1. Introduction
1. Le modèle économique et de
développement de nos sociétés est en train de nous mener vers une catastrophe
annoncée, dont les prodromes sont bien visibles. Non seulement nous
épuisons les ressources naturelles nécessaires à notre vie, mais
aussi aucun des écosystèmes n’est épargné par l’action de l’homme et
la dégradation de notre biosphère ne cesse de progresser Le dérèglement
climatique, avec sa cohorte d’effets néfastes, est l’un des exemples
les plus parlants de l’abîme qui nous attend si nous ne changeons
pas de route.
1.1. La
nécessité de parvenir à la neutralité carbone d’ici 2050
2. Le document final du Sommet
des Nations Unies consacré à l’adoption du programme de développement
pour l’après-2015: «
Transformer
notre monde: le Programme de développement durable à l’horizon 2030» (adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies
le 25 septembre 2015)
fixe l’objectif 13 «Prendre d’urgence
des mesures pour lutter contre les changements climatiques et leurs
répercussions» et, dans ce contexte, appelle à «incorporer des mesures
relatives aux changements climatiques dans les politiques, les stratégies
et la planification nationales» (cible 13.2). Le même document,
dans le cadre de l’objectif 12 «Établir des modes de consommation
et de production durables», prévoit comme cible celle de «réduire
nettement la production de déchets par la prévention, la réduction,
le recyclage et la réutilisation» (cible 12.5).
3. Dans la droite ligne de ces objectifs, 196 Parties à la «Convention-cadre
des Nations Unies sur les changements climatiques» (CCNUCC), réunies
à Paris lors de la COP 21, ont adopté le 12 décembre 2015 l’
Accord de Paris ,
qui est entré en vigueur le 4 novembre 2016
et a été ratifié par 46 États membres
du Conseil de l’Europe et par l’Union européenne. L’objectif central
de ce traité international est de «renforcer la riposte mondiale
à la menace des changements climatiques, dans le contexte du développement
durable et de la lutte contre la pauvreté» notamment en «contenant
l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en
dessous de 2°C» et de poursuivre «l’action menée pour limiter l’élévation
de la température à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels»
(article 2)
. Pour concrétiser cet objectif, les Parties
sont appelées à réduire le plus rapidement possible les émissions
de gaz à effet de serre (GES), afin de parvenir à la neutralité
climatique au cours de la deuxième moitié du siècle (article 4).
4. Dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord de Paris, la
plupart des pays du monde ont pris des engagements sérieux pour
réduire ou minimiser leurs émissions; ces engagements sont connus
sous le nom de «contributions déterminées au niveau national» ou
CDN. L’Union européenne s’efforce de donner l’exemple et vise à
atteindre l’objectif de zéro émission nette de GES d’ici à 2050.
La France et le Royaume-Uni ont déjà inscrit cet objectif dans la
loi.
5. Cependant,
le
rapport 2020 du Programme des Nations Unies pour l’environnement
sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de
réduction des émissions constate qu’il y a une incohérence entre les niveaux
d’émission de GES qui résultent des politiques actuelles, ceux envisagés
par les CDN actuelles d’ici à 2030 et, surtout, ceux permettant
d’atteindre l’objectif de zéro émission nette d’ici à 2050. Conformément
à ce rapport, les CDN actuelles sont nettement insuffisantes pour
atteindre les objectifs climatiques de l’Accord de Paris: en l’état,
elles conduiraient à une augmentation des températures d’au moins
3° C d’ici la fin du siècle. La Commission de l’Union européenne
(UE) fait un constat analogue dans sa communication du 11 décembre 2019,
qui propose à l’Union européenne et à ses citoyens un pacte vert
pour l’Europe
.
6. Dans un rapport récent, le groupe de réflexion EMBER
a
analysé les plans nationaux énergie-climat (PNEC)
, présentés par les
États membres de l’Union européenne fin 2019, afin d’évaluer les
progrès escomptés dans le secteur de l’électricité au cours de la
prochaine décennie qui sera décisive. Selon le rapport, la production
d’électricité renouvelable devrait presque doubler afin d’assurer
d’ici 2030 près de 60 % de la consommation de l’Union européenne; malgré
cela, un quart de l’électricité européenne devrait encore provenir
de combustibles fossiles, la production à partir de charbon ne diminuant
que de moitié au cours de la prochaine décennie et aucun plan ne
prévoyant de réduire le recours au gaz naturel. Le rapport conclut
qu’à moins de rectifier le tir, l’Union européenne ne sera pas en
mesure d’atteindre la réduction de 55 % du volume total des émissions
d’ici à 2030.
7. Agir rapidement et efficacement dans ce domaine est une condition
nécessaire pour la sauvegarde non seulement du droit à un environnement
sain, mais aussi du droit à des conditions de vie décentes pour
toutes et pour tous, voire du droit à la vie tout court, car les
conséquences du dérèglement climatique, de même que les effets de
l’épuisement progressif des ressources que nous surexploitons, seront
dramatiques pour des centaines de millions de personnes, notamment
pour les plus vulnérables, et saperont la cohésion sociale, la stabilité
démocratique et la paix dans toutes les régions du globe. Nous sommes
à un tournant: les choix que nous faisons aujourd’hui détermineront
radicalement notre demain et celui des générations futures.
1.2. Champ
de l’enquête et axes principaux de l’analyse
8. Les politiques dans le domaine
de la recherche et de l’innovation ont un rôle essentiel à jouer
pour aiguiller et soutenir la quête de solutions efficaces et promouvoir
les avancés scientifiques et techniques, mais aussi les choix entrepreneuriaux
et les comportements sociaux, permettant d’évoluer vers un modèle
de développement durable
.
9. Comme la Commission européenne l’affirme dans sa communication
du 11 décembre 2019, «Les nouvelles technologies, les solutions
durables et l’innovation de rupture sont essentielles pour atteindre
les objectifs du pacte vert pour l’Europe.» Dans ce contexte, la
Commission a lancé
Horizon
Europe, le programme-cadre pour la recherche et l’innovation
de l’Union européenne pour la période 2021-2027; ce programme, en
synergie avec d’autres programmes de l’Union européenne, sera essentiel
pour mobiliser les investissements nationaux publics et privés,
et pour promouvoir les partenariats verts dans le domaine de la recherche
et de l’innovation.
