que lorsque les tensions accumulées ici ou là menacent d’exploser ou lorsqu’elles ont déjà éclaté.

2. Méthodes de travail, portée et objectifs du rapport

7. Je crois que la protection des cultures et langues minoritaires doit être analysée dans un contexte plus large, dans lequel une Europe sans frontières défend des politiques en faveur des minorités dont le but est de permettre aux individus de vivre leur identité et de préserver leur culture, leurs traditions et leur langue sans obstruction. «L’unité dans la diversité» devrait être une réalité dans toute l’Europe, ainsi que dans chacun des pays du continent.
8. Un élément essentiel du contexte général est la mise en œuvre de la Convention-cadre, qui a eu des répercussions positives pour les minorités nationales dans les États parties et a contribué à préserver leurs identités linguistiques, ethniques et culturelles. Dans le même temps, les travaux de suivi tout comme les rapports d’activité réguliers du Comité consultatif de la Convention-cadre montrent qu’à travers les 39 États parties, de nombreux enjeux doivent encore être résolus pour traduire concrètement les principes consacrés par cet instrument dans les réalités vécues par les personnes appartenant aux minorités. Par ailleurs, de nouveaux défis émergent constamment. Ainsi, je considère qu’il est important d’examiner les grandes tendances de la mise en œuvre de la Convention-cadre, aussi bien en ce qui concerne les bonnes pratiques existantes, susceptibles d’être appliquées dans d’autres pays, que les principales difficultés rencontrées dans sa mise en œuvre et de voir de quelle manière l’Assemblée pourrait contribuer à surmonter ces difficultés.
9. Comme l’Assemblée l’a déjà souligné, le fait que huit États membres du Conseil de l’Europe ne sont pas encore parties à la Convention-cadre affaiblit la protection que celle-ci peut offrir. Cela crée une certaine fragmentation car les personnes appartenant à des minorités nationales ne bénéficient pas d’une reconnaissance et d’une protection égales et les dispositions de la convention qui visent à promouvoir l’égalité, la tolérance le dialogue interculturel, dans l’intérêt de tous les membres de la société, ne sont pas applicables à travers l’ensemble du continent 
			(6) 
			Voir
entre autres la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?fileid=25428'>Résolution
2262 (2019)</a> de l’Assemblée, «Promouvoir les droits des personnes
appartenant aux minorités nationales». Quatre États – la Belgique,
la Grèce, l’Islande et le Luxembourg – ont signé mais pas ratifié
la Convention-cadre; quatre États – Andorre, la France, Monaco et
la Turquie ne l’ont ni signée ni ratifiée..
10. Grâce à une série d’auditions et d’échanges de vues tenus tout au long du processus de préparation de ce rapport, la commission a pu bénéficier des contributions directes de la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, du Haut-commissaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) pour les minorités nationales et du Rapporteur spécial des Nations Unies sur les questions relatives aux minorités, ainsi que d’une ancienne présidente du Comité consultatif de la Convention-cadre et de sa présidente par intérim actuelle 
			(7) 
			La commission a tenu
des échanges de vues avec M. Lamberto Zannier, Haut-commissaire
de l’OSCE pour les minorités nationales, le 23 janvier 2019, lors
de la partie de session de l’Assemblée de janvier 2019, ainsi qu’avec M. Fernand
de Varennes, Rapporteur spécial des Nations Unies sur les questions
relatives aux minorités, et Mme Petra Roter,
ancienne présidente du Comité consultatif de la Convention-cadre,
le 4 décembre 2019, à Paris. Elle a tenu un échange de vues avec
la Commissaire aux droits de l’homme le 29 janvier 2020, lors de
la partie de session de l’Assemblée de janvier 2020, lors duquel
ont été traitées des questions relatives à la protection des personnes appartenant
aux minorités nationales. Enfin, le 11 septembre 2020, elle a tenu
une audition par vidéoconférence avec Mme Marie
Hagsgård, présidente par intérim du Comité consultatif.. Je les remercie pour leurs contributions très pertinentes. Je tiens à remercier également la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) pour sa réaction rapide à sa saisine le 4 décembre 2019 par notre commission pour avis sur les récentes modifications apportées à la législation lettone sur l’enseignement en langue minoritaire 
			(8) 
			Commission
de Venise, <a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2020)012-f'>Lettonie:
Avis sur les modifications récentes de la législation concernant
l’enseignement dans les langues minoritaires</a>, adopté le 18 juin 2020 par procédure écrite en remplacement
de la 123e session plénière, CDL-AD(2020)012..
11. La commission m’a également autorisée à effectuer une visite d’information en Ukraine et au Royaume-Uni (Pays de Galles) pour étudier de manière plus approfondie les questions qui présentent un intérêt pour mon rapport. Compte tenu du contexte sanitaire actuel en Europe, il n’a pas été possible de mener ces visites sur le terrain. J’ai toutefois eu le plaisir de pouvoir organiser des réunions bilatérales en ligne avec des interlocutrices et interlocuteurs officiel·le·s ainsi que des représentant·e·s de la société civile au cours de la semaine du 2 au 6 novembre 2020. Bien qu’elles aient eu lieu à un stade très avancé de l’élaboration de ce rapport, elles m’ont permis de recueillir des informations pertinentes de première main et de nouer un dialogue direct avec les acteurs nationaux. Nos discussions ont été particulièrement riches et propices à la réflexion, et les conclusions que j’en ai tirées figurent en annexe du présent rapport.
12. Les recommandations formulées dans les projets de résolution et de recommandation visent à assurer une mise en œuvre plus cohérente du cadre juridique et institutionnel afin que les droits humains des personnes appartenant à des minorités soient respectés et protégés, ce qui est essentiel pour la paix et la stabilité en Europe et pour la préservation de la diversité linguistique, ethnique et culturelle du continent.

3. Cadre juridique de la protection des droits des minorités en Europe

3.1. Normes universelles

13. Plusieurs instruments des Nations Unies reconnaissent explicitement les droits des personnes appartenant à des minorités ou contribuent à protéger ces droits; c’est notamment le cas de l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et de la déclaration de 1992 relative aux droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques.
14. Lors de l’audition organisée par notre commission, le 4 décembre 2019, M. Fernand de Varennes, Rapporteur spécial des Nations Unies sur les questions relatives aux minorités, a mis en avant le lien important qui existe entre les normes internationales sur la protection des minorités et le droit à l’égalité et à la non-discrimination. Il a souligné que tous les droits humains susceptibles de protéger les minorités devraient être considérés comme des droits des minorités. Dès lors, priver des individus de leur nationalité en raison de leur appartenance à certaines minorités religieuses ou ethniques peut être considéré comme une violation du principe général de non-discrimination. La liberté de religion, le droit à l’égalité de traitement sans discrimination fondée sur la religion et la liberté d’association sont des droits universels, mais ils revêtent une importance toute particulière pour les personnes appartenant à des minorités religieuses. Dans certains cas, il peut aussi arriver que le droit à l’égalité de traitement sans discrimination fasse obligation aux États d’assurer un enseignement public dans des langues minoritaires ou autochtones. M. de Varennes a insisté sur le fait qu’il est évident, pour les Nations Unies, que les droits des minorités ne sont pas uniquement une question de protection de la diversité linguistique, mais qu’ils constituent des droits humains, détenus par des individus.

