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Rapport | Doc. 15365 | 13 septembre 2021

Les inégalités socio-économiques en Europe: rétablir la confiance sociale en renforçant les droits sociaux

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteure : Mme Selin SAYEK BÖKE, Turquie, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14985, Renvoi 4480 du 27 janvier 2020. 2021 - Quatrième partie de session

Résumé

Malgré la prospérité apparente de l'Europe, les inégalités socio-économiques n'ont cessé de se creuser entre et au sein des pays, avec des effets négatifs sur les individus et les communautés, ainsi que sur le développement économique global, la justice sociale et le fonctionnement de la société. De plus, les inégalités structurelles enracinées ont aggravé la pauvreté, érodé les droits sociaux, réduit la mobilité sociale et polarisé la société socialement. Pour éviter l'instabilité politique et construire une économie plus résiliente, les États membres doivent s'attaquer aux causes profondes des inégalités, garantir les droits fondamentaux, et mieux protéger les populations vulnérables. Ils doivent agir au niveau national et collectivement, conformément à leurs engagements au titre de la Charte sociale européenne (STE n°s 35 et 163) et des objectifs de développement durable des Nations Unies.

Les États devraient procéder à une évaluation approfondie des facteurs macroéconomiques, des changements technologiques et réglementaires, des lois du travail nationales, et des choix budgétaires qui ont pu aggraver les inégalités, et la mise en œuvre des droits sociaux au niveau national. Les États devraient intégrer les objectifs sociaux et l'égalité des chances dans l'élaboration de leurs politiques en examinant systématiquement les changements de politique en fonction de leur impact sur la cohésion sociale et les droits humains. Enfin, le rapport formule des recommandations sur les politiques budgétaires, les règles fiscales et de transparence, les orientations du marché du travail, les mesures visant à réduire l'écart de rémunération et de retraite entre hommes et femmes, ainsi que la couverture de protection sociale pour les nouvelles formes d'emploi et les emplois atypiques.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 9 septembre 2021.

(open)
1. La prospérité de l’Europe semble progresser depuis des décennies, mais les disparités de revenu, de richesse, de niveau d’études, de santé, de nutrition, de conditions de vie, d’activité professionnelle, d’identité sociale et de participation à la société se creusent davantage entre les pays comme au sein de ces derniers. Ces inégalités ont non seulement un impact négatif sur les individus et les communautés, mais freinent également le développement économique global, portent atteinte à la justice sociale et nuisent au fonctionnement de notre société. Les inégalités structurelles profondément enracinées se sont exacerbées durant la crise financière mondiale de 2008-2009 et la pandémie de covid-19, avec pour conséquence une pauvreté plus grande, l’érosion des droits sociaux, une diminution de la mobilité sociale et une polarisation sociale accrue. En Europe, l’aggravation des inégalités a rendu les économies moins solides et moins résistantes aux chocs exogènes, tandis que le mécontentement au sein de la société a attisé les risques de conflits sociaux et d’instabilité politique.
2. L’Assemblée parlementaire note que les modèles de développement économique dominants comportent toujours un certain niveau d’inégalités socio-économiques, ce qui appelle à revoir les racines structurelles des inégalités. Ce n’est cependant pas une raison pour que les États se soustraient à leurs responsabilités de garantir les droits socio-économiques pour toutes et tous – elles doivent utiliser les outils issus d'un large éventail de politiques économiques et les mécanismes de redistribution de manière à réduire ces inégalités et surtout à mieux protéger les plus défavorisés et les plus vulnérables. Comme l’a souligné la Résolution 2384 (2021) « Surmonter la crise socio-économique déclenchée par la pandémie de covid-19 », les mesures d’austérité budgétaire prises durant la dernière décennie n’ont fait que fragiliser les systèmes de protection sociale, creusant les inégalités, ce qui a eu des effets désastreux sur les plus défavorisés. Un changement majeur du processus décisionnel est donc nécessaire pour parvenir à une croissance réellement inclusive et durable : les États doivent investir dans la reconstruction de l’économie tout en renforçant leurs systèmes de protection sociale. Les crises des dernières décennies ont montré que l'égalité et la croissance durable sont les deux faces de la même réalité.
3. La réduction des inégalités dans et entre les pays fait partie des Objectifs de développement durable (ODD). Malgré quelques évolutions positives dans un certain nombre de pays avant la pandémie de covid-19, les inégalités se sont encore creusées, provoquant une crise du développement humain en raison de la réduction drastique des niveaux d’investissement global et de l’aide publique au développement en 2020. L’Assemblée souligne la nécessité et l’importance d’une action collective en faveur des pays les plus pauvres et des groupes de population les plus vulnérables (personnes âgées, enfants, personnes handicapées, femmes, migrants et réfugiés, travailleuses et travailleurs précaires).
4. Les inégalités croissantes frappent particulièrement fort les groupes vulnérables et marginalisés, les plus grands revers concernant les personnes âgées et les personnes handicapées. De plus, les inégalités et la pauvreté favorisent le travail des enfants et le mariage des enfants, un problème persistant dans le monde mais à des degrés divers selon les pays. Les États européens ont l’obligation morale de lutter plus efficacement contre ces fléaux à la fois au niveau national et en aidant les autres pays concernés à éliminer le travail, l’exploitation et le mariage des enfants, avec une conscience accrue de l’urgence liée à la crise de la covid-19.
5. L’Assemblée est particulièrement préoccupée par le ralentissement de la mobilité sociale et la transmission étendue de la pauvreté d’une génération à l’autre, qui fragilisent le bien-être et les perspectives de développement des enfants, et menacent leurs droits. Les conditions socio-économiques des premières années de la vie jouent un rôle critique dans la détermination de la situation socio-économique et l’état de santé des individus plus tard dans la vie, l’éducation et la richesse des parents ayant un impact significatif. L’Assemblée souligne que des progrès plus importants s’imposent pour assurer l'accès universel aux dotations, en mettant l'accent sur les ressources financières de base garanties mais surtout l'égalité en matière d'éducation, de santé et de services de protection sociale ainsi qu’un logement décent afin que les enfants de milieux défavorisés aient les mêmes chances dans la vie que ceux de familles plus aisées. Elle accueille favorablement l’initiative Garantie européenne pour l’enfance dans le cadre du Socle européen des droits sociaux de l’Union européenne et considère que cette initiative doit être soutenue dans toute l’Europe.
6. L’Assemblée déplore les répercussions importantes des inégalités socio-économiques sur la santé des individus, qui commencent à creuser le fossé social dans le domaine de la santé. L’incidence croissante des maladies chroniques et de longue durée en Europe, plus particulièrement et plus rapidement parmi les populations défavorisées sur le plan socio-économique, en particulier les femmes, est clairement liée aux inégalités en matière de niveau d’éducation. Outre les méfaits sur la santé physique, les inégalités et la situation au regard de l’emploi induisent également d’importants problèmes de santé mentale. Ces effets conjugués sur la santé physique et mentale sont très néfastes pour la société européenne, car ils diminuent l’espérance de vie, en particulier l’espérance de vie en bonne santé.
7. L’Assemblée partage l’avis de la Banque de développement du Conseil de l’Europe considérant que les inégalités de logement sont à la fois un symptôme et une cause des inégalités de revenus existantes.Les pauvres vivant souvent dans des logements médiocres et dans des quartiers défavorisés, ils ont plus difficilement accès à certains services publics comme les soins médicaux de base et une éducation de qualité et aux emplois mieux rémunérés. Les politiques nationales en matière de logement devraient être repensées, afin d’offrir des solutions plus équitables pour que chacun puisse exercer son droit à un logement de qualité suffisante et d’un coût accessible, conformément à la Charte sociale européenne (STE n°s 35 et 163, ci-après «la Charte»).
8. Pendant la pandémie de la covid-19, les inégalités sociales ont perduré, quels que soient la tranche d’âge, le sexe, la zone géographique et la catégorie de revenus, les familles monoparentales (avec généralement une femme à leur tête) étant les plus exposées au risque de pauvreté et d’exclusion sociale. Les ménages à faible revenu et les minorités ethniques risquent aussi davantage de souffrir de conditions de vie insatisfaisantes, avec des répercussions sur leur état de santé, leur espérance de vie et leur statut socio-économique. L’Assemblée prend note des avis d’experts qui concluent qu’un niveau élevé de capital social dans les quartiers et des réseaux sociaux au sein des communautés apportent un soutien mutuel essentiel aux ménages défavorisés et devraient être encouragés par les autorités publiques locales.
9. Compte tenu de l’écart de salaire et de pension persistant entre les femmes et les hommes en Europe, l’Assemblée rappelle le droit à l’égalité des chances et de traitement en matière d’emploi et de métier, sans discrimination fondée sur le sexe, proclamé par la Charte sociale européenne. Elle attire l’attention sur les conclusions du Comité européen des droits sociaux relatives à la mise en œuvre par les États parties du droit à l’égalité des chances et des rémunérations sur le lieu de travail, qui révèlent une violation massive de ce droit et demandent instamment que des dispositions législatives supplémentaires soient prises pour mieux préserver ce droit et prévenir les pratiques discriminatoires sur le marché du travail. L’Assemblée se félicite de l’adoption par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, le 17 mars 2021, d’une déclaration sur l’égalité de rémunération et des chances entre les femmes et les hommes afin de lutter contre les inégalités existantes en matière d’emploi.
10. Rappelant que les États membres ont l’obligation de préserver les droits socio-économiques définis dans la Charte sociale européenne et afin de lutter plus efficacement contre les inégalités socio-économiques structurelles, l’Assemblée invite instamment les États membres:
10.1. à compiler des ensembles de données complets en utilisant des informations provenant des comptes nationaux, des enquêtes et de l'administration fiscale afin de permettre une analyse et un inventaire efficaces de l'étendue des inégalités socio-économiques;
10.2. à mener une évaluation approfondie des facteurs macroéconomiques, des évolutions technologiques et réglementaires, des lois nationales sur le travail et des besoins et des choix de financement macroéconomique qui ont pu contribuer à accroître les inégalités socio-économiques et nuire à la mise en œuvre effective des droits sociaux au niveau national ;
