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Rapport | Doc. 15429 | 10 janvier 2022

Violations alléguées des droits des personnes LGBTI dans le Caucase du Sud

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteur : M. Christophe LACROIX, Belgique, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 14879, renvoi 4453 du 25 juin 2019. 2022 - Première partie de session

Résumé

Les progrès accomplis au cours des dernières décennies en Europe en matière de droits des personnes LGBTI sont remarquables, mais ils ne sont pas homogènes. Ce rapport porte sur trois États membres du Conseil de l’Europe à savoir l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie, qui partagent une histoire récente commune et sont géographiquement proches, mais qui diffèrent en matière de lutte contre les discriminations. Le rapport a pour objectif de rendre compte de leur situation actuelle et de favoriser les possibilités de changement positif.

La Géorgie a accompli des progrès dans la législation contre la discrimination, notamment dans le domaine de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre et de l’expression de genre. Elle devrait mettre pleinement en œuvre cette législation, qui est un exemple positif à suivre pour les pays de la région du Caucase du Sud. En Arménie, le processus de transition démocratique en cours est une opportunité à ne pas manquer pour renforcer le système de protection des droits humains et lutter contre les discriminations.

Protéger les droits humains des personnes LGBTI implique un changement des attitudes culturelles et politiques qui exige des efforts de longue haleine. Outre les lois et politiques anti-discrimination, le soutien de tous les secteurs de l’administration est indispensable, tout comme la coopération avec la société civile.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 30 novembre 2021.

(open)
1. La lutte contre la discrimination est une des clés de voûte des systèmes démocratiques et elle est au cœur des valeurs soutenues par le Conseil de l’Europe. La discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’expression de genre et les caractéristiques sexuelles doit être prévenue et combattue au même titre que celle fondée sur tout autre motif. Cela s’applique à tous les États membres du Conseil de l’Europe.
2. Actuellement, la situation des personnes LGBTI et le respect de leurs droits humains sont inégaux dans les États membres du Conseil de l’Europe. La protection des droits accordée par la législation et l’efficacité des politiques contre la discrimination varient largement d’un pays à l’autre. Cette inégalité devrait être éliminée. Il incombe à tous les États membres d’assurer le respect des droits humains et des libertés fondamentales.
3. L’Assemblée parlementaire estime que les traditions culturelles et religieuses d’un pays ne sauraient justifier la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’expression de genre et les caractéristiques sexuelles. Chaque État signataire de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) a l’obligation de garantir l’exercice des droits fondamentaux, en trouvant la meilleure façon de prévenir les conflits entre ces derniers. En effet il n’y a pas de contradiction inévitable entre le droit au respect de la vie privée et familiale, la liberté de pensée, de conscience et de religion, la liberté d’expression et celle de réunion et d’association. Ainsi, les manifestations publiques contre la discrimination des personnes LGBTI et visant à promouvoir leurs droits, telles que les «Marches de la fierté», ne sont pas une violation ou une limitation des droits des personnes qui sont en désaccord.
4. L’Assemblée s’inquiète de la situation des personnes LGBTI en Arménie, Azerbaïdjan et en Géorgie, en constatant que de nombreuses violations des droits humains de ces personnes y sont alléguées ou confirmées. Ces pays devraient adopter des législations et des politiques efficaces pour renforcer la lutte contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’expression de genre et les caractéristiques sexuelles.
5. L’Assemblée salue toutefois les progrès accomplis par la Géorgie dans la lutte contre la discrimination, avec l’adoption d’une législation qui inclue l’orientation sexuelle et l’identité de genre parmi les motifs interdits de discrimination et l’introduction dans la législation pénale de la LGBTI-phobie en tant que circonstance aggravante. Elle souligne l’importance de mettre pleinement en œuvre cette législation, qui est un exemple positif à suivre pour les pays de la région.
6. L’Assemblée estime aussi que le processus de transition démocratique en cours en Arménie est une opportunité à ne pas manquer pour renforcer le système de protection des droits humains et lutter contre les discriminations, dont celle fondée sur l’orientation sexuelle, l’identité et l’expression de genre et les caractéristiques sexuelles.
7. Le Conseil de l’Europe soutient les processus de réforme entrepris par les pays du Caucase du Sud, dans les domaines de la démocratie, des droits humains et de l’État de droit, par des plans d’action négociés avec les autorités nationales et qui prennent en compte les constatations des organes de suivi et de production normative, dont la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI); en outre, des activités concernant spécifiquement les droits des personnes LGBTI sont organisées par l’Unité OSIG (Orientation sexuelle et identité de genre).
8. L’Assemblée rappelle par ailleurs sa Résolution 2239 (2018) «Vie privée et familiale: parvenir à l’égalité quelle que soit l’orientation sexuelle», sa Résolution 2191 (2017) et sa Recommandation 2116 (2017) «Promouvoir les droits humains et éliminer les discriminations à l’égard des personnes intersexes», sa Résolution 2048 (2015) «La discrimination à l’encontre des personnes transgenres en Europe», sa Résolution 1948 (2013) et sa Recommandation 2021 (2013) «Lutter contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et sur l’identité de genre», ainsi que sa Résolution 1728 (2010) et sa Recommandation 1915 (2010) «Discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre».
9. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée invite les autorités de l’Arménie, de l’Azerbaïdjan et de la Géorgie:
9.1. à garantir le droit d’organiser des manifestations publiques de soutien aux droits de personnes LGBTI telles que les «Marches de la fierté», à assurer leur déroulement en toute sécurité et à protéger les personnes participantes de toute agression;
9.2. à promouvoir l’adoption de codes de conduite pour les médias et les parlementaires, qui proscrivent les propos stigmatisants, discriminateurs et les discours de haine à l’encontre des personnes LGBTI, ainsi que l’utilisation d’un contre discours aux propos de haine LGBTI-phobes;
9.3. à garantir la liberté et l’indépendance des médias, et protéger la sécurité de leur personnel;
9.4. à mener des enquêtes effectives et à diligenter des poursuites dans les cas de violences à l’encontre des personnes LGBTI;
9.5. à adopter et mettre en œuvre des plans d'action concernant la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, l’identité et l’expression de genre et les caractéristiques sexuelles, ayant pour objectif de sensibiliser la population quant aux droits des personnes LGBTI et à leurs conditions de vie, et de prévenir et lutter contre l’exclusion sociale et la stigmatisation ainsi que toute forme de discrimination à l’égard des personnes LGBTI;
9.6. à améliorer l’accès aux soins de santé sexuelle et reproductive et l’information et la sensibilisation sur les maladies sexuellement transmissibles;
9.7. à instaurer des procédures rapides, transparentes et accessibles, fondées sur l’autodétermination, qui permettent aux personnes transgenres de changer de nom et de sexe sur les certificats de naissance, les cartes d’identité, les passeports, les diplômes et autres documents similaires; et à s’assurer que telles procédures sont claires et que les institutions qui en sont responsables soient bien définies;
9.8. à garantir l’enseignement de l’éducation complète à la sexualité dans les écoles et assurer que celle-ci traite du thème de la diversité de genre et d’orientation sexuelle avec une approche inclusive;
9.9. à mener des activités d’information et de sensibilisation de la population sur la situation des personnes LGBTI, visant à lutter contre les préjugés et la stigmatisation;
9.10. à promouvoir auprès de fonctionnaires de toutes les administrations concernées, de la magistrature et des forces de l’ordre, une éducation aux droits humains visant à promouvoir la compréhension des questions de genre, l’inclusion et la non-discrimination sur la base de l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’expression de genre et les caractéristiques sexuelles;
9.11. à fournir aux membres de la magistrature et des forces de l’ordre une formation spécifique et continue sur le discours de haine et les crimes de haine LGBTI-phobes;
9.12. à mettre en place un cadre de référence de l’effectivité des poursuites pénales et des jugements rendus en la matière;
9.13. à promouvoir le rôle et les compétences des défenseurs des droits, garantir leur indépendance, améliorer le financement de ces institutions afin qu’elles puissent exercer en toute autonomie l’ensemble de leurs missions et s’assurer que celles-ci incluent la lutte contre les discriminations dont sont victimes les personnes LGBTI;
9.14. à poursuivre et renforcer la coopération entamée avec les organismes pertinents du Conseil de l’Europe, dont la l’ECRI et l’Unité OSIG, et à soutenir la mise en œuvre des plans d’action lancés en coopération avec le Conseil de l’Europe;
9.15. à renforcer la coopération avec les organisations de la société civile active dans la protection des droits humains, dont ceux des personnes LGBTI; à garantir leur autonomie et protéger leur sécurité et celle de leurs collaboratrices et leurs collaborateurs; et à consulter ces organisations lors de la définition, la mise en œuvre et l’évaluation de l’impact des activités anti-discrimination;
9.16. à réfléchir à la mise en place d’actions concrètes favorisant l’insertion sociale et socio-professionnelle des personnes LGBTI, en particulier des personnes transgenres et intersexes;
9.17. à mettre en œuvre, par l’adoption d’une législation et de politiques pertinentes, la recommandation CM/Rec(2010)5 aux États membres sur des mesures visant à combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre et à participer activement au processus d'examen périodique mené par le Comité des Ministres concernant la mise en œuvre de celle-ci.
10. En particulier, l’Assemblée invite les autorités de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan:
10.1. à adopter une législation anti-discrimination qui inclue l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’expression de genre et les caractéristiques sexuelles parmi les motifs interdits de discrimination;
10.2. à adopter des normes juridiques civiles, administratives et/ou pénales visant à protéger les personnes du discours de haine et des crimes de haine;
10.3. à introduire dans la législation pénale la LGBTI-phobie en tant que circonstance aggravante.
11. L’Assemblée invite les autorités de l’Arménie à cesser de considérer l’homosexualité comme une maladie mentale à des fins juridiques, administratives, sanitaires ou autres.
12. L’Assemblée invite les autorités de l’Azerbaïdjan à enquêter sur les cas d’arrestation abusive de personnes LGBTI et à prévenir et lutter contre les violences policières à l’encontre de ces personnes.
13. L’Assemblée invite les autorités de la Géorgie:
13.1. à inclure dans la législation anti-discrimination les motifs de l’expression de genre et des caractéristiques sexuelles;
13.2. à assurer la mise en œuvre intégrale de la législation et des politiques en matière d’égalité et de non-discrimination, à mener un suivi régulier et à allouer des ressources financières et humaines adéquates aux organes et aux administrations concernés;
13.3. dans le cadre des activités de prévention et de lutte contre le discours de haine LGBTI-phobe dans la sphère publique et politique, à établir une instance de dialogue avec l’Église orthodoxe afin d’apaiser l’attitude de ses représentants envers les manifestations publiques telles que les «Marche de la fierté» et de les sensibiliser à la nécessité d’éviter des propos stigmatisants au sujet des personnes LGBTI.

