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Rapport | Doc. 15423 | 15 décembre 2021

L'Observatoire de l'enseignement de l'histoire en Europe

Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias

Rapporteur : M. Bertrand BOUYX, France, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14988, Renvoi 4483 du 27 janvier 2020. 2021 - Première partie de session

Résumé

En novembre 2020, 17 États membres du Conseil de l’Europe ont décidé de créer l’Observatoire de l’enseignement de l’histoire en Europe dans le cadre d’un Accord partiel élargi. Le rapport salue la décision du Comité des Ministres de créer ce nouvel instrument de coopération, qui vient à point nommé pour donner un élan à son programme intergouvernemental mené depuis de nombreuses années sur l’enseignement de l’histoire. Grâce aux synergies, les activités de l'Observatoire et du secteur intergouvernemental sur l'enseignement de l'histoire peuvent aider les États membres du Conseil de l’Europe à relever les défis de l’enseignement de l’histoire au XXIe siècle.

La définition claire du mandat de l’Observatoire, qui exclut toute volonté d’harmoniser les programmes d’études en Europe, devrait rassurer les autres États membres et les conduire à reconnaître la valeur ajoutée d’une telle plateforme d’échange sur les politiques et les méthodologies et à envisager d’adhérer à l’Accord partiel élargi dans un futur proche.

L’Union européenne pourrait contribuer efficacement aux activités de l’Observatoire et du secteur intergouvernemental du Conseil de l’Europe; elle pourrait concevoir des dispositifs appropriés pour le financement de projets de coopération innovants fondés sur le Cadre de référence des compétences pour une culture de la démocratie et les principes et lignes directrices sur l'enseignement de l'histoire établis par le Conseil de l’Europe.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 28 septembre
2021.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire insiste sur l’importance capitale de l’enseignement de l’histoire pour renforcer les valeurs communes et favoriser une réflexion sur l’histoire qui rapproche les peuples au lieu de les diviser. Le fait d’encourager l’analyse et le débat historiques aide les jeunes à développer une lecture critique du passé dans toute sa complexité et peut leur fournir des réponses pour appréhender le présent avec un esprit critique.
2. Le 12 novembre 2020, le Comité des Ministres a institué l’Accord partiel élargi sur l’Observatoire de l’enseignement de l’histoire en Europe, et 17 États membres l’ont rejoint à ce jour. La mission principale de l’Observatoire consiste à élaborer des rapports réguliers sur l’état de l’enseignement de l’histoire dans les États membres participants, à publier des rapports thématiques sur des sujets spécifiques et à organiser des conférences et des événements annuels. Il offre ainsi aux experts, aux responsables politiques et aux professionnels de l’enseignement de l’histoire une plateforme d’échange des connaissances.
3. L’Assemblée salue la décision du Comité des Ministres de créer ce nouvel instrument de coopération, qui vient à point nommé pour donner un élan à son programme intergouvernemental mené depuis de nombreuses années sur l’enseignement de l’histoire. Grâce aux synergies, leurs activités combinées peuvent aider les États membres à relever les défis de l’enseignement de l’histoire au XXIe siècle.
4. Ces dernières années, le Conseil de l'Europe a développé le Cadre de référence des compétences pour une culture de la démocratie ainsi que les principes directeurs pour un enseignement de l’histoire, assortis de modèles et de méthodes pour aider les enseignants à les adapter en classe. Ensemble, ils peuvent inspirer les jeunes et les pousser à cultiver un esprit d’ouverture à la différence culturelle, de respect et de responsabilité, ainsi qu’à développer des aptitudes particulières comme l’apprentissage en autonomie, la réflexion analytique, le dialogue et l’argumentation, notamment la capacité à résoudre les conflits, ce qui recoupe manifestement les compétences nécessaires à l’exercice d’une citoyenneté démocratique
5. L’Assemblée estime que dans nos sociétés de plus en plus diverses, il est indispensable de connaître la diversité et les interactions culturelles, religieuses et ethniques afin d’éviter un programme d’études monoculturel. La multiperspectivité est essentielle pour comprendre les différents points de vue qui émanent souvent d’un contexte historique particulier. Lorsqu’ils sont analysés en classe et pris dans leur ensemble, ils créent une compréhension nuancée et plus profonde de la dimension historique d’un événement donné.
6. Par conséquent, l’Assemblée appelle les États membres du Conseil de l’Europe:
6.1. à adhérer à l’Accord partiel élargi sur l’Observatoire de l’enseignement de l’histoire en Europe afin de profiter pleinement de cette plateforme d’échange des connaissances pour experts, responsables politiques et professionnels de l’enseignement de l’histoire;
6.2. à participer activement aux travaux du secteur intergouvernemental sur l’enseignement de l’histoire dans le cadre de la Direction générale de la démocratie du Conseil de l’Europe;
6.3. à mener une analyse stratégique des politiques afin d’intégrer les principes directeurs pour un enseignement de l’histoire et le Cadre de référence des compétences pour une culture de la démocratie dans leur politique de l’éducation en veillant notamment:
6.3.1. concernant les programmes d’enseignement et les méthodologies:
6.3.1.1. à assouplir les programmes d’enseignement afin que les enseignants disposent de plus de temps et d’autonomie et passent progressivement d’un enseignement fondé sur les connaissances à un enseignement fondé sur les compétences et centré sur l’apprenant;
6.3.1.2. à introduire l’enseignement de l’histoire complexe de la démocratie et à développer les pratiques, les attitudes et les valeurs de la démocratie en classe;
6.3.1.3. à développer des méthodologies visant à stimuler l’esprit critique en apprenant à évaluer les sources historiques et à se forger une opinion éclairée;
6.3.1.4. à développer la multiperspectivité dans l’enseignement de l’histoire afin d’analyser les divers points de vue qui, ensemble, génèrent la dimension historique d’un événement;
6.3.1.5. à introduire l’étude de la diversité et des interactions culturelles, religieuses et ethniques, afin d’éviter un programme d’études monoculturel et partisan;
6.3.1.6. à développer les approches pédagogiques interactives et l’apprentissage coopératif par petits groupes pour faire ressortir les différences culturelles et les identités multiples au sein des apprenants d’une classe;
6.3.1.7. à envisager l’introduction de sujets sensibles et controversés afin de surmonter les préjugés et les parti-pris;
6.3.1.8. à ouvrir une perspective européenne dans l’enseignement de l’histoire en identifiant des thèmes historiques communs en Europe qui pourraient être envisagés sous des angles similaires ou différents;
6.3.2. concernant les mesures visant à créer un environnement favorable et stimulant pour les enseignants et les apprenants:
6.3.2.1. à multiplier les possibilités d’échanges professionnels et de développement entre les enseignants et exploiter les différentes ressources et orientations pédagogiques – dont les principes directeurs du Conseil de l'Europe – disponibles dans les langues locales;
6.3.2.2. à intégrer les «Compétences pour une culture de la démocratie» dans la formation et le développement professionnel des enseignants;
6.3.2.3. à combler l’écart entre l’éducation formelle et l’éducation non formelle en encourageant les partenariats avec les institutions culturelles et d’autres partenaires pertinents extérieurs aux écoles (musées, archives, bibliothèques, etc.);
6.3.2.4. à encourager le recours aux technologies numériques dans l’enseignement de l’histoire afin de favoriser l’apprentissage collaboratif et la coopération internationale avec d’autres écoles;
6.3.2.5. à garantir l’accès gratuit aux espaces d’apprentissage virtuels qui offrent des ressources pédagogiques ouvertes.
7. Tout en reconnaissant le principe de subsidiarité et l’indépendance des États membres de l’Union européenne en ce qui concerne les décisions relatives aux politiques applicables dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement de l’histoire, l’Assemblée accueillerait favorablement la participation de l’Union européenne aux activités de l’Observatoire et son soutien aux programmes de coopération et aux projets pilotes innovants de promotion de la qualité dans l’enseignement de l’histoire.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 28 septembre 2021.

(open)
1. Se référant à sa Résolution … (2021) «L’Observatoire de l’enseignement de l’histoire en Europe», l’Assemblée parlementaire réaffirme que l’enseignement de l’histoire joue un rôle essentiel pour renforcer le sentiment de citoyenneté. La connaissance de l’histoire et la compréhension critique des systèmes politiques, sociaux, culturels et économiques et de leurs interactions posent le fondement d’un débat plus nuancé et dans le respect mutuel, ainsi que d’une compréhension plus approfondie du passé et du présent, et préparent les jeunes à la démocratie.
2. L’Assemblée se félicite de la décision du Comité des Ministres d’instituer l’Accord partiel élargi sur l’Observatoire de l’enseignement de l’histoire en Europe, qui vient à point nommé pour donner un élan à son programme intergouvernemental mené depuis de nombreuses années sur l’enseignement de l’histoire. Grâce à cet élan très positif, l’Assemblée estime qu’il est important de définir plus en détail la manière exacte dont les activités de l’Observatoire s’articuleront avec les travaux menés par le Conseil de l’Europe en matière d’enseignement de l’histoire (auxquels participent 47 États membres) afin de les renforcer mutuellement.
3. L’Assemblée souligne que les Principes directeurs du Conseil de l'Europe pour un enseignement de l’histoire et son Cadre de référence des compétences pour une culture de la démocratie sont d’excellents outils d’orientation qui méritent d’être largement diffusés et mis en œuvre dans les États membres.
4. Dans ce contexte, l’Assemblée recommande que le Comité des Ministres:
4.1. assure un financement suffisant aux activités du Service de l’Éducation du Conseil de l’Europe relatives à l’enseignement de l’histoire, afin de garantir de bonnes synergies avec l’Observatoire et la pérennité à long terme du programme intergouvernemental;
4.2. assure aux États membres une assistance dans le réexamen de leurs politiques de l’éducation, notamment en vue d’y intégrer les Principes directeurs du Conseil de l'Europe pour un enseignement de l’histoire et son Cadre de référence des compétences pour une culture de la démocratie;
4.3. développe la coopération avec l’Union européenne, l’UNESCO et les autres organisations internationales pertinentes dans le cadre des activités de l’Observatoire;
4.4. encourage la coopération entre les associations et instituts professionnels européens actifs dans le domaine de l’enseignement de l’histoire en tirant pleinement parti de la plateforme de coordination offerte par l’Observatoire;
4.5. invite les États parties à la Convention culturelle européenne (STE no 18) qui ne seraient pas encore membres de l’Accord partiel élargi sur l’Observatoire de l’enseignement de l’histoire en Europe à y adhérer.

