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Rapport | Doc. 15357 | 30 août 2021

Politiques en matière de recherche et protection de l’environnement

Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias

Rapporteur : M. Olivier BECHT, France, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Décision du Bureau, Renvoi 4532 du 15 septembre 2020. 2021 - Quatrième partie de session

Résumé

Malgré des résultats significatifs, les politiques actuelles et les efforts des États membres du Conseil de l’Europe pour lutter contre le changement climatique et ses répercussions restent insuffisants. La commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias les appelle à revoir leurs politiques de recherche et développement, pour donner priorité au domaine de l’économie verte, de la transition énergétique et de l’économie circulaire, en vue d’atteindre l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050.

La commission encourage tous les États européens à développer des programmes de recherche spécifiques sur le recyclage et sur les énergies renouvelables, tout en concevant des technologies de stockage, et en assurant l’évolution du réseau électrique et la sécurité du système de production et de distribution de l’énergie. Elle préconise de maintenir les projets de recherche fondamentale – qui peuvent permettre de découvrir de nouvelles sources d’énergie durable – d’encourager par des financements la mutualisation des efforts de recherche au niveau national et les synergies public-public, public-privé et privé-privé, ainsi que la coopération entre universités et grandes entreprises.

Les États doivent réfléchir à de nouvelles formes de financement de la recherche et notamment à la possibilité d’émettre des titres de dette publique, des «obligations vertes» accessibles au grand public. Il est également nécessaire de renforcer la dimension européenne des politiques de recherche et d’élargir une coopération «mutuellement profitable» entre les pays européens, ainsi qu’entre l’Europe et d’autres régions du monde.

Enfin, la commission propose que le Comité des Ministres établisse un cadre – un accord partiel élargi, par exemple – pour que les États membres mettent en commun idées et moyens de recherche pour des projets ciblés et établissent une banque des ressources stratégiques nécessaires à la transition énergétique, pour créer des stocks et les gérer de façon mutuellement bénéfique, dans le but de renforcer leur indépendance stratégique.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 21 mai 2021.

(open)
1. Le Programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies engage tous les États à «prendre d’urgence des mesures pour lutter contre les changements climatiques et leurs répercussions» (objectif 13) et l’Accord de Paris les appelle à réduire les émissions de gaz à effet de serre afin de parvenir à la neutralité climatique au cours de la deuxième moitié du siècle. L’Assemblée parlementaire s’inquiète du fait que, malgré les résultats significatifs obtenus, les politiques actuelles et le niveau d’efforts des États membres du Conseil de l’Europe restent en dessous de ce qui est requis pour atteindre ce résultat.
2. Le dérèglement climatique, de même que l’épuisement progressif des ressources surexploitées, risquent de produire des conséquences dramatiques pour des centaines de millions de personnes, notamment pour les plus vulnérables, et de saper la cohésion sociale, la stabilité démocratique et la paix dans toutes les régions du globe. La recherche peut apporter les solutions innovantes nécessaires pour contrer à la fois la paupérisation de la planète et le phénomène du changement climatique, et assurer le développement durable de nos sociétés.
3. Une évolution profonde des systèmes économiques est nécessaire pour sauver la planète. Il faut repenser un modèle économique trop fondé sur la (sur)consommation, avoir le courage de s’opposer à l’obsolescence programmée des produits et revoir les habitudes de consommation; il faut développer des systèmes de transport non polluant, réorganiser les espaces de vie et bâtir un habitat moins gourmand en énergie. Les comportements et les choix de vie de chaque personne peuvent contribuer à contenir la demande d’énergie.
4. Néanmoins, la croissance de la population mondiale, le développement social et économique, qui doit bénéficier à tous, et les nouveaux horizons que le progrès ouvre, avec le déploiement de technologies et d’activités gourmandes en énergie (comme l’expansion du monde numérique, l’intelligence artificielle et les plans de conquête de l’espace) ne permettent pas d’envisager des scénarios avec une consommation d’énergie décroissante. La réduction de l’empreinte carbone des activités humaines passe donc nécessairement par une production d’énergie décarbonée. Il faut donc renforcer la recherche sur les sources d’énergie du futur.
5. Par ailleurs, les ressources dont l’humanité dispose sont limitées et leur rythme de consommation actuelle n’est pas durable. Un autre axe essentiel de la recherche est donc celui qui porte sur l’économie circulaire. Il faut apprendre à réutiliser et à recycler les ressources dont les systèmes économiques actuels sont si gourmands, y compris celles nécessaires à la transition énergétique, sans lesquelles le développement s’arrêterait.
6. Pour orienter l’effort de recherche, il faut analyser de façon objective toutes les contraintes – économiques, sociales, environnementales et temporelles – qui peuvent rendre périlleux certains chemins, et il faut bien peser les conséquences de nos choix stratégiques. L’impact des sources fossiles est désastreux, mais il y a également des dommages liés à l’extraction des métaux et minerais rares indispensables au développement des technologies de production et de stockage des énergies renouvelables. La recherche doit être orientée pour minimiser, et si possible éviter, ces dommages et tout impact environnemental que la production d’énergie renouvelable peut avoir, comme la pollution visuelle et sonore ou l’utilisation de substances dangereuses pour la santé.
7. Avec le déploiement à grande échelle des énergies renouvelables, la demande future de matières premières essentielles devrait considérablement augmenter. Il ne faut pas sous-estimer les risques auxquels les pays européens seraient exposés en devenant dépendants des pays producteurs des minéraux rares, dont l’utilisation massive, en l’absence de leur recyclage intégral, ne peut qu’engendrer l’augmentation des prix, la raréfaction et l’épuisement. Un risque similaire résulte des quasi-monopoles qu’un ou quelques pays peuvent détenir dans la transformation de ces minéraux rares et/ou dans la fabrication de composantes essentielles aux productions industrielles des pays européens. Ne pas prendre dûment en compte ces risques ne pourra que les affaiblir.
8. Pour garantir la compétitivité et la souveraineté de l’industrie européenne, les États membres du Conseil de l’Europe doivent assurer un approvisionnement sûr, durable et responsable en matières premières, mais aussi faire des choix pour renforcer leur autonomie concernant les matières premières critiques et pour optimiser la valeur des ressources et matériaux dont ils disposent; leur réutilisation et recyclage peut réduire le risque de pénurie et aider aussi à préserver leur indépendance économique, voire leur souveraineté.
9. Dans un monde marqué par les interdépendances, les réponses technologiques aux problèmes actuels sont forcément multisectorielles. L’interdépendance et la complexité entraînent, et rendent indispensable, une coopération axée sur des domaines et thèmes transversaux entre les chercheurs et les autres acteurs de la recherche et du développement. De plus, les solutions (et donc les plans) politiques impliquent nécessairement plusieurs niveaux, du local à l’international, tant dans leur élaboration que dans la mise en œuvre.
10. La participation active et l’engagement des citoyens sont une clé de voûte pour bâtir l’économie verte; les associer dès le départ au processus décisionnel est à la fois une exigence démocratique et une condition pour atteindre les résultats visés: ce sont eux qui portent le changement de paradigme et le réalisent par leur action. Pour réussir la transition écologique, un effort collectif s’impose; l’économie comportementale doit permettre aux citoyens de concevoir conjointement les solutions techniques et les innovations de demain.
11. Les objectifs de développement durable indiquent la route. L’action politique ne doit pas se détourner du cap du développement durable, car il n’y plus de temps. Pour l’Assemblée, il faut soutenir la mise sur le marché et la montée en puissance des technologies efficaces qui sont prêtes à être commercialisées. Il faut en même temps augmenter les ressources dédiées à la recherche et au développement de nouvelles solutions, en utilisant au mieux les mécanismes de financement existants et en songeant à des nouvelles formes de financement.
12. Les finances publiques sont mises à rude épreuve par l’impact économique de la pandémie de covid-19 et par l’urgence de parer au désarroi social que cette pandémie a engendré dans les couches de population les plus vulnérables, en Europe et ailleurs. Pourtant, l’Assemblée considère que dans les efforts de reconstruction de nos sociétés et de nos systèmes économiques, c’est justement vers le monde de demain qu’il faut regarder et pas vers celui d’hier. Dans une certaine mesure, la crise est une opportunité de changement et il ne faut pas la rater. La recherche et l’innovation pour l’économie verte doivent faire partie des «bénéficiaires» des plans nationaux de relance post-crise.
13. Dès lors, l’Assemblée appelle les États membres du Conseil de l’Europe à revoir leurs politiques en matière de recherche, d’innovation et de développement, pour donner la plus haute priorité au domaine de l’économie verte, et plus spécialement à la transition énergétique et à l’économie circulaire, afin d’aligner le développement économique avec l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050. Dans ce contexte, l’Assemblée invite les États membres:
13.1. à développer des programmes de recherche spécifiques:
13.1.1. sur les énergies renouvelables, sans oublier les contraintes spécifiques pouvant freiner un déploiement massif des technologies correspondantes, et notamment la nécessité de développer les technologies de stockage, et le besoin impératif d’assurer l’évolution du réseau électrique et la sécurité et la résilience du système de production et de distribution de l’énergie, qui demandent aussi des efforts de recherche significatifs;
13.1.2. sur l’économie circulaire, et notamment sur le recyclage (si ce n’est le remplacement) des matériaux critiques indispensables aux technologies de la transition énergétique, ainsi que sur les technologies de récupération de la chaleur fatale et de capture et stockage (ou réutilisation) du carbone;
13.2. à maintenir les projets de recherche fondamentale, qui peuvent conduire à découvrir et à maîtriser de nouvelles sources d’énergie durable, abondante et bon marché, et à veiller à échanger au sein de la communauté scientifique sur toute avancée en ce sens;
13.3. à prendre dûment en compte le risque géopolitique, au même titre que les contraintes économiques, sociales, et environnementales, car, à côté des enjeux de développement durable il y a aussi un enjeu de marché et d’autonomie stratégique, voire de souveraineté nationale;
13.4. à encourager, y compris par le levier du financement, la collaboration et la mutualisation des efforts de recherche au niveau national, en ayant égard aux coopérations et synergies public-public, public-privé et privé-privé;
13.5. à promouvoir la coopération entre universités et grandes entreprises et favoriser par des mesures incitatives la création de consortiums de grandes entreprises pour collaborer avec les sciences financées par des fonds publics;
13.6. à développer une activité de veille dans des domaines stratégiques, pour identifier et soutenir le développement et le passage au stade de la commercialisation des projets innovants;
13.7. à mettre en place des mécanismes de financement pouvant être actionnés avec une certaine flexibilité et rapidité, orienter les fonds de recherche vers les demandes d’innovation à long terme et prévoir des incitations pour la création de partenariats recherche-industrie, renforçant le financement des projets collaboratifs entre laboratoires de recherche et industrie sur des sujet stratégiques;
13.8. à réfléchir à de nouvelles formes de financement de la recherche et, à cet égard:à
13.8.1. étudier la possibilité d’émettre des titres de dette publique, des «obligations vertes» accessibles au grand public, destinés à financer la recherche stratégique dans les domaines de la transition énergétique et de l’économie circulaire;
13.8.2. à songer à soutenir la mise en place d’une plateforme nationale en ligne, avec une sélection de projets innovants qu’un État s’engagerait à soutenir financièrement et qui seraient ouverts à un financement participatif;
13.9. à renforcer la dimension européenne de leurs politiques de recherche, et – lorsque cela est possible – à encourager et à soutenir la participation aux programmes européens par des outils comme une meilleure information, le conseil et l’assistance dans l’accomplissement des démarches et des procédures requises, ainsi que des incitations financières;
13.10. à définir des domaines clés dans lesquels il est crucial d’élargir la coopération entre les pays européens, ainsi qu’entre l’Europe et d’autres régions du monde, et élaborer le cadre de la recherche en conséquence, pour favoriser une coopération mutuellement profitable et des partenariats stratégiques internationaux, visant par exemple à assurer la complémentarité et une meilleure efficacité des efforts de recherche.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 21 mai 2021.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire rappelle sa Résolution … (2021) «Politiques en matière de recherche et protection de l’environnement» et souligne l’importance géostratégique majeure de la recherche et de l’innovation dans le domaine de l’économie verte, et notamment de la transition énergétique et de l’économie circulaire.
2. Les enjeux économiques et stratégiques qui se trouvent derrière le progrès technologique peuvent faire obstacle à la coopération internationale dans ces domaines. Néanmoins, la lutte contre le changement climatique est une question absolument essentielle, qui concerne tous les États membres du Conseil de l’Europe: ils doivent tous contribuer à rechercher les bonnes solutions et être capables de les partager.
3. Les 27 États membres de l’Union européenne avancent dans cette direction, comme le programme Horizon Europe et le précédent programme Horizon 2020 le montrent clairement; mais l’Europe est plus vaste et nous devrions être capables de travailler ensemble à l’échelle de la grande Europe (par exemple, dans le cadre de programmes de recherche transnationaux). Le Conseil de l’Europe a un rôle clé à cet égard, et il devrait ouvrir une nouvelle piste de coopération pour renforcer les liens qui nous unissent et la solidarité entre nos peuples.
4. Dès lors, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres d’étudier la mise en place d’un cadre – un accord partiel élargi, par exemple – pour que nos pays puissent progresser ensemble en mettant en commun idées et moyens de recherche pour des projets ciblés; la Banque de développement du Conseil de l’Europe pourrait être associée pour apporter son expertise et aider à établir des mécanismes de financement pour ces projets communs de recherche. Dans ce cadre, les États membres du Conseil de l’Europe pourraient être encouragés à établir une banque des ressources stratégiques nécessaires à la transition énergétique, pour créer des stocks et les gérer de façon mutuellement bénéfique, dans le but de renforcer l’indépendance stratégique de tous nos pays.

