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Rapport | Doc. 15431 | 10 janvier 2022

En finir avec les disparitions forcées sur le territoire du Conseil de l’Europe

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. André GATTOLIN, France, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14816, Renvoi 4437 du 12 avril 2019. 2022 - Première partie de session

Résumé

La commission des questions juridiques et des droits de l'homme regrette profondément que les disparitions forcées restent encore aujourd'hui une pratique criminelle fréquente en Europe. Elle rappelle ses précédentes résolutions sur les «Personnes disparues au Bélarus», sur les «Conséquences humanitaires du conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan/le conflit du Haut-Karabakh» et sur les «Enfants réfugiés et migrants disparus en Europe». Les disparitions forcées violent des droits humains essentiels, notamment les articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, et les États ont l'obligation inconditionnelle d'enquêter sur toutes les allégations sérieuses de telles violations et de les punir. Les disparitions forcées sont également interdites par le droit international des droits humains et le droit international humanitaire.

L'incertitude dans laquelle vivent les proches des personnes disparues a un impact psychologique, social, juridique et économique néfaste. Dans un contexte de guerre, les disparitions menacent également la stabilité et empêchent une réconciliation durable. L'augmentation des cas de disparitions dans les conflits armés est alarmante.

La commission soutient fermement la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, qui codifie les principes fondamentaux de l'action contre les disparitions forcées et souligne l'importance du rôle de la société civile dans ce domaine. Elle adresse enfin des recommandations spécifiques à tous les États membres et observateurs visant à éradiquer les disparitions forcées.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 5 novembre 2021.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire regrette vivement que les disparitions forcées restent une pratique criminelle courante encore aujourd’hui dans l’espace géographique couvert par le Conseil de l’Europe et partout dans le monde. Elle rappelle sa Résolution 1371 (2004) «Personnes disparues au Bélarus» et regrette que les quatre cas de disparitions examinés par l’Assemblée en 2004 restent toujours impunis. L’Assemblée rappelle également ses Résolution 2391 (2021) et Recommandation 2209 (2021) «Conséquences humanitaires du conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan/le conflit du Haut-Karabakh». Enfin, l’Assemblée se réfère à sa Résolution 2324 (2020) et sa Recommandation 2172 (2020) «Disparitions d’enfants réfugiés ou migrants en Europe» dans lesquelles elle s’était déjà inquiétée de l’augmentation récente des cas de disparitions de migrants, notamment mineurs.
2. L’Assemblée rappelle que les disparitions forcées portent atteinte à de nombreux droits humains intangibles et fondamentaux et sont également interdites par le droit international des droits humains et le droit international humanitaire, quelles que soient la nature et la qualification du conflit armé. Elle réaffirme qu’aucune circonstance, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse d’une menace de guerre, d’un état de guerre, d’une instabilité politique interne ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier les disparitions forcées et que la pratique généralisée ou systématique des disparitions forcées constitue un crime contre l’humanité au regard du droit international général.
3. L’Assemblée reconnaît que l’incertitude dans laquelle vivent les familles et les proches des disparus a un impact psychologique, social, juridique et économique néfaste sur ces derniers ainsi que sur l’ensemble des communautés auxquelles ils appartiennent. Elle souligne que la pratique des disparitions forcées est out aussi préoccupante en temps de paix que pendant les conflits armés, mais que, lorsqu’elle se produit durant une guerre, elle menace la stabilité et empêche une réconciliation durable entre les parties au conflit, même quand celui-ci a cessé depuis longtemps.
4. L’Assemblée s’inquiète de l’augmentation des cas de disparitions forcées lors des conflits armés, où les personnes hors de combat capturées par les forces adverses sont soustraites à la protection du droit et disparaissent, au lieu de bénéficier de la protection que leur offre le droit international et interne.
5. L’Assemblée constate que malgré les efforts de la communauté internationale et de certains acteurs locaux, la coopération entre les pays concernés laisse à désirer. De plus, les enquêtes au niveau national sont souvent inactives depuis longtemps. Elle rappelle que le temps qui passe n’empêche pas l’identification des corps avec les méthodes modernes basées sur l’analyse génétique.
6. L’Assemblée rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme intégrée dans les Lignes Directrices adoptées par le Comité des Ministres en 2011, les États ont une obligation inconditionnelle d’enquêter sur toutes les allégations sérieuses de violations des articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) et de sanctionner de telles violations. Or, plusieurs rapports du Conseil de l’Europe ont mis en lumière l’exécution lente et incomplète des nombreux arrêts de la Cour constatant des violations «procédurales» de l’article 2 sous forme d’absence d’enquête sérieuse dans des cas de disparitions forcées dans plusieurs États, et notamment dans la région du Caucase du nord, en Fédération de Russie.
7. L’Assemblée se félicite de l’entrée en vigueur, le 23 décembre 2010, de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (CED), qui codifie les principes fondamentaux de la lutte contre les disparitions forcées. Le Comité des disparitions forcées créé par la CED dispose d’un pouvoir d’injonction, dans le cadre d’une procédure d’urgence, et peut recevoir des «communications» de particuliers ou d’un autre État contre les États parties qui ont fait une déclaration selon les articles 31 et 32.
8. L’Assemblée estime que la CED, de concert avec le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires (WGEID) ainsi que la Commission internationale pour les personnes disparues (ICMP), le Comité International de la Croix Rouge (CICR), les mécanismes régionaux tels que le Comité des personnes disparues (CMP) à Chypre, et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme constituent un cadre institutionnel et normatif bien développé. Plutôt que d’ajouter une nouvelle convention au niveau du Conseil de l’Europe, il convient de renforcer le cadre juridique existant et de mieux mettre en œuvre, dans tous les États membres, les bonnes pratiques préconisées dans ces instruments.
9. L’Assemblée souligne aussi l’importance du rôle de la société civile dans ce domaine, et notamment l’élan de solidarité et le soutien psychosocial vital fournis par les associations de familles de disparus. Celles-ci méritent tout le soutien moral et financier que la communauté internationale peut leur fournir, et elles doivent être protégées contre les pressions émanant de certains États.
10. L’Assemblée estime que le Conseil de l’Europe et ses États membres et observateurs doivent jouer un rôle important dans ce contexte. Les États européens devraient faire usage de leur influence au niveau international et donner le bon exemple, par la ratification de la CED et la mise en œuvre effective, dans la législation et la pratique nationales, des mesures préventives et répressives prévues dans les instruments sus-mentionnés. Le Conseil de l’Europe se doit de soutenir ses États membres dans cette démarche, en coordonnant les efforts et en fournissant le soutien technique nécessaire.
11. L’Assemblée invite donc tous les États membres et observateurs qui ne l’ont pas encore fait:
11.1. à signer et à ratifier la CED et à faire les déclarations au titre des Articles 31 et 32 permettant au Comité des disparitions forcées de se saisir de communications individuelles et inter-étatiques et de promouvoir la ratification universelle de cette convention, notamment en se joignant au groupe d’amis de la CED lancé par la France, l’Argentine et le Maroc ou en créant un groupe d’amis européens de la CED;
11.2. à mettre en œuvre les mesures préventives et répressives préconisées dans la CED, y compris dans l’attente de ratification de cet instrument, notamment:
11.2.1. en érigeant le crime de disparition forcée en infraction autonome dans le droit pénal national et en prévoyant des sanctions en rapport avec l’extrême gravité du crime;
11.2.2. en mettant en place un moyen de habeas corpus efficace;
11.2.3. en prenant des mesures pour prévenir les cas de disparitions forcées motivées par la discrimination raciale ou toute autre forme de discrimination et en menant des enquêtes en bonne et due forme sur ces cas;
11.2.4. en prévoyant des mesures efficaces pour identifier les auteurs des disparitions forcées;
11.2.5. en créant des registres de détention centralisés;
11.2.6. en rendant obligatoires les protocoles de libération des détenus;
11.2.7. en interdisant la détention au secret et les centres de détention secrète;
11.2.8. en instaurant des protocoles de documentation des dépouilles humaines non identifiées;
11.2.9. en évitant de refouler des personnes vers des pays dans lesquels elles risquent d’être victimes de disparition forcée;
11.2.10. en dispensant une formation appropriée aux membres des forces de sécurité et des forces armées;
11.2.11. en s’assurant que leurs lois sur l’adoption ne permettent pas l’appropriation d’enfants disparus ou d’enfants de personnes disparues;
11.3. à adhérer à l’ICMP ou à la soutenir de toute autre manière dans sa démarche de fournir l’aide technique à tous les États qui en ont besoin;
11.4. à signer et à ratifier le protocole facultatif à la Convention pour la prévention de la torture (OPCAT) et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, qui couvrent certains aspects du crime de disparition forcée.
12. L’Assemblée invite également tous les États membres et, le cas échéant, les États observateurs du Conseil de l’Europe:
12.1. à coopérer entre eux dans les enquêtes pénales relatives à des disparitions en se servant des conventions pertinentes du Conseil de l’Europe;
12.2. à déclassifier les documents et à rendre disponible toute information pertinente pouvant aider à localiser des fosses communes et à clarifier le sort des personnes disparues;
12.3. à se servir autant que possible de la compétence universelle autorisée notamment par la CED, la Convention sur la prévention de la torture et le Statut de Rome, pour poursuivre les auteurs de crimes de disparition forcée commis dans d’autres pays;
12.4. à porter une attention particulière à l’exécution des arrêts de la Cour et des mesures provisoires pertinentes prononcées par la Cour concernant des cas de disparitions forcées, en prenant toutes les mesures individuelles et générales nécessaires pour résoudre les cas d’espèce et pour prévenir de nouveaux cas;
12.5. à protéger contre toute menace et à soutenir financièrement les associations de familles de personnes disparues dans leur démarche de soutien psychosocial mutuel, de lutte contre l’impunité et de travail de mémoire;
12.6. à soutenir l’idée de tenir, en 2022, une conférence mondiale sur le thème des disparitions forcées qui donnera aussi aux États l’occasion d’annoncer de nouvelles ratifications de la CED.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté par la commission le 5 novembre 2021.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire se réfère à sa Résolution ... (2022) «En finir avec les disparitions forcées sur le territoire du Conseil de l’Europe» et souligne l’importance primordiale pour les droits humains et l’État de droit de donner un nouveau souffle aux efforts internationaux visant à en finir avec les disparitions forcées en Europe et dans le monde.
2. A cette fin, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres:
2.1. de promouvoir la ratification de la Convention internationale pour la protection de toutes les victimes des disparitions forcées (CED) par tous les États membres du Conseil de l’Europe et la reconnaissance de toutes les compétences du Comité des disparitions forcées ainsi que la transposition dans le droit national de toutes les mesures préventives et répressives préconisées par la CED;
2.2. d’offrir, avec la coopération des États déjà parties à la CED, une assistance technique à tous les États intéressés pour les aider à mettre en œuvre la CED, sur la base d’une analyse approfondie de la législation existante des États concernés;
2.3. de créer, au sein du Conseil de l’Europe, un groupe de travail spécialisé («task force») sur les disparitions forcées chargé de coordonner les activités évoquées ci-dessus et de suivre le progrès de la protection juridique contre ce crime dans les États membres du Conseil de l’Europe et de promouvoir une meilleure prévention, avec la participation de la société civile;
2.4. d’accorder une attention particulière à l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme concernant des cas de disparition forcée, ainsi qu’à la mise en œuvre des mesures provisoires pertinentes indiquées par la Cour européenne des droits de l’homme;
2.5. de soutenir l’idée d’une conférence mondiale sur le thème des disparitions forcées, qui donnera aussi aux États l’occasion d’annoncer de nouvelles ratifications de la CED.

