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Rapport | Doc. 15381 | 28 septembre 2021

La situation en Afghanistan: conséquences pour l'Europe et la région

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : Sir Tony LLOYD, Royaume-Uni, SOC

Origine - Renvoi en commission: décision du Bureau, renvoi 4611 du 27 septembre 2021. 2021 - Quatrième partie de session

Résumé

Le retrait militaire des États-Unis d'Amérique et de leurs alliés et partenaires de l'OTAN, ainsi que le retour au pouvoir des talibans, ont ouvert une phase d'incertitudes politiques et de risques accrus pour la paix, la stabilité et la sécurité, en Afghanistan, dans la région et au-delà.

Les États membres du Conseil de l'Europe devraient s'efforcer d'obtenir une réponse cohérente, coordonnée et concertée de la part de la communauté internationale, seul moyen de relever les défis majeurs, immédiats et futurs, qui se posent.

L’Organisation des Nations Unies a un rôle central à jouer dans la coordination des efforts visant à faire face à la crise humanitaire déchirante en Afghanistan, qui affecte la vie et les moyens de subsistance de millions de personnes. En outre, la création d'un mandat spécifique, solide et indépendant des Nations Unies pour surveiller les violations des droits humains en Afghanistan permettrait de porter des informations fiables à l'attention de la communauté internationale et d’accroître l’obligation de rendre des comptes.

Même si le dialogue avec les talibans est nécessaire, il devrait se limiter à un engagement prudent, pragmatique et opérationnel; tout éventuel renforcement de cet engagement devrait être subordonné à un certain nombre d'exigences.

Le dialogue et le partenariat avec les pays de la région devraient être renforcés compte tenu de leur rôle de premier plan dans la lutte contre les défis transnationaux tels que les migrations, le terrorisme, le trafic de drogue, la traite et le trafic d'êtres humains.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 28 septembre
2021.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire exprime sa plus profonde préoccupation face à la situation en Afghanistan à la suite du retrait militaire des États-Unis d’Amérique et de leurs alliés et partenaires de l’OTAN ainsi que du retour des talibans au pouvoir, ce qui a ouvert une phase d’incertitudes politiques qui voit la violence continuer et n’écarte pas le risque d’une guerre civile. Cet état de fait entraîne des risques accrus pour la paix, la stabilité et la sécurité en Afghanistan, dans la région et au-delà.
2. L’Assemblée est convaincue que la communauté internationale doit s’efforcer de répondre de manière cohérente, coordonnée et concertée, afin de relever les défis majeurs – immédiats et futurs – qui sont posés par cette situation. Elle estime que les États membres du Conseil de l’Europe ne devraient ménager aucun effort pour atteindre cet objectif.
3. Le premier impératif devrait être de s’attaquer à la crise humanitaire déchirante, qui affecte la vie et les moyens de subsistance de millions de personnes en raison de la combinaison d’un conflit militaire prolongé, de sécheresses répétées et de la pandémie de covid-19. Dans ce contexte, l’Assemblée se félicite de la conférence internationale organisée par les Nations Unies à Genève (13-14 septembre 2021) au cours de laquelle des donateurs ont promis plus d’un milliard $US d’aide humanitaire à l’Afghanistan.
4. L’Assemblée regrette que, malgré les appels unanimes et répétés de la communauté internationale et les déclarations publiques initiales des talibans, le gouvernement intérimaire ne soit ni inclusif ni représentatif. L’Assemblée estime que seul un gouvernement qui reflète la diversité politique, religieuse et ethnique de l’Afghanistan, qui inclut des femmes et qui s’engage dans un véritable processus de réconciliation peut conduire à un règlement politique durable et pourrait aspirer à la légitimité et à la reconnaissance internationale.
5. De même, extrêmement alarmée par les informations crédibles faisant état de graves violations des droits humains et du droit humanitaire commises par les talibans, l’Assemblée rappelle que, en tant qu’autorités de facto, ils ont des obligations et qu’ils sont redevables à cet égard. À cette fin, l’Assemblée considère que la mise en place d’un mandat spécifique, solide et indépendant de l’Organisation des Nations Unies pour surveiller les violations des droits humains en Afghanistan est le meilleur moyen de recueillir des informations objectives et systématiques sur le terrain et de les porter à l’attention de la communauté internationale.
6. Réitérant avec la plus grande fermeté sa condamnation du terrorisme en toutes circonstances, l’Assemblée se déclare profondément préoccupée par le nombre élevé de talibans soumis au système de sanctions établi par la résolution 1267 (1999) du Conseil de sécurité des Nations qui sont membres du gouvernement intérimaire.
7. Elle rappelle que la lutte contre le terrorisme est l’un des défis transnationaux considérables découlant de la situation actuelle qui pourrait potentiellement avoir des répercussions désastreuses et déstabilisatrices, tout comme la criminalité organisée, le trafic de drogue, le trafic de migrants et la traite des êtres humains. Dans ce contexte, l’Assemblée souligne que, pour relever ces défis, il faudra renforcer le dialogue, le partenariat et la solidarité avec les pays de la région.
8. À la lumière de ce qui précède, l’Assemblée appelle les États membres du Conseil de l’Europe:
8.1. à œuvrer pour parvenir à une réponse cohérente, coordonnée et concertée en ce qui concerne l'Afghanistan;
8.2. à intensifier leurs efforts pour fournir une assistance humanitaire à l’Afghanistan;
8.3. à poursuivre l’évacuation des ressortissants étrangers et des Afghans éligibles et à faire des efforts supplémentaires pour garantir la coordination et l’efficacité des opérations d’évacuation;
8.4. à soutenir le rôle central des Nations Unies et de ses institutions spécialisées dans la coordination des efforts internationaux concernant l'Afghanistan, à commencer par l'aide humanitaire;
8.5. à soutenir la mise en place d’un mandat du Conseil des droits de l’homme de l’ONU spécifique, solide et indépendant pour contrôler le respect des droits humains en Afghanistan;
8.6. à établir un dialogue prudent, pragmatique et opérationnel avec les talibans afin d’apporter des réponses aux préoccupations soulevées dans la présente résolution;
8.7. à subordonner tout renforcement de leur engagement opérationnel avec les talibans:
8.7.1. au respect des droits humains et du droit humanitaire;
8.7.2. au rejet du terrorisme et de l’extrémisme violent, dont la réalité sera attestée par des mesures décisives;
8.7.3. à la constitution d’un gouvernement inclusif et représentatif et à l’ouverture d’un processus de réconciliation;
8.7.4. à l’ouverture sans restriction de l’accès au territoire afghan aux Nations Unies et aux organisations d’aide humanitaire;
8.7.5. à la facilitation pratique des opérations d’évacuation organisées par les pays étrangers;
8.8. à s’assurer que toute radiation de membres des talibans de la liste des sanctions des Nations Unies établie en application de la résolution 1267 (1999) du Conseil de sécurité des Nations Unies soit subordonnée à un changement effectif de leur situation personnelle, qui a conduit, au départ, à leur inscription sur cette liste;
8.9. à soutenir l’établissement de mécanismes visant à assurer que le gel des actifs financiers afghans n’aggrave pas la situation socio-économique de la population;
8.10. à trouver des moyens permettant de fournir une aide au développement à l'Afghanistan dans le but d’éviter l’effondrement de l’économie, ce qui aggraverait plus encore la crise humanitaire et agirait comme un facteur incitant à la migration;
8.11. à assumer leurs responsabilités morales et juridiques en matière de protection des réfugiés et, dans ce contexte:
8.11.1. à veiller au respect du principe de non-refoulement;
8.11.2. à offrir davantage de possibilités de réinstallation aux Afghans, en particulier à ceux qui sont les plus à risque et les plus vulnérables;
8.11.3. à introduire des visas humanitaires, des programmes de protection temporaire ou de visas spéciaux, en particulier pour les femmes;
8.11.4. à réévaluer les demandes d'asile pendantes et récentes des Afghans à la lumière des développements récents;
8.11.5. à s'abstenir d'exécuter des retours forcés vers l'Afghanistan;
8.12. à multiplier les efforts diplomatiques aux niveaux mondial et régional pour promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité en Afghanistan et dans la région et pour développer une approche commune et cohérente à l’égard des talibans.
9. De plus, les pays de la région, en particulier les pays voisins, étant en première ligne pour faire face aux conséquences de la prise de pouvoir par les talibans, l’Assemblée appelle les États membres du Conseil de l’Europe à leur apporter un soutien politique et financier pour les aider dans les efforts qu’ils déploient afin:
9.1. de fournir un abri et une protection dans des conditions dignes aux personnes fuyant l’Afghanistan;
9.2. de parer les menaces telles que le terrorisme, l’extrémisme violent, le trafic de drogues, le trafic de migrants et la traite d’êtres humains, et d’autres activités criminelles transnationales.
10. L’Assemblée demande aussi à son Bureau d’examiner l’opportunité de renforcer le dialogue interparlementaire entre l’Assemblée et les pays d’Asie centrale et leurs organisations régionales dans le but de contribuer à un dialogue plus large, à la compréhension mutuelle et à la résilience face à la nécessité de promouvoir la stabilité régionale et d’éviter tout risque de contagion.
11. De plus, l’Assemblée appelle les talibans, en raison de leur position d’autorités de facto en Afghanistan:
11.1. à mettre fin à la violence;
11.2. à engager un large dialogue national visant à constituer un gouvernement représentatif et inclusif, comprenant des femmes, des membres des minorités religieuses et ethniques, ainsi que des représentants du gouvernement précédent;
11.3. à amnistier les Afghans qui ont été membres des forces de sécurité, fonctionnaires et ceux qui ont exercé des responsabilités publiques sous le gouvernement précédent, en s’abstenant et en sanctionnant toute forme de harcèlement ou de persécution à leur encontre;
11.4. à faciliter l’évacuation en toute sécurité des ressortissants étrangers et des Afghans en possession des papiers nécessaires et qui souhaitent partir;
11.5. à garantir le respect des droits humains et du droit humanitaire;
11.6. à respecter les avancées culturelles, sociales et juridiques réalisées ces vingt dernières années dans le domaine des droits humains et des libertés individuelles et à s’abstenir de toute déclaration ou action qui pourrait les remettre en cause, notamment en ce qui concerne:
11.6.1. l’accès des filles à l’éducation;
11.6.2. la liberté de circulation des femmes, leur accès au travail, aux soins et aux sports;
11.6.3. la représentation des femmes et des membres de minorités dans tous les domaines de la vie publique et politique et leur participation active à ces domaines;
11.7. à autoriser pleinement, sans restriction et en toute sécurité, l’accès à l’intégralité du territoire afghan aux Nations Unies, à ses institutions spécialisées et partenaires de mise en œuvre, ainsi qu’à tous les acteurs de l’aide humanitaire, y compris pour les personnes déplacées à l’intérieur du pays;
11.8. à accéder aux demandes d’informations ou de coopération des Nations Unies, de ses institutions spécialisées, organes et mécanismes;
11.9. à respecter l’immunité et l’inviolabilité des missions et du personnel diplomatiques;
11.10. à s’abstenir, et lutter de manière effective contre toute action ou déclaration qui pourrait encourager le terrorisme ou l’extrémisme violent en Afghanistan ou ailleurs, y compris en recrutant, formant, soutenant financièrement ou en donnant refuge aux terroristes;
11.11. à agir résolument pour s’attaquer à la production et au trafic de stupéfiants et pour démanteler les réseaux impliqués dans des activités criminelles intérieures ou transnationales.
12. L’Assemblée appelle les parlements nationaux des États membres du Conseil de l’Europe, des États ayant le statut d’observateur ainsi que les parlements jouissant du statut d’observateur et de partenaires pour la démocratie à contrôler leurs gouvernements et à leur demander des comptes sur la manière dont ils font face à la situation actuelle.
13. Enfin, l'Assemblée considère qu’en raison des implications considérables de la situation actuelle en Afghanistan, elle devrait continuer à se saisir de la question.