B. Exposé des motifs par M. Christophe Lacroix, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Les progrès accomplis au cours des dernières décennies en Europe en matière de droits des personnes LGBTI sont remarquables, mais ils ne sont pas homogènes. Ce constat m’a amené à préparer un rapport focalisé sur une région spécifique au sein des États membres du Conseil de l’Europe, celle du Caucase du Sud. Les trois pays qui composent cette région, à savoir l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie, ont une partie de leur histoire récente en commun, ayant reconquis leur indépendance à la même époque après avoir fait partie de l’Union Soviétique durant une bonne partie du XXème siècle, et sont géographiquement proches. En matière de lutte contre les discriminations, toutefois, les trois pays sont différents. Ce rapport vise à établir un état des lieux mais également, ce qui est encore plus important, à accompagner et soutenir les opportunités d’évolution positive.
2. L’examen annuel de la situation des droits humains des personnes LGBTI en 2020 réalisé par ILGA Europe 
			(2) 
			ILGA Europe, «Rainbow
map 2020». nous donne une clé de lecture de la situation des trois pays concernés par ce rapport. D’après cet examen, l’Azerbaïdjan se place à la dernière position du classement des pays les plus respectueux des droits des personnes LGBTI, avec un score d’à peine 2% (un pourcentage de 100% représentant dans ce classement une situation hypothétique d’égalité pleine). L’Arménie est classée 47ème sur 49 et totalise 8%. En Géorgie le score est de 30%, notamment grâce à la législation anti-discrimination et contre le discours de haine, au respect de la liberté des organisations de la société civile et de la liberté d’expression, ainsi qu’à la réglementation de la reconnaissance juridique du genre. Ce résultat place le pays au 25ème rang du classement.
3. Ce rapport a pris comme point de départ les constats des organisations internationales et de leur organismes spécialisés, tels que la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), le Bureau du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, l’Expert indépendant des Nations Unies sur la protection contre la violence et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, et des organisations non gouvernementales telles que l’ILGA que j’ai déjà citée. Par la suite, j’ai eu l’opportunité d’échanger avec des organisations qui militent pour les droits des personnes LGBTI dans les trois pays examinés. Les discussions au sein de la commission sur l’égalité et la non-discrimination ont également contribué à définir le contenu de ce rapport. Enfin, j’ai effectué des visites d’information en Arménie et en Géorgie. La visite en Azerbaïdjan, qui avait été autorisée par la commission, n’a pas eu lieu car la délégation du pays auprès de l’Assemblée parlementaire n’a pas donné suite à ma demande.
4. Le 12 mars 2021, j’ai tenu des réunions en ligne avec des interlocutrices et des interlocuteurs institutionnels et de la société civile de l’Arménie. Compte tenu de la pandémie de covid-19 et des restrictions de déplacement, la visite d’information précédemment autorisée par la commission s’est tenue virtuellement. Je souhaite remercier les autorités arméniennes et les autres participant·e·s, ainsi que la délégation arménienne auprès de l’Assemblée pour son assistance. J’ai eu l’opportunité de rencontrer la Vice-ministre de la Justice Mme Kristinne Grigoryan, des collègues parlementaires dont M. Ruben Rubinyan, président de la délégation arménienne auprès de l’Assemblée, M. Mikael Khachatryan, chef du Département de la coopération internationale du bureau du Défenseur des Droits humains, deux expert·e·s indépendant·e·s ainsi que les représentant·e·s de plusieurs organisations de la société civile.
5. La visite s’est tenue dans une phase délicate de la politique interne du pays, et au lendemain de la guerre qui a opposé l’Arménie à l’Azerbaïdjan (conflit du Haut-Karabakh). J’ai apprécié la disponibilité des représentant·e·s des autorités à me rencontrer dans ce contexte difficile. J’ai tenu à préciser à mes interlocutrices et à mes interlocuteurs que l’objectif des rencontres était d’en apprendre davantage sur la situation des personnes LGBTI dans le pays et de discuter des mesures possibles pour lutter contre la discrimination, sans pour autant avoir une attitude de donneur de leçons en tant que représentant du Conseil de l’Europe ou de mon pays.
6. Les 1er et 2 juillet 2021, j’ai effectué une visite d’information en Géorgie, où j’ai eu l’opportunité d’échanger avec des membres du gouvernement et du parlement ainsi que des représentant·e·s de la société civile. La visite a coïncidé avec l’ouverture de la Tbilisi Pride, une semaine d’évènements culturels et politiques visant à attirer l’attention des autorités et de la société géorgienne sur la situation des personnes LGBTI dans le pays et à revendiquer leurs droits. Les protestations violentes orchestrées à l’encontre de cet évènement ont montré qu’une action déterminée des autorités géorgiennes en faveur de l’égalité et contre toute forme de discrimination est indispensable et urgente.