10.3. à procéder à des changements législatifs et réglementaires visant à faciliter l’accès de la population à des services publics de qualités, un logement convenable et un emploi stable ;
10.4. à intégrer des objectifs sociaux dans leur processus d’élaboration des politiques, en examinant systématiquement l’impact des changements politiques sur la cohésion sociale et en réalisant des évaluations complètes de l'impact des politiques économiques sur les droits humains, conformément aux Principes directeurs de l'ONU relatifs aux évaluations de l’impact des réformes économiques sur les droits humains;
10.5. à repenser leurs politiques budgétaires dans un sens plus égalitaire socialement de telle sorte que les besoins de base soient universellement couverts et l’égalité des chances soit prédistribuée de façon équitable dans la société:
10.5.1. en garantissant l'offre publique universelle, gratuite et égale de services d'éducation, de santé et de protection sociale de base;
10.5.2. en augmentant la part des dépenses publiques consacrée à la formation professionnelle, à l'enseignement supérieur et aux programmes d'éducation tout au long de la vie;
10.5.3. en évaluant des politiques alternatives de revenu de base ou des programmes de dotation de base de richesse (y compris des options pour accéder à un logement convenable) qui aideraient à garantir des ressources financières minimales pour une vie décente;
10.5.4. en envisageant des plafonds réglementaires sur la tarification de l'utilisation des infrastructures et des services de base privatisés pour remédier aux difficultés immédiates, tout en réexaminant également le rôle de la propriété publique dans la fourniture des services de base;
10.6. à revoir leurs politiques fiscales afin d'assurer une répartition juste et équitable des opportunités économiques et sociales par des mécanismes de redistribution, notamment:
10.6.1. en comblant les lacunes des codes fiscaux en vigueur, en améliorant la conformité à des obligations fiscales et en réduisant l'évitement fiscal tant au niveau national qu'à travers les paradis fiscaux;
10.6.2. en supprimant ou en limitant les déductions fiscales ou régimes d'avantages fiscaux qui tendent à profiter de manière disproportionnée aux hauts revenus ;
10.6.3. en repensant le rôle que des impôts sur toutes les formes de propriété et de richesse pourraient jouer afin d’améliorer le bien-être matériel des ménages et des enfants ;
10.6.4. en garantissant que la part des impôts directs et indirects dans les recettes totales soit optimisée pour éliminer les inégalités socio-économiques;
10.7. à envisager des changements systémiques dans les politiques du marché du travail, notamment:
10.7.1. en renforçant le pouvoir de négociation des travailleurs par le biais des syndicats et améliorer la communication entre les partenaires sociaux;
10.7.2. en révisant les politiques de salaire minimum et les cadres de négociation collective qui garantiront un salaire décent et une protection sociale, ainsi que des emplois stables et de qualité pour toutes et tous;
10.8. à adopter des mesures législatives plus énergiques pour éliminer l’écart de rémunération et de pension entre les femmes et les hommes ainsi que les pratiques discriminatoires présentes sur le marché du travail par les mesures suivantes:
10.8.1. la garantie d’accès à des moyens de recours efficaces aux victimes de discrimination salariale ou de discrimination fondée sur d’autres motifs,  ;
10.8.2. la garantie de transparence dans la rémunération et l’établissement de méthodes de comparaison des salaires ;
10.8.3. le maintien d’organismes de promotion de l’égalité efficaces et d’autres institutions compétentes avec des fonctions de contrôle renforcé afin de garantir en pratique l’égalité de rémunération ;
10.8.4. la garantie de possibilités d’emploi plus flexible de qualité offrant un salaire décent et des possibilités de formation aux groupes de population vulnérables ;
10.8.5. la garantie d’accès réel à des services de garde d’enfants de qualité et abordables pour les parents qui travaillent ;
10.8.6. le renforcement de la protection des travailleurs atteints de maladies chroniques et de longue durée et/ou en situation de handicap conformément à la Résolution 2373 (2021) de l'Assemblée «La discrimination à l'égard des personnes souffrant de maladies chroniques et de longue durée»;
10.9. à prévoir l’établissement de comptes de formation personnels et de possibilités d’apprentissage tout au long de la vie afin de permettre l’amélioration constante des compétences professionnelles, l’acquisition de nouvelles qualifications et la requalification ou l’évolution vers des types d’emplois différents en lien avec l’intelligence artificielle, les besoins de l’économie numérique/des plateformes et les autres évolutions technologiques ;
10.10. à adapter et à renforcer la protection sociale des travailleurs occupant des formes d’emploi atypiques ;
10.11. à améliorer les structures d'incitation par le biais de politiques de concurrence, de règles et de réglementations en matière de marchés publics dans le but de réduire les récompenses pour les activités non productives et de recherche de rente;
10.12. à renforcer les cadres politiques réglementaires sur la responsabilité sociale des entreprises afin que les entreprises et les marchés financiers s'alignent plus étroitement sur les ODD et les droits humains, comme le souligne la Résolution 2311 (2019) de l'Assemblée sur «Droits de l'homme et entreprises – quelle suite à donner à la Recommandation du Comité des Ministres CM/Rec(2016)3?»;
10.13. à utiliser la Banque de Développement du Conseil de l'Europe pour cofinancer des projets sociaux prioritaires, notamment pour répartir plus équitablement l’offre de services de santé sur l’ensemble du territoire national et réduire la fracture entre les zones urbaines et rurales;
10.14. à donner aux autorités publiques locales les moyens financiers nécessaires pour soutenir le développement du capital social, les mécanismes de solidarité et les réseaux, en particulier dans les zones rurales et défavorisées ;
10.15. à renforcer les mécanismes de solidarité collective, la coordination des investissements publics et les flux d’aide ciblant la mise en œuvre des ODD, tant au niveau national qu’international;
10.16. initier une coordination internationale pour se mettre d'accord sur:
10.16.1. un ensemble contraignant de droits minimaux internationaux du travail à inscrire dans les règles mondiales en matière de commerce et d'investissement;
10.16.2. des règles de transparence et un contrôle public de l'intérêt public pour les projets publics financés au niveau international, y compris par le biais de partenariats public-privé;
10.17. à intensifier les efforts internationaux pour restructurer le cadre de gouvernance mondiale dans le but de surmonter le paysage fragmenté du droit international qui creuse un fossé entre les politiques économiques et les droits humains, et à accroître la coordination/la coopération internationale entre les agences des droits humains et les institutions de politique économique;
10.18. à accroître les ressources financières disponibles pour protéger l'intérêt public en assurant une pleine coopération avec le Groupe d'États contre la corruption (GRECO) et le Comité d'experts sur l'évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (MONEYVAL), visant à mettre fin à la corruption ;
10.19. à garantir l’octroi de ressources économiques et financières suffisantes pour assurer une protection sociale adaptée et une offre suffisante de services publics et la protection des droits économiques et sociaux inscrits dans les documents juridiques nationaux et internationaux.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 9 septembre 2021.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution... (2021) « Les inégalités socio-économiques en Europe: rétablir la confiance sociale en renforçant les droits sociaux » et souligne le rôle des États dans le respect, par tous les partenaires sociaux, des repères de droits sociaux inscrits dans la Charte sociale européenne (STE nos 35 et 163). Elle déplore l’écart entre les droits protégés par la Charte sociale européenne et les politiques socio-économiques menées au niveau national, que les conclusions et déclarations annuelles du Comité européen des droits sociaux ont mis en avant.
2. L’Assemblée soutient le point de vue du Comité européen des droits sociaux selon lequel l’application de la Charte sociale européenne  implique que les États parties prennent des mesures juridiques et pratiques de manière à allouer les ressources appropriées pour donner effet aux droits garantis par la Charte et à « atteindre les objectifs de la Charte dans un délai raisonnable, avec des progrès mesurables et dans une mesure compatible avec l’utilisation maximale des ressources disponibles ». L’Assemblée demande au Comité des ministres de rappeler ces obligations à tous les États membres, qu’ils soient parties ou non à la Charte, en vue de promouvoir le développement humain et de combler plus efficacement les inégalités socio-économiques.
3. L’Assemblée soutient les propositions de la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe de réformer la mise en œuvre de la Charte sociale européenne en associant un soutien politique de haut niveau à l’engagement des États membres de mettre en place des règles du jeu équitables en matière de droits sociaux dans toute l’Europe, ainsi qu’en améliorant la capacité des organes de la Charte à répondre efficacement aux besoins des États membres de retour d’information et d’orientation. L’Assemblée soutient également la proposition appelant à continuer de promouvoir la ratification de la Charte sociale européenne révisée par tous les États membres et réaffirme ses propres recommandations contenues dans le paragraphe 3 de la Recommandation 2205 (2021) « Surmonter la crise socio-économique déclenchée par la pandémie de covid-19 ». Elle recommande par ailleurs au Comité des Ministres de demander au Comité européen des droits sociaux d'étudier la faisabilité d'ajouter de nouvelles clauses à la Charte sur la protection sociale des travailleurs dans des formes de travail atypiques.
4. Dans ce contexte, l’Assemblée rappelle les décisions de la 131e Session du Comité des Ministres du 21 mai 2021, notamment en ce qui concerne la coopération entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, qui encourage la participation ou l’adhésion de l’Union européenne aux instruments du Conseil de l’Europe « de façon à assurer la cohérence, la complémentarité et promouvoir les synergies ». Ce dernier point revêt une importance particulière dans le contexte de l’efficacité de la mise en œuvre des droits sociaux en Europe et de mesures plus énergiques pour réduire les inégalités socio-économiques. L’Assemblée invite donc le Comité des Ministres à poursuivre les efforts entrepris pour promouvoir l’adhésion de l’Union européenne à la Charte sociale européenne révisée et parvenir ainsi à une plus grande complémentarité entre le système de la Charte sociale européenne et le Socle européen des droits sociaux. Elle engage également le Comité des Ministres à soutenir une application plus large de l’initiative Garantie européenne pour l’enfance, en l’étendant aux États non membres de l’Union européenne, y compris dans le cadre de projets de coopération conjoints.