B. Exposé des motifs par Sir Tony Lloyd, rapporteur

(open)

1. Contexte procédural

1. Le présent rapport a été établi sur la base d'une demande de débat d'urgence présentée par les cinq groupes politiques en vertu de l'article 51 du Règlement.
2. Faisant suite à la décision de l'Assemblée parlementaire d'inscrire le débat à son ordre du jour et de transmettre la demande à la commission des questions politiques et de la démocratie, j’ai été désigné rapporteur le 27 septembre 2021.
3. Ce jour-là, la commission a organisé une audition sur «La situation en Afghanistan: conséquences pour l'Europe et la région», avec la participation d'orateurs de haut niveau:
  • Mette Knudsen, Représentante spéciale adjointe du Secrétaire-Général de l’ONU pour l’Afghanistan, Mission d'assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA),
  • Ambassadeur Zamir Kabulov, Envoyé présidentiel en Afghanistan, Fédération de Russie,
  • Laurel Miller, Directrice du programme Asie d'International Crisis Group
4. Grâce à la contribution de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, Alexander Mundt, Conseiller politique principal au Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), a également participé à l'audition.
5. L'expertise inestimable des orateurs a contribué à fournir des informations pour le rapport et à formuler certaines des considérations qu’il contient, je les en remercie.
6. Compte tenu de son caractère urgent, le rapport ne peut être aussi exhaustif et détaillé que l'exigerait la gravité et la complexité de la situation. D’autre part, il s'agit d'un rapport-cadre qui vise à aborder en termes généraux les principales questions qui devraient être au cœur des préoccupations des États membres du Conseil de l'Europe. Lors de l'examen des éventuelles suites à donner, le Bureau de l'Assemblée pourrait souhaiter envisager des travaux supplémentaires à mener selon une procédure ordinaire, ce qui permettrait d'élaborer une analyse et des recommandations plus approfondies.

2. Introduction

7. Bien que l’Afghanistan soit géographiquement éloigné de l’Europe, la situation dans ce pays enclavé d’Asie centrale a, et aura, des répercussions sur notre continent et au-delà.
8. À la fin du mois d’août 2021, les États-Unis et une coalition d’alliés – pour la plupart membres et partenaires de l’OTAN – achevaient le retrait de leurs troupes d’Afghanistan. Début septembre, les talibans annonçaient la formation d’un gouvernement intérimaire, proclamaient «l’Émirat islamique d’Afghanistan» et étendaient leur contrôle à l’ensemble du pays 
			(2) 
			Une
chronologie des événements est proposée à l'annexe 1..
9. Depuis la confirmation par le Président Joe Biden, en avril 2021, de la date butoir pour la fin du retrait des forces américaines, l’avancée des talibans semblait impossible à enrayer, les villes et villages tombant les uns après les autres entre leurs mains, et ce parfois sans aucun combat 
			(3) 
			«<a href='https://www.aljazeera.com/news/2021/8/15/afghanistan-mapping-the-advance-of-the-taliban-interactive'>Afghanistan:
Mapping the advance of the Taliban</a>», Infographic News, Al Jazeera,
15 août 2021.. Dès la prise de Kaboul par les talibans, le 15 août, le monde a assisté à l’évacuation précipitée des étrangers ainsi que des citoyens afghans qui avaient travaillé pour des pays tiers. Les images de la foule massée à l’aéroport de Kaboul et de personnes s’agrippant aux avions au moment de leur décollage témoignent de la peur et du désespoir de la population. Ajoutant au climat général de confusion et de chaos, l’État islamique-province du Khorassan (EIPK) a commis, le 26 août, un attentat-suicide visant délibérément les civils et le personnel qui participait aux opérations d’évacuation, faisant plus de 200 victimes, dont 13 marines américains 
			(4) 
			«<a href='https://www.aljazeera.com/news/2021/8/26/explosion-at-kabul-airport-appears-to-be-suicide-attack-official'>Kabul
bombings: Scores killed in ISIL attacks at Kabul airport</a>», ISIL/ISIS News, Al Jazeera,
26 août 2021..
10. Le départ des forces américaines et de leurs alliés d’Afghanistan, la manière dont le retrait a eu lieu et la prise de pouvoir par les talibans sont autant d’événements de la plus haute importance sur le plan politique. Ils font actuellement l’objet d’un examen minutieux dans plusieurs pays qui faisaient partie de la présence militaire étrangère sur le territoire afghan. Les parlements interpellent leurs gouvernements à divers titres: leur incapacité à prévoir la rapidité de l’avancée des talibans, l’efficacité réelle des conseils, formations et renforcement des capacités fournis aux structures militaires et civiles afghanes au cours des 20 dernières années, la gestion des opérations d’évacuation et le niveau de la coordination multilatérale. Les anciens combattants qui ont servi en Afghanistan et les familles de ceux qui y ont laissé la vie veulent savoir pourquoi les alliés afghans ont été livrés à eux-mêmes et pourquoi le sacrifice de leurs proches a été vain. Beaucoup soulignent l'échec des tentatives visant à exporter la démocratie et à s’engager dans la construction de l'État. Dans certains pays, les critiques formulées ont entraîné la démission de ministres et conduit à des remaniements ministériels 
			(5) 
			«<a href='https://www.theguardian.com/world/2021/sep/17/second-dutch-minister-resigns-over-afghan-evacuation-crisis'>Second
Dutch minister resigns over Afghan evacuation crisis</a>», Pays-Bas, The Guardian,
17 septembre 2021; «<a href='https://edition.cnn.com/2021/09/15/uk/johnson-government-reshuffle-intl-gbr/index.html'>Dominic
Raab removed as UK foreign secretary in Johnson cabinet reshuffle</a>», CNN, 15 septembre
2021..
11. Il est assurément crucial d’analyser ce qui s’est passé afin de déterminer les responsabilités et de tirer des leçons pour l’avenir, mais il est également important de prendre la mesure des implications à moyen et long terme de ces événements. La prise de pouvoir par les talibans a déjà des conséquences désastreuses pour les Afghans, qui font face à une situation économique et humanitaire catastrophique et voient leurs droits – notamment humains – restreints et violés.
12. Par ailleurs, le retrait américain, et les erreurs d’appréciation et l’échec de l’évaluation des risques à son sujet, portent un coup dur à l’image et à la crédibilité des États-Unis. D’un point de vue géopolitique, il s’agit d’un changement de pouvoir capital au niveau mondial, laissant un vide dans une région stratégique extrêmement précieuse, que d’autres ne manqueront pas de combler. La prise de pouvoir par les talibans peut également avoir des conséquences importantes en ce qui concerne les mouvements migratoires, la production et le trafic de stupéfiants, ainsi que la contrebande d’armes et le blanchiment d’argent, et peut donner lieu à une recrudescence du terrorisme et de l’extrémisme violent.
13. S’ouvre à présent une phase d’incertitude, dans laquelle les gouvernements sont confrontés à un dilemme moral: faut-il ou non engager le dialogue avec les talibans et de quelle manière, sachant que ces derniers sont la voie incontournable pour toucher la population et s’attaquer à un large éventail de problèmes qui frappent le pays, dont certains peuvent avoir des répercussions au-delà de ses frontières. La question de savoir si la communauté internationale sera capable de faire front commun dans son approche des talibans reste également posée.