C. Exposé des motifs par M. Bertand Bouyx, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. À la suite d’une initiative lancée en mai 2019 par la Présidence française du Conseil de l’Europe, les Délégués des Ministres et le Secrétariat du Conseil de l’Europe (Direction de la participation démocratique, Service de l’Éducation) ont commencé à travailler à la création d’un Observatoire de l’enseignement de l’histoire en Europe. La proposition de résolution 
			(3) 
			Doc. 14988. à l’origine du présent rapport fait référence à cette initiative et insiste sur le fait que l’enseignement de l’histoire a une importance déterminante pour renforcer les valeurs communes et favoriser une histoire qui rapproche les peuples au lieu de les diviser. Elle appelle en outre l’Assemblée parlementaire à «apporter sa contribution à la réflexion sur la configuration de cet observatoire, [à] en suivre et [à] en évaluer la mise en œuvre, et [à] proposer des orientations à privilégier».
2. Lors de la Conférence informelle des ministres de l’Éducation qui s’est tenue le 26 novembre 2019 à Paris, 23 États membres du Conseil de l’Europe ont signé la Déclaration de Paris 
			(4) 
			<a href='https://rm.coe.int/coe-declaration-observatoire-fr-2019-11-26/168098fb17'>https://rm.coe.int/coe-declaration-observatoire-fr-2019-11-26/168098fb17.</a> et ont ainsi approuvé la proposition visant à créer l’Observatoire. Depuis mars 2020, à la suite de consultations avec le Comité directeur pour la politique et les pratiques en matière d’éducation du Conseil de l'Europe, le Groupe de rapporteurs sur l'éducation, la culture, le sport et l'environnement du Comité des Ministres a préparé le projet de statut afin de lancer l'Observatoire pendant la présidence grecque du Conseil de l'Europe.
3. Le 12 novembre 2020, le Comité des Ministres a institué l’Accord partiel élargi sur l’Observatoire de l’enseignement de l’histoire en Europe. Son objectif principal consiste à élaborer des rapports réguliers (tous les 3-4 ans) sur la manière dont l’histoire est enseignée dans les États membres participants, à publier des rapports thématiques sur des sujets spécifiques et à organiser des conférences et des événements annuels. Il offre ainsi aux experts, aux responsables politiques et aux professionnels de l’enseignement de l’histoire une plateforme d’échange des connaissances.
4. L’Observatoire est dirigé par le Comité de direction, composé de 17 représentants désignés par les gouvernements des États membres participants, qui détermine le programme d’activités et contrôle sa mise en œuvre. Il est conseillé par le Conseil scientifique consultatif, composé de 11 experts indépendants hautement qualifiés dans le domaine de l’enseignement de l’histoire. Le Comité de direction s’est réuni pour la première fois les 18 et 19 février 2021 et conçoit actuellement le premier programme à moyen terme de l’Observatoire. Il prévoit de publier le premier rapport thématique d’ici l’automne 2022 et le premier rapport régulier d’ici l’automne 2023.
5. L’Assemblée parlementaire devrait contribuer à ce processus en ouvrant un débat sur l’enseignement de l’histoire, notamment dans le but de promouvoir les principes directeurs pour un enseignement de l’histoire de qualité au XXIe siècle, élaborés par le Conseil de l’Europe 
			(5) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/history-teaching'>www.coe.int/fr/web/history-teaching.</a>, et de donner une dimension concrète à ces principes et lignes directrices en présentant des exemples de bonnes pratiques appliquées dans différentes régions d’Europe.
6. Au-delà du soutien qu’elle apporte à la création de l’Observatoire, l’Assemblée devrait encourager les États membres qui nourrissent encore des doutes à adhérer à l’accord partiel en les sensibilisant à la valeur ajoutée que l’Observatoire est destiné à produire.

2. Les défis liés à l’enseignement de l’histoire dans un contexte plus large de citoyenneté démocratique

7. Le XXIe siècle a été le théâtre de profonds changements sociétaux en lien avec les technologies de l’information, l’accroissement de la mobilité et des mouvements migratoires ainsi que l’augmentation de la diversité culturelle et religieuse. Le défi qui se pose aujourd’hui consiste à définir les moyens multiples donnés aux individus, en particulier aux jeunes, d’acquérir les connaissances et les compétences nécessaires pour agir en tant que citoyens démocratiques dans des sociétés diverses et en mutation rapide. Cela implique de résoudre les confrontations résultant de visions du monde divergentes par l’acquisition de connaissances sur les différences, le respect, le dialogue et l’empathie, sans succomber à la haine ou à la violence. Cela suppose aussi de trouver un terrain d’entente en se fondant sur des valeurs communes, tout en appréciant et en valorisant la diversité.
8. Je souhaite donc aborder l’enseignement de l’histoire dans ce contexte plus large de la citoyenneté démocratique. Au cours des dernières années, le Conseil de l’Europe a mis au point un ensemble de modèles et de méthodes pour aider les enseignants à transmettre en classe les compétences permettant d’acquérir une culture de la démocratie. Elles sont réparties autour de quatre thèmes: valeurs, attitudes, aptitudes et connaissance et compréhension critique. Pour de plus amples informations au sujet de ces compétences nécessaires à une culture de la démocratie (CCD), je vous invite à vous reporter à page web dédiée sur le site du Conseil de l’Europe 
			(6) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/reference-framework-of-competences-for-democratic-culture/home'>www.coe.int/fr/web/reference-framework-of-competences-for-democratic-culture/home.</a>.
9. À mon avis, l’enseignement de l’histoire est particulièrement pertinent pour l’acquisition des compétences appartenant à la catégorie «connaissance et compréhension critique». Le fait d’encourager l’analyse et le débat historiques – en utilisant différentes sources primaires et secondaires, en les comparant et en les confrontant pour examiner les événements sous des angles différents – aide à développer une lecture critique du passé dans toute sa complexité et permet de fournir des réponses pour appréhender le présent avec un esprit critique.
10. En outre, les méthodes utilisées pour l’enseignement de l’histoire et l’analyse historique en classe peuvent aussi aider les jeunes à cultiver un esprit d’ouverture à la différence culturelle, de respect et de responsabilité ainsi qu’à développer des aptitudes particulières, telle que l’apprentissage en autonomie, la réflexion analytique, le dialogue et l’argumentation, notamment la capacité à résoudre les conflits, qui recoupent clairement les compétences relatives à l’exercice d’une citoyenneté démocratique en dehors de l’école.

3. Orientations pour un enseignement de l’histoire de qualité promouvant la diversité, la multiperspectivité et la tolérance

11. Ce chapitre renvoie au rapport d’expert 
			(7) 
			<a href='https://pace.coe.int/fr/pages/ascult-docdecs'>AS/Cult/Inf(2021)03</a>. rédigé par Mme Maria Luisa de Bivar Black, professeure d’histoire à l’université et formatrice de professeur·e·s d’histoire, Portugal, et consultante pour l’Unité d’enseignement de l’histoire du Conseil de l’Europe. Il aborde dix thèmes que nous considérons comme essentiels et qui doivent être pris en compte par les responsables politiques.

3.1. Concevoir des curriculums souples pour l’enseignement de l’histoire

3.1.1. Concepts structurant les curriculums

12. Le curriculum renvoie à tout ce qui est enseigné, et appris, que ce soit intentionnellement ou non, dans un contexte éducatif. Il englobe le curriculum officiel, qui donne des orientations plus ou moins rigides et précise généralement le contenu de chaque matière, le temps d’enseignement qui lui est alloué, les objectifs d’apprentissage, les méthodes pédagogiques possibles et l’évaluation. Les enseignants interprètent le curriculum officiel pour adapter et planifier leurs propres cours; c’est pourquoi le curriculum vécu ou appris diffère du curriculum officiel. Ce dernier, à ses différents niveaux de mise en œuvre, n’est pas neutre, et il constitue l’un des principaux moyens de maintenir la répartition existante du pouvoir dans la société. La mise en œuvre des décisions relatives au curriculum affecte le contexte dans lequel l’apprentissage a lieu, c’est-à-dire la salle de classe, celles-ci portant sur les comportements encouragés et les valeurs à transmettre par l’intermédiaire de l’autorité de l’enseignant, les matériels didactiques sélectionnés, les règles régissant les différentes relations, etc.
13. Le curriculum caché, quant à lui, désigne l’ensemble des cours, valeurs, comportements et perspectives non écrits et non officiels que les apprenants acquièrent de façon non intentionnelle à l’école, et qui les influencent au-delà du curriculum officiel et des activités pédagogiques. Il existe un troisième type de curriculum, le curriculum nul, qui renvoie à ce qui n’est pas enseigné en classe, intentionnellement ou non; de fait, il n’est pas possible de tout enseigner à l’école. Le curriculum nul est plus évident que le curriculum caché; il sous-tend, par exemple, la récente adoption, par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, de la toute première Recommandation 
			(8) 
			La Recommandation appelle
à combattre l’antitsiganisme persistant en proposant un enseignement
équilibré et contextualisé de l’histoire des Roms et/ou des Gens
du voyage, reflétant à la fois leur présence nationale, le contexte historique
ainsi que l’histoire commune avec ce peuple présent en Europe depuis
plusieurs siècles. Voir <a href='https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=09000016809ee52f'>https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=09000016809ee52f</a>. appelant les 47 États membres de l’Organisation à inclure l’enseignement de l’histoire des Roms et/ou des Gens du voyage dans les curriculums scolaires et les matériels pédagogiques.
14. Un curriculum implique nécessairement une sélection, celle-ci devant néanmoins être pertinente pour les expériences éducatives et sociales des apprenants. En excluant certaines choses du curriculum, on envoie implicitement deux messages aux apprenants: un qui montre ce qui n’est pas important, et l’autre, qui montre ce qui doit être valorisé.