3.2. Normes européennes

15. Nombre des droits énoncés par la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) et ses protocoles sont d’une importance particulière pour les personnes appartenant à des minorités; c’est notamment le cas des articles 9 (liberté de pensée, de conscience et de religion), 10 (liberté d’expression), 11 (liberté de réunion et d’association) et 14 (interdiction de la discrimination dans la jouissance des droits et libertés reconnus par la Convention, qui interdit entre autres les discriminations fondées sur «l’appartenance à une minorité nationale» 
			(9) 
			Il semblerait que ce
motif de discrimination n’ait été explicitement invoqué que rarement
devant la Cour; dans des affaires où des violations des articles
2 ou 3 de la Convention ont été alléguées et qui concernaient des
personnes appartenant à des minorités nationales, les aspects ayant
trait à la discrimination ont généralement été examinés comme relevant
du racisme.), de l’article 2 du Protocole no 1 (droit à l’éducation) et du Protocole no 12 (interdiction générale de la discrimination, couvrant les mêmes motifs que l’article 14 de la Convention 
			(10) 
			Pour
une affaire récente dans laquelle les droits de personnes appartenant
à des minorités nationales sont étudiés sous l’angle de l’article 1
du Protocole no 12 à la Convention et
où référence est faite largement à la Convention-cadre, voir l’arrêt
de la Cour (qui ne constate aucune violation) dans l’affaire <a href='http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-204993'>Ádám
et autres c. Roumanie</a>, Quatrième section, 13 octobre 2020 (arrêt non définitif
au moment de la rédaction du présent rapport), requêtes no 81114/17
et 5 autres..
16. Le document de Copenhague de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE, devenue depuis l’OSCE), adopté en 1990, a réaffirmé que «le respect des droits des personnes appartenant à des minorités nationales, considérés comme des droits de l’homme reconnus universellement, est un facteur essentiel de la paix, de la justice, de la stabilité et de la démocratie» et a énoncé toute une série de droits dont bénéficient les personnes appartenant à des minorités nationales, afin notamment «d’exprimer, de préserver et de développer en toute liberté leur identité ethnique, culturelle, linguistique ou religieuse et de maintenir et de développer leur culture sous toutes ses formes, à l’abri de toutes tentatives d’assimilation contre leur volonté» 
			(11) 
			Document
de la réunion de Copenhague de la Conférence sur la dimension humaine
de la CSCE, 29 juin 1990.. Les principes énoncés par le document de Copenhague demeurent cruciaux, et leurs implications dans la vie réelle ont été examinées de façon plus approfondie dans une série de recommandations et de lignes directrices thématiques 
			(12) 
			Recommandations de
La Haye concernant les droits des minorités nationales à l’éducation
(1996); Recommandations d’Oslo concernant les droits linguistiques
des minorités nationales (1998); Recommandations de Lund sur la
participation des minorités nationales à la vie publique (1999);
Lignes directrices relatives à l’utilisation des langues minoritaires
dans les médias de radiodiffusion (2003); Recommandations sur la
mission de la police dans les sociétés multi-ethniques (2006); Recommandations
de Bolzano/Bozen sur les minorités nationales dans les relations interétatiques
(2008) (non traduites vers le français); Lignes directrices de Ljubljana
sur l’intégration dans les sociétés marquées par la diversité (2012)
(non traduites vers le français); Recommandations de Graz sur l’accès
à la justice et les minorités nationales (2017) (non traduites vers
le français); Lignes directrices de Tallinn sur les minorités nationales
et les médias dans l’ère numérique (2019) (non traduites vers le
français).. Toutefois, la mise en œuvre concrète de ces principes ne fait pas l’objet d’un suivi formel. En 1992, les États participant à l’OSCE ont créé la fonction de Haut-Commissaire pour les minorités nationales. Comme cela a souvent été souligné, le Haut-Commissaire n’œuvre pas au nom des minorités nationales mais travaille sur les minorités nationales; son rôle n’est pas d’être le porte-parole de celles-ci mais un instrument de prévention de conflits, notamment à travers des mécanismes d’alerte et d’action rapides 
			(13) 
			CSCE,
Document de Helsinki, «Les défis du changement», 10 juillet 1992;
van der Stoel M., «<a href='https://www.jstor.org/stable/44840021'>The role of the
CSCE High Commissioner on National Minorities in CSCE Conflict Prevention
»</a>, Studia Diplomatica,
1994, 47(4) p. 59-70..
17. La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires de 1992 (STE no 148), qui définit toute une série d’engagements que les États peuvent prendre pour protéger ces langues, reconnaît aussi que le droit d’utiliser une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique est un droit imprescriptible, conformément aux principes contenus dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies 
			(14) 
			Préambule
à la Charte..
18. La Convention-cadre de 1995 marque le franchissement d’un pas crucial en avant, d’une part parce qu’elle couvre l’ensemble des droits des personnes appartenant à des minorités nationales et d’autre part parce qu’elle crée un mécanisme multilatéral chargé du suivi de la mise en œuvre par les États parties de ces normes. Depuis l’adoption de cette convention, l’importance d’un engagement européen en faveur de la protection des minorités nationales et de la diversité culturelle a été réaffirmée régulièrement par les États membres du Conseil de l’Europe, par exemple dans la Déclaration de Varsovie (Troisième Sommet des Chefs d’État et de Gouvernement du Conseil de l’Europe, 16-17 mai 2005).
19. Les pays d’Europe orientale devenus membres du Conseil de l’Europe dans les années 1990 ont accepté les obligations incombant à tous les États membres en vertu du Statut, à savoir le respect des principes d’une démocratie pluraliste et de la prééminence du droit. Ils ont souscrit plusieurs engagements spécifiques, qu’ils se sont engagés à honorer dans des délais convenus, comme la conduite d’une politique à l’égard des minorités reposant sur les principes définis dans la Recommandation 1201 (1993) de l’Assemblée. Après l’entrée en vigueur de la Convention-cadre, en 1998, la signature et la ratification de cette dernière dans l’année suivant l’entrée d’un pays au Conseil de l’Europe sont aussi devenues une obligation de base.
20. En vertu de la Convention-cadre, les droits des minorités sont reconnus à titre individuel à toute personne qui appartient à une minorité nationale, qui a le droit de choisir librement d’être traitée ou de ne pas être traitée comme telle sans aucun désavantage. Il est précisé à l’article 3.2 de la Convention-cadre que les droits des minorités peuvent être exercés «individuellement ainsi qu’en commun avec d’autres». En fait, de nombreux droits n’ont de sens que s’ils sont exercés en commun avec d’autres et l’exercice de certains droits présuppose la présence d’autres personnes, voire une association formelle avec d’autres personnes. Les droits des minorités ont, par conséquent, une dimension individuelle, une dimension sociale et une dimension collective 
			(15) 
			Commentaire thématique
no 4 du Comité consultatif de la Convention-cadre:
«La Convention-cadre: un outil essentiel pour gérer la diversité
au moyen des droits des minorités», <a href='https://rm.coe.int/16806a4812'>ACFC/56DOC(2016)001</a>..
21. La nécessité de protéger l’identité des personnes appartenant à des minorités nationales est reconnue à la fois par le préambule de la Convention-cadre et par son article 5.1. Plusieurs dispositions (les articles 7 à 15) servent à créer un cadre régissant l’application aux personnes appartenant à une minorité nationale des droits applicables à tous, notamment ceux consacrés par la Convention (voir ci-dessus). D’autres dispositions prévoient des droits plus spécifiquement pertinents pour les personnes appartenant aux minorités nationales (articles 16 à 18).
22. Dans le même temps, la Convention-cadre situe clairement les droits des minorités dans un contexte d’égalité et de non-discrimination plus général. Elle reconnaît que des mesures spécifiques peuvent être requises afin de promouvoir l’égalité pleine et effective au sein de la société des personnes appartenant aux minorités nationales (article 4.2). Elle met par ailleurs en avant la nécessité de promouvoir un esprit de tolérance et de dialogue interculturel et de prendre des mesures efficaces pour favoriser le respect et la compréhension mutuels ainsi que la coopération entre toutes les personnes vivant sur le territoire d’un État (article 6).
23. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et le Parlement européen ont adopté ces dernières années plusieurs résolutions et rapports relatifs à la protection des minorités qui fournissent des orientations importantes quant aux normes qui peuvent contribuer à garantir la préservation de l’identité 
			(16) 
			Voir notamment la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?fileid=17120'>Résolution
1334 (2003)</a> de l’Assemblée «Expériences positives des régions autonomes
comme source d’inspiration dans la résolution de conflits en Europe»,
la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?fileid=17146'>Recommandation
1623 (2003)</a> «Droits des minorités nationales», la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?fileid=17407'>Recommandation
1735 (2006)</a> «Le concept de ‘nation’», la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?fileid=17476'>Recommandation
1766 (2006)</a> «Ratification de la Convention-cadre pour la protection
des minorités nationales par les États membres du Conseil de l’Europe»,
la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?fileid=18024'>Résolution
1832 (2011)</a> «La souveraineté nationale et le statut d’État dans
le droit international contemporain: nécessité d’une clarification»,
la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?fileid=20772'>Résolution
1985 (2014)</a> «La situation et les droits des minorités nationales
en Europe», la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?fileid=24410'>Résolution
2196 (2018)</a> «La protection et la promotion des langues régionales
ou minoritaires en Europe» et la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?fileid=25428'>Résolution 2262
(2019)</a> «Promouvoir les droits des personnes appartenant aux
minorités nationales», ainsi que la Résolution du Parlement européen
du 7 février 2018 sur la protection et la non-discrimination des
minorités dans les États membres de l’Union européenne (<a href='http://www.europarl.europa.eu/oeil/popups/ficheprocedure.do?lang=en&reference=2017/2937(RSP)'>2017/2937(RSP)</a>) et sa Résolution du 13 novembre 2018 sur les normes
minimales pour les minorités dans l’Union européenne (<a href='https://oeil.secure.europarl.europa.eu/oeil/popups/ficheprocedure.do?lang=fr&reference=2018/2036(INI)'>2018/2036(INI)</a>)..
24. Il convient toutefois de noter que ni les conventions du Conseil de l’Europe dans le domaine des droits des minorités, ni les instruments de «soft law» de l’Assemblée parlementaire, bien que théoriquement d’application obligatoire, n’ont de force directement contraignante dans la pratique. C’est pourquoi j’estime qu’il est urgent et nécessaire de trouver des moyens nouveaux afin de veiller à ce que les normes citées ci-dessus soient réellement intégrées dans le droit interne des pays et mises en œuvre concrètement, notamment en aidant les institutions européennes à élaborer leur réglementation de manière à garantir la diversité linguistique, ethnique, culturelle et nationale en Europe.

4. Enjeux actuels de la protection matérielle des droits des minorités en Europe

25. Ces vingt dernières années, la mise en œuvre de la Convention-cadre a eu des répercussions positives pour les minorités nationales dans les États parties et les a aidées à préserver leur identité linguistique, ethnique et culturelle. Cependant, plusieurs difficultés menacent actuellement d’entraver la capacité à protéger les droits des minorités au moyen des outils élaborés par les Nations Unies et l’Europe dans les années 1980 et 1990. En particulier, la stabilité des États comme celle des institutions européennes a été fragilisée par des tensions intra- et interétatiques, voire par des conflits. Les flux migratoires ont aussi directement et indirectement affecté les personnes appartenant aux minorités nationales ainsi que la mise en œuvre des droits des minorités tels qu’énoncés par la Convention-cadre 
			(17) 
			Rapport d’activité
du Comité consultatif, 2018..
26. Par ailleurs, la pandémie de covid-19 a mis en exergue la vulnérabilité des personnes appartenant à des minorités nationales, qui ont souvent dû faire face à la discrimination, aux propos haineux, à la stigmatisation, à un manque d’information en langues minoritaires et à des inégalités d’accès à l’éducation à la suite de la fermeture temporaire des classes dans les écoles, y compris au niveau maternel, pendant des périodes de confinement 
			(18) 
			Comité consultatif,
Déclaration sur la pandémie covid-19 et les minorités nationales,
adoptée le 28 mai 2020; Comité d’experts de la Charte européenne
des langues régionales ou minoritaires, «Crise covid-19: il est
vital que les autorités communiquent également dans les langues
régionales ou minoritaires», 30 mars 2020. Pour protéger les minorités, les gouvernements doivent veiller à ce que les mesures qu’ils prennent pour faire face à des crises ne fragilisent pas la cohésion sociale, mais la renforcent 
			(19) 
			Haut-Commissaire de
l’OSCE pour les minorités nationales, «Streamlining
diversity [Fluidifier la diversité]: mesures de lutte
contre la covid-19 qui soutiennent la cohésion sociale», 17 avril
2020..
27. Dans le présent chapitre, j’analyse les principaux défis qui ont émergé au cours des dernières années en matière de droits des minorités.

4.1. La Convention-cadre pour la protection des minorités nationales n’est pas directement applicable

28. En raison de situations nationales très diverses en ce qui concerne les minorités nationales – qu’il s’agisse de leur importance numérique, de leur dispersion à travers le territoire ou du nombre de minorités – ainsi que de situations différentes entre minorités vivant au sein d’un État donné, il est impossible de définir une solution universelle qui serait apte à protéger de manière efficace les droits des personnes appartenant à des minorités nationales. Par conséquent, la Convention-cadre a été conçue dès le départ comme (justement) un cadre, ce qui crée une certaine souplesse et permet aux États de traduire certaines de ses dispositions dans leur législation interne d’une manière adaptée à la situation spécifique qui existe dans leur territoire 
			(20) 
			Comité consultatif,
Commentaire thématique no 4, op. cit., introduction..
29. En conséquence, il est nécessaire de légiférer afin de donner effet aux dispositions de la Convention-cadre. Le Comité consultatif s’est à maintes reprises félicité des progrès accomplis par les États parties pour traduire les principes énoncés par la convention dans leur système juridique interne 
			(21) 
			Rapports d’activité
du Comité consultatif, 2020, 2018, 2016 et 2014.. Toutefois, l’expérience montre qu’il ne suffit pas d’harmoniser la législation avec les instruments internationaux pour garantir l’application effective des droits des minorités, en particulier lorsque les mentalités ne changent pas et que les minorités continuent d’être perçues comme une menace (voir ci-dessous). Le problème est souvent que les accords et cadres juridiques existants ne sont pas concrétisés dans la pratique et qu’il n’y a pas d’organe de contrôle chargé d’en assurer l’application au niveau national. Le fait que des lois soient adoptées et que des infrastructures juridiques soient établies ne signifie pas qu’elles sont correctement appliquées (si tant est qu’elles le soient). Pour les communautés minoritaires, l’égalité formelle ne suffit pas: elles ont besoin d’être respectées et reconnues et de bénéficier d’un soutien permanent, durable et prévisible, et adapté à leurs besoins 
			(22) 
			Intervention de Mme Marie
Hagsgård, présidente par intérim du Comité consultatif, 11 septembre
2020.. Parfois le problème tient à la mise en œuvre ou à l’application insuffisante des règles; dans d’autres cas, des règles supplémentaires sont nécessaires pour traiter des questions particulières dans des domaines définis.
30. Par ailleurs, du fait que la Convention-cadre énonce des principes fondamentaux plutôt que des obligations spécifiques, on n’obtient guère de résultats s’il n’y a pas de véritable dialogue ni de bonne volonté – question qui est examinée de façon plus approfondie ci-après.