3. Le retour au pouvoir des talibans

14. Même si la victoire a pu sembler fulgurante, le retour au pouvoir des talibans est le fruit d’un processus complexe qui s’est construit depuis 2001, date de leur renversement en raison de leur refus de livrer Oussama Ben Laden aux États-Unis.
15. Cette année-là, l’Accord de Bonn 
			(6) 
			<a href='http://www.afghanembassy-brussels.org/bonn-agreement.html'>Bonn
Agreement – Embassy and Mission of the Islamic Republic of Afghanistan
to the Kingdom of Belgium, the Grand Duchy of Luxembourg, the EU
and the NATO (afghanembassy-brussels.org)</a> a réuni, sous les auspices de l’ONU, 25 dirigeants afghans de premier plan qui avaient combattu les talibans. Il a jeté les bases du travail d’édification de l’État afghan, en fournissant un cadre pour la Constitution établie ultérieurement en 2004 et les élections présidentielles et législatives qui ont suivi 
			(7) 
			«<a href='https://www.theguardian.com/world/2001/dec/05/qanda.markoliver'>The
new Afghan administration</a>», The Guardian,
5 décembre 2001..
16. En mettant en avant la nécessité de disposer d’institutions gouvernementales fortes et centralisées, l’Accord n’a pas tenu compte des spécificités culturelles, religieuses, ethniques et politiques de l’Afghanistan. Avec le recul, beaucoup d’observateurs s’accordent à dire que la feuille de route sur l’édification de l’État figurant dans l’Accord de Bonn n’était pas un modèle approprié pour l’Afghanistan en raison de la fragmentation politique et ethnique du pays 
			(8) 
			«<a href='https://thediplomat.com/2021/08/centralization-is-at-the-core-of-afghanistans-problems/'>Centralization
Is at the Core of Afghanistan’s Problems</a>», The Diplomat,
24 août 2021.. Cette erreur a ensuite contribué à aggraver plutôt qu’à résoudre un ensemble de problèmes, notamment la corruption, l’incompétence et la mauvaise gouvernance 
			(9) 
			<a href='https://www.cfr.org/report/roadmap-afghanistan'>A Roadmap
for Afghanistan</a>, Council on Foreign Relations (cfr.org)..
17. Après leur éviction du pouvoir, les talibans ont mené une guérilla contre les troupes étrangères et afghanes depuis leurs bastions situés dans les zones montagneuses et rurales, recourant largement aux assassinats aveugles ou ciblés de civils et à d’autres moyens d’intimidation de la population.
18. Mettant à profit les faiblesses et les rivalités internes de l’appareil institutionnel afghan, tout particulièrement au niveau local, les talibans sont parvenus à réaffirmer leur influence dans les zones rurales du sud et de l’est de l’Afghanistan. En 2007, de vastes étendues du pays étaient passées sous leur contrôle.
19. Après l’assassinat d’Oussama Ben Laden dans sa cachette au Pakistan en 2011, l’OTAN a décidé de changer la nature de sa mission et de réduire sa présence sur le terrain 
			(10) 
			<a href='https://www.nato.int/cps/en/natohq/official_texts_87593.htm?selectedLocale=fr'>Déclaration
du Sommet de Chicago, 20 mai 2012</a>.. Elle a mis fin aux opérations de combat dans le pays le 28 décembre 2014 
			(11) 
			<a href='https://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_69366.htm?selectedLocale=fr'>La
Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS)</a>. et a officiellement transféré l’entière responsabilité de la sécurité au gouvernement afghan. Dans le même temps, la mission Resolute Support (RSM) a été lancée dans le but d’aider des forces de sécurité et les institutions afghanes à développer les capacités devant leur permettre de défendre le pays et de protéger la population sur le long terme 
			(12) 
			<a href='https://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_113694.htm?selectedLocale=fr'>OTAN
– Topic: Mission Resolute Support en Afghanistan (2015-2021)</a>. Voir la liste des États membres du Conseil de l'Europe
qui ont fourni des troupes à la mission à l'annexe 2..
20. À partir de ce moment-là, il était clair pour toutes les parties concernées qu’on ne saurait mettre fin au conflit uniquement par des moyens militaires. Les talibans ont ouvert un bureau politique à Doha (Qatar) et établi des contacts diplomatiques avec les autorités chinoises, iraniennes, russes, tadjikes et turques 
			(13) 
			«<a href='https://thediplomat.com/2017/01/the-rise-of-taliban-diplomacy/'>The
Rise of Taliban Diplomacy</a>», The Diplomat,
3 janvier 2017.. Ils ont également mis en place une équipe chargée des affaires publiques, s’appuyant sur les réseaux sociaux pour raviver le moral des troupes et rallier des soutiens, ce qui est en contradiction totale avec leur décision antérieure d’interdire internet 
			(14) 
			<a href='https://www.technologyreview.com/2021/08/23/1032459/afghanistan-taliban-war-technological-progress/'>How—and
why—the Taliban won Afghanistan's high-tech war</a>, MIT Technology Review,
23 August 2021; “<a href='https://www.nytimes.com/2021/08/20/technology/afghanistan-taliban-social-media.html'>How
the Taliban Turned Social Media Into a Tool for Control</a>», The New York Times (nytimes.com)..
21. Le tournant a eu lieu en 2018, lorsque l’Envoyé spécial des États-Unis pour la réconciliation en Afghanistan nouvellement nommé, l’ambassadeur Zalmay Khalilzad, a entamé des pourparlers directs avec les talibans à Doha 
			(15) 
			«<a href='https://www.aljazeera.com/news/2021/8/23/us-envoy-zalmay-khalilzad-and-the-talibans-rise'>US
envoy Zalmay Khalilzad and the Taliban’s rise</a>», Taliban News, Al Jazeera,
23 août 2021.. Ces efforts ont débouché sur la signature, le 29 février 2020, de l’Accord pour l’instauration de la paix en Afghanistan entre les États-Unis et les talibans, considéré par certains critiques comme une étape clé supplémentaire vers le retour au pouvoir des talibans 
			(16) 
			<a href='https://undocs.org/fr/S/2020/184'>S/2020/184 (undocs.org)</a>..
22. Aux termes de cet Accord, les États-Unis s’engagent à retirer leurs troupes d’Afghanistan dans un délai de 14 mois, tandis que les talibans déclarent qu’ils «ne permettr[ont] pas à [leurs] membres, ni à d’autres individus ou groupes, y compris Al-Qaida, de se servir du sol afghan pour menacer la sécurité des États-Unis et de leurs alliés» et qu’ils entameront des négociations avec les autres parties afghanes afin de parvenir à un règlement politique.
23. Alors que ce processus diplomatique était en cours au Qatar, les talibans ont continué leur progression sur le terrain, tant sur le plan militaire que politique. Ils ont même intensifié leurs attaques contre les forces de sécurité afghanes, 2020 apparaissant comme l’année «la plus violente jamais enregistrée par l’ONU en Afghanistan, plus de 25 000 atteintes à la sécurité ayant été signalées, soit une augmentation de 10 % par rapport à 2019. Les niveaux de violence ont augmenté à partir du 12 septembre 2020 et se sont maintenus tandis que les pourparlers intra-afghans débutaient à Doha» 
			(17) 
			Douzième rapport de
l’Équipe d’appui analytique et de surveillance des sanctions, présenté
en application de la résolution 2557 (2020) du Conseil de sécurité
concernant les Talibans et les personnes et entités qui leur sont
associées dans la menace qu’ils constituent pour la paix, la stabilité
et la sécurité de l’Afghanistan, <a href='https://www.undocs.org/fr/S/2021/486'>S/2021/486</a>, 1e juin 2021, paragraphe 25,
page 10.. Dans le même temps, le retrait des troupes américaines et alliées se poursuivait conformément au calendrier présenté dans l’Accord.
24. Le succès des talibans s’est encore accéléré après l’annonce, par le Président Joe Biden, de la date du retrait définitif de toutes les troupes. La rapidité de la progression des talibans a été très mal évaluée. En revanche, la capacité des forces afghanes à se défendre contre les attaques a été surestimée, en l’absence en particulier du soutien des alliés 
			(18) 
			«<a href='https://www.csis.org/analysis/reasons-collapse-afghan-forces'>The
Reasons for the Collapse of Afghan Forces</a>», Center for Strategic and International Studies (csis.org).. Faisant preuve d’une grave défaillance des services de renseignement, la Maison-Blanche prévoyait, le 12 août 2021 encore, que Kaboul pourrait tomber en 90 jours 
			(19) 
			«<a href='https://www.cnbctv18.com/photos/world/taliban-wrecks-havoc-in-afghanistan-humanitarian-crisis-likely-as-kabul-could-be-taken-over-in-90-days-10346241.htm'>Taliban
wrecks havoc in Afghanistan; humanitarian crisis likely as Kabul
could be taken over in 90 days</a>»; CNBC TV (cnbctv18.com), 12 août 021..
25. Après leur entrée dans la capitale, les talibans ont tenu une conférence de presse le 17 août, annonçant une amnistie pour tous ceux ayant travaillé avec les forces militaires étrangères, ainsi que leur volonté de maintenir l’ordre et la sécurité et d’empêcher les pillages et les violences, notamment contre les ambassades étrangères et les organisations internationales. Ils ont également assuré vouloir respecter les droits des femmes dans le cadre de la charia et former un gouvernement inclusif 
			(20) 
			«<a href='https://www.aljazeera.com/news/2021/8/17/transcript-of-talibans-first-press-conference-in-kabul'>Transcript
of Taliban’s first news conference in Kabul</a>», Taliban News, Al Jazeera,
17 août 2021..
26. Malgré ces assurances données publiquement, les appels internationaux lancés, y compris par le Conseil de sécurité des Nations Unies demandant aux talibans de mettre en place un gouvernement inclusif et représentatif, avec une participation réelle des femmes et des minorités, sont restés lettre morte.
27. Le gouvernement intérimaire dont la formation a été annoncée début septembre est dirigé par le mollah Mohammad Hassan Akhund, l’un des fondateurs du mouvement. Sur les 33 membres qui le composent, beaucoup occupaient déjà des fonctions importantes au sein des talibans avant 2001. Aucune femme et aucun représentant du précédent gouvernement afghan n’y figure. À l’exception du Vice-Premier ministre Mawlawi Abdul Salam Hanafi, qui est d’origine ouzbèke, et de deux Tadjiks de souche, tous les membres du gouvernement appartiennent à l’ethnie des Pachtounes.
28. Comme cela a été souligné, «la caractéristique dominante de ce gouvernement pourrait très bien être l’inclusion de diverses factions au sein des talibans 
			(21) 
			«<a href='https://thediplomat.com/2021/09/taliban-announce-acting-government-lineup/'>Taliban
Announce Acting Government Lineup</a>», The Diplomat,
8 septembre 2021.». En effet, bien que les talibans soient souvent présentés comme une entité unifiée, ils sont en proie à des querelles et dissensions internes et des allégeances claniques 
			(22) 
			«<a href='https://www.usip.org/publications/2020/03/taliban-fragmentation-fact-fiction-and-future'>Taliban
Fragmentation: Fact, Fiction, and Future</a>», United States Institute of Peace (usip.org)..
29. Au moment de la rédaction du présent rapport, les talibans étendent de facto leur pouvoir à l’ensemble du territoire afghan. Cette situation place les membres de la communauté internationale devant un dilemme: si aucun pays n’a pour l’heure fait part de son intention de reconnaître officiellement les talibans comme le gouvernement légitime de l’Afghanistan, il pourrait être utile, voire nécessaire, de nouer le dialogue avec eux afin de relever différents défis tels que la situation humanitaire et des droits humains, la lutte contre le terrorisme, la contrebande d’armes et le trafic de stupéfiants.
30. Il reste à voir si la communauté internationale sera à même de faire front commun ou si des différences de niveau d’engagement interviendront et surtout si celui-ci sera soumis à des conditions, comme l’ont demandé de hauts représentants des Nations Unies 
			(23) 
			<a href='https://unama.unmissions.org/briefing-special-representative-deborah-lyons-security-council-5'>Briefing
by Special Representative Deborah Lyons to the Security Council</a>, UNAMA (unmissions.org). et de l’Union européenne 
			(24) 
			 «<a href='https://www.theguardian.com/world/2021/sep/14/eu-has-no-choice-but-to-engage-with-taliban-says-foreign-policy-chief'>EU
has no choice but to engage with Taliban, says foreign policy chief</a>», Afghanistan, The Guardian, 14 septembre 2021..