3.1.2. La spécificité de l’histoire en tant que discipline

15. Il n’existe pas de consensus européen sur la manière dont les programmes d’histoire devraient être structurés, aussi plusieurs cadres de programmes d’études sont-ils en vigueur. Quels que soient les critères sur lesquels se fonde le programme, il est souvent surchargé. Il en va de même pour ce qui est du nombre d’heures allouées à l’enseignement de l’histoire, des approches pédagogiques, de l’utilisation – rare ou excessive – des manuels scolaires et du degré d’autonomie ou de la confiance accordés aux enseignants. La surcharge des programmes empêche d’aborder en profondeur certains sujets et, en particulier, entrave la pleine acquisition de compétences de réflexion analytique et critique, la multiperspectivité, etc.
16. Cela étant, les décisions relatives au contenu du curriculum d’histoire découlent de la répartition du pouvoir dans la société – une structure complexe, dynamique et hétérogène 
			(9) 
			Dans 1984, George Orwell dit que «le
contrôle du présent et du futur dépend dans une large mesure du
contrôle du passé».. L’examen du contenu que les apprenants se voient proposer à l’école (quels éléments de l’histoire, et l’histoire de qui?) confirme ce qui a été sélectionné et inclus dans le curriculum, ces éléments variant en fonction des événements définis comme d’importance historique – par exemple, les faits considérés comme fondateurs d’une nation, ou ceux qui ont entraîné des changements importants et durables pour de nombreuses personnes. La nature des événements d’importance historique retenus a changé: si, autrefois, on se concentrait sur des récits unilatéraux des prouesses politiques, militaires et économiques d’une nation, qui venaient alimenter les grands récits historiques, aujourd’hui, la sélection s’est élargie à une meilleure compréhension des actions individuelles ou collectives passées qui ont apporté un changement dans le monde, comme l’action de groupes particuliers dans l’abolition de l’esclavage, l’émancipation des femmes ou l’élargissement du droit de vote. Telles sont les caractéristiques générales des curriculums d’histoire, néanmoins marqués par des variations et par une certaine opposition, que ce soit la part des éducateurs, des parents, des enseignants ou des acteurs politiques, dont les médias, et plus particulièrement, les réseaux sociaux, se sont largement fait l’écho.
17. L’histoire en tant que discipline n’est pas comparable aux mathématiques, aux sciences ou aux langues étant donné qu’il n’existe pas de plan d’apprentissage clairement défini pour cette matière. Toutefois, il existe des modèles de progression pour l’apprentissage de l’histoire, et la familiarisation avec les différents modèles et l’examen de ces derniers devraient faire partie de la formation professionnelle des enseignants d’histoire.
18. De nos jours, l’apprentissage de l’histoire est considéré comme une tâche complexe, plus difficile que ce que l’on pensait auparavant. Il implique l’acquisition et l’utilisation d’un ensemble de stratégies cognitives spécifiques à ce domaine, qui permettent d’apprendre et de comprendre le passé – un processus appelé pensée historique, fondé sur l’idée que l’histoire est essentiellement une discipline interprétative. S’il est généralement admis que les apprenants étudient l’histoire pour découvrir et comprendre le monde dans lequel ils vivent, ainsi que les forces, mouvements et événements qui l’ont façonné, l’enseignement de cette matière à l’école ne les aide pas toujours à comprendre les processus du changement dans le temps et la manière dont ils se rapportent à eux 
			(10) 
			Arkell
Tom (1988), History's role in the school
curriculum (Le rôle de l’histoire dans le curriculum scolaire), Journal
of Education Policy, 3:1, 23-38, DOI: <a href='https://doi.org/10.1080/0268093880030103'>10.1080/0268093880030103</a>..
19. À l’heure actuelle, grâce aux travaux menés par des associations d’enseignants d’histoire, notamment EuroClio, et à la diffusion rapide de l’information permise par les technologies numériques, l’enseignement de l’histoire repose dans de nombreux instituts de formation des enseignants et établissements scolaires européens sur une approche solide, conçue dans le cadre du Projet de la pensée historique 
			(11) 
			Ce projet, dirigé par
Peter Seixas, a vu le jour au Canada. Voir <a href='http://historicalthinking.ca/'>http://historicalthinking.ca/</a>.. Ce projet, qui a une influence considérable en Europe, offre aux enseignants une base conceptuelle commune. Il reste néanmoins encore beaucoup à faire pour parvenir à un ensemble cohérent, qui profiterait tant aux apprenants qu’aux enseignants, notamment en ce qui concerne la formation continue (la génération actuelle d’enseignants avançant en âge), la révision des curriculums trop chargés et les méthodes d’évaluation.
20. Le Projet de la pensée historique a été conçu dans le but de proposer une nouvelle approche de l’enseignement de l'histoire, qui aurait le potentiel de transformer la façon dont les enseignants enseignent et les élèves apprennent, et ce, en tenant compte des résultats des recherches internationales les plus récentes sur l’apprentissage de l’histoire. L’approche ainsi conçue repose sur l’idée que la pensée historique est essentielle à l’enseignement de l’histoire, tout comme la pensée scientifique est au cœur de l’enseignement des sciences et la pensée mathématique au cœur de l’enseignement des mathématiques, et que les élèves devraient devenir de meilleurs penseurs historiques à mesure qu’ils progressent dans leur scolarité.
21. Le projet a notamment consisté à élaborer un cadre conceptuel permettant de communiquer des idées complexes à un public aussi vaste que diversifié d’utilisateurs potentiels. Six principes de la pensée historique ont ainsi été définis, à savoir: établir la pertinence historique; utiliser des sources primaires; définir la continuité et le changement; analyser les causes et les conséquences; adopter une perspective historique; comprendre la dimension éthique des interprétations historiques.
22. Ensemble, ces principes relient la «pensée historique» à des compétences associées à la «connaissance historique». Dans ce cas, on entend par «connaissance historique» l’acquisition d’une compréhension plus approfondie des événements et des processus historiques grâce à une étude active des textes.
23. Lorsque l’on a une bonne connaissance de l’histoire, on sait comment évaluer la légitimité de diverses affirmations, telles que «l’Holocauste n’a pas eu lieu», ou «l’esclavage n’a pas eu les conséquences néfastes que l’on dit pour les Afro-Américains». On détient les outils nécessaires pour participer à ces débats. On peut interroger les sources historiques. On sait qu’un film historique peut sembler «réaliste», sans être exact. La pertinence de l’histoire implique un jugement éthique. Les leçons que nous tirons du passé peuvent nous aider à faire face aux enjeux éthiques d’aujourd’hui.
24. Apprendre à réfléchir historiquement en utilisant ces concepts n’est pas chose aisée, car les mystères du passé sont difficiles à percer depuis le présent, les éléments de preuve sont souvent rares et toute tentative de construire une succession d’événements repose sur un lien nécessaire entre une réalité ancienne et des interprétations actuelles de cette réalité. Toutefois, ce lien est contestable parce qu’il n’existe aucune méthode permettant de rejouer cette ancienne réalité pour établir pleinement l’exactitude d’une interprétation contemporaine. Pour apprendre à utiliser les stratégies de la pensée historique qui permettent de comprendre le passé, il est nécessaire de cultiver un certain nombre de processus cognitifs qui vont à l’encontre de nos intuitions 
			(12) 
			Ce
paragraphe et le précédent sont issus de Vansledright, Bruce A., History, learning of, teaching of (Enseignement et apprentissage de l’histoire), <a href='https://education.stateuniversity.com/pages/2048/History.html'>https://education.stateuniversity.com/pages/2048/History.html</a>.. C’est pour cette même raison que l’enseignement de l’histoire englobe l’acquisition de la tolérance de l’ambiguïté, et notamment de l’idée qu’il n’est pas possible d’établir des faits historiques de façon absolument certaine, et de compétences de réflexion analytique et critique face aux sources historiques, ainsi qu’une compréhension plus approfondie des termes et concepts difficiles tels que la post-vérité, les faits alternatifs ou les réalités parallèles, afin de renforcer la résistance à la désinformation.
25. L’enseignement de l’histoire apporte les réponses nécessaires pour comprendre le présent en faisant preuve d’esprit critique, dans la mesure où il attire l’attention sur le fait que tout événement du passé doit être interprété dans son contexte historique et que l’interprétation du passé est sujette à débat. Les processus de réflexion et les compétences acquis grâce à l’étude de l’histoire constituent un socle de raisonnement réutilisable dans toutes les autres matières. Ils reposent sur des faits avérés et intègrent une dimension éthique: les apprenants sont censés tirer des leçons du passé, qui les aident à faire face aux enjeux éthiques d’aujourd’hui. Qui plus est, l’enseignement de l’histoire leur confère un sentiment de citoyenneté et leur rappelle les questions qu’il convient de se poser, en particulier à l’égard des preuves. Ainsi, la connaissance de l’histoire et la compréhension critique des systèmes politiques, sociaux, culturels et économiques rejoignent la culture de la démocratie nécessaire à une citoyenneté active et préparent les apprenants à la démocratie, c’est-à-dire à participer à une société démocratique, y compris dans les domaines de la politique, des médias, de la société civile, de l’économie et du droit. Ainsi, l’enseignement de l’histoire et l’éducation à la citoyenneté démocratique sont deux matières étroitement liées, mais pas interchangeables. Tandis que l’enseignement de l’histoire à l’école peut contribuer à l’éducation à la citoyenneté, l’éducation à la citoyenneté ne repose pas nécessairement sur les normes, processus ou raisonnements appliqués en histoire, ou ne contribue pas nécessairement à les renforcer 
			(13) 
			Levesque,
Stéphane, (2008), Thinking Historically:
Educating Learners for the 21st Century (La pensée historique: préparer
le apprenants au XXIe siècle), (pp. 28-29), University
of Toronto Press. Kindle edition.. En fait, les méthodes mises en œuvre dans l’enseignement de l’histoire permettent aux apprenants de relever les défis politiques, culturels et sociaux d’aujourd’hui, car elles renforcent la capacité à interroger des récits différents, voire contradictoires, en exigeant que les arguments soient étayés par des preuves et en reconnaissant que tant les interprétations des historiens que les leurs peuvent évoluer à la lumière de nouveaux éléments de preuve.