2. Situation des droits des personnes LGBTI en Arménie

7. Depuis le mois d’avril 2018, une transition politique profonde a commencé en Arménie, avec une réforme du système de gouvernance du pays qui est largement soutenue par la population et qui a été saluée entre autres par la Présidente de l’Assemblée alors en fonction, Mme Liliane Maury Pasquier, lors de sa visite à Erevan en 2019.
8. Un Plan d'action 2019-2022 
			(3) 
			<a href='https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=090000168090762c'>«Plan
d’action du Conseil de l’Europe pour l’Arménie 2019-2022</a>», CM(2018)168-final, 9 janvier 2019. a été lancé conjointement par le Conseil de l’Europe et les autorités arméniennes en juin 2019. Ce plan est fondé sur les priorités des autorités arméniennes en matière de réforme juridique et institutionnelle en cours dans le pays. Il «vise à mieux harmoniser la législation, les institutions et la pratique de l’Arménie avec les normes européennes dans les domaines des droits de l’homme, de l’État de droit et de la démocratie». Son objectif est donc de renforcer les droits humains, garantir la justice et promouvoir la gouvernance démocratique.
9. En 2017, un Accord de Partenariat complet et renforcé entre l'Arménie et l'Union européenne a été signé. Il s’agit d’une base juridique pour le renforcement du dialogue politique, l'élargissement de la coopération économique et sectorielle et la croissance de la mobilité des citoyen·ne·s. L’accord est entré en vigueur le 1er mars 2021.
10. La consolidation des institutions démocratiques représente une opportunité de réaliser une société ouverte et inclusive où l’égalité entre toutes les citoyennes et tous les citoyens ne trouve pas d’obstacle dans l’orientation sexuelle, l’identité de genre ou l’expression de genre de chacun·e. En avril 2019, lors de la 10ème édition des Dialogues des droits humains dans le cadre de la coopération entre l’Union européenne et l’Arménie, les deux parties ont affirmé conjointement qu’il était crucial que l’Arménie adopte une loi anti-discrimination en accord avec les normes internationales en la matière et qu’elle crée un organisme national pour l’égalité, auprès du Défenseur des droits 
			(4) 
			«EU and Armenia hold
10th Human Rights Dialogue», <a href='https://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-homepage_en/60765/Joint%20Press%20Release%20%E2%80%93%20EU%20and%20Armenia%20hold%2010th%20Human%20Rights%20Dialogue'>Communiqué
de presse conjoint</a>, Service européen pour l'action extérieure de l’Union
européenne (SEAE), 8 avril 2019.. La Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe et l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) ont demandé l’inclusion d’une mention de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre dans la future loi anti-discrimination.
11. La 11ème édition des Dialogues des droits humains entre l’Union européenne et l’Arménie a eu lieu par vidéoconférence le 25 mars 2021. Les politiques anti-discrimination, l’égalité de genre, la violence domestique et la liberté d’assemblée et d’expression ont été parmi les sujets discutés dans le cadre des Dialogues. Les organisations de la société civile ont été invitées à soumettre leurs rapports sur la situation des droits humains. Les organisations non gouvernementales Pink Armenia et ILGA Europe ont répondu à cet appel et fourni des informations et recommandations en ce qui concerne la situation des personnes LGBTI dans le pays.
12. Comme mes interlocutrices et interlocuteurs arméniens l’ont indiqué lors des entretiens du 12 mars 2021, depuis le début de la transition politique en 2018 le débat dans le pays est devenu fortement politisé. Des thèmes qui devraient être consensuels, tels que la lutte contre la violence à l’égard des femmes, peuvent devenir clivants, et la législation et les politiques anti-discrimination sont présentées par certain·e·s responsables politiques comme imposées par l’ «Occident». Comme l’a expliqué M. Khachatryan, les réseaux sociaux sont le thermomètre de la société arménienne, particulièrement Facebook, avec les fléaux qui l’accompagnent typiquement, tels que les faux profils, la désinformation et un discours de haine omniprésent.
13. Mme Grigoryan, Vice-ministre de la Justice, a également fait référence à la désinformation, qui passe par des chaines de messages sur la plateforme Telegram et présente, par exemple, les responsables politiques de la majorité actuelle comme des émissaires de George Soros. Elle m’a expliqué qu’il y a dans le débat public arménien un manque de compréhension du thème des droits des personnes LGBTI, qui est relativement nouveau, et des questions de genre. L’opposition à la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE n° 210, Convention d’Istanbul), par exemple, est axée sur une critique de la notion de genre contenue dans ce texte, qui est mal interprétée.
14. Mme Grigoryan a illustré plusieurs activités de son ministère visant à améliorer la protection des groupes vulnérables, telles que des formations des juges, ou conjointement de la police et du parquet. En 2019, le Parlement arménien a adopté le projet de loi du gouvernement sur la criminalisation des «appels publics à la violence» et la «promotion publique de la violence» (une dizaine de cas ont déjà fait l’objet de poursuites). Par ailleurs, une réforme de la procédure pénale est en discussion au parlement; sa préparation a bénéficié de la participation d’expert·e·s du Conseil de l’Europe, notamment en ce qui concerne les crimes liés à la discrimination. Concernant la loi anti-discrimination, la Vice-ministre a cité l’avis du Défenseur des Droits humains, qui estime que la loi devrait refléter les motifs de discrimination figurant à l’article 29 de la Constitution arménienne. L’orientation sexuelle et l’identité de genre ne seraient donc pas citées explicitement mais rentreraient plutôt parmi les «circonstances sociales». Elle considère que le risque, s’il y avait une énumération explicite, serait de ne pas voir le texte adopté. Mme Grigoryan prône un dialogue ouvert avec la société, soulignant l’importance de la sensibilisation et de la lutte contre la désinformation. Je souhaite souligner, toutefois, que l’objectif d’une loi anti-discrimination efficace devrait représenter une priorité essentielle pour les forces gouvernementales. L’indication spécifique de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre en tant que motifs proscrits de discrimination rendrait la loi plus claire et son application plus facile. J’ajouterais qu’une telle énumération aurait un effet de sensibilisation, presque pédagogique, permettant d’imprimer dans les consciences que la discrimination des personnes pour ces motifs est inacceptable et condamnable, au même titre que celle liée aux motifs qui sont déjà mentionnés dans la législation arménienne, tels que le genre, la religion, l’origine ethnique ou autres.
15. La discussion avec les membres de la délégation parlementaire a confirmé que les forces de la majorité privilégient une attitude prudente en ce qui concerne les réformes: il y a une volonté d’améliorer la protection des groupes vulnérables, y compris les personnes LGBTI, mais de façon pragmatique, «sans provoquer plus de difficultés» pour ce groupe même, selon M. Rubinyan, président de la délégation. Il a ajouté qu’il fallait avancer dans le domaine des droits humains, mais «d’une façon telle que la réforme réussisse». La majorité gouvernementale est large, mais comprend des couches différentes. Il estime donc que la priorité devrait être accordée aux thèmes plus largement partagé, tels que la lutte contre le discours de haine.
16. Les violations des droits des personnes LGBTI sont nombreuses en Arménie d’après les rapports de la société civile locale et internationale et des organisations intergouvernementales 
			(5) 
			ILGA Europe, «Rainbow
map 2019»..
17. Les discours de haine de la part des dirigeant·e·s politiques et le traitement négatif des médias envers les personnes LGBTI sont des faits régulièrement rapportés 
			(6) 
			ECRI, Rapport sur l’Arménie
(5ème cycle), para. 30.. En 2019, Mme Lilit Martirosyan, présidente de l’ONG RighT Side, s’est adressée au Parlement arménien et a appelé à défendre les droits des personnes transgenres. A la suite de cet appel, plusieurs personnages politiques ont tenu des propos haineux à son encontre. Certains d’entre eux ont appelé à ce que les personnes LGBTI soient brûlées 
			(7) 
			ILGA
Europe, «Annual review of the human rights situation of the LGTI
people in Armenia covering the period of January to December 2019»..
18. Les défenseurs et défenseuses des droits des personnes LGBTI ont été plusieurs fois menacés de mort et attaqués physiquement comme s’en inquiétait l’Expert des Nations Unies sur la protection contre la violence et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, en avril 2019 
			(8) 
			Expert indépendant