C. Exposé des motifs par Mme Selin Sayek Böke, rapporteure

(open)

1. Introduction: nécessité d’une intervention plus forte des pouvoirs publics fondée sur les données en matière d’inégalités socio-économiques

1. Préoccupée par la lenteur des progrès dans la mise en œuvre des droits sociaux et par la vague de protestation sociale qui déferle sur certains pays européens, la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable a déposé une proposition de résolution intitulée « Les inégalités socio-économiques en Europe: rétablir la confiance sociale en renforçant les droits sociaux » en octobre 2019. En janvier 2020, j’ai été nommée rapporteure et également élue présidente de la Sous-commission sur la Charte sociale européenne. Cette double qualité a motivé mes initiatives sur le sujet des inégalités, notamment celle de l’audition « Surmonter la crise socio-économique déclenchée par la pandémie de Covid-19 » organisée par la Sous-commission sur la Charte sociale européenne le 7 octobre 2020.
2. En effet, comme l’a souligné le Président de l’Assemblée parlementaire, lors de cette audition, « aucun paradis économique ne peut être construit sur un marasme social ». Une mutation majeure dans l’élaboration des politiques est nécessaire pour adopter une croissance véritablement inclusive et durable. Nous devons nous assurer qu’une rupture ouvre la voie aux changements qui correspondent aux attentes de la société, aux droits sociaux et aux besoins économiques. Alors que la crise financière de 2008-2009 a mis en lumière les inégalités socio-économiques à la suite des mesures d’austérité, la récente pandémie de coronavirus a montré à tous que notre société est loin d’en avoir fini avec les inégalités qui ne cessent de se creuser et les vulnérabilités socio-économiques qui ne cessent d’augmenter.
3. Les preuves de l’existence d’un fossé béant entre le 1 % de la population le plus riche et le reste de la société s’accumulent rapidement 
			(3) 
			Par
exemple, Oxfam International signale que « la richesse des 1 % les
plus riches de la planète correspond à plus de 2 fois la richesse
de 6,9 milliards de personnes » – voir <a href='https://www.oxfam.org/en/5-shocking-facts-about-extreme-global-inequality-and-how-even-it'>www.oxfam.org/en/5-shocking-facts-about-extreme-global-inequality-and-how-even-it.</a>. Malgré la diminution de l’extrême pauvreté dans certaines régions du monde avant la pandémie, les inégalités socio-économiques se sont accrues dans le monde entier, depuis plusieurs décennies. Les tendances diffèrent cependant en termes d’ampleur et de rapidité des changements tant au sein des pays qu’entre eux, même à des niveaux de développement similaires 
			(4) 
			«World Social Report
2020» (rapport sur la situation sociale dans le monde, consacré
aux inégalités dans un monde en mutation rapide) du Département
des affaires économiques et sociales des Nations unies (voir <a href='https://www.un.org/'>www.un.org</a> › sites › World-Social-Report-2020-FullReport), et le
«World Inequality Report 2018» du World Inequality Lab, groupe d’une vingtaine
de chercheurs, assistants de recherche et chargés de projet en coordination
avec le réseau international de plus de 100 chercheurs couvrant
près de 70 pays qui contribuent à la base de données (voir <a href='https://wir2018.wid.world/'>https://wir2018.wid.world/</a>).. Les faits montrent que les choix de politique macroéconomique – allant du rôle que joue l’État par rapport au secteur privé dans la prestation des services essentiels; le choix entre nationalisation et privatisation; des réformes des systèmes de retraite ou des politiques en matière de fiscalité; de transferts sociaux et d’accumulation de capital aux stratégies en matière de dette et d’investissement publics – sont tous cruciaux, tout comme la capacité institutionnelle à mettre en œuvre ces politiques.
4. En outre, plusieurs dimensions montrent une intersectionalité significative entre les inégalités de revenus et de richesse, en termes d’accès aux soins de santé, au logement, à l’éducation et aux services publics essentiels; comme celles-ci se combinent à d’autres facteurs tels que l’origine et l’appartenance ethnique, le genre, le statut de migrant et (pour les enfants) la situation socio-économique des parents, l’inégalité des chances aggrave les perspectives d’une vie dans la dignité toutes générations confondues 
			(5) 
			OCDE (2015), Tous à
bord pour la croissance inclusive, éditions de l’OCDE, Paris. DOI: <a href='https://doi.org/10.1787/9789264218512-en'>https://doi.org/10.1787/9789264218512-en.</a>. Comme le note la Banque de développement du Conseil de l’Europe, bien que « le continent européen soit de loin le plus riche et, dans l’ensemble, le plus égalitaire du monde », il « voit les inégalités s’accroître progressivement, mais régulièrement depuis 2000. » Les inégalités sont les plus grandes dans les régions de l’Europe du Sud et du Centre-Est 
			(6) 
			« Par exemple, en 2014,
en moyenne, une personne se situant dans les 20 % supérieurs en
termes de distribution des revenus était susceptible d’avoir 5 fois
plus qu’une personne se situant dans les 20 % inférieurs (contre
4,6 fois en 2000) ». Voir « An introduction to inequality in Europe.
Tackling inequalities in Europe: the role of social investment »
par la Banque de développement du Conseil de l’Europe (CEB), document
publié en décembre 2017..
5. Les inégalités n’affectent pas seulement les individus et les communautés, elles freinent également le développement économique global et nuisent au fonctionnement de notre société. Lorsque les inégalités augmentent, l’endettement s’accroît tandis que les investissements reculent, la performance des pays se détériore, l’innovation est entravée et le développement durable ralentit. En fait, inégalités et croissance non durable sont les deux facettes d’un même problème 
			(7) 
			Note de discussion
des services du FMI SDN/11/08 « Inequality and Unsustainable Growth:
Two Sides of the Same Coin? » par Andrew G. Berg et Jonathan D.
Ostry, <a href='https://www.imf.org/external/pubs/ft/sdn/2011/sdn1108.pdf'>www.imf.org/external/pubs/ft/sdn/2011/sdn1108.pdf</a>..
6. Le niveau élevé des inégalités a également un impact négatif sur la jouissance des droits sociaux et la mobilité sociale. Ainsi, les conditions de leur naissance ou la position sociale de leurs parents déterminent le bien-être actuel et futur des personnes 
			(8) 
			Voir Social Europe, Volume Three, Social Europe
Publishing, <a href='https://www.socialeurope.eu/book/social-europe-volume-three'>www.socialeurope.eu/book/social-europe-volume-three</a>. Les inégalités provoquent une érosion du contrat social et sapent la confiance dans la société, ce qui affaiblit le soutien aux institutions démocratiques. Avec l’accroissement des inégalités, les économies deviennent moins résistantes aux chocs extérieurs, tandis que le mécontentement social peut nourrir la protestation sociale et provoquer l’instabilité politique 
			(9) 
			Voir « Divided we stand:
why inequality keeps rising », OCDE (2011), <a href='https://www.oecd.org/els/soc/49499779.pdf'>www.oecd.org/els/soc/49499779.pdf</a>.. Certains donnent même aux racines du populisme et à la plupart des troubles politiques dans le monde cette seule explication: la montée en flèche des inégalités et la rage d’être « laissé pour compte ». 
			(10) 
			Voir « <a href='www.theguardian.com/commentisfree/2020/jan/24/most-political-unrest-has-one-big-root-cause-soaring-inequality'>Most
political unrest has one big root cause: soaring inequality</a> », Michael Massing, The Guardian,
24 janvier 2020, <a href='https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/jan/24/most-political-unrest-has-one-big-root-cause-soaring-inequality'></a> Des preuves récentes suggèrent que la montée des politiques populistes et du mécontentement à l'égard de la démocratie se concentre surtout parmi les groupes à revenu intermédiaire, qui se sentent laissés pour compte dans l'accès aux opportunités économiques et anxieux en raison de la rareté relative d'emplois de qualité et stables. Cela souligne la nécessité pour les politiques d'égalité de se concentrer sur l'atténuation des angoisses économiques et sociales des groupes tant à revenu intermédiaire qu’à faible revenu 
			(11) 
			Dani
Rodrik, «<a href='https://www.project-syndicate.org/commentary/tackling-inequality-from-the-middle-by-dani-rodrik-2019-12'>Tackling
inequality from the Middle</a>», Project Syndicate, décembre 2019..
7. Des études ont montré que les inégalités socio-économiques ont également des répercussions importantes sur la santé des individus. L’étude de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) sur les déterminants sociaux de la santé et le fossé sanitaire a montré que les groupes socio-économiques moins aisés sont davantage enclins à l’obésité 
			(12) 
			<a href='https://www.euro.who.int/en/publications/abstracts/review-of-social-determinants-and-the-health-divide-in-the-who-european-region.-final-report'>www.euro.who.int/en/publications/abstracts/review-of-social-determinants-and-the-health-divide-in-the-who-european-region.-final-report.</a>. Les régimes alimentaires malsains et les inégalités socio-économiques sont liés. L’obésité augmente en Europe, plus particulièrement et plus rapidement parmi les populations défavorisées sur le plan socio-économique, en particulier chez les femmes, phénomène clairement lié aux inégalités en matière de niveau d’éducation 
			(13) 
			<a href='https://www.euro.who.int/data/assets/pdf_file/0003/247638/obesity-090514.pdf'>www.euro.who.int/data/assets/pdf_file/0003/247638/obesity-090514.pdf</a>. Dans l’Union européenne, 26 % des cas d’obésité chez
les hommes et 50 % chez les femmes sont attribuables à des inégalités
dans le niveau d’éducation.. En outre, l’espérance de vie est plus courte chez les adultes et les enfants des pays à fort taux d’inégalité, car ils sont plus à risque de développer un diabète de type 2 et des pathologies connexes telles que cardiopathies ischémiques, accidents vasculaires cérébraux et autres maladies chroniques. L’obésité et les maladies chroniques augmentent la vulnérabilité aux maladies graves et le risque de décès dû à la covid-19, ce qui contribue à expliquer les taux de mortalité et de morbidité plus élevés parmi les populations défavorisées du monde entier. Outre les méfaits sur la santé physique, les inégalités induisent également d’importants problèmes de santé mentale, mais aussi un accroissement du chômage.
8. Si la courbe des inégalités socio-économiques montre qu’elles ne cessent de s’accentuer, les analystes divergent dans leurs points de vue sur les inégalités. Certains chercheurs estiment qu’elles encouragent parfois les gens à prendre des risques entrepreneuriaux et à travailler ou à étudier davantage afin de grimper dans l’échelle sociale. D’autres affirment que les fortes inégalités agissent comme un « plafond de verre » et un frein à la mobilité sociale, et qu’elles contribuent à la dégradation de la santé et de qualité de vie des gens quels que soient les efforts qu’ils déploient. Le fait est que de nombreuses inégalités se transmettent de génération en génération. Il ne fait aucun doute que ce niveau est actuellement trop élevé dans la plupart voire dans tous les États membres du Conseil de l’Europe.
9. Ce rapport s’attache donc à jeter un regard neuf sur l’évolution et l’impact des diverses inégalités socio-économiques sur le développement humain et sociétal, alors les structures socio-économiques en Europe changent sous la pression des défis mondiaux. Il examine les facteurs et les politiques susceptibles d’aggraver les inégalités et tente de déterminer quels ajustements politiques pourraient favoriser de meilleures opportunités pour tous. Je pense que nous devons revisiter les critères de référence établis par la Charte sociale européenne (STE n°s 35 et 163, ci-après «la Charte»), ainsi que les objectifs poursuivis par le socle européen des droits sociaux, le cadre politique européen en faveur de la santé et du bien-être Santé 2020 – OMS/Europe 
			(14) 
			Pour plus d’informations,
voir <a href='https://www.euro.who.int/en/about-us/regional-director/regional-directors-emeritus/dr-zsuzsanna-jakab,-2010-2019/health-2020-the-european-policy-for-health-and-well-being'>www.euro.who.int/en/about-us/regional-director/regional-directors-emeritus/dr-zsuzsanna-jakab,-2010-2019/health-2020-the-european-policy-for-health-and-well-being</a>. et l’initiative Vivre Mieux 
			(15) 
			Voir l’initiative du
Vivre Mieux: mesurer le bien-être et le progrès, <a href='https://www.oecd.org/statistics/better-life-initiative.htm'>www.oecd.org/statistics/better-life-initiative.htm</a>. de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), à la lumière des objectifs mondiaux de développement durable (ODD).