C. Exposé des motifs par M. Olivier Becht, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le modèle économique et de développement de nos sociétés est en train de nous mener vers une catastrophe annoncée, dont les prodromes sont bien visibles. Non seulement nous épuisons les ressources naturelles nécessaires à notre vie, mais aussi aucun des écosystèmes n’est épargné par l’action de l’homme et la dégradation de notre biosphère ne cesse de progresser Le dérèglement climatique, avec sa cohorte d’effets néfastes, est l’un des exemples les plus parlants de l’abîme qui nous attend si nous ne changeons pas de route.

1.1. La nécessité de parvenir à la neutralité carbone d’ici 2050

2. Le document final du Sommet des Nations Unies consacré à l’adoption du programme de développement pour l’après-2015: «Transformer notre monde: le Programme de développement durable à l’horizon 2030» (adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 25 septembre 2015) 
			(3) 
			Ce
texte est disponible en plusieurs langues: <a href='https://sustainabledevelopment.un.org/post2015/transformingourworld'>https://sustainabledevelopment.un.org/post2015/transformingourworld</a>. fixe l’objectif 13 «Prendre d’urgence des mesures pour lutter contre les changements climatiques et leurs répercussions» et, dans ce contexte, appelle à «incorporer des mesures relatives aux changements climatiques dans les politiques, les stratégies et la planification nationales» (cible 13.2). Le même document, dans le cadre de l’objectif 12 «Établir des modes de consommation et de production durables», prévoit comme cible celle de «réduire nettement la production de déchets par la prévention, la réduction, le recyclage et la réutilisation» (cible 12.5).
3. Dans la droite ligne de ces objectifs, 196 Parties à la «Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques» (CCNUCC), réunies à Paris lors de la COP 21, ont adopté le 12 décembre 2015 l’Accord de Paris 
			(4) 
			Une <a href='https://unfccc.int/fr/processus-et-reunions/l-accord-de-paris/l-accord-de-paris'>page
dédiée</a> du site des Nations Unies donne accès aux informations
sur l’Accord de Paris, y compris à son texte en plusieurs langues.., qui est entré en vigueur le 4 novembre 2016 
			(5) 
			L’état des ratifications
peut être consulté <a href='https://unfccc.int/fr/node/513'>ici</a>. et a été ratifié par 46 États membres du Conseil de l’Europe et par l’Union européenne. L’objectif central de ce traité international est de «renforcer la riposte mondiale à la menace des changements climatiques, dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté» notamment en «contenant l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2°C» et de poursuivre «l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels» (article 2) 
			(6) 
			L’accord
vise également à accroître la capacité des États à faire face aux
impacts du changement climatique et à rendre les flux financiers
compatibles avec un faible niveau d’émissions de gaz à effet de
serre.. Pour concrétiser cet objectif, les Parties sont appelées à réduire le plus rapidement possible les émissions de gaz à effet de serre (GES), afin de parvenir à la neutralité climatique au cours de la deuxième moitié du siècle (article 4).
4. Dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord de Paris, la plupart des pays du monde ont pris des engagements sérieux pour réduire ou minimiser leurs émissions; ces engagements sont connus sous le nom de «contributions déterminées au niveau national» ou CDN. L’Union européenne s’efforce de donner l’exemple et vise à atteindre l’objectif de zéro émission nette de GES d’ici à 2050. La France et le Royaume-Uni ont déjà inscrit cet objectif dans la loi.
5. Cependant, le rapport 2020 du Programme des Nations Unies pour l’environnement sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions constate qu’il y a une incohérence entre les niveaux d’émission de GES qui résultent des politiques actuelles, ceux envisagés par les CDN actuelles d’ici à 2030 et, surtout, ceux permettant d’atteindre l’objectif de zéro émission nette d’ici à 2050. Conformément à ce rapport, les CDN actuelles sont nettement insuffisantes pour atteindre les objectifs climatiques de l’Accord de Paris: en l’état, elles conduiraient à une augmentation des températures d’au moins 3° C d’ici la fin du siècle. La Commission de l’Union européenne (UE) fait un constat analogue dans sa communication du 11 décembre 2019, qui propose à l’Union européenne et à ses citoyens un pacte vert pour l’Europe 
			(7) 
			<a href='https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?qid=1588580774040&uri=CELEX%3A52019DC0640'> COM
(2019) 640 final (du 11.12.2019)</a>. Le pacte vert fait partie intégrante de la stratégie
visant à mettre en œuvre le programme des Nations unies à l’horizon
2030 et ses objectifs de développement durable..
6. Dans un rapport récent, le groupe de réflexion EMBER 
			(8) 
			<a href='https://ember-climate.org/project/necp7/'>Vision or division?
– What do National Energy and Climate Plans tell us about the EU
power sector in 2030?</a> (novembre 2020). a analysé les plans nationaux énergie-climat (PNEC) 
			(9) 
			Chaque État membre
décrit dans son PNEC respectif, de manière intégrée, ses objectifs,
cibles, politiques et mesures en matière de climat et d’énergie
pour la période 2021-2030., présentés par les États membres de l’Union européenne fin 2019, afin d’évaluer les progrès escomptés dans le secteur de l’électricité au cours de la prochaine décennie qui sera décisive. Selon le rapport, la production d’électricité renouvelable devrait presque doubler afin d’assurer d’ici 2030 près de 60 % de la consommation de l’Union européenne; malgré cela, un quart de l’électricité européenne devrait encore provenir de combustibles fossiles, la production à partir de charbon ne diminuant que de moitié au cours de la prochaine décennie et aucun plan ne prévoyant de réduire le recours au gaz naturel. Le rapport conclut qu’à moins de rectifier le tir, l’Union européenne ne sera pas en mesure d’atteindre la réduction de 55 % du volume total des émissions d’ici à 2030.
7. Agir rapidement et efficacement dans ce domaine est une condition nécessaire pour la sauvegarde non seulement du droit à un environnement sain, mais aussi du droit à des conditions de vie décentes pour toutes et pour tous, voire du droit à la vie tout court, car les conséquences du dérèglement climatique, de même que les effets de l’épuisement progressif des ressources que nous surexploitons, seront dramatiques pour des centaines de millions de personnes, notamment pour les plus vulnérables, et saperont la cohésion sociale, la stabilité démocratique et la paix dans toutes les régions du globe. Nous sommes à un tournant: les choix que nous faisons aujourd’hui détermineront radicalement notre demain et celui des générations futures.