3.1.3. Des curriculums d’histoire souples

26. Dans la mesure où son contenu est déterminé et où il encourage l’adoption d’une approche pédagogique centrée sur l’apprenant, l’enseignement de l’histoire contribue considérablement à favoriser l’inclusion et la cohésion sociales – une dimension qui doit être prise en compte.
27. Un curriculum d’histoire souple doit avant tout chercher à éviter la surcharge et l’obsolescence des programmes, à répondre aux besoins des apprenants et à revoir l’approche pédagogique utilisée en histoire. L’apprentissage souple est centré sur l’apprenant; il favorise l’indépendance et l’autonomie des apprenants et les prépare à vivre dans une société en mutation rapide. Il a pour but de leur permettre de se prendre en charge en leur confiant davantage les rênes de leur apprentissage – en d’autres termes, de favoriser la réussite et les progrès des apprenants, plutôt que de les limiter. Un curriculum souple est un curriculum fondé sur les compétences.
28. Toutefois, ce type de curriculum doit également prévoir les questions relatives à l’évaluation. C’est là une tâche complexe, les systèmes éducatifs établissant généralement un lien entre apprentissage de l’histoire et performance. Ce qu’il est généralement demandé aux enseignants de mesurer lorsqu’ils notent les apprenants, c’est la performance de ces derniers, mais la performance est-elle automatiquement synonyme d’apprentissage? Qu’est-ce que la performance en cours d’histoire? Renvoie-t-elle à la capacité de mémorisation d’un apprenant? Un apprentissage considérable peut s’opérer sans nécessairement donner lieu à des changements perceptibles dans la performance; à l’inverse, on peut constater une amélioration de la performance sans résultats en termes d’apprentissage 
			(14) 
			Professeur Robert A
Bjork, vidéo Youtube sur le fait de dissocier l’apprentissage et
la performance<a href='https://youtu.be/MMixjUDJVlw'>, https://youtu.be/MMixjUDJVlw.</a>. L’apprentissage peut toutefois se déduire de la performance, de manière indirecte. C’est pourquoi les modèles de progression sont des outils importants pour faciliter les déductions des enseignants sur la progression des apprenants d’histoire.
29. L’introduction récente de curriculums souples au Portugal, évaluée positivement par l’OCDE 
			(15) 
			«Curriculum Flexibility
and Autonomy in Portugal – an OECD Review» (Souplesse et autonomie
du curriculum au Portugal, – Examen de l’OCDE), pp.27-28. Voir <a href='https://www.oecd.org/education/2030/Curriculum-Flexibility-and-Autonomy-in-Portugal-an-OECD-Review.pdf'>www.oecd.org/education/2030/Curriculum-Flexibility-and-Autonomy-in-Portugal-an-OECD-Review.pdf</a>., a permis d’établir que (a) le fait de donner davantage d’autonomie, de responsabilités et de possibilités de faire des choix aux apprenants, aux enseignants et aux chefs d’établissements scolaires favorise le changement, tant dans les états d’esprit que dans les comportements, ainsi que la prise en compte de la diversité, l’innovation et la personnalisation, éliminant ainsi les obstacles à l’accès à l’éducation; (b) le fait de permettre aux écoles et aux enseignants d’adopter des approches interdisciplinaires et de créer des opportunités d’apprentissage améliore la qualité des expériences pour les apprenants et rend l’apprentissage plus accessible et plus pertinent pour un plus grand nombre d’entre eux, donnant ainsi naissance à des écoles plus inclusives; et (c) que le fait d’accorder aux établissements scolaires une autonomie pouvant représenter jusqu’à 25% du volume horaire hebdomadaire prévu par le curriculum leur permet de décider de la meilleure façon d’organiser le temps d’enseignement en fonction de leur contexte et des plans stratégiques élaborés pour répondre aux besoins et aspirations des apprenants.
30. Ces vingt dernières années, les systèmes éducatifs européens ont largement adopté des approches fondées sur les compétences, se détournant des très traditionnels curriculums fondés sur les connaissances (connaissances déclaratives). Parallèlement, le Conseil de l’Europe a mis au point un Cadre de référence des compétences pour une culture de la démocratie, qui repose sur les principes communs aux sociétés démocratiques et qui s’applique à tous les domaines et niveaux de l’éducation, définissant 20 compétences regroupées sous quatre piliers (les valeurs, les attitudes, les aptitudes et la connaissance et la compréhension critique). Ce Cadre encourage le développement de sociétés ouvertes, tolérantes, et plurielles, et l’enseignement de l’histoire a un rôle important à jouer pour atteindre cet objectif si le contenu de l’enseignement (quelle histoire, et celle de qui), la manière dont ce contenu est dispensé et la qualité des ressources disponibles le permettent.
31. Le Cadre conçoit le curriculum comme un plan d’apprentissage, au centre duquel se trouvent l’apprenant et l’apprentissage. Par conséquent, l’importance et la valeur de curriculums d’histoire souples résident dans leur potentiel à inclure et à reconnaître les différences culturelles et à intégrer et comprendre les changements systémiques de la société, pour permettre aux apprenants de développer un sentiment d’appartenance à leur communauté scolaire 
			(16) 
			Le sentiment d’appartenance
permet d’établir et de maintenir des relations constructives. et d’apporter à leur tour une contribution positive à cette même communauté, et, plus tard, aux sociétés démocratiques dans lesquelles ils vivront.
32. Les curriculums souples et les approches pédagogiques interactives tenant compte de la diversité socio-culturelle permettent aux jeunes d’identifier leurs points forts et leurs centres d’intérêts et d’acquérir les perspectives interdisciplinaires nécessaires pour faire face aux divers problèmes qui se posent dans la société, tels que les stéréotypes fondés sur le genre, l’appartenance ethnique, la langue ou le statut social. En fait, un curriculum qui ne reflète que l’histoire et la culture du groupe dominant dans la société oblige les apprenants issus des groupes minoritaires à suivre un curriculum qui peut leur sembler non pertinent pour eux, voire offensant; c’est pourquoi il est important de réfléchir aux pratiques et messages implicites du curriculum. Soulignons que ce type de curriculum prive également les apprenants issus du groupe majoritaire de la possibilité de découvrir l’histoire et la culture d’autres groupes.

3.2. Préparer les apprenants à la démocratie en leur enseignant son histoire complexe

33. L’enseignement de l’histoire permet aux apprenants de comprendre et d’acquérir les valeurs démocratiques en favorisant l’analyse et la compréhension critique des luttes historiques pour la démocratie et la liberté, ou de la construction des institutions et valeurs démocratiques. En outre, l’enseignement et l’apprentissage de l’histoire se déroulent dans une salle de classe où les élèves participent à la prise de décision, pratiquent l’apprentissage collaboratif, expriment leurs points de vue et interprétations, écoutent des prises de position différentes, énoncées de manière argumentée et respectueuse, et apprennent à participer aux discussions de la classe – en d’autres termes, ils apprennent par le biais de la démocratie, acquérant des comportements conformes aux valeurs et attitudes démocratiques. Ainsi, l’enseignement de l’histoire joue un rôle fondamental dans la mesure où il prépare les apprenants à la démocratie en leur donnant les moyens de participer de façon autonome à cette dernière et au dialogue interculturel.
34. La préparation à la démocratie dans le cadre des cours d’histoire suppose de reconnaître le fait que les curriculums monoculturels faisaient partie d’un modèle culturel dominant qui considérait la différence comme dangereuse et source de clivages. L’enseignement de l’histoire ne devrait pas faire abstraction de la diversité existante de toute société, ni se limiter au récit national qui coïncide avec l’histoire de la communauté linguistique et culturelle dominante, ou la plus importante en taille. Il convient d’aider tous les apprenants à comprendre les différentes façons dont les gens issus de diverses cultures et communautés ont contribué au progrès dans le passé, aux niveaux local, national et mondial.

3.3. Identifier des thèmes historiques communs en Europe, depuis des perspectives similaires ou différentes

«De plus en plus d’individus, en particulier parmi les jeunes générations, ont plusieurs affiliations culturelles à exploiter, mais aussi à gérer, au quotidien. Leur «identité composite» ne peut plus être limitée à une «identité collective» liée à un groupe ethnique ou religieux particulier.» 
			(17) 
			Résolution 2005 (2014) de l’Assemblée, «Identités et diversité au sein de sociétés
interculturelles».