4.2. Perception des minorités comme une menace pour la sécurité et re-sécuritisation des droits des minorités

31. Au cours des dernières années, une tendance préoccupante s’est développée, selon laquelle les minorités sont présentées comme étant potentiellement ou par définition déloyales envers l’État où elles habitent – voire comme étant des agents étrangers – et partant, comme représentant une menace pour la sécurité. Cela amène certains États à refuser de reconnaître aux personnes appartenant aux minorités nationales certains droits liés à leur identité (la liberté d’association ou le droit d’apprendre leur langue, par exemple) et tend à créer un environnement hostile pour ces personnes. Ce phénomène peut par la suite susciter des appels à une plus grande autonomie, et parfois à la sécession. En parallèle, cette dynamique coïncide, dans certains États, avec des inquiétudes croissantes relatives au terrorisme, renforçant les craintes quant aux auteurs potentiels d’actes terroristes au sein de la société 
			(23) 
			Rapports d’activité
du Comité consultatif, 2018, 2016 et 2014. En ce qui concerne les
perceptions d’une menace de sécessionisme, voir par exemple «<a href='https://transylvanianow.com/president-iohannis-accuses-transylvanian-hungarians-of-secessionism/'>President
Iohannis accuses Transylvanian Hungarians of secessionism </a>», Translyvania Now,
29 avril 2019..
32. De ce fait, on a pu observer un retour vers une vision des questions liées aux minorités comme relevant essentiellement de la sécurité – précisément la dynamique que la Convention-cadre était censé renverser, puisque les États parties à la Convention reconnaissent la nécessité de garantir l’égalité pleine et effective des personnes appartenant à des minorités nationales, en droit et dans la pratique. Comme le Comité consultatif l’a maintes fois répété, c’est la mise en œuvre des droits des minorités, et non leur négation, qui constitue la meilleure garantie pour la paix, la stabilité et la sécurité démocratique.

4.3. Édification des nations selon une approche exclusive et montée du nationalisme et du populisme, des propos haineux et des crimes de haine

33. Le mouvement vers une re-sécuritisation s’accompagne d’une montée des populismes nationalistes qui diabolisent les minorités et les prennent comme boucs émissaires, d’une manière qui n’est pas sans rappeler dangereusement le passé. Les groupes les plus vulnérables et les plus marginalisés – qui sont ceux qui ont le plus besoin de la protection des droits humains – sont les groupes les plus ciblés par les propos haineux et les crimes de haine, les attaques fondées sur leur origine ethnique, le déni de citoyenneté et les restrictions imposées à l’enseignement dans les langues minoritaires; tous ces phénomènes vont s’accélérant 
			(24) 
			Intervention de M. Fernand
de Varennes, Rapporteur spécial des Nations Unies sur les questions
relatives aux minorités, 4 décembre 2019.. Par ailleurs, les personnes appartenant aux minorités qui se trouvent dans une situation socio-économique défavorable sont souvent représentées comme un fardeau pour la société ou comme un obstacle à l’atteinte de l’objectif d’une plus grande prospérité pour tous, ce qui les rend plus vulnérables aux attaques 
			(25) 
			Rapports
d’activité du Comité consultatif, 2014.. Cette dynamique touche particulièrement les Roms, car l’antitsiganisme reste très présent dans le discours public (notamment politique) et sous la forme d’agressions physiques contre les communautés de Roms et de Gens du voyage, ainsi que les personnes qui les constituent, et la ségrégation que subissent ces communautés continue d’être tolérée. Une fois encore, la pandémie de covid-19 a mis ces problèmes en évidence, et dans certains cas les a aggravés 
			(26) 
			«<a href='https://pace.coe.int/fr/news/7832/covid-19-rapporteur-denounces-discrimination-against-roma-and-travellers'>Covid-19:
un rapporteur dénonce la discrimination à l’encontre des Roms et
des Gens du voyage</a>», déclaration de M. Frantisek Kopriva (République tchèque,
ADLE), rapporteur sur la discrimination à l’encontre des Roms et
des Gens du voyage dans le domaine du logement, 27 mars 2020. Les représentant·e·s politiques s’abstiennent souvent de condamner ces propos motivés par la haine, voire y contribuent activement 
			(27) 
			Intervention de Mme Marie
Hagsgård, op.cit.; Rapport
d’activité du Comité consultatif, 2020..
34. Comme le Comité consultatif l’a souligné, bien qu’il s’agisse de phénomènes distincts, le nationalisme et le populisme sont tous les deux fondés sur une idéologie d’homogénéisation qui vise à unir et à protéger un «nous» imaginaire contre un «eux» tout aussi imaginaire. On constate dans ce contexte une polarisation croissante des sociétés, selon des lignes ethniques et linguistiques. Le nationalisme extrême et le populisme peuvent également conduire à des politiques d’édification de nations exclusives, selon lesquelles la nation serait mono-ethnique, mono-linguistique, mono-culturelle et mono-religieuse, et aurait une histoire unique. Cette approche est susceptible de violer le principe de la libre identification, y compris du droit à exprimer des affiliations multiples. Plus dangereux encore, elle renforce la perception des minorités comme une menace, puisqu’elles cherchent à exprimer des identités différentes. Elle a également un impact négatif sur les politiques linguistiques, comme décrit ci-après 
			(28) 
			Rapport d’activité
du Comité consultatif, 2018..

4.4. Tensions croissantes autour de l’utilisation des langues minoritaires et de l’enseignement de et dans ces langues

35. Comme l’a souligné la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, la langue constitue souvent une pierre angulaire de la propre identité. Elle sert non seulement de moyen de communication mais a aussi une forte valeur symbolique. Empêcher les individus d’apprendre et de s’exprimer dans leur langue est susceptible à la fois de violer leurs droits individuels et d’avoir un impact négatif sur des communautés dans leur ensemble. En raison précisément de cette valeur symbolique, les questions linguistiques peuvent faire l’objet de tensions importantes, voire malheureusement être instrumentalisées, ce qui exacerbe les tensions et la polarisation au sein des sociétés. Or, les politiques linguistiques peuvent et doivent être conçues de manière à tenir compte de la diversité, protéger les droits des minorités et apaiser les tensions 
			(29) 
			Commissaire aux droits
de l’homme, «<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/language-policies-should-accomodate-diversity-protect-minority-rights-and-defuse-tensions'>Les
politiques linguistiques devraient tenir compte de la diversité,
protéger les droits des minorités et apaiser les tensions</a>», Human Rights Comment, 29 octobre 2018..
36. Les initiatives visant à promouvoir la langue de l’État – qui ont la plupart du temps pour but légitime de favoriser l’intégration et la cohésion de la société – peuvent parfois sortir du cadre de la proportionnalité. L’exigence d’un niveau de compétences linguistiques élevé dans la langue de l’État pour pouvoir accéder à certaines professions ou à un emploi dans la fonction publique, des réductions pratiquées dans l’offre d’enseignement de et dans les langues minoritaires, la restriction de la possibilité de passer des examens scolaires dans ces langues, l’interdiction de l’affichage public dans les langues minoritaires et la restriction quant aux langues dans lesquelles peuvent être distribués des tracts électoraux sont autant de sujets ayant donné lieu à des préoccupations au cours des dernières années. De telles questions ont souvent été examinées par le Comité consultatif dans ses travaux de suivi mais aussi par la Commission de Venise 
			(30) 
			Rapports d’activité
du Comité consultatif, 2018, 2016 et 2014; avis de la Commission
de Venise (Ukraine / Lettonie).. Récemment, la pandémie de covid-19 a mis en lumière l’importance que peut revêtir l’utilisation des langues minoritaires dans le contexte médical ainsi que dans des institutions de protection sociale 
			(31) 
			«Mesures prises en
réaction à la pandémie de covid-19: l’utilisation des langues minoritaires
pendant la pandémie», <a href='https://www.coe.int/fr/web/european-charter-regional-or-minority-languages/news/-/asset_publisher/t9sWxmY5eZkv/content/comex-expresses-concern-over-lack-of-rml-communication-during-health-crisis?inheritRedirect=false&redirect=https%3A%2F%2Fwww.coe.int%2Fen%2Fweb%2Feuropean-charter-regional-or-minority-languages%2Fnews%3Fp_p_id%3D101_INSTANCE_t9sWxmY5eZkv%26p_p_lifecycle%3D0%26p_p_state%3Dnormal%26p_p_mode%3Dview%26p_p_col_id%3Dcolumn-4%26p_p_col_count%3D1'>entretien
vidéo</a> avec la présidente du Comité d’experts de la charte
des langues, avril 2020. Les questions relatives aux langues minoritaires sont analysées plus en détail ci-dessous, dans l’annexe à ce rapport, qui présente les principaux enseignements à tirer de la situation en Ukraine, en Lettonie et au pays de Galles.

4.5. L’évolution du paysage médiatique

37. L’insuffisance de la production médiatique dans les langues minoritaires dans les États où vivent les minorités constitue une thématique récurrente dans le suivi de la mise en œuvre de la Convention-cadre 
			(32) 
			Voir par exemple Comité
consultatif, Quatrième avis sur l’Allemagne, <a href='http://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=0900001680473d77'>ACFC/OP/IV(2015)003</a>, paragraphes 78-84.. Les minorités peuvent également être touchées par l’imposition de restrictions à la liberté d’expression 
			(33) 
			Voir
par exemple Comité consultatif, Quatrième avis sur l’Azerbaïdjan, <a href='https://rm.coe.int/4th-acfc-opinion-on-azerbaijan-french-language-version/1680923205'>ACFC/OP/IV(2017)006</a>, paragraphes 50-52.. Face à ces facteurs, des personnes appartenant aux minorités nationales peuvent chercher des sources alternatives d’informations. Cela finit par créer un paysage médiatique divisé et des réalités médiatiques parallèles, entravant les efforts visant à créer des sociétés intégrées 
			(34) 
			Rapport d’activité
du Comité consultatif, 2018; Quatrième avis sur la Bosnie-Herzégovine, <a href='https://rm.coe.int/4th-op-bih-fr/16808e2c54'>ACFC/OP/IV(2017)007</a>, paragraphe 86.. Dans le même temps, comme me l’ont indiqué mes interlocutrices et interlocuteurs du pays de Galles lors de nos réunions (voir annexe), la transformation vers des médias numériques peut rendre plus abordables les coûts de production de contenus plus diversifiés, et rendre ceux-ci plus accessibles. Cela permet de répondre plus facilement aux besoins différents des personnes appartenant à des minorités nationales, y compris les jeunes et les personnes habitant en milieu urbain ou rural. Cependant, de nouveaux obstacles peuvent se poser pour les personnes âgées ainsi que pour celles habitant dans des régions particulièrement isolées, s’agissant de l’accès aux médias numériques; il faut donc surmonter ces obstacles.
38. Le développement des médias sociaux – qui facilitent la communication et les contacts, souvent au bénéfice des personnes appartenant à des minorités nationales – ouvre en parallèle de nouveaux espaces au propos haineux, et crée de nouveaux défis pour la protection des droits des minorités 
			(35) 
			Intervention
de Mme Petra Roter, ancienne présidente
du Comité consultatif de la Convention-cadre, 4 décembre 2019..

4.6. Le rétrécissement du champ d’action de la société civile

39. Certains signes donnent à penser que le rétrécissement du champ d’action de la société civile dans certaines parties de l’Europe entrave la capacité des personnes appartenant à des minorités nationales à maintenir leurs organisations non-gouvernementales et à en enregistrer de nouvelles 
			(36) 
			Rapport d’activité
du Comité consultatif, 2020.. Ces difficultés sont exacerbées par la re-sécuritisation des questions relatives aux minorités nationales et la tendance à représenter celles-ci comme une menace pour la société. Cet effet est particulièrement visible dès lors que les ONG bénéficiant d’un soutien financier de l’étranger sont caractérisées, selon une législation restrictive, comme «agents étrangers» 
			(37) 
			Comité
consultatif, Quatrième avis sur la Fédération de Russie, <a href='https://rm.coe.int/4th-advisory-committee-opinion-on-the-russian-federation-french-langua/1680908983'>ACFC/OP/IV(2018)001</a>, paragraphes 76-80, 83.. Cela crée des obstacles supplémentaires pour ces associations, alors qu’elles se trouvent souvent déjà en difficulté car elles dépendent de financements précaires et à court terme, pour mener à bien leurs activités 
			(38) 
			Rapport d’activité
du Comité consultatif, 2018; intervention de Mme Marie
Hagsgård, op. cit..