10. Un rapport visant les politiques de recherche peut paraître
assez éloigné des thématiques concernant les droits de l’homme,
la démocratie et l’État de droit; pourtant, nous sommes au cœur
de la question d’une protection efficace de l’environnement. C’est
la recherche (et les instruments développés grâce à la recherche) qui
nous permet de surveiller l’évolution de l’état de notre planète,
d’identifier les problèmes et de modéliser les scénarios sur l’impact
des diverses mesures envisageables. Et c’est la recherche qui peut
nous apporter les solutions innovantes dont nous avons besoin pour
contrer à la fois la paupérisation de notre planète et le phénomène
du changement climatique, et assurer le développement durable de
nos sociétés.
11. Mon rapport vise à attirer l’attention des États membres du
Conseil de l’Europe sur l’urgence de repenser et peut-être de recentrer
les politiques de recherches afin qu’elles puissent mieux servir
la réalisation de l’objectif de réduire les émissions de GES
et parvenir à la neutralité climatique
d’ici 2050.
12. À cet égard, j’aborderai deux questions clé. Une première
question porte sur l’orientation qu’il convient de donner à la recherche:
quelles sont les pistes de recherche à privilégier et, donc, quelle
recherche faut-il financer de façon prioritaire pour mieux s’armer
et lutter efficacement contre les changements climatiques? Une deuxième
question concerne la gouvernance de la politique de recherche: que
doivent retenir les décideurs politiques et quels sont les piliers
sur lesquels la stratégie de recherche doit reposer pour optimiser son
impact?
13. Mon analyse ne couvre que partiellement les multiples options
existantes et les nombreuses questions plus spécifiques qui se posent.
Je m’efforcerai néanmoins de mettre en lumière quelques éléments,
dont une prise en compte attentive me semble nécessaire, et d’identifier
des lignes d’action que les décideurs politiques pourraient suivre
pour (re)orienter les politiques en matière de recherche vers l’objectif
d’une économie verte.
14. Une évolution profonde de nos systèmes économiques est nécessaire
si nous voulons sauver notre planète et plusieurs facteurs interconnectés
entrent en ligne de compte. Entre autres, pour réduire le gaspillage d’énergie
et de ressources (y compris notre consommation d’eau), il faut repenser
un modèle économique trop fondé sur la (sur)consommation, il faut
avoir le courage de s’opposer à l’obsolescence programmée des produits
et revoir nos habitudes de consommation, réfléchir à une meilleure
organisation de nos espaces de vie, de nos villes et de nos systèmes
de transport, concevoir et bâtir un habitat moins gourmand en énergie, tant
dans la phase de construction que dans son utilisation, etc.
15. Néanmoins, nous savons aussi que la croissance de la population
mondiale, le développement social et économique (qui doit bénéficier
à tous et non seulement à quelques-uns) et le progrès lui-même,
avec les nouveaux horizons qu’il ouvre et les nouvelles ambitions
humaines qu’il engendre (il suffit de songer à la consommation énergétique
liée à l’expansion du monde numérique, et aux nouveaux projets de
conquête spatiale et de colonisation d’autres planètes) ne permettent
pas, me semble-t-il, d’envisager des scénarios avec une consommation
d’énergie décroissante.
16. Il nous faudra de plus en plus d’énergie. La réduction de
l’empreinte carbone des activités humaines passe donc nécessairement
par une production d’énergie décarbonée
.
Pour cette raison, en ce qui concerne la première question évoquée
ci-avant, mon analyse portera d’abord sur les sources d’énergie
du futur. Néanmoins, il ne faut pas oublier que la consommation
actuelle des ressources n’est pas soutenable; un autre axe essentiel
de la recherche est donc celui qui porte sur l’économie circulaire.
Le rapport abordera cet aspect en ayant égard à la recherche qui
a pour objectif la réduction, le recyclage et la réutilisation des
ressources dont nos économies sont si gourmandes, y compris celles
nécessaires à la transition énergétique, sans lesquelles le développement
s’arrêterait. Enfin, concernant la gouvernance de la recherche,
je souhaite traiter de la nécessité de valoriser les synergies,
la mutualisation des efforts et le partage des connaissances aux niveaux
national, européen et mondial.
17. Je fonde également mon analyse et mes propositions sur les
contributions des expert.e.s qui ont participé à notre audition
du 5 février 2021; je leur suis reconnaissant pour leur aide précieuse
à nos travaux
.
2. La recherche sur les énergies propres
18. Nous pouvons emprunter plusieurs
trajectoires d’atténuation pour respecter la limite de 1,5°C. Toutefois, dans
les scénarios modélisés par le Groupe d’experts intergouvernemental
sur l’évolution du climat (GIEC), toutes les trajectoires compatibles
avec l’objectif des 1,5°C présentent certaines caractéristiques
communes, notamment l’abandon progressif et massif de l’utilisation
du charbon d’ici le milieu du siècle, les énergies renouvelables
représentant à l’avenir la majorité de l’approvisionnement en électricité,
et l’électrification progressive d’une consommation énergétique
plus efficace
. Il est par conséquent essentiel
de réaliser des progrès rapides dans le secteur de l’électricité
pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C.
19. À cet égard, la transition énergétique pose un problème nouveau:
il ne s’agit plus d’identifier et d’apprendre à exploiter efficacement
des nouvelles sources d’énergie qui viendraient s’ajouter aux sources fossiles
actuellement dominantes, pour satisfaire une demande croissante,
mais de remplacer – aussi rapidement que possible – par des sources
d’énergie décarbonée les combustibles fossiles: gaz naturel, charbon
et pétrole, dont la production d’énergie est encore largement dépendante
.
20. Le défi à relever pour atteindre l’objectif de zéro émission
de carbone est énorme: s’il peut s’avérer facile de porter à 50 %
la part des énergies renouvelables dans la production d’électricité,
la question est ensuite de savoir comment parvenir à 75 %, sachant
que les derniers 25 % deviennent extrêmement difficiles à atteindre
.
2.1. Cap
sur le solaire, mais pas seulement
21. Le rayonnement solaire, le
vent, les vagues, les marées, les courants marins ou fluviaux, la
chaleur du noyau de notre planère constituent autant de sources
d’énergie propre pour lesquelles des technologies d’exploitation
existent, même si à différents niveaux de maturité. Chacune de ces
sources nous assure en théorie une surabondance d’énergie propre,
mais toutes rencontrent des obstacles à leur développement.
22. Il est fort probable que, pour une transition énergétique
efficace et rapide, un bon «mix énergétique» soit la solution qui
s’impose, du moins pour les prochaines décennies. Par ailleurs,
les conditions (y compris les contraintes qui découlent du niveau
de développement socio-économique) et les opportunités (par exemple celles
liées aux ressources locales) peuvent varier fortement d’un pays
à un autre et d’une région de notre planète à une autre. Néanmoins,
ce constat n’aide pas beaucoup lorsqu’il s’agit d’orienter la recherche.