35. Il semble de plus en plus difficile d’identifier des thèmes historiques communs en Europe à inclure dans le curriculum d’histoire de tous les États membres du Conseil de l’Europe. En 2014, à l’occasion du 60e anniversaire de la Convention culturelle européenne, le Conseil de l’Europe a publié un livre électronique intitulé Histoires partagées pour une Europe sans clivages 
			(18) 
			Histoire
partagées est un livre électronique comportant des liens
vers des sources externes. Cet ouvrage propose un ensemble de matériels
didactiques types, essentiellement destinés à la formation des enseignants. <a href='http://fr.zone-secure.net/15907/791123/'>http://fr.zone-secure.net/15907/791123/
– page=1</a>., produit final d’un projet intergouvernemental de quatre ans qui était axé sur des événements de l’histoire européenne ayant marqué de leur empreinte toute la région européenne 
			(19) 
			Formée par tous les
signataires de la Convention culturelle européenne en 1954.. Cet ouvrage met l’accent sur les expériences partagées, explorant l’idée que «votre histoire est aussi notre histoire, tout comme notre histoire est aussi celle de l’autre 
			(20) 
			Sachant qu’une histoire
«partagée» ne veut pas dire
une histoire «identique»..» L’approche adoptée a permis de déconstruire les stéréotypes, les mythes autour de l’identité et les visions négatives de l’autre, ainsi que d’aborder l’histoire dans toute sa complexité, prenant en compte toutes les dimensions des événements historiques, toutes les interférences, les convergences et les conflits, et en favorisant une interaction dialectique entre tous les éléments entrant en jeu dans un événement historique donné.
36. Plutôt que de tenter de traiter l’histoire de façon exhaustive, il peut être plus utile de se concentrer sur une sélection de thèmes susceptibles de concerner le plus grand nombre possible d’États membres et de répondre aux besoins des jeunes de comprendre le monde dans lequel ils vivent, ainsi que les forces, mouvements et événements qui l’ont façonné – comme l’impact de la révolution industrielle, l’évolution de l’éducation, l’histoire complexe de la démocratie, les droits de l’homme dans l’histoire de l’art, l’Europe et le monde, qui sont des thèmes développés dans le projet Histoires partagées, ou d’autres thèmes, tels que la Guerre froide, la décolonisation et les sociétés post-coloniales, les révolutions, la démocratie, le genre, les migrations, etc. Il est essentiel de comprendre que l’apprentissage de l’histoire, dans la mesure où il fait appel à des compétences de réflexion analytique et critique, offre une base d’apprentissage unique, stimulante et interdisciplinaire, fournissant aux apprenants des outils qui serviront tout au long de leur vie pour évoluer au sein des sociétés démocratiques contemporaines.
37. L’un des principaux obstacles qui s’opposent à une utilisation plus généralisée des publications et outils mis au point par le Conseil de l’Europe est la langue. Si les pratiques et études motivantes étaient disponibles dans plusieurs langues, elles auraient davantage d’impact. Naturellement, chaque enseignant y puise des éléments différents: certains recherchent plutôt des sources, d’autres, des méthodes d’enseignement et d’apprentissage différentes. Toutefois, les possibilités sont souvent limitées par le temps prévu dans le curriculum, tant pour l’enseignement que pour la préparation de cours adaptés aux méthodes d’évaluation.
38. Les histoires partagées peuvent être abordées depuis des perspectives différentes ou similaires, selon que les apprenants examinent des ressources, mentalités ou géographies différentes ou similaires en lien avec le thème partagé pour penser historiquement, parvenir à des interprétations et partager leurs conclusions. Les histoires partagées tiennent compte des identités plurielles des jeunes d’aujourd’hui et se prêtent à la fois aux approches interdisciplinaires et à l’apprentissage par projets.
39. L’apprentissage interdisciplinaire désigne le fait d’étudier un contenu ou de résoudre un problème en associant au moins deux disciplines et en s’appuyant sur des informations issues de différents domaines. Il s’inscrit dans une approche holistique qui aide les jeunes à avoir une vision globale et nécessite une collaboration étroite entre les enseignants pour créer une meilleure expérience d’apprentissage, plus intégrée, pour les apprenants. L’apprentissage interdisciplinaire est adapté aux curriculums souples.
40. Le travail fondé sur des projets, ou l’apprentissage par projets, est une approche pédagogique particulièrement propice au développement de compétences en histoire et de compétences pour une culture de la démocratie en ce qu’elle favorise l’acquisition d’un ensemble d’attitudes, de compétences, de connaissances et d’une réflexion critique, et qu’elle contribue au développement de certaines valeurs. Ce type d’apprentissage peut être utilisé non seulement pour étudier un thème spécifique en histoire, mais aussi dans le cadre d’une approche interdisciplinaire.

3.4. Évaluation des sources historiques

«La question la plus importante à laquelle les jeunes sont confrontés aujourd’hui, ce n’est pas de savoir comment trouver l’information. Google a fait un travail remarquable à cet égard. Nous sommes bombardés par tout un fatras d’informations. La véritable question qui se pose, c’est de savoir si, une fois trouvée, l’information doit être considérée comme crédible. Selon certaines études récentes, les jeunes ne s’en sortent pas si bien que ça dans ce domaine. La première chose que nous apprend l’étude de l’histoire, c’est qu’il n’existe pas d’information libre de toute attache, hors-sol. L’information vient de quelque part
			(21) 
			Discours liminaire
de Sam Wineburg, prononcé à l’occasion de la réunion annuelle de l’American Association for State and Local
History (AASLH) en 2015, à Louisville. Le discours est
disponible en intégralité à l’adresse suivante:<a href='https://soundcloud.com/aaslh-podcasts/2015-sam-wineburg-keynote-address'> https://soundcloud.com/aaslh-podcasts/2015-sam-wineburg-keynote-address</a>.

41. Les événements passés ont eu lieu dans le passé et ne se répéteront pas. De ces événements, il reste bon nombre de documents historiques, dont seuls quelques-uns nous sont révélés par les travaux des historiens. L’histoire écrite, ou historiographie, ne couvre qu’une très petite fraction du passé.
42. Les êtres humains sont doués de la capacité à penser vers le passé et vers l’avenir; «la conscience historique est définie comme étant la compréhension de la temporalité de l’expérience historique, c’est-à-dire que le passé, le présent et l’avenir sont pensés comme étant reliés entre eux de manière à produire une connaissance historique 
			(22) 
			Glencross, Andrew (2010), Historical Consciousness in International Relations
Theory: A Hidden Disciplinary Dialogue (La théorie de
la conscience historique dans les relations internationales: un
dialogue disciplinaire caché), University
of Aberdeen, Millennium Conference. <a href='https://millenniumjournal.org/wp-content/uploads/2010/09/glencross-andrew-historical-consciousness-in-ir-theory-a-hidden-disciplinary-dialogue.pdf'>https://millenniumjournal.org/wp-content/uploads/2010/09/glencross-andrew-historical-consciousness-in-ir-theory-a-hidden-disciplinary-dialogue.pdf</a>..» Ce dialogue permanent entre les trois dimensions du temps repose sur l’apport de nombreuses sources et, généralement, «fait référence à la fois à la façon dont les gens s’orientent dans le temps et à la manière dont ils sont liés par les contextes historiques et culturels qui façonnent leur sens de la temporalité et la mémoire collective. 
			(23) 
			Seixas, Peter (2006),
«What Is Historical Consciousness?» (Qu’est-ce que la conscience
historique?), To the Past: History Education,
Public Memory, and Citizenship in Canada, édité par Ruth
Sandwell, 11–22. Toronto: University of Toronto Press, p.15.»
43. L’enseignement de l’histoire permet d’organiser différentes informations et de les traiter de manière systématique, de préparer les apprenants à comprendre la nature de la connaissance historique, le fait que cette dernière résulte d’une construction, ainsi que les transformations que cette connaissance subit sous l’action de générations successives instaurant différents dialogues avec les trois dimensions du temps. Les jeunes apprennent également à distinguer les faits des souvenirs, des interprétations ou des perspectives et, surtout, à détecter la propagande. L’enseignement de l’histoire contribue de ce fait à la citoyenneté démocratique. En posant des questions fondamentales, l’enseignement de l’histoire présente aux apprenants des modèles de citoyenneté positive et responsable, facilite l’apprentissage à partir des erreurs commises par d’autres et améliore la compréhension critique du changement et de l’évolution de la société.
44. Le développement rapide des technologies de l’information et de la communication a mondialisé l’information, la communication et les connaissances, et l’essor des réseaux sociaux a considérablement accru la quantité d’informations numériques disponibles. Les plateformes médiatiques en ligne et les réseaux sociaux, en particulier, façonnent la perception de la réalité et la vision du monde des apprenants: les jeunes constituent l’un des groupes les plus vulnérables, car ils sont touchés de manière disproportionnée par les nouvelles technologies.
45. Si les conséquences historiques des rumeurs et des contenus forgés de toutes pièces sont bien documentées, nous sommes aujourd’hui confrontés à des phénomènes nouveaux, tels que la pollution de l’information à l’échelle mondiale, l’existence d’un ensemble complexe de motivations entraînant la création, la diffusion et la consommation de ces messages pollués, l’émergence d’une multitude de types de contenus et de techniques permettant de les amplifier, l’apparition d’innombrables plateformes hébergeant et reproduisant ces contenus, et des vitesses de communication fulgurantes entre des internautes partageant les mêmes idées 
			(24) 
			Claire
Wardle et Hossein Derakhshan, avec l’aide des travaux de recherche
de Anne Burns et Nic Dias, Les désordres
de l’information: vers un cadre interdisciplinaire pour la recherche
et l’élaboration de politiques, Strasbourg, Éditions
du Conseil de l’Europe, 2017.. Soulignons que les images sont des formes de communication parfois bien plus convaincantes que d’autres, ce qui peut en faire des vecteurs de désinformation et d’information malveillante beaucoup plus puissants. Il est donc important d’aider les apprenants à comprendre de façon critique et à déconstruire les messages véhiculés par les ressources visuelles, ainsi que la force de conviction et de manipulation de ces images. La façon dont les jeunes comprennent les images est fondamentalement différente de celles dont ils perçoivent un texte.
46. Pour bien naviguer parmi les océans des documents numériques visuels et écrits, les apprenants font appel à la boîte à outils de l’historien. Ils utilisent leur capacité d’analyse et leur esprit critique afin d’évaluer et d’interpréter les sources et de trouver, comprendre, sélectionner et utiliser des informations historiques importantes, avant de se forger une opinion éclairée:
  • si les apprenants sont capables d’apprécier l’intention, l’utilité, la fiabilité et la crédibilité des informations, ils sont moins influençables et moins aisément manipulables lorsqu’ils examinent des sources et des interprétations historiques;
  • l’utilisation de sources diverses et contradictoires montre que les interprétations historiques ne sont pas définitives et sont susceptibles d’être revues, ce qui constitue une garantie essentielle contre le détournement de l’histoire. Cela permet de ne pas accepter trop rapidement les récits qui cherchent à promouvoir des idées caractérisées par l’intolérance, ultranationalistes, xénophobes ou racistes;
  • du fait de l’accessibilité plus importante des sources visuelles, il est particulièrement nécessaire que les apprenants soient capables d’exercer un esprit critique lorsqu’ils décryptent une photographie, un documentaire ou une vidéo, afin de faire la part des choses entre l’aspect explicite et l’aspect implicite du contenu – ce que montre(nt) l’image (les images), et le message que souhaite faire passer l’auteur;
  • les apprenants portent des jugements, en distinguant la dimension historique (qu’est-ce que cela nous dit sur la réalité des faits?) de la dimension éthique (est-ce là une avancée positive?).