1.2. Champ de l’enquête et axes principaux de l’analyse

8. Les politiques dans le domaine de la recherche et de l’innovation ont un rôle essentiel à jouer pour aiguiller et soutenir la quête de solutions efficaces et promouvoir les avancés scientifiques et techniques, mais aussi les choix entrepreneuriaux et les comportements sociaux, permettant d’évoluer vers un modèle de développement durable 
			(10) 
			Pour
des raisons de simplicité, je parlerai désormais de «recherche»;
mais je sous-entends également «innovation» et «développement durable»,
car ce dont il est question ici c’est bien la recherche orientée
vers les innovations qui rendra possible le développement durable..
9. Comme la Commission européenne l’affirme dans sa communication du 11 décembre 2019, «Les nouvelles technologies, les solutions durables et l’innovation de rupture sont essentielles pour atteindre les objectifs du pacte vert pour l’Europe.» Dans ce contexte, la Commission a lancé Horizon Europe, le programme-cadre pour la recherche et l’innovation de l’Union européenne pour la période 2021-2027; ce programme, en synergie avec d’autres programmes de l’Union européenne, sera essentiel pour mobiliser les investissements nationaux publics et privés, et pour promouvoir les partenariats verts dans le domaine de la recherche et de l’innovation.
10. Un rapport visant les politiques de recherche peut paraître assez éloigné des thématiques concernant les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit; pourtant, nous sommes au cœur de la question d’une protection efficace de l’environnement. C’est la recherche (et les instruments développés grâce à la recherche) qui nous permet de surveiller l’évolution de l’état de notre planète, d’identifier les problèmes et de modéliser les scénarios sur l’impact des diverses mesures envisageables. Et c’est la recherche qui peut nous apporter les solutions innovantes dont nous avons besoin pour contrer à la fois la paupérisation de notre planète et le phénomène du changement climatique, et assurer le développement durable de nos sociétés.
11. Mon rapport vise à attirer l’attention des États membres du Conseil de l’Europe sur l’urgence de repenser et peut-être de recentrer les politiques de recherches afin qu’elles puissent mieux servir la réalisation de l’objectif de réduire les émissions de GES 
			(11) 
			Même si la référence
est faite souvent au dioxyde de carbone (CO2),
les GES comprennent aussi d’autres gaz, dont le méthane (CH4),
lequel est le deuxième GES d’origine anthropique après le CO2,
mais qui a (selon des études faites en 2017) a un potentiel de réchauffement
global 32 fois supérieur au CO2 sur une échelle
de temps d’un siècle (sans prendre en compte les rétroactions climatiques
induites). et parvenir à la neutralité climatique d’ici 2050.
12. À cet égard, j’aborderai deux questions clé. Une première question porte sur l’orientation qu’il convient de donner à la recherche: quelles sont les pistes de recherche à privilégier et, donc, quelle recherche faut-il financer de façon prioritaire pour mieux s’armer et lutter efficacement contre les changements climatiques? Une deuxième question concerne la gouvernance de la politique de recherche: que doivent retenir les décideurs politiques et quels sont les piliers sur lesquels la stratégie de recherche doit reposer pour optimiser son impact?
13. Mon analyse ne couvre que partiellement les multiples options existantes et les nombreuses questions plus spécifiques qui se posent. Je m’efforcerai néanmoins de mettre en lumière quelques éléments, dont une prise en compte attentive me semble nécessaire, et d’identifier des lignes d’action que les décideurs politiques pourraient suivre pour (re)orienter les politiques en matière de recherche vers l’objectif d’une économie verte.
14. Une évolution profonde de nos systèmes économiques est nécessaire si nous voulons sauver notre planète et plusieurs facteurs interconnectés entrent en ligne de compte. Entre autres, pour réduire le gaspillage d’énergie et de ressources (y compris notre consommation d’eau), il faut repenser un modèle économique trop fondé sur la (sur)consommation, il faut avoir le courage de s’opposer à l’obsolescence programmée des produits et revoir nos habitudes de consommation, réfléchir à une meilleure organisation de nos espaces de vie, de nos villes et de nos systèmes de transport, concevoir et bâtir un habitat moins gourmand en énergie, tant dans la phase de construction que dans son utilisation, etc.
15. Néanmoins, nous savons aussi que la croissance de la population mondiale, le développement social et économique (qui doit bénéficier à tous et non seulement à quelques-uns) et le progrès lui-même, avec les nouveaux horizons qu’il ouvre et les nouvelles ambitions humaines qu’il engendre (il suffit de songer à la consommation énergétique liée à l’expansion du monde numérique, et aux nouveaux projets de conquête spatiale et de colonisation d’autres planètes) ne permettent pas, me semble-t-il, d’envisager des scénarios avec une consommation d’énergie décroissante.
16. Il nous faudra de plus en plus d’énergie. La réduction de l’empreinte carbone des activités humaines passe donc nécessairement par une production d’énergie décarbonée 
			(12) 
			Dans la mesure où il
y a déjà une quantité excessive de GES dans notre atmosphère et
où la transition énergétique prend plus de temps qu’il serait souhaitable,
il faudra également pouvoir en retirer une partie pour faire en
sorte que le solde des émissions de GES soit de «zéro» (voire même,
après avoir atteint cet objectif, du moins pendant un certain temps
négatif). Ainsi, il y a une ligne de recherche très importante sur
la capture et le stockage ou la réutilisation du CO2. Néanmoins
il ne sera pas possible ici d’approfondir cet aspect.. Pour cette raison, en ce qui concerne la première question évoquée ci-avant, mon analyse portera d’abord sur les sources d’énergie du futur. Néanmoins, il ne faut pas oublier que la consommation actuelle des ressources n’est pas soutenable; un autre axe essentiel de la recherche est donc celui qui porte sur l’économie circulaire. Le rapport abordera cet aspect en ayant égard à la recherche qui a pour objectif la réduction, le recyclage et la réutilisation des ressources dont nos économies sont si gourmandes, y compris celles nécessaires à la transition énergétique, sans lesquelles le développement s’arrêterait. Enfin, concernant la gouvernance de la recherche, je souhaite traiter de la nécessité de valoriser les synergies, la mutualisation des efforts et le partage des connaissances aux niveaux national, européen et mondial.
17. Je fonde également mon analyse et mes propositions sur les contributions des expert.e.s qui ont participé à notre audition du 5 février 2021; je leur suis reconnaissant pour leur aide précieuse à nos travaux 
			(13) 
			Le
procès-verbal de cette audition peut être consulté <a href='https://assembly.coe.int/nw/Page-FR.asp?LID=CultDocs'>ici</a>; y ont participé:M. Robby
Berloznik, Membre du Comité exécutif de la technologie, Convention-cadre
des Nations Unies sur les changements climatiques (CET-CCNUCC);
conseiller principal, Institut Flamand pour la Recherche Technologique (VITO)
- Directeur de programme, Conférences mondiales sur la science,
la technologie et l’innovation (G-STIC), Belgique;M. Pierre Laboué, Chercheur à l’Institut de Relations
Internationales et Stratégiques (IRIS), France;Mme Nathalie Lazaric, Économiste, Directrice de recherche,
Centre national de la recherche scientifique (CNRS) au Groupe de
Recherche en Droit, Économie et Gestion (GREDEG) – Unité mixte CNRS/Université
Côte d’Azur, France;M. Patrice Simon, Professeur à l’Université Toulouse
III – Paul Sabatier; directeur adjoint du Réseau sur le stockage
électrochimique de l’énergie (RS2E) du Centre national de la recherche
scientifique (CNRS), France;M. Karl W. Steininger, Professeur d’économie du climat
et de transition durable, Wegener Center for Climate and Global
Change (WEGC) et Département d’économie, Université de Graz, Autriche..