4. Évacuation

31. L’évacuation des civils d’Afghanistan a constitué le premier exemple d’engagement pragmatique avec les talibans. Durant la période comprise entre le 14 et le 30 août 2021, les États-Unis se sont appuyés sur les talibans pour maintenir des points de contrôle de sécurité aux abords de l’aéroport de Kaboul et filtrer les personnes afin de laisser passer celles qui disposaient des documents appropriés permettant leur évacuation. Certains rapports laissent entendre qu’à la suite de l’attentat suicide perpétré le 26 août à l’aéroport de Kaboul, les États-Unis auraient partagé des informations avec les talibans afin de faire échec à leur ennemi commun, l’État islamique‑Province du Khorassan (EIPK), qui a revendiqué l’attaque 
			(25) 
			«<a href='https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20210831-afghanistan-que-p%C3%A8se-vraiment-le-groupe-%C3%A9tat-islamique-face-aux-taliban'>Afghanistan:
que pèse vraiment le groupe État islamique face aux Taliban? </a>», France 24, 31
août 2021..
32. Malgré les fortes pressions pesant sur son organisation, l’évacuation a été l’une des plus grandes opérations de transport aérien de l’histoire, plus de 100 000 personnes ayant été évacuées par les airs depuis le 14 août 2021.
33. Les États du Golfe ont joué un rôle décisif, en servant de points d’escale aux vols qui assuraient l’évacuation des citoyens des pays occidentaux ainsi que des interprètes, journalistes et autres afghans. Plus de 40 000 personnes ont ainsi été transférées via le Qatar et plus de 35 000 via les Émirats arabes unis. La principale base aérienne chargée de gérer la première vague d’évacués afghans était celle d’Al Udeid, située en périphérie de Doha, où comme l’exige la loi américaine, un contrôle était entrepris afin de vérifier que les personnes ne figuraient pas sur la liste de surveillance des terroristes du National Counterterrorism Center (Centre national de lutte contre le terrorisme).
34. La base aérienne de Ramstein, en Allemagne, la plus grande base de l’US Air Force en Europe, a également servi de plaque tournante pour la prise en charge des évacués afghans qui avaient aidé les États-Unis et leurs alliés pendant la guerre en Afghanistan. Près d’un cinquième de toutes les personnes évacuées de Kaboul ont transité par Ramstein, sachant que la base peut en accueillir jusqu’à 12 000. Ces dernières ont subi des examens médicaux et des analyses biométriques. Au 31 août, 11 700 personnes au total avaient été acheminées par avion de Ramstein vers les États-Unis ou un autre lieu sûr 
			(26) 
			<a href='https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89vacuation_d%27Afghanistan_en_2021'>Évacuation
d'Afghanistan en 2021</a>.. Beaucoup de pays ont annoncé qu’ils accueilleraient temporairement les Afghans évacués à la demande des États-Unis.
35. Le 6 septembre 2021, après le départ des forces armées, les États-Unis ont évacué d’Afghanistan quatre ressortissants américains par voie terrestre, marquant ainsi la première opération de ce type facilitée par le Département d’État américain depuis le retrait des troupes 
			(27) 
			«<a href='https://edition.cnn.com/2021/09/06/politics/four-us-citizens-afghanistan-departure/index.html'>US
helped 4 US citizens leave Afghanistan overland, official says</a>», CNN, 7 septembre
2021.. Au moment de la rédaction du présent rapport, plusieurs vols affrétés par Qatar Airways continuaient à évacuer des civils 
			(28) 
			«<a href='https://www.lemonde.fr/international/article/2021/09/10/afghanistan-49-francais-et-leurs-familles-a-bord-du-deuxieme-vol-d-evacuation-vers-doha_6094214_3210.html'>Afghanistan:
à bord d’un vol d’évacuation depuis Kaboul, 49 ressortissants français
et leurs familles en route pour le Qatar</a>», Le Monde, 10
septembre 2021; «<a href='https://www.bbc.com/news/world-asia-58497904'>Afghanistan:
First foreigners fly out of Kabul since US pull-out</a>», BBC, 9 septembre
2021..
36. Comme le demande instamment la communauté internationale 
			(29) 
			<a href='https://eeas.europa.eu/delegations/afghanistan/104260/node/104260_fr'>Afghanistan:
déclaration conjointe des partenaires internationaux sur les garanties
concernant les voyages d'évacuation-Service européen pour l’action
extérieure (europa.eu), 29 août 2021. </a>, il est extrêmement important que les talibans continuent d’assurer le passage en toute sécurité de l’ensemble des citoyens étrangers et ressortissants afghans disposant d’une autorisation de voyage délivrée par un État étranger pour quitter l’Afghanistan, tel qu’ils s’y sont engagés dans leurs déclarations publiques et lors de contacts bilatéraux 
			(30) 
			<a href='https://eeas.europa.eu/delegations/afghanistan/104260/node/104260_fr'>Afghanistan:
déclaration conjointe des partenaires internationaux sur les garanties
concernant les voyages d'évacuation</a>..
37. Dans le même temps, les États membres du Conseil de l’Europe devraient veiller à la mise en place de dispositifs appropriés permettant l’évacuation d’Afghans vers leur territoire, accompagnés de critères d’éligibilité clairs et de la fourniture d’informations accessibles.
38. Afin de faciliter le rapatriement des ressortissants de l’Union Européenne encore présents sur le territoire afghan et, dans la mesure du possible, l’évacuation des Afghans qui ont travaillé avec les États membres de l’Union européenne, les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne envisagent de maintenir une présence de l’Union européenne à Kaboul. Cette perspective parait réaliste à la suite des discussions informelles menées avec les talibans 
			(31) 
			<a href='https://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-homepage_en/103728/Informal meeting of Foreign Affairs Ministers (Gymnich): Remarks by High Representative Josep Borrell at the press conference'>Informal
meeting of Foreign Affairs Ministers (Gymnich): Remarks by High
Representative Josep Borrell at the press conference</a>, European External Action Service (europa.eu), 3 septembre 2021..

5. La situation humanitaire

39. Le 13 septembre 2021, le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, a convoqué une réunion ministérielle de haut niveau sur la situation humanitaire en Afghanistan, qualifiant la situation actuellement vécue par les populations afghanes de «leur heure la plus périlleuse» 
			(32) 
			 «<a href='https://news.un.org/fr/story/2021/09/1103602'>Les Afghans
sont confrontés à leurs moments les plus périlleux, avertit le chef
de l'ONU</a>» UN News, 13 septembre 2021.. Le retour au pouvoir des talibans vient s’ajouter à la situation humanitaire déjà catastrophique que connaît la population, marquée par la conjonction de trois facteurs: le conflit militaire prolongé, des sécheresses répétées et la pandémie de covid-19.
40. Les années de combats ont provoqué le déplacement de près de 3 millions de personnes au sein de l’Afghanistan, auxquelles il faut ajouter près de 600 000 personnes depuis le début de l’année 2021 
			(33) 
			<a href='https://reliefweb.int/disaster/dr-2021-000022-afg'>«Afghanistan:
Drought», février 2021</a>, ReliefWeb.. Selon les estimations, à ce jour, sur une population de 39 millions de personnes, 14 millions sont exposées à une insécurité alimentaire aiguë, dont 2 millions d’enfants menacés de malnutrition 
			(34) 
			<a href='https://reliefweb.int/report/afghanistan/asia-and-pacific-weekly-regional-humanitarian-snapshot-24-30-august-2021'>«Asia
and the Pacific: Weekly Regional Humanitarian Snapshot» (24-30 August
2021) – Afghanistan, ReliefWeb, 31 août 2021</a>..
41. L’économie est au bord de l’effondrement. Les prix des denrées de base et du carburant ne cessent d’augmenter; les pénuries alimentaires sont légion et les services et produits essentiels font défaut. Après la prise du pouvoir par les talibans, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ont suspendu leurs versements de financements et d’aide en faveur de l’Afghanistan et la monnaie locale est à un niveau historiquement bas. La plupart des actifs de la banque centrale afghane sont détenus en dehors de l’Afghanistan, hors de portée des talibans 
			(35) 
			<a href='https://www.bbc.com/news/business-58325545'>«Afghanistan:
World Bank halts aid after Taliban takeover», BBC News</a>; <a href='https://www.bbc.com/news/business-58263525'>IMF suspends
Afghanistan's access to funds, BBC News</a>, 19 août 2021..
42. La réunion ministérielle a été l’occasion pour le Secrétaire général des Nations Unies de présenter sa vision des choses 
			(36) 
			<a href='https://www.un.org/sg/en/node/259022'>Secretary-General's
transcript of the Secretary-General's press conference on the High-Level
Ministerial Meeting on the Humanitarian Situation in Afghanistan,
United Nations Secretary-General</a>, 13 septembre 2021.:
  • premièrement, les Nations Unies devraient rester en Afghanistan et assumer un rôle de chef de file en ce qui concerne la fourniture de l’aide humanitaire;
  • deuxièmement, il est impossible d’apporter une assistance humanitaire en Afghanistan sans discuter avec les autorités de facto du pays;
  • et troisièmement, la fourniture d’une aide humanitaire ne sera pas suffisante si l’économie afghane s’effondre. Un tel scénario aurait pour conséquences un exode massif et une plus grande instabilité régionale.
43. Peter Maurer, Président du Comité international de la Croix-Rouge, a mis en garde contre la conditionnalité de l’aide humanitaire: «une longue période de flottement, durant laquelle les investissements sont subordonnés à la reconnaissance politique du gouvernement, ne fera qu’aggraver la crise humanitaire. L’action humanitaire ne doit pas être conditionnée à des exigences politiques, liées aux droits humains ou autres. C’est une voie dangereuse. Elle nuit au respect du droit international humanitaire et des acteurs humanitaires et érode les principes d’une action humanitaire neutre, indépendante et impartiale 
			(37) 
			<a href='https://www.icrc.org/en/document/president-maurer-meeting-humanitarian-situation'>Peter
Maurer Statement on Afghanistan</a>, ICRC, 13 septembre 2021.».
44. Par ailleurs, António Guterres a confirmé que Martin Griffiths, Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence, s’était entretenu avec les talibans, quelques jours plus tôt à Kaboul. À l’issue de ces échanges, les talibans se sont engagés à garantir l’accès des Nations Unies à l’ensemble du territoire et à assurer la sécurité nécessaire pour permettre aux convois de l’ONU d’atteindre les zones peu sûres 
			(38) 
			«<a href='https://news.un.org/fr/story/2021/09/1103092'>En visite
en Afghanistan, le chef de l’humanitaire de l’ONU rencontre des
dirigeants talibans</a>», ONU info, 5 septembre 2021..
45. La conférence internationale a montré la volonté de la communauté internationale de répondre à la crise, comme en témoigne les quelque 1,2 milliard $US d’aide humanitaire et au développement qui ont été promis, soit près du double de la somme initiale demandée dans le cadre de «l’appel éclair» 
			(39) 
			«<a href='https://www.dw.com/en/un-afghanistan-donor-conference-raises-1-billion-with-crisis-looming/a-59162904'>UN
Afghanistan donor conference raises $1 billion with crisis looming</a>», News, DW, 13 septembre 2021.. La Commission européenne, qui figure parmi les principaux donateurs, s’est engagée à porter à 200 millions d’euros sa contribution à l’aide humanitaire en Afghanistan 
			(40) 
			<a href='https://multimedia.europarl.europa.eu/fr/eu-afghanistan_20003_pk'>EU
– Afghanistan – Multimedia Centre (europa.eu)</a> Les relations de l'Union européenne avec l'Afghanistan
ont été guidées par la stratégie de l'Union européenne pour l'Afghanistan
(2017), visant à renforcer les institutions et l'économie du pays.. Il convient de rappeler que, depuis 2002, l'Union européenne a fourni plus de 4 milliards d'euros d'aide au développement à l'Afghanistan, ce qui fait de ce pays le plus grand bénéficiaire de l'aide au développement de l'Union européenne dans le monde.
46. Depuis le 14 septembre 2021, le Service aérien d’aide humanitaire des Nations Unies a repris ses vols vers l’Afghanistan, transportant de la nourriture, des fournitures médicales et d’autres articles de secours indispensables. En prévision des besoins alimentaires élevés et de nouvelles perturbations des chaînes d’approvisionnement, des stocks de nourriture et d’autres produits ont été positionnés à des points frontaliers stratégiques au Pakistan, au Tadjikistan et en Ouzbékistan 
			(41) 
			«<a href='https://news.un.org/fr/story/2021/09/1103652'>Le
premier vol humanitaire vers Kaboul depuis la prise de pouvoir par
les talibans marque un tournant dans la crise – PAM</a>», ONU info, 14 septembre 2021..
47. Cependant, d’immenses défis restent à relever, compte tenu de l’ampleur des besoins. De plus, les institutions des Nations Unies sur le terrain ont fait savoir qu’en dépit des assurances données par les talibans de Kaboul, dans certaines provinces, les travailleuses humanitaires n’ont été autorisées à intervenir que dans des secteurs spécifiques, essentiellement dans les domaines de la santé et de l’éducation, tandis que dans d’autres, elles ont actuellement l’interdiction de travailler 
			(42) 
			«<a href='https://reliefweb.int/report/afghanistan/unhcr-regional-bureau-asia-and-pacific-rbap-bi-weekly-external-sitrep-3'>UNHCR
Regional Bureau for Asia and Pacific (RBAP) Bi-Weekly External Sitrep:
Afghanistan Situation #5, as of 8 September 2021</a>», Afghanistan, ReliefWeb,
10 septembre 2021..