4.7. La diversité au sein des minorités

40. Il existe bien trop souvent une présomption selon laquelle les minorités nationales (comme de nombreuses autres minorités) seraient monolithiques. Devoir tenir compte que la diversité qui existe au sein des minorités, notamment en ce qui concerne le genre, l’âge, la situation socio-économique ou le fossé urbain-rural, peut en effet rendre plus complexe pour les autorités le fait de communiquer avec elles, de prendre en compte leurs besoins et de lever les obstacles qui les empêchent d’exercer leurs droits 
			(39) 
			Voir par exemple Comité
consultatif, Quatrième avis sur l’Arménie, <a href='https://rm.coe.int/16806f7f70'>ACFC/OP/IV(2016)006</a>, paragraphes 51-54; Quatrième avis sur la Pologne, <a href='https://rm.coe.int/4th-op-poland-en/1680993391'>ACFC/OP/IV(2019)003</a>, paragraphe 168.. Il est parfois nécessaire, pour garantir l’accès aux droits des minorités, de répondre également aux besoins en termes d’infrastructure, comme l’accès à l’internet à haut débit. Pour les Roms, en particulier lorsqu’ils vivent dans des quartiers ségrégués, la jouissance des droits des minorités peut dépendre de l’amélioration de l’accès à des besoins plus fondamentaux tels que les routes, le logement ou les écoles. En même temps, il serait aussi erroné de supposer que tous les Roms vivent dans la pauvreté; de telles présomptions sont par ailleurs susceptibles de nourrir les stéréotypes antitsiganistes 
			(40) 
			Rapport d’activité
du Comité consultatif, 2018; Quatrième avis sur la Roumanie, ACFC/OP/IV(2017)005, recommandations
pour action immédiate; Troisième avis sur la Bulgarie, ACFC/OP/III(2014)001,
paragraphe 50..

4.8. La nécessité d’un dialogue continu et d’une adaptation constante à des sociétés en changement permanent

41. Comme le Comité consultatif l’a souligné, «la transparence et le dialogue sont des principes centraux de la Convention-cadre, étant donné que la communication crée des vecteurs permettant d’établir la compréhension, le respect mutuel et la confiance, sans lesquels la diversité devient une source de friction au lieu d’une raison de se réjouir» 
			(41) 
			Rapport d’activité
du Comité consultatif, 2014.. Il est crucial de mettre en place des mécanismes de consultation permanents, efficaces et suffisamment représentatifs, dans lesquels les minorités peuvent participer de manière satisfaisante et en lesquels elles ont confiance, afin de garantir que les questions touchant les personnes appartenant à des minorités nationales seront abordées selon une approche qui permet de tenir compte de toute la variété et la complexité des situations concernées. L’absence de tels mécanismes est toutefois une thématique récurrente dans les travaux de suivi du Comité consultatif 
			(42) 
			Intervention de Mme Marie
Hagsgård, op. cit.; Rapport
d’activité du Comité consultatif, 2020..
42. Il est également essentiel de reconnaître que les besoins des minorités peuvent évoluer au fil du temps, en raison de changements démographiques, de migrations depuis des zones rurales vers les villes, d’une diversité accrue au sein des familles (les mariages dits «mixtes») ainsi que d’une plus grande diversité au sein de la société, du fait de flux migratoires internationaux. La mise en place de collectes de données efficaces, permettant la libre identification, y compris l’expression d’appartenances ethniques, linguistiques et/ou religieuses multiples, est indispensable afin de permettre d’analyser et de répondre de manière satisfaisante à l’évolution des besoins 
			(43) 
			Rapport
d’activité du Comité consultatif, 2018..
43. Enfin, les sociétés elles-mêmes évoluent rapidement, d’une part en fonction de flux migratoires intra- et internationaux et d’autre part en raison de différents facteurs tels que l’augmentation de la numérisation. Celle-ci peut offrir de nouvelles possibilités de communication et d’éducation dans les langues minoritaires, mais peut aussi exclure certaines personnes appartenant à des minorités nationales, comme les personnes âgées ou celles qui vivent dans des zones reculées et qui ne disposent pas des infrastructures nécessaires. Ces dynamiques ont forcément un impact sur les droits humains, y compris les droits des personnes appartenant à des minorités nationales. Par conséquent, la mise en œuvre de la Convention-cadre ne constitue pas une tâche ponctuelle, mais un processus continu nécessitant une adaptation constante – pour être en mesure de garantir une protection réelle et adéquate aux personnes appartenant aux minorités nationales, la Convention-cadre doit être considérée, tout comme la Convention européenne des droits de l’homme, comme un instrument vivant. Comme l’a souligné le Comité consultatif, il s’agit de veiller autant que possible à ce que les principes de la convention soient respectés et ses objectifs atteints, non seulement à court terme mais aussi à long terme, et ce indépendamment des changements de gouvernements et de leurs priorités politiques 
			(44) 
			Rapport d’activité
du Comité consultatif, 2018 et 2014..

4.9. Construire des sociétés inclusives et démocratiques

44. Le défi qui se pose aux autorités, vis-à-vis d’une population hétérogène, est double: il s’agit de bâtir des sociétés dans lesquelles les minorités ne sont pas simplement tolérées, mais respectées, perçues comme des composantes égales et à part entière de la société. Cette question a été examinée en détail par le Comité consultatif dans le Commentaire thématique no 4 sur la Convention-cadre 
			(45) 
			Comité consultatif,
Commentaire thématique no 4 (2016), op.cit. Voir également Haut-Commissaire
de l’OSCE pour les minorités nationales, Lignes directrices de Ljubljana
sur l’intégration dans les sociétés marquées par la diversité, La Haye,
novembre 2012.. Il s’agit de parvenir à l’égalité pleine et réelle (et non seulement formelle) des personnes appartenant à des minorités nationales 
			(46) 
			Intervention
de Mme Petra Roter, op. cit.. Pour ce faire, il faut une approche intégrée des droits des minorités à travers l’ensemble des domaines d’action des autorités, et l’impact des politiques gouvernementales dans ces domaines sur les dimensions individuelles et collectives des droits des minorités doit être évalué – une question que j’ai évoquée en particulier lors de mes réunions avec des interlocutrices et interlocuteurs du pays de Galles (voir ci-après).
45. Il est également capital d’assurer le respect mutuel et l’autonomisation grâce à la participation active de tous les membres de la société dans la vie politique, sociale et culturelle. Ces points ont fait l’objet d’un examen approfondi par le Comité consultatif dans son Commentaire thématique no 2, qui étudie et développe la thèse centrale selon laquelle «la participation effective des personnes appartenant à des minorités nationales à […] la vie publique est primordiale pour garantir la cohésion sociale et le développement d’une société véritablement démocratique» et considère le degré de participation des personnes appartenant à des minorités nationales à la vie publique comme un indicateur déterminant du niveau de pluralisme et de démocratie d’une société 
			(47) 
			Comité consultatif,
Commentaire thématique no 2 sur «La participation
effective des personnes appartenant à des minorités nationales à
la vie culturelle, sociale et économique, ainsi qu’aux affaires
publiques», <a href='https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=09000016800bc7e9'>ACFC/31DOC(2008)001</a>, paragraphes 1 et 8..
46. Les autorités doivent aussi communiquer clairement et sans cesse sur le fait que tous les membres de la société gagneront à ce que celle-ci soit intégrée et non divisée. Il doit être bien établi que l’objectif n’est pas d’assimiler chacun·e à un ensemble homogène mais de garantir l’inclusion et la non-discrimination de tous les individus, dans tous les domaines de la vie.
47. Autrement dit, ce qui définit une société intégrée n’est pas l’homogénéité de ses citoyen·ne·s mais leur sentiment d’appartenance commune. Cela constitue la meilleure garantie de la paix, de la stabilité et de la sécurité démocratique nécessaires à l’épanouissement de chacun·e, que l’on soit membre d’une minorité ou de la majorité.

5. Enjeux actuels relatifs au suivi de la mise en œuvre des droits des minorités au titre de la Convention-cadre

48. Dans les précédents chapitres, j’ai souligné les principaux défis auxquels font face tant les États que les personnes appartenant aux minorités nationales s’agissant de garantir le plein respect des droits des minorités en Europe aujourd’hui, tels qu’énoncés notamment par la Convention-cadre. Au-delà de ces questions matérielles, toutefois, le système de suivi de cette convention a également été mis à rude épreuve.
49. Premièrement, il semble que l’adhésion des États à l’architecture multilatérale des droits humains conçue après la Seconde Guerre mondiale faiblisse. Par ailleurs, il n’est que trop facile pour les États d’ignorer leurs obligations en vertu des instruments des Nations Unies et du Conseil de l’Europe relatifs aux droits des minorités lorsqu’ils ne sont soumis à un contrôle qu’une fois tous les cinq ans 
			(48) 
			Intervention
de M. Fernand de Varennes, op. cit..
50. En second lieu, plusieurs facteurs, comme les préoccupations croissantes relatives à la sécurité dans de nombreux États, ont conduit à une détérioration générale de la coopération bilatérale et multilatérale. Ces facteurs ont sapé non seulement la mise en œuvre de la Convention-cadre au sein des États membres comme relevé plus haut, mais ont aussi mené, selon le Comité consultatif, au «renforcement de la bilatéralisation ad hoc des questions relatives aux minorités» 
			(49) 
			Rapport
d’activité du Comité consultatif, 2018.. Si des contacts transfrontaliers libres et pacifiques peuvent dans de nombreux cas jouer un rôle positif dans la préservation des droits des personnes appartenant aux minorités nationales 
			(50) 
			Rapport d’activité
du Comité consultatif, 2014., le système de suivi créé par la Convention-cadre trouve sa force dans sa nature multilatérale, et non bilatérale. En vertu de ce mécanisme, les États doivent rendre des comptes au niveau collectif, et sont supposés s’appuyer sur le contrôle collectif et non bilatéral de la mise en œuvre de la Convention-cadre. L’allongement des délais entre l’adoption par le Comité consultatif de ses avis et l’obtention d’un consensus au niveau du Comité des Ministres sur les résolutions qui viennent clore le cycle de suivi reflète malheureusement cette tendance à re-bilatéraliser les questions relatives aux minorités.
51. Face à cette dynamique, le Comité consultatif a lui-même accordé une attention croissante ces dernières années au maintien d’un dialogue permanent avec les États parties, en instaurant une nouvelle procédure de dialogue confidentiel avec les autorités avant l’adoption définitive de ses avis 
			(51) 
			Résolution <a href='https://search.coe.int/cm/pages/result_details.aspx?ObjectId=09000016809940d6'>CM/Res(2019)49</a> relative au mécanisme révisé de suivi prévu aux articles 24
à 26 de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales,
adopté par le Comité des Ministres le 11 décembre 2019. et en menant ses activités de suivi, qui font intervenir dans la mesure du possible des représentant·e·s des autorités et des minorités 
			(52) 
			Intervention de Mme Marie
Hagsgård, op. cit.; Rapport
d’activité du Comité consultatif, 2020.. Les nouvelles technologies peuvent aussi nous fournir de nouveaux moyens permettant de rester informés de la situation des minorités nationales au sein des États membres et de répondre aux problèmes dès qu’ils se posent. On ne devrait pas hésiter à mobiliser ces technologies pour renforcer la protection des droits des personnes appartenant aux minorités nationales.