23. Sur un plan plus général (et en misant aussi sur des formes
de partage global), sur quelle(s) source(s) d’énergie propre faut-il
miser, peut-être pas de façon exclusive mais au moins prioritaire?
Actuellement (après l’énergie hydraulique, qui néanmoins ne saura
être la réponse) c’est le vent la source qui, en termes de production
mondiale d’énergie électrique propre, est en tête de liste; néanmoins,
le soleil est la source d’énergie renouvelable qui semble avoir
le plus grand potentiel tant à court qu’à plus long terme.
24. Les raisons qui militent en faveur de l’énergie solaire sont
essentiellement les suivantes:
- les
radiations solaires sont une source d’énergie extrêmement facile
d’accès, librement disponible partout et pour tous et une petite
fraction de cette énergie peut, à elle seule, répondre à la demande globale
d’énergie, sans crainte de pénurie et pour toute la durée de vie
de notre planète;
- la production d’énergie électrique à partir des radiations
solaires n’est pas en soi polluant; elle est sans émissions (y compris
sans émissions sonores) et le procédé lui-même ne génère pas de
déchets et ne consomme pas d’eau;
- la production d’électricité par les techniques photovoltaïques
est modulaire et peut être localisée au plus proche de la consommation,
tant en milieux urbain que dans des zones difficiles d’accès et
avec une faible concentration de population, où d’autres technologies
seraient moins adaptées; en particulier, les avancées technologiques
et les nanotechnologies ouvrent déjà vers des solutions qui devraient permettre
non seulement une parfaite intégration de systèmes photovoltaïques
aux surfaces vitrées, mais aussi aux surfaces de toute forme, y
compris flexibles, voire même aux tissus;
- d’ores et déjà, l’Agence internationale de l’énergie considère
le photovoltaïque (PV) comme la source d’énergie la moins chère.
25. Même si l’ensemble de ces arguments me semble fort convaincant,
cela ne nous exempte pas d’une réflexion plus approfondie, essentiellement
pour deux raisons: la première est que le développement du solaire (comme
celui des autres sources renouvelables) n’est pas sans poser quelques
problèmes; la deuxième est que, de facto, d’autres industries sont
déjà en état de marche et prennent racine (y compris en termes de développement
économique et d’emplois) et, puisqu’elles aussi peuvent contribuer
à atteindre l’objectif de neutralité carbone, il serait insensé
de les négliger totalement.
2.2. Les
défis de la transition énergétique
26. Pour orienter l’effort de recherche,
il faut analyser de façon objective toutes les contraintes – économiques,
sociales, environnementales et temporelles – qui peuvent rendre
périlleux certains chemins. Le risque est probablement inhérent
à toute politique de recherche et d’innovation; encore faut-il bien
le connaître et l’évaluer, pour n’accepter que la part de risque
inéluctable, en l’absence d’alternatives valables. Et il faut bien
comprendre les conséquences de nos choix stratégiques: ce n’est
qu’en avançant en connaissance de cause et en ayant bien identifié
les écueils que nous pouvons atteindre nos buts.
27. À titre d’exemple, l’électrification des transports est, à
n’en pas douter, une évolution essentielle tant pour atteindre la
neutralité climatique que pour améliorer la qualité de vie dans
nos centres urbains; nous misons donc sur les voitures électriques.
Cependant, il faut produire l’énergie électrique (propre) nécessaire pour
charger les batteries des voitures électriques. Si l’électricité
du réseau est produite avec des sources fossiles, la voiture (pour
ainsi dire) propre lors de son utilisation ne réduit pas réellement
l’empreinte carbone de la mobilité: cette empreinte a été simplement
déplacée. Cela nous ramène donc à la question d’une production primaire
d’énergie avec des sources propres.
28. Les sources d’énergie renouvelable sont sous nos yeux, et
les prouesses technologiques et les innovations scientifiques visant
à leur meilleure utilisation suscitent l’enthousiasme; néanmoins,
leur exploitation n’est pas encore si simple que cela
, et la recherche a justement pour
tâche de nous apporter les bonnes réponses.
29. Parmi les contraintes les plus évidentes qui peuvent freiner
la transition énergétique, il y a les coûts: ceux de la recherche
et de l’expérimentation, des structures de production (à créer ou
à adapter) et des produits eux-mêmes (y compris les coûts des matériaux
de base et d’une main d’œuvre spécialisée), ainsi que ceux auxquels
il faut faire face pour faire évoluer le réseau électrique.
30. Minimiser les coûts est l’un des enjeux de la recherche. Il
s’agit, bien évidemment de regarder tout le cycle et tous les éléments
qui entrent en ligne de compte pour la production et la distribution
ou le stockage des énergies renouvelables. Néanmoins, le coût n’est
plus dans l’immédiat un obstacle majeur, du moins en Europe, car
pour certaines technologies «mûres», notamment dans les secteurs
du solaire et de l’éolien, ces coûts sont à présent très compétitifs.
31. Le coût pour le développement et la mise sur le marché des
diverses technologies explorées est une donnée d’importance pour
les décideurs politiques et il ne faut pas oublier que nous cherchons
des solutions valables à l’échelle mondiale et non seulement pour
les pays riches. Néanmoins, il convient aujourd’hui de relativiser
son importance et de ne pas lui donner un poids prépondérant: il
faut que le processus décisionnel concernant nos investissements
énergétiques – y compris dans la recherche – intègre et prioritise
la nécessité de répondre rapidement à la dégradation de l’environnement
et à la crise climatique.
32. Un élément important – et un autre axe de recherche – est
celui de la performance énergétique, ou plus précisément le «taux
de retour énergétique» (TRE), soit la quantité d’énergie finale
utilisable (produite par un équipement durant son cycle de vie)
divisée par la quantité d’énergie dépensée pour l’obtenir (y compris l’énergie
utilisée pour construire l’équipement, puis pour en assurer le fonctionnement).
Le TRE donne ainsi une mesure de la rentabilité, sur le plan énergétique,
d’un projet. Les technologies de production d’énergie renouvelable
ont déjà pris l’avantage sur les sources fossiles
, mais cela
ne doit pas freiner les efforts de recherche pour améliorer ultérieurement
la performance énergétique des équipements, tant en termes de rendement
que de durée de vie.
33. La performance des équipements et leur durée de vie entrent
en ligne de compte aussi, conjointement aux matériaux utilisés,
pour évaluer un autre aspect très significatif: l’impact environnemental.
Nous sommes tous sensibles à l’impact désastreux des sources fossiles;
néanmoins, il faut avoir aussi pleinement conscience des dommages
liés à l’extraction des métaux et minerais rares utilisés dans les
divers équipements de production et de stockage des énergies renouvelables.