2. La recherche sur les énergies propres

18. Nous pouvons emprunter plusieurs trajectoires d’atténuation pour respecter la limite de 1,5°C. Toutefois, dans les scénarios modélisés par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), toutes les trajectoires compatibles avec l’objectif des 1,5°C présentent certaines caractéristiques communes, notamment l’abandon progressif et massif de l’utilisation du charbon d’ici le milieu du siècle, les énergies renouvelables représentant à l’avenir la majorité de l’approvisionnement en électricité, et l’électrification progressive d’une consommation énergétique plus efficace 
			(14) 
			Voir
le rapport spécial du GIEC sur le <a href='https://www.ipcc.ch/sr15/'>réchauffement climatique de
1,5°C</a> et le document connexe <a href='https://www.carbonbrief.org/in-depth-qa-ipccs-special-report-on-climate-change-at-one-point-five-c'>In-depth
Q&A</a>.. Il est par conséquent essentiel de réaliser des progrès rapides dans le secteur de l’électricité pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C.
19. À cet égard, la transition énergétique pose un problème nouveau: il ne s’agit plus d’identifier et d’apprendre à exploiter efficacement des nouvelles sources d’énergie qui viendraient s’ajouter aux sources fossiles actuellement dominantes, pour satisfaire une demande croissante, mais de remplacer – aussi rapidement que possible – par des sources d’énergie décarbonée les combustibles fossiles: gaz naturel, charbon et pétrole, dont la production d’énergie est encore largement dépendante 
			(15) 
			Selon le document «<a href='https://www.iea.org/reports/world-energy-balances-overview'>World
Energy Balances: Overview</a>» (rapport statistique, juillet 2020) de l’Agence internationale de
l’énergie, les combustibles fossiles représentaient plus de 81 %
de la production énergétique mondiale en 2018 (comme en 2017)..
20. Le défi à relever pour atteindre l’objectif de zéro émission de carbone est énorme: s’il peut s’avérer facile de porter à 50 % la part des énergies renouvelables dans la production d’électricité, la question est ensuite de savoir comment parvenir à 75 %, sachant que les derniers 25 % deviennent extrêmement difficiles à atteindre 
			(16) 
			La citation est de
Steven Chu, professeur de physique et de physiologie moléculaire
et cellulaire à l’université Stanford, prix Nobel de physique et
ancien secrétaire à l’énergie des États-Unis. Voir <a href='https://news.stanford.edu/2018/05/22/future-energy-stanford-faculty-discuss/'>ici</a> le bulletin d’information de l’université Stanford du
22 mai 2018 intitulé «What does the future of energy look like?
Stanford scientists weigh in». Huit chercheurs de cette université,
dont le professeur Chu, ont partagé dans de courtes vidéos leur
vision d’un monde moins dépendant des énergies fossiles, parmi les
nombreuses options en développement..

2.1. Cap sur le solaire, mais pas seulement

21. Le rayonnement solaire, le vent, les vagues, les marées, les courants marins ou fluviaux, la chaleur du noyau de notre planère constituent autant de sources d’énergie propre pour lesquelles des technologies d’exploitation existent, même si à différents niveaux de maturité. Chacune de ces sources nous assure en théorie une surabondance d’énergie propre, mais toutes rencontrent des obstacles à leur développement.
22. Il est fort probable que, pour une transition énergétique efficace et rapide, un bon «mix énergétique» soit la solution qui s’impose, du moins pour les prochaines décennies. Par ailleurs, les conditions (y compris les contraintes qui découlent du niveau de développement socio-économique) et les opportunités (par exemple celles liées aux ressources locales) peuvent varier fortement d’un pays à un autre et d’une région de notre planète à une autre. Néanmoins, ce constat n’aide pas beaucoup lorsqu’il s’agit d’orienter la recherche.
23. Sur un plan plus général (et en misant aussi sur des formes de partage global), sur quelle(s) source(s) d’énergie propre faut-il miser, peut-être pas de façon exclusive mais au moins prioritaire? Actuellement (après l’énergie hydraulique, qui néanmoins ne saura être la réponse) c’est le vent la source qui, en termes de production mondiale d’énergie électrique propre, est en tête de liste; néanmoins, le soleil est la source d’énergie renouvelable qui semble avoir le plus grand potentiel tant à court qu’à plus long terme.
24. Les raisons qui militent en faveur de l’énergie solaire sont essentiellement les suivantes:
  • les radiations solaires sont une source d’énergie extrêmement facile d’accès, librement disponible partout et pour tous et une petite fraction de cette énergie peut, à elle seule, répondre à la demande globale d’énergie, sans crainte de pénurie et pour toute la durée de vie de notre planète;
  • la production d’énergie électrique à partir des radiations solaires n’est pas en soi polluant; elle est sans émissions (y compris sans émissions sonores) et le procédé lui-même ne génère pas de déchets et ne consomme pas d’eau;
  • la production d’électricité par les techniques photovoltaïques est modulaire et peut être localisée au plus proche de la consommation, tant en milieux urbain que dans des zones difficiles d’accès et avec une faible concentration de population, où d’autres technologies seraient moins adaptées; en particulier, les avancées technologiques et les nanotechnologies ouvrent déjà vers des solutions qui devraient permettre non seulement une parfaite intégration de systèmes photovoltaïques aux surfaces vitrées, mais aussi aux surfaces de toute forme, y compris flexibles, voire même aux tissus;
  • d’ores et déjà, l’Agence internationale de l’énergie considère le photovoltaïque (PV) comme la source d’énergie la moins chère.
25. Même si l’ensemble de ces arguments me semble fort convaincant, cela ne nous exempte pas d’une réflexion plus approfondie, essentiellement pour deux raisons: la première est que le développement du solaire (comme celui des autres sources renouvelables) n’est pas sans poser quelques problèmes; la deuxième est que, de facto, d’autres industries sont déjà en état de marche et prennent racine (y compris en termes de développement économique et d’emplois) et, puisqu’elles aussi peuvent contribuer à atteindre l’objectif de neutralité carbone, il serait insensé de les négliger totalement.