6. Conclusions

52. Aujourd’hui en Europe, nos sociétés sont dynamiques et en constante évolution – comme cela a été le cas tout au long de l’histoire. L’heure est venue de redéfinir la notion traditionnelle de minorité nationale et de revoir notre conception de la non-discrimination. Au XXIe siècle, l’égalité et la dignité humaine, le respect et la reconnaissance doivent occuper une place centrale dans la protection des droits des personnes appartenant à des minorités nationales.
53. Compte tenu des multiples défis qui se posent aujourd’hui dans la mise en œuvre des droits des minorités, il est capital d’adopter une approche intégrée de ces droits pour permettre à cette protection de perdurer. C’est précisément le type de question qui ne peut être abordée que sur le plan des droits humains transversaux, en particulier du droit à l’égalité et du droit à ne pas subir de discriminations.
54. Il est également crucial de reconnaître que les communautés de minorités en Europe sont en évolution constante. L’adaptation à la diversité dans la société nécessite des efforts de chaque instant de la part des autorités, de la majorité et des minorités. Il n’est possible de construire des sociétés inclusives et démocratiques, et de leur permettre de prospérer, que si l’ensemble de leurs membres sont en mesure d’y participer de façon significative, en ayant la possibilité de s’impliquer activement dans la vie culturelle, sociale et économique, ainsi que dans les affaires publiques, et d’influer sur les décisions qui les concernent.
55. La Convention-cadre pour la protection des minorités nationales est un instrument vivant et conçu pour accompagner et soutenir les processus simultanés de transformation qui touchent à la fois les sociétés et les minorités. La Convention-cadre ne pourra toutefois donner sa pleine mesure en tant qu’instrument vivant sans l’engagement institutionnel du Conseil de l’Europe et la volonté politique de ses États membres.
56. Dans le même temps, la Convention-cadre sert de référence indirecte à la Commission européenne lorsqu’elle évalue le respect des droits des minorités par les États candidats et les candidats potentiels. C’est pourquoi je considère qu’il importe de renforcer la coordination à travers l’ensemble des institutions européennes afin de créer des synergies entre programmes et initiatives. L’intensification de la coopération entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe dans le domaine des droits des minorités permettrait par ailleurs de mettre en exergue la manière dont le respect des droits humains est lié à la bonne application de l’État de droit et au fonctionnement des institutions démocratiques.
57. En outre, pour protéger les droits des minorités de manière efficace en Europe aujourd’hui, il nous incombe de trouver des moyens innovants qui permettent de veiller à ce que les normes consacrées par la Convention-cadre soient intégrées dans le droit interne des pays et mises en œuvre dans la pratique.
58. Plusieurs mesures devraient également être prises afin de renforcer l’impact concret de la Convention-cadre et de veiller à la mise en œuvre rapide des recommandations adressées aux États parties dans le cadre de son mécanisme de suivi. Ainsi, sur la base des réformes déjà adoptées pour rationaliser les procédures d’établissement de rapports et de suivi, les États parties doivent redoubler d’efforts dans la mise en œuvre des recommandations des organes de suivi. Ces mesures pourraient être associées à la mise au point d’indicateurs permettant de mesurer et d’évaluer les résultats obtenus, notamment en ce qui concerne l’intégration des minorités dans la société.
59. Outre les visites d’information, les rencontres bilatérales et les recherches documentaires qui font déjà partie intégrante du processus de suivi, une coopération plus multidimensionnelle avec la société civile pourrait être développée grâce à la création d’une plateforme publique (en ligne), à l’image de la Plateforme pour la protection du journalisme et la sécurité des journalistes déjà mise en place par le Conseil de l’Europe. Cela permettrait de recueillir davantage de données et d’identifier plus rapidement les questions gravement préoccupantes relatives aux droits des personnes appartenant à des minorités nationales. Les technologies modernes pourraient ainsi être utilisées pour entretenir un dialogue permanent sur les questions relatives aux minorités.
60. De nouvelles stratégies d’information et de communication autour de la Convention-cadre et des conclusions du Comité consultatif pourraient également être développées, en exploitant pleinement la disponibilité croissante des nouvelles technologies afin de diffuser au grand public les conclusions principales. Celles-ci devraient en outre être traduites et diffusées par les États parties dans la langue de l’État et dans les langues des minorités nationales. Lorsque ce n’est pas déjà le cas, ces stratégies pourraient aussi couvrir les droits humains et les traités internationaux plus largement.
61. Enfin, les huit États qui n’ont pas encore ratifié la Convention-cadre devraient la ratifier, conformément aux recommandations formulées à plusieurs reprises par l’Assemblée, et tous les États membres qui n’ont pas encore ratifié le Protocole no 12 à la Convention européenne des droits de l’homme, qui prévoit l’interdiction générale de la discrimination, devraient le ratifier sans délai.

Annexe – Études de cas spécifiques examinées dans le cadre du présent rapport

(open)
1. Au cours de mes travaux aux fins de l’établissement du présent rapport, j’ai eu l’occasion d’examiner de manière approfondie trois situations spécifiques présentant un intérêt particulier dans le domaine concerné. Il s’agissait dans chacun des cas d’examiner les droits linguistiques – une question étroitement liée aux identités des minorités, comme cela a été relevé par le Comité consultatif dans son troisième commentaire thématique sur la Convention-cadre, et un domaine qui a fait l’objet de tensions croissantes dans un certain nombre d’États au cours des dernières années. À la demande de notre commission, la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) a rédigé un avis sur les modifications récentes de la législation concernant l’enseignement dans les langues minoritaires en Lettonie 
			(53) 
			Commission de Venise, <a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2020)012-f'>Lettonie:
avis sur les modifications récentes de la législation concernant
l’enseignement dans les langues minoritaires</a>, adopté le 18 juin 2020 par procédure écrite en remplacement
de la 123e session plénière, CDL-AD(2020)012.. Par ailleurs, la commission m’a autorisée à mener des visites d’information en Ukraine et au Pays de Galles (Royaume-Uni). En raison de la pandémie, il a malheureusement été impossible d’effectuer les visites à proprement parler. J’ai cependant pu tenir une série de réunions à distance avec des représentant·e·s des minorités nationales et des autorités en Ukraine et, en ce qui concerne le Pays de Galles, avec des représentant·e·s des galloisants, des autorités galloises et du Parlement britannique 
			(54) 
			Les programmes de ces
visites figurent, respectivement dans les documents AS/Ega/Inf(2020)25
et AS/Ega/Inf(2020)26..
2. Comme je l’ai clairement fait savoir à l’ensemble de mes interlocutrices et interlocuteurs rencontré·e·s lors de nos réunions à distance avec l’Ukraine et le Pays de Galles, mon objectif dans chaque cas n’était pas de me substituer aux travaux de suivi déjà entrepris au titre des traités du Conseil de l’Europe, mais d’examiner les enseignements plus généraux qui peuvent être tirés, pour la protection des minorités en Europe, des différentes expériences vécues dans chacun de ces pays. Je tiens à remercier tou·te·s mes interlocutrices et interlocuteurs pour les discussions franches, ouvertes et très approfondies que nous avons pu avoir, ainsi que pour leur volonté de porter un regard critique sur les systèmes, structures et dynamiques en place dans leur contexte respectif. Bien que la protection effective des droits des minorités reste confrontée à de nombreux défis et que de nouvelles difficultés se feront évidemment jour à mesure de l’évolution de nos sociétés, ces échanges m’ont confortée dans l’idée que le dialogue est la pièce maîtresse de ce puzzle et ont ravivé mon espoir de voir des progrès se réaliser dès lors que toutes les parties en présence participent au dialogue de bonne foi.
3. Comme il n’est pas envisageable, dans le cadre du présent rapport, d’entrer dans les moindres détails ou de formuler des recommandations adaptées à chaque situation spécifique, je me suis contentée de résumer brièvement ci-après le contexte et les principaux points soulevés dans chacun des cas, afin de tirer les enseignements de ces expériences, au profit de la protection des droits des minorités en Europe sur un plan plus général.