6. Déplacement et protection internationale

48. Déjà avant la crise actuelle, les Afghans représentaient l’une des populations de réfugiés les plus importantes au monde. Quelque 2,6 millions de réfugiés afghans ont été enregistrés dans le monde 
			(43) 
			<a href='https://afghanistan.iom.int/drought-2021'>Drought 2021</a>, Organisation internationale pour les migrations (OIM)
(iom.int).. Selon les estimations, plus de 558 000 Afghans ont été déplacés à l’intérieur du pays par le conflit armé depuis le début de l’année 2021 (chiffres au 23 août). Près de 80 % d’entre eux sont des femmes et des enfants.
49. En août 2021, le HCR a présenté son Plan régional de préparation et d’intervention pour les réfugiés afghans 
			(44) 
			<a href='https://www.acnur.org/portugues/wp-content/uploads/2021/08/RRP-Afghanistan-4-pager-Summary-of-Plan-27082021.pdf'>Regional
Preparedness and Emergency Plan for Afghan Refugees</a>., appelant les pays voisins à garder leurs frontières ouvertes afin de permettre aux personnes potentiellement en danger de se mettre en sécurité, qu’elles soient ou non en possession d’un passeport et d’un visa.
50. À ce jour, on dénombre déjà 1 448 100 réfugiés afghans au Pakistan, 780 000 en Iran et 10 700 au Tadjikistan. Le HCR souligne que tout afflux important nécessiterait de la communauté internationale qu’elle renforce son soutien aux pays voisins, dans un esprit de partage des responsabilités et des charges. L’Agence des Nations Unies pour les réfugiés prévient également que le nombre de personnes fuyant le pays va probablement continuer à augmenter et que, selon le scénario le plus pessimiste, il devrait y avoir près de 500 000 nouveaux réfugiés afghans dans la région d’ici la fin de l’année.
51. Le 31 août 2021, les ministres de la Justice et de l’Intérieur de l’Union européenne ont examiné la question d’un afflux potentiel de réfugiés et de migrants en provenance d’Afghanistan. Dans leur déclaration commune, ils sont convenus que l’Union européenne devait demeurer «résolue à soutenir les Afghans vulnérables, en particulier les femmes et les enfants, tant en Afghanistan que dans la région». À cette fin, l’Union européenne «renforcera son soutien aux pays tiers, en particulier aux pays voisins et de transit, qui accueillent un grand nombre de migrants et de réfugiés, afin de développer leur capacité à offrir une protection, des conditions d’accueil dignes et sûres, et des moyens de subsistance durables pour les réfugiés et les communautés d’accueil» 
			(45) 
			<a href='https://www.consilium.europa.eu/fr/meetings/jha/2021/08/31/'>Conseil
Justice et Affaires intérieures</a>..
52. Les ministres de l’Union européenne se sont également dit déterminés à empêcher les passeurs et les trafiquants d’êtres humains d’exploiter cette situation, et à coordonner leur réponse en vue de protéger les frontières extérieures de l’Union européenne. Afin de répondre aux besoins de protection internationale, ils ont souhaité intensifier les «opérations extérieures de renforcement des capacités en matière d’asile» et sont disposés à soutenir la réinstallation sur une base volontaire, en accordant la priorité aux personnes vulnérables, telles que les femmes et les enfants.
53. Dans sa résolution du 16 septembre 2021 
			(46) 
			<a href='https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2021-0393_FR.html'>Résolution
sur la situation en Afghanistan</a>., le Parlement européen est allé plus loin en rappelant que le soutien apporté à l’accueil des réfugiés et migrants afghans dans les pays voisins ne constitue pas une solution de remplacement à une politique européenne d’asile et de migration à part entière. Il demande à ce que l’Union européenne assume sa responsabilité morale en matière de protection des réfugiés et se prononce en faveur des mesures suivantes:
  • une expansion des possibilités de réinstallation, notamment pour les personnes les plus en danger et les plus vulnérables;
  • la création de voies complémentaires comme l’octroi de visas humanitaires et un programme de visa spécial pour les femmes afghanes cherchant à échapper au régime des talibans;
  • le recours à la directive sur la protection temporaire et au mécanisme de protection civile.
54. Conformément aux directives du HCR, le Parlement européen invite également les États membres de l’Union européenne à réévaluer à la lumière des derniers événements les demandes d’asile en cours et celles reçues récemment de la part d’Afghans et souligne qu’il ne doit y avoir aucun retour forcé en Afghanistan, quelles que soient les circonstances.