2.2. Les défis de la transition énergétique

26. Pour orienter l’effort de recherche, il faut analyser de façon objective toutes les contraintes – économiques, sociales, environnementales et temporelles – qui peuvent rendre périlleux certains chemins. Le risque est probablement inhérent à toute politique de recherche et d’innovation; encore faut-il bien le connaître et l’évaluer, pour n’accepter que la part de risque inéluctable, en l’absence d’alternatives valables. Et il faut bien comprendre les conséquences de nos choix stratégiques: ce n’est qu’en avançant en connaissance de cause et en ayant bien identifié les écueils que nous pouvons atteindre nos buts.
27. À titre d’exemple, l’électrification des transports est, à n’en pas douter, une évolution essentielle tant pour atteindre la neutralité climatique que pour améliorer la qualité de vie dans nos centres urbains; nous misons donc sur les voitures électriques. Cependant, il faut produire l’énergie électrique (propre) nécessaire pour charger les batteries des voitures électriques. Si l’électricité du réseau est produite avec des sources fossiles, la voiture (pour ainsi dire) propre lors de son utilisation ne réduit pas réellement l’empreinte carbone de la mobilité: cette empreinte a été simplement déplacée. Cela nous ramène donc à la question d’une production primaire d’énergie avec des sources propres.
28. Les sources d’énergie renouvelable sont sous nos yeux, et les prouesses technologiques et les innovations scientifiques visant à leur meilleure utilisation suscitent l’enthousiasme; néanmoins, leur exploitation n’est pas encore si simple que cela 
			(17) 
			Je renvoie pour plus
de détails à ma note sur les énergies renouvelables, doc. AS/Cult/Inf
(2021) 06., et la recherche a justement pour tâche de nous apporter les bonnes réponses.
29. Parmi les contraintes les plus évidentes qui peuvent freiner la transition énergétique, il y a les coûts: ceux de la recherche et de l’expérimentation, des structures de production (à créer ou à adapter) et des produits eux-mêmes (y compris les coûts des matériaux de base et d’une main d’œuvre spécialisée), ainsi que ceux auxquels il faut faire face pour faire évoluer le réseau électrique.
30. Minimiser les coûts est l’un des enjeux de la recherche. Il s’agit, bien évidemment de regarder tout le cycle et tous les éléments qui entrent en ligne de compte pour la production et la distribution ou le stockage des énergies renouvelables. Néanmoins, le coût n’est plus dans l’immédiat un obstacle majeur, du moins en Europe, car pour certaines technologies «mûres», notamment dans les secteurs du solaire et de l’éolien, ces coûts sont à présent très compétitifs.
31. Le coût pour le développement et la mise sur le marché des diverses technologies explorées est une donnée d’importance pour les décideurs politiques et il ne faut pas oublier que nous cherchons des solutions valables à l’échelle mondiale et non seulement pour les pays riches. Néanmoins, il convient aujourd’hui de relativiser son importance et de ne pas lui donner un poids prépondérant: il faut que le processus décisionnel concernant nos investissements énergétiques – y compris dans la recherche – intègre et prioritise la nécessité de répondre rapidement à la dégradation de l’environnement et à la crise climatique.
32. Un élément important – et un autre axe de recherche – est celui de la performance énergétique, ou plus précisément le «taux de retour énergétique» (TRE), soit la quantité d’énergie finale utilisable (produite par un équipement durant son cycle de vie) divisée par la quantité d’énergie dépensée pour l’obtenir (y compris l’énergie utilisée pour construire l’équipement, puis pour en assurer le fonctionnement). Le TRE donne ainsi une mesure de la rentabilité, sur le plan énergétique, d’un projet. Les technologies de production d’énergie renouvelable ont déjà pris l’avantage sur les sources fossiles 
			(18) 
			Un bref article de
Bruno Detuncq et Bernard Saulnier intitulé «L’énergie et le taux
de retour énergétique», publié en ligne par le
Soleil numérique, le 26 février 2021 (mis à jour le 27 février 2021)
donne quelques chiffres intéressants., mais cela ne doit pas freiner les efforts de recherche pour améliorer ultérieurement la performance énergétique des équipements, tant en termes de rendement que de durée de vie.
33. La performance des équipements et leur durée de vie entrent en ligne de compte aussi, conjointement aux matériaux utilisés, pour évaluer un autre aspect très significatif: l’impact environnemental. Nous sommes tous sensibles à l’impact désastreux des sources fossiles; néanmoins, il faut avoir aussi pleinement conscience des dommages liés à l’extraction des métaux et minerais rares utilisés dans les divers équipements de production et de stockage des énergies renouvelables. Nos sociétés européennes refusent d’assumer ces coûts, mais ils existent: les populations d’autres régions de notre planète les subissent. Ignorer ces coûts (ou les sous-évaluer, pour avoir la conscience tranquille) ne fera pas avancer la cause environnementale au niveau global. La transition énergétique nous oblige peut-être, du moins à ce stade, à «faire avec» ces coûts, mais la recherche doit être orientée pour les réduire autant que possible: il faut trouver des solutions de remplacement et les valoriser.
34. Par ailleurs, outre la pollution et les autres dommages environnementaux induits par l’extraction minière, les décideurs politiques ne peuvent pas faire abstraction d’autres formes d’impact environnemental que la production d’énergie renouvelable peut avoir. On peut évoquer la pollution visuelle et sonore des parcs éoliens, ou les risques engendrés par les techniques de fracturation utilisées (du moins à ce jour) pour exploiter la géothermie. Il faut aussi tenir compte de la présence de substances dangereuses pour la santé éventuellement utilisées (comme le plomb, par exemple). Ce sont des éléments qu’il est avisé de prendre en compte, dans le cadre des politiques de recherche afin d’avancer vers les solutions pouvant minimiser cet impact.
35. Lorsqu’on parle des équipements, il ne s’agit pas seulement de ceux qui captent les énergies renouvelables pour les transformer en énergie électrique, mais aussi de ceux qui sont nécessaires, éventuellement, pour stocker l’énergie électrique et la distribuer ensuite. À cet égard, il ne faut pas perdre de vue que nous avons besoin d’énergie à la demande. Les combustibles fossiles et le nucléaire répondent bien à cette exigence. Les centrales nucléaires et les centrales thermiques qui utilisent les sources fossiles (dans les limites de leur capacité) peuvent produire et distribuer de l’énergie électrique de façon modulable, en fonction des besoins, sans gaspillages et sans ruptures 
			(19) 
			Parmi
les sources d’énergie renouvelable, l’énergie hydraulique (produite
par les centrales hydrauliques en utilisant la force de l’eau) permet
d’adapter facilement, et en temps réel, la production d’électricité
aux besoins; les centrales géothermiques ont le même avantage..
36. Le vent et le soleil ne peuvent garantir une production d’électricité régulière (celle-ci étant dépendante de l’ensoleillement et de l’intensité du vent, qui connaissent des fluctuations importantes liées au cycle jour-nuit, et à l’alternance des saisons) et modulable à la demande (elle-même variable dans la journée et selon les saisons). Lorsque la production est insuffisante, il faut la compléter et lorsqu’elle est intense, l’énergie produite n’est pas (entièrement) introduite dans le réseau ou consommée immédiatement. Pour ne pas perdre cette énergie – et pouvoir l’utiliser lorsque la production baisse – il faut la stocker. Aujourd’hui, le coût des technologies de stockage (soit des batteries) est suffisamment bas et donc le stockage est une solution qui pourrait convenir pour les cycles quotidiens (jour-nuit). Néanmoins, le stockage doit faire face à ses propres défis et il a ses propres contraintes: ainsi, il ne semble pas envisageable comme solution pour compenser les importantes fluctuations saisonnières dans la production d’énergie photovoltaïque.
37. L’importance de cette question est amplifiée par le fait que progresser vers des économies neutres en carbone implique l’utilisation de l’énergie électrique pour (presque) tout, et en particulier pour les transports et le chauffage. Cela augmentera considérablement la demande d’électricité, et rendra absolument nécessaire d’assurer à la fois un flux d’énergie régulier et des réseaux électriques solides, résilients et sécurisés. Là aussi, la recherche et le développement des infrastructures ont un rôle clé à jouer, pour explorer les diverses pistes d’évolution qui devraient permettre la décentralisation dans la production d’énergie, mais aussi l’injection du surplus des productions individuelles dans le réseau principal, la création de mini réseaux et leur interconnexion, voire aussi la possibilité de connexions entre réseaux au niveau intercontinental et d’un hémisphère à l’autre.
38. Cette dernière piste est celle qui a été exposée à notre commission comme solution potentielle pour résoudre le problème des fluctuations saisonnières dans la production d’énergie photovoltaïque 
			(20) 
			Lors de l’audition
du 5 février 2021, le professeur Steininger nous a indiqué que la
production hivernale ne représente qu’un quart à un huitième de
la production estivale. Les options seraient, donc, soit de produire
et de stocker d’énormes surplus d’électricité en été pour les utiliser
en hiver, soit d’échanger de l’électricité entre régions des deux hémisphères,
dans l’intérêt mutuel, cette solution étant beaucoup moins chère.
Des câbles de transmission seraient utilisés toute l’année pour
transporter l’énergie dans les deux directions. Une combinaison
de lieux adaptés en Europe, et par exemple en Australie, en Arabie
Saoudite, en Israël et en Amérique du Sud, pourrait parfaitement
correspondre au profil de charge actuel de l’Europe, le câble de
transmission étant utilisé de manière optimale lorsqu’il relie des
zones ayant à peu près les mêmes niveaux d’activité économique. et avancer vers un système mondial d’énergie propre. Pour aller dans ce sens, le professeur Steininger a énuméré quelques questions concernant la politique de recherche et d’innovation, par exemple l’ingénierie, la physique et les travaux préparatoires de la transmission intercontinentale par câble et en eaux profondes.
39. Cette option est intéressante sur le plan économique et sur le plan du développement mutuel. Cependant, elle exige une forte collaboration internationale, ainsi qu’un niveau très élevé de confiance réciproque entre les partenaires, tant pour sécuriser la mise en œuvre du projet (qui implique aussi un développement simultané par les diverses parties prenantes des capacités de production) que pour la gestion du système de transmission de l’énergie; et elle pose aussi la question de la sécurité et de la résilience du système, car – au-delà de la bonne volonté et fiabilité des partenaires – nous vivons malheureusement dans un monde où la menace terroriste est constamment présente; endommager un système de transmission d’énergie semble plus facile que de le réparer.
40. Le professeur Steininger a noté qu’il existe aujourd’hui une forte demande en hydrogène et en électricité renouvelable dans l’industrie et il a évoqué la «gestion carbone circulaire» en expliquant que la demande pour la conversion de la production d’acier et le captage et l’utilisation de carbone dans l’industrie du ciment dépasserait de loin, à elle seule, la capacité restante d’électricité renouvelable supplémentaire dans de nombreux pays, sans parler des autres demandes (transports, pompes à chaleur des ménages, autres secteurs). Ici, les thèmes de la recherche seraient les alternatives à l’hydrogène (car il y a beaucoup de pertes de conversion) pour certaines applications, et les systèmes de fonctionnalités intégrés, et donc les systèmes intégrés d’énergie renouvelable. Ces remarques nous offrent un premier exemple d’interconnexion entre le thème de la transition énergétique et celui de l’économie circulaire.
41. Enfin, la recherche pour développer les énergies renouvelables actuelles et réduire leur empreinte environnementale ne doit pas nous empêcher de rechercher en parallèle des sources d’énergies nouvelles. En effet, nous ne sommes qu’au XXIème siècle et l’humilité doit nous incliner à penser qu’il existe probablement dans la nature des sources d’énergies que l’Humain n’a pas encore découvertes. Ainsi, la connaissance et la maîtrise de l’énergie atomique ont moins d’un siècle et il est très vraisemblable que d’autres découvertes restent à établir. Pour cela il est nécessaire de renforcer les efforts de recherche fondamentale sur les énergies du futur et de veiller à échanger au sein de la communauté scientifique sur toute avancée qui pourrait se révéler intéressante en ce sens. De même, il est important que les États, malgré la crise sanitaire et ses coûts économiques ne renoncent pas aux projets scientifiques de recherche qui permettront peut-être de développer nos connaissances vers la maîtrise future d’une énergie durable, abondante et bon marché.