C. Exposé des motifs par M. André Gattolin, rapporteur

(open)

1. Introduction

1.1. Questions en jeu

1. Les disparitions forcées restent une pratique criminelle courante encore aujourd’hui dans l’espace géographique couvert par le Conseil de l’Europe, que ce soit sur le territoire des États membres ou sur celui des États observateurs. Des milliers de personnes sont encore portées disparues en Ukraine par suite des conflits armés dans le Donbass et de l’occupation russe de la Crimée, de même qu’en Tchétchénie et dans d’autres sujets de la Fédération de Russie dans la région du Caucase du nord, sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis les conflits survenus en Croatie, au Kosovo* 
			(3) 
			* Toute
référence au Kosovo, que ce soit le territoire, les institutions
ou la population, doit se comprendre en pleine conformité avec la
Résolution 1244 du Conseil de Sécurité des Nations-Unies et sans
préjuger du statut du Kosovo. et en Bosnie-Herzégovine, ainsi qu’à Chypre, avant mais surtout après l’intervention militaire turque en 1974. Enfin, les quatre cas de disparitions au Bélarus examinés par notre ancien collègue et spécialiste des disparitions forcées, Christos Pourgourides 
			(4) 
			<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?fileid=10456'>Doc.
10062</a> du 4 février 2004 «Personnes disparues au Bélarus» et <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?fileid=17210'>Résolution
1371 (2004)</a>, rapporteur: Christos Pourgourides (Chypre, PPE/DC)., restent toujours impunis.
2. L’incertitude dans laquelle vivent la famille et les proches des disparus a un impact social, juridique et économique néfaste sur les proches ainsi que sur l’ensemble des communautés auxquelles ils appartiennent. Ceci menace la stabilité et empêche une réconciliation durable entre les parties au conflit, même quand celui-ci a cessé depuis longtemps.
3. Malgré les efforts de la communauté internationale et de certains acteurs locaux, force est de constater un manque de coordination et de coopération entre les pays concernés. De plus, les enquêtes au niveau national sont souvent closes ou inactives depuis longtemps 
			(5) 
			Personnes disparues
et victimes de disparition forcée en Europe; table ronde avec des
défenseurs des droits de l'homme, Strasbourg, 22 février 2017, p.
6, <a href='https://www.refworld.org/docid/58c684db4.html'>www.refworld.org/docid/58c684db4.html</a>.. Le passage du temps rend plus difficile, mais pas impossible l’identification des corps, comme l’ont expliqué les experts archéologues légistes invités par notre collègue Frank Schwabe (Allemagne, SOC) dans le cadre de son rapport en préparation sur la situation dans le Caucase du nord.
4. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, intégrée dans les Lignes Directrices adoptées par le Comité des Ministres en 2011 
			(6) 
			«Éliminer
l’impunité pour les violations graves des droits de l’homme», <a href='https://rm.coe.int/1680695d6f'>https://rm.coe.int/1680695d6f</a>., les États ont une obligation inconditionnelle d’enquêter sur toutes les allégations sérieuses de violations des articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5) et de sanctionner de telles violations. Or, le rapport du 22 février 2017 du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe met en lumière l’exécution lente et incomplète des nombreux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme constatant des violations «procédurales» de l’article 2 sous forme d’absence d’enquête sérieuse dans des cas de disparitions forcées dans plusieurs États et notamment dans la région du Caucase du nord, en Fédération de Russie 
			(7) 
			Table ronde, 22 février
2017, op. cit., p. 6..
5. Un nouvel enjeu dans ce domaine est la «disparition» de personnes vivant dans un État membre du Conseil de l’Europe, souvent bénéficiant du statut de réfugié politique et qui sont kidnappées par les services spéciaux d’un État étranger, souvent extra-européen, avec ou sans la collusion des services du pays hôte. De tels enlèvements (ou «extraditions extrajudiciaires» en cas de collusion) sont évidemment illégaux et violent les droits humains. Il conviendra d’évaluer l’ampleur de ce phénomène et de réfléchir à des propositions visant à éradiquer de telles pratiques. Ce sera la tâche de notre collègue Christopher Chope (Royaume-Uni, CE/AD), rapporteur nouvellement élu sur le sujet de «La répression transnationale, une menace croissante pour l'État de droit et les droits de l'homme».
6. Depuis les grandes vagues migratoires, en particulier depuis 2015, un autre type de disparition a pris une ampleur inquiétante – celle de migrants, et notamment de migrants mineurs non accompagnés par leurs parents. Ces jeunes, souvent envoyés sur des routes difficiles et dangereuses par leurs familles qui espèrent pouvoir les rejoindre une fois qu’ils sont accueillis dans les systèmes d’aide aux mineurs en détresse des États européens, sont une proie facile des trafiquants d’êtres humains. Nombre d’entre eux disparaissent dans des réseaux d’esclavage, d’exploitation sexuelle ou même de trafic d’organes. Sur la base de deux rapports de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, l’Assemblée parlementaire s’est déjà prononcée à ce sujet en 2020, dans sa Résolution 2324 et sa Recommandation 2172 (2020) «Disparitions d’enfants réfugiés ou migrants en Europe» ainsi que dans sa Résolution 2354 (2020) «Une tutelle efficace pour les enfants migrants non accompagnés et séparés».

1.2. Travaux antérieurs de l’Assemblée

7. L’Assemblée a toujours fortement condamné la disparition forcée, considérant que celle-ci est «une violation très grave des droits humains, au même titre que la torture et le meurtre» 
			(8) 
			Voir
paragraphe 2 de la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?fileid=17371'>Résolution
1463 (2005)</a> «Disparitions forcées», <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?fileid=11021'>Doc.
10679</a> du 19 septembre 2005, Rapporteur: Christos Pourgourides
(Chypre, PPE/DC), 
			(8) 
			<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/X2H-Xref-ViewHTML.asp?FileID=11021&lang=fr'>http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/X2H-Xref-ViewHTML.asp?FileID=11021&lang=fr.</a>. A de nombreuses reprises, elle s’est montrée extrêmement préoccupée par le nombre élevé de personnes portées disparues notamment dans certaines régions 
			(9) 
			<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?fileid=21970'>Résolution
2067 (2015).</a>. La Recommandation 1056 (1987) «Réfugiés nationaux et personnes disparues à Chypre» constate que de nombreux cas de disparitions ayant suivi l’intervention turque en 1974 n’étaient pas encore résolus. C’est d’ailleurs toujours le cas, malgré plusieurs arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après «la Cour») 
			(10) 
			Voir affaires Chypre c. Turquie et Varnava et autres c. Turquie, voir
également paragraphes 30, 33 et 34 ci-dessous. et quelques progrès depuis la création du Comité des personnes disparues (CMP) 
			(11) 
			Voir paragraphe 34
ci-dessous.. La Résolution 1553 (2007) «Personnes disparues en Arménie, en Azerbaïdjan et en Géorgie, dans les confits touchant les régions du Haut-Karabakh, d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud» se penche sur les aspects humanitaires des disparitions forcées dans les zones de conflit et leur effet néfaste sur les perspectives de réconciliation durable. En 2013, l’Assemblée s’est saisie à nouveau de cette question, toujours d’une triste actualité, dans sa Résolution 1956 (2013) «Les personnes portées disparues dans les conflits européens: le long chemin pour trouver des réponses humanitaires». Dans ce texte, l’Assemblée a formulé cinq priorités pour résoudre le problème des personnes portées disparues au cours de conflits: (i) placer les familles concernées au centre de toutes les actions, (ii) développer une législation nationale appropriée, (iii) obtenir le soutien des mécanismes nationaux et régionaux, (iv) rendre accessible l’information sur les personnes disparues, et (v) utiliser des moyens techniques de pointe pour localiser et identifier les dépouilles humaines des personnes disparues et enregistrer leurs identités. La Résolution 2067 (2015) «Les personnes portées disparues pendant le conflit en Ukraine» s’est alarmée du nombre élevé, et encore croissant, de disparitions signalées dans les zones d’opérations militaires de certaines parties des régions ukrainiennes de Donetsk et Lougansk et dans la Crimée occupée.
8. En plus de ces résolutions centrées surtout sur certaines aires géographiques, l’Assemblée s’est aussi engagée pour le renforcement du cadre juridique de la lutte contre les disparations forcées, tant au niveau international qu’au niveau national. Dans sa Résolution 1463 (2005) et la Recommandation 1719 (2005) «Disparitions forcées», l’Assemblée définit la «disparition forcée» comme recouvrant «la privation de liberté, le refus de reconnaître cette privation de liberté ou de révéler le sort réservé à la personne disparue et le lieu où elle se trouve, et la soustraction de la personne à la protection de la loi.» La définition doit aussi prendre en compte de tels actes lorsqu’ils sont «commis par des acteurs non étatiques comme des groupes paramilitaires, des escadrons de la mort, des combattants rebelles ou des bandes criminelles organisées.» L’Assemblée considère que la lutte contre les disparitions forcées relève d’abord et avant tout de la responsabilité des États concernés. Mais vu «l’incapacité, et dans de rares cas l’absence de volonté, de certains États d’assurer une protection efficace contre la disparition forcée, il est en outre de la plus haute importance d’établir un cadre juridique international clairement défini» 
			(12) 
			<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?fileid=17371'>Résolution
1463 (2005)</a>, paragraphes 3 et 5.. Pour cette raison, l’Assemblée a invité instamment tous les États membres du Conseil de l’Europe à soutenir l’adoption, au sein des Nations Unies, d’un d’instrument juridique contraignant – la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, alors en préparation (voir ci-dessous titre 2.1.). Dans la même résolution, l’Assemblée a énuméré les éléments suivants, à prendre en compte dans le futur instrument juridique contraignant de lutte contre les disparition forcées: (i) une définition précise de la disparition forcée, suffisamment large pour viser également les acteurs non étatiques; (ii) la reconnaissance des proches de la personne disparue comme des victimes à part entière et l’affirmation de leur «droit à la vérité»; (iii) des mesures efficaces contre l’impunité des auteurs de disparitions forcées; (iv) des mesures préventives appropriées; (v) un droit complet à la réparation, y compris la restitution (enquêtes efficace visant à retrouver la victime ou ses dépouilles), la réadaptation des victimes survivantes, la satisfaction équitable pour les dommages immatériels et l’indemnisation complète des ayant-droits pour toutes les conséquences économiques de la disparition; et (vi) un mécanisme international de suivi efficace, y compris une procédure d’intervention d’urgence.
9. Dans sa Résolution 1868 (2012) «La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées» (ci-après CED), l’Assemblée s’est félicitée de l’entrée en vigueur de cette convention, intervenue le 23 décembre 2010 et a constaté que celle-ci représentait des avancées notables. Elle a donc invité les États membres du Conseil de l’Europe qui ne l’ont pas encore fait à signer et à ratifier cet instrument et à reconnaître la compétence du Comité des disparitions forcées à examiner les communications de particuliers qui affirment être victimes de violations de cette convention, en suivant l’exemple de la Belgique, de l’Espagne, de la France, du Monténégro, des Pays-Bas et de la Serbie. L’Assemblée a néanmoins regretté que certaines des recommandations formulées dans sa Résolution 1463 (2005) n’aient pas été prises en compte dans cette convention, notamment parce qu’elle (i) n’inclut pas pleinement dans la définition des disparitions forcées qui sont de la responsabilité des acteurs non étatiques; (ii) reste muette sur la nécessité d’établir un élément intentionnel subjectif constitutif du crime de disparition forcée, (iii) s’abstient de limiter les amnisties ou les immunités de juridiction et autres; et (iv) limite fortement la compétence temporelle du Comité des disparitions forcées. Par conséquent, l’Assemblée a invité le Comité des Ministres à envisager l’engagement d’un processus de préparation de négociations, dans le cadre du Conseil de l’Europe, d’une convention européenne pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (Recommandation 1995 (2012)) 
			(13) 
			Basée,
comme la <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?fileid=18076'>Résolution
1868 (2012)</a>, sur le rapport de Christos Pourgourides (Doc. 12880 (2012)).. Le Comité des Ministres, dans sa réponse à l’Assemblée 
			(14) 
			Adoptée
lors de la 1159ème réunion des délégués
des ministres du 16 janvier 2013., a jugé cette invitation prématurée, tout en s’engageant à suivre de près le fonctionnement dans la pratique de la convention internationale.