2. Recensement des inégalités socio-économiques

10. Le statut socio-économique des individus est défini au sens large comme l’accès aux ressources et est généralement mesuré par le revenu, la richesse, l’éducation et la profession, tous ayant des implications importantes sur la nutrition, la santé et les conditions de vie. Ainsi, les inégalités sociales et économiques regroupent les disparités qui touchent à de nombreux aspects de la vie – revenu, richesse, niveau d’éducation, santé, nutrition, conditions de vie, parcours professionnel, identité sociale et participation à la société; elles permettent de déterminer la position qu’une personne occupe dans l’échelle sociale (classe sociale) et sa qualité de vie. Chacune de ces inégalités peut être mesurée pour tous les aspects de la vie des gens. Ainsi, l’indice de Gini 
			(16) 
			L’indice de Gini va
de 0 (égalité parfaite, toutes les personnes ont les mêmes richesses)
à 1 (inégalité parfaite). En 2020, le pays le plus inégalitaire
du monde, sur une échelle de 0 à 100, était l’Afrique du Sud (62,73),
suivie de cinq autres pays africains et de pays d’Amérique latine
et d’Afrique; la Turquie (43,61) est la lanterne rouge des États
membres du Conseil de l’Europe, derrière la Bulgarie (37,15) et
la Lituanie (36,98) – les pays les plus inégalitaires de l’UE –,
tandis que l’Azerbaïdjan (22,45) et la République de Moldava (24,5)
sont les pays les plus égalitaires d’Europe. Voir <a href='https://www.statista.com/forecasts/1171540/gini-index-by-country'>www.statista.com/forecasts/1171540/gini-index-by-country</a>. rend compte de l’étendue du niveau d’inégalité de la répartition des revenus au sein d’une population, alors que la courbe de Lorenz est une représentation graphique de la distribution des revenus ou de la richesse dans un pays. Pour mesurer les inégalités en matière de santé, on peut utiliser l’espérance de vie en « bonne santé » des personnes en fonction de leur appartenance à telle ou telle catégorie de revenus; certains voudront y ajouter la prévalence des maladies chroniques et l’état de santé général en fonction de l’accès aux soins. Toutes ces inégalités s’installent très tôt dans la vie d’un enfant et dépendent de la condition sociale et économique de ses parents. Elles ont un impact négatif sur la jouissance des droits sociaux et la mobilité sociale, se manifestent par de mauvaises conditions de logement et des difficultés d’accès à certains établissements d’enseignement ou à certains emplois, ce qui peut alimenter un cercle vicieux affectant la santé personnelle et les résultats en matière d’éducation, entre autres facteurs.
11. Il y a une interaction importante entre les multiples dimensions des inégalités socio-économiques. En Europe, par exemple, les étudiants à faible revenu tirent moins profit du système éducatif que les jeunes aisés et leurs acquis d’apprentissage sont nettement inférieurs. La Banque de développement du Conseil de l’Europe souligne qu’en matière d’acquis d’apprentissage, il existe des disparités tant entre les États qu’à l’intérieur des États. Les résultats des tests en Europe centrale et orientale sont les plus faibles pour tous les quartiles de revenu en Europe, ce qui reflète les inégalités dans de multiples dimensions entre les États. Tandis que c’est en Europe occidentale que les disparités entre les étudiants riches et pauvres sont les plus grandes, en Europe centrale et orientale l’écart est le plus faible. Les chocs économiques frappent plus durement les moins instruits et les rendent encore plus vulnérables 
			(17) 
			Voir <a href='https://coebank.org/fr/news-and-publications/ceb-publications/educational-inequality-in-europe/'>https://coebank.org/fr/news-and-publications/ceb-publications/educational-inequality-in-europe/</a>.. Le travail à temps partiel (temps de travail réduit) et la faiblesse des revenus des travailleurs non qualifiés affectent l’éducation de leurs enfants, la qualité des soins et de l’éducation pendant les cinq premières années de la vie jouant un rôle déterminant dans leur capacité future à décrocher un bon emploi et à obtenir un bon salaire 
			(18) 
			Voir <a href='https://english.elpais.com/elpais/2019/03/25/inenglish/1553511838_639423.html'>https://english.elpais.com/elpais/2019/03/25/inenglish/1553511838_639423.html</a>. Voir également le rapport en préparation par Mme Hetto-Gaasch
(Luxembourg, PPE/DC) intitulé « Intérêt supérieur de l’enfant et
politiques pour assurer l’équilibre entre vie privée et professionnelle»..L’inégalité croissante des revenus semble toucher plus particulièrement les personnes dont les parents ont un faible niveau d’instruction, alors qu’elle n’a que peu d’influence lorsque le niveau d’instruction parental est moyen 
			(19) 
			Voir <a href='https://www.oecd.org/fr/presse/les-inegalites-pesent-sur-la-croissance-economique.htm'>www.oecd.org/fr/presse/les-inegalites-pesent-sur-la-croissance-economique.htm</a>..
12. En effet, les circonstances au début de la vie jouent un rôle essentiel dans la détermination du statut socio-économique et des conditions de santé des individus, l’éducation et la richesse des parents ayant un impact significatif 
			(20) 
			Dans mon travail en
cours en tant que rapporteure de la commission sur l'égalité et
la non-discrimination sur «Lutter contre la discrimination fondée
sur l'origine sociale», j’examine plus en détail le ralentissement
de la mobilité sociale ascendante et si l'origine sociale joue un
rôle supplémentaire dans la discrimination.. À l’adolescence, le statut socio-économique de la famille n’est pas le seul facteur important pour comprendre les inégalités de bien-être, il faut aussi tenir compte des moyens économiques des jeunes et de leur statut auprès de leurs pairs 
			(21) 
			Voir <a href='https://link.springer.com/article/10.1007/s10964-016-0430-5'>https://link.springer.com/article/10.1007/s10964-016-0430-5</a>., d’où la nécessité d’accomplir davantage de progrès pour améliorer l’égalité dans l’éducation et donner aux enfants issus de milieux populaires les mêmes chances qu’à ceux issus de familles aisées. La protection sociale de ces enfants semble aussi limitée. En effet, en 2019, près de 22,2 % (18 millions environ) d’enfants dans l’Union européenne vivaient dans des ménages exposés au risque de pauvreté ou d’exclusion sociale, tandis que quelque 60 % des enfants roms subissaient des privations matérielles et 80 % étaient menacés de pauvreté ou d’exclusion sociale 
			(22) 
			Fiche d’information
sur la « Garantie européenne pour l’enfance », Commission européenne,
24 mars 2021..
13. Les interventions qui encouragent le niveau d'instruction des enfants des familles les plus pauvres réduiront les inégalités entre les générations actuelles et futures. Des études révèlent que les enfants de parents plus instruits peuvent accéder plus largement aux possibilités d'éducation et obtenir de meilleurs résultats, démontrant ainsi les avantages supplémentaires de l'amélioration du niveau d'instruction. Cela justifie également l'investissement dans l’amélioration des capacités parentales et dans le niveau d'instruction des groupes les plus vulnérables et marginalisés. Les mêmes études soulignent la nécessité d'un accès universel à l'éducation comme un instrument d'amélioration de la mobilité sociale. Elles plaident également pour des incitations plus fortes pour les étudiants des ménages à faible revenu à entrer à l'université, à suivre une formation professionnelle et/ou un apprentissage. En parallèle, plusieurs forces économiques, y compris l'automatisation, la transition vers l'économie verte et l'attention croissante portée aux services de soins, continuent de modifier la demande de compétences. Assurer un renouvellement continu des compétences tout au long du cycle de vie grâce à la requalification et à l'amélioration des compétences de la main-d'œuvre sera donc d'une grande importance pour éviter l'aggravation des inégalités. 
			(23) 
			Plusieurs
publications de l'Organisation internationale du travail (OIT) et
du Forum économique mondial soulignent la nécessité d'investir dans
les compétences par le biais du recyclage ou du perfectionnement;
voir <a href='https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_norm/---relconf/documents/meetingdocument/wcms_792123.pdf'>www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_norm/---relconf/documents/meetingdocument/wcms_792123.pdf</a> parmi d’autres pour plus de détails.
14. Rappelons à cet égard que le droit des enfants et des adolescents à la protection sociale est prévu par l’article 17 de la Charte sociale européenne, qui dispose que les Parties s’engagent « à assurer aux enfants et aux adolescents […] les soins, l’assistance, l’éducation et la formation dont ils ont besoin, notamment en prévoyant la création ou le maintien d’institutions ou de services adéquats et suffisants à cette fin ». De plus, l’article 10 de la Charte garantit le droit à la formation professionnelle, tandis que l'article 15 souligne l'importance de l'accès à l'éducation et à la formation professionnelle pour l'autonomie et l'intégration sociale des personnes handicapées. Le Socle européen des droits sociaux contient le principe 11 « Accueil de l’enfance et aide à l’enfance » qui stipule que « les enfants de milieux défavorisés ont le droit de bénéficier de mesures spécifiques visant à renforcer l’égalité de chances ». La Garantie européenne pour l’enfance vise à aider les États membres à apporter un soutien accru aux enfants dans le besoin en assurant l’accueil de la petite enfance, l’éducation, une alimentation saine (notamment dans le cadre des repas servis à l’école), un logement convenable et des soins de santé.
15. Le travail des enfants, en grande partie dû aux inégalités et à la pauvreté, reste un problème persistant dans le monde d’aujourd’hui. Selon un nouveau rapport de l’Organisation internationale du Travail (OIT) et de l’UNICEF, 160 millions d’enfants (63 millions de filles et 97 millions de garçons) travaillaient au début de 2020, représentant près de 1 enfant sur 10 dans le monde (3,8 millions de ces enfants se trouvent en Europe et en Amérique du Nord, 10,1 millions se trouvent en l’Afrique du Nord et en Asie occidentale) 
			(24) 
			Voir <a href='https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_norm/---ipec/documents/publication/wcms_797515.pdf'>www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_norm/---ipec/documents/publication/wcms_797515.pdf</a>.. 79 millions d’enfants – près de la moitié de tous ceux qui travaillent – ont effectué des travaux dangereux qui mettent directement en danger leur santé, leur sécurité et leur développement moral, et des millions d’autres sont menacés par les conséquences de la covid-19. La crise de la covid-19 menace d’éroder davantage les progrès mondiaux contre le travail des enfants si des mesures d’atténuation urgentes ne sont pas prises: 8,9 millions d’enfants supplémentaires pourraient être contraints de travailler d’ici la fin de 2022 en raison de la pauvreté croissante due à la pandémie. Il est urgent d’agir pour mettre fin au travail des enfants, conformément aux engagements et aux objectifs mondiaux, régionaux et nationaux.
16. Fait particulièrement préoccupant: l’inégalité des chances compromet gravement les droits des enfants partout dans le monde et contribue à l’exploitation des enfants par le travail. Il nous appartient, dans ce contexte, de rappeler à nos États membres l’obligation qui leur incombe, en vertu de la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant, de respecter le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant. La Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5, ci-après «la Convention») (article 4 – Interdiction de l’esclavage et du travail forcé), la Charte sociale européenne (article 7 – Droit des enfants et des adolescents à la protection et âge minimum d’admission à l’emploi fixé à 15 ans; et article 17 – Droit des enfants et des adolescents à une protection sociale, juridique et économique), la Convention du Conseil de l'Europe sur la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels (STCE n° 201, Convention de Lanzarote) et la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE n° 197), sont les principaux instruments juridiques du Conseil de l’Europe qui offrent un cadre essentiel pour traiter efficacement le problème de l’exploitation des enfants 
			(25) 
			Voir
la <a href='https://pace.coe.int/fr/news/8345/put-an-end-to-child-labour'>déclaration
à l’occasion de la Journée mondiale contre le travail des enfants
et de l’Année internationale 2021 pour l’élimination du travail
des enfants, publiée le 12 juin 2021</a> sur le site de l’Assemblée..
17. Les inégalités sont un frein à la mobilité sociale: en Espagne, par exemple, il faudrait 120 ans pour qu’un enfant né dans une famille à faible revenu atteigne le niveau de revenu moyen parce que l'ascenseur social est très lent ou bloqué la plupart du temps 
			(26) 
			Voir l’article «Spain’s
broken social elevator: how the crisis damaged upward mobility» sur <a href='https://english.elpais.com/elpais/2019/03/25/inenglish/1553511838_639423.html'>https://english.elpais.com/elpais/2019/03/25/inenglish/1553511838_639423.html</a> et <a href='https://read.oecd-ilibrary.org/social-issues-migration-health/broken-elevator-how-to-promote-social-mobility_9789264301085-en'>https://read.oecd-ilibrary.org/social-issues-migration-health/broken-elevator-how-to-promote-social-mobility_9789264301085-en</a>..Force est de constater que le ralentissement de la mobilité sociale ne fait que s’aggraver depuis dix ans: si, en 2008, 52 % des 40 % les plus pauvres étaient restés dans l’un des déciles de revenus les plus bas au cours des trois années suivantes, ils étaient 56 % en 2015. La plupart des pays européens – à l’exception de Chypre, de l’Estonie, de l’Islande, de l’Irlande et du Royaume-Uni – n’ont pas réussi à améliorer la situation des 40 % les plus pauvres 
			(27) 
			Voir <a href='https://coebank.org/media/documents/Part_1-Inequality-Introduction_lowres.pdf'>https://coebank.org/media/documents/Part_1-Inequality-Introduction_lowres.pdf</a>.. Avec le recul des progrès sociaux pendant la pandémie, la mobilité sociale est devenue une gageure. Or, une mobilité sociale limitée conduit à l’exclusion sociale, créant une méfiance envers la démocratie. Les Parties à la Charte sociale européenne se sont engagées à supprimer les inégalités qui font obstacle à la mobilité sociale, l’article 30 de la Charte soulignant «le droit à la protection contre l’exclusion sociale».
18. La précarité est omniprésente dans les groupes à revenu moyen et faible. Les économistes s'accordent désormais à dire que la désindustrialisation, les changements technologiques axés sur les compétences, les règles de la mondialisation, la flexibilité accrue des marchés du travail et l'affaiblissement de l'État-providence ont contribué à cette grande précarité et à l'écrasement de la classe moyenne. Ces analyses soulignent la nécessité de repenser les politiques sociales et économiques en mettant l'accent sur la création d'emplois de qualité et stables, ce qui est conforme aux droits liés au travail inscrits dans la Charte sociale européenne.
19. Pour la Banque de développement du Conseil de l’Europe, les inégalités de logement sont à la fois un symptôme et une cause des inégalités de revenus existantes 
			(28) 
			Voir <a href='https://coebank.org/media/documents/Part_3-Inequality-Housing.pdf'>https://coebank.org/media/documents/Part_3-Inequality-Housing.pdf</a>.,et de fait, la plupart des ménages pauvres n’ont pas les moyens d’accéder à un meilleur logement et vivent dans des quartiers qui accentuent les inégalités. Dans la plupart des cas, le coût élevé du logement exerce une pression supplémentaire sur les revenus déjà limités de ces ménages. Les personnes à faible revenu ayant moins de choix, elles vivent souvent dans des logements surpeuplés, où les équipements de base sont limités et dont la surface habitable est réduite. Les pauvres vivant souvent dans des logements médiocres et dans des quartiers défavorisés, ils ont plus difficilement accès à certains services publics comme les soins médicaux de base, et on observe une ségrégation spatiale entre les groupes de revenus. De plus, la plupart des pays européens se sont désengagés de la fourniture directe de logements aux groupes défavorisés. Les politiques de logement devraient être repensées, afin d’offrir des solutions plus équitables pour que chacun puisse exercer son droit à un logement d’un niveau suffisant et d’un coût accessible, conformément à l’article 31 de la Charte sociale européenne 