3. La recherche en matière d’économie circulaire

42. Il ne saurait y avoir de développement durable sans un changement radical en faveur de l’économie circulaire. Au sein de l’Union européenne, ce constat est évident: la Commission européenne a adopté un nouveau plan d’action pour une économie circulaire – l’un des principaux éléments du «Pacte vert pour l’Europe», la nouvelle stratégie de l’Europe pour une croissance durable.
43. L’économie circulaire est un modèle de production et de consommation qui vise à prolonger le cycle de vie des produits, afin de réduire l’utilisation de matières premières et la production de déchets. Lorsqu’un produit arrive en fin de vie, l’objectif est de récupérer les ressources et de les maintenir dans le cycle économique pour recréer de la valeur sans consommer d’autres ressources ultérieures.
44. Ainsi, l’économie circulaire s’oppose au modèle économique linéaire traditionnel qui consiste à «prélever-fabriquer-jeter», ainsi qu’à l’obsolescence programmée. Il s’agit de «refermer le cycle de vie» des produits, des services, des déchets, des matériaux, de l’eau et de l’énergie, conformément à l’approche que l’on synthétise dans les «trois R»: Réutiliser, Réparer et Recycler. 
			(21) 
			Comme
le professeur Steininger nous l’a expliqué, l’économie circulaire
peut être conçue en vue de respecter trois principes clés de notre
transition vers un système de production et de consommation neutre
pour le climat (répondant aux ODD 12 et 13): les principes de l’inversion,
de l’intégration et de l’innovation. Voir à cet égard le procès-verbal
de l’audition du 5 février 2021.
45. Développer l’économie circulaire est une nécessité. Elle découle d’emblée du fait que les ressources (pas seulement celles énergétiques) que nous utilisons sont limitées; leur réutilisation réduit le risque de pénurie et, dans certains cas (comme celui des minéraux rares) aide aussi à préserver l’indépendance, voire la souveraineté, économique de nos États. Cette nécessité est d’autant plus évidente que notre modèle économique se fonde aussi sur le caractère périssable des produits commercialisés et donc sur le besoin pour les utilisateurs de les remplacer périodiquement; un modèle économique qu’il conviendrait de remettre en question.
46. Il est tout aussi urgent d’aller vers une économie circulaire dans un souci de protection de l’environnement. Il suffit de songer aux difficultés croissantes que nous rencontrons dans la gestion des déchets non recyclés et à la pollution que leur dispersion dans les sols ou dans la mer engendre. Un exemple qui vient immédiatement à l’esprit est celui du plastique: trouver la méthode de décomposer de manière rapide, peu coûteuse et non polluante tous les matériaux plastiques pour réutiliser ensuite leurs composants de base constituerait une avancée majeure vers une véritable économie circulaire. Parmi les sujets de recherche du CNRS en France (recherche qui inclut les sciences sociales également) 
			(22) 
			Parmi d’autres exemple,
Mme Lazaric a mentionné: la chimie verte
dans la durabilité des matériaux (R1), les matériaux autoréparables
(R2), le recyclage chimique des polymères et les mécanismes et procédés
de purification (R3)., je souhaite insister sur les procédés de récupération des métaux critiques et des terres rares.
47. Un rapport intitulé Raw materials demand for wind and solar PV technologies in the transition towards a decarbonised energy system (Demande de matières premières pour les technologies éolienne et solaire photovoltaïque dans la transition vers un système énergétique décarboné), publié récemment par le Centre commun de recherche (CRC) de la Commission européenne, recense différentes actions possibles pour éviter les pénuries de matières premières, notamment le recyclage et le remplacement des matériaux critiques, grâce à des programmes de recherche et d’innovation dédiés.
48. La directive 2006/66/CE exige le recyclage d’au moins 50 % des matériaux contenus dans les batteries et les accumulateurs usagés et impose au producteur l’obligation de collecter les batteries usagées à ses frais avant de les recycler soit par ses propres moyens, soit à l’aide d’un partenaire issu d’une filière spécialisée. Le recyclage des batteries de voiture électrique est donc une obligation – fort appropriée – pour tous les constructeurs automobiles. L’industrie automobile devient consciente des enjeux économiques outre qu’environnementaux du recyclage des batteries et notamment de la chimie des batteries (voire des cellules) lithium-ion, et donc du lithium, mais aussi d’autres métaux tels que le cobalt, le nickel ou le manganèse.
49. La démarche consiste à retarder au maximum le recyclage, par la réutilisation des batteries qui ne répondent plus aux exigences d’une voiture électrique, et à réutiliser ensuite un maximum des matières premières issues du recyclage en «boucle courte», pour la fabrication de nouvelles batteries à destination de véhicules électriques. On réduit ainsi l’extraction et le transport de nouvelles ressources; de plus, dans ce schéma d’économie circulaire, la batterie lithium-ion gagne une valeur supplémentaire, et cela permet de réduire le coût répercuté sur l’acheteur d’une voiture électrique 
			(23) 
			La Commission européenne
a signé en 2018 avec plusieurs industriels européens un accord d’innovation
visant précisément à favoriser la réutilisation des batteries lithium-ion
avant que ne soit envisagé leur recyclage. Le Groupe Renault met
ainsi ses batteries lithium-ion au service du stockage stationnaire
de l’énergie pour prolonger au maximum leur durée de vie; voir <a href='https://easyelectriclife.groupe.renault.com/fr/tendances/technologie/enjeux-recyclage-batteries-voitures-electriques/'>ici</a> l’article en ligne «Les enjeux du recyclage des batteries
de voitures électriques»; et <a href='https://easyelectriclife.groupe.renault.com/fr/tendances/technologie/economie-circulaire-batterie-de-vehicule-electrique/'>ici</a> l’article en ligne «L’économie circulaire de la batterie
du véhicule électrique»..
50. L’exemple que je viens d’évoquer me permet également de reprendre ici certains propos de Mme Lazaric, qui me semblent particulièrement pertinents. Tout d’abord, il ne faut pas négliger l’impact économique de l’économie circulaire: en France, les études de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) mettent en évidence le fort potentiel de création d’emploi de l’économie verte, qui inclut l’économie circulaire et les énergies renouvelables: c’est dans le secteur de l’économie circulaire que l’on trouve la plus forte croissance de la valeur ajoutée et le nombre le plus important de brevets.
51. Par ailleurs, on remarque une forte dynamique entrepreneuriale des grands groupes, des start-ups et d’autres acteurs de l’économie circulaire, comme les coopératives et toutes les structures de l’économie sociale et solidaire qui agissent au niveau local, qui font de l’expérimentation sociale et innovante, offrent des dynamiques d’inclusion sociale et apportent des solutions locales et contextualisées face aux gros enjeux de l’économie circulaire.
52. Il faut aussi noter l’impact – dans ce cas bénéfique – de la réglementation: la réglementation environnementale (y compris sur l’énergie et les énergies renouvelables, mais aussi sur les déchets et le recyclage des plastiques, par exemple) a aiguillonné les acteurs industriels, a généré des innovations et des solutions technologiques et a encouragé la recherche sur de nouvelles questions scientifiques.
53. Il est également essentiel de créer les conditions d’une acceptation sociale des innovations, et donc de reconnaître l’importance des recherches en sciences humaines et sociales pour comprendre l’acceptabilité sociale de ces innovations, l’économie comportementale, les préférences environnementales, afin que l’économie circulaire puisse s’inscrire dans une dynamique offre/demande..
54. Enfin, il ne faut pas négliger le rôle des territoires et des régions en tant qu’acteurs de l’économie circulaire et de l’économie sociale et solidaire; il faut éviter l’approche descendante et s’intéresser aux acteurs qui mettent en place des solutions innovantes dans les territoires et les accompagnent, afin que l’économie circulaire puisse véritablement avoir un impact social et réduire les inégalités.