2. Mécanismes internationaux et législations nationales concernant les personnes victimes de disparitions forcées

2.1. La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées

10. La pièce maîtresse des instruments juridiques internationaux en la matière est la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Elle est le résultat d’efforts de longue haleine déployés au sein des Nations Unies par des organisations non gouvernementales, et un certain nombre d’États, en particulier la France. La convention est un instrument contraignant, pour tous les États parties, de lutte contre les disparitions forcées. Elle oblige les États, entre autres, à ériger la disparition forcée en un crime spécifique dans leur droit pénal national (articles 4 et 6) et à prescrire des «peines appropriées» qui tiennent compte de «l’extrême gravité» de ce crime (article 7); et elle stipule que «[a]ucun ordre ou instruction émanant d'une autorité publique, civile, militaire ou autre, ne peut être invoqué pour justifier un crime de disparition forcée» (article 6.2).
11. Le crime de disparition forcée y est défini comme «l’arrestation, la détention, l’enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté par des agents de l’État ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi» (article 2). Cette définition inclut donc aussi les acteurs non-étatiques comme les «escadrons de la mort» à condition que leurs activités soient tolérées de facto par l’État concerné, mais pas les organisations criminelles «ordinaires» (par exemple mafieuses).
12. Les États parties doivent aussi prendre un certain nombre de mesures de prévention, notamment l’interdiction de toute détention secrète 
			(15) 
			Voir par
exemple le rapport de Dick Marty (Suisse, ADLE) «<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?fileid=11555&lang=FR&search=bWFydHkgY2lh'>Détentions
secrètes et transferts illégaux de détenus impliquant des États
membres du Conseil de l’Europe: second rapport </a>» du 11 juin 2007 (<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?fileid=11555'>Doc.
11302</a>).; la création d’un cadre juridique clair pour toute privation de liberté, y compris la désignation des autorités habilitées à priver des personnes de leur liberté et la création d’un registre des lieux de privation de liberté qui doivent être officiellement reconnus et contrôlés; la garantie pour toute personne privée de sa liberté de pouvoir communiquer avec sa famille, son conseil ou toute autre personne de son choix et à recevoir leur visite; un droit de recours efficace contre la privation de liberté; et la création d’un registre officiel des personnes détenues avec toutes les données nécessaires pour suivre leur état de santé et pour les localiser, y compris, le cas échéant, l'heure de la libération ou du transfert vers un autre lieu de détention, la destination et l'autorité chargée du transfert (article 18).
13. La convention régit en outre le droit de la victime d’obtenir réparation et le droit des familles affectées de savoir la vérité (article 24, alinéa 2). L’État a l’obligation d’ouvrir rapidement une enquête approfondie et impartiale dès qu’il y a des indications sérieuses qu’une disparition forcée a eu lieu (article 12). La convention reconnaît aussi expressément le caractère continu du crime de disparition forcée, de sorte que le délai de prescription ne commence à courir que lorsque cesse le crime (article 8).
14. La plus grande innovation apportée par la CED est la création du Comité des disparitions forcées (article 26) chargé de mettre en œuvre les dispositions de la convention. Ce comité est composé de dix experts de haute moralité, possédant une compétence reconnue dans le domaine des droits humains, indépendants, siégeant à titre personnel et agissant en toute impartialité. Parmi les membres actuels, quatre sont européens (avec date d’expiration de leurs mandats):

M. Olivier de FROUVILLE  (Vice-Président)

France

30 juin 2023

Mme Milica KOLAKOVIC-BOJOVIC (Vice-Présidente)

Serbie

30 juin 2025

Mme Barbara LOCHBIHLER 

Allemagne

30 juin 2023

M. Juan José LOPEZ ORTEGA

Espagne

30 juin 2023

15. Ce comité a des pouvoirs inédits au niveau du droit international (à l’exception du système de la Convention européenne des droits de l’homme). Il dispose notamment, dans le cadre de la procédure dite d’urgence, d’un véritable pouvoir d’injonction, qui n’est pas facultatif 
			(16) 
			Voir
Bérangère Taxil, «A la confluence des droits: la Convention pour
la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées»,
Annuaire français de droit international, LIII – CNRS Éditions,
Paris 2007, disponible à: 
			(16) 
			<a href='https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_2007_num_53_1_3972'>www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_2007_num_53_1_3972.</a>, donc non soumis à l’acceptation expresse par l’État partie comme c’est le cas du pouvoir de recevoir des «communications» (plaintes) de particuliers contre un État (voir l’article 30 sur la procédure d’urgence et les articles 31 et 32 sur les communications de particuliers ou par un autre État partie concernant un autre). La procédure d’urgence, permettant de signaler rapidement, dans les 48 heures, une disparition forcée présumée et d’obtenir des réponses des autorités du pays concerné, est une vraie avancée. En revanche, pour que des communications de particuliers (ou par un autre État) soient recevables, il faut que l’État concerné ait fait une déclaration pour reconnaître la compétence du comité pour traiter de tels cas.
16. Malheureusement, la CED ne s’applique qu’aux disparitions forcées survenues après son entrée en vigueur, ou après sa ratification par l’État concerné.
17. En fin de compte, la convention inclut la plupart des propositions développées par l’Assemblée dans ses résolutions précitées. Il est donc urgent de faire en sorte que tous les États membres du Conseil de l’Europe, ainsi que les États observateurs ou ceux dont les parlements bénéficient d’un statut spécial auprès de l’Assemblée, signent et ratifient cette convention et acceptent la juridiction du Comité des disparitions forcées pour les communications individuelles et inter-étatiques.
18. Voici la liste des États membres du Conseil de l’Europe qui ont signé et/ou ratifié la convention et accepté la compétence du Comité des disparitions forcées pour les communications individuelles et inter-étatiques (articles 31 et 32); les États parties à la Convention en gras:

Pays

signature

ratification

déclaration

Albanie

+

+

31, 32

Armenie

+

+

-

Autriche

+

+

31, 32

Azerbaïdjan

+

-

-

Belgique

+

+

31, 32

Bosnie et Herzégovine

+

+

31, 32

Bulgarie

+

-

-

Croatie

+

-

-

Chypre

+

-

-

République Tchèque

+

+

31, 32

Danemark

+

-

-

Finlande

+

-

-

France

+

+

31, 32

Allemagne

+

+

31, 32

Grèce

+

+

-

Islande

+

-

-

Irlande

+

-

-

Italie

+

+

-

Liechtenstein

+

-

-

Lituanie

+

+

31, 32

Luxembourg

+

-

-

Malte

+

+

-

Monaco

+

-

-

Montenegro

+

+

31, 32

Pays-Bas

+

+

31, 32

Macédoine du Nord

+

-

-

Norvège

+

+

-

Pologne

+

-

-

Portugal

+

+

31, 32

Moldova

+

-

-

Roumanie

+

-

-

Serbie

+

+

31, 32

Slovaquie

+

+

31, 32

Slovénie

+

-

-

Espagne

+

+

31, 32

Suède

+

-

-

Suisse

+

+

31,32

Ukraine

+

+

31, 32

19. Si 11 États membres du Conseil de l’Europe sont parties à la Convention, il reste malheureusement 26 États membres qui ne l’ont ni signée ni ratifiée. Dix-sept autres ont signé la CED mais ne l’ont pas encore ratifiée. Parmi les États parties européens, 5 (Arménie, Grèce, Italie, Malte, Norvège) n’ont pas encore fait la déclaration prévue aux articles 31 et 32. Il est donc urgent d’appeler tous ces États membres à procéder rapidement à la signature ou la ratification de la convention, ou à déposer les déclarations permettant au Comité des disparitions forcées de recevoir des communications individuelles et inter-étatiques.