Nos sociétés européennes refusent d’assumer ces coûts, mais ils
existent: les populations d’autres régions de notre planète les
subissent. Ignorer ces coûts (ou les sous-évaluer, pour avoir la
conscience tranquille) ne fera pas avancer la cause environnementale
au niveau global. La transition énergétique nous oblige peut-être,
du moins à ce stade, à «faire avec» ces coûts, mais la recherche
doit être orientée pour les réduire autant que possible: il faut
trouver des solutions de remplacement et les valoriser.
34. Par ailleurs, outre la pollution et les autres dommages environnementaux
induits par l’extraction minière, les décideurs politiques ne peuvent
pas faire abstraction d’autres formes d’impact environnemental que
la production d’énergie renouvelable peut avoir. On peut évoquer
la pollution visuelle et sonore des parcs éoliens, ou les risques
engendrés par les techniques de fracturation utilisées (du moins
à ce jour) pour exploiter la géothermie. Il faut aussi tenir compte
de la présence de substances dangereuses pour la santé éventuellement utilisées
(comme le plomb, par exemple). Ce sont des éléments qu’il est avisé
de prendre en compte, dans le cadre des politiques de recherche
afin d’avancer vers les solutions pouvant minimiser cet impact.
35. Lorsqu’on parle des équipements, il ne s’agit pas seulement
de ceux qui captent les énergies renouvelables pour les transformer
en énergie électrique, mais aussi de ceux qui sont nécessaires, éventuellement,
pour stocker l’énergie électrique et la distribuer ensuite. À cet
égard, il ne faut pas perdre de vue que nous avons besoin d’énergie
à la demande. Les combustibles fossiles et le nucléaire répondent
bien à cette exigence. Les centrales nucléaires et les centrales
thermiques qui utilisent les sources fossiles (dans les limites
de leur capacité) peuvent produire et distribuer de l’énergie électrique
de façon modulable, en fonction des besoins, sans gaspillages et
sans ruptures
.
36. Le vent et le soleil ne peuvent garantir une production d’électricité
régulière (celle-ci étant dépendante de l’ensoleillement et de l’intensité
du vent, qui connaissent des fluctuations importantes liées au cycle
jour-nuit, et à l’alternance des saisons) et modulable à la demande (elle-même
variable dans la journée et selon les saisons). Lorsque la production
est insuffisante, il faut la compléter et lorsqu’elle est intense,
l’énergie produite n’est pas (entièrement) introduite dans le réseau
ou consommée immédiatement. Pour ne pas perdre cette énergie – et
pouvoir l’utiliser lorsque la production baisse – il faut la stocker.
Aujourd’hui, le coût des technologies de stockage (soit des batteries)
est suffisamment bas et donc le stockage est une solution qui pourrait
convenir pour les cycles quotidiens (jour-nuit). Néanmoins, le stockage
doit faire face à ses propres défis et il a ses propres contraintes:
ainsi, il ne semble pas envisageable comme solution pour compenser
les importantes fluctuations saisonnières dans la production d’énergie
photovoltaïque.
37. L’importance de cette question est amplifiée par le fait que
progresser vers des économies neutres en carbone implique l’utilisation
de l’énergie électrique pour (presque) tout, et en particulier pour
les transports et le chauffage. Cela augmentera considérablement
la demande d’électricité, et rendra absolument nécessaire d’assurer
à la fois un flux d’énergie régulier et des réseaux électriques
solides, résilients et sécurisés. Là aussi, la recherche et le développement
des infrastructures ont un rôle clé à jouer, pour explorer les diverses
pistes d’évolution qui devraient permettre la décentralisation dans
la production d’énergie, mais aussi l’injection du surplus des productions
individuelles dans le réseau principal, la création de mini réseaux
et leur interconnexion, voire aussi la possibilité de connexions
entre réseaux au niveau intercontinental et d’un hémisphère à l’autre.
38. Cette dernière piste est celle qui a été exposée à notre commission
comme solution potentielle pour résoudre le problème des fluctuations
saisonnières dans la production d’énergie photovoltaïque
et
avancer vers un système mondial d’énergie propre. Pour aller dans
ce sens, le professeur Steininger a énuméré quelques questions concernant
la politique de recherche et d’innovation, par exemple l’ingénierie,
la physique et les travaux préparatoires de la transmission intercontinentale
par câble et en eaux profondes.
39. Cette option est intéressante sur le plan économique et sur
le plan du développement mutuel. Cependant, elle exige une forte
collaboration internationale, ainsi qu’un niveau très élevé de confiance réciproque
entre les partenaires, tant pour sécuriser la mise en œuvre du projet
(qui implique aussi un développement simultané par les diverses
parties prenantes des capacités de production) que pour la gestion du
système de transmission de l’énergie; et elle pose aussi la question
de la sécurité et de la résilience du système, car – au-delà de
la bonne volonté et fiabilité des partenaires – nous vivons malheureusement
dans un monde où la menace terroriste est constamment présente;
endommager un système de transmission d’énergie semble plus facile
que de le réparer.
40. Le professeur Steininger a noté qu’il existe aujourd’hui une
forte demande en hydrogène et en électricité renouvelable dans l’industrie
et il a évoqué la «gestion carbone circulaire» en expliquant que
la demande pour la conversion de la production d’acier et le captage
et l’utilisation de carbone dans l’industrie du ciment dépasserait
de loin, à elle seule, la capacité restante d’électricité renouvelable
supplémentaire dans de nombreux pays, sans parler des autres demandes
(transports, pompes à chaleur des ménages, autres secteurs). Ici,
les thèmes de la recherche seraient les alternatives à l’hydrogène
(car il y a beaucoup de pertes de conversion) pour certaines applications,
et les systèmes de fonctionnalités intégrés, et donc les systèmes intégrés
d’énergie renouvelable. Ces remarques nous offrent un premier exemple
d’interconnexion entre le thème de la transition énergétique et
celui de l’économie circulaire.
41. Enfin, la recherche pour développer les énergies renouvelables
actuelles et réduire leur empreinte environnementale ne doit pas
nous empêcher de rechercher en parallèle des sources d’énergies
nouvelles. En effet, nous ne sommes qu’au XXIème siècle et l’humilité
doit nous incliner à penser qu’il existe probablement dans la nature
des sources d’énergies que l’Humain n’a pas encore découvertes.