			(29) 
			Idem. Voir aussi la Résolution 2285 (2019) «Un développement urbain durable propice à l’inclusion
sociale».. Aujourd'hui, plus d'un an après le début de la pandémie, alors que certaines personnes ont été aidées à trouver un logement plus sûr, d'autres subissent de plein fouet la propagation du virus.
20. En Europe, les groupes à faible revenu ont plus de risques d’avoir des problèmes de santé de longue durée. Selon la Banque de développement du Conseil de l’Europe, 15,2 % des 40 % des plus pauvres ont déclaré être en mauvaise santé, contre seulement 4,7 % des 20 % des plus riches. En moyenne, l’écart entre les 40 % les plus pauvres et les 20 % les plus riches ayant déclaré être en mauvaise santé est de 11 % dans tous les pays 
			(30) 
			Voir <a href='https://coebank.org/media/documents/Part_1-Inequality-Introduction_lowres.pdf'>https://coebank.org/media/documents/Part_1-Inequality-Introduction_lowres.pdf</a>.. Les incidences des inégalités sur la santé ne semblent pas avoir été corrigées – depuis 2010, par exemple, l’espérance de vie, corrélée à la classe sociale, est au point mort au Royaume-Uni et les écarts d’espérance de vie se sont creusés ces dernières années: les populations des zones défavorisées vivent plus longtemps en mauvaise santé que celles des zones moins défavorisées 
			(31) 
			Voir <a href='https://www.health.org.uk/publications/reports/the-marmot-review-10-years-on?gclid=Cj0KCQjwsLWDBhCmARIsAPSL3_3yEXXvf-IY6NivspQad6b9ubn3t_a0-k0vuXCH3jufFMlZ2ToyErIaAvM2EALw_wcB'>www.health.org.uk/publications/reports/the-marmot-review-10-years-on?gclid=Cj0KCQjwsLWDBhCmARIsAPSL3_3yEXXvf-IY6NivspQad6b9ubn3t_a0-k0vuXCH3jufFMlZ2ToyErIaAvM2EALw_wcB</a>.. Pourtant la Charte énonce que « toute personne a le droit de bénéficier de toutes les mesures lui permettant de jouir du meilleur état de santé qu’elle puisse atteindre » (principe 11).
21. Dans la plupart de pays européens, plus la situation socio-économique est difficile, plus le risque de suicide est élevé, surtout chez les hommes 
			(32) 
			Voir <a href='https://www.cambridge.org/core/journals/the-british-journal-of-psychiatry/article/socioeconomic-inequalities-in-suicide-a-european-comparative-study/1F90C85EA20F41E4F24D18B0BE7F40FD'>www.cambridge.org/core/journals/the-british-journal-of-psychiatry/article/socioeconomic-inequalities-in-suicide-a-european-comparative-study/1F90C85EA20F41E4F24D18B0BE7F40FD</a>.. Pendant la pandémie de covid-19, les inégalités sociales ont persisté, quels que soient la tranche d’âge, le sexe, la zone géographique et la catégorie de revenus, les familles monoparentales étant les plus exposées au risque de pauvreté et d’exclusion sociale 
			(33) 
			<a href='https://www.mdpi.com/1660-4601/18/3/1256/htm'>www.mdpi.com/1660-4601/18/3/1256/htm</a>.. Il apparaît que les ménages à faible revenu et les minorités ethniques risquent davantage de souffrir de conditions de vie insatisfaisantes, comme de mauvaises conditions de logement ou un risque plus élevé de criminalité dans leur quartier, avec des répercussions sur leur état de santé et leur espérance de vie. Cela dit, l’OCDE conclut que le niveau de capital social dans le voisinage est un facteur important dans de telles situations et que les réseaux sociaux de soutien mutuel dans les communautés peuvent favoriser la diffusion d’informations sur la santé et des modèles de comportement sain 
			(34) 
			Voir <a href='https://read.oecd-ilibrary.org/social-issues-migration-health/inclusive-growth-and-health_93d52bcd-en'>https://read.oecd-ilibrary.org/social-issues-migration-health/inclusive-growth-and-health_93d52bcd-en</a>..
22. La crise sanitaire liée à la covid-19 a produit des bouleversements socio-économiques qui ont ruiné des millions de vies et favorisé le retour de l’extrême pauvreté partout dans le monde. Une bonne partie des progrès réalisés dans la mise en œuvre des ODD depuis 2015 ont été réduits à néant depuis le début de la pandémie: les filets de sécurité sociale, les systèmes alimentaires, les structures d’emploi et les entreprises ont été massivement touchés. La Banque mondiale prévoit que, pour la première fois depuis plus de vingt ans, le taux mondial d’extrême pauvreté devrait augmenter en 2020 
			(35) 
			Voir <a href='https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2020/10/07/covid-19-to-add-as-many-as-150-million-extreme-poor-by-2021'>www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2020/10/07/covid-19-to-add-as-many-as-150-million-extreme-poor-by-2021</a>. Voir aussi le rapport préparé par M. Pierre-Alain Fridez
(Suisse, SOC) intitulé «Eliminer la pauvreté extrême des enfants
en Europe: une obligation internationale et un devoir moral».. Partout en Europe, la pauvreté et les inégalités se sont accentuées pendant la pandémie, les pertes de salaire les plus importantes touchant les travailleurs les plus pauvres, généralement moins susceptibles de continuer à travailler pendant le confinement. Ces inégalités se seraient creusées davantage dans les pays du sud et de l’est de l’Europe 
			(36) 
			Voir <a href='https://www.ox.ac.uk/news/2020-10-29-poverty-and-inequality-surge-across-europe-wake-covid-19'>www.ox.ac.uk/news/2020-10-29-poverty-and-inequality-surge-across-europe-wake-covid-19</a>.. Il est impératif de résoudre ce problème, sachant que l’article 30 de la Charte sociale européenne garantit le droit à la protection contre la pauvreté.
23. Au niveau mondial, comme le relève l’OCDE, le taux de participation des femmes à l’emploi est stable depuis 20 ans – environ 50 % –, tout comme l’écart de rémunération de 27 % entre les femmes et les hommes 
			(37) 
			Voir <a href='https://www.oecd.org/gender/data/measuring-masculine-norms-to-better-understand-the-invisible-barriers-to-womens-economic-inclusion.htm'>www.oecd.org/gender/data/measuring-masculine-norms-to-better-understand-the-invisible-barriers-to-womens-economic-inclusion.htm</a>..En 2019, dans l’Union européenne, cet écart de rémunération s’élevait à 14,1 % 
			(38) 
			En clair, les femmes
ont gagné en moyenne 14,1 % de moins que les hommes. et l’écart entre le taux d’emploi des femmes et celui des hommes était de 11,7 % 
			(39) 
			Voir <a href='https://ec.europa.eu/info/policies/justice-and-fundamental-rights/gender-equality/equal-pay/gender-pay-gap-situation-eu_en'>https://ec.europa.eu/info/policies/justice-and-fundamental-rights/gender-equality/equal-pay/gender-pay-gap-situation-eu_en</a>.. Les femmes sont sur-représentées dans les secteurs faiblement rémunérés et consacrent plus d’heures que les hommes au travail non rémunéré. Elles ont moins de chances d’être nommées à la tête d’une grande entreprise et, même dans ce cas, les écarts de salaire horaire restent importants. Selon une étude de l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE), « les inégalités entre les hommes et les femmes au niveau des responsabilités familiales [non rémunérées] ont une incidence directe sur les opportunités d’emploi des femmes » (notamment en poussant les femmes vers des emplois précaires et à temps partiel), ce qui contribue de manière significative à l’écart salarial entre les femmes et les hommes 
			(40) 
			Voir
la fiche d’information « <a href='https://eige.europa.eu/publications/gender-inequalities-care-and-pay-eu'>Gender
inequalities in care and pay in the EU</a>»<a href='https://eige.europa.eu/publications/gender-inequalities-care-and-pay-eu'></a>..
24. L’article 20 de la Charte sociale européenne énonce le droit à l’égalité des chances et de traitement en matière d’emploi et de profession, sans discrimination fondée sur le sexe. En 2019, le Comité européen des droits sociaux a adopté 15 décisions 
			(41) 
			Ces décisions concernaient
les pays suivants: Belgique, Bulgarie, Chypre, Croatie, Finlande,
France, Grèce, Irlande, Italie, Pays-Bas, Norvège, Portugal, République
tchèque, Slovénie et Suède. relatives au respect, par les États Parties, du droit à l’égalité de rémunération et du droit à l’égalité des chances dans la vie professionnelle 
			(42) 
			Voir <a href='https://www.coe.int/fr/web/european-social-charter/-/the-decisions-on-the-merits-in-university-women-of-europe-uwe-v-belgium-bulgaria-croatia-cyprus-czech-republic-finland-france-greece-ireland-italy-the'>www.coe.int/fr/web/european-social-charter/-/the-decisions-on-the-merits-in-university-women-of-europe-uwe-v-belgium-bulgaria-croatia-cyprus-czech-republic-finland-france-greece-ireland-italy-the</a>.. Il a demandé aux États concernés de reconnaître le droit dans leur législation à une rémunération égale pour un travail égal ou de valeur égale dans leur législation, d’assurer aux victimes de discrimination salariale l’accès à des voies de recours effectives, d’assurer et de garantir la transparence salariale et permettre les comparaisons de rémunération, et d’assurer l’existence d’organismes de promotion de l’égalité efficaces et d’autres institutions compétentes afin de garantir en pratique l’égalité de rémunération. Il a considéré que la quasi-totalité de ces pays ne respectait pas un ou plusieurs des aspects de l’obligation de garantir le droit à l’égalité de rémunération et le droit à l’égalité des chances dans la vie professionnelle. Les mesures prises par les États membres ont permis de réaliser de timides progrès, pas de faire disparaître totalement les pratiques discriminatoires sur le marché du travail. Le 17 mars 2021, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté une déclaration sur l’égalité de rémunération et des chances entre les femmes et les hommes afin de lutter contre les inégalités de rémunération dans l’emploi 
			(43) 
			Voir <a href='https://www.coe.int/fr/web/genderequality/-/committee-of-ministers-declaration-on-equal-pay-and-opportunities-for-women-and-men'>www.coe.int/fr/web/genderequality/-/committee-of-ministers-declaration-on-equal-pay-and-opportunities-for-women-and-men</a>..
25. Un État-providence fort, tant au niveau national que local, est essentiel pour combler l'écart de rémunération entre les genres en fournissant des services sociaux universels et abordables, y compris des services de garde d'enfants et de soins des personnes âgées, afin d'améliorer les possibilités d'emploi pour les parents. L'introduction de lois conçues pour éliminer l'écart de rémunération entre les hommes et les femmes et pour exiger la transparence des structures salariales des entreprises privées contribue également de manière positive à réduire l'écart de rémunération entre les genres. La pandémie de covid-19 semble compromettre les progrès réalisés pour combler le fossé entre les femmes et les hommes: 70 % des professionnels de santé en première ligne pour lutter contre la covid-19 sont des femmes; celles-ci effectuent jusqu’à 10 fois plus de tâches non rémunérées 
			(44) 
			Selon
le rapport de l’EIGE intitulé «<a href='https://eige.europa.eu/publications/gender-inequalities-care-and-consequences-labour-market'>Gender
inequalities in care and consequences for the labour market</a>» du 20 janvier 2021, 76 % des personnes travaillant
dans le secteur des soins dans les pays de l’Union européenne – 49 millions
– sont des femmes. et sont donc davantage exposées au risque d’insécurité économique. Les femmes chefs d’entreprise ont subi une perte de revenus plus importante que leurs homologues masculins pendant la pandémie 
			(45) 
			Voir <a href='https://www.oecd.org/gender/data/covid-19-threatens-to-undo-progress-made-in-closing-the-gender-gap-in-entrepreneurship.htm'>www.oecd.org/gender/data/covid-19-threatens-to-undo-progress-made-in-closing-the-gender-gap-in-entrepreneurship.htm</a>..
26. L’étude du Réseau européen de lutte contre la pauvreté (EAPN) 
			(46) 
			« The impact of Covid-19
on people experiencing poverty and vulnerability – re-building Europe
with a social heart », rapport de Graciela Malgesini, EAPN, et du
Groupe des stratégies d’inclusion de l’Union européenne (EUISG),
juillet 2020, <a href='https://www.eapn.eu/wp-content/uploads/2020/07/EAPN-EAPN_REPORT_IMPACT_COVID19-4554.pdf'>https://www.eapn.eu/wp-content/uploads/2020/07/EAPN-EAPN_REPORT_IMPACT_COVID19-4554.pdf</a>.a révélé que, dans les pays étudiés, « l’inégalité entre les femmes et les hommes a beaucoup progressé (Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Italie, Pologne, Portugal, Serbie, République Slovaque, Slovénie et République tchèque) » – soit dans un pays sur deux –, et qu’elle a « légèrement augmenté (Finlande, France, Grèce, Hongrie, Lituanie, Norvège, Pays-Bas et Royaume-Uni) » – soit dans un pays sur trois – en raison de la pandémie de covid-19 et des mesures prises par les gouvernements. Certains groupes de femmes subissent simultanément plusieurs formes d’inégalité (inégalité intersectionnelle) en raison de leur statut migratoire, de leur handicap physique ou mental, de leur race, de leur origine ethnique et de leur classe sociale. En Europe, les femmes sont davantage exposées au risque de pauvreté et d’exclusion, risquent davantage d’être infectées par le coronavirus du fait qu’elles représentent la majorité des travailleurs de première ligne, de rester dans des emplois précaires faiblement rémunérés et d’être cantonnées à plein temps dans des activités de soin. Elles sont plus touchées que les hommes par l’isolement et la solitude imposés par la pandémie et souffrent davantage de la violence fondée sur le genre pendant le confinement.
27. La réduction des inégalités dans et entre les pays fait partie des ODD (ODD 10). Le Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies note que, malgré quelques évolutions positives concernant la réduction des inégalités de revenus dans un certain nombre de pays avant la pandémie de covid-19, les inégalités se creusent, en particulier dans les pays les plus pauvres et les groupes de population les plus vulnérables (personnes âgées, enfants, personnes handicapées, femmes, migrants et réfugiés), en raison de la baisse significative des niveaux d’investissement global et de la réduction drastique de l’aide publique au développement (APD) en 2020 
			(47) 
			Voir <a href='https://unstats.un.org/sdgs/report/2020/goal-10/'>https://unstats.un.org/sdgs/report/2020/goal-10/</a>.. Selon le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), la pandémie a déclenché une crise du développement humain, soulignant la nécessité et l’importance d’une action collective 
			(48) 
			«Perspectives
de développement humain et covid-19: évaluer l’impact, envisager
la reprise», rapport sur le développement humain du PNUD, 2020, <a href='http://hdr.undp.org/en/hdp-covid'>http://hdr.undp.org/en/hdp-covid</a>.. Bien que les pays européens comptent parmi les mieux classés de l’indice des ODD 
			(49) 
			 Voir le classement: <a href='https://dashboards.sdgindex.org/rankings'>https://dashboards.sdgindex.org/rankings</a>., ils progressent plus lentement que d’autres pays pourtant moins bien placés 
			(50) 
			«European Countries
Lead the World on Ending Extreme Poverty. But That May Change With
COVID-19: SDG Report (“Les pays européens montrent la voie à suivre
pour mettre fin à l’extrême pauvreté, mais cela pourrait changer avec
la COVID-19”), article de James Hitchings-Hales et Sarah El Gharib,
Global Citizen, juillet 2020, 
			(50) 
			<a href='https://www.globalcitizen.org/en/content/europe-sdgs-sustainable-development-report-2020/'>www.globalcitizen.org/en/content/europe-sdgs-sustainable-development-report-2020/</a>., notamment en ce qui concerne les groupes vulnérables et marginalisés, les reculs les plus importants concernant les personnes âgées et les personnes handicapées 
			(51) 
			«Europe Snapshot: Stakeholder
engagement around the SDGs during the COVID-19 Pandemic», Étude,
DAES ONU, 2021, <a href='https://sdgs.un.org/sites/default/files/2021-03/Europe Snapshot copy.pdf'>https://sdgs.un.org/sites/default/files/2021-03/Europe %20Snapshot %20copy.pdf</a>..