2.2. Le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires

20. Le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires (WGEID) a été créé en 1980 par la Commission des droits de l’homme (remplacée entre-temps par le Conseil des droits de l’homme), organe intergouvernemental du système des Nations Unies. Le WGEID est composé de cinq membres élus à titre personnel par la Commission et par la suite par le Conseil des droits de l’homme. Il a pour mandat d’aider les familles des personnes disparues à découvrir ce qui est arrivé à leurs proches. A cette fin, le WGEID reçoit et examine des communications qui émanent des familles des personnes disparues ou d’organisations de défense des droits humains agissant en leur nom. Le Groupe de travail transmet ces cas individuels aux gouvernements concernés en leur demandant de procéder à des enquêtes et de l’informer ensuite des résultats. Le WGEID s’occupe des affaires qui lui sont signalées sur une base purement humanitaire, que les gouvernements aient ratifié ou non les instruments juridiques en vigueur prévoyant une procédure pour le dépôt de plaintes individuelles.
21. L’adoption par l’Assemblée générale des Nations Unies de la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées a marqué un progrès indéniable, expression d’un consensus de la communauté internationale contre les disparitions forcées. La déclaration condamne sans équivoque les disparitions forcées et résume de manière assez complète les obligations qui incombent aux États pour prévenir et sanctionner les auteurs de disparitions forcées et pour venir en aide aux victimes et à leurs proches. La déclaration ne comporte cependant aucun mécanisme de mise en œuvre et de contrôle. Le WGEID a assumé partiellement ce rôle en évaluant les progrès réalisés par les États dans l’exercice de leurs obligations découlant de la déclaration et en assistant les gouvernements dans leur mise en œuvre. A ce titre, le groupe de travail joue un rôle de prévention, puisqu’il aide les États à surmonter les obstacles à la réalisation de la déclaration. Il peut effectuer des visites dans les pays et offrir, sur demande, des services consultatifs.
22. Depuis l’entrée en vigueur, le 23 décembre 2010, de la CED et l’établissement du Comité sur les disparitions forcées, le comité basé sur la CED d’un côté et le WGEID de l’autre coexistent et s'efforcent de collaborer et de coordonner leurs activités dans le but commun de prévenir et à éliminer les disparitions forcées.

2.3. La Commission internationale pour les personnes disparues

23. La Commission internationale pour les personnes disparues (ICMP) travaille avec des gouvernements, des organisations de la société civile, des institutions judiciaires, des organisations internationales et d'autres acteurs à travers le monde pour traiter la question des personnes disparues à la suite d'un conflit armé, de violations des droits humains, de catastrophes naturelles, du crime organisé, de la migration irrégulière et d'autres causes. Elle est la seule organisation internationale exclusivement chargée de cette problématique. Parmi les États européens, seuls la Belgique, Chypre, Luxembourg, les Pays-Bas, la Serbie, la Suède et le Royaume-Uni sont membres à part entière et la République tchèque, le Danemark, l’Allemagne, l’Irlande, la Norvège et la Suisse ont un statut d’observateur, de même que certains organismes internationaux comme l’Union européenne, la Cour Pénale Internationale, Interpol et l’Organisation Internationale des Migrations.
24. L’ICMP soutient le développement des capacités des institutions compétentes et fournit une expertise technique pour localiser et identifier les personnes disparues. Elle aide les gouvernements à développer une législation appropriée pour sauvegarder les droits des familles des disparus et propose des programmes de formation et d'éducation.
25. L’ICMP a participé à l'excavation de plus de 3 000 tombes collectives et clandestines et a promu avec succès l'application de techniques médico-légales avancées pour localiser et retrouver des personnes disparues. L’organisation dispose d'un centre de recherche en ligne (Online Inquiry Center – OIC) et d'un système de gestion des données d'identification (Identification Data Management System – iDMS) qui gèrent toutes les données relatives à son processus de recherche de personnes disparues. Elle exploite le premier système d'identification humaine par ADN à haut débit au monde. À ce jour, plus de 20 000 personnes disparues dans le monde ont été identifiées grâce à l'ADN avec l'aide de l'ICMP.

2.4. Le cadre juridique national dans les États membres

26. Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a organisé, les 30 juin et 1 juillet 2016 une table ronde sur le sujet des disparitions forcées en Europe, se concentrant sur les droits des victimes et la législation existante. Un rapport publié le 22 février 2017 souligne le manque d’efficacité de la législation de certains pays, notamment la codification inadéquate du crime de disparition forcée. Début 2017, seuls 15 États membres du Conseil de l’Europe avaient reconnu la compétence du Comité des disparitions forcées créé par la CED pour l’examen de plaintes individuelles 
			(17) 
			Table ronde, 22 février
2017, op. cit., para. 12..
27. Un participant de la table ronde a suggéré qu'il serait peut-être préférable d'inclure des dispositions légales concernant les personnes disparues et leurs proches dans différents textes législatifs, plutôt que de disposer d'une loi unique qui risquerait de ne pas être appliquée dans son ensemble. En fait, un cadre juridique efficace, complet et harmonisé pour traiter les disparitions forcées exige que des dispositions soient adoptées au moins en droit pénal, civil, administratif et en droit de la famille 
			(18) 
			Ibid.
para. 13.. Selon les participants, des considérations politiques, le manque de moyens et la coopération insuffisante avec les acteurs de la société civile, y compris les défenseurs des droits humains et les associations spécialisées, ont pesé sur l'efficacité du travail des organismes nationaux compétents en matière de disparition 
			(19) 
			Ibid. para. 24.. Le rapport réitère la nécessité de codifier la disparition forcée en tant qu'infraction pénale distincte et continue dans le droit pénal national. Le caractère continu du crime est d’une importance particulière pour freiner la prescription et sauvegarder les droits des proches dans la durée. Le rapport recommande aussi la création d’un système de notification de cas de disparation au niveau national et de délivrance d’un certificat officiel d’absence de la personne disparue aux familles affectées pour les aider à régulariser leur situation juridique 
			(20) 
			Ibid.
para. 21..