Ukraine

1. D’après le dernier recensement de la population ukrainienne effectué en 2001, des personnes appartenant à plus de 130 nationalités et groupes ethniques vivent dans le pays. Les personnes s’identifiant comme ukrainiens formaient 77,8 % de la population et les personnes s’identifiant comme russes 17,3 %. Les autres grands groupes ethniques sont les Bélarussiens qui représentent 0,6 % de la population, suivis des Moldaves et des Tatars de Crimée (0,5 %), des Bulgares (0,4 %), des Roumains, des Hongrois et des Polonais (0,3 %), puis des Juifs, des Arméniens, des Grecs et des Tatars (0,2 %). Sur le plan linguistique, alors que de nombreuses personnes appartenant à des minorités nationales déclarent avoir pour langue maternelle celle de leur nationalité, certaines ont pour langue maternelle soit l’ukrainien, soit le russe; 14,8 % des Ukrainiens se déclarent de langue maternelle russe et 3,9 % des Russes indiquent avoir l’ukrainien pour langue maternelle 
			(55) 
			Comité national des
statistiques d’Ukraine, <a href='http://2001.ukrcensus.gov.ua/eng/results/general/nationality/'>http://2001.ukrcensus.gov.ua/eng/results/general/nationality/</a> (composition nationale de la population); <a href='http://2001.ukrcensus.gov.ua/eng/results/general/language/'>http://2001.ukrcensus.gov.ua/eng/results/general/language/</a> (composition linguistique de la population).. Il convient de souligner que ces données datent d’il y a deux décennies; des données plus récentes permettraient de former une vision plus précise de la population actuelle de l’Ukraine, et de ses besoins linguistiques.
2. La situation des minorités ainsi que les questions liées à la politique linguistique en vigueur en Ukraine ont fait l’objet de beaucoup d’attention ces dernières années. Elles ont été examinées dans le cadre du suivi régulier mené au titre de la Convention-cadre et de la Charte des langues 
			(56) 
			Troisième
avis du Comité consultatif adopté le 20 mars 2012 et rendu public
le 28 mars 2013, <a href='https://rm.coe.int/168008c6bf'>ACFC/OP/III(2012)002</a>, ainsi que les commentaires du gouvernement, <a href='https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=090000168008fa42'>GVT/COM/III(2013)001;</a> Résolution <a href='https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectID=09000016805c69ae'>CM/ResCMN(2013)8</a> adoptée par le Comité des Ministres le 18 décembre 2013;
Quatrième avis du Comité consultatif adopté le 10 mars 2017 et rendu
public le 5 mars 2018, <a href='https://rm.coe.int/quatrieme-avis-sur-l-ukraine-adopte-le-10-mars-2017-rendu-public-le-5-/16807930ce'>ACFC/OP/IV(2017)002</a>, ainsi que les commentaires du gouvernement, <a href='https://rm.coe.int/commentaires-du-gouvernement-ukrainien-sur-le-quatrieme-avis-du-comite/16807956ad'>GVT/COM/IV(2018)002;</a> la résolution du Comité des Ministres est toujours en
attente. Rapport du deuxième cycle de suivi, Comité d’experts de
la Charte des langues, adopté le 15 novembre 2012 et publié le 15 janvier 2014, <a href='https://rm.coe.int/16806dc602'>ECRML(2014)3</a>, avec la Recommandation <a href='https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=09000016805c6af5'>CM/RecChL(2014)1</a>du Comité des Ministres; Troisième rapport du Comité
d’experts de la Charte des langues, adopté le 24 mars 2017, <a href='https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=090000168073cdf9'>CM(2017)97;</a> Recommandation du Comité des Ministres adoptée le 12 décembre 2018 <a href='https://search.coe.int/cm/pages/result_details.aspx?ObjectId=0900001680902677'>CM/RecChL(2018)6</a>., ainsi qu’à l’occasion d’une visite ad hoc effectuée dans le pays en mars 2014 par le Comité consultatif 
			(57) 
			Rapport ad hoc du Comité
consultatif adopté le 1 avril 2014, <a href='https://rm.coe.int/16800c5d70'>ACFC(2014)001</a>., mais ont également fait l’objet de quatre avis de la Commission de Venise au cours de la dernière décennie 
			(58) 
			Ukraine:
Avis concernant la loi relative au soutien de la fonction de langue
officielle de l’ukrainien, adopté par la Commission de Venise à
sa 121e session plénière (6-7 décembre 2019), <a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdf=CDL-AD(2019)032-f&lang=fr'>CDL-AD(2019)032</a>; Avis concernant les dispositions de la loi sur l’Éducation
du 5 septembre 2017 portant sur l’usage de la langue d’État et des
langues minoritaires et autres dans l’Éducation, adopté par la Commission
de Venise à sa 113e session plénière (8-9 décembre 2017), <a href='https://venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2017)030-f'>CDL-AD(2017)030;</a> Avis concernant le projet de loi sur les principes de
la politique de la langue d’État de l’Ukraine (en anglais), adopté
par la Commission de Venise à sa 89e session plénière (16-17 décembre 2011), <a href='https://venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2011)047-e'>CDL-AD(2011)047;</a> Avis concernant le projet de loi sur les langues en
Ukraine (en anglais), adopté par la Commission de Venise à sa 86e
session plénière (25-26 mars 2011), <a href='https://venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2011)008-e'>CDL-AD(2011)008</a>.. Une attention particulière a été portée au statut du russe et à la place de l’ukrainien en tant que langue d’État, ainsi qu’à la manière de garantir la poursuite de l’objectif légitime qui est de promouvoir la connaissance de la langue officielle par tous, tout en protégeant pleinement les droits linguistiques des personnes appartenant à des minorités nationales. Je tiens à exprimer ma ferme conviction qu’en plus de la possibilité d’apprendre et de parler leur propre langue, la maîtrise de la langue d’État est essentielle pour permettre aux personnes appartenant à des minorités nationales d’être des membres à part entière de la société dans laquelle elles vivent. Comme l’a souligné le Comité consultatif, les États devraient par conséquent faciliter – et rendre attractif – l’apprentissage, par les personnes appartenant à des minorités nationales, d’une bonne maîtrise de la langue officielle 
			(59) 
			 Voir Comité consultatif,
Commentaire thématique no 3, Les droits
linguistiques des personnes appartenant aux minorités nationales
en vertu de la Convention-cadre, adopté le 24 mai 2012, <a href='https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=09000016800c108e'>ACFC/44DOC(2012)001
rev</a>, Partie VII..
3. Il est essentiel – mais souvent difficile – d’établir un équilibre entre, d’une part, les efforts légitimes visant à promouvoir la langue de l’État, et d’autre part, la nécessité de protéger les droits linguistiques des personnes appartenant à des minorités nationales. En 2011, la Commission de Venise a critiqué les mesures proposées par le gouvernement (de l’époque) permettant l’utilisation du russe au même titre que l’ukrainien, voire à la place de celui-ci. Elle a estimé que ces mesures auraient pour conséquence de réduire la force d’intégration de l’ukrainien et de mettre en danger le rôle qu’il doit jouer en tant que seule langue d’État 
			(60) 
			 Avis concernant le
projet de loi sur les principes de la politique de la langue d’État
de l’Ukraine (en anglais), adopté par la Commission de Venise à
sa 89e session plénière (16-17 décembre 2011), <a href='https://venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2011)047-e'>CDL-AD(2011)047</a>, paragraphe 98.. Par la suite, le Comité consultatif a exprimé des préoccupations au sujet des langues minoritaires, dans son quatrième avis sur l’Ukraine adopté en mars 2017. Il a souligné les défaillances concernant la formation des enseignant·e·s et les matériels pédagogiques accessibles aux élèves suivant un enseignement dans les langues minoritaires. Il a également attiré l’attention sur les difficultés rencontrées pour mettre à disposition des enseignant·e·s qualifié·e·s en ukrainien dans les écoles de langues minoritaires, qui désavantagent les élèves étudiant dans une langue minoritaire pour obtenir un diplôme de l’enseignement secondaire ou accéder à l’enseignement tertiaire 
			(61) 
			Quatrième avis du Comité
consultatif adopté le 10 mars 2017 et rendu public le 5 mars 2018, <a href='https://rm.coe.int/quatrieme-avis-sur-l-ukraine-adopte-le-10-mars-2017-rendu-public-le-5-/16807930ce'>ACFC/OP/IV(2017)002</a>, paragraphes 154-159..
4. En septembre 2017, les autorités ont promulgué une nouvelle loi sur l’éducation, qui a eu des conséquences importantes sur l’accès à l’enseignement dans les langues minoritaires. En raison des calendriers de suivi respectifs du Comité consultatif de la Convention-cadre et du Comité d’experts de la Charte des langues, le texte de la loi telle que finalement adoptée n’a pas encore été examiné par l’un ou l’autre de ces organes. Cependant, l’Assemblée elle-même a conclu que la nouvelle législation réduit considérablement l’accès à un enseignement dans les langues minoritaires, qui (dans les écoles publiques) sera uniquement proposé pendant les quatre premières années du cycle primaire, et qu’elle ne semble pas trouver un équilibre approprié entre la langue officielle et les langues des minorités nationales 
			(62) 
			<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-EN.asp?fileid=24218'>Résolution
2189 (2017)</a> «La nouvelle loi ukrainienne sur l’éducation: une entrave
majeure à l’enseignement des langues maternelles des minorités nationales»,
adoptée le 12 octobre 2017.. La Commission de Venise s’est également demandé si la réduction de l’enseignement dans les langues minoritaires prévue à l’article 7 de la loi, était la seule solution disponible voire la meilleure possible de promouvoir la maîtrise de la langue d’État et s’est interrogée sur le caractère proportionné du traitement différentiel entre, d’un côté, les langues de l’Union européenne, dans lesquelles une ou plusieurs disciplines peuvent encore être enseignées la cinquième année et au-delà, et, de l’autre, celles n’appartenant pas aux langues officielles de l’Union européenne (notamment le russe), qui ne bénéficient pas de cette disposition 
			(63) 
			 Ukraine: Avis concernant
les dispositions de la loi sur l’Éducation du 5 septembre 2017 portant
sur l’usage de la langue d’État et des langues minoritaires et autres
dans l’Éducation, adopté par la Commission de Venise à sa 113e session
plénière (8-9 décembre 2017), <a href='https://venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2017)030-f'>CDL-AD(2017)030;</a> pour plus d’informations sur le contenu de la loi, voir <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?fileid=24125'>Doc. 14415</a>..
5. Aucune modification n’a été apportée à la loi depuis 2017, bien que son entrée en vigueur en ce qui concerne les langues de l’Union européenne ait désormais été repoussée à 2023, afin entre autres de permettre à un plus grand nombre d’enseignant·e·s de bénéficier d’une formation adéquate. Malgré les encouragements du Haut-commissaire de l’OSCE pour les minorités nationales à retarder l’application de la loi à l’égard également des langues non officielles de l’Union européenne 
			(64) 
			 Allocution
de M. Lamberto Zannier, Haut-Commissaire de l’OSCE pour les minorités
nationales, lors de la 1270e réunion
plénière du Conseil permanent de l’OSCE, Vienne, 4 juin 2020, <a href='https://www.osce.org/files/f/documents/1/1/453807.pdf'>HCNM.GAL/3/20/Rev.2 </a>(en anglais)., les restrictions concernant ces langues ont pris effet le 1er septembre 2020. Les nouvelles dispositions continuent de susciter de vives préoccupations parmi les représentant·e·s des différentes minorités nationales; j’ai donc tout naturellement axé principalement mes réunions à distance sur cette question. Les russophones étaient particulièrement inquiets de l’incidence de ces dispositions qui les touchent déjà directement 
			(65) 
			 Lors de notre réunion
à distance, le responsable du Département de l’enseignement scolaire
du ministère de l’Éducation a précisé que le russe est la seule
langue n’appartenant pas aux langues officielles de l’Union européenne
à être concernée par ces dispositions. La langue tatare de Crimée,
qui est enseignée dans une école placée sous le contrôle effectif
des autorités ukrainiennes, bénéficie de dispositions plus favorables
car elle a le statut de langue autochtone. Le bélarusse n’a jamais
été enseigné dans les écoles des minorités en Ukraine. Les élèves
appartenant à la minorité moldave peuvent, s’ils le souhaitent,
bénéficier d’une instruction en roumain, conformément aux dispositions relatives
aux langues de l’Union européenne.. Cela étant, les locutrices et locuteurs de langues de l’Union européenne ont également fait part de leur crainte que les réformes ne finissent par nuire aux compétences linguistiques de leurs enfants, à leur éducation et leur accès aux services publics (dont les soins de santé), ainsi qu’à la préservation de leur langue en tant que langue minoritaire en Ukraine. Cette évolution, conjuguée aux récentes modifications apportées à la loi sur la langue d’État, qui, pour reprendre les termes du Haut-commissaire de l’OSCE «n’offre pas suffisamment de clarté juridique ni de garanties pour la protection des droits linguistiques des minorités» 
			(66) 
			 Allocution
de M. Lamberto Zannier, Haut-Commissaire de l’OSCE pour les minorités
nationales, lors de la 1270e réunion
plénière du Conseil permanent de l’OSCE, Vienne, 4 juin 2020, <a href='https://www.osce.org/files/f/documents/1/1/453807.pdf'>HCNM.GAL/3/20/Rev.2 </a>(en anglais)., et aux répercussions négatives que pourraient avoir les réformes de l’administration territoriale sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales, confortent les inquiétudes de ces dernières quant à la situation actuelle en Ukraine.
6. Je n’entends pas procéder personnellement à une évaluation des différents textes législatifs, dans la mesure où l’Assemblée a déjà pris position sur la loi de 2017 sur l’éducation, et où la Commission de Venise, le Comité consultatif et le Comité d’experts de la Charte des langues ont également émis (ou émettront sans doute) des préoccupations et des recommandations spécifiques concernant les lois relatives à l’éducation et à l’utilisation de l’ukrainien en tant que langue d’État. Je voudrais cependant souligner qu’il faut au minimum accorder aux minorités un temps suffisant pour s’adapter à des modifications ayant pour effet d’accroître le rôle de la langue de l’État. Le conflit en cours avec la Fédération de Russie dans l’est de l’Ukraine et l’occupation illégale de la péninsule de Crimée par la Fédération de Russie depuis début 2014 ont incontestablement rendu extrêmement complexes les relations bilatérales entre cet État et l’Ukraine et ont aggravé les sensibilités déjà très élevées concernant l’utilisation de la langue de l’État (l’ukrainien) et le russe en Ukraine. Cependant, les politiques relatives aux minorités nationales ne doivent en aucun cas être subordonnées aux relations interétatiques 
			(67) 
			 Sur
ce point, voir Comité consultatif, Quatrième avis sur la Pologne, <a href='https://rm.coe.int/4th-op-poland-fr/16809f91c6'>ACFC/OP/IV(2019)003</a>, paragraphe 82.. De plus, comme je l’ai relevé ci-dessus, il est indispensable d’établir un équilibre entre, d’une part, les efforts légitimes visant à promouvoir la langue de l’État, et d’autre part, la nécessité de protéger les droits linguistiques des personnes appartenant à des minorités. Par ailleurs, je tiens à souligner qu’outre leur consternation face au recul des droits acquis des personnes appartenant à des minorités nationales en Ukraine, tou·te·s les représentant·e·s de ces minorités ont fait part de leur sentiment de ne pas avoir été suffisamment consulté·e·s au sujet des changements susmentionnés ou de ne pas avoir été en mesure d’influencer significativement le processus.
7. En mars 2020, l’Ukraine a mis en place l’Office national pour la politique ethnique et la liberté de conscience, un nouvel organe créé dans le cadre de réformes plus vastes des institutions du gouvernement central, et visant à fournir aux décideurs politiques une expertise et des conseils dépolitisés sur les questions relatives aux minorités nationales et aux religions. J’ai grandement apprécié la discussion franche et ouverte tenue avec la responsable de cette instance qui a semblé avoir conscience des défis posés, mais aussi déterminée à adopter une approche inclusive. Elle a souligné que l’effectif de l’Office n’était pas encore au complet mais que le personnel s’employait à nouer des contacts avec les organisations des minorités nationales, aussi bien faîtières que locales. Reconnaissant que l’absence prolongée de cadre législatif complet régissant les droits des personnes appartenant à des minorités nationales aggrave les problèmes liés à la protection de leurs droits en Ukraine 
			(68) 
			Voir,
entre autres, le Troisième avis du Comité consultatif adopté le
20 mars 2012 et rendu public le 28 mars 2013, <a href='https://rm.coe.int/168008c6bf'>ACFC/OP/III(2012)002</a>., elle a fait savoir que la création d’un groupe de travail au sein de la Verkhovna Rada constituait la première étape de ses propres travaux sur cette question. Elle a par ailleurs insisté sur la nécessité d’examiner soigneusement les différents modèles déjà en place dans d’autres pays et leur applicabilité potentielle au contexte ukrainien, ajoutant qu’il serait essentiel de mener des consultations approfondies avec des défenseurs des droits et des experts.
8. Au-delà de leurs préoccupations spécifiques concernant l’accès à un enseignement dans les langues minoritaires – restées sans réponse depuis 2017 – l’ensemble des personnes issues des minorités avec lesquelles je me suis entretenue ont souligné le besoin d’un véritable dialogue et de voir leurs préoccupations entendues et prises en compte. Qui plus est, l’incapacité à répondre de manière adéquate à ces inquiétudes au moment où elles ont été exprimées a donné lieu à de vives protestations de la part de pays voisins concernant l’accès à un enseignement dans les langues minoritaires et a suscité des débats au sein de l’Assemblée elle-même. Dans ce sens, les tensions liées à cet accès en Ukraine mettent en avant l’importance d’instaurer une confiance mutuelle par un dialogue continu et de faire en sorte que les minorités puissent participer efficacement aux processus décisionnels. Elles soulignent également le risque que ces questions fassent l’objet d’une bilatéralisation ad hoc si elles ne sont pas résolues rapidement 
			(69) 
			Pour un énoncé exhaustif
des principes dans ce domaine, voir Haut-Commissaire de l’OSCE pour
les minorités nationales, <a href='https://www.osce.org/hcnm/bolzano-bozen-recommendations'>Recommandations
de Bolzano/Bozen sur les minorités nationales dans les relations
interétatiques</a>, La Haye juin 2008..