des Nations Unies sur la protection contre la violence et la discrimination
fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, Communication
AL ARM2/2019, 18 avril 2019..
19. La liberté d’expression des personnes LGBTI est souvent remise en question par ces attaques. Le 20 juin 2019, 11 activistes LGTBI ont été insultés dans un parc à Erevan puis enjoints de quitter le parc par la police 
			(9) 
			Voir
note de bas de page 8.. Le 2 novembre 2019, d'anciens partisan·e·s du gouvernement et défenseurs et défenseuses de prétendues «valeurs traditionnelles» ont utilisé des insultes anti-LGBTI lors d’une représentation d'art de rue dans le centre-ville d'Erevan qu'ils ont qualifiée de féministe, satanique et perverse 
			(10) 
			Département d’État,
Bureau de la Démocratie, Droits de l'Homme et du Travail, États-Unis,
«Armenia 2019 Human rights Report», page 36 (en anglais uniquement)..
20. Les victimes de violence LGBTI sont réticentes à dénoncer les faits à la police, cette dernière ayant fait l’objet de diverses allégations d’abus. La police aurait par exemple engagé des poursuites pour fausses accusations contre des victimes de discours de haine venant porter plainte 
			(11) 
			Voir
note de bas de page 7, para. 61.. Le faible nombre de poursuites et condamnations des violences LGBTphobes contribue également au non-signalement de ces violations par les victimes 
			(12) 
			Ibid., paras. 42 et
60.. Entre autres, l’incendie criminel contre un club LGBTI de la capitale en 2012 n’a pas été considéré comme un crime de haine homophobe par les autorités. Cette affaire est actuellement pendante devant la Cour européenne des droits de l’homme 
			(13) 
			Voir note de bas de
page 7..
21. Le Défenseur des Droits humains intervient discrètement dans un grand nombre de ces cas pour garantir la protection des victimes et s’assurer qu’il y a des poursuites judiciaires. Les cas de violence et plus généralement de violations des droits sont dénoncés par les particuliers et les organisations non gouvernementales, par écrit et éventuellement même par téléphone. M. Mikael Khachatryan, fonctionnaire de cette institution, m’a expliqué que le Défenseur peut intervenir auprès des procureurs pour solliciter une action, et que le nombre de plaintes augmente. L’assistance fournie aux victimes est gratuite et confidentielle. Le Défenseur joue également un rôle publique, peut donner des avis sur les projets de loi en discussion et lance des actions d’information et de sensibilisation. C’est lors d’une «journée portes ouvertes» au Parlement arménien, promue par le Défenseur des Droits, permettant aux représentant·e·s de la société civile de s’adresser aux parlementaires, que Lilit Martirosyan de RighT Side NGO a pu parler publiquement et attirer l’attention sur les défis spécifiques auxquels font face les personnes transgenres en Arménie.
22. Des cas de violences physiques sont régulièrement rapportés. En 2018, l’ONG PINK Armenia notait que 25 violations des droits humains des personnes LGBTI avaient eu lieu dans le pays 
			(14) 
			Voir note de bas de
page 7..
23. L’interdiction de la discrimination (comme je l’ai indiqué dans l’introduction) et la pénalisation de l’incitation à la haine envers les personnes LGBTI ne sont pas prévues dans la législation arménienne, tout comme la prise en compte de circonstances aggravantes dans les cas de crimes et délits motivés par la haine envers ce groupe 
			(15) 
			ECRI, Rapport
sur l’Arménie (5ème cycle), para. 25,
91. 
			(15) 
			Voir également: ILGA Europe, <a href='https://www.ilga-europe.org/sites/default/files/Armenia.pdf'>«Annual
review of the human rights situation of the LGTI people in Armenia
covering the period of January to December 2019»</a>.. A l’inverse, une proposition de loi interdisant la propagande de l’homosexualité chez les enfants de moins de 16 ans avait été proposée au parlement en mai 2019 puis finalement rejetée 
			(16) 
			Voir note de bas de
page 7..
24. En Arménie, l’homosexualité est encore considérée à certaines fins par la loi comme une maladie mentale. Afin d’obtenir une exemption du service militaire, les personnes homosexuelles doivent ainsi passer un examen dans un centre médical psychiatrique qui établit si la personne est homosexuelle. Les codes utilisés pour établir l’homosexualité de la personne sont ceux utilisés pour établir des maladies psychiatriques telles que la schizophrénie 
			(17) 
			Département d’État,
Bureau de la Démocratie, Droits de l'Homme et du Travail, États-Unis,
«Armenia 2019 Human rights Report», pages 37-38..
25. Enfin, les jeunes LGBTI sont également victimes de harcèlements et autres violences au cours de leurs études. L’ECRI rappelait ainsi les chiffres d’une ONG locale qui révélaient que 55% des personnes interrogées refusaient de révéler leur orientation sexuelle à l’école ou à l’université. 36% déclaraient être victimes de harcèlement verbal. Les questions liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre sont très peu traitées dans les programmes scolaires 
			(18) 
			Voir note de bas de
page 7, para. 98..
26. L’échange que j’ai eu, lors des réunions du 12 mars 2021, avec Mme Lusine Karamyan et M. Nikolay Hovhannisyan, juristes spécialisés en droits humains et engagés respectivement dans la société civile et dans la coopération internationale, a mis en lumière que les réformes n’avancent pas au rythme souhaité. Au contraire, mes interlocuteurs ont parlé de «blocage». La discrimination des personnes LGBTI est une réalité et la protection n’est pas effective, a expliqué Mme Karamyan, qui estime que lorsqu’un cas de violence est dénoncé à la police, très souvent il n’y a pas de suites. Le sujet des personnes LGBTI, très sensible avant 2018, reste délicat et se prête à des manipulations même depuis la «révolution». Le gouvernement actuel l’aborde avec précaution et le résultat est qu’il y a stagnation, malgré l’urgence de faire face à une situation difficile. D’après un sondage mené par l’ONG Pink Armenia, 55% des personnes consultées ne souhaiterait pas avoir un voisin LGBTI. La guerre de 2020 et les tensions politiques actuelles sont des nouveaux obstacles aux avancées dans le domaine de l’anti-discrimination.
27. Plusieurs organisations de la société civile représentent la communauté LGBTI, participent au débat public et politique, et mènent des activités de plaidoyer. Elles ne reçoivent pas de fonds publics mais plutôt des contributions individuelles et dans certains cas sont soutenues par les organismes de coopération internationale. En échangeant avec leurs représentant·e·s, j’ai eu l’impression que ces organisations connaissent les mécanismes de la politique et qu’elles s’efforcent d’entretenir un dialogue constructif avec les institutions. Les résultats, cependant, ne sont pas encore à la hauteur de leurs attentes.
28. Un activiste m’a expliqué que les droits des personnes LGBTI font enfin partie du débat politique. Les polémiques sur le film Mel, un documentaire sur Mel Daluzyan, célèbre haltérophile arménien et triple champion d'Europe, transgenre, en sont la preuve. Le film a été critiqué pour avoir promu une vision qui n’est pas en ligne avec les «valeurs arméniennes traditionnelles», mais le Premier ministre Nikol Pashinyan a défendu le choix du gouvernement de financer partiellement sa production. Par ailleurs, les activistes que j’ai rencontrés décrivent un climat hostile aux personnes LGBTI au sein de la société arménienne, alimenté par un manque de connaissances et d’information. D’après eux, ce thème est parfois manipulé et utilisé à des fins politiques. Cela engendre un vrai problème de discours de haine et en même temps d’impunité des responsables. J’ai eu l’opportunité d’échanger avec Mme Lilit Martirosyan, que j’ai citée au sujet des polémiques qui ont fait suite à sa prise de parole publique au Parlement arménien, sur la situation des personnes transgenres. Ce groupe est particulièrement vulnérable aux violences et se heurte à des barrières dans l’accès à l’emploi, à la justice et aux soins médicaux. La loi arménienne ne réglemente pas encore la reconnaissance du genre dans les registres et les documents d’identification, ce qui produit des effets néfastes sur la vie quotidienne des personnes transgenres et les expose à des risques accrus de discrimination.
29. Je ne peux qu’encourager le Gouvernement arménien à poursuivre sur le chemin des réformes, en intensifiant ses efforts. Je l’encourage en même temps à renforcer davantage sa coopération avec les différents organes du Conseil de l’Europe. Si j’ai précisé à mes interlocutrices et à mes interlocuteurs que je ne souhaitais pas donner de leçons, il faut souligner que le Conseil a créé un système de recommandations, normes et lignes directrices qui est précieux dans le domaine de la lutte contre la discrimination, en général et en ce qui concerne l’orientation sexuelle et l’identité de genre, en particulier.