3. Exemples de disparitions forcées: vue d’ensemble de la situation en Europe

28. L’Ukraine figure parmi les États membres du Conseil de l’Europe qui ont ratifié la CED dès 2015 et accepté la compétence du Comité des disparitions forcées. Mais ce dernier, dans son rapport du 20 juin 2018 
			(21) 
			Haut-Commissariat des
Nations unies aux droits de l'homme: «Disappearances in Ukraine:
Concerns and challenges in the current context»: 
			(21) 
			<a href='https://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=23228&LangID=E'>www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=23228&LangID=E</a>., rappelle qu’au cours des trois années précédentes, la convention n’avait toujours pas été transposée en droit ukrainien. En 2015, l’Assemblée s’est montrée préoccupée par la situation dans ce pays du fait des nombreux conflits armés 
			(22) 
			Voir Doc. 13808 (2015) «Les personnes portées disparues pendant le conflit
en Ukraine», rapporteur: Jim Sheridan (Royaume Uni, SOC).. La situation des personnes disparues est particulièrement inquiétante. Entre 2014 et 2017, 2 727 personnes – soldats et civils – ont été portées disparues. Un rapport d'enquête diffusé par la chaîne de télévision indépendante ukrainienne Hromadske le 15 mars 2016, a fait état de la détention secrète de plusieurs personnes par le SBU (Service de Sécurité d’Ukraine) à Kharkiv. En juillet 2016, Human Rights Watch et Amnesty International ont publié un rapport conjoint faisant état de neuf cas de détention arbitraire et prolongée de civils par les autorités ukrainiennes, y compris des disparitions forcées. Les deux organisations ont également répertorié neuf cas de détention arbitraire et prolongée de civils par des groupes armés soutenus par la Russie 
			(23) 
			Voir
Human Rights Watch, «Ukraine, Justice Needed for Former Secret Prison
Detainees (2018)»:<a href='https://www.refworld.org/cgi-bin/texis/vtx/rwmain?page=search&docid=5b39f1fb4&skip=0&query=enforced%20disappearances&searchin=fulltext&sort=date'> www.refworld.org/cgi-bin/texis/vtx/rwmain?page=search&docid=5b39f1fb4&skip=0&query=enforced%20disappearances&searchin=fulltext&sort=date</a>.. Selon un rapport du Kharkiv Human Rights Protection Group, 1 148 personnes étaient toujours portées disparues en mai 2018, dont 998 civils 
			(24) 
			Kharkiv
Human Rights Protection Group, «Enforced disappearances in Ukraine
and disappearances during the war conflict in the east in 2014-2018»,
Kharkiv 2018, disponible à: <a href='http://khpg.org/files/docs/1528705418.pdf'>http://khpg.org/files/docs/1528705418.pdf</a>..
29. En 2018 également, la délégation du Comité International de la Croix-Rouge (CICR) en Ukraine a estimé que plus de 1 500 personnes étaient portées disparues en raison du conflit dans l’est de l’Ukraine 
			(25) 
			Voir <a href='http://ua.icrc.org/2018/10/04/international-experts-gather-in-Kyiv-to-catalyze-action-for-missing-persons-eng'>http://ua.icrc.org/2018/10/04/international-experts-gather-in-Kyiv-to-catalyze-action-for-missing-persons-eng.</a>. En Crimée, depuis son annexion illégale par la Russie en 2014, de nombreux cas de disparitions suspectes, notamment d’activistes tatars et d’autres groupes loyaux à l’Ukraine, ont été signalés 
			(26) 
			Haut-Commissariat
des Nations unies aux droits de l'homme: Situation of human rights
in the temporarily occupied Autonomous Republic of Crimea and the
city of Sevastopol (Ukraine): <a href='https://www.ohchr.org/Documents/Countries/UA/Crimea2014_2017_EN.pdf'>www.ohchr.org/Documents/Countries/UA/Crimea2014_2017_EN.pdf</a>.. Selon l’ONG CrimeaSOS, 44 personnes ont été victimes de disparitions forcées depuis l’annexion de la Crimée. Le sort de 15 d’entre elles reste inconnu 
			(27) 
			Voir
«<a href='https://uacrisis.org/en/crimea-new-research'>Enforced
disappearances in Crimea: new research attempts to shed light on
what happened»,  UACRISIS.ORG</a> (avec les noms des personnes disparues)..
30. Depuis 2014, et avec l’aide de l’ICMP, l’Ukraine a pris des mesures positives importantes en ce qui concerne les personnes disparues. Un centre inter-agences a été créé dès septembre 2014 pour venir en aide aux familles et dresser une liste unifiée des personnes disparues. Une loi sur le statut juridique des personnes disparues est entrée en vigueur en août 2018, suivie de deux décrets d’application, dont un porte création d’une Commission des personnes disparues. Le 2 juillet 2021, cette commission et l’ICMP ont signé un protocole d’accord visant à renforcer la commission et à établir les registres centraux préconisés par la CED.
31. S’agissant de la Fédération de Russie, la Cour Européenne des droits de l’homme a rendu, depuis 2017, plus de 150 arrêts concernant des violations des droits humains dans le Caucase du nord, la plupart en Tchétchénie, dont 60% sont liés à des disparitions forcées 
			(28) 
			Doc. 12276, 4 juin 2010, «Recours juridiques en cas de violations
des droits de l’homme dans la région du Caucase du Nord».. Dans ce contexte, la Cour a jugé la Fédération de Russie responsable de violations des article 2 (droit à la vie), 3 (interdiction de la torture) 5 (droit à la liberté et à la sûreté) et 13 (droit à un recours effectif) 
			(29) 
			Voir: Israilova and others v. Russia (appl.
4571/04), Vakayeva and others v. Russia (no.2220/05), Bitiyeva and others v. Russia (2009), Ilyasova v. Russia (no. 26966/06), Chitayev and Chytayev v. Russia (2007)
etc.. Dans son rapport sur la situation des droits humains dans le Caucase du nord, 
			(30) 
			Doc. 12276 (2010) op. cit. l’Assemblée constate que le processus de mise en œuvre de ces arrêts n’a pas mis fin au climat d’impunité des auteurs de disparitions forcées dans cette région 
			(31) 
			Ibid. para.
32.. Ceci est d’autant plus incompréhensible que selon la pratique établie du Comité des Ministres, qui contrôle l’exécution des arrêts de la Cour, les mesures d’exécution requises en cas de violation «procédurale» des articles 2 et 3 (violation sous forme d’absence d’enquête effective) incluent le «rattrapage» des enquêtes non effectuées. Malgré le grand nombre de disparitions forcées en Tchétchénie (les estimations vont de 3 000 à 5 000 personnes disparues pendant et après les deux conflits armés) 
			(32) 
			Voir Amnesty International,
«Russie: quelle justice pour les disparus de Tchétchénie?», Index
AI: EUR 46/015/2007 
			(32) 
			Disponible à: <a href='https://www.amnesty.org/download/Documents/64000/eur460152007fr.pdf'>https://www.amnesty.org/download/Documents/64000/eur460152007fr.pdf</a>., la Tchétchénie ne disposerait même pas d’un laboratoire de médecine légale capable d’identifier les dépouilles humaines à l’aide de l’ADN.
32. Un rapport de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) 
			(33) 
			Rapporteur
spécial de l’OSCE Wolfgang Benedek (Autriche), «Report under the
Moscow Mechanism on alleged Human Rights Violations and Impunity
in the Chechen Republic of the Russian Federation (21 December 2018)»: <a href='https://www.osce.org/odihr/407402?download=true'>www.osce.org/odihr/407402?download=true</a>, pp. 10-11; voir aussi Human Rights Watch, Events in
Russia 2017: <a href='https://www.hrw.org/world-report/2018/country-chapters/russia'>www.hrw.org/world-report/2018/country-chapters/russia</a>. note que la pratique des disparitions forcées continue de sévir en Tchétchénie, sous forme de détentions illégales suivies soit par une «légalisation» de la détention grâce à des «aveux» obtenus sous la torture, soit par des exécutions extrajudiciaires, comme dans «l’affaire des 27» en janvier 2017. Le rapporteur de l’OSCE ajoute que des extraditions de réfugiés tchétchènes vers la Russie ont contribué à des persécutions en Tchétchénie, y compris des disparitions.
33. L’Assemblée, dans sa Résolution 2157 (2017) et sa Recommandation 2099 (2017) «Les droits humains dans le Caucase du nord: quelles suites donner à la Résolution 1738 (2010)?» a observé que l’exécution des 247 arrêts du groupe d’affaires concernant les diverses violations des droits humains dues aux agissements des forces de sécurité dans le Caucase du nord (groupe d’affaires Khashiyev et Akayeva) est «extrêmement insatisfaisante» et «que la situation de la protection des droits humains et du respect de l’État de droit au Caucase du nord demeure l’une des plus graves de l’ensemble de l’espace géographique du Conseil de l’Europe». Dans sa Recommandation 2099 (2017), l’Assemblée avait invité le Comité des Ministres à «continuer à accorder la plus grande attention à l’évolution de la situation des droits humains» dans cette région et, concernant l’exécution des arrêts susvisés, l’a encouragé à «continuer de mettre l’accent sur les mesures individuelles et générales destinées à mettre un terme au climat d’impunité, et en particulier à continuer de résister aux tentatives des autorités russes, qui cherchent à profiter de la prescription et des lois d’amnistie pour assurer une impunité complète aux auteurs des violations des droits humains même les plus flagrantes». Je suis navré que nous soyons obligés d’adresser à nouveau une recommandation dans ce sens au Comité des Ministres.
34. Dans les pays du Caucase du Sud (Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie), des actes de guerre ont eu un impact dévastateur sur la population civile, avec de nombreuses violations des droits humains, y compris des disparitions forcées. Les régions du Haut Karabakh, de l’Ossétie du sud et de l’Abkhasie, notamment, ressemblent à des «trous noirs» où les mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe n’ont qu’un accès très limité. Dès 2007, l’Assemblée avait mis en lumière dans la Résolution 1553 (2007) sa préoccupation quant aux allégations de détention secrète de personnes portées disparues dans ces trois régions du Caucase du sud. Le conflit armé survenu en 2008 entre la Géorgie et la Fédération de Russie a causé une véritable crise humanitaire, y compris des disparitions forcées 
			(34) 
			<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?fileid=17541'>Résolution
1553 (2007)</a> «Personnes disparues en Arménie, en Azerbaïdjan et en
Géorgie dans les conflits touchant les régions du Haut-Karabakh,
d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud».. En 2013, l’Assemblée constatait le manque de progrès dans la résolution du problème des disparitions forcées. Notamment dans la région de Haut-Karabakh, près de 5 000 personnes étaient toujours portées disparues depuis le premier conflit . 
			(35) 
			Voir <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-EN.asp?fileid=20017'>Doc.
13294</a> (2013).
35. Lors du deuxième conflit dans cette région meurtrie, en automne 2020 
			(36) 
			Voir «Congressional
Research Service Reports, Azerbaijan and Armenia: the Nagorno Karabakh
Conflict», 7 janvier 2021, <a href='https://crsreports.congress.gov/product/pdf/R/R46651'>https://crsreports.congress.gov/product/pdf/R/R46651</a>., au cours duquel l’Azerbaïdjan a reconquis une partie des territoires perdus lors du premier conflit, d’autres cas de disparition ont été signalés. Il s’agit notamment de prisonniers de guerre qui auraient dû être libérés selon l’accord de cessez-le-feu. En février 2021, les mandataires des procédures spéciales onusiennes compétents 
			(37) 
			Ces experts sont: Nils
Melzer, Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants; Tae-Ung Baik (Président-Rapporteur),
Henrikas Mickevičius (Vice-président), Aua Balde, Bernard Duhaime et
Luciano Hazan, du Groupe de travail sur les disparitions forcées
ou involontaires; Agnès Callamard, Rapporteure spéciale sur les
exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires. ont appelé conjointement à la libération rapide des prisonniers de guerre et autres captifs du récent conflit et au retour des corps auprès des familles:
«Toute personne privée de liberté pour des raisons liées au conflit doit être renvoyée chez elle et les proches des personnes tuées doivent pouvoir recevoir la dépouille mortelle de leurs proches, conformément à l'accord de cessez-le-feu signé le 9 novembre 2020 […] Le fait de ne pas divulguer les informations sur le sort et la localisation des personnes disparues et le refus de remettre la dépouille d’un défunt peut constituer une disparition forcée, que l'Azerbaïdjan et l'Arménie se sont engagées à empêcher.» 
			(38) 
			<a href='https://news.un.org/fr/story/2021/02/1088232'>«Haut-Karabakh:
des experts de l’ONU réclament la libération rapide des captifs»,
ONU Info (un.org).</a>
36. Concernant la Turquie et Chypre, l’Assemblée s’est félicitée dans sa Résolution 1628 (2008) des efforts accomplis par le Comité des personnes disparues à Chypre 
			(39) 
			<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?fileid=17672'>Résolution
1628</a> (2008) «Situation à Chypre».. Le problème des personnes disparues date des affrontements intercommunautaires dans les années 1960 ayant entraîné une intervention militaire turque en 1974. En tout, 1 510 Chypriotes grecs et 492 Chypriotes turcs sont portés disparus. Le Comité des personnes disparues (CMP) établi en 1981 sous l’égide des Nations Unies a lancé un projet bi-communautaire portant sur l’exhumation, l’identification et la restitution des dépouilles des personnes disparues. Selon son mandat, il ne cherche pas à établir la responsabilité du décès des personnes disparues et ne se prononce pas sur la cause des décès. Au 31 octobre 2021, le CMP a retrouvé les dépouilles de 1 180 personnes et identifié 1 020 personnes appartenant aux deux communautés (729 Chypriotes grecs sur les 1 510 disparus de cette communauté; et 291 Chypriotes turcs sur les 492 disparus de cette communauté) 