Ainsi, la connaissance et la maîtrise de l’énergie atomique ont
moins d’un siècle et il est très vraisemblable que d’autres découvertes
restent à établir. Pour cela il est nécessaire de renforcer les
efforts de recherche fondamentale sur les énergies du futur et de
veiller à échanger au sein de la communauté scientifique sur toute
avancée qui pourrait se révéler intéressante en ce sens. De même,
il est important que les États, malgré la crise sanitaire et ses
coûts économiques ne renoncent pas aux projets scientifiques de
recherche qui permettront peut-être de développer nos connaissances
vers la maîtrise future d’une énergie durable, abondante et bon
marché.
3. La
recherche en matière d’économie circulaire
42. Il ne saurait y avoir de développement
durable sans un changement radical en faveur de l’économie circulaire.
Au sein de l’Union européenne, ce constat est évident: la Commission
européenne a adopté un nouveau
plan
d’action pour une économie circulaire – l’un des principaux éléments du «
Pacte
vert pour l’Europe», la nouvelle stratégie de l’Europe pour une croissance
durable.
43. L’économie circulaire est un modèle de production et de consommation
qui vise à prolonger le cycle de vie des produits, afin de réduire
l’utilisation de matières premières et la production de déchets.
Lorsqu’un produit arrive en fin de vie, l’objectif est de récupérer
les ressources et de les maintenir dans le cycle économique pour
recréer de la valeur sans consommer d’autres ressources ultérieures.
44. Ainsi, l’économie circulaire s’oppose au modèle économique
linéaire traditionnel qui consiste à «prélever-fabriquer-jeter»,
ainsi qu’à l’obsolescence programmée. Il s’agit de «refermer le
cycle de vie» des produits, des services, des déchets, des matériaux,
de l’eau et de l’énergie, conformément à l’approche que l’on synthétise
dans les «trois R»:
Réutiliser, Réparer
et Recycler.
45. Développer l’économie circulaire est une nécessité. Elle découle
d’emblée du fait que les ressources (pas seulement celles énergétiques)
que nous utilisons sont limitées; leur réutilisation réduit le risque
de pénurie et, dans certains cas (comme celui des minéraux rares)
aide aussi à préserver l’indépendance, voire la souveraineté, économique
de nos États. Cette nécessité est d’autant plus évidente que notre
modèle économique se fonde aussi sur le caractère périssable des
produits commercialisés et donc sur le besoin pour les utilisateurs
de les remplacer périodiquement; un modèle économique qu’il conviendrait
de remettre en question.
46. Il est tout aussi urgent d’aller vers une économie circulaire
dans un souci de protection de l’environnement. Il suffit de songer
aux difficultés croissantes que nous rencontrons dans la gestion
des déchets non recyclés et à la pollution que leur dispersion dans
les sols ou dans la mer engendre. Un exemple qui vient immédiatement
à l’esprit est celui du plastique: trouver la méthode de décomposer
de manière rapide, peu coûteuse et non polluante tous les matériaux
plastiques pour réutiliser ensuite leurs composants de base constituerait
une avancée majeure vers une véritable économie circulaire. Parmi
les sujets de recherche du CNRS en France (recherche qui inclut
les sciences sociales également)
, je souhaite insister sur
les procédés de récupération des métaux critiques et des terres
rares.
47. Un rapport intitulé
Raw
materials demand for wind and solar PV technologies in the transition
towards a decarbonised energy system (
Demande de matières premières
pour les technologies éolienne et solaire photovoltaïque dans la
transition vers un système énergétique décarboné), publié
récemment par le Centre commun de recherche (CRC) de la Commission
européenne, recense différentes actions possibles pour éviter les
pénuries de matières premières, notamment le recyclage et le remplacement
des matériaux critiques, grâce à des programmes de recherche et
d’innovation dédiés.
48. La directive 2006/66/CE exige le recyclage d’au moins 50 %
des matériaux contenus dans les batteries et les accumulateurs usagés
et impose au producteur l’obligation de collecter les batteries
usagées à ses frais avant de les recycler soit par ses propres moyens,
soit à l’aide d’un partenaire issu d’une filière spécialisée. Le recyclage
des batteries de voiture électrique est donc une obligation – fort
appropriée – pour tous les constructeurs automobiles. L’industrie
automobile devient consciente des enjeux économiques outre qu’environnementaux
du recyclage des batteries et notamment de la chimie des batteries
(voire des cellules) lithium-ion, et donc du lithium, mais aussi
d’autres métaux tels que le cobalt, le nickel ou le manganèse.
49. La démarche consiste à retarder au maximum le recyclage, par
la réutilisation des batteries qui ne répondent plus aux exigences
d’une voiture électrique, et à réutiliser ensuite un maximum des
matières premières issues du recyclage en «boucle courte», pour
la fabrication de nouvelles batteries à destination de véhicules
électriques. On réduit ainsi l’extraction et le transport de nouvelles
ressources; de plus, dans ce schéma d’économie circulaire, la batterie
lithium-ion gagne une valeur supplémentaire, et cela permet de réduire
le coût répercuté sur l’acheteur d’une voiture électrique
.
50. L’exemple que je viens d’évoquer me permet également de reprendre
ici certains propos de Mme Lazaric, qui
me semblent particulièrement pertinents. Tout d’abord, il ne faut
pas négliger l’impact économique de l’économie circulaire: en France,
les études de l’Institut national de la statistique et des études économiques
(INSEE) mettent en évidence le fort potentiel de création d’emploi
de l’économie verte, qui inclut l’économie circulaire et les énergies
renouvelables: c’est dans le secteur de l’économie circulaire que
l’on trouve la plus forte croissance de la valeur ajoutée et le
nombre le plus important de brevets.
51. Par ailleurs, on remarque une forte dynamique entrepreneuriale
des grands groupes, des start-ups et d’autres acteurs de l’économie
circulaire, comme les coopératives et toutes les structures de l’économie sociale
et solidaire qui agissent au niveau local, qui font de l’expérimentation
sociale et innovante, offrent des dynamiques d’inclusion sociale
et apportent des solutions locales et contextualisées face aux gros
enjeux de l’économie circulaire.
52. Il faut aussi noter l’impact – dans ce cas bénéfique – de
la réglementation: la réglementation environnementale (y compris
sur l’énergie et les énergies renouvelables, mais aussi sur les
déchets et le recyclage des plastiques, par exemple) a aiguillonné
les acteurs industriels, a généré des innovations et des solutions
technologiques et a encouragé la recherche sur de nouvelles questions
scientifiques.
53. Il est également essentiel de créer les conditions d’une acceptation
sociale des innovations, et donc de reconnaître l’importance des
recherches en sciences humaines et sociales pour comprendre l’acceptabilité sociale
de ces innovations, l’économie comportementale, les préférences
environnementales, afin que l’économie circulaire puisse s’inscrire
dans une dynamique offre/demande..