4. Quelques réflexions sur la gouvernance des politiques en matière de recherche

4.1. La nécessité de prendre en considération les enjeux géostratégiques

55. La production et le stockage des énergies renouvelables – et notamment l’énergie solaire et l’énergie éolienne – est gourmande en métaux et minerais rares. D’après les estimations avancées dans le rapport du CRC précédemment cité, en cas de scénario d’une demande élevée, la demande de nombreux matériaux essentiels devrait considérablement augmenter (à titre d’exemple, la demande de germanium serait multipliée par 86; celle d’indium, de gallium, de tellure, de cadmium et de sélénium par 36 à 40; celle de néodyme, de praséodyme, de dysprosium et de terbium par 14 à 16). D’où la forte pression exercée sur l’approvisionnement en matériaux. Par conséquent, le rapport met en avant la nécessité d’évaluer en permanence la demande future de matières premières essentielles afin de garantir la continuité des chaînes d’approvisionnement qui faciliteront le déploiement à grande échelle des énergies renouvelables, conformément à l’objectif stratégique visant à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.
56. Les document «Orientations relatives au premier plan stratégique pour Horizon Europe» de la Commission européenne (Orientations towards the first Strategic Plan for Horizon Europe) soulignent la nécessité de garantir la compétitivité et la souveraineté de l’industrie européenne. (page 81). À supposer que les gisements, déjà utilisés ou connus, de ces minerais puissent répondre, sur une période suffisamment longue, à une demande croissante de façon exponentielle (ce qui n’est probablement pas le cas), il ne faut pas sous-estimer les risques auxquels nous serions exposés en devenant dépendants des pays producteurs de ces minéraux rares, dont l’utilisation massive, en l’absence de leur recyclage intégral, ne peut qu’engendrer l’augmentation des prix, la raréfaction et l’épuisement.
57. Ne pas prendre dûment en compte ces risques dans le cadre des politiques de recherche, pour y parer, ne pourra que nous affaiblir. Notre transition énergétique doit se faire en préservant notre indépendance économique et, au fond, notre souveraineté. Nous devons prendre en compte le risque géopolitique dans l’orientation des efforts de recherche et d’innovation dans le domaine de la transition énergétique, au même titre que les contraintes économiques, sociales, et environnementales, car, à côté des enjeux de développement durable il y a aussi un enjeu de marché et d’autonomie stratégique 
			(24) 
			Ainsi, évoluer vers
un parc de véhicules entièrement électrifié ne saurait se faire
sans bien réfléchir au rapport de force entre l’Europe et la Chine.
Voir le procès-verbal de l’audition du 5 février 2021 et les données
fournis par M. Laboué à ce propos..
58. Le rapport susmentionné établi par le CRC recense différentes actions possibles pour éviter les pénuries de matières premières; il s’agit notamment de diversifier les approvisionnements, d’étendre les accords commerciaux et de promouvoir de nouvelles activités minières. Je souhaiterais cependant attirer l’attention sur deux autres recommandations clés du rapport: l’augmentation du recyclage et le remplacement des matériaux critiques, grâce à des programmes de recherche et d’innovation dédiés, qui devraient être envisagés chaque fois que cela est possible et économiquement faisable.
59. À ce dernier égard, il me semble regrettable qu’un projet novateur comme celui concernant la technologie des batteries sodium-ion rencontre des difficultés de visibilité et de financement qui font obstacle au passage d’une production des prototypes à une production à plus grande échelle visant la mise sur le marché; et il serait encore plus regrettable que la société française qui a développé cette technologie grâce au financement par des fonds gouvernementaux et de l’Union européenne soit obligée (faute d’alternatives) d’accepter l’offre alléchante qu’elle a reçue pour aller s’installer en Chine 
			(25) 
			Je me réfère ici au
projet développé par la société TIAMAT, lequel nous a été présenté
par le professeur Simon lors de notre audition du 5 février 2021.
Je renvoie au compte rendu de cette audition pour plus de détails
sur ce projet et les potentiels de cette technologie laquelle, je
crois, mérite d’être soutenue.. De telles situations doivent nous interpeller et les décideurs politiques ne doivent pas manquer de cohérence et de prévoyance.
60. En allant dans le bon sens, l’Alliance européenne des batteries (l’«Airbus des batteries») ne répète pas l’erreur commise avec les panneaux photovoltaïques 
			(26) 
			L’Union
européenne avait subventionné la demande tandis que la Chine avait
soutenu l’offre, avec pour conséquence que le marché européen du
photovoltaïque a été complètement écrasé par une offre extrêmement compétitive
de la part de la Chine.: l’Union européenne investit sur le développement de l’offre, et l’innovation et la recherche sont au cœur de ce dispositif. Le plan insiste sur les aspects environnementaux des batteries, sur l’économie circulaire, sur l’éco-conception; cela peut emmener l’Europe, à terme, à développer un avantage compétitif et à défendre ses intérêts. Par exemple, l’éco-conception et le recyclage permettront non seulement de limiter l’empreinte environnementale des batteries, mais aussi de récupérer des ressources qui ne se trouvent pas sur le continent européen (mais en Chine, en Inde, etc.). Il y a néanmoins des recherches à faire pour constituer des mines urbaines, en soutenant ainsi, en même temps, l’industrie locale européenne.

4.2. La mutualisation des efforts de recherche aux niveaux national et international

61. Quelles que soient les orientations stratégiques qu’il conviendra de donner à la recherche, travailler en synergie et mutualiser les efforts de recherche est une exigence. La démarche collaborative permet de mieux affronter trois ordres de difficultés:
  • la complexité et le caractère multidimensionnel des problèmes traités, qui impliquent des compétences et des expertises multiples dont les diverses parties prenantes ne disposent souvent que partiellement;
  • les lenteurs inhérentes à l’exploration et à la nécessité de tester les solutions pour ne sélectionner que des procédés et des produits prometteurs, lenteurs que l’approche collaborative aide à surmonter avec le partage des tâches (y compris en fonction des expertises respectives);
  • les coûts de la recherche, de l’expérimentation et de l’évaluation des solutions envisagées, du développement des produits et de leur mise sur le marché, toutes ces étapes engendrant des prises de risques financiers que des acteurs isolés ont bien du mal à assumer.
62. Le professeur Simon a présenté le cas du Réseau sur le stockage électrochimique de l’énergie (RS2E) et le cercle vertueux créé par les laboratoires qui font de la recherche fondamentale et, grâce aux établissements spécialisés dans le transfert technologique, la transfèrent vers les partenaires industriels. Selon lui, les grands projets de recherche européenne devraient davantage s’appuyer sur la structuration de la recherche faite au niveau national et renforcer le financement commun de projets laboratoires/industrie sur des sujet stratégiques. Dans ces projets-là, l’innovation est identifiée très rapidement dans les laboratoires et les start-ups sont là pour prendre le risque de l’innovation et croître rapidement avec le soutien des grandes compagnies pour développer la collaboration académique-industrielle; il faut donc renforcer depuis le début les synergies des laboratoires avec les industries sur des sujets identifiés.
63. Sur la même ligne, le professeur Steininger a souligné qu’une mutualisation des efforts pour faire fonctionner des chaînes de valeur ajoutée inter-entreprises est indispensable. Les recherches communes pourraient être le levier à activer pour promouvoir ce type de collaboration. Réussir la transformation vers une économie verte implique des solutions efficaces au niveau des sous-systèmes individuels, mais la connexion entre ces solutions est aussi cruciale; par conséquent, la gouvernance de la recherche doit promouvoir et soutenir les travaux sur ces connexions.
64. Pour améliorer la collaboration, les synergies et la mutualisation des efforts aux niveaux national, européen et mondial, le professeur Steininger propose de valoriser le rôle de la science. La conception, la création et la production conjointement entre scientifiques et parties prenantes est déjà largement une réalité et la science pourrait assurer partiellement la fonction de courtier d’information «neutre» entre la société et même la politique d’un côté, et l’industrie de l’autre: elle pourrait offrir une plateforme de dialogue pour échanger des informations. Néanmoins, de nouvelles compétences sont nécessaires pour que la science se joigne au dialogue entre praticiens et décideurs et il faudrait aussi promouvoir le dialogue entre parties prenantes et la recherche transdisciplinaire.
65. En ce qui concerne les synergies public-privé, il estime que les fonds de recherche nationaux et européens devraient être orientés davantage vers les demandes d’innovation à long terme 
			(27) 
			Par exemple, il propose
de cibler non seulement le captage et le stockage de carbone mais
aussi le captage et l’utilisation de carbone pour parvenir à une
économie réellement circulaire.. Il prône aussi la coopération entre universités et grandes entreprises et la création (à favoriser par des mesures incitatives), des consortiums de grandes entreprises pour collaborer avec les sciences financées par des fonds publics. Il souligne enfin l’importance de définir des domaines clés (par exemple les énergies renouvelables) dans lesquels une coopération entre l’Union européenne et l’extérieur est cruciale, ainsi que d’élaborer le cadre de la recherche en conséquence, de manière à ce que cette coopération soit mutuellement profitable.
66. M. Laboué a rappelé que les dépenses de recherche et développement de la Chine dépassent déjà celles de l’Union européenne: aucun pays d’Europe n’est en mesure, à lui seul, de dégager les capacités d’investissement suffisantes, ni de présenter un marché suffisant, sans le développement de synergies avec d’autres pays européens. À cet égard, les projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC), comme ceux concernant les batteries, ont un rôle clé à jouer pour engendrer les synergies européennes sur l’ensemble de la chaine des valeurs.
67. Plus généralement, il y a beaucoup de programmes européens auxquels toutes les parties prenantes, même les petits acteurs, peuvent prendre part; il est peut-être possible aux autorités nationales des pays de l’Union européenne de renforcer la dimension européenne de leurs politiques de recherche, et d’encourager et de soutenir la participation à ces programmes par des outils comme une meilleure information, conseil et assistance dans l’accomplissement des démarches et des procédures requises et des incitations financières.
68. Mme Lazaric a élargi notre horizon dans deux directions importantes. Premièrement, l’action politique (à tous les niveaux) ne doit pas perdre de vue le «bien commun»; ainsi, il ne faut pas que les enjeux privés priment sur les enjeux publics et relèguent ainsi le bien commun et les objectifs de développement durable à l’arrière-plan. Deuxièmement, concernant la recherche internationale, des nombreux acteurs (par exemple d’Afrique subsaharienne ou d’Asie du Sud-Est) sont complètement absents sur le sujet de l’économie décarbonée: il faut que des accords de coopération se mettent en place pour inclure tous les acteurs absents, afin qu’ils puissent être présents dans la recherche internationale.