3.5. La multiperspectivité dans l’enseignement de l’histoire

47. Dans le contexte de l’enseignement de l’histoire, la notion de multiperspectivité fait épistémologiquement référence au concept d’histoire interprétative et subjective, caractérisé moins par une représentation objective de l’histoire dans un unique récit «fermé» que par la coexistence de récits multiples portant sur des événements historiques particuliers 
			(25) 
			Stradling,
Robert, La multiperspectivité́ dans l’enseignement de l’histoire:
manuel pour les enseignants, Éditions du Conseil de l’Europe, 2003, 
			(25) 
			<a href='https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=0900001680494153'>https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=0900001680494153</a>.. Une telle approche interprétative de l’enseignement de l’histoire devrait aller au-delà du relativisme, en apprenant aux jeunes à évaluer et comparer la validité de récits de différentes natures à l’aide de critères propres à la discipline. À mesure que les sociétés accroissent leur diversité ethnique et culturelle, la prise en compte de différentes perspectives est un moyen précieux et nécessaire offert aux apprenants pour accéder à une compréhension mutuelle des différentes cultures et devenir des citoyens responsables dans une société démocratique 
			(26) 
			Bjorn Wansink, Sanne
Akkerman, Itzél Zuiker et Theo Wubbels (2018), Where Does Teaching Multiperspectivity in History
Education Begin and End? An Analysis of the Uses of Temporality (Où
commence et où termine l’enseignement de la multiperspectivité en
histoire? Analyse de l’utilisation de la temporalité), Theory &
Research in Social Education, 46:4, 495-527, DOI: <a href='https://doi.org/10.1080/00933104.2018.1480439'>10.1080/00933104.2018.1480439</a>..
48. La multiperspectivité, tout comme l’analyse des sources, est un aspect essentiel de la compréhension de la dimension historique de tout événement. Les récits historiques sont tous provisoires; il est très exceptionnel de disposer d’une version unique et exacte d’un événement historique. Ainsi, la multiperspectivité suppose également d’établir une distinction entre faits et opinions et de comprendre qu’il n’existe pas de vérité historique universelle, mais qu’un événement donné se prête au contraire à une diversité d’interprétations. Un même événement historique peut se décrire et s’expliquer de différentes manières, en fonction des points de vue, tels celui de l’historien, de l’homme politique, du journaliste, du producteur de télévision, du témoin oculaire, etc.
49. Bien que l’on attire de plus en plus l’attention sur le caractère essentiel de la multiperspectivité, des études montrent que la coexistence de perspectives multiples n’a rien de simple pour de nombreux enseignants d’histoire 
			(27) 
			Ibid.. De fait, ils doivent avoir une fine connaissance de leur discipline, mais disposent d’un accès aux ressources et d’un temps limités, doivent composer avec des curriculums surchargés et préparer les apprenants aux examens. Il est toutefois important qu’ils intègrent une approche fondée sur la multiplicité des perspectives, propre à donner aux apprenants les moyens de se confronter à des points de vue différents pour mieux comprendre les problèmes, d’aiguiser leur esprit critique et de ressentir de l’empathie pour les contemporains de l’époque étudiée. Pour leur faire travailler l’empathie, ils peuvent par exemple demander aux jeunes de comparer et de faire contraster deux ou plusieurs perspectives par rapport à un événement historique donné, et les inviter à identifier les raisons probables qui sous-tendent les points de vue présentés dans les différentes sources. Il est essentiel que les apprenants expliquent et justifient leurs décisions: ils doivent être en mesure d’exposer leur raisonnement historique sur les liens de cause à effet et les motifs.

3.6. Faut-il inclure les aspects difficiles de l’histoire dans les curriculums?

50. Même si les questions sensibles sont absentes du curriculum, la controverse peut surgir inopinément lors d’un cours. Lorsque les apprenants ont l’habitude d’appliquer la méthode de l’enquête historique, la controverse est la bienvenue, car elle est de nature à favoriser leur capacité à aborder le passé ou toute autre question de manière objective. Dans la mesure où elle est mobilisatrice et stimulante, les jeunes apprennent en débattant activement et en s’efforçant de formuler de manière intelligible leurs questions et leurs doutes à propos du sujet étudié.
51. L’inclusion de questions controversées et sensibles dans les cours d’histoire renforce la culture de la démocratie, car la compréhension critique de la controverse favorise le respect de la pluralité des opinions, tandis que l’acceptation du désaccord crée des conditions propices à la tolérance de l’ambiguïté et confirme que l’hétérogénéité fait partie intégrante du monde dans lequel nous vivons.
52. En fait, la façon d’organiser l’expérience d’apprentissage que permet l’étude de ces questions est un facteur essentiel de la réussite de cette expérience. L’apprentissage n’est pas une activité passive: lorsqu’un jeune apprend, il établit un lien entre la nouvelle information et ses acquis. L’adoption d’approches méthodologiques promouvant la distanciation pour aborder les questions controversées donne à chaque élève la possibilité de prendre individuellement part à la discussion, et à la classe de parvenir collectivement à une nouvelle compréhension du sujet du débat; il s’agit d’un processus holistique complexe, qui consiste à faire surgir de la discussion une interprétation individuelle et collective et qui développe les dimensions cognitive, émotionnelle et sociale de l’apprentissage 
			(28) 
			Illeris, K. (2002), The three dimensions of learning: Contemporary
learning theory in the tension field between the cognitive, the
emotional and the social (Les trois dimensions de l’apprentissage:
la théorie contemporaine de l’apprentissage, entre les dimensions
cognitive, émotionnelle et sociale), NIACE, Leicester..
53. Cette forme d’apprentissage revêt une importance toute particulière pour l’étude du passé le plus récent et sa mise en relation avec des événements actuels et des préoccupations contemporaines, car elle donne aux apprenants l’occasion de réfléchir à leurs propres appartenances, à leurs intérêts et identités multiples, de reconnaître qu’il est possible à la fois de faire partie et de ne pas faire partie de quelque chose et que leurs propres convictions sont susceptibles d’être contradictoires et d’évoluer. La prise de conscience de préjugés et stéréotypes personnels, de leur ancrage possible dans les schémas de pensée et de leur transmission d’une génération à l’autre contribue à l’identification par l’apprenant des mythes et partis pris, et favorise la tolérance au sein de la classe.
54. Les compétences et l’état d’esprit nécessaires à la fois pour comprendre l’histoire et s’engager, à l’avenir, dans une démocratie participative ne peuvent s’acquérir par le biais d’approches pédagogiques qui cantonnent l’apprenant à un simple rôle de récepteur passif de connaissances. Cet apprentissage requiert des stratégies plus dynamiques, qui soient indépendantes, actives et interactives, qui fassent participer les apprenants et qui les invitent à réfléchir à ce qu’ils sont en train de faire.
55. Il est fondamental que les discussions se déroulent dans des environnements favorables 
			(29) 
			Les parents jouent
également un rôle fondamental et peuvent exercer une pression sur
les écoles et les enseignants si les apprenants se voient présenter
des points de vue avec lesquels ils ne sont pas d’accord. Les salles
de classe devraient être des environnement favorables, de même que
les sociétés. Le populisme a renforcé la pression qui pèse sur les
enseignants, voir <a href='https://www.euroclio.eu/2019/07/18/safe-schools-and-spying-students/'>www.euroclio.eu/2019/07/18/safe-schools-and-spying-learners/.</a>. Le traitement de questions sensibles et controversées nécessite le maintien d’un climat dans lequel tous les apprenants, même ceux qui appartiennent à des groupes minoritaires, se sentent en confiance et en sécurité pour exprimer leur point de vue. La discussion doit être gérée de manière à promouvoir un dialogue contrôlé et éclairé, et une interaction respectueuse.