3. Situation des droits des personnes LGBTI en Azerbaïdjan

30. Dans la préparation de ce texte, j’ai utilisé des rapports et des documents de différents organes au sein du Conseil de l’Europe tels que la ECRI, le Bureau du Commissaire aux Droits de l’Homme et l’Unité OGIS, mais également de l’Expert indépendant des Nations Unies sur la protection contre la violence et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. J’ai ensuite développé la partie concernant la situation en Azerbaïdjan, grâce aux contributions reçues de mes collègues de la commission, que je remercie, et aux éléments recueillis par un consultant indépendant, engagé par l'Unité OGIS du Conseil de l'Europe. Ce dernier a notamment recueilli les contributions des organisations de la société civile telles que NAFAS LGBT et AZAD LGBT.
31. D’après l’ECRI, en 2014, 60% des individus interrogés considéraient de manière négative les personnes LGBTI. Plus d’une personne interrogée sur deux (52%) déclarait également que l’homosexualité était une maladie congénitale 
			(19) 
			ECRI,
Rapport sur l’Azerbaïdjan (5ème cycle),
para. 78.. Selon une étude menée par l'organisation non gouvernementale NAFAS LGBT, «plus de la moitié des personnes interrogées pensent que l'homosexualité est le résultat d'une maladie, 28% pensent que c'est un choix personnel». Comme le rapporte AZAD LGBT, «dans un article de blog de 2013, le Centre de ressources pour la recherche sur le Caucase a utilisé les données du Baromètre du Caucase 2011 pour montrer que 84% de la population azerbaïdjanaise pense que l'homosexualité n'est jamais justifiée». En 2019, ces deux ONG et une troisième organisation appelée Minority Azerbaijan ont présenté une soumission conjointe pour la liste des questions relatives au quatrième rapport périodique de l'Azerbaïdjan au titre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels 
			(20) 
			AZAD
LGBT Collective, Minority Azerbaijan, Nafas LGBT Azerbaijan Alliance,
Joint submission for the List of Issues in relation to the fourth
periodic report of Azerbaijan under the International Covenant on
Economic, Social and Cultural Rights, 65 Pre-Sessional Working Group
(21-25 octobre 2019), “<a href='https://www.ecoi.net/en/document/2015542.html'>Addressing
Discrimination and Inequality in Economic, Social and Cultural Rights
Faced by LGBTI Population in Azerbaijan</a>”, soumis au Comité des droits économiques, sociaux et
culturels (CESCR) de l'ONU le 26 août 2019..
32. Le harcèlement et la violence à l'encontre des personnes LGBTI sont fréquemment signalés par la société civile. Parmi les exemples, le cas de harcèlement homophobe subi par une adolescente de 14 ans ayant conduit à son suicide en 2019 
			(21) 
			ILGA
Europe, «Rapport annuel 2020», <a href='https://www.ilga-europe.org/sites/default/files/2020/azerbaijan.pdf'>Azerbaïdjan,
para. «Education»</a>.. D’après ILGA Europe, le 28 juin 2019, cinq femmes transgenres ont été physiquement agressées par une quinzaine de personnes sur une plage 
			(22) 
			Ibid., <a href='https://www.ilga-europe.org/sites/default/files/2020/azerbaijan.pdf'>Azerbaïdjan,
para. «Bias motivated violence»</a>.. Le 18 juin 2020, une femme transgenre nommée Aysu Mammadli a été poignardée à mort dans ce qui semble être un crime haineux. La victime était une travailleuse du sexe. Deux autres attaques visant des femmes transgenres ont eu lieu le mois suivant.
33. De nombreuses violences familiales ont également été recensées ces dernières années. En 2014, par exemple, un jeune homosexuel de 17 ans a été filmé pendant qu’il était violé. La vidéo a été remise à sa famille qui l’a ensuite battu. La même année, un autre jeune homosexuel a été sauvagement frappé, fouetté puis arrosé d’essence par ses parents pour avoir assisté à une conférence LGBTI 
			(23) 
			ECRI, Rapport sur l’Azerbaïdjan
(5ème cycle), para. 40.. Encore aujourd’hui, des cas similaires aussi graves se produisent régulièrement dans ce pays. En septembre 2019, un homme homosexuel a ainsi été battu, harcelé et expulsé de son village par sa famille au motif qu’il les avait déshonorés 
			(24) 
			ILGA Europe, «Rapport
annuel 2020», <a href='https://www.ilga-europe.org/sites/default/files/2020/azerbaijan.pdf'>Azerbaïdjan,
para. «Bias motivated violence»</a>..
34. Selon une enquête menée par la NAFAS LGBT sur la discrimination dans l'accès au marché du travail et sur le lieu de travail, «les droits du travail des personnes LGBTI sont violés en Azerbaïdjan. 64 % des personnes interrogées ne veulent pas travailler avec des personnes LGBTI, et 60 % ont généralement une attitude négative à l'égard des personnes LGBTI. Dans le même temps, 60% des personnes interrogées ont déclaré que si elles étaient entrepreneurs, elles refuseraient d'embaucher des personnes LGBTI».
35. En Azerbaïdjan, les personnes transsexuelles ont légalement accès à la chirurgie de changement de sexe. Toutefois, la loi ne prévoit pas la reconnaissance du genre après le changement de sexe, ce qui entraîne des difficultés, notamment l'obligation pour les femmes transsexuelles de servir dans l'armée comme des hommes. En outre, elles sont confrontées à une forte discrimination dans l'accès au travail, ce qui les rend plus susceptibles de recourir au travail sexuel pour gagner leur vie.
36. Les brutalités policières sont régulièrement dénoncées par la société civile auprès des organisations internationales. En 2017, plus de 80 personnes LGBTI ont été arrêtés dans la capitale Bakou. De nombreux cas de torture et de traitements inhumains et dégradants ont été notifiés à l’Expert indépendant des Nations unies sur la protection contre la violence et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Dans le but d’obtenir des confessions, les autorités ont notamment eu recours à des violences physiques, menaces, tortures dont des électrochocs et examens médicaux forcés. Presque toutes et tous les détenu·e·s qui ont comparu devant la Cour d’Appel de Bakou avaient subi un rasage forcé des cheveux. L’Expert des Nations Unies avait alors relevé que les cas d’arrestation et d’intimidation envers la communauté LGBTI n’avaient jamais atteint une telle proportion et un tel degré de planification 
			(25) 
			Expert indépendant
des Nations unies sur la protection contre la violence et la discrimination
fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, Communication
du 9 octobre 2017, ref: UA AZE2/2017..
37. Dans l’affaire portée devant la Cour européenne des droits de l’homme, A c. Azerbaïdjan (n° 17184/18), et 24 autres requêtes, «les requérants sont des membres de la communauté LGBT qui ont été arrêtés lors des rafles lancées par la police à la mi-septembre 2017. Les requérants se plaignent que leur arrestation et leur détention administrative ultérieure étaient illégales et arbitraires, et fondées uniquement sur leur orientation sexuelle réelle ou perçue. Ils affirment en outre qu'ils ont été maltraités par des officiers de police et du personnel de garde à vue et que les autorités compétentes n'ont pas mené d'enquête efficace sur les mauvais traitements qu'ils auraient subis. Les requérants se plaignent également qu'ils ont été soumis à des examens médicaux forcés pendant leur détention» 
			(26) 
			<a href='https://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-192028'>Requête
n° 17184/18</a>, A c. l’Azerbaïdjan et 24
autres requêtes, Cour européenne des droits de l’homme,
26 février 2019 (en anglais uniquement)..
38. Une nouvelle vague d’arrestations a également eu lieu le 1er avril 2019 où au moins huit personnes gays et transgenre, ont été détenues par la police à Bakou. De nouvelles arrestations ont eu lieu les jours suivants. Des examens médicaux forcés leur ont notamment été imposés afin de déceler des maladies sexuellement transmissibles 
			(27) 
			ILGA Europe, «Rapport
annuel 2020», <a href='https://www.ilga-europe.org/sites/default/files/2020/azerbaijan.pdf'>Azerbaïdjan,
para. «Bias-motivated violence»</a>.. D’après le rapport de l’ECRI, ces violences conduisent les personnes LGBTI à craindre la police et à ne pas déclarer les attaques qu’elles subissent dans leur quotidien 
			(28) 
			ECRI, Rapport sur l’Azerbaïdjan
(5ème cycle), para. 41..
39. Plusieurs cas de discours de haine de la part des dirigeant·e·s politiques et des médias sont à noter. En 2012, un dirigeant du Parti islamique d’Azerbaïdjan menaçait ainsi de faire couler le sang des personnes LGBTI dans le pays si la Marche de la fierté devait avoir lieu 
			(29) 
			Ibid.,
para. 27.. Plus récemment, en 2019, la Vice-présidente du Comité d'État pour les affaires familiales, féminines et de l'enfance accusait l’Europe occidentale de vouloir imposer le mariage homosexuel aux autres pays 
			(30) 
			ILGA
Europe, «Rapport annuel 2020», <a href='https://www.ilga-europe.org/sites/default/files/2020/azerbaijan.pdf'>Azerbaïdjan,
para. «Bias-motivated speech»</a>.. Les personnes LGBTI sont régulièrement décrites par les médias dans des termes humiliants. Des allégations d’orientation sexuelles LGBTI ont également été utilisées pour jeter le discrédit sur des opposant·e·s politiques et des journalistes 
			(31) 
			ECRI, Rapport sur l’Azerbaïdjan
(5ème cycle), para. 27.. Parmi les cas récents de discours haineux de politicien·ne·s visant les personnes LGBTI, on peut citer la déclaration du député Fazil Mustafa, qui a décrit l'homosexualité comme contraire à la vertu et à la nature, et les propos de M. Rafiq Manafli – président de l'Assemblée suprême du Parti de la solidarité civile et membre de l'union des partis d'opposition. Le 14 mai 2020, lors d'une réunion en ligne, M. Manafli a déclaré qu'il était «très désolé que Hitler n'ait pas détruit ces homosexuels en 41-45». La vidéo de la réunion a fait l'objet d'une fuite et a été diffusée publiquement sur internet.
40. Un rapport publié en 2016 par la Fondation Heinrich Böll suggère que «les groupes islamiques, qui sont souvent influencés par le clergé du pays voisin, l'Iran, alimentent le climat hostile contre les personnes LGBTI» 
			(32) 
			Heinrich
Böll Stiftung, C. Weber, «<a href='https://eu.boell.org/en/2016/02/24/europe-lets-speak-out-lgbti-rights-south-caucasus'>Europe,
Let’s Speak Out for LGBTI Rights in South Caucasus</a>», 24 février 2016..
41. Sur le plan législatif, l’Azerbaïdjan ne prévoyait pas l’interdiction de la discrimination basée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre lors du dernier cycle d’examen de l’ECRI 
			(33) 
			ECRI, Rapport sur l’Azerbaïdjan
(5ème cycle), para. 27.. La situation n'a pas évolué depuis lors.
42. La Constitution de la République d'Azerbaïdjan de 1995, introduit à l’article 25 le principe d’égalité de tous les citoyen·ne·s, toutefois la Constitution ne mentionne pas l'orientation sexuelle, l'identité et l'expression de genre, ni les variations des caractéristiques sexuelles. Aucun autre texte juridique ne mentionne explicitement ces motifs ou ne comporte de dispositions spécifiques sur la mise en œuvre du droit à l'égalité pour les personnes LGBTI. Il n'existe pas de politiques ou de plans d'action concrets pour lutter contre les brimades homophobes, biphobes, transphobes ou interphobes 
			(34) 
			R. Ávila Rodríguez,
«<a href='https://www.iglyo.com/wp-content/uploads/2021/09/EMBARGOED-Inclusive-Education-Study-2021.pdf'>LGBTQI
Inclusive Education Study</a>», The International Lesbian, Gay, Bisexual, Transgender, Queer
and Intersex Youth and Student Organisation (IGLYO), Bruxelles,
2021, www.iglyo.com.. L'orientation sexuelle, l'identité de genre ou l'expression de genre des victimes d'infractions pénales ne sont pas considérées comme des circonstances aggravantes par le code pénal.
43. Au contraire, les représentant·e·s de la société civile dénoncent le fait que les autorités de l'État limitent les droits des défenseurs et défenseuses des droits humains et des ONG LGBTI et entravent leur activité 
			(35) 
			Voir
note de bas de page 34..
44. Les organisations non gouvernementales locales ont salué le nouveau plan d'action national (PAN) sur l'égalité des sexes pour la période 2019-2024. Selon le rapport alternatif des Nations Unies soumis par NAFAS LGBT, «certaines des actions énumérées dans le PAN seraient très pertinentes pour les femmes LBT et les personnes intersexuées. Plus précisément, les actions suivantes: amélioration de la législation et sensibilisation du public à l'égalité des sexes et aux droits des femmes; renforcement des mesures de lutte contre la violence fondée sur le genre; réalisation de l'égalité des sexes dans le domaine économique; prévention et lutte contre les stéréotypes sexistes et la discrimination. Cependant, les femmes LBT et les personnes intersexuées ne sont pas explicitement mentionnées dans le PAN. De manière générale, les dispositions, les objectifs et les tâches se réfèrent au ‘genre’ ou aux ‘femmes’ uniquement» 
			(36) 
			Free LGBT Azerbaijan
Collective, Nafas LGBT Azerbaijan, «<a href='https://www.ecoi.net/en/document/2041355.html'>Submission
to the Committee on the Elimination of Discrimination against Women
in relation to the sixth periodic review of Azerbaijan</a>», 77th CEDAW Session, 22 octobre 2020 (en anglais uniquement).
45. Une étape positive récente est la création de la «Plate-forme pour l'égalité en Azerbaïdjan», une coalition d'ONG et de chercheurs et chercheuses spécialisé·e·s dans la lutte contre la discrimination, créée en septembre 2020. La plateforme est active entre autres dans le domaine des droits des personnes LGBTI. Les représentant·e·s de la Plateforme pour l'égalité ont tenu une réunion avec le défenseur des droits national (Ombudsman). Cet organe bénéficie du soutien des projets de coopération du Conseil de l'Europe 
			(37) 
			Partnership
for Good Governance II: Regional project on «<a href='https://rm.coe.int/note-to-the-press-regional-project-on-strengthening-access-to-justice-/168094eadb'>Strengthening
access to justice for victims of discrimination, hate speech and
hate crimes in the Eastern Partnership countries</a>»,funded by the European Union and the Council of Europe,
implemented by the Council of Europe, 1 février 2019 – 31 décembre
2021 (en anglais uniquement)..