5. Considérations finales et propositions d’actions

69. M. Berloznik nous a incités à encadrer la réflexion sur la politique en matière de recherche dans le contexte actuel: un «monde en mutation», où les changements sont rapides, y compris dans les systèmes de la science, de la technologie et de l’innovation (STI) et des connaissances; un monde dont les composantes sont interdépendantes. Il faut tenir compte des interconnexions, tant dans la prise de décision, que dans la recherche des réponses technologiques aux problèmes actuels: ces réponses sont forcément multisectorielles. Par ailleurs, les solutions (et donc les plans) politiques impliquent nécessairement plusieurs niveaux, du local à l’international, tant dans leur élaboration que dans la mise en œuvre.
70. La complexité actuelle tient également au nombre croissant d’acteurs dans le système de la STI. À côté des acteurs traditionnels, gouvernements, universités et secteur privé (ce qu’on appelait la «triple hélice»), les citoyens et les communautés sont entrés dans le système en apportant leur contribution au développement de nouvelles idées et de nouvelles approches. La participation des citoyens est, dans ce contexte, à la fois une exigence démocratique et une condition pour atteindre les résultats visés: ce sont eux qui portent le changement de paradigme et le réalisent par leur action.
71. L’interdépendance et la complexité entraînent, et rendent indispensable, une coopération axée sur des domaines et thèmes transversaux entre les chercheurs et les acteurs de la recherche et du développement; par exemple, les questions relatives à l’eau, la résilience climatique, l’énergie et la gestion des ressources vont de pair. De nouvelles communautés de recherche et développement («virtuelles», mais aussi «spatiales») se forment autour des thèmes émergents; par exemple, dans le domaine de l’énergie, il y a une concentration de savoirs dans des lieux spécifiques, où universités, instituts de recherche et start-ups travaillent ensemble pour développer les connaissances ainsi que des technologies et solutions utilisables, efficientes et effectives 
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			M. Berloznik
a donné l’exemple d’EnergyVille en Flandre.. Ces développements suscitent de nouveaux défis en matière de gouvernance, non seulement en ce qui concerne les financements et leur distribution mais aussi la manière de s’adapter à ces nouvelles complexités.
72. Dans ce contexte bouillonnant, les objectifs de développement durable indiquent la route. Leur acceptation et la conscience qu’il s’agit là de bâtir un avenir durable pour nos enfants progressent rapidement dans nos sociétés: ils doivent inspirer nos plans d’action, et orienter les efforts et les priorités de financement de la recherche, de l’innovation et du développement.
73. À cet égard, je conviens avec M. Berloznik que «l’avenir est aux politiques durables axées sur des solutions». Notre action politique ne doit pas se détourner du cap du développement durable; en même temps, cette action doit rester pragmatique et efficace, et doit viser des solutions concrètes, car nous n’avons plus de temps.
74. Il faut partir des solutions existantes, c’est-à-dire les technologies effectives qui sont prêtes à être commercialisées, soutenir leur mise sur le marché et leur montée en puissance. Cela nécessite des approches nouvelles et créatives 
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			M. Berloznik a donné
l’exemple du «Fonds vert pour le climat», un mécanisme financier
de la CCNUCC et de l’Accord de Paris, qui finance des incubateurs
et des accélérateurs spécialement destinés à repérer des technologies existantes
et durables pour essayer de les pousser sur le marché.. De même, au niveau national, nous devons utiliser au mieux les mécanismes de financement existants et les organisations qui s’emploient déjà à promouvoir et soutenir de nouvelles approches. Une idée intéressante 
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			Avancée par le Professeur Simon. est celle de développer une activité de veille dans des domaines stratégiques, (en se basant sur les start-ups) et regarder les innovations possibles pour identifier les pépites et en soutenir le développement.
75. Pour soutenir des projets innovants et le passage au stade de la commercialisation, il faut des financements significatifs et / ou le développement de partenariats avec des industriels fabricants. Il faut donc des mécanismes de financement qui puissent être actionnés avec une certaine flexibilité et rapidité et des incitations pour la création de ces partenariats recherche-industrie.
76. Il peut paraître maladroit ou naïf d’évoquer des efforts financiers dans une période où les finances publiques de tous nos pays sont mises extrêmement à mal par l’impact économique de la pandémie de covid-19 et par l’urgence de parer au désarroi social que cette pandémie a engendré dans les couches de population les plus vulnérables, en Europe et ailleurs. Pourtant, dans les efforts de reconstruction de nos sociétés et de nos systèmes économiques, c’est justement vers le monde de demain qu’il faut regarder et pas vers celui d’hier. Dans une certaine mesure, la crise est une opportunité de changement et il ne faut pas la rater. La recherche et l’innovation pour l’économie verte doivent faire partie des «bénéficiaires» des plans nationaux de relance post-crise.
77. Parmi les solutions de financement, il faudrait peut-être étudier des titres de dette publique destinés à la recherche stratégique dans les domaines de la transition énergétique et de l’économie circulaire: des «obligations vertes» à promouvoir auprès du grand public. Aussi, toujours avec l’idée de miser sur l’engagement de nos citoyens, les autorités publiques pourraient songer à soutenir la mise en place d’une plateforme nationale en ligne avec une sélection de projets innovants qu’un l’État s’engage à soutenir financièrement et qui seraient ouverts à un financement participatif. On pourrait envisager un accompagnement par les banques de tel ou tel projet ou du moins leur engagement à informer et conseiller leurs clients sur l’existence de ces projets participatifs.
78. La participation active et l’engagement des citoyens sont une clé de voûte pour bâtir l’économie verte. Pour réussir la transition écologique, un effort collectif s’impose et on doit y associer toutes les citoyennes et tous les citoyens; et ce, non au bout de la chaine mais dès le départ. L’économie comportementale ne doit pas corriger le tir à la fin du processus, mais permettre aux citoyens de concevoir conjointement les solutions techniques et les innovations de demain. Les citoyennes et les citoyens doivent savoir qu’elles ou ils sont protagonistes et non spectatrices ou spectateurs.
79. La recherche et l’innovation ont une importance géostratégique majeure dans le domaine de la transition énergétique et de l’économie circulaire. Nos choix doivent également tenir compte du risque pour notre industrie d’une adhésion aveugle et trop rapide à une technologie dont nous n’avons pas une maitrise suffisante et du risque d’une dépendance de l’approvisionnement de matières premières ou composantes stratégiques, qui fragiliserait l’autonomie politique européenne.
80. Les enjeux économiques et stratégiques qui se trouvent derrière le progrès technologique peuvent dans certains cas faire obstacle à la coopération internationale dans les domaines de la transition énergétique et de l’économie circulaire. Il est néanmoins dangereux de renoncer à une collaboration forte dans ces domaines de recherche. La lutte contre le changement climatique est une question absolument essentielle, qui nous concerne toutes et tous; nous devons contribuer à rechercher les bonnes solutions et être capables de les partager.
81. Nous devons déjà nous efforcer de le faire davantage dans le cadre européen. Les 27 États membres de l’Union européenne avancent dans cette direction, comme le programme Horizon Europe et le précédent programme Horizon 2020 le montrent clairement; mais l’Europe est plus vaste et nous devrions être capables de travailler ensemble (par exemple, dans le cadre des programmes de recherche transnationaux) à l’échelle de la grande Europe.
82. À cet égard, j’imagine un rôle clé pour le Conseil de l’Europe, une nouvelle piste de travail pour renforcer les liens qui nous unissent et la solidarité entre nos peuples: je propose de réfléchir à un cadre – un accord partiel élargi, par exemple – pour progresser ensemble en mettant en commun idées et moyens de recherche pour des projets ciblés. La Banque de développement du Conseil de l’Europe pourrait peut-être aussi apporter son expertise et aider à créer des mécanismes de financement pour ces projets de recherche communs. Nous pourrions également réfléchir à la création d’une banque des ressources stratégiques, pour créer des stocks et les gérer de façon mutuellement bénéfique, pour renforcer l’indépendance stratégique de tous nos pays.
83. Par ailleurs, il n’est probablement pas suffisant, même s’il est nécessaire, d’avancer en Europe dans la bonne direction si d’autres régions restent à la traîne; l’impact de l’inaction ou du manque d’efficacité dans les autres régions de la planète sera de toute façon global, car les conséquences du changement climatique sont à l’échelle mondiale. Et là aussi, la mutualisation des efforts peut devenir un outil non seulement d’un développement durable partagé mais aussi de paix et d’amitié entre les peuples.
84. Réduire les effets du changement climatique en développant les énergies renouvelables, en découvrant des énergies nouvelles et en inventant des méthodes de recyclage de l’ensemble des matières premières, et tout cela grâce à la recherche scientifique et technologique, constitue un défi fascinant pour l’Europe et pour le monde. Le sauvetage de la planète n’est pas incompatible avec le progrès et passe même pour une grande partie par le progrès. Imaginer des modes de collaboration entre États au sein du Conseil de l’Europe, conformément à nos statuts, pourrait être une piste de travail pour notre Organisation; les citoyens européens attendent des réponses fortes dans le domaine de l’environnement et, dans l’esprit de la construction européenne, ce sont les solidarités de fait que nous arriverons à créer, aujourd’hui au niveau de la Grande Europe, qui permettront de rapprocher les peuples et de garantir le maintien de la paix dans les prochaines décennies.