3. Pourquoi devrions-nous nous préoccuper des inégalités socio-économiques?

28. Comme le montre l’étude de l’OCDE, les inégalités pèsent sur la croissance économique, alors qu’une situation plus égalitaire contribuerait à faire progresser le PIB par habitant 
			(52) 
			Voir <a href='https://www.oecd.org/fr/presse/les-inegalites-pesent-sur-la-croissance-economique.htm'>www.oecd.org/fr/presse/les-inegalites-pesent-sur-la-croissance-economique.htm</a>.. Ainsi « [c’est la concentration des] inégalités dans la partie inférieure de la distribution du revenu qui entravent la croissance » et « les effets préjudiciables des inégalités sur la croissance économique s’exercent en grande partie par le biais d’une diminution des possibilités d’investissement (en particulier dans l’éducation) des segments les plus pauvres de la population 
			(53) 
			Voir <a href='https://read.oecd-ilibrary.org/social-issues-migration-health/trends-in-income-inequality-and-its-impact-on-economic-growth_5jxrjncwxv6j-en'>https://read.oecd-ilibrary.org/social-issues-migration-health/trends-in-income-inequality-and-its-impact-on-economic-growth_5jxrjncwxv6j-en</a>. ». L’analyse de la Banque de développement du Conseil de l’Europe montre que les inégalités de revenus peuvent peser sur la stabilité économique des pays en raison de périodes de croissance plus courtes, d’une situation d’emploi ou de chômage plus défavorable, de canaux de redistribution et de systèmes fiscaux congestionnés, ainsi que de l’utilisation inefficace des ressources, de l’effet dissuasif sur l’investissement et d’une moindre capacité à gérer la dette publique.
29. De nombreuses études tendent en outre à démontrer que les inégalités affaiblissent le développement humain et le capital social en réduisant la mobilité sociale et limitant la réussite scolaire, et en renforçant la méfiance et l’exclusion, les maladies mentales, l’obésité, la violence et la criminalité. On sait aussi que les inégalités socio-économiques jouent sur la participation démocratique: plus le niveau d’éducation est élevé, plus la probabilité de l’engagement politique pour voter et même protester est forte 
			(54) 
			Voir <a href='https://pjp-eu.coe.int/en/web/coyote-magazine/socio-economic-inequalities'>https://pjp-eu.coe.int/en/web/coyote-magazine/socio-economic-inequalities</a>.. Les inégalités semblent réduire le sentiment de confiance des individus envers les autres 
			(55) 
			Voir <a href='https://www.imf.org/external/pubs/ft/wp/2016/wp16176.pdf'>www.imf.org/external/pubs/ft/wp/2016/wp16176.pdf</a>.. Des niveaux élevés d’inégalité peuvent aussi favoriser les troubles sociaux, notamment dans une situation de pandémie 
			(56) 
			Voir <a href='https://blogs.imf.org/2020/12/11/when-inequality-is-high-pandemics-can-fuel-social-unrest/'>https://blogs.imf.org/2020/12/11/when-inequality-is-high-pandemics-can-fuel-social-unrest/</a>.: les disparités croissantes de revenus et d’accès aux services publics de base dues à la covid-19 accentuent la polarisation, érodent la confiance dans les autorités et aggravent les tensions politiques et sociales 
			(57) 
			Voir <a href='https://www.imf.org/-/media/Files/Publications/fiscal-monitor/2021/April/English/ch2.ashx'>www.imf.org/-/media/Files/Publications/fiscal-monitor/2021/April/English/ch2.ashx</a>..
30. Par ailleurs, les inégalités contribueraient aux changements climatiques et à la dégradation de l’environnement. De fait, les pays riches les plus inégalitaires ont généralement une empreinte environnementale plus forte due à la pollution, que les pays riches plus égalitaires – il semble en effet que dans les pays économiquement inégalitaires, les individus soient fortement poussés acheter des produits pour suivre leurs pairs 
			(58) 
			Voir <a href='https://www.theguardian.com/inequality/2017/jul/04/is-inequality-bad-for-the-environment'>www.theguardian.com/inequality/2017/jul/04/is-inequality-bad-for-the-environment</a>.. Non seulement la réduction des inégalités socio-économiques peut soutenir le développement économique et renforcer la confiance dans la démocratie, mais elle est aussi un outil très puissant pour promouvoir un développement plus durable.

4. Facteurs favorisant les inégalités

31. Les facteurs qui contribuent à la montée des inégalités sont tout aussi multiformes que les inégalités elles-mêmes et incluent le changement technologique, la mondialisation, les politiques macroéconomiques et les évolutions de la réglementation (libéralisation des services financiers, droit du travail, affaiblissement des syndicats, évolution des mécanismes de redistribution) 
			(59) 
			Voir <a href='https://www.un.org/development/desa/dspd/wp-content/uploads/sites/22/2020/01/World-Social-Report-2020-FullReport.pdf'>www.un.org/development/desa/dspd/wp-content/uploads/sites/22/2020/01/World-Social-Report-2020-FullReport.pdf</a> et l’étude de la CEB sur les inégalités.. La généralisation des nouvelles technologies et de l’automatisation a créé une « prime à la compétence » et a accentué la polarisation des salaires entre les travailleurs très qualifiés et les travailleurs peu qualifiés. La mondialisation a aussi renforcé la concurrence entre les pays et exercé une pression sur les salaires, avec bien souvent à la clé un nivellement par le bas – soit une déréglementation des secteurs de l’économie nationale orientés vers l’exportation (le commerce mondial avec ses règles serait pour 20 % responsable de l’augmentation des inégalités). L’OCDE considère que les évolutions technologiques, les réformes du travail et des pratiques de financement déséquilibrées ont, ensemble, grandement contribué à l’aggravation des inégalités dans le monde.
32. Depuis quelques dizaines d’années, les évolutions des réglementations intervenues dans bon nombre de pays ont affaibli la protection des droits du travail et conduit à une baisse des salaires minimaux à mesure que les syndicats perdaient de leur pouvoir de négociation et que des formes d’emploi non conventionnelles (généralement plus précaires que les emplois standard et plus stables) se généralisaient. Dans le même temps, les systèmes de redistribution ont continué à évoluer: les transferts sociaux ont été revus à la baisse pour équilibrer les budgets publics et tenir compte des nouvelles tendances démographiques (notamment le vieillissement de la population dans toute l’Europe), les systèmes fiscaux ont perdu de leur caractère progressif et l’évasion fiscale des grandes entreprises multinationales et des particuliers fortunés s’est emballée.
33. Dans les pays d’Europe centrale et orientale tout particulièrement, la privatisation progressive des infrastructures et des services de base (approvisionnement en électricité et en eau, systèmes de chauffage urbain, transports ferroviaires, etc.) a entraîné une hausse des tarifs, et ce, dans un contexte de stagnation des revenus. La ligne floue entre la propriété privée et publique dans la fourniture de services de base dans les domaines des droits sociaux protégés par la loi a conduit à des intérêts de recherche de profit mettant de côté la prémisse de maximiser l'intérêt public. Les services qui devraient être fournis de manière égale pour tous selon le principe d'universalité (y compris, mais sans s'y limiter, les soins de santé, l'éducation, les transports, le logement) devraient être financés par l'État. Cependant, la privatisation à grande échelle et l'utilisation de partenariats public-privé non transparents et financièrement mal gérés dans ces secteurs ont entraîné non seulement des hausses de prix, mais aussi la perte de quantités importantes de ressources publiques 
			(60) 
			Voir <a href='https://www.imf.org/en/Publications/Departmental-Papers-Policy-Papers/Issues/2021/05/10/Mastering-the-Risky-Business-of-Public-Private-Partnerships-in-Infrastructure-50335'>www.imf.org/en/Publications/Departmental-Papers-Policy-Papers/Issues/2021/05/10/Mastering-the-Risky-Business-of-Public-Private-Partnerships-in-Infrastructure-50335</a> sur la mise en garde contre la nature fiscalement risquée des
partenariats public-privé..
34. Compte tenu du poids de l’économie informelle dans certains pays, le niveau des recettes fiscales de l’État est bien inférieur à ce qu’il pourrait être et les programmes de dépenses sociales doivent logiquement être revus à la baisse, tandis que la fiscalité qui pèse sur l’économie formelle est de plus en plus lourde (et entraîne un glissement sensible de l’activité économique vers le secteur informel). C’est ainsi que la fracture sociale s’est creusée entre les groupes de population et entre les zones urbaines et rurales. À travers l’Europe la financiarisation excessive des économies nationales (recherche de la rentabilité au détriment de la production de biens et d’avantages tangibles) et l’endettement des ménages, des entreprises et de l’État ont augmenté de façon spectaculaire, de sorte que les structures socio-économiques sont davantage exposées aux chocs extérieurs (comme la crise financière de 2008-2009 ou la pandémie actuelle) et continuent de limiter la sphère publique politique.