4. Situation des droits des personnes LGBTI en Géorgie

46. Grâce notamment à l’introduction d’une législation anti-discrimination qui couvre l’orientation sexuelle et l’identité de genre 
			(38) 
			ECRI,
Rapport sur la Géorgie (5ème cycle), para. 8., la Géorgie se situe à la 26ème place sur les 49 États examinés, dans le classement d’ILGA Europe de 2019, avec un score de 30% 
			(39) 
			ILGA
Europe, «Rainbow map 2019».. La Géorgie se démarque également de ses voisins par une législation prévoyant l’interdiction des discours de haine fondés sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre 
			(40) 
			Expert
indépendant des Nations unies sur la protection contre la violence
et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité
de genre, Rapport de la visite en Géorgie du 15 septembre au 5 octobre
2018, A/HRC/41/45/Add.1, para 13.. La situation des personnes LGBTI dans ce pays apparaît donc comme nettement plus favorable par rapport au reste de la région.
47. Cependant, des violations des droits des personnes LGBTI ont été signalées par plusieurs sources, ce qui devrait inciter les autorités nationales à améliorer davantage le cadre législatif et les politiques. Les partenariats entre personnes de même sexe ne sont pas autorisés 
			(41) 
			Voir
note de bas de page 42, para. 70. et aucune législation n’est prévue concernant la reconnaissance du changement de sexe des personnes transgenres 
			(42) 
			Voir
note de bas de page 40, para. 21..
48. De nombreux cas de discours de haine de la part des autorités politiques et religieuses ont été relevés dans le pays ces dernières années. En 2019, le Patriarche de l’Église orthodoxe géorgienne a appelé, dans une déclaration publique aux autorités, à annuler la Marche de la fierté. Celui-ci a désigné cette manifestation comme un moyen de populariser le mode de vie de «pécheurs» des personnes LGBTI 
			(43) 
			Expert indépendant
des Nations unies sur la protection contre la violence et la discrimination
fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, Communication
Géorgie, 20 juin 2019. Ref: UA GEO1/2019.. L’Expert indépendant des Nations unies sur la protection contre la violence et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre dénonçait également en 2018 l’absence de contre-discours à ces propos de haine 
			(44) 
			Voir
note de bas de page 42, para. 52..
49. Une vision de la société présentée comme étant exclusivement composée de personnes hétérosexuelles et cisgenres est largement relayée par les médias 
			(45) 
			Ibid.,
para. 27.. Le personnel médical corrobore également l’idée que l’homosexualité est une maladie. Selon une étude de 2015, 39% d’entre eux affirmaient ainsi que l’homosexualité pouvait être soignée 
			(46) 
			Ibid.,
para. 76..
50. La liberté d’expression de la communauté LGBTI est régulièrement atteinte, comme en témoignent les nombreux appels à la haine et les violences lors des événements LGBTI, qui perturbent voire empêchent la tenue de ces évènements. Le 8 novembre 2019, une centaine de manifestant·e·s d’extrême droite ont bloqué l’entrée d’un cinéma où devait avoir lieu la projection en avant-première du film «Et puis nous danserons» (And then we danced) qui relatait l’histoire d’une relation homosexuelle entre deux danseurs géorgiens. Le drapeau arc-en-ciel a été brûlé à cette occasion 
			(47) 
			ILGA Europe, «Annual
review 2019 Georgia», para. «Freedom of expression» (en anglais
uniquement)..
51. Des menaces de mort à l’encontre de défenseurs et défenseuses des droits LGBTI ont également été relevées à plusieurs reprises 
			(48) 
			Voir note de bas de
page 49, para. «Human rights defenders».. Les cas d’abus ainsi que de violences policières à l’encontre des personnes LGBTI, tout particulièrement auprès des personnes transgenres, ont été rapportés à l’Expert indépendant des Nations unies 
			(49) 
			Voir note de bas de
page 42, para 40.. Ce dernier a également fait état d’affaires de chantage. Ces diverses situations conduisent à une défiance de la communauté LGBTI à rapporter des violences auprès de la police 
			(50) 
			Idem..
52. Les discours homophobes et transphobes sont présents à l’école. Les programmes scolaires ne mentionnent pas l’homosexualité et aucun enseignement neutre sur les questions LGBTI n’existe 
			(51) 
			Voir note de bas de
page 42, para. 106.. Les membres de la communauté LGBTI ont également relevé que certains parents et enseignants tentaient de convaincre des élèves de changer d'orientation sexuelle, notamment par le biais de conseils psychologiques, donnant l'impression erronée que l'enfant devait être «guéri» 
			(52) 
			Ibid., para. 82.. Les jeunes sont souvent victimes d’exclusion des foyers familiaux à la suite de la révélation de leur homosexualité 
			(53) 
			Ibid., para. 74..
53. Si 27% des répondants de l’enquête nationale démocratique de 2019 estimaient que la protection des droits des personnes LGBTI est importante, ce groupe reste néanmoins le moins soutenu des groupes minoritaires dans le pays 
			(54) 
			ILGA
Europe, «Annual review 2019 Georgia», para. «Public opinion» (en
anglais uniquement)..
54. Lors de ma visite en Géorgie, à la suite d’une réunion avec le chef adjoint du bureau de Tbilissi du Conseil de l’Europe, M. Vahagn Murdyan, qui m’a donné un aperçu de la situation politique dans le pays, j’ai eu la possibilité de rencontrer des chercheurs en sciences politiques, des militant·e·s des droits humains, notamment des personnes LGBTI, et des représentant·e·s des médias. Puis, j’ai échangé avec la Défenseuse publique des droits, des collègues parlementaires, des membres du gouvernement et des représentant·e·s du bureau du Procureur général et du secrétariat aux droits humains du Gouvernement géorgien.
55. Les organisations de la société civile m’ont dépeint la situation en termes plutôt sombres. Les sentiments hostiles envers les personnes LGBTI sont répandus au sein de la société géorgienne, ont-elles confirmé. Les jeunes LGBTI n’ont souvent pas de soutien de la part de leur famille et font face à des risques de marginalisation. J’ai constaté une fracture au sein des ONG géorgiennes entre celles qui prônent une approche plus visible, telles que Tbilisi Pride, et celles plus prudentes, qui craignent que la «provocation» puissent être contre-productive. J’estime qu’au-delà des différences de stratégie, la société civile devrait se montrer unie dans la défense des droits fondamentaux. Le courage des responsables de Tbilisi Pride face à des adversaires de taille, tels que l’Eglise orthodoxe, et à une hostilité ancrée dans les mentalités plus traditionnelles, est remarquable et mérite d’être soutenu.
56. La défenseuse des droits, Mme Lino Lomjaria, a démontré lors de notre réunion, qu’elle connaît et suit de près la situation des personnes LGBTI et les défis auxquels elles font face, y compris du point de vue de la liberté d’expression, avec une opposition très agressive de la part des groupes «anti-genre» et pas assez de protection de la part des autorités lors de manifestations passées. Le manque de poursuites pénales à l’encontre des responsables de faits de violence est problématique car il risque de conduire à une situation d’impunité avec des effets néfastes. Les personnes transgenres rencontrent des difficultés spécifiques, notamment dans l’accès au travail et lorsqu’elles se trouvent en détention. Mme Lomjaria a estimé cependant qu’une amélioration lente mais réelle est à constater dans la société géorgienne, avec entre autres plus de responsables politiques prêts à parler ouvertement des droits des personnes LGBTI, ce qui était particulièrement difficile il y a peu. Le Bureau de Mme Lomjaria joue un rôle important puisqu’il reçoit les plaintes des citoyen·ne·s et intervient auprès des différentes administrations pour redresser les torts éventuels.
57. M. Mikheil Sarjveladze, Président de la commission des droits humains et de l’intégration du Parlement de Géorgie, m’a expliqué qu’il avait contribué à la rédaction de la législation anti-discrimination et que ce processus n’avait pas été facile. Il a estimé qu’il y avait une amélioration de la situation des droits des personnes LGBTI dans le pays et que davantage de responsables politiques, de la majorité et de l’opposition, étaient prêts à prendre la parole ouvertement en faveur de ces droits. D’après M. Sarjveladze, il fallait éviter que les forces hostiles envers ce groupe puissent diffuser librement leur message de haine, et rester vigilants car ces groupes étaient souvent d’inspiration anti-occidentale et sous l’influence de puissances étrangères, et leur opposition aux droits des personnes LGBTI n’était qu’un thème utilisé pour obtenir le soutien des citoyen·ne·s plus conservateurs. J’ai eu également la possibilité d’échanger avec Mme Tamar Taliashvili, membre de la délégation géorgienne auprès de l’Assemblée, que je remercie sincèrement pour l’hospitalité et le soutien fourni pour l’organisation de ma visite.