54. Enfin, il ne faut pas négliger le rôle des territoires et
des régions en tant qu’acteurs de l’économie circulaire et de l’économie
sociale et solidaire; il faut éviter l’approche descendante et s’intéresser
aux acteurs qui mettent en place des solutions innovantes dans les
territoires et les accompagnent, afin que l’économie circulaire
puisse véritablement avoir un impact social et réduire les inégalités.
4. Quelques
réflexions sur la gouvernance des politiques en matière de recherche
4.1. La
nécessité de prendre en considération les enjeux géostratégiques
55. La production et le stockage
des énergies renouvelables – et notamment l’énergie solaire et l’énergie éolienne
– est gourmande en métaux et minerais rares. D’après les estimations
avancées dans le rapport du CRC précédemment cité, en cas de scénario
d’une demande élevée, la demande de nombreux matériaux essentiels
devrait considérablement augmenter (à titre d’exemple, la demande
de germanium serait multipliée par 86; celle d’indium, de gallium,
de tellure, de cadmium et de sélénium par 36 à 40; celle de néodyme,
de praséodyme, de dysprosium et de terbium par 14 à 16). D’où la
forte pression exercée sur l’approvisionnement en matériaux. Par
conséquent, le rapport met en avant la nécessité d’évaluer en permanence
la demande future de matières premières essentielles afin de garantir
la continuité des chaînes d’approvisionnement qui faciliteront le
déploiement à grande échelle des énergies renouvelables, conformément
à l’objectif stratégique visant à atteindre la neutralité carbone
d’ici 2050.
56. Les document «Orientations relatives au premier plan stratégique
pour Horizon Europe» de la Commission européenne (
Orientations
towards the first Strategic Plan for Horizon Europe) soulignent la nécessité de garantir la compétitivité
et la souveraineté de l’industrie européenne. (page 81). À supposer
que les gisements, déjà utilisés ou connus, de ces minerais puissent
répondre, sur une période suffisamment longue, à une demande croissante
de façon exponentielle (ce qui n’est probablement pas le cas), il
ne faut pas sous-estimer les risques auxquels nous serions exposés
en devenant dépendants des pays producteurs de ces minéraux rares,
dont l’utilisation massive, en l’absence de leur recyclage intégral,
ne peut qu’engendrer l’augmentation des prix, la raréfaction et
l’épuisement.
57. Ne pas prendre dûment en compte ces risques dans le cadre
des politiques de recherche, pour y parer, ne pourra que nous affaiblir.
Notre transition énergétique doit se faire en préservant notre indépendance économique
et, au fond, notre souveraineté. Nous devons prendre en compte le
risque géopolitique dans l’orientation des efforts de recherche
et d’innovation dans le domaine de la transition énergétique, au
même titre que les contraintes économiques, sociales, et environnementales,
car, à côté des enjeux de développement durable il y a aussi un
enjeu de marché et d’autonomie stratégique
.
58. Le rapport susmentionné établi par le CRC recense différentes
actions possibles pour éviter les pénuries de matières premières;
il s’agit notamment de diversifier les approvisionnements, d’étendre
les accords commerciaux et de promouvoir de nouvelles activités
minières. Je souhaiterais cependant attirer l’attention sur deux
autres recommandations clés du rapport: l’augmentation du recyclage
et le remplacement des matériaux critiques, grâce à des programmes
de recherche et d’innovation dédiés, qui devraient être envisagés
chaque fois que cela est possible et économiquement faisable.
59. À ce dernier égard, il me semble regrettable qu’un projet
novateur comme celui concernant la technologie des batteries sodium-ion
rencontre des difficultés de visibilité et de financement qui font
obstacle au passage d’une production des prototypes à une production
à plus grande échelle visant la mise sur le marché; et il serait
encore plus regrettable que la société française qui a développé
cette technologie grâce au financement par des fonds gouvernementaux
et de l’Union européenne soit obligée (faute d’alternatives) d’accepter
l’offre alléchante qu’elle a reçue pour aller s’installer en Chine
. De telles situations
doivent nous interpeller et les décideurs politiques ne doivent
pas manquer de cohérence et de prévoyance.
60. En allant dans le bon sens, l’Alliance européenne des batteries
(l’«Airbus des batteries») ne répète pas l’erreur commise avec les
panneaux photovoltaïques
: l’Union européenne investit
sur le développement de l’offre, et l’innovation et la recherche
sont au cœur de ce dispositif. Le plan insiste sur les aspects environnementaux
des batteries, sur l’économie circulaire, sur l’éco-conception;
cela peut emmener l’Europe, à terme, à développer un avantage compétitif
et à défendre ses intérêts. Par exemple, l’éco-conception et le recyclage
permettront non seulement de limiter l’empreinte environnementale
des batteries, mais aussi de récupérer des ressources qui ne se
trouvent pas sur le continent européen (mais en Chine, en Inde,
etc.). Il y a néanmoins des recherches à faire pour constituer des
mines urbaines, en soutenant ainsi, en même temps, l’industrie locale
européenne.
4.2. La
mutualisation des efforts de recherche aux niveaux national et international
61. Quelles que soient les orientations
stratégiques qu’il conviendra de donner à la recherche, travailler
en synergie et mutualiser les efforts de recherche est une exigence.
La démarche collaborative permet de mieux affronter trois ordres
de difficultés:
- la complexité
et le caractère multidimensionnel des problèmes traités, qui impliquent
des compétences et des expertises multiples dont les diverses parties
prenantes ne disposent souvent que partiellement;
- les lenteurs inhérentes à l’exploration et à la nécessité
de tester les solutions pour ne sélectionner que des procédés et
des produits prometteurs, lenteurs que l’approche collaborative
aide à surmonter avec le partage des tâches (y compris en fonction
des expertises respectives);
- les coûts de la recherche, de l’expérimentation et de
l’évaluation des solutions envisagées, du développement des produits
et de leur mise sur le marché, toutes ces étapes engendrant des
prises de risques financiers que des acteurs isolés ont bien du
mal à assumer.
62. Le professeur Simon a présenté le cas du Réseau sur le stockage
électrochimique de l’énergie (RS2E) et le cercle vertueux créé par
les laboratoires qui font de la recherche fondamentale et, grâce
aux établissements spécialisés dans le transfert technologique,
la transfèrent vers les partenaires industriels. Selon lui, les
grands projets de recherche européenne devraient davantage s’appuyer
sur la structuration de la recherche faite au niveau national et
renforcer le financement commun de projets laboratoires/industrie
sur des sujet stratégiques. Dans ces projets-là, l’innovation est
identifiée très rapidement dans les laboratoires et les start-ups
sont là pour prendre le risque de l’innovation et croître rapidement
avec le soutien des grandes compagnies pour développer la collaboration
académique-industrielle; il faut donc renforcer depuis le début les
synergies des laboratoires avec les industries sur des sujets identifiés.