3.7. Enseignant·e d’histoire: un métier dangereux?

56. L’histoire est une discipline riche, pleine de rebondissements, qui peut susciter une réflexion profonde et complexe, et qui, par conséquent, ne peut se résumer à l’apprentissage d’une suite de dates et de faits. Elle a pour objectif d’amener les apprenants à acquérir un esprit critique et à se forger une culture qui leur est propre en étudiant l’évolution de l’homme dans le temps – car on ne peut comprendre le présent et concevoir l’avenir que si l’on a une compréhension critique des événements du passé. Cette dimension souligne l’importance de l’histoire en tant que discipline et que source de construction de connaissances pour toutes les autres disciplines.
57. S’il est nécessaire d’apprendre les faits historiques pour pouvoir participer à des débats sur l’histoire, l’enseignement de cette matière ne se limite pas à un récit unique, en excluant toute autre interprétation des événements. Le fait de découvrir et d’analyser différentes perspectives sur des événements passés favorise l’ouverture à l’altérité culturelle, à d’autres croyances, visions du monde et pratiques, ainsi que le développement d’un esprit critique, et, à long terme, l’existence de sociétés plus tolérantes et égalitaires. Toutefois, même si on ne suit – consciemment ou inconsciemment – aucun programme, les apprenants se voient souvent présenter des informations historiques (trop) simplifiées, en raison du temps limité alloué à l’enseignement de l’histoire, des capacités intellectuelles limitées et/ou liées à l’âge des apprenants, des connaissances limitées de nombreux enseignants, et de la croyance encore très ancrée parfois que le rôle des enseignants consiste essentiellement à préparer les apprenants aux examens. Il est en outre important de souligner que la conscience non exprimée du fait que le contexte dans lequel se déroule l’enseignement n’est pas toujours propice à l’étude de sujets sensibles joue un rôle important dans la détermination du contenu de l’enseignement, et de la façon dont il est dispensé.
58. Lorsque l’histoire est utilisée à mauvais escient et est présentée de façon partielle, fallacieuse ou sert d’outil de propagande, elle ne met pas le passé en valeur, et ne contribue pas non plus au développement de compétences de réflexion critique et analytique. Cela dit, on constate dans certaines écoles d’Europe, une ingérence de la part de la direction de l’école ou des parents, qui remettent en question le contenu d’un cours, ou les ressources ou méthodes d’apprentissage choisies par l’enseignant.
59. L’histoire en tant que discipline est particulièrement surveillée, et, aujourd’hui, les enseignants s’interrogent sur la liberté dont ils disposent, ou les risques qu’ils courent, lorsqu’ils emploient certaines méthodes ou sélectionnent certaines sources 
			(30) 
			Le 16 octobre 2020,
Samuel Paty (1973–2020), enseignant français d’histoire-géographie,
a été décapité. Cet assassinat a soulevé les questions de la liberté
d’expression et des ressources utilisées en salle de classe. La
déclaration d’<a href='https://www.euroclio.eu/association/'>EuroClio (l'Association
européenne des enseignants d’histoire)</a> à la suite de ce meurtre peut être téléchargée <a href='https://www.euroclio.eu/wp-content/uploads/2020/10/Statement-on-the-murder-of-Samuel-Paty.pdf'>ici</a> (en anglais). Pour plus d’information aux niveaux européen
et mondial, veuillez consulter le site du <a href='http://www.concernedhistorians.org/'>Network of Concerned Historians
(réseau international d’historiens)</a>. Établi au sein du Département d’histoire de l’Université
de Groningen (Pays-Bas), ce petit observatoire fait le lien entre
les organisations internationales de droits humains qui défendent
les historiens persécutés et la communauté mondiale des historiens.
Il publie chaque année un rapport. L’édition 2020 couvre 91 pays.. La situation actuelle est due à un ensemble de choses, à commencer par le fait que les parents ne comprennent pas la dimension actuelle de la discipline; ils défendent la véracité incontestable de la version partiale qui leur a été enseignée et exercent une pression sur le conseil d’établissement, ces ingérences ayant lieu, de façon plus générale, dans une société davantage marquée par les clivages et la violence, au sein de laquelle les enseignants deviennent des cibles, que l’on accuse et rend responsables de tout ce qui va mal.
60. La Recommandation 1880 (2009) de l’Assemblée «L’enseignement de l’histoire dans les zones de conflit et de post-conflit» mentionne la nécessité de «soutenir le changement dans la manière dont ‘l’autre’ est présenté dans les cours d’histoire. Il intervient dans les questions relatives au contenu de l’enseignement de l’histoire et à la manière dont elle est enseignée. Il faut continuer d’investir considérablement dans le développement des compétences des enseignants, actuels et futurs, pour les encourager à adopter un programme d’un nouveau style et de nouvelles façons d’enseigner. Ce processus étant évolutif, il a des retombées sur les formations initiale et continue des enseignants.» EuroClio a également travaillé avec les associations locales d’enseignants d’histoire sur un ensemble de recommandations pour un enseignement responsable des guerres qui ont fait rage en Yougoslavie et dans les États qui lui ont succédé 
			(31) 
			<a href='https://euroclio.eu/wp-content/uploads/2016/12/Making-sense-of-the-past-that-refuses-to-pass_final-English.pdf'>https://euroclio.eu/wp-content/uploads/2016/12/Making-sense-of-the-past-that-refuses-to-pass_final-English.pdf</a>. Cette initiative partant de la base a été lancée pour renforcer l’enseignement de l’histoire qui vise à favoriser une compréhension critique des guerres en cultivant la pensée historique, considérée comme essentielle pour lutter contre la manipulation et les mythes, ainsi que contre les préjugés et les stéréotypes qui en découlent. EuroClio (l'Association européenne des enseignants d’histoire) estime que l’enseignement de l’histoire doit permettre de changer les choses. Par ailleurs, il convient de souligner que le Bureau du Haut-Commissaire pour les minorités nationales de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe [OSCE/HCNM] reconnaît l’histoire et la mémoire comme une source potentielle de conflit 
			(32) 
			<a href='https://www.osce.org/files/f/documents/9/b/415121_0.pdf'>https://www.osce.org/files/f/documents/9/b/415121_0.pdf.</a>.
61. L’enseignement de l’histoire a incontestablement un rôle majeur à jouer pour faire changer les choses en contribuant à la construction de sociétés démocratiques durables et résilientes, ainsi qu’à la réhabilitation des sociétés d’après-conflit. Aussi est-il important que les enseignants bénéficient de véritables opportunités de formation professionnelle initiale et continue, car des enseignants performants sont les ressources les plus précieuses qu’un système éducatif puisse avoir. Acteurs clés du processus d’apprentissage, ils ont également besoin de temps et de ressources pour étudier, réfléchir et mettre au point leurs pratiques.
62. Le fait d’étudier l’histoire spécifique d’un peuple, d’un pays ou d’un groupe culturel/ethnique ou international est une nécessité absolue pour le développement cognitif et social des jeunes. Le contenu des cours d’histoire et les méthodes et matériels pédagogiques utilisés dans cette matière à l’école ont sérieusement besoin d’être dépoussiérés pour faire renaître l’intérêt pour cette discipline, au risque, peut-être de susciter un certain mécontentement.

3.8. Utiliser les technologie de l’information et de la communication dans l’enseignement de l’histoire

63. Les technologies de l’information et de la communication peuvent considérablement soutenir le développement de la pensée historique et de la compréhension de l’histoire chez les apprenants, d’une façon qui favorise également l’éducation à la démocratie et à la diversité. Au-delà du contenu, l’apprentissage reposant sur les technologies offre la possibilité:
  • d’étendre les interactions interculturelles en permettant aux apprenants de communiquer directement avec des pairs étudiant dans d’autres écoles, vivant dans d’autres pays ou issus de cultures différentes;
  • de construire et de renforcer l’apprentissage coopératif, notamment la collaboration internationale, en utilisant des outils tels que le cloud computing, la visioconférence, les plateformes en ligne interactives, les wikis et les blogs;
  • de recourir à des simulations et à des jeux éducatifs, permettant ainsi d’aborder des thèmes qu’il serait pratiquement impossible d’aborder autrement, ou d’étudier des processus historiques et décisionnels complexes de façon plus dynamique (les «jeux épistémiques», par exemple, qui consistent à évaluer la mesure dans laquelle les apprenants sont capables de raisonner et de procéder comme un professionnel – en l’occurrence, un historien).

3.9. Combler l’écart entre l’éducation formelle et l’éducation non formelle

64. Un peu partout en Europe, les apprenants font des sorties dans des musées, ce qui leur donne la possibilité d’approfondir certains pans de l’histoire qu’ils ont déjà étudiés en classe ou de découvrir des thèmes spécifiques que le musée met en avant à travers une sélection d’objets et essaie de replacer dans un contexte historique plus large. En général, les animateurs et les enseignants planifient la visite pour mettre l’accent sur des aspects spécifiques de l’apprentissage. Dans le cadre des cours d’histoire, les apprenants peuvent aussi se rendre au parlement pour assister à une session. Mais ce type d’activité n’a de sens que s’il a été préparé et étudié en classe au préalable. En Europe, les enseignants d’histoire ont très souvent recours à des films (qu’ils diffusent en partie ou en intégralité), à des ressources en ligne, à des podcasts et à des extraits d’émissions de radio pendant les cours.
65. En complément des sorties scolaires, il arrive également que des historiens, des auteurs, des acteurs de différents domaines liés à l’histoire, à l’art ou à la littérature, ou encore des associations ou ONG de défense des droits humains, soient invités à participer aux cours d’histoire et à parler de leur expérience aux apprenants. Le monde extérieur peut en effet transmettre de puissants messages d’inclusion et de respect de la diversité aux apprenants. L’ouverture à l’altérité culturelle et à d’autres croyances, visions du monde et pratiques les aide à donner un sens au monde dans lequel ils vivent.
66. Toutefois, ce type d’activité dépend en grande partie de l’enseignant concerné, de la localisation et du projet pédagogique de l’école, et il est plus facile à organiser en milieu urbain; les établissements situés dans des régions plus reculées rencontrent davantage de difficultés à cet égard.
67. Pour sortir du cadre de l’enseignement de l’histoire à l’école en s’intéressant aussi au rôle novateur joué par d’autres acteurs, un partenariat entre le Conseil de l’Europe et la branche portugaise du Conseil international des musées (ICOM) a été instauré dans le cadre du projet Histoires partagées pour une Europe sans clivages. L’objectif était de réunir des enseignants d’histoire et des animateurs de musée afin de leur permettre de partager des expériences et des pratiques, de reconnaître la complémentarité de leurs fonctions et d’identifier des possibilités de coopération.

3.10. Intégrer les compétences pour une culture de la démocratie (CCD) à la formation initiale et continue des enseignants

68. La compréhension critique des phénomènes historiques facilite le processus d’acquisition des compétences nécessaires à une culture de la démocratie: l’enseignement de l’histoire et l’éducation à la citoyenneté se recoupent de manière évidente. La mise en œuvre, en les adaptant si nécessaire, des approches pédagogiques relatives aux CCD peut favoriser l’enseignement de l’histoire en instaurant dans la classe un climat permettant aux jeunes d’étudier activement des questions d’histoire tout en faisant l’expérience de la démocratie.
69. Les enseignants doivent être conscients de leur propre perception du passé, de leurs points de vue, préjugés, stéréotypes et partis pris, et se montrer transparents à ce sujet; ils doivent également s’efforcer de créer un environnement inclusif, au sein duquel tous les apprenants se sentent en confiance et osent dire ce qu’ils pensent et exprimer leurs désaccords en cas de dialogue difficile. Il est essentiel qu’ils fassent preuve de souplesse et d’adaptabilité. Les compétences pour une culture de la démocratie et l’éducation interculturelle devraient être intégrées à la formation initiale et continue des enseignants pour les sensibiliser à l’inclusion et à l’altérité et développer chez eux les compétences nécessaires pour faire face au désintérêt et aux réponses inadaptées.
70. L’approche des CCD devrait être appliquée de manière transversale dans la formation initiale et continue des enseignants. En effet, la bonne inclusion d’activités pédagogiques qui cherchent à prendre en compte les valeurs d’une culture de la démocratie et à développer les attitudes, les compétences et connaissances, et l’esprit critique nécessaires à cette culture dans l’enseignement de l’histoire dépendra, en fin de compte, de la capacité des enseignants à inclure les CCD lors de la conception et du développement d’activités éducatives adaptées aux besoins de leurs apprenants. L’acquisition et le développement des CCD ne sont pas un processus linéaire, mais un voyage personnel qui dure toute la vie, les individus (enseignants comme apprenants) étant sans cesse confrontés à des contextes nouveaux et différents.
71. L’intégration et l’adaptation du Cadre de référence des compétences pour une culture de la démocratie relèvent de la responsabilité des décideurs politiques. L’éducation à la démocratie et à la diversité est forcément une tâche permanente, qui exige de consacrer des ressources et un investissement intellectuel appropriés aux établissements scolaires et aux enseignants.