58. Les réunions avec des membres du Gouvernement géorgien, M. Aleksandre Darakhvelidze, ministre adjoint de l’Intérieur, et Mme Ekaterine Dgebuadze, Première Vice-Ministre de l’éducation, de la Science, de la Culture et du Sport, ont été une opportunité de discuter de l’importance que les autorités attachent à la non-discrimination. M. Darakhvelidze a expliqué, entre autres, qu’une unité dédiée aux crimes de haine ou commis sur la base de motifs de discrimination a été créé en 2018 et un manuel pour les forces de police a été publié à ce sujet. Des données sont récoltées annuellement. Les peines pour ces crimes ont été aggravées. En outre, la coopération avec le Bureau de la Défenseuse des droits est intense.
59. Mme Natia Merebashvili, Procureure générale adjointe de Géorgie, m’a expliqué que la lutte contre la discrimination est, depuis 2016, l’une des priorités principales de son administration, avec des activités de formation, une sensibilisation continue des procureur·e·s, une base de données unique (réalisée avec le soutien du bureau de Tbilissi du Conseil de l’Europe). A ma question au sujet d’un risque d’impunité des responsables d’attaques violentes aux manifestations LGBTI, Mme Merebashvili a répondu que les poursuites pénales avaient augmenté au cours des dernières années. J’espère que la vigilance et l’efficacité à ce sujet seront une vraie priorité des pouvoirs publics géorgiens. Face à la violence qui se déchaîne lors des manifestations publiques des organisations LGBTI et qui entrave tout progrès dans ce domaine, la lutte contre l’impunité est à mon avis cruciale.
60. Mme Maka Peradze, Cheffe du Secrétariat aux droits humains du Gouvernement de Géorgie, a présenté les activités de son Secrétariat, qui coordonne l’action des différentes administrations géorgiennes dans le domaine des droits humains. Il prépare actuellement une deuxième stratégie des droits humains et une feuille de route pour sa mise en œuvre. La première stratégie a couvert la période 2014-2020. Un chapitre important de la stratégie concernait les crimes de haine. Cependant, les droits des personnes LGBTI n’y étaient pas mentionnés spécifiquement. En revanche, Mme Peradze m’a assuré que les organisations de la société civile sont consultées et impliquées dans la mise en œuvre des stratégies des droits humains, notamment dans la mise en œuvre des activités de sensibilisation.
61. Après les réunions du 1er juillet, j’aurais dû assister à l’évènement d’ouverture de la semaine de «Tbilisi Pride», avec la présentation d’un documentaire sur la marche de la fierté de Tbilissi de 2019, qui a été perturbée par des violences LGBT-phobes. Malheureusement j’ai été obligé d’annuler ma participation en raison d'une violente manifestation avec de bouteilles, de pierres et d’œufs sur les personnes présentes, visant en particulier les représentant·e·s de la communauté internationale. Un diplomate américain a été touché par un œuf. Finalement, l'événement a pu se tenir comme prévu. Après la projection du film, les spectatrices et les spectateurs ont pu quitter la salle en toute sécurité grâce à un cordon de police.
62. Les faits inquiétants du 1er juillet semblent confirmer les éléments fournis par la quasi-totalité de mes interlocutrices et interlocuteurs: d’une part, une atteinte grave aux droits humains, dont la liberté d’expression, portée par les extrémistes s’opposant à la Tbilisi Pride. D’autre part, une attitude plus ouverte que dans le passé de la part des autorités, qui ont exprimé leur volonté de garantir la tenue en toute sécurité des manifestations LGBTI. Le déploiement important des forces de l’ordre lors de l’évènement d’ouverture ont montré que cette volonté était réelle.
63. Mener un plaidoyer pour que les autorités garantissent les libertés fondamentales et la sécurité des manifestant·e·s, conformément à l'arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme de 2015 dans l'affaire IDENTOBA et autres c. Géorgie, faisait partie des objectifs de ma visite. Cela semblait acquis lors des réunions que j’ai tenues. Non seulement les responsables politiques m’ont rassuré, mais les représentant·e·s des ONG ont également reconnu que l’attitude des institutions avait changé et qu’actuellement un plus haut niveau de protection de la liberté d’expression était garanti. L’action de sensibilisation et de persuasion morale menée par la société civile et par les acteurs de la communauté internationale, dont le Conseil de l’Europe, plusieurs ambassades à Tbilissi et récemment l'intergroupe LGBTI du Parlement européen, ont contribué à ce résultat.
64. Malheureusement, au cours des jours suivants, une recrudescence de la violence a été observée et la situation est devenue plus compliquée au sein du monde politique. Le 4 juillet, une foule d’homophobes a attaqué le siège de Tbilisi Pride, déchirant symboliquement un drapeau arc-en-ciel avant de vandaliser les locaux et détruisant les ordinateurs de l’organisation. Le lendemain, la marche qui devait être le moment final et le plus important des manifestations a été annulée à cause des attaques d’une violence extrême menées par des opposant·e·s «anti-Pride». Les victimes étaient principalement des journalistes qui se préparaient à couvrir la marche. Selon des sources officielles, 55 personnes ont été agressées, dont 53 représentant·e·s des médias.
65. Un caméraman de la chaine de télévision Pirveli, Lekso Lashkarava, de 36 ans, a été «battu sans pitié pendant 20 minutes» par les extrémistes anti-Pride d’après une de ses collègues. Soigné pour plusieurs fractures et contusions, il est décédé quelques jours après avoir quitté l’hôpital. Si la cause directe du décès reste à déterminer, ce fait tragique a suscité une vague d’indignation dans le pays, avec des manifestations publiques de protestations contre le gouvernement et de solidarité avec les médias et la Tbilisi Pride.
66. En réponse aux faits des 4 et 5 juillet, si la Présidente géorgienne Salomé Zourabichvili a publiquement soutenu la liberté d'expression dans le cadre de la Tbilisi Pride dans une déclaration publiée dès le 1er juillet, le Premier ministre Irakli Garibashvili a été moins encourageant. A la veille de la semaine de manifestations, il a déclaré que la tenue de la marche serait «déraisonnable» et a laissé entendre que l'ancien Président géorgien Saakashvili était derrière les organisateurs. D’après le chef du gouvernent, la marche était susceptible de «conduire à une confrontation entre les citoyen·ne·s». Au lendemain des violences contre les journalistes et de la manifestation improvisée devant le parlement en solidarité avec la Tbilisi Pride et la presse, M. Garibashvili a déclaré que cette manifestation véhiculait «des messages anti-étatiques, anti-église et anti-nationaux». D’autre part, M. Garibashvili a confirmé que des enquêtes criminelles étaient en cours et il a exprimé fermement son soutien à cette démarche. D’après les informations disponibles, les autorités coopèrent activement avec les victimes et un grand nombre d’auteurs présumés des violences ont été arrêtés. Il est rassurant de constater que le Premier Ministre et le reste des autorités géorgiennes se sont engagés dans la lutte contre l’impunité, une condition indispensable pour que les attaques violentes contre la liberté d’expression ne se reproduisent pas dans le futur.
67. J’estime que face à des attaques si violentes à la liberté d’expression, au droit à l’information et à la sécurité des représentant·e·s des médias, la condamnation de la part des institutions devrait être forte et unanime. Les droits des personnes LGBTI et leur visibilité sont devenus un sujet important et clivant dans le débat politique géorgien. Ce thème est devenu une sorte d’élément symbolique qui reflète les valeurs des différents acteurs politiques, voire leur avis sur le positionnement international de leur pays. Les défenseuses et les défenseurs les plus convaincus de la liberté d’expression de Tbilisi Pride sont en général en faveur d’une politique pro-Europe occidentale. Mes interlocutrices et mes interlocuteurs, bien que de façon peu explicite, m’ont fait comprendre que l’opposition contre les droits des personnes LGBTI, menée par les forces géorgiennes plus conservatrices et par l’Église orthodoxe, est en même temps le résultat de pressions provenant de pays étrangers «hostiles» (le terme a été utilisé à plusieurs reprises). Pour mener à bien son action en matière d’égalité et de non-discrimination, la Géorgie a besoin du soutien de la communauté internationale et des organisations telles que le Conseil de l’Europe. Pour ce qui est de l’Assemblée parlementaire, la visite récente du Président Daems a véhiculé un message d’attention et de solidarité louable et nécessaire.