			(40) 
			<a href='https://www.cmp-cyprus.org/statistics/'>Statistics
– CMP (cmp-cyprus.org).</a>.
37. Le Comité des Ministres examine la question des personnes portées disparues après l’intervention militaire turque en 1974, dans le cadre de l’examen de la mise en œuvre des arrêts Chypre c. Turquie et des affaires du groupe Varnava et autres c. Turquie. Lors du dernier examen de cette question en mars 2021 (1398e réunion (DH), les 9-11 mars 2021), le Comité des Ministres a de nouveau appelé les autorités turques à donner au CMP, toute l'assistance nécessaire afin qu'il puisse continuer à obtenir des résultats tangibles dans les plus brefs délais. Il souligne que le CMP devrait avoir accès à toutes les zones pouvant contenir les dépouilles de personnes disparues, en particulier aux zones militaires, et que, vu le temps qui passe, il a un besoin urgent de preuves documentaires pour pouvoir continuer à identifier d'éventuels lieux d’inhumation. Ainsi, les autorités turques ont été invitées à fournir au CMP toutes les informations, émanant de toutes les archives pertinentes en leur possession, y compris des archives militaires, sur les lieux d’inhumation et sur tout autre endroit où des dépouilles pourraient être trouvées. Le Comité des Ministres a également noté avec intérêt les informations fournies par les autorités turques sur l'état d'avancement des enquêtes menées par l'Unité des Personnes Disparues (MPU), et sur la finalisation de l’enquête concernant l'une des personnes disparues dans l'affaire Varnava et autres. Il a de nouveau demandé aux autorités turques de garantir l'effectivité des enquêtes de la MPU, ainsi que leur achèvement rapide.
38. Malgré quelques progrès récents, je suis choqué par le fait que l’arrêt de la Cour, qui date de 2001 et porte sur des faits de 1974 et qui constituent des violations extrêmement graves des droits humains comme le sont les disparitions forcées massives, ne soit toujours pas pleinement exécuté, en 2021.
39. Pour sa part, le WGEID a également constaté que la Turquie n’a pas pris les mesures nécessaires pour traiter les disparitions et que de nombreuses familles ne connaissent toujours pas la vérité sur le sort de leurs proches 
			(41) 
			Assemblée
Générale A/HRC/33/51/Add.1; Rapport du groupe de travail sur les
disparitions forcées ou involontaires sur sa mission en Turquie
(27 juillet 2016), disponible à: 
			(41) 
			<a href='https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G16/166/88/PDF/G1616688.pdf?OpenElement'>https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G16/166/88/PDF/G1616688.pdf?OpenElement.</a>. Il note que le nombre de personnes disparues en Turquie a encore augmenté du fait de la crise migratoire, notamment depuis 2015. Le WGEID se soucie de la disparition d’enfants et de femmes dans les réseaux de trafic 
			(42) 
			ibid. para. 14. et critique la Turquie pour n’avoir pas érigé en infraction pénale autonome les disparitions forcées, ces dernières étant traitées comme de simples éléments d’autres infractions criminelles 
			(43) 
			ibid. para. 15..
40. Dans les Balkans, des milliers de personnes ont disparu au cours des conflits armés ayant suivi la dissolution de l’ancienne Yougoslavie. Des progrès sur l’identification des personnes disparues ont été enregistrés en Serbie, selon un rapport du WGEID après sa visite en Serbie et au Kosovo 
			(44) 
			Assemblée Générale
A/HRC/30/38/Add; «Report of the Working Group of Involuntary Disappearances
– Mission to Serbia, including Kosovo» (17 août 2015): <a href='https://www.ohchr.org/Documents/Issues/Disappearances/A-HRC-30-38-Add1_en.pdf'>www.ohchr.org/Documents/Issues/Disappearances/A-HRC-30-38-Add1_en.pdf.</a>. Environ 6 600 personnes disparues sur 8 100 au total ont été identifiées, grâce à leur ADN 
			(45) 
			Voir Doc. 12880 (2012) «La Convention internationale pour la protection de
toutes les personnes contre les disparitions forcées», para. 9<a href='http://assembly.coe.int/CommitteeDocs/2011/ajdoc45.pdf'>.</a>. En 2006, le Gouvernement serbe a établi un Département pour la recherche des personnes disparues, qui a constaté le défaut d’enregistrement de certains citoyens sur les listes des personnes disparues. La disparition forcée ne figurant pas dans le Code Pénal de 2011, il n’y a pas de mécanismes d’indemnisation pour les familles affectées. Dans le même rapport, le WGEID a pointé du doigt la difficulté d’accéder à l’information et à l’identification des personnes disparues au Kosovo 
			(46) 
			Assemblée Générale
A/HRC/30/38/Add; «Report of the Working Group of Involuntary Disappearances
– Mission to Serbia, including Kosovo» (17 août 2015) para.62: <a href='https://www.ohchr.org/Documents/Issues/Disappearances/A-HRC-30-38-Add1_en.pdf'>www.ohchr.org/Documents/Issues/Disappearances/A-HRC-30-38-Add1_en.pdf.</a>, en citant des raisons politiques, le problème ayant des conséquences sérieuses pour le maintien de la paix dans la région 
			(47) 
			Doc. 12880, op. cit., para. 10.. La représentation des Nations Unies au Kosovo a pris des mesures actives pour engager le dialogue avec le WGEID. La Commission pour les personnes disparues au Kosovo a déclaré qu’il était extrêmement difficile de travailler sur ce sujet étant donné la faible documentation fournie par les autorités 
			(48) 
			Doc. 12462 (7 janvier 2011): «Le traitement inhumain de personnes
et le trafic illicite d’organes humains au Kosovo». et le manque de coopération des autorités albanaises. Néanmoins, en 2015, le WGEID a pris note des efforts déployés par la Commission pour les personnes disparues au Kosovo. Le WGEID a été informé que le principe de non-discrimination serait appliqué, la commission visant à garantir les droits de toutes les familles des personnes disparues, indépendamment de leur origine ethnique, de leur religion ou de leur état civil 
			(49) 
			Assemblée
Générale A/HRC/30/38/Add; «Report of the Working Group of Involuntary
Disappearances – Mission to Serbia, including Kosovo (17 août 2015),
para.65: <a href='https://www.ohchr.org/Documents/Issues/Disappearances/A-HRC-30-38-Add1_en.pdf'>www.ohchr.org/Documents/Issues/Disappearances/A-HRC-30-38-Add1_en.pdf.</a>. De plus, dans le rapport de 2018, le WGEID se félicitait des efforts déployés par les autorités locales qui avaient élaboré un programme de travail pour résoudre le problème des personnes disparues. Il constatait en outre que les autorités avaient mis en place un groupe de travail chargé de modifier le cadre juridique pour fournir une réparation adéquate à toutes les victimes 
			(50) 
			Assemblée
Générale A/HRC/39/46/Add.2; «Report of the Working Group on Enforced
or Involuntary Disappearances- Missions to Croatia, Montenegro,
Serbia and Kosovo» (10 septembre 2018), para. 69: <a href='https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/G1827207.pdf'>https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/G1827207.pdf.</a>. Un autre projet salué par le WGEID est une initiative régionale (avec la participation de la Croatie, du Kosovo et du Monténégro) visant à créer une base de données qui pourra comptabiliser les cas actifs de personnes disparues 
			(51) 
			Ibid., p.152.. Pour ce qui est de l’Albanie, le WGEID se félicite de la codification de la disparition forcée en tant qu'infraction pénale distincte, conformément à la CED, et passible de sanctions appropriées. Mais le WGEID a aussi souligné que ce pays n’a pas encore élaboré de stratégie claire pour faire face à son passé totalitaire. Par conséquence, aucun progrès n'a été signalé en ce qui concerne l'exhumation des restes d'environ 6 000 personnes disparues entre 1944 et 1991 
			(52) 
			Assemblée
générale A/HRC/36/39/Add.1 (18 juillet 2017).. Selon l’ICMP, en juillet 2021, la base de données régionale des cas actifs de personnes disparues lors des conflits sur le territoire de l’ex-Yougoslavie, qui comprend les dossiers soumis par la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, le Kosovo, le Monténégro et la Serbie, comptait 11 684 personnes. Environ 18 000 personnes ont été retrouvées par les autorités sur la base des analyses d’ADN de l’ICMP et grâce à l’assistance de l’ICMP dans la localisation et l’exhumation des fosses communes 
			(53) 
			Réponse donnée par
l’ICMP à la FEMED in juillet 2021 (citée selon le rapport soumis
par M. Ewoud Plate).. Ces 18 000 cas résolus sont peut-être un premier résultat du «Sommet des Balkans occidentaux» qui s’est tenu à Londres en juillet 2018 et lors duquel les premiers ministres de ces pays se sont engagés à garantir des enquêtes impartiales et efficaces sur les cas de personnes disparues, à résoudre autant de cas que possible au cours des cinq années suivantes, à faire participer activement les familles au processus et à s’abstenir de politiser la question des personnes disparues. En novembre 2018, ces pays ont signé un plan-cadre avec l’ICMP et ont formé le Groupe des personnes disparues (MPG) pour mettre en œuvre ce plan – qui définit des actions concrètes pour rendre compte des cas restants de personnes disparues 
			(54) 
			Voir
Gabriella Citroni, «Missing personas and victims of enforced disappearances
in Europe», Council of Europe, 2016, p. 19..
41. Concernant le Belarus, un rapporteur de l’Assemblée, Christos Pourgourides (Chypre, PPE/DC) avait enquêté sur une série de disparitions d’opposants dans ce pays, constatant que des hauts représentants du gouvernement, dont le procureur général et ancien chef de l’administration présidentielle, M. Sheyman, l’ancien ministre de l’Intérieur, M. Sivakov, et un officier des forces spéciales (SOBR), le Colonel Pavlichenko étaient fortement suspectés d’avoir été impliqués dans ces affaires 
			(55) 
			Doc.10062 op. cit.. Dans sa Résolution 1371 (2004), l’Assemblée avait endossé les conclusions du rapporteur et exigé que les suspects nommés soient poursuivis par les autorités nationales compétentes. Dans sa Résolution 1671 (2009), l’Assemblée constatait que les enquêtes sur ces disparitions n’avaient toujours pas progressé, malgré les éléments fournis qu’elle avait fournis 
			(56) 
			Voir <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?fileid=17749'>Résolution
1671 (2009)</a>, paragraphe 5, et <a href='https://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-en.asp?FileID=12237&lang=en'>Doc. 11960</a>, avis de la Commission des questions juridiques et des droits
de l’homme.. L’Union européenne a inclus les quatre personnes mises en cause par l’Assemblée dans sa liste des «sanctions ciblées» 
			(57) 
			Voir
communiqué de presse du Conseil de l’Union européenne du 24 septembre
2004, <a href='https://europa.eu/rapid/press-release_PRES-04-269_en.htm?locale=FR'>https://europa.eu/rapid/press-release_PRES-04-269_en.htm?locale=FR.</a>. L’affaire a connu un rebondissement spectaculaire en 2019, quand un ancien membre du SOBR, M. Garavski, s’est dit prêt à témoigner contre M. Pavlichenko 
			(58) 
			<a href='https://www.dw.com/en/officials-in-belarus-germany-react-to-sobr-killings-report/a-51712907'>«Officials
in Belarus, Germany react to SOBR killings report», DW, 17 décembre
2019.</a>. Deutsche Welle a publié un documentaire d’enquête sur cette affaire, dans lequel M. Pourgourides et moi-même, en tant que rapporteurs compétents de l’Assemblée, figurons. Ce documentaire a recueilli une très forte audience, notamment au Bélarus 
			(59) 
			<a href='https://www.dw.com/en/assassination-in-minsk-a-witness-speaks-out/av-51695009'>www.dw.com/en/assassination-in-minsk-a-witness-speaks-out/av-51695009</a>..
42. En septembre 2021, j’ai été informé qu’un témoin clé vivant en exil en Allemagne avait reçu des menaces de mort émanant du Bélarus jugées «crédibles» par les autorités allemandes. Il s’agit de M. Alkayev, ancien directeur de la prison centrale de Minsk. M. Alkayev avait sonné l’alarme quand le pistolet utilisé pour l’exécution de la peine capitale au Bélarus, conservé sous sa responsabilité, avait été emprunté par le ministre de l’Intérieur au moment des disparitions en question, comme M. Pourgourides l’a expliqué dans son rapport 
			(60) 
			M. Alkayev a même témoigné
devant une sous-commission ad hoc d’enquête de notre commission,
ce qui m’a motivé à soutenir pleinement l’initiative visant à préparer
un rapport spécifique sur le problème de la «répression extraterritoriale».
Je me réjouis de la désignation d’un rapporteur à ce sujet, Sir
Christopher Chope, lors de la réunion de notre commission le 27
septembre 2021.. Après avoir partagé ses soupçons avec les enquêteurs du parquet, M. Alkayev a quitté son pays pour l’Allemagne, en emportant certains éléments de preuve. Il a pris peur quand le procureur général s’est enfui du Bélarus et a été remplacé par l’un des principaux suspects, M. Sheyman.