63. Sur la même ligne, le professeur Steininger a souligné qu’une
mutualisation des efforts pour faire fonctionner des chaînes de
valeur ajoutée inter-entreprises est indispensable. Les recherches
communes pourraient être le levier à activer pour promouvoir ce
type de collaboration. Réussir la transformation vers une économie
verte implique des solutions efficaces au niveau des sous-systèmes
individuels, mais la connexion entre ces solutions est aussi cruciale;
par conséquent, la gouvernance de la recherche doit promouvoir et soutenir
les travaux sur ces connexions.
64. Pour améliorer la collaboration, les synergies et la mutualisation
des efforts aux niveaux national, européen et mondial, le professeur Steininger
propose de valoriser le rôle de la science. La conception, la création
et la production conjointement entre scientifiques et parties prenantes
est déjà largement une réalité et la science pourrait assurer partiellement
la fonction de courtier d’information «neutre» entre la société et
même la politique d’un côté, et l’industrie de l’autre: elle pourrait
offrir une plateforme de dialogue pour échanger des informations.
Néanmoins, de nouvelles compétences sont nécessaires pour que la
science se joigne au dialogue entre praticiens et décideurs et il
faudrait aussi promouvoir le dialogue entre parties prenantes et
la recherche transdisciplinaire.
65. En ce qui concerne les synergies public-privé, il estime que
les fonds de recherche nationaux et européens devraient être orientés
davantage vers les demandes d’innovation à long terme
. Il prône aussi
la coopération entre universités et grandes entreprises et la création
(à favoriser par des mesures incitatives), des consortiums de grandes
entreprises pour collaborer avec les sciences financées par des
fonds publics. Il souligne enfin l’importance de définir des domaines
clés (par exemple les énergies renouvelables) dans lesquels une
coopération entre l’Union européenne et l’extérieur est cruciale,
ainsi que d’élaborer le cadre de la recherche en conséquence, de
manière à ce que cette coopération soit mutuellement profitable.
66. M. Laboué a rappelé que les dépenses de recherche et développement
de la Chine dépassent déjà celles de l’Union européenne: aucun pays
d’Europe n’est en mesure, à lui seul, de dégager les capacités d’investissement
suffisantes, ni de présenter un marché suffisant, sans le développement
de synergies avec d’autres pays européens. À cet égard, les projets
importants d’intérêt européen commun (PIIEC), comme ceux concernant
les batteries, ont un rôle clé à jouer pour engendrer les synergies
européennes sur l’ensemble de la chaine des valeurs.
67. Plus généralement, il y a beaucoup de programmes européens
auxquels toutes les parties prenantes, même les petits acteurs,
peuvent prendre part; il est peut-être possible aux autorités nationales
des pays de l’Union européenne de renforcer la dimension européenne
de leurs politiques de recherche, et d’encourager et de soutenir
la participation à ces programmes par des outils comme une meilleure
information, conseil et assistance dans l’accomplissement des démarches
et des procédures requises et des incitations financières.
68. Mme Lazaric a élargi notre horizon
dans deux directions importantes. Premièrement, l’action politique
(à tous les niveaux) ne doit pas perdre de vue le «bien commun»;
ainsi, il ne faut pas que les enjeux privés priment sur les enjeux
publics et relèguent ainsi le bien commun et les objectifs de développement
durable à l’arrière-plan. Deuxièmement, concernant la recherche
internationale, des nombreux acteurs (par exemple d’Afrique subsaharienne
ou d’Asie du Sud-Est) sont complètement absents sur le sujet de
l’économie décarbonée: il faut que des accords de coopération se
mettent en place pour inclure tous les acteurs absents, afin qu’ils
puissent être présents dans la recherche internationale.
5. Considérations
finales et propositions d’actions
69. M. Berloznik nous a incités
à encadrer la réflexion sur la politique en matière de recherche
dans le contexte actuel: un «monde en mutation», où les changements
sont rapides, y compris dans les systèmes de la science, de la technologie
et de l’innovation (STI) et des connaissances; un monde dont les composantes sont
interdépendantes. Il faut tenir compte des interconnexions, tant
dans la prise de décision, que dans la recherche des réponses technologiques
aux problèmes actuels: ces réponses sont forcément multisectorielles.
Par ailleurs, les solutions (et donc les plans) politiques impliquent
nécessairement plusieurs niveaux, du local à l’international, tant
dans leur élaboration que dans la mise en œuvre.
70. La complexité actuelle tient également au nombre croissant
d’acteurs dans le système de la STI. À côté des acteurs traditionnels,
gouvernements, universités et secteur privé (ce qu’on appelait la
«triple hélice»), les citoyens et les communautés sont entrés dans
le système en apportant leur contribution au développement de nouvelles
idées et de nouvelles approches. La participation des citoyens est,
dans ce contexte, à la fois une exigence démocratique et une condition
pour atteindre les résultats visés: ce sont eux qui portent le changement
de paradigme et le réalisent par leur action.
71. L’interdépendance et la complexité entraînent, et rendent
indispensable, une coopération axée sur des domaines et thèmes transversaux
entre les chercheurs et les acteurs de la recherche et du développement; par
exemple, les questions relatives à l’eau, la résilience climatique,
l’énergie et la gestion des ressources vont de pair. De nouvelles
communautés de recherche et développement («virtuelles», mais aussi
«spatiales») se forment autour des thèmes émergents; par exemple,
dans le domaine de l’énergie, il y a une concentration de savoirs
dans des lieux spécifiques, où universités, instituts de recherche
et start-ups travaillent ensemble pour développer les connaissances
ainsi que des technologies et solutions utilisables, efficientes
et effectives
. Ces
développements suscitent de nouveaux défis en matière de gouvernance,
non seulement en ce qui concerne les financements et leur distribution
mais aussi la manière de s’adapter à ces nouvelles complexités.
72. Dans ce contexte bouillonnant, les objectifs de développement
durable indiquent la route. Leur acceptation et la conscience qu’il
s’agit là de bâtir un avenir durable pour nos enfants progressent
rapidement dans nos sociétés: ils doivent inspirer nos plans d’action,
et orienter les efforts et les priorités de financement de la recherche,
de l’innovation et du développement.
73. À cet égard, je conviens avec M. Berloznik que «l’avenir est
aux politiques durables axées sur des solutions». Notre action politique
ne doit pas se détourner du cap du développement durable; en même
temps, cette action doit rester pragmatique et efficace, et doit
viser des solutions concrètes, car nous n’avons plus de temps.