5. Conclusions

68. Le respect des droits des personnes LGBTI est un thème révélateur des attitudes culturelles et politiques et un aspect important de la non-discrimination dans la législation et les politiques d’un pays. Faire évoluer la situation exige donc des efforts de longue haleine. L’introduction de mesures anti-discriminatoires est indispensable, mais pas suffisante. L’autre aspect nécessaire est une mise en œuvre effective de ces mesures, avec le soutien de tous les secteurs de l’administration – de l’éducation nationale aux forces de police et au secteur judiciaire, en coopération avec la société civile et les industries culturelles. Je tiens à souligner que les traditions culturelles et religieuses d’un pays ne devraient pas être invoquées pour justifier des formes d’exclusion sociale, voire de discrimination. Tous les membres de la société doivent être en mesure d’exercer leurs droits, dont le droit au respect de la vie privée et familiale, la liberté d’expression et la liberté de pensée, de conscience et de religion. Il incombe à chaque État membre du Conseil de l’Europe de respecter ces droits. La politique a un rôle important à jouer dans l’identification du meilleur équilibre entre les attentes et les droits des différentes composantes de la société.
69. L’Assemblée parlementaire et le Conseil de l’Europe dans son ensemble sont en mesure de faciliter cette tâche délicate, au moyen de l’arsenal juridique qu’ils ont produit au cours des décennies (à la fois par les textes contraignants et la «soft law» ou droit souple), des programmes d’information et de sensibilisation et tout aussi important, de leur fonction de forum permanent de réflexion et de discussion en matière de droits humains.