Lettonie

1. Certains aspects de la situation des minorités nationales en Lettonie présentent des similitudes avec celle de l’Ukraine. Une majorité de la population, à savoir 62,1 % se déclarent Lettons, 26,9 % Russes, 3,3 % Biélorusses, 2,2 % Ukrainiens et la même proportion Polonais, et 1,2 % se disent Lituaniens, à quoi s’ajoute près d’une centaine d’autres groupes (plus petits) répertoriés lors du dernier recensement. Le letton, la langue d’État, est la langue maternelle de 60,8 % de la population, suivi du russe (36 %) et d’autres langues (3,2 %) 
			(70) 
			 Bureau central des
statistiques de Lettonie, <a href='https://www.csb.gov.lv/en/statistics/statistics-by-theme/population/characteristics/key-indicator/indicators-characterising-languages-used'>Indicators
characterising languages used by the population of Latvia</a> [Indicateurs caractérisant les langues utilisées par
la population de Lettonie], Mother tongue of population of Latvia, [Langue
maternelle de la population de Lettonie], 2017.. D’après certaines données, les élèves suivant des programmes d’enseignement destinés aux minorités ont un niveau de maîtrise de la langue d’État inférieur à ceux bénéficiant d’un enseignement en letton 
			(71) 
			 CDL-AD(2020)012, op. cit., paragraphes 22 à 26.. Les modifications récemment apportées à la loi en vue d’améliorer la connaissance de la langue d’État, ont limité l’accès à l’enseignement dans les langues minoritaires et accru la part de l’instruction devant être dispensée en letton. Par ailleurs, l’enseignement dans des langues qui ne sont pas des langues officielles de l’Union européenne est soumis à davantage de restrictions que celui dans les langues de l’Union européenne, tant dans les établissements privés que publics.
2. Au vu de cette situation, et dans le cadre de mes travaux sur le présent rapport, la commission a décidé, lors de sa réunion du 4 décembre 2019, de solliciter l’avis de la Commission de Venise sur les modifications récentes de la législation concernant l’enseignement dans les langues minoritaires en Lettonie. Je tiens à remercier la Commission de Venise d’avoir donné suite à cette demande de manière rapide et approfondie.
3. En juin 2018, la Lettonie proposait des programmes d’enseignement pour les minorités dans sept langues: le russe, le polonais, l’hébreu, l’ukrainien, l’estonien, le lituanien et le biélorusse. Une série de modifications, affectant tous les niveaux de l’enseignement depuis le préscolaire jusqu’à l’enseignement supérieur, ont été introduites dans la législation et la réglementation lettones entre mars et novembre 2018. Elles devaient entrer en vigueur progressivement sur une période de trois années scolaires à compter de septembre 2019. Les amendements ont été présentés en détail dans l’avis de la Commission de Venise 
			(72) 
			 Ibid., paragraphes 36 à 58.. La Cour constitutionnelle de Lettonie a estimé que certains amendements relatifs à l’enseignement supérieur dans les établissements privés étaient incompatibles avec la constitution et les a annulés avec effet en mai 2021. Une question préliminaire concernant un autre volet de l’affaire a été renvoyée devant la Cour européenne de justice 
			(73) 
			 Arrêt rendu dans l’affaire
no 2019-20-01, <a href='https://www.satv.tiesa.gov.lv/en/press-release/norms-that-provide-that-the-language-of-instruction-in-study-programmes-of-private-institutions-of-higher-education-is-the-official-language-are-incompatible-with-article-112-and-article-113-of-the-s/'>résumé</a> en anglais, <a href='https://www.satv.tiesa.gov.lv/web/viewer.html?file=/wp-content/uploads/2019/07/2019-12-01_Spriedums.pdf'>texte
intégral</a> en letton, et <a href='https://www.satv.tiesa.gov.lv/en/press-release/the-constitutional-court-turns-to-the-court-of-justice-of-the-european-union-concerning-the-freedom-of-establishment-of-private-institutions-of-higher-education-and-suspends-legal-proceedings-in-a-cas/'>décision</a> du 17 juillet 2020, disponibles sur le site internet
de la Cour.. Le 19 juin 2020, au lendemain de l’adoption par la Commission de Venise de son avis, la Cour constitutionnelle a jugé les amendements relatifs à l’enseignement préscolaire des enfants de 5 à 7 ans conformes à la Constitution lettone 
			(74) 
			 Arrêt rendu dans l’affaire
no 2019-20-03, <a href='https://www.satv.tiesa.gov.lv/en/press-release/the-norms-that-determine-the-language-of-instruction-in-pre-school-institutions-comply-with-the-satversme/'>résumé</a> en anglais et <a href='https://www.satv.tiesa.gov.lv/wp-content/uploads/2019/09/2019-20-03_Spriedums-1.pdf'>texte
intégral</a> en letton, disponibles sur le site internet de la Cour..
4. La situation résultant des changements apportés en 2018 peut être brièvement résumée comme suit. Au niveau préscolaire, une approche bilingue est (reste) applicable dès l’âge de 18 mois, mais de 5 (âge où l’enseignement préscolaire devient obligatoire) à 7 ans, il est désormais exigé que le letton soit la principale langue de communication dans les leçons basées sur le jeu. Au niveau du primaire, la part de l’enseignement pouvant être dispensé dans une langue minoritaire ne peut dépasser 50 % de la 1ère à la 6ème année, et 20 % de la 7ème à la 9ème année (auparavant, cette proportion maximale était de 40 %). L’enseignement intégral en letton est obligatoire de la 10ème à la 12ème année, à l’exception des cours de langue et de littérature des minorités, qui peuvent être assurés dans la langue minoritaire (auparavant, jusqu’à 40 % de l’enseignement de la 10ème à la 12ème année pouvait être dispensé dans la langue minoritaire). Une langue minoritaire peut également être enseignée en tant que langue étrangère (par le biais du letton); cependant, depuis novembre 2018, la première langue étrangère ne peut être qu’une langue officielle de l’Union européenne; les langues qui n’appartiennent pas aux langues officielles de l’Union européenne peuvent être enseignées uniquement comme deuxième langue étrangère 
			(75) 
			 Voir en particulier
les paragraphes 41, 51-57 et 94 de l’Avis de la Commission de Venise..
5. Comme susmentionné pour l’Ukraine, il ne fait aucun doute que la promotion de la maîtrise de la langue d’État par les personnes appartenant à des minorités nationales est compatible avec les exigences de la Convention-cadre. Cependant, un équilibre doit systématiquement être assuré entre les langues majoritaires et minoritaires dans l’éducation, et les mesures prises pour encourager la connaissance de la langue officielle doivent aller de pair avec cet objectif et être proportionnées 
			(76) 
			 <a href='https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=09000016800c108e'>ACFC/44DOC(2012)001
rev,</a>op. cit., parties
VI et VII.. Après avoir examiné la situation décrite ci-dessus, la Commission de Venise a soulevé plusieurs points très préoccupants. Elle relève, entre autres, que les nouvelles règles concernant l’enseignement préscolaire ne permettraient pas aux élèves appartenant à des minorités de préserver et de développer leur langue maternelle – préoccupation partagée par trois rapporteurs spéciaux des Nations Unies 
			(77) 
			 <a href='https://spcommreports.ohchr.org/TMResultsBase/DownLoadPublicCommunicationFile?gId=24863'>Lettre</a> du 24 septembre 2019 de la rapporteure spéciale sur
le droit à l’éducation, du rapporteur spécial sur la promotion et
la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression et
du rapporteur spécial sur les questions relatives aux minorités.. Elle a par ailleurs estimé qu’une obligation légale devrait garantir l’existence d’un nombre suffisant d’écoles proposant un programme d’enseignement pour les minorités de la 1ère à la 9ème année, chaque fois que la demande en ce sens est suffisante; qu’au niveau de l’enseignement secondaire supérieur (de la 10ème à la 12ème année), la loi devrait être appliquée de manière à permettre aux élèves d’atteindre une bonne maîtrise leur permettant de traiter des sujets complexes dans leur langue minoritaire; et que l’accès à l’enseignement supérieur dans les langues minoritaires devrait être élargi. Elle a également souligné la nécessité de garantir la qualité de l’enseignement dispensé aux élèves dans les programmes d’enseignement pour les minorités, à la fois en améliorant la formation des enseignant·e·s en letton et dans les langues minoritaires, et en fournissant des matériels pédagogiques adéquats 
			(78) 
			CDL-AD(2020)012, op. cit., paragraphes 87, 90, 92-95
et 101-102..
6. Outre ces préoccupations, je souhaiterais soulever trois autres points. D’abord, le traitement moins favorable des langues qui n’appartiennent pas aux langues officielles de l’Union européenne peut amener une part importante de la population lettone à se sentir stigmatisée et dévalorisée. Cela va à l’encontre du sens de l’article 6 de la Convention-cadre, qui engage les États à promouvoir l’esprit de tolérance, le respect et la compréhension mutuels entre toutes les personnes vivant sur leur territoire. Deuxièmement, la question de savoir si les autorités ont envisagé des solutions alternatives qui auraient pu s’avérer moins préjudiciables à l’enseignement dans les langues minoritaires, avant d’adopter et de mettre en œuvre les modifications décrites ci-dessus, n’est pas clairement établie. Troisièmement, le fait que les consultations menées avec les représentant·e·s des minorités nationales ne leur aient pas permis d’influer de manière tangible sur les résultats de ce processus peut être source de ressentiment et de méfiance. Il va malheureusement de soi, dans tout processus de consultation, que les points divergents ne peuvent pas toujours être tous pleinement pris en compte. Cela étant, la participation effective des personnes appartenant à des minorités nationales reste cruciale dès lors que des mesures législatives ou autres sont susceptibles d’affecter leurs droits, et il incombe à l’État, en vertu de l’article 15 de la Convention-cadre, de créer les conditions nécessaires à l’établissement d’un tel dialogue.