7. Droits humains

55. Le retour au pouvoir des talibans suscite de fortes préoccupations quant au respect des droits humains en Afghanistan. Ces inquiétudes portent sur deux points: la crainte de voir les progrès réalisés au cours des vingt dernières années, en particulier dans des domaines tels que les droits des femmes, totalement anéantis; et la crainte que les talibans, alors même qu’ils sont les détenteurs du pouvoir de facto, continuent de recourir aux mêmes méthodes que celles qu’ils utilisaient en tant que groupe d’insurgés, notamment les exécutions sommaires et les assassinats ciblés 
			(47) 
			«<a href='https://www.euronews.com/2021/08/24/un-has-credible-reports-of-summary-executions-of-civilians-by-taliban'>UN
has ‘credible reports’ of summary executions of civilians by Taliban</a>», Euronews, 25
août 2021; «<a href='https://www.theguardian.com/world/2021/aug/20/afghanistan-reports-of-torture-and-killing-contradict-taliban-promises'>Afghanistan reports
of torture and killing contradict Taliban’s promises</a>», Afghanistan, The Guardian,
21 août 2021., la torture et d’autres violations des droits humains et du droit humanitaire.
56. Ces préoccupations sont fondées. Alors que dans leurs déclarations publiques, les talibans se sont engagés à respecter les droits humains – dans le cadre de la charia –, la réalité sur le terrain contredit ces dires, comme le signalent les Nations Unies, les ONG et les médias 
			(48) 
			«<a href='https://www.fidh.org/fr/regions/asie/afghanistan/afghanistan-les-talibans-ne-perdent-pas-de-temps-pour-eradiquer-les'>Afghanistan.
Les talibans ne perdent pas de temps pour éradiquer les droits humains,
indique un nouveau rapport</a>», FIDH..
57. Les groupes particulièrement exposés sont les suivants:
  • les personnes ayant travaillé pour des forces étrangères et des missions diplomatiques – en tant qu’interprètes, chauffeurs, agents de sécurité ou dans le cadre d’autres activités civiles;
  • les membres des forces de sécurité afghanes ou les Afghans ayant exercé des responsabilités politiques ou administratives;
  • les femmes et les jeunes filles – les principaux sujets de préoccupation étant le droit à l’éducation, la liberté de circulation, l’accès au travail et aux soins de santé ainsi que le droit de participer à la vie publique et politique;
  • les enfants, dont certains sont recrutés comme enfants soldats 
			(49) 
			<a href='https://www.unicef.org/emergencies/delivering-support-afghanistans-children'>Delivering
for Afghanistan’s children</a>, UNICEF.;
  • les personnes appartenant à des minorités ethniques et religieuses 
			(50) 
			 <a href='https://www.msn.com/fr-fr/actualite/monde/afghanistan-les-grands-perdants-sont-les-minorit%C3%A9s-religieuses-et-ethniques-non-pachtounes/ar-AANJIca'>«Afghanistan:
les grands perdants sont les minorités religieuses et ethniques
non-pachtounes»</a>, Le Figaro, 25 août 2021
(msn.com); «<a href='https://www.nbcnews.com/news/world/afghanistan-s-religious-minorities-live-fear-taliban-brace-persecution-n1277249'>Afghanistan's
religious minorities live in fear of Taliban, brace for persecution</a>», NBC News, 29 août
2021 (nbcnews.com).;
  • les journalistes et les défenseurs des droits humains 
			(51) 
			«<a href='https://alarabiyapost.com/2021/09/21/international-federation-of-journalists-expresses-concern-at-safety-of-media-persons-in-afghanistan/'>International
Federation of Journalists expresses concern at safety of media persons
in Afghanistan</a>», Al Arabiya Post,
21 septembre 2021..
58. Comme l’a souligné la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, lors de l’ouverture d’une session extraordinaire du Conseil des droits de l’homme consacrée à l’Afghanistan, «les progrès significatifs réalisés en matière de droits de l’homme au cours des deux dernières décennies ont permis à la population afghane de s’intéresser de près à une société qui valorise et défend les droits de l’homme. Les organisations de la société civile ont fleuri. Les femmes assument des rôles publics et des postes de direction dans les médias et dans toute la société. En 2021, 27 % des membres du parlement et un cinquième des fonctionnaires étaient des femmes. Quelque 3,5 millions de filles sont scolarisées – à comparer à 1999, où aucune fille ne pouvait fréquenter l’école secondaire et où seulement 9 000 étaient inscrites dans l’enseignement primaire» 
			(52) 
			<a href='https://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=27403&LangID=E'>31st
Special Session of the Human Rights Council – The serious human
rights concerns and situation in Afghanistan</a>, OHCHR, 24 août 2021..
59. La société civile a changé comme en témoignent les manifestations de rue qui ont suivi la prise de pouvoir par les talibans. Pourtant, la question de savoir si les talibans ont changé semble appeler une réponse négative, à en juger par la manière dont ils musèlent les critiques et répriment les manifestations.
60. Alors que la communauté internationale a réaffirmé à l’unanimité «qu’il importe de respecter les droits humains, y compris ceux des femmes, des enfants et des minorités» 
			(53) 
			<a href='https://undocs.org/fr/S/RES/2593(2021)'>Résolution 2593
(2021) du Conseil de sécurité des Nations Unies.</a>, il reste deux points à éclaircir:
  • la communauté internationale conviendra-t-elle également à l’unanimité de subordonner la collaboration avec les talibans aux obligations qui leur incombent, en tant qu’autorités de facto, en matière de respect des droits humains;
  • quels seront les mécanismes mis en place pour contrôler régulièrement et de manière efficace le respect par les talibans de leurs obligations et les amener à rendre des comptes en cas de manquement.
61. S’agissant de ce dernier point, le 24 août 2021, la Conseil des droits de l’homme a prié «la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme de lui présenter, à sa 48ème session, un rapport oral sur la situation des droits de l’homme en Afghanistan, et de lui présenter, à sa 49ème session, un rapport écrit complet portant notamment sur l’application du principe de responsabilité à l’égard de tous ceux qui ont commis des violations des droits de l’homme et des atteintes à ces droits dans le cadre du conflit, avant la tenue d’un dialogue» 
			(54) 
			<a href='https://undocs.org/fr/A/HRC/RES/S-31/1'>A/HRC/RES/S-31/1
(undocs.org)</a>.. L’appel à établir un mécanisme de surveillance spécifique et indépendant lancé par la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme et la Présidente de la Commission indépendante des droits de l’homme d’Afghanistan, Shaharzad Akbar, est resté sans réponse 
			(55) 
			«<a href='https://www.euronews.com/2021/09/07/the-world-must-not-abandon-human-rights-in-afghanistan-view'>The
world must not abandon human rights in Afghanistan</a>», View, Euronews,
7 septembre 2021..

8. Terrorisme

62. La question du terrorisme occupe une place centrale dans l’Accord de Doha. Selon les termes de cet accord, les talibans se sont engagés à empêcher tout groupe ou individu, y compris Al-Qaida, de se servir du sol afghan pour menacer la sécurité des États-Unis et de leurs alliés. Ils s’engagent notamment à ne pas donner asile à de tels groupes ou individus ni coopérer avec eux, et à les empêcher de recruter et former de nouveaux membres, ou de collecter des fonds 
			(56) 
			Deuxième
partie de l’Accord de Doha..
63. De leur côté, les États-Unis se sont engagés, une fois que les parties afghanes auraient commencé leurs négociations, à entamer un examen administratif de leur liste des sanctions et des récompenses concernant les membres des talibans, en vue de lever ces sanctions d’ici au 27 août 2020 et à nouer un dialogue diplomatique avec les autres membres du Conseil de sécurité des Nations Unies et l’Afghanistan pour radier de la liste des sanctions les membres des talibans, l’objectif étant d’y parvenir d’ici au 29 mai 2020 
			(57) 
			Première partie de
l’Accord de Doha, paragraphes D et E..
64. Ni les Nations Unies, ni les États-Unis n’ont désigné les talibans comme une organisation terroriste. Cependant, un bon nombre de membres influents des talibans, dont plusieurs représentants de l’actuel gouvernement intérimaire, figurent sur les listes de sanctions de l’ONU 
			(58) 
			<a href='https://www.un.org/securitycouncil/fr/sanctions/1988/resolutions'>Résolutions
du Conseil de sécurité des Nations Unies</a>; <a href='https://www.un.org/securitycouncil/fr/sanctions/1988/materials/summaries'>Résumé
des motifs – Conseil de sécurité des Nations Unies</a>., de l’Union européenne, des États-Unis, du Royaume-Uni 
			(59) 
			<a href='https://www.gov.uk/government/collections/uk-sanctions-on-afghanistan'>UK
sanctions relating to Afghanistan</a>, GOV.UK (www.gov.uk). et d’autres pays, ce qui implique le gel des avoirs, l’interdiction de voyager et l’embargo sur les armes.
65. Peu après son installation, le gouvernement intérimaire des talibans a prétendu que les États-Unis ne respectaient pas l’Accord de Doha et exigé la levée des sanctions 
			(60) 
			«<a href='https://www.aljazeera.com/news/2021/9/9/taliban-accuses-the-us-of-violating-peace-deal'>Taliban
accuses the US of violating Doha Agreement</a>», Taliban News, Al Jazeera,
9 septembre 2021.. Cette demande vise entre autres le ministre de l’Intérieur, Sirrajudin Haqqani, qui est accusé d’une série d’attaques contre les forces américaines en Afghanistan et dont la tête est mise à prix à 5 millions $US par les Etats-Unis.
66. L’examen périodique de la liste des sanctions de l’ONU est prévu d’ici fin 2021. Les États-Unis et la communauté internationale dans son ensemble sont confrontés à un autre dilemme important, à savoir la décision de lever ou non les sanctions.
67. Le dernier rapport de l’ONU concernant les talibans et les personnes et entités qui leur sont associées dans la menace qu’ils constituent pour la paix, la stabilité et la sécurité de l’Afghanistan donne un aperçu de la présence de groupes terroristes dans le pays 
			(61) 
			Douzième rapport de
l’Équipe d’appui analytique et de surveillance des sanctions, présenté
en application de la résolution 2557 (2020) du Conseil de sécurité
concernant les Taliban et les personnes et entités qui leur sont
associées dans la menace qu’ils constituent pour la paix, la stabilité
et la sécurité de l’Afghanistan, <a href='https://www.undocs.org/fr/S/2021/486'>S/2021/486</a>, 1e juin 2021..
68. Le rapport indique que bon nombre de combattants d’Al-Qaida et d’autres éléments extrémistes étrangers alignés sur les talibans sont présents dans différentes régions de l’Afghanistan et qu’Al-Qaida et le réseau Haqqani entretiennent des liens étroits, fondés sur une idéologie commune, forgés par un combat conjoint et des alliances matrimoniales 
			(62) 
			Partie
C de la <a href='https://www.undocs.org/fr/S/2021/486'>S/2021/486</a>..
69. En revanche, les talibans et l’EIPK restent dans une relation de rivalité, malgré un certain nombre de transfuges d’un groupe à l’autre et de défections. Par ailleurs, les opinions divergent quant à l’étendue des liens qu’entretient l’EIPK avec le réseau Haqqani. Cette branche régionale de Daech qui tire son nom de la région historique connue sous la dénomination de Province du Khorassan, est née début 2015 d’une frange dissidente des talibans. Contrairement à ces derniers qui poursuivent un programme national et se sont battus contre les forces d’occupation pour conquérir le pouvoir en Afghanistan, l’EIPK aspire à mettre en place un califat islamique mondial 
			(63) 
			«<a href='https://nypost.com/2021/08/27/the-complex-rivalry-between-taliban-and-isis/'>The
complex rivalry between Taliban and ISIS</a>», New York Post,
27 août 2021 (nypost.com).. Après avoir essuyé plusieurs revers militaires successifs, ce groupe ne compte que quelques milliers de militants et commet des attentats à la bombe contre des civils dans des zones densément peuplées. Selon des informations diffusées par les médias, les talibans auraient exécuté l’ancien chef de l’EIPK, Abu Omar Khorasani, après avoir pris possession d’une prison de Kaboul où il était détenu avec plusieurs autres personnes à la suite de leur arrestation par les forces gouvernementales 
			(64) 
			«<a href='https://www.wsj.com/articles/isis-taliban-afghanistan-bombing-11630014684'>Inside
the Hidden War Between the Taliban and ISIS</a>», Wall Street Journal,
26 août 2021..
70. Bien que les talibans nient formellement la présence de combattants terroristes étrangers en Afghanistan, selon le rapport des Nations Unies, quelque 8 000 à 10 000 d’entre eux seraient présents sur le territoire, la plupart étant originaires d’Asie centrale, du Caucase, du Pakistan et de la Région autonome ouïghoure du Xinjiang, en Chine. La majorité de ces combattants étrangers sont affiliés aux talibans, mais d’autres ont également rejoint les rangs d’Al-Qaida et de l’EIPK 
			(65) 
			<a href='https://www.undocs.org/fr/S/2021/486'>S/2021/486</a>..
71. Reste à savoir si les principaux acteurs régionaux et internationaux sont susceptibles de se rapprocher des talibans dans l’intérêt commun de lutter contre le terrorisme international, car les talibans ont affirmé à plusieurs reprises que leur projet est circonscrit à l’Afghanistan et qu’ils ne cherchaient pas à exporter leur idéologie au-delà des frontières du pays.