4. Bref rappel de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en matière de disparition forcée

43. La Convention européenne des droits de l’homme et la jurisprudence de la Cour restent une source essentielle de protection contre les disparitions forcées. La Cour a rendu sa première décision dans une affaire de disparition forcée en 1998, Kurt c. Turquie 
			(61) 
			Kurt
c. Turkey, requête no. 24276/94, arrêt du 25 mai 1998.. Depuis lors, le nombre de plaintes à ce sujet a considérablement augmenté. La grande majorité des affaires de la première décennie concerne la Turquie, il s’agit en majorité de Kurdes «disparus» dans la lutte des autorités turques contre le PKK. Depuis, la grande majorité des affaires concerne la Fédération de Russie, notamment la Tchétchénie, résultant d’abord des deux conflits armés, et ensuite des méthodes particulièrement dures des forces de sécurité régionales, soutenues par les autorités fédérales, dans la lutte contre le terrorisme islamiste.
44. La Cour examine généralement les affaires de disparition forcée à la lumière des articles 2 (droit à la vie), 3 (interdiction de la torture), 5 (droit à la liberté et à la sûreté) et 13 (droit à un recours effectif) de la Convention. Dans certains cas, la Cour a également conclu à une violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale). Dans toutes les affaires de disparition forcée jugées jusqu’à présent, la Cour a aussi constaté une violation de l’article 5 de la Convention 
			(62) 
			Commissaire aux droits
de l’homme du Conseil de l’Europe, Document thématique: «Personnes
disparues et victimes de disparitions forcées en Europe»: <a href='https://rm.coe.int/personnes-disparues-et-victimes-de-disparition-forcee-en-europe-docume/16806daaa5'>https://rm.coe.int/personnes-disparues-et-victimes-de-disparition-forcee-en-europe-docume/16806daaa5.</a>.
45. C’est en principe aux requérants d’apporter la preuve que ce sont bien les autorités de l’État défendeur qui sont responsables d’une disparition. Mais depuis l’affaire Kurt v. Turquie, la Cour, sous certaines conditions, applique une «présomption de fait» selon laquelle l’État est responsable d’une disparition si le requérant peut prouver que la victime a bien été sous la garde des autorités avant de disparaître. C’est alors à l’État défendeur de présenter une autre explication plausible du sort de la victime 
			(63) 
			Dans
l’affaire Kurt, la victime,
un combattant kurde, avait perdu les deux jambes dans l’échange
de tirs avant son arrestation, non contestée, par les forces de
sécurité. L’explication fournie par les autorités turques – que
M. Kurt se serait échappé en courant, quelques jours après son arrestation
– n’a pas convaincu la Cour.. C’est aussi dans des cas de disparitions forcées que la Cour applique fréquemment sa doctrine de la violation dite «procédurale» des articles 2 et 3 de la Convention. Même si la responsabilité de l’État défendeur ne peut pas être prouvée, ni présumée, une violation de ces articles est constatée lorsque l’État n’a pas rempli son obligation positive de procéder à une enquête impartiale et efficace quand il y a de sérieuses indications de meurtre, de disparition forcée ou de torture.
46. Dans l’affaire Chypre c. Turquie, la Cour a conclu à la violation continue de l’article 2 de la Convention au motif que les autorités turques n’ont pas mené́ d’enquête effective sur différents cas de disparitions forcées. Elle a également constaté une violation continue de l’article 5 et une violation de l’article 3 à l’égard des familles des disparus, car le silence des autorités devant les inquiétudes réelles des familles constitue à l’égard de celles-ci un traitement d’une gravité telle qu’il y a lieu de le qualifier d’inhumain 
			(64) 
			Cour
européenne des droits de l’homme, CEDH 131 (2014), Chypre c Turquie, requête n° 25781/94
(2014).. En 2014, la Cour a ordonné à la Turquie de verser 30 000 000 euros pour le préjudice moral subi par les familles des disparus. La Cour a rappelé la nécessité de mettre fin à l'impunité et a souligné l'obligation persistante de mener une enquête sur la mort certaine ou présumée de personnes dans l’affaire Varnava et autres c. Turquie, le manque de preuves résultant d’un long délai dans les investigations ne soustrayant pas l’État de son obligation d’enquêter 
			(65) 
			Cour européenne des
droits de l’homme, CEDH, Varnava et autres
c Turquie, requêtes n° 16064/90, 16065/90, 16066/90,
16068/90, 16069/90, 16070/90, 16071/90, 16072/90 et 16073/90 (8
septembre 2019)..
47. La Cour a également souligné, dans l’affaire Aslakhanova et autres c. Russie que la Fédération de Russie connaît des carences concernant l’investigation des cas des disparitions forcées, particulièrement ceux qui se sont produits en Tchétchénie. Parmi les besoins les plus pressants à cet égard, la Cour a mentionné des «travaux de criminalistique et des travaux scientifiques à grande échelle sur le terrain, y compris la localisation et l'exhumation de lieux de sépulture présumés, ainsi que la collecte, le stockage et l'identification des vestiges et […] par le biais de banques de données génétiques à jour.» 
			(66) 
			Cour européenne des
droits de l’homme, CEDH Aslakhanova et
autres c. Russie, requêtes n°2944/06, 8300/07, 50184/07,
332/08, 42509/10, arrêt, 18 Décembre 2012, para. 226. Bien que la Cour ne mentionne pas explicitement la restitution des dépouilles aux familles, elle reconnaît la nécessité de procéder à une exhumation et à une identification des dépouilles. La Cour a proposé de créer «un organe unique et d’un niveau suffisamment élevé pour élucider les cas de disparitions dans la région, organe qui bénéficierait d’un accès total à l’ensemble des données pertinentes et qui travaillerait dans une relation de confiance et de partenariat avec les proches des personnes disparues. Cet organe pourrait compiler et tenir à jour une base de données unifiée de l’ensemble des disparitions». Dans l’affaire Suleymanov c. Russie, la Cour a conclu que le manque de législation appropriée et l’échec des investigations constitue aussi une violation de l’Aaticle 3 (traitement inhumain et dégradant) envers le plaignant, un proche de la personne disparue dans le cas d’espèce 
			(67) 
			Cour
européenne des droits de l’homme, Suleymanov
c. Russie CEDH requête n° no. 32501/11.. On peut d’ailleurs constater qu’au fil des douzaines d’affaires, terriblement similaires, et concernant la même région, de disparitions forcées non suivies d’enquêtes sérieuses, le ton utilisé par la Cour s’est considérablement durci. Malheureusement, comme l’ont constaté les rapporteurs successifs qui se sont penchés sur l’exécution des arrêts de la Cour 
			(68) 
			Voir
les rapports de Christos Pourgourides (<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?fileid=12589'>Doc.12455</a> (2011), Klaas de Vries (<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?fileid=22005'>Doc.
13864</a> (2015) Pierre-Yves le Borgn’ (<a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?fileid=23772'>Doc.
14340</a> (2017), et les récentes notes d’information de Evangelos
Venizelos AS/Jur(2019)02 et (2019)19., les progrès en la matière, si progrès il y a, sont extrêmement lents, au point que la question se pose de savoir si les autorités russes ne jouent pas la montre, pour assurer l’impunité définitive aux auteurs de ces crimes 
			(69) 
			Lors
de sa 1411e réunion (14-16 Septembre 2021), le Comité des Ministres
a de nouveau constaté le manque de progrès dans la mise en œuvre
des mesures générales et individuelles visant à élucider le sort
des disparus et prévenir de nouvelles disparitions; il a uniquement
fermé le volet de la compensation pécuniaire dans certains cas.
Ce groupe d’arrêts est en attente d’exécution depuis maintenant
15 ans. (lien vers la résolution intérimaire du Comité des Ministres: <a href='https://hudoc.exec.coe.int/eng'>Khachiev
et Akaieva c. Russie (coe.int)</a>)..

5. Faut-il proposer la création d’une Convention européenne contre les disparitions forcées?

48. Au vu des conclusions du dernier rapport de l’Assemblée en la matière en 2012 (voir ci-dessus paragraphe 8), il convient de prendre position quant à l’utilité d’élaborer une Convention européenne contre les disparitions forcées, à la lumière d’une évaluation du fonctionnement du système onusien désormais bien établi.
49. Il est vrai que dans le domaine de la prévention de la torture, un instrument européen (le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT)) fonctionne très bien en parallèle avec le SPT (le Sous-comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants) basé sur l’OPCAT (le Protocole facultatif à la Convention contre la Torture des Nations Unies). Les deux organismes se coordonnent et se partagent le travail en vue d’optimiser l’utilisation des ressources, jamais suffisantes pour éradiquer la torture en Europe et dans le monde.
50. Il est également vrai que les critiques émises dans la Recommandation 1995 (2012) par rapport à la CED (voir paragraphe 9 ci-dessus) restent malheureusement d’actualité et que le processus même de la négociation d’un nouvel instrument européen pourrait contribuer à refaire du fléau des disparitions forcées une priorité de l’agenda politique en Europe. C’est pour ces raisons que l’Assemblée, en 2012, avait invité le Comité des Ministres à se lancer dans un tel processus. La réponse du Comité des Ministres, à l’époque, était plutôt réticente 
			(70) 
			Doc. 13098 du 21 janvier 2013. et n’a depuis pas été suivie du lancement d’un processus de négociation.
51. Les experts que nous avons entendus lors de notre audition devant la commission le 14 septembre 2021 – le professeur Emmanuel Decaux, éminent juriste international et un des pères spirituels du système onusien en place, et M. Ewoud Plate, qui nous a présenté le point de vue d’une large coalition d’organisations non-gouvernementales spécialisées en la matière 
			(71) 
			La
Federation Euro-Méditerranéenne contre les disparitions forcées
(FEMED) et la Coalition Internationale Contre les Disparations Forcées
(ICAED)., y compris des associations de familles de personnes disparues, étaient entièrement d’accord sur ce point: étant donné les ressources limitées disponibles pour la lutte contre ce fléau, il convient impérativement d’éviter tout «double emploi» qui pourrait résulter de la création d’un nouveau mécanisme européen. La codification, dans un instrument conventionnel, du statu quo pourrait aussi figer, voire faire reculer l’évolution de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière. Celle-ci est en bonne voie de résoudre, au moins pour ce qui est des États parties à la Convention, les problèmes laissés en suspens par la CED (voir plus haut, paragraphe 18).
52. Pour faire avancer la lutte contre les disparitions forcées et la recherche de la vérité, les experts nous ont invité à faire la promotion, au sein des États membres du Conseil de l’Europe, de la signature et de la ratification de la CED et nous ont fourni un large éventail de propositions de mesures concrètes non normatives, aptes à faire reculer l’impunité et à renforcer la prévention.
53. A mon avis, c’est l’approche à la fois la plus constructive et la plus réaliste, étant donné la structure normative et institutionnelle existante dans ce domaine qu’il convient de ne pas affaiblir par le lancement d’un processus de négociation d’un nouvel instrument juridique au sein du Conseil de l’Europe.