Pays de Galles

1. Les questions linguistiques ont également été au cœur de mes réunions concernant le Pays de Galles. Le gallois n’est parlé qu’au Pays de Galles. Autrefois langue prédominante dans ce pays, le nombre de ses locutrices et locuteurs a fortement diminué au cours du XXe siècle et, lors du recensement de 1991, seuls 18,5 % des habitant·e·s du Pays de Galles se sont déclaré·e·s galloisant·e·s 
			(79) 
			Jones H.M, <a href='http://www.comisiynyddygymraeg.cymru/English/Publications List/A statistical overview of the Welsh language.pdf'>«A
statistical overview of the Welsh language</a>» [«Un aperçu statistique de la langue galloise»], Bureau
de la langue galloise, 2012, chapitre 4; Gouvernement gallois, <a href='https://gov.wales/sites/default/files/publications/2018-12/cymraeg-2050-welsh-language-strategy.pdf'>Cymraeg
2050: A million Welsh speakers</a>, 2017, p. 20.. Depuis les «lois sur les lois en Pays de Galles» (Laws in Wales Acts) de 1535 jusqu’à la première loi relative à la langue galloise de 1967, qui a accordé à cette dernière une reconnaissance limitée, l’anglais était la seule langue utilisée dans la conduite des affaires publiques et l’administration de la justice au Pays de Galles. En 1993, le gallois s’est vu reconnaître le même statut que l’anglais dans tous les domaines de la vie publique, avant d’obtenir en 2011 celui de langue officielle 
			(80) 
			Loi
de 1993 sur la langue galloise et mesure de 2011 sur la langue galloise.. Les acteurs de la société civile et les responsables politiques soulignent que la pratique de la langue galloise a longtemps été décriée, voire sanctionnée dans les écoles. Le prestige de la langue et l’estime de soi des galloisant·e·s en ont pâti. Ces personnes précisent que le statut du gallois a été une question clivante pendant une grande partie du XXe siècle. Le chemin menant à la situation actuelle, où presque tout le monde est fier de la langue galloise et heureux de l’entendre parler 
			(81) 
			Près de 86 % des personnes
interrogées estimaient pouvoir être fières de la langue galloise,
et 62 % de celles qui ne la parlaient pas ont déclaré qu'elles aimeraient
être en mesure de le faire: <a href='https://gov.wales/welsh-language-confidence-and-attitudes-national-survey-wales-april-2017-march-2018'>«Welsh
language confidence and attitudes» (National survey for Wales)</a>, avril 2017 à mars 2018., a été long, et les progrès réalisés depuis les années 1960 dans la reconnaissance et la protection du gallois sont le fruit de luttes intenses.
2. Dans l’ensemble, l’anglais reste aujourd’hui la langue dominante au Pays de Galles. Cependant, le gallois est employé dans divers lieux en tant que langue communautaire, notamment dans l’ouest et le nord-ouest du pays, et le nombre de ses locutrices et locuteurs a globalement augmenté au cours des dernières décennies. Tou·te·s mes interlocutrices et interlocuteurs, qu’il s’agisse de représentant·e·s du Gouvernement ou du Parlement gallois, de la commission des Affaires galloises du Parlement britannique ou de la société civile, ont salué le fait que l’apprentissage et la pratique du gallois sont désormais activement encouragés et que cette politique officielle ne serve plus de «punching ball» politique. Pour l’heure, seule une poignée de responsables politiques, élus en 2016 au Parlement gallois sur la base d’un programme anti-Union européenne, contestent certains aspects de la politique linguistique du Gouvernement gallois, notamment la publication d’offres d’emploi dans la fonction publique exigeant la connaissance du gallois. L’objectif d’un million de galloisants d’ici 2050, fixé par le Gouvernement gallois, a été jugé ambitieux par tou·te·s celles et ceux qu’il m’a été donné de rencontrer, mais néanmoins légitime et souhaitable, et tou·te·s étaient d’avis que ce consensus pouvait et devait être maintenu.
3. Aujourd’hui, lorsque des divergences naissent à propos du gallois, elles portent principalement sur les moyens d’atteindre l’objectif qui est de promouvoir et faciliter l’utilisation de la langue par tou·te·s, plutôt que sur l’objectif lui-même. Certains défis manifestes restent à relever en matière d’enseignement et d’apprentissage du gallois dans les écoles, sachant que le modèle optimal – qu’il s’agisse d’une scolarité en gallois, bilingue ou en anglais (dans ce dernier cas, le gallois étant enseigné en tant que matière obligatoire) peut varier en fonction de la situation linguistique globale dans une ville ou une région donnée. L’ensemble de mes interlocutrices et interlocuteurs ont cependant regretté que, lorsque le gallois est enseigné comme matière dans les écoles anglophones, de nombreux élèves terminent encore leur scolarité en ayant le sentiment de ne pas être capables de l’utiliser dans la vie quotidienne, malgré leurs onze années d’apprentissage obligatoire de la langue. Cette situation peut engendrer un certain ressentiment, en particulier si les élèves estiment que le fait d’être obligés d’apprendre le gallois les a peut-être empêchés d’étudier une autre langue ou une autre matière qui aurait pu leur offrir des perspectives d’emploi plus intéressantes. Des améliorations majeures de la méthodologie et de l’approche semblent indispensables dans ce domaine et, comme l’a récemment souligné le commissaire à la langue galloise, une augmentation substantielle du nombre d’enseignant·e·s au Pays de Galles capables d’enseigner en gallois s’impose également pour atteindre l’objectif de 2050 
			(82) 
			Iorwerth
H., <a href='http://www.comisiynyddygymraeg.cymru/English/Publications List/The Welsh language and the statutory education workforce in Wales.pdf'>«The
Welsh language and the statutory education workforce in Wales</a>» [«La langue galloise et le personnel éducatif statutaire
au Pays de Galles»], Note d’information, Commissaire à la langue
galloise, août 2020..
4. Il est intéressant de noter que la pandémie de covid-19 semble avoir suscité chez les adultes un regain d’intérêt pour l’apprentissage de la langue galloise. Quelques interlocutrices et interlocuteurs ont émis l’hypothèse que, pour certains employés en congé forcé ou ayant perdu leur emploi en raison de la pandémie, le surcroît de temps libre associé à la prise de conscience des avantages à pouvoir accéder à un emploi plus stable dans la fonction publique pourraient être le moteur de cette dynamique – qui semble d’ailleurs avoir perduré après la fin du confinement du printemps dernier. À cet égard, j’ai particulièrement apprécié l’approche mise en avant par Cymdeithas yr Iaith (Société de la langue galloise) à propos des arguments laissant entrevoir que le gallois, ou l’imposition d’exigences linguistiques en gallois, serait source d’exclusion. Cymdeithas yr Iaith a souligné que le problème n’est pas la langue mais les structures (insuffisantes) en place pour l’apprendre et la pratiquer, ajoutant qu’il convenait de redoubler d’efforts pour surmonter les obstacles existants – en proposant par exemple des cours de langue gratuits pour les adultes, ou en assortissant l’octroi de subventions publiques de conditions linguistiques – afin de rendre la langue accessible à toutes et tous 
			(83) 
			Les propositions détaillées
de Cymdeithas yr Iaith sont disponibles dans leur déclaration stratégique
de juillet 2020, <a href='https://cymdeithas.cymru/sites/default/files/CYIG More than a Million (Gwe).pdf'>«More
than a million: Welsh language citizenship for all</a>» [«Plus d'un million: la citoyenneté galloise pour tous»]..
5. L’ensemble de mes interlocutrices et interlocuteurs ont également insisté sur la différence entre le fait de pouvoir parler une langue et son utilisation effective dans la pratique. Tant la maîtrise de la langue que les possibilités de l’utiliser jouent un rôle. Pour les enfants de familles non-galloisantes, en particulier lorsque le gallois n’est parlé que par une infime partie de leur communauté, le défi consiste notamment à garantir leur accès à des espaces et des activités qu’ils apprécient, utilisant le gallois comme moyen de communication. Cela peut contribuer à modifier la relation qu’ils entretiennent avec la langue, en faisant en sorte qu’elle ne soit plus perçue comme un fardeau qui leur est imposé à l’école mais comme une langue qu’ils sont heureux d’utiliser dans le cadre de leurs interactions sociales ordinaires. Il est également primordial de soutenir les médias en langue galloise. Sans entrer dans des débats sur la question de savoir si la compétence en matière de radiodiffusion doit être transférée de Westminster au Pays de Galles – un sujet complexe qui aurait également des implications budgétaires majeures – je pense utile de souligner ici le rôle essentiel joué tant par l’audiovisuel que par la presse écrite et les médias en ligne pour soutenir la diversité linguistique et créer un sentiment d’appartenance. Certain·e·s interlocutrices et interlocuteurs ont également précisé que, contre toute attente peut-être, le passage au numérique n’a pas entraîné de «submersion» du gallois par l’anglais mais qu’il offre en fait de nouvelles possibilités pour les artistes gallois de toucher de nouveaux publics, y compris parmi les jeunes.
6. Pour finir, je tiens à souligner la leçon capitale tirée par toutes les personnes avec qui je me suis entretenue: l’avenir d’une langue ne peut être dissocié du contexte dans lequel elle est utilisée. Les questions linguistiques doivent être intégrées à tous les services ministériels, et non pas être considérées comme l’apanage d’un ministère unique, spécifiquement dédié aux langues. L’augmentation du coût du logement, des salaires insuffisants et un accès limité à l’emploi ou aux infrastructures sont autant de facteurs pouvant entraîner des changements démographiques, au détriment de la langue locale. Les conséquences linguistiques des plans de développement du logement, par exemple, devraient être prises en compte au même titre que leur impact environnemental. En effet, lorsqu’une directrice d’école galloisante n’a pas les moyens d’acheter une maison dans sa commune, combien de temps pourra-t-elle résister à l’attrait de salaires plus élevés en Angleterre voisine, même si cela signifie qu’elle ne pourra pas mettre à profit ses compétences linguistiques en gallois? De même, lorsque de grandes entreprises cherchent à s’implanter au Pays de Galles, pourquoi ne devraient-elles pas être tenues de contribuer aux efforts de promotion de la langue galloise? Les services gouvernementaux étant de plus en plus privatisés et les services de proximité externalisés (par exemple, les banques ferment des succursales locales et transfèrent la prestation de services en ligne), les difficultés pour préserver et promouvoir la langue galloise s’intensifient. Ce sont peut-être ces exemples qui illustrent le mieux l’importance de ne pas considérer les droits des minorités comme de simples droits individuels: pour que les droits des minorités soient effectifs, leur dimension collective doit également être protégée.