9. Trafic de stupéfiants

72. La production de pavot à opium et le trafic de stupéfiants sont un énorme problème en Afghanistan et ont constitué la principale source de financement des talibans depuis leur éviction en 2001. Pour donner un aperçu des chiffres concernés, la superficie consacrée à la culture du pavot à opium a augmenté de 37 % entre 2019 et 2020, la production potentielle d’opium étant estimée à 6 300 tonnes 
			(66) 
			<a href='https://www.unodc.org/documents/crop-monitoring/Afghanistan/20210503_Executive_summary_Opium_Survey_2020_SMALL.pdf'>Afghanistan
Opium Survey 2020 – Executive Summary</a>.. Depuis plus de dix ans au moins, l’Afghanistan est au centre du commerce illicite des opiacés dans le monde, avec plus de 80 % de la production mondiale 
			(67) 
			<a href='https://www.unodc.org/rpanc/en/tests/overview.html'>Overview</a> (unodc.org).. Par ailleurs, des données de plus en plus nombreuses attestent du rôle de l’Afghanistan en tant que producteur et fournisseur de méthamphétamines au plan mondial 
			(68) 
			 <a href='https://www.emcdda.europa.eu/publications/ad-hoc-publication/emerging-evidence-of-afghanistans-role-as-a-producer-and-supplier-of-ephedrine-and-methamphetamine_en'>Emerging
evidence of Afghanistan’s role as a producer and supplier of ephedrine
and methamphetamine</a>, www.emcdda.europa.eu..
73. Les facteurs qui influencent la culture du pavot à opium en Afghanistan sont multiples. Les défis relatifs à l’État de droit, notamment l’instabilité politique ou autre et l’insécurité dont sont à l’origine les groupes d’insurgés, figurent parmi les principaux moteurs. Certains facteurs socio-économiques pèsent également sur les décisions des agriculteurs, par exemple le peu de perspectives d’emploi, le manque d’accès à une éducation de qualité et l’accès limité aux marchés 
			(69) 
			<a href='https://www.unodc.org/documents/crop-monitoring/Afghanistan/20210503_Executive_summary_Opium_Survey_2020_SMALL.pdf'>Afghanistan
Opium Survey 2020 – Executive Summary</a>..
74. La pandémie de covid-19 n’a semble-t-il pas eu d’incidence sur les trois principaux itinéraires du trafic depuis l’Afghanistan, à savoir: la route des Balkans, qui approvisionne l’Europe occidentale et centrale via l’Iran et la Turquie en passant par l’Europe du Sud-Est; la voie du sud, qui traverse le Pakistan et l’Iran vers la région du Golfe, l’Afrique, l’Asie du Sud et, dans une moindre mesure, l’Asie du Sud-Est, l’Océanie et l’Amérique du Nord; et la voie du nord, qui passe par les pays d’Asie centrale vers la Fédération de Russie. Par ailleurs, la portion caucasienne de ces itinéraires semble être restée un couloir de transit probable pour les opiacés à destination des marchés européens. Les saisies d’héroïne afghane en Azerbaïdjan auraient augmenté, passant de 802 kg en 2019 à 2 240 kg en 2020 
			(70) 
			Ibidem..
75. Le problème des stupéfiants en Afghanistan n’a pour l’heure pas été abordé dans le cadre des pourparlers avec les talibans, même s’il s’agit de l’un des principaux obstacles aux efforts visant à rétablir la paix, la stabilité et la sécurité dans le pays et la région. C'est aussi une menace pour la sécurité de l'Europe, comme l'a souligné l'Assemblée en 2013 
			(71) 
			Résolution 1960 (2013) de l'Assemblée “Le trafic de drogue en provenance d’Afghanistan,
une menace pour la sécurité européenne”.. Par conséquent, il n’est pas surprenant que les pays voisins et la Fédération de Russie soient désireux d’amener les talibans à la table des négociations, en vue notamment de s’attaquer au problème de la production et du trafic de stupéfiants 
			(72) 
			<a href='https://thediplomat.com/2017/12/russias-anti-drug-crusade-in-afghanistan/'>«Russia’s
Anti-Drug Crusade in Afghanistan», The Diplomat</a>, 28 décembre 2017., et, d’après des discussions récentes, il semble que les talibans y soient disposés 
			(73) 
			<a href='https://www.mid.ru/en/foreign_policy/news/-/asset_publisher/cKNonkJE02Bw/content/id/4810299'>Press
release on consultations with a Taliban delegation</a>, News, Ministère des Affaires étrangères de la Fédération de
Russie (mid.ru).. Un autre point soulevé a trait aux sanctions économiques qui, si elles étaient maintenues, inciteraient, selon certains observateurs, les talibans à recourir encore davantage au trafic de drogue en tant que source de revenus 
			(74) 
			«<a href='https://www.aljazeera.com/economy/2021/8/16/opium-afghanistans-illicit-drug-trade-that-helped-fuel-taliban'>Opium:
Afghanistan’s drug trade that helped fuel the Taliban</a>», Aljazera, 16
août 2021..

10. La dimension régionale

76. Les pays de la région observent avec beaucoup d’attention l’évolution de la situation en Afghanistan. Ils sont les premiers à s’inquiéter du risque de voir la violence perdurer ou de sombrer dans la guerre civile. De la même façon, ils seraient les premiers à subir les conséquences d’une recrudescence du terrorisme, de l’extrémisme violent, du trafic de stupéfiants et d’autres activités criminelles en Afghanistan, qui aurait des effets déstabilisateurs plus larges.
77. Les pays voisins sont particulièrement inquiets dans la mesure où ils seraient en première ligne en cas d’arrivée massive de réfugiés. Ils risqueraient par ailleurs de faire face à un climat sécuritaire difficile, en raison de la présence de combattants étrangers et de groupes ethniques apparentés impliqués dans les activités des milices en Afghanistan 
			(75) 
			«<a href='https://icct.nl/publication/the-rise-of-the-taliban-in-afghanistan-regional-responses-and-security-threats/'>The
Rise of the Taliban in Afghanistan: Regional Responses and Security
Threats», ICCT, 27 août 2021</a>.. Beaucoup d'entre eux sont sous pression pour avoir fourni un abri aux Afghans pendant des décennies.
78. Dès lors, il n’est pas surprenant qu’au cours des derniers mois, le dialogue diplomatique se soit intensifié avec la tenue de réunions spécifiques d’organisations régionales telles que l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC) et l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et d’initiatives comme la troïka élargie sur l’Afghanistan – associant la Fédération de Russie, le Pakistan et la Chine – ou le format de Moscou.
79. Il ressort des conclusions de ces forums que, tout en excluant une reconnaissance formelle, les pays de la région sont favorables à un dialogue pragmatique avec les talibans. Ils s’accordent pour donner la priorité à la formation d’un gouvernement inclusif et représentatif qui serait un partenaire fiable dans la lutte contre le terrorisme et le trafic de drogue. Certains d’entre eux n’excluent pas le retrait sous conditions de quelques personnalités talibanes de la liste des sanctions de l’ONU 
			(76) 
			<a href='https://tass.com/politics/1326549'>«Taliban can be removed
from terrorist list only based on UNSC resolution», Russian envoy,
Russian Politics & Diplomacy, TASS, 16 août 2021.</a>, et demandent aux institutions financières internationales de débloquer les financements et les avoirs qui ont été gelés au lendemain de la prise de pouvoir par les talibans 
			(77) 
			<a href='https://www.scmp.com/news/china/diplomacy/article/3149816/china-calls-end-sanctions-afghanistan-soon-possible'>«China
calls for end to sanctions on Afghanistan ‘as soon as possible’»,
South China Morning Post (scmp.com).</a>.
80. Dans le même temps, le retrait des États-Unis et leur désengagement en Asie centrale ont pu donner aux puissances régionales de nouvelles possibilités d’affirmer leur influence politique et économique. La Chine est le premier pays qui vient à l’esprit: elle était, en 2020, le principal investisseur étranger en Afghanistan 
			(78) 
			<a href='https://defence-point.com/2021/08/21/china-s-main-interests-in-afghanistan-are-of-a-strategic-and-political-nature/'>«CHINA’s
main interests in AFGHANISTAN are of a strategic and political nature»,
Defence-Point.com, 21 août 2021.</a>, elle porte un vif intérêt aux richesses naturelles du pays – notamment à ses gisements de minéraux de terres rares – et espère relier l’Afghanistan, l’Inde et le Pakistan grâce au projet d’investissement massif dans les infrastructures de l’initiative «Ceinture et route» 
			(79) 
			<a href='https://www.cfr.org/backgrounder/chinas-massive-belt-and-road-initiative'>«China’s
Massive Belt and Road Initiative», Council on Foreign Relations
(cfr.org).</a>.