5. Défis politiques

35. Si les modèles de développement économique dominants comportent toujours un certain niveau d’inégalités socio-économiques, ce n’est pas une raison pour que les États se soustraient à leurs responsabilités – ils doivent utiliser les outils politiques et les mécanismes de redistribution de manière à réduire ces inégalités et à mieux protéger les plus défavorisés, les plus vulnérables. Comme le souligne notre collègue Andrej Hunko dans son rapport intitulé « Surmonter la crise socio-économique déclenchée par la pandémie de covid-19 » (Doc. 15310), les mesures d’austérité budgétaire prises par de nombreux pays pour faire face à la crise financière ont fragilisé les systèmes de protection sociale et, en fin de compte, les inégalités socio-économiques ont continué de se creuser. Avec la pandémie, les effets dramatiques de cette mauvaise gestion sur les catégories les plus vulnérables de la population sont apparus au grand jour.
36. L’accroissement des inégalités socio-économiques a déplacé le centre de gravité du débat parmi les économistes, qui ne se demandent plus si les politiques de redistribution, axées sur l’égalité, ont un effet négatif sur les incitations du marché, mais si cette inégalité a conduit à conférer un pouvoir de marché excessif à une minorité, avec des effets délétères sur le bien-être économique 
			(61) 
			L’ensemble des instruments
politiques visant à lutter contre les inégalités socio-économiques
peut être classé en fonction des étapes de production (pré-production,
production et post-production) ou du groupe sociétal (revenu élevé, moyen
ou faible) qu’ils ciblent directement dans la distribution des revenus
ou des richesses.. Cette évolution a également renforcé l’accent mis sur l’ensemble des outils de politique économique redistributive permettant de s’attaquer spécifiquement aux inégalités socio-économiques. De nombreuses données empiriques montrent que les écarts de revenus et de richesses se creusent beaucoup moins lorsque les politiques budgétaires garantissent les droits sociaux par une offre publique généreuse et l’accès facile à l’éducation et aux services de santé, lorsque des transferts sociaux généreux assurent une solide protection sociale, lorsque les régimes fiscaux ont un caractère progressif et que de robustes institutions sont en place sur le marché du travail. En bref, toutes ces politiques vont dans le sens d’un État-providence fort et d’une limitation des réflexes politiques d’austérité.
37. Les arrangements socio-économiques de la société définissent nos conditions de travail et de vie et l’étendue de notre accès aux biens sociaux tels que le revenu, le logement, l’éducation, les soins de santé et les transports, qui à leur tour déterminent nos réalités socio-économiques. La corrélation négative entre les inégalités socio-économiques et les résultats en matière de santé, résultat des inégalités structurelles enracinées, a été encore amplifiée pendant la pandémie. Les inégalités dans l’accès au logement et aux soins de santé reflètent la variation des taux d’infection et les répercussions du virus entre les différents groupes socio-économiques. Plusieurs études documentent ces inégalités; par exemple, au Royaume-Uni, les données et les analyses de l’Office of National Statistics montrent que les différences significatives dans les taux de mortalité dus à la covid-19 entre les régions sont fortement corrélées avec la privation socio-économique 
			(62) 
			Voir <a href='https://www.ons.gov.uk/peoplepopulationandcommunity/birthsdeathsandmarriages/deaths/bulletins/deathsinvolvingcovid19bylocalareasanddeprivation/deathsoccurringbetween1marchand31july2020'>www.ons.gov.uk/peoplepopulationandcommunity/birthsdeathsandmarriages/deaths/bulletins/deathsinvolvingcovid19bylocalareasanddeprivation/deathsoccurringbetween1marchand31july2020</a> 
			(62) 
			pour plus d’information.. Ces variations qui ont également été documentées pour d’autres pays sont dues aux déterminants sociaux de notre santé et de nos moyens de subsistance. Certains ont qualifié la covid-19 de «syndémie», compte tenu de la nature interdépendante des comorbidités où la covid-19 interagit avec les inégalités existantes en termes de maladies chroniques qui sont étroitement liées aux déterminants sociaux de la santé 
			(63) 
			Voir <a href='https://jech.bmj.com/content/74/11/964'>https://jech.bmj.com/content/74/11/964#ref-25</a> pour plus d’information..
38. En outre, les effets économiques des mesures de confinement contre la pandémie pèsent de manière disproportionnée sur les précaires et les pauvres, laissant principalement les plus pauvres confrontés au dilemme critique entre la santé et les moyens de subsistance, surtout lorsque le soutien financier du gouvernement est insuffisant. Le confinement impliquait que le travail à domicile ou le télétravail augmentait, mais tout le monde n’avait pas la possibilité de rester à la maison. Selon la «Réponse du public aux recommandations du Gouvernement britannique sur la covid-19: enquête démographique» de mars 2020, seulement 44% de la population a déclaré pouvoir travailler à domicile avec une part nettement plus importante parmi les cadres et les professionnels, tandis que ceux qui se trouvaient dans des conditions d’emploi précaires ont eu plus de difficulté à travailler à domicile 
			(64) 
			Voir <a href='https://www.imperial.ac.uk/mrc-global-infectious-disease-analysis/covid-19/report-10-population-survey-covid-19/'>www.imperial.ac.uk/mrc-global-infectious-disease-analysis/covid-19/report-10-population-survey-covid-19/</a> pour plus de détails.. Comme le montrent les rapports de l’OCDE, les inégalités dans l’accès à la protection sociale reflètent des résultats socio-économiques inégaux qui ont été exacerbés pendant la pandémie 
			(65) 
			Voir <a href='https://www.oecd.org/coronavirus/policy-responses/supporting-livelihoods-during-the-covid-19-crisis-closing-the-gaps-in-safety-nets-17cbb92d/'>www.oecd.org/coronavirus/policy-responses/supporting-livelihoods-during-the-covid-19-crisis-closing-the-gaps-in-safety-nets-17cbb92d/</a>.. A ce titre, ces inégalités existantes et croissantes sont une preuve d'une protection insuffisante des droits sociaux.
39. Les droits sociaux jouent un rôle essentiel dans la protection des plus pauvres et des plus vulnérables et dans la garantie de l'égalité socio-économique. Cependant, alors que les droits sociaux sont inscrits à la fois dans les conventions internationales et les instruments relatifs aux droits de l'homme ainsi que dans les lois nationales, il existe un écart grandissant entre la mise en œuvre de ces droits et les empreintes juridiques. La mise en œuvre effective des droits sociaux et économiques nécessite une allocation suffisante de ressources économiques et financières pour assurer une protection sociale adéquate et une fourniture suffisante de services publics. En tant que tel, étant donné la nature prédéterminée de la structure des conditions économiques et sociales, l'identification de recours juridiques efficaces pour faire face aux violations potentielles des droits sociaux devient une tâche ardue à court terme. La question devient alors celle de s'attaquer à la source des inégalités et des désavantages structurels qui entravent la mise en œuvre effective des droits sociaux. Cependant, la charge de combler ce fossé toujours croissant entre les droits sociaux légaux et leur mise en œuvre effective incombe aux femmes et hommes politiques qui sont au pouvoir et en charge des décisions.
40. Pendant les crises socio-économiques et les urgences, telles que la pandémie en cours, les recours juridiques concernant les libertés civiles se sont avérés beaucoup plus faciles à mettre en œuvre que les droits sociaux. Par exemple, les blocages qui limitent la liberté de mouvement, entravent la liberté de réunion et les systèmes de traçage qui comportent le risque d'empiéter sur la vie privée et la protection des données ont tous été possibles; tandis que surmonter les profondes inégalités structurelles existantes grâce à une protection plus forte des droits sociaux est facilement mis en veilleuse sous prétexte de manque de ressources pour faire face aux problèmes structurels. Cependant, même si surmonter les limitations structurelles pour la mise en œuvre effective des droits sociaux est plus un objectif à long terme, à court terme, c'est un devoir et une responsabilité importants des décideurs politiques d'aborder au moins les conséquences néfastes de ces limitations.
41. Il est donc tout à fait normal que les nouvelles politiques ciblent mieux les disparités socio-économiques et compensent les vulnérabilités des systèmes inégalitaires. Les plans de sauvetage post-covid de l’Union européenne et de plusieurs États sont une occasion concrète de stimuler l’investissement social et de rendre les stratégies politiques plus réactives aux aspirations de la société. Une volonté accrue d’investir dans les services publics et la stratégie commune de recours à l’emprunt au sein de l’Union européenne sont autant de signes d’un véritable revirement politique, en ce qu’ils témoignent de la conviction qu’il faut repenser la société pour garantir un développement solide de nos sociétés, en se concentrant davantage sur la prospérité partagée, la durabilité et les besoins à long terme.
42. Concrètement, je pense que nos États membres doivent intégrer des objectifs sociaux dans leur processus d’élaboration des politiques, en examinant systématiquement l’impact des changements politiques sur la cohésion sociale. Les pouvoirs publics doivent revoir leurs politiques budgétaires de telle sorte que l’égalité des chances soit prédistribuée de façon plus équitable dans la société, puis corrigée par des mécanismes de redistribution. Les politiques de «pré-distribution» doivent prévoir une éducation de base plus égalitaire et de qualité pour tous, ainsi que des possibilités de formation et de qualification professionnelle tout au long de la vie pour soutenir le capital humain, et répondre à l’évolution rapide des besoins du marché du travail et des modèles d’emploi (en tenant compte des emplois atypiques, de l’intelligence artificielle, de l’économie numérique/de plateforme, de la pauvreté au travail). Les politiques de pré-production visant à surmonter les inégalités socio-économiques sont celles qui garantissent à chacun et chacune une dotation égale lors de leur entrée sur les marchés. Les politiques d’égalité des chances concernent notamment l’accès aux services publics tels que l’éducation et la santé, ainsi qu’un minimum d’accès aux ressources financières, sous forme de revenu ou de patrimoine. Ces droits sociaux sont inscrits dans la Charte sociale européenne qui invite les États membres de l’Union européenne à la ratifier et à mieux mettre en œuvre ses dispositions.
43. Les politiques de phase de production visent directement les décisions des entreprises en matière d’emploi, d’investissement et de technologie. Ces instruments politiques comprennent à la fois des instruments financiers et des mesures réglementaires directes qui modifient les prix relatifs ou déplacent le pouvoir de négociation entre travailleurs/travailleuses et fournisseurs ; ils couvrent aussi notamment les politiques salariales, les règles régissant les relations de travail, ainsi que les politiques industrielles et de concurrence. Les économistes s’accordent généralement à dire que la déréglementation étendue du marché du travail, l’affaiblissement de la négociation collective et la diminution du taux de syndicalisation, ainsi que de la réduction des allocations de chômage contribuent à affaiblir la voix des travailleurs et à accroître les inégalités socio-économiques. La perte du pouvoir de négociation n’affecte pas seulement les salaires, mais érode aussi considérablement la qualité des emplois. L’obsession de la flexibilité a entraîné une perte de sécurité pour les travailleurs, une augmentation de la précarité et une multiplication des emplois atypiques. Des politiques visant à inverser cette tendance s’imposent. Le renforcement du rôle des syndicats en tant qu’institutions du marché du travail, l’application de politiques efficaces en matière de salaire minimum garantissant une rémunération décente à tous et l’élargissement de la couverture de la négociation collective sont autant de changements institutionnels directs sur le marché du travail qui contribueraient à surmonter les inégalités socio-économiques. Des politiques globales comprenant à la fois l’activation du marché du travail et des transferts sociaux importants peuvent limiter la pauvreté au travail.
44. Dans le même temps, les secteurs public et privé pourraient également modifier leurs stratégies d’emploi. Par exemple, le secteur public pourrait montrer l’exemple et cesser d’externaliser les emplois de service public et plutôt recourir à des politiques de marchés publics pour encourager les emplois de qualité en mettant l’accent sur les clauses sociales. En outre, le secteur public pourrait jouer le rôle de stabilisateur automatique de l’offre d’emploi par le biais d’un programme de garantie de l’emploi dans le secteur public. Un tel programme aurait pour but d’équilibrer de manière non discrétionnaire les fluctuations de l’emploi dans le secteur privé, puisque le réservoir d’emplois du secteur public diminuerait ou augmenterait automatiquement en fonction de la hausse ou de la baisse du cycle économique 
			(66) 
			Voir <a href='https://www.project-syndicate.org/onpoint/the-case-for-a-guaranteed-job-by-robert-skidelsky-2019-08'>www.project-syndicate.org/onpoint/the-case-for-a-guaranteed-job-by-robert-skidelsky-2019-08</a> pour plus de détails.. En ce qui concerne le secteur privé, des règles visant à accroître la représentation des salariés dans les conseils d’administration et la direction des entreprises contribueraient non seulement à démocratiser la gouvernance d’entreprise et, partant, la gouvernance économique, mais aussi à lutter contre les écarts de rémunération excessifs, entre autres avantages. Les politiques devraient également inclure des mesures visant à combler l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes et à mettre fin à la marginalisation ou à la discrimination des personnes handicapées et des travailleurs âgés. L’une des mesures envisageables pour garantir des emplois de qualité à la population vulnérable consiste à renforcer la création d’emplois dans le secteur public. D’autres possibilités passent par la pénalisation des écarts de rémunération importants et des rémunérations excessives dans le secteur privé.
45. Le renforcement du pouvoir de négociation des travailleurs par une refonte des institutions nationales du marché du travail doit s’accompagner d’un renforcement des règles du commerce mondial afin d’accroître ledit pouvoir des intéressés face aux entreprises mobiles à l’échelle mondiale. S’entendre sur un ensemble de droits minimaux internationaux du travail et les intégrer aux règles du commerce mondial permettrait aux États-nations de mener des politiques favorables au travail sans craindre de se faire couper l’herbe sous le pied par d’autres, évitant ainsi un nivellement par le bas des normes du travail et du bien-être. Pour y parvenir, il faudrait réformer la structure de gouvernance mondiale qui repose sur le modèle économique défini par les politiques néolibérales et sur un corpus de droit international fragmenté qui crée un fossé entre les politiques économiques et les droits humains. La législation relative aux droits humains garantit les droits économiques et sociaux, lesquels jouent notamment un rôle essentiel de redistribution et ont donc des répercussions importantes sur les inégalités. Les politiques économiques néolibérales se concentrent sur la limitation de l’intervention de l’État et, à ce titre, entrent fréquemment en conflit avec la responsabilité de l’État de défendre la dignité humaine par le biais de ses obligations positives et négatives pour garantir les normes en matière de droits humains. Cet antagonisme crée un fossé entre les clauses des traités mondiaux de commerce et d’investissement, les transactions financières internationales et les protections inscrites dans les conventions et traités relatifs aux droits humains. Recadrer la structure de la gouvernance mondiale pour renforcer la responsabilité partagée entre l’État et les agents économiques du secteur privé passe par la mise en évidence de la responsabilité des États de protéger les droits humains et celle des entreprises de respecter pleinement ces droits. Nous devrions favoriser le changement en recadrant nos débats dans tous les forums afin de nous focaliser non seulement sur le rôle des politiques, mais aussi sur l’obligation incombant à l’État de permettre la réalisation des droits économiques et sociaux, pour laquelle il est tenu responsable.
46. Il convient également de rappeler aux agents économiques du secteur privé leurs responsabilités en matière de respect des droits socio-économiques consacrés par la législation nationale et les conventions internationales, ainsi que les engagements socio-économiques pris dans le cadre des ODD, et de les tenir comptables du respect de ces obligations 
			(67) 
			Sachs,
J.D., Sachs, L.E. “Business alignment for the “Decade of Action”. Journal