4. Objectifs et fonctionnement de l’Observatoire

72. Le 12 novembre 2020, 17 États membres du Conseil de l’Europe 
			(33) 
			Albanie, Andorre, Arménie,
Chypre, Espagne, Fédération de Russie, France, Géorgie, Grèce, Irlande,
Luxembourg, Macédoine du Nord, Malte, Portugal, Serbie, Slovénie
et Turquie. ont décidé de créer l’Observatoire de l’enseignement de l’histoire en Europe dans le cadre d’un Accord partiel élargi. 
			(34) 
			Résolution CM/Res(2020)34
instituant l’Accord partiel élargi sur l’Observatoire de l’enseignement
de l’histoire en Europe. L’Observatoire est ouvert aux 50 États parties à de la Convention culturelle européenne et offre la possibilité à d’autres États non membres d’adhérer. Ces prochaines années, la priorité essentielle sera d’élargir sa composition et de garantir un meilleur équilibre géographique entre les membres afin de renforcer la pertinence et la valeur ajoutée des travaux de l’Observatoire.
73. Le Statut de l’Accord partiel élargi 
			(35) 
			<a href='https://search.coe.int/cm/pages/result_details.aspx?ObjectId=0900001680a051fa'>https://search.coe.int/cm/pages/result_details.aspx?ObjectId=0900001680a051fa.</a> indique que l’Observatoire a pour but de promouvoir des pratiques encourageant l’enseignement et l’apprentissage de l’histoire en vue de renforcer et de promouvoir les valeurs du Conseil de l’Europe consacrées dans son Statut (STE n° 1). L’Observatoire a pour mission «de collecter, de traiter et de rendre disponibles des informations factuelles sur les manières dont l’histoire est enseignée dans tous les pays de l’accord partiel élargi (APE). À cet effet, l’Observatoire s’attache notamment à assurer que ses activités reposent sur une base scientifique et universitaire solide, tiennent dûment compte de la diversité des systèmes éducatifs dans les États membres de l’APE et assurent la complémentarité avec les travaux intergouvernementaux du Conseil de l’Europe en matière d’enseignement de l’histoire. Il ne vise pas à harmoniser les programmes d’études.»
74. La définition claire du mandat de l’Observatoire, qui exclut toute volonté d’harmoniser les programmes d’études en Europe, devrait rassurer les autres États membres du Conseil de l’Europe et les conduire à reconnaître la valeur ajoutée d’une telle plateforme d’échange sur les politiques et les méthodologies et à envisager d’adhérer à l’Accord partiel élargi dans un futur proche. La pertinence et la crédibilité de l'Observatoire sont assurées par le travail du Conseil scientifique consultatif qui a été élu pour fournir la qualité académique, scientifique et méthodologique des travaux de l'Observatoire. Le Conseil scientifique consultatif garantira que toutes les informations publiées sont exactes, vérifiées, comparables et complètes.
75. Le bon fonctionnement de l’Observatoire, initialement créé pour une période de trois ans, dépendra inévitablement de son budget. Je soutiens fermement l’argument selon lequel les restrictions budgétaires imposées dans les États membres en lien avec la pandémie de covid-19 ne devraient pas ébranler la décision d’assurer le bon fonctionnement de l’Observatoire.
76. Enfin, je pense qu’il serait important de définir plus en détail la manière exacte dont les activités de l’Observatoire s’articuleront avec les travaux menés par le Conseil de l’Europe en matière d’enseignement de l’histoire, auxquels participent 47 États membres, afin de les renforcer mutuellement. À cet égard, je maintiens fermement que le budget ordinaire du Conseil de l’Europe devrait permettre de financer de manière appropriée les activités du Service de l’Éducation du Conseil de l’Europe relatives à l’enseignement de l’histoire, afin de garantir la pérennité à long terme du programme intergouvernemental.

5. Participation de l’Union européenne

77. Il est vraiment encourageant de voir que l’Union européenne est ouverte et disposée à participer aux activités de l’Observatoire. Tout en reconnaissant le principe de subsidiarité et l’indépendance des États membres de l’Union européenne en ce qui concerne les décisions relatives aux politiques applicables dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement de l’histoire, l’Union européenne pourrait jouer un rôle important et inciter ses États membres à adhérer à l’Accord partiel élargi (Observatoire).
78. L’Union européenne pourrait également contribuer efficacement aux activités de l’Observatoire et au secteur intergouvernemental du Conseil de l’Europe; elle pourrait concevoir des dispositifs appropriés pour le financement de projets de coopération innovants fondés sur des principes et des lignes directrices établis par le Conseil de l’Europe.
79. Dans le cadre du programme Erasmus actuel, les étudiants en histoire (futurs enseignants) pourraient effectuer une partie de leur formation professionnelle à l’étranger. Je propose également la création d’un dispositif ad hoc spécifique visant à financer les échanges professionnels entre les professeurs d’histoire, permettant également la participation d’enseignants de pays voisins non-membres de l’Union européenne.
80. Afin de susciter un élan politique, l’Union européenne pourrait envisager d’introduire dans les critères d’adhésion pour les pays candidats «La réconciliation mémorielle de l'État candidat avec ses voisins».

6. Conclusions

81. Contrairement aux mathématiques, à la science ou aux langues, l’histoire est essentiellement une discipline interprétative. La pensée historique est donc au cœur de l’enseignement de l’histoire, qui permet aux élèves d’acquérir progressivement la capacité d’analyser les faits historiques, de débattre d’idées complexes sur le passé, et ainsi de mieux comprendre les enjeux contemporains et de se repérer.
82. En 2018, le Conseil de l’Europe a publié un ensemble de principes et de lignes directrices pour un enseignement de l’histoire de qualité au XXIe siècle 
			(36) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/history-teaching'>www.coe.int/fr/web/history-teaching.</a>, que nous avons poussés plus loin au chapitre 3 du présent exposé des motifs afin de diffuser ces dix thèmes essentiels auprès des responsables politiques et de les inscrire dans le cadre des futurs travaux de l’Observatoire de l’enseignement de l’histoire en Europe.
83. Premièrement, il semble important d’assouplir les programmes d’enseignement de l’histoire afin que les enseignants disposent de plus de temps et d’autonomie et passent progressivement d’un enseignement fondé sur les connaissances à un enseignement fondé sur les compétences et centré sur l’apprenant. Selon moi, il est crucial d’enseigner l’histoire complexe de la démocratie et de développer les pratiques, les attitudes et les valeurs de la démocratie dans la classe pour aider les jeunes à les comprendre et à les valoriser dans leur vie future, lorsqu’ils seront des citoyens actifs. Deuxièmement, je pense que nous devrions ouvrir une perspective européenne dans l’enseignement de l’histoire dans nos pays respectifs, en identifiant des thèmes historiques communs qui pourraient être étudiés sous des angles similaires ou différents.
84. La multiperspectivité est essentielle pour comprendre les différents points de vue qui émanent souvent d’un contexte historique particulier. Lorsqu’ils sont analysés en classe et pris dans leur ensemble, ils créent une compréhension nuancée et plus profonde de la dimension historique d’un événement. Dans nos sociétés de plus en plus diverses, il est indispensable de connaître la diversité et les interactions culturelles, religieuses et ethniques afin d’éviter un programme d’études monoculturel. Il est nécessaire de mettre en place des pédagogies interactives qui reconnaissent les différences culturelles et les identités multiples des apprenants d’une classe, afin de créer un environnement sûr et stimulant où les questions sensibles et controversées peuvent également être abordées. Ces processus d’apprentissage représentent une première étape vers un dialogue constructif, le respect et une meilleure compréhension mutuelle dans le but de dépasser les préjugés et les a priori au sein d’une société.
85. Les enseignants jouent un rôle majeur dans ces processus. Ils doivent être soutenus et reconnus au sein des systèmes éducatifs nationaux. Ils doivent pouvoir bénéficier de possibilités de développement professionnel et d’échanges (y compris des échanges internationaux), ils doivent avoir du temps libre et la possibilité d’accéder aux différentes ressources et orientations pédagogiques, notamment les principes, les lignes directrices et les méthodologies du Conseil de l’Europe, qui sont disponibles dans les langues locales. Dans ce contexte, il est indispensable d’intégrer les compétences pour une culture de la démocratie dans la formation et le développement professionnel des enseignants.
86. Afin de soutenir ces nouveaux processus d’apprentissage interactifs, il convient de renforcer les liens entre l’éducation formelle et non formelle. Il peut s’agir, par exemple, d’encourager les sorties scolaires grâce à des partenariats avec les institutions culturelles (musées, archives, cinémathèque, etc.) et d’inviter des historiens, des auteurs, des acteurs de différents domaines liés à l’histoire, à l’art, à la littérature, ou encore des associations ou des ONG de défense des droits humains, à partager leurs expériences avec la classe. Les lauréats du prix du Musée du Conseil de l’Europe 
			(37) 
			<a href='https://pace.coe.int/fr/pages/museumprize'>Prix du Musée
(coe.int).</a> et de l’ensemble des Prix Européens du Musée de l’Année 
			(38) 
			<a href='https://www.europeanforum.museum/en/'>www.europeanforum.museum.</a> illustrent la capacité croissante des musées à créer des programmes de proximité sur mesure avec les établissements scolaires, à élargir la connaissance et la compréhension des questions sociétales passées et contemporaines et à explorer avec les jeunes l’idée de la citoyenneté démocratique.
87. Dans le contexte actuel du virage numérique induit par la pandémie de covid-19, l’utilisation des technologies de l’information et de la communication pourrait permettre de consolider l’apprentissage coopératif, notamment la collaboration internationale avec des jeunes d’autres établissements scolaires, pays et cultures, grâce à des outils tels que le cloud computing, la visioconférence, les plateformes interactives en ligne, les wikis et les blogs.
88. En conclusion, je recommande une coopération plus étroite avec l’Union européenne en vue de concevoir des programmes adéquats pour le financement de projets pilotes innovants promouvant un enseignement de l’histoire de qualité, fondé sur les principes et les lignes directrices établis par le Conseil de l’Europe. De plus, il convient de mettre les présentes orientations et les résultats des projets pilotes à la disposition des professionnels dans les langues locales. À titre incitatif, je propose également de créer un prix honorifique ou un label spécial qui pourrait être délivré aux États membres s’efforçant de mettre en œuvre de telles pratiques innovantes en matière d’enseignement de l’histoire.