6. Propositions de mesures non normatives pour éradiquer le fléau des disparitions forcées en Europe

54. Je tiens ici à remercier en particulier notre expert, M. Ewoud Plate et la FEMED. Leurs propositions, fruits d’une expérience de terrain impressionnante, m’ont beaucoup inspiré. Ces propositions peuvent être regroupées comme suit: premièrement, celles visant à renforcer les mécanismes internationaux existants; deuxièmement, celles qui ont pour but d’améliorer les mesures répressives et préventives au niveau national, et troisièmement, celles qui peuvent aider concrètement les victimes et notamment les familles des personnes disparues.

6.1. Renforcer les mécanismes internationaux existants

55. Comme nous l’avons vu, seuls 21 des 47 États membres du Conseil de l’Europe ont ratifié la CED depuis 2007. Avec un regard cynique, certains n’hésiteraient pas à dire que ce sont surtout les pays qui en ont le moins besoin. Il convient donc de faire campagne pour encourager le plus grand nombre d’États européens à se servir de cet instrument. De même, seul un tiers des 63 États parties à la CED au niveau mondial a reconnu la compétence du Comité sur les disparitions forcées à recevoir des communications individuelles ou interétatiques (23 pour chaque type de communication, dont 16 États membres du Conseil de l’Europe). La faible acceptation de cette compétence affaiblit considérablement le Comité car elle le prive de l’une des mesures de suivi les plus importantes et les plus efficaces de défense des personnes disparues et de leurs familles contre les violations des droits protégés par la Convention. Pour faire progresser les ratifications et les déclarations, il convient de renforcer le groupe des «amis de la CED» (France, Argentine, Maroc) par un groupe des «amis européens de la CED» qui s’engage à encouragerait l’Europe à donner l’exemple. Pour vraiment relancer le processus, le Conseil de l’Europe devrait organiser une conférence mondiale sur les disparitions forcées qui pourrait, pourquoi pas, se tenir à Strasbourg.
56. Le troisième vecteur du renforcement des mécanismes internationaux passe par la transposition des principes posés par la CED dans le droit national, comme détaillé ci-après.

6.2. Améliorer les mesures répressives et préventives au niveau national

57. Il convient d’abord d’identifier, puis d’éradiquer les causes de l’impunité, qui encourage les auteurs de futurs crimes du ce type. Les auteurs de crimes de disparition sont notoirement difficiles à traduire en justice. L’un des obstacles réside dans le fait que, dans de nombreux pays, la disparition forcée n’est pas un crime autonome au sein du code pénal, comme cela est prévu dans la CED. Dans les États parties du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, la disparition forcée est reconnue comme un crime contre l’humanité, mais uniquement lorsqu’elle fait partie d’une attaque généralisée contre la population civile. Parmi les facteurs favorisant l’impunité figurent le nombre élevé de suspects, la relative faiblesse des moyens humains et financiers, ainsi que le fait que «des figures du précédent régime conservent souvent une certaine influence au cours du processus de transition» 
			(72) 
			Gabriella Citroni,
op. cit., 
			(72) 
			<a href='https://rm.coe.int/personnes-disparues-et-victimes-de-disparition-forcee-en-europe-docume/16806daaa5'>https://rm.coe.int/personnes-disparues-et-victimes-de-disparition-forcee-en-europe-docume/16806daaa5</a>, p. 48.. Les lois d’amnistie (comme celle de 1977 en Espagne) et les règles de prescription qui ne prennent pas en compte le caractère continu du crime de disparition forcée (comme en Turquie) font qu’il est «quasiment impossible d’obtenir justice dans ces deux pays pour des affaires de disparition forcée» 
			(73) 
			Gabrielle Citroni,
op. cit., p. 48.. Mettre fin à l’impunité serait la plus importante des mesures préventives.
58. La CED crée des obligations à prendre de nombreuses mesures préventives supplémentaires, notamment un habeas corpus efficace, des registres de détention centralisés, des protocoles de libération, l’interdiction de la détention secrète et des centres de détentions clandestins, le principe de non-refoulement vers des pays où la personne risque d’être victime de disparition forcée, la formation appropriée des forces de sécurité, des lois sur l’adoption permettant d’éviter l’appropriation d’enfants disparus et d’enfants de personnes disparues, et enfin des protocoles de documentation des dépouilles humaines non identifiées. Ces mesures peuvent bien entendu aussi être adoptées en amont de la ratification de la CED. Nos experts ont souligné le fait qu’il n’y a pas, à ce jour, une visibilité claire, pays par pays, des mesures préventives effectivement en place. Une étude à ce sujet pourrait être l’une des tâches du groupe de travail contre les disparitions forcées dont la FEMED recommande la création au sein du Conseil de l’Europe. Les résultats d’une telle étude pourraient alors être traduits en recommandations concrètes que le Comité des Ministres pourrait adresser aux États membres concernés. Le Conseil de l’Europe peut et doit jouer un rôle plus proactif dans l’analyse des lacunes du système de prévention des disparitions forcées et dans le soutien à ses États membres pour améliorer le fonctionnement pratique de ce système lorsque cela est nécessaire.

6.3. Renforcer le travail de mémoire et de sensibilisation

59. La FEMED, dans son rapport d’expertise, constate un certain manque de sensibilisation et donc d’intérêt public pour le sujet des disparitions forcées. Ceci entrave la campagne de ratification de la CED, menée presque exclusivement par la France et l’Argentine. Le manque de connaissances spécifiques affecte les étudiants, même spécialisés en droits humains, et les psychologues et psychiatres pourtant très sollicités pour l’assistance psychosociale aux familles des disparus. Dans les médias, le sujet des disparitions souffre d’un référentiel persistant qui remonte aux années 1980, et qui fait apparaître les disparitions forcées comme un problème typiquement latino-américain des dictatures passées. Nous avons pourtant vu que le problème affecte gravement de nombreuses sociétés européennes.
60. Il faudra donc renforcer le travail de mémoire et de sensibilisation. Symboliquement, il convient de donner, au sein du Conseil de l’Europe, une plus grande attention à la «Journée internationale des victimes de disparition forcée» (30 août) reconnue par l’ONU. Dans la pratique, le travail de mémoire passe notamment par la société civile, et en particulier par les associations des proches des personnes disparues qui ont grand besoin de soutien moral et financier. Ces associations répondent à un besoin vital de solidarité et de soutien psychosocial mutuel et elles sont le principal moteur des campagnes au niveau national ou dans les organisations internationales pour la clarification des cas, l’ouverture d’enquêtes pénales, et la mise en place de mesures préventives et réparatrices. La FEMED nous rappelle que ces organisations sont la cible d’une répression dans de nombreux pays, notamment en Turquie (ou leurs dirigeants sont emprisonnés) et en Russie, où des organisations comme «Memorial», «Russia Justice Initiative» et les «Mères de Tchétchénie» sont sujettes à des pressions de plus en plus dures.

7. Conclusions

61. Sans aucun doute, la disparition forcée est l’une des violations les plus abominables des droits humains, conçue pour non seulement «faire disparaître» l’un ou l’autre opposant d’un régime autoritaire, mais aussi pour semer la terreur dans toute une communauté et dans une société entière 
			(74) 
			Voir par exemple la
«Nacht und Nebel – Erlass» (directive “nuit et brouillard”, émise
par Adolf Hitler le 7 décembre 1941 à l'encontre des militants politiques
et des «aidants» de la résistance pendant la Seconde Guerre mondiale
qui devaient être emprisonnés ou tués, alors que la famille et la
population demeuraient dans l’incertitude quant à leur sort..
62. La trop lente transposition en droit national des dispositions de la Convention internationale pour la protection de toutes les victimes des disparitions forcées conformément aux normes internationales, le manque de coopération des pays concernés et l’écoulement du temps avant le lancement d’enquêtes efficaces empêchent souvent de mettre un terme à l’angoisse dans laquelle vivent les victimes de disparitions forcées, y compris leurs proches. La situation est davantage aggravée quand les autorités nationales ne soutiennent pas suffisamment les familles des disparus qui continuent à vivre dans l’incertitude.
63. Les États membres du Conseil de l’Europe devraient montrer l’exemple en signant, ratifiant et transposant la CED dans leur droit national et en remplissant leurs obligations positives de protéger et de défendre tous leurs citoyens contre les disparitions forcées, y compris contre des acteurs non-gouvernementaux ou extra-européens. La société civile doit pouvoir apporter son expérience et sa connaissance du terrain en participant de manière significative aux processus de consultation et de prise de décisions 
			(75) 
			Table ronde, 22 février
2017, op. cit., p. 6..
64. Il ne nous semble pas utile de continuer à revendiquer la création d’un nouvel instrument normatif en la matière au sein du Conseil de l’Europe, qui ferait largement double emploi avec les structures existantes. Il convient plutôt de promouvoir la ratification universelle de la CED et les déclarations nécessaires pour ouvrir la voie à des plaintes individuelles auprès du Comité des disparitions forcées créé par la CED. Le Conseil de l’Europe devrait jouer un rôle important dans une telle campagne. Dans les projets de résolution et de recommandation, je formule des propositions constructives et pragmatiques, dans le sens du renforcement des protections contre le fléau de la disparition forcée, y compris la lutte contre l’impunité et le soutien aux associations des familles de disparus.

Annexe – Avis divergent présenté par M. Aleksandr Bashkin (Fédération de Russie, NI), Mme Irina Rukavishnikova (Fédération de Russie, NI), M. Shamsail Saraliev (Fédération de Russie, NI), et M. Leonid Kalashnikov (Fédération de Russie, GUE), membres de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, conformément à l’article 50.4 du Règlement

(open)

Les projets de résolution et de recommandation proposés à l'examen ont pour objet d'encourager les États membres du Conseil de l'Europe à adhérer à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et à donner leur consentement à l'application à leur égard du mécanisme d'examen des plaintes individuelles et interétatiques. Ils indiquent aux États membres du Conseil de l'Europe que leur adhésion au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) est indispensable, et ce sous forme d'ultimatum: «signer et ratifier».

Ces appels sont contraires au droit souverain reconnu aux États de déterminer de manière indépendante la portée des obligations juridiques internationales de nature conventionnelle. En outre, la politisation évidente de la CPI et son hostilité à l’égard de la Russie excluent toute intention de la Fédération de Russie d'adhérer à cette organisation.

Nous tenons à ce que notre avis divergent figure en annexe du rapport.