11. Conclusions

81. Au cours des vingt dernières années, les États membres du Conseil de l’Europe ont investi massivement en Afghanistan. Ils ont fourni des troupes, apporté une aide humanitaire et un soutien financier, dispensé des conseils et des formations et offert un renforcement des capacités dans le but de bâtir un pays stable, démocratique, sûr et pacifique, débarrassé du terrorisme et de tout extrémisme violent. Le retrait des États-Unis et de leurs alliés et le retour au pouvoir des talibans marquent le début d’une nouvelle ère, empreinte d’incertitudes et de risques. Cependant, le retrait des forces militaires ne doit pas se traduire par un retrait politique. Les valeurs fondamentales du Conseil de l'Europe – les droits de l'homme, la démocratie et l’État de droit – qui sont inscrites dans un certain nombre de normes universelles, devraient servir d'orientation dans les politiques concernant l'Afghanistan.
82. La communauté internationale devrait avoir pour premier impératif de s’attaquer à la situation humanitaire désastreuse et d’empêcher qu’elle ne se détériore davantage. À cette fin, les États membres du Conseil de l’Europe devraient soutenir le rôle de chef de file et de coordinateur de l’action humanitaire joué par les Nations Unies. Ils devraient honorer, voire même intensifier, les promesses financières qu’ils ont faites, sans subordonner l’octroi de leur soutien à des conditions. Dans le cas contraire, ce sont les Afghans, et non le régime afghan, qui en feront les frais.
83. La communauté internationale est confrontée à un dilemme crucial, à savoir faut-il ou non engager le dialogue avec les talibans et de quelle manière. De fait, cette question constitue un test décisif en ce qui concerne sa capacité à envoyer un message cohérent aux autorités de facto de Kaboul. Le seul moyen pour la communauté internationale de ne pas laisser tomber les Afghans est de mettre en place un engagement opérationnel, prudent et pragmatique, avec les talibans. Sans l’aval de ces derniers, il sera impossible d’atteindre la population pour répondre à ses besoins; de même, il ne sera pas possible de poursuivre l’évacuation des ressortissants étrangers et des milliers d’Afghans qui ont travaillé avec des pays étrangers et sont toujours présents en Afghanistan.
84. À en juger par leurs déclarations et revendications, comme leur récente demande de prise de parole devant l’Assemblée générale des Nations Unies 
			(80) 
			<a href='https://www.bbc.com/pidgin/world-58635504'>«Taliban
request to speak for UN General Assembly for New York to world leaders»,
BBC News Pidgin, 22 septembre 2021</a>., les talibans sont manifestement à la recherche d’une reconnaissance internationale. Le dialogue, l’engagement et la coordination sont tout à fait envisageables dans l’immédiat, mais ils devraient être subordonnés à leurs actes, à savoir le respect des droits humains – notamment des femmes et des minorités – et le rejet du terrorisme, aux niveaux national et international. Des mécanismes appropriés devraient être mis en place pour assurer le suivi de l’évolution sur le terrain.
85. En exerçant une influence politique sur les talibans, les États membres du Conseil de l’Europe devraient exiger que les avancées réalisées au cours des vingt dernières années dans le domaine des droits humains ne soient pas anéanties et encourager une convergence d’intérêts en matière de lutte contre le terrorisme. De surcroît, la question de la lutte contre la production et le trafic de stupéfiants et d’autres activités criminelles devrait faire partie intégrante du dialogue avec les talibans et des efforts visant à stabiliser l’Afghanistan et à éviter des répercussions au plan international.
86. La crise actuelle ne manquera pas de provoquer de nouveaux déplacements, à l'intérieur comme à l'extérieur de l'Afghanistan. Il convient de créer les conditions permettant aux réfugiés de bénéficier d'une sécurité et d'un abri dans la région, dans un esprit de solidarité. Néanmoins, les Etats membres du Conseil de l'Europe devraient assumer leurs responsabilités morales et juridiques en matière de protection des réfugiés.
87. Les avantages et les inconvénients de la mise en œuvre de pressions financières pour renforcer l’influence politique sur les talibans doivent être soigneusement pesés. Il convient de trouver les mécanismes appropriés permettant d’éviter que de telles sanctions, gel des actifs financiers et retrait de l'aide au développement n’aggravent les souffrances déjà endurées par la population et ne conduisent à un recours encore plus important aux activités criminelles, dont les conséquences néfastes dépasseraient les frontières de l’Afghanistan.
88. Dans une récente allocution devant le Parlement européen, Josep Borrel, Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a résumé en une phrase le caractère multidimensionnel de la situation actuelle: «si nous voulons nous pencher sur la question de l’Afghanistan après la fin du mois d’août, nous devons l’envisager sous ces trois angles: la tragédie du peuple afghan, le revers de l’Occident et, pour le monde entier, un tournant dans les relations internationales 
			(81) 
			<a href='https://eeas.europa.eu/delegations/afghanistan/104065/afghanistan-speech-high-representativevice-president-josep-borrell-ep-debate_en'>Afghanistan:
Speech by the High Representative/Vice-President Josep Borrell at
the EP debate</a>, European External Action Service (europa.eu).
89. Ces propos devraient inciter les États membres du Conseil de l'Europe à analyser ce qui s'est passé de manière autocritique. Ils devraient amorcer une réflexion constructive et prospective sur la place de l’Europe dans la nouvelle configuration géopolitique envisageable et peser de tout leur poids en faveur du dialogue, de la diplomatie et du multilatéralisme en vue d'assurer la paix et la stabilité.

Annexe 1 – Chronologie

(open)

29 février 2020 Les États-Unis et les talibans (l'Émirat islamique d'Afghanistan) signent un Accord pour l’instauration de la paix en Afghanistan. Ce texte prévoit le retrait des troupes américaines et de l'OTAN dans un délai de 14 mois tandis que les talibans s'engagent à entamer des négociations intra-afghanes en vue d'un règlement politique et à ne pas soutenir les groupes terroristes, ni en Afghanistan, ni en dehors. Dans le cadre de l'Accord, les deux parties s'engagent à libérer les prisonniers selon des conditions et un calendrier précis. Avec le début des négociations intra-afghanes, les États-Unis s'engagent à entamer une révision de la liste de récompenses et des sanctions américaines contre les membres talibans, et à entamer des contacts diplomatiques avec d'autres membres du Conseil de sécurité de l'ONU en vue de radier les membres talibans de la liste des sanctions de l'ONU d'ici mai 2020.

Le même jour, les États-Unis et la République islamique d'Afghanistan signent une Déclaration conjointe.

10 mars 2020 Le Conseil de sécurité de l'ONU adopte à l'unanimité la Résolution 2513 se félicitant de la Déclaration conjointe et de l’Accord de Doha

14 avril 2021 Le président américain Joe Biden annonce le retrait complet des troupes américaines d'ici le 11 septembre (en anglais seulement)

Les Alliés de l'OTAN décident de commencer à retirer leurs forces de la mission Resolute Support en Afghanistan à partir du 1er mai 2021

Avril 2021 Les talibans lancent une offensive dans la province méridionale de Helmand, se dirigeant vers Ghazni et Kandahar. Ils s’emparent du district de Nerkh, près de Kaboul

Juin 2021 Affrontements militaires dans 26 des 34 provinces afghanes. Le 22 juin, les talibans étendent leur présence aux provinces du nord.

Juillet-août 2021 L'avancée militaire des talibans prend un nouvel élan, plaçant la plupart des districts et des villes sous leur contrôle. À la mi-août, seule Kaboul n'est pas sous leur contrôle.

15 août 2021 Le président Ashraf Ghani fuit l'Afghanistan

A cette date, 17 600 personnes fuyant les talibans du reste de l'Afghanistan arrivent à Kaboul

16 août 2021 Les talibans entrent dans Kaboul

Les États-Unis commencent l'évacuation des civils de l'aéroport de Kaboul

Déclaration du Conseil de Sécurité des Nations Unies

17 août 2021 Réunion extraordinaire des ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne

23 août 2021 Session extraordinaire de l'OTSC consacrée à la situation en Afghanistan

24 août 2021 Une réunion extraordinaire du G7 se tient sur l'Afghanistan. La déclaration finale conclut que «la légitimité de tout futur gouvernement reposera sur l'approche qui sera dès à présent adoptée dans le respect des obligations et des engagements internationaux visant à garantir la stabilité de l’Afghanistan»

Au cours d'une session extraordinaire sur l'Afghanistan, le Conseil des droits de l'homme de l'ONU adopte la résolution S/31/1 sur le Renforcement de la promotion et de la protection des droits de l'homme en Afghanistan

26 août 2021 Plus de 300 civils et 28 militaires sont tués ou blessés dans une attaque terroriste près de l'aéroport international Hamid Karzai de Kaboul

27 août 2021 Les talibans publient une déclaration condamnant l'attaque terroriste

29 août 2021 Une frappe de drones américains ciblant des militants de l'EI-K préparant une attaque terroriste touche un quartier résidentiel de Kaboul. Une enquête confirme la mort de 10 civils à la suite de la frappe (en anglais seulement)

30 août 2021 Avec 13 voix pour et deux abstentions (Fédération de Russie et Chine), le Conseil de sécurité de l'ONU adopte la Résolution 2593 (2021), condamnant les attaques perpétrées en Afghanistan, réaffirmant qu’il importe de combattre le terrorisme et de respecter les droits humains

Les États-Unis annoncent le retrait complet de leurs troupes

31 août 2021 Réunion extraordinaire sur l'Afghanistan du Conseil Justice et affaires intérieures de l'Union européenne

2-3 septembre 2021 Une réunion informelle des ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne discute d'une éventuelle présence de l'Union européenne à Kaboul pour coordonner l'évacuation des citoyens européens restants (en anglais seulement)

4 septembre 2021 Réouverture de l'aéroport de Kaboul aux vols civils

5 septembre 2021 Martin Griffiths, Secrétaire général adjoint des Nations Unies aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d'urgence, rencontre les talibans à Kaboul

7 septembre 2021 Les talibans annoncent la formation d'un gouvernement intérimaire

9 septembre 2021 Exposé au Conseil de sécurité des Nations Unies par la Représentante spéciale du Secrétaire général pour l'Afghanistan, Deborah Lyons (exposé en anglais seulement)

13-14 septembre 2021, Lors d'une conférence des Nations Unies à Genève, les donateurs promettent 1,1 milliard $US pour l'aide humanitaire à l'Afghanistan (en anglais seulement)

14 septembre 2021 Reprise des vols humanitaires de l’ONU vers l’Afghanistan

16 septembre 2021 Le Sommet de l'OTSC à Douchanbé adopte une déclaration sur l'Afghanistan (en anglais seulement), appelant la communauté internationale à accroître l'aide humanitaire à la population afghane, confirmant l'intention des États membres de l'OTSC d'aider l'Afghanistan à devenir un pays pacifique, stable et prospère, exempt de terrorisme, de guerre et de drogue, et affirmant sa volonté de participer aux efforts internationaux pour stabiliser et développer l'Afghanistan sous le rôle central de coordination de l'ONU

Le Parlement européen adopte une Résolution sur la situation en Afghanistan

17 septembre 2021 Dans sa Résolution 2596, le Conseil de sécurité de l'ONU renouvelle le mandat de la MANUA pour six mois jusqu'au 17 mars 2022

Réunion de l'OCS à Douchanbé

21 septembre 2021 Le Conseil de l’Union européenne adopte des conclusions sur Afghanistan

Des représentants de haut niveau de la troïka sur l'Afghanistan (Fédération de Russie, Chine et Pakistan) rencontrent les talibans à Kaboul

22 septembre 2021 Réunion des ministres des Affaires étrangères du G20 sur l'Afghanistan

Annexe 2 – États membres du Conseil de l'Europe ayant fourni des troupes aux missions dirigées par l'OTAN

(open)

Resolute Support (RSM), 2015-2021

Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS), 2001-2014

Albanie

Albanie

Arménie

Arménie

Autriche

Autriche

Azerbaïdjan

Azerbaïdjan

Belgique

Belgique

Bosnie-Herzégovine

Bosnie-Herzégovine

Bulgarie

Bulgarie

République tchèque

Croatie

Danemark

République tchèque

Estonie

Danemark

Finlande

Estonie

Géorgie

Finlande

Allemagne

France

Grèce

Géorgie

Hongrie

Allemagne

Italie

Grèce

Lettonie

Hongrie

Lituanie

Islande

Luxembourg

Irlande

Pays-Bas

Italie

Macédoine du Nord

Lettonie

Norvège

Lituanie

Pologne

Luxembourg

Portugal

Pays-Bas

Roumanie

Macédoine du Nord

Slovaquie

Norvège

Slovénie

Pologne

Espagne

Portugal

Suède

Roumanie

Turquie

Slovaquie

Ukraine

Slovénie

Royaume-Uni

Espagne

 

Suède

 

Turquie

 

Ukraine

 

Royaume-Uni