of International Business Policy, 4(1), pp. 22-27.. Les États devraient renforcer les cadres réglementaires relatifs à la responsabilité sociale des entreprises afin que les entreprises et les marchés financiers s’alignent davantage sur les ODD et les droits humains, comme l’a souligné l’Assemblée dans sa Résolution 2311 (2019) «Droits de l’homme et entreprises: quelles suites donner à la Recommandation CM/Rec(2016)3 du Comité des Ministres ?». En outre, la concentration du pouvoir entre les mains de quelques-uns sur les marchés, ainsi que le glissement d’activités économiques axées sur la productivité vers des activités de recherche de rente, met en évidence le rôle que les politiques de concurrence et les politiques industrielles devraient jouer dans la lutte contre les inégalités socio-économiques. La mise en place d’une structure incitative adéquate permettant de réguler les récompenses accordées aux activités non productives, l’augmentation des investissements axés sur la productivité dans le capital physique et humain ainsi que la garantie de marchés publics équitables et transparents sont autant d’instruments politiques envisageables dans cette optique. Le rôle de la production publique et des politiques de concurrence, notamment sur les marchés de l’énergie et de l’électricité, est prépondérant pour déterminer les prix des services essentiels, lesquels affectent de manière disproportionnée les budgets des ménages vulnérables. Il importe d’empêcher les entreprises du secteur privé de constituer des monopoles naturels enclins à adopter des comportements de recherche de rente aux dépens de l’intérêt général, de manière à garantir la justice fiscale et sociale.
47. La corruption et la mauvaise utilisation des ressources fiscales privent la société de précieuses ressources publiques qui pourraient avantageusement servir à garantir la jouissance des droits sociaux et réduire les inégalités socio-économiques 
			(68) 
			Voir <a href='https://rm.coe.int/factsheet-corruption-et-droits-de-l-homme/16808dd7c9'>https://rm.coe.int/factsheet-corruption-et-droits-de-l-homme/16808dd7c9</a>.. La corruption sape le fonctionnement et la légitimité des institutions et de l’État de droit. La perte de transparence et de responsabilité va de pair avec l’érosion des institutions démocratiques. Dans les pays qui connaissent un recul des institutions démocratiques censées garantir la responsabilité et la transparence, il existe plusieurs mécanismes provoquant la dilapidation des précieux deniers publics et l’occultation de l’intérêt général. Le financement extrabudgétaire, l’absence de contrôle parlementaire des processus budgétaires et l’abus de financement des partenariats public-privé sont autant d’exemples de la manière dont les ressources publiques peuvent être gaspillées au détriment de l’intérêt général et de la protection des droits sociaux.
48. La lutte contre les inégalités de logement passe par un large éventail de solutions sur le marché privé ou dans le secteur public. Pour la plupart, les pays utilisent aujourd’hui un système d’allocation de logement social au niveau des communes pour favoriser l’accessibilité financière des personnes et des ménages défavorisés à un logement convenable. Des investissements publics sont toutefois nécessaires pour augmenter la disponibilité des solutions de logement. Des allocations de logement social combinées à des investissements aideront à compenser le coût élevé du logement et donc à améliorer la cohésion sociale. S’agissant des transferts directs, les politiques fiscales ont leur utilité; elles peuvent soutenir les emprunteurs à revenu modeste en leur accordant des subventions d’intérêts ou des déductions fiscales; des aides publiques sont parfois nécessaires pour améliorer la qualité des logements – sous la forme, par exemple, de programmes de rénovation énergétique et sanitaire destinés aux personnes en situation de précarité ou d’instabilité financière. Repenser les droits de succession peut aussi être important pour faciliter la transmission intergénérationnelle du logement et du patrimoine des ménages, comme en Autriche qui a allégé une imposition pesante il y a quelques années.
49. En matière de fiscalité, trouver le juste équilibre est un exercice de politique intérieure très délicat et complexe, car tout changement peut réduire ou creuser les inégalités. Dans une étude intitulée « Indice de l’engagement à la réduction des inégalités 2020 », par exemple, Oxfam a pointé du doigt certains pays performants comme la Norvège, le Danemark ou la Belgique, qui ont récemment adopté des politiques fiscales qui ont accentué les inégalités 
			(69) 
			Voir <a href='https://www.oxfamfrance.org/wp-content/uploads/2020/10/Rapport-Inegalites-Covid-Indice-ERI.pdf'>www.oxfamfrance.org/wp-content/uploads/2020/10/Rapport-Inegalites-Covid-Indice-ERI.pdf</a>.. Le document fait l’éloge de l’Irlande et de la Géorgie comme étant les pays dont le régime fiscal est le plus axé sur la réduction des inégalités; une fiscalité progressive et un fort recouvrement de l’impôt leur ont permis de réduire efficacement leurs coefficients de Gini uniquement grâce au régime fiscal. Les pays d’Europe de l’Est, dont la Bulgarie, ont les régimes fiscaux les moins progressifs. Le Danemark, la Hongrie et la Lituanie appliquent des taux de TVA élevés, qui peuvent exacerber les inégalités. Les pays européens les plus performants en matière de recouvrement de l’impôt sont le Luxembourg et le Danemark, tandis que l’Ukraine est citée en exemple comme étant un pays où les investissements dans les services publics ont permis de multiplier par deux les revenus disponibles des plus pauvres.
50. La justice fiscale revêt clairement une importance cruciale dans la lutte contre les injustices sociales. Si, comme on a pu le constater ces dernières décennies, les pays riches ont eu tendance à alléger la fiscalité des particuliers et des entreprises les plus riches, les inégalités socio-économiques toujours croissantes appellent l’inversion de cette tendance. Les politiques de post-production, qui redistribuent les résultats du marché par le biais de l’impôt et de transferts sociaux, devraient tendre vers la justice fiscale. Les États doivent investir davantage dans le capital humain et dans des services publics de qualité s’ils veulent soutenir une croissance économique vertueuse et un cycle de développement humain positif dans les décennies à venir. Il faudrait aussi revoir la définition de la discipline fiscale afin de se concentrer davantage sur les effets redistributifs sociaux – tant intra- qu’intergénérationnels – des politiques fiscales et de dépenses publiques.
51. Un consensus s’est dégagé en faveur d’un examen des politiques fiscales sous l’angle des droits humains et d’une nouvelle définition de la discipline fiscale allant au-delà des modèles fiscaux généraux et qui porte sur la composition des politiques fiscales en mettant l’accent sur la justice sociale et l’intérêt général. Pour promouvoir l’égalité, l’OCDE recommande de combler les lacunes des codes fiscaux, de renforcer la conformité fiscale, de supprimer ou de limiter les déductions fiscales qui tendent à profiter de manière disproportionnée aux hauts revenus, et de réévaluer la part de la fiscalité sur toutes les formes de propriété et de richesse, y compris les transferts d’actifs. Un consensus récent au niveau du G7, qui porte sur un taux d’imposition minimum sur les sociétés à l’échelle mondiale, permet d’espérer qu’un accord général sur un impôt mondial (y compris sur l’économie numérique) pourra être conclu rapidement. En outre, une coordination au niveau international s’impose pour éviter un nivellement par le bas, non seulement en ce qui concerne les politiques fiscales, mais aussi les normes de travail 
			(70) 
			Voir <a href='https://www.project-syndicate.org/commentary/trade-agreement-labor-provisions-small-practical-effect-by-dani-rodrik-2018-09'>www.project-syndicate.org/commentary/trade-agreement-labor-provisions-small-practical-effect-by-dani-rodrik-2018-09</a>..
52. Les économistes discutent depuis longtemps du rôle que pourrait jouer une dotation universelle en ressources financières dans la lutte contre les inégalités de revenus. Plusieurs pays se sont intéressés à la question de savoir si un revenu de base universel ou un patrimoine/capital de base universel pourrait constituer la réponse aux inégalités socio-économiques croissantes et au malaise social. D’aucuns soutiennent qu’un revenu de base universel sans conditions, pourrait contribuer à surmonter l’érosion de la confiance sociale. D’autres affirment que sa simplicité, sa transparence et ses coûts administratifs relativement faibles renforcent son attrait sur le plan administratif, tandis que les résultats de certaines études expérimentales – suggérant qu’il pourrait avoir des effets positifs sur l’offre de travail, l’investissement dans le capital humain et la responsabilité sociale – renforcent son attrait sur le plan économique. D’autres considèrent que l’ampleur de l’inégalité des richesses ne saurait être corrigée par une simple politique de revenu de base universel, mais nécessiterait plutôt une politique universelle de distribution des richesses qui garantisse à chacun un certain patrimoine de base. Dans ce contexte, les économistes discutent du rôle possible des politiques de loyers équitables pour accompagner l’augmentation de l’offre de logements sociaux de haute qualité et l’égalisation de la distribution des actifs, de la propriété et du capital par le truchement de «baby bonds» [obligations d’une faible valeur nominale] financés par les impôts sur la fortune et les successions. Qu’il s’agisse d’une politique de revenus ou de patrimoine universel, il est clair que de tels programmes de dotation généralisée en ressources nécessiteraient des systèmes d’imposition progressifs plus forts pour garantir leur viabilité fiscale.
53. Seule l’analyse critique de la nature des inégalités existantes permettrait de déterminer s’il convient de concevoir des politiques visant à redistribuer les richesses des groupes à hauts revenus par le biais d’un instrument d’imposition progressive ou de transferts directs vers les groupes à faibles revenus. Une vaste collecte de données est essentielle pour trois raisons: tout d’abord, une collecte complète – comprenant des informations provenant des comptes nationaux, des enquêtes et de l’administration fiscale – permettrait de dresser un bilan sérieux de la répartition actuelle des revenus et des richesses. Deuxièmement, elle permettrait d’évaluer l’impact des politiques sur la redistribution et les droits économiques et sociaux (ou, en termes plus généraux, l’impact sur les droits humains) et garantirait l’efficacité des politiques. Troisièmement, elle permettrait d’asseoir sur une base solide les tests de ressources ou d’actifs utilisés dans la conception des politiques sociales et garantirait un cadre de politique sociale équitable et efficace.
54. Globalement, nos États membres doivent mieux utiliser les outils du Conseil de l’Europe, notamment la Charte sociale européenne, et les mettre en œuvre pour réduire les principales inégalités socio-économiques. Du fait de la pandémie de covid-19, l’absence de résultats en la matière aura des incidences beaucoup plus graves sur les groupes de population vulnérables. Il existe un fossé entre les droits protégés par la Charte et les politiques socio-économiques menées au niveau national. Comme le souligne le Comité européen des droits sociaux dans sa déclaration sur la covid-19 et les droits sociaux (adoptée le 24 mars 2021), l’application de la Charte implique que les États parties prennent non seulement des mesures juridiques, mais aussi des mesures pratiques en mettant à disposition «les ressources nécessaires pour donner plein effet aux droits reconnus dans la Charte » et qu’ils « [prennent] des mesures qui [leur] permettent d’atteindre les objectifs de la Charte dans un délai raisonnable, avec des progrès mesurables et dans une mesure compatible avec l’utilisation maximale des ressources disponibles » 
			(71) 
			La
déclaration est disponible sur <a href='https://www.coe.int/fr/web/european-social-charter/social-rights-in-times-of-pandemic'>www.coe.int/fr/web/european-social-charter/social-rights-in-times-of-pandemic</a>..
55. En cette année qui marque le 60e anniversaire de la Charte sociale européenne, la situation reste complexe s’agissant de sa ratification: si tous les États membres ont signé soit la Charte de 1961, soit la Charte révisée (de 1996), le Liechtenstein, Monaco, Saint-Marin et la Suisse n’ont ratifié aucune des deux versions. La Croatie, le Danemark, l’Islande, le Luxembourg, la Pologne, le Royaume-Uni et la République tchèque, qui sont parties à la Charte de 1961, n’ont pas ratifié la Charte révisée. L’Allemagne a ratifié la Charte révisée le 29 mars 2021. Seize États membres seulement ont ratifié le Protocole additionnel de 1995 prévoyant un système de réclamations collectives (STE no 158).
56. Les conclusions du Comité européen des droits sociaux ont posé un constat de conformité dans 48,9 % des situations examinées au cours des quatre derniers cycles de supervision et un constat de non-conformité dans près de 34,4 % des cas 
			(72) 
			Voir le rapport annuel 2021
établi par la Secrétaire Générale sur la situation de la démocratie,
des droits de l’homme et de l’état de droit (chapitre sur les droits
sociaux, p. 117 à 123), <a href='https://rm.coe.int/rapport-annuel-sg-2021/1680a264a3'>https://rm.coe.int/rapport-annuel-sg-2021/1680a264a3</a> (ou via <a href='https://www.coe.int/fr/web/secretary-general/reports'>https://www.coe.int/fr/web/secretary-general/reports</a>)., ce qui montre bien que le respect des droits sociaux est un combat difficile qui exige une attention soutenue et une volonté de progrès dans les États membres. Dans le même temps, il est légitime de renforcer la portée de la Charte et son interprétation au vu de l’évolution des situations sociales et économiques en Europe. Je soutiens pleinement les propositions formulées par notre collègue, Andrej Hunko dans son rapport intitulé « Surmonter la crise socio-économique déclenchée par la pandémie de covid-19 », notamment en ce qui concerne « la possibilité d’ajouter de nouveaux droits à l’ensemble des droits déjà protégés par la Charte et d’étendre la portée de ceux en vigueur à toutes les personnes qui relèvent de la juridiction des États parties » 
			(73) 
			Recommandation 2205 (2021).; ce dernier point est particulièrement important pour les travailleurs migrants originaires de pays non couverts par la Charte comme pour les travailleurs « invisibles » et indépendants de l’économie de plateforme. Un autre rapport intitulé «Ancrer le droit à un environnement sain: la nécessité d’une action renforcée du Conseil de l’Europe» et rédigé par M. Simon Moutquin propose en outre d’élaborer un protocole additionnel à la Charte consacrant le droit à un environnement sûr, propre, sain et durable. Ce processus pourrait également déboucher sur d’autres propositions visant à améliorer la protection des travailleurs exerçant des formes de travail atypiques.
57. La Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe a récemment proposé de réformer la mise en œuvre de la Charte sociale européenne en associant un soutien politique de haut niveau à l’engagement de mettre en place des règles du jeu équitables en matière de droits sociaux dans toute l’Europe, en améliorant la capacité des organes de la Charte à répondre efficacement aux besoins de retour d’information et d’orientation, et en promouvant la ratification de la Charte sociale européenne révisée par tous les États membres. Elle a également proposé des améliorations à la procédure établie au titre de la Charte sociale européenne et des mesures visant à renforcer l’efficacité et l’impact de la Charte, ainsi que des développements prospectifs de fond et de procédure qui nécessitent un examen plus approfondi par les États membres du Conseil de l’Europe et par les Parties à la Charte 
			(74) 
			Voir <a href='https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=0900001680a238c2'>https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=0900001680a238c3 </a>(le document SG/Inf(2021)13) est également téléchargeable
sur <a href='https://www.coe.int/fr/web/european-social-charter/-/the-secretary-general-presents-her-vision-for-improving-the-implementation-of-social-rights-in-europe'>https://www.coe.int/fr/web/european-social-charter/-/the-secretary-general-presents-her-vision-for-improving-the-implementation-of-social-rights-in-europe</a>)..
58. En mai 2021, les ministres des Affaires étrangères des 47 États membres du Conseil de l’Europe se sont mis d’accord sur un cadre stratégique pour les quatre années à venir, soulignant le rôle et la responsabilité de l’Organisation pour garantir la mise en œuvre de ses conventions, élaborer de nouvelles normes juridiquement contraignantes en réponse aux nouveaux défis et aider les États membres par le biais de ses programmes de coopération 
			(75) 
			Voir <a href='https://www.coe.int/fr/web/portal/-/foreign-affairs-ministers-set-the-council-of-europe-s-course-for-the-next-four-years'>www.coe.int/fr/web/portal/-/foreign-affairs-ministers-set-the-council-of-europe-s-course-for-the-next-four-years</a>.. Dans le cadre de cette stratégie, ils se sont donné pour objectif l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi que la poursuite de « la réflexion en cours sur le système de la Charte sociale européenne ». Les droits sociaux étant appelés à jouer un rôle important dans le contexte de l’après-pandémie, il est essentiel de réitérer les propositions en vue d’une adhésion de l’Union européenne à la Charte, ce qui favoriserait une plus grande complémentarité entre cet instrument et le socle européen des droits sociaux, ainsi qu’une protection renforcée des droits sociaux au niveau européen.