74. Il faut partir des solutions existantes, c’est-à-dire les
technologies effectives qui sont prêtes à être commercialisées,
soutenir leur mise sur le marché et leur montée en puissance. Cela
nécessite des approches nouvelles et créatives
.
De même, au niveau national, nous devons utiliser au mieux les mécanismes
de financement existants et les organisations qui s’emploient déjà
à promouvoir et soutenir de nouvelles approches. Une idée intéressante
est
celle de développer une activité de veille dans des domaines stratégiques,
(en se basant sur les start-ups) et regarder les innovations possibles
pour identifier les pépites et en soutenir le développement.
75. Pour soutenir des projets innovants et le passage au stade
de la commercialisation, il faut des financements significatifs
et / ou le développement de partenariats avec des industriels fabricants.
Il faut donc des mécanismes de financement qui puissent être actionnés
avec une certaine flexibilité et rapidité et des incitations pour
la création de ces partenariats recherche-industrie.
76. Il peut paraître maladroit ou naïf d’évoquer des efforts financiers
dans une période où les finances publiques de tous nos pays sont
mises extrêmement à mal par l’impact économique de la pandémie de
covid-19 et par l’urgence de parer au désarroi social que cette
pandémie a engendré dans les couches de population les plus vulnérables,
en Europe et ailleurs. Pourtant, dans les efforts de reconstruction
de nos sociétés et de nos systèmes économiques, c’est justement
vers le monde de demain qu’il faut regarder et pas vers celui d’hier.
Dans une certaine mesure, la crise est une opportunité de changement
et il ne faut pas la rater. La recherche et l’innovation pour l’économie
verte doivent faire partie des «bénéficiaires» des plans nationaux
de relance post-crise.
77. Parmi les solutions de financement, il faudrait peut-être
étudier des titres de dette publique destinés à la recherche stratégique
dans les domaines de la transition énergétique et de l’économie
circulaire: des «obligations vertes» à promouvoir auprès du grand
public. Aussi, toujours avec l’idée de miser sur l’engagement de
nos citoyens, les autorités publiques pourraient songer à soutenir
la mise en place d’une plateforme nationale en ligne avec une sélection
de projets innovants qu’un l’État s’engage à soutenir financièrement
et qui seraient ouverts à un financement participatif. On pourrait
envisager un accompagnement par les banques de tel ou tel projet
ou du moins leur engagement à informer et conseiller leurs clients
sur l’existence de ces projets participatifs.
78. La participation active et l’engagement des citoyens sont
une clé de voûte pour bâtir l’économie verte. Pour réussir la transition
écologique, un effort collectif s’impose et on doit y associer toutes
les citoyennes et tous les citoyens; et ce, non au bout de la chaine
mais dès le départ. L’économie comportementale ne doit pas corriger
le tir à la fin du processus, mais permettre aux citoyens de concevoir
conjointement les solutions techniques et les innovations de demain.
Les citoyennes et les citoyens doivent savoir qu’elles ou ils sont protagonistes
et non spectatrices ou spectateurs.
79. La recherche et l’innovation ont une importance géostratégique
majeure dans le domaine de la transition énergétique et de l’économie
circulaire. Nos choix doivent également tenir compte du risque pour
notre industrie d’une adhésion aveugle et trop rapide à une technologie
dont nous n’avons pas une maitrise suffisante et du risque d’une
dépendance de l’approvisionnement de matières premières ou composantes stratégiques,
qui fragiliserait l’autonomie politique européenne.
80. Les enjeux économiques et stratégiques qui se trouvent derrière
le progrès technologique peuvent dans certains cas faire obstacle
à la coopération internationale dans les domaines de la transition
énergétique et de l’économie circulaire. Il est néanmoins dangereux
de renoncer à une collaboration forte dans ces domaines de recherche.
La lutte contre le changement climatique est une question absolument
essentielle, qui nous concerne toutes et tous; nous devons contribuer
à rechercher les bonnes solutions et être capables de les partager.
81. Nous devons déjà nous efforcer de le faire davantage dans
le cadre européen. Les 27 États membres de l’Union européenne avancent
dans cette direction, comme le programme Horizon Europe et le précédent programme
Horizon 2020 le montrent clairement; mais l’Europe est plus vaste
et nous devrions être capables de travailler ensemble (par exemple,
dans le cadre des programmes de recherche transnationaux) à l’échelle de
la grande Europe.
82. À cet égard, j’imagine un rôle clé pour le Conseil de l’Europe,
une nouvelle piste de travail pour renforcer les liens qui nous
unissent et la solidarité entre nos peuples: je propose de réfléchir
à un cadre – un accord partiel élargi, par exemple – pour progresser
ensemble en mettant en commun idées et moyens de recherche pour
des projets ciblés. La Banque de développement du Conseil de l’Europe
pourrait peut-être aussi apporter son expertise et aider à créer
des mécanismes de financement pour ces projets de recherche communs.
Nous pourrions également réfléchir à la création d’une banque des
ressources stratégiques, pour créer des stocks et les gérer de façon
mutuellement bénéfique, pour renforcer l’indépendance stratégique
de tous nos pays.
83. Par ailleurs, il n’est probablement pas suffisant, même s’il
est nécessaire, d’avancer en Europe dans la bonne direction si d’autres
régions restent à la traîne; l’impact de l’inaction ou du manque
d’efficacité dans les autres régions de la planète sera de toute
façon global, car les conséquences du changement climatique sont à
l’échelle mondiale. Et là aussi, la mutualisation des efforts peut
devenir un outil non seulement d’un développement durable partagé
mais aussi de paix et d’amitié entre les peuples.
84. Réduire les effets du changement climatique en développant
les énergies renouvelables, en découvrant des énergies nouvelles
et en inventant des méthodes de recyclage de l’ensemble des matières
premières, et tout cela grâce à la recherche scientifique et technologique,
constitue un défi fascinant pour l’Europe et pour le monde. Le sauvetage
de la planète n’est pas incompatible avec le progrès et passe même
pour une grande partie par le progrès. Imaginer des modes de collaboration
entre États au sein du Conseil de l’Europe, conformément à nos statuts,
pourrait être une piste de travail pour notre Organisation; les
citoyens européens attendent des réponses fortes dans le domaine
de l’environnement et, dans l’esprit de la construction européenne,
ce sont les solidarités de fait que nous arriverons à créer, aujourd’hui
au niveau de la Grande Europe, qui permettront de rapprocher les
peuples et de garantir le maintien de la paix dans les prochaines décennies.