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Rapport | Doc. 15443 | 25 janvier 2022

Contestation, pour des raisons substantielles, des pouvoirs non encore ratifiés de la délégation parlementaire de la Fédération de Russie

Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l'Europe (Commission de suivi)

Rapporteur : M. Piero FASSINO, Italie, SOC

Origine - Renvoi en Commission: Décision de l’Assemblée, Renvoi 4628 du 24 janvier 2022. 2022 - Première partie de session

Résumé

La commission de suivi attire l'attention sur la détérioration de la situation en ce qui concerne le pluralisme, les droits humains et les libertés fondamentales dans la Fédération de Russie, qui se manifeste par la répression des opposants politiques, de la société civile indépendante, des voix dissidentes et des journalistes exprimant des critiques.

Elle déplore la dissolution de Mémorial et le sort réservé à M. Alexei Navalny. Elle évoque les graves manquements constatés lors des élections législatives de 2021 et exprime son inquiétude face à la détérioration des relations avec ses voisins et à l'escalade des tensions qui menacent la sécurité européenne.

En même temps, la commission souligne que l'Assemblée parlementaire constitue l'unique plate-forme parlementaire paneuropéenne de dialogue politique avec la participation de tous les pays européens.

Elle propose donc que l'Assemblée ratifie les pouvoirs de la délégation de la Fédération de Russie et revienne sur l'évaluation des progrès accomplis lorsqu'un rapport de suivi sera présenté dans le courant de l'année.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté le 25 janvier 2022.

(open)
1. L'Assemblée parlementaire rappelle ses Résolution 1990 (2014), Résolution 2034 (2015), Résolution 2063 (2015), Résolution 2292 (2019), Résolution 2320 (2020) et Résolution 2363 (2021) et réitère les recommandations qu’elles a adressées aux autorités russes.
2. L’Assemblée exprime sa très vive inquiétude quant à la détérioration de la situation en ce qui concerne le pluralisme, les droits humains et les libertés fondamentales dans la Fédération de Russie, qui s’est manifestée par la répression des opposants politiques, de la société civile indépendante, des voix dissidentes et des journalistes exprimant des critiques.
3. En particulier, les lois relatives aux agents étrangers, aux organisations indésirables et à l’extrémisme, adoptées récemment, sont incompatibles avec les normes du Conseil de l’Europe et entraînent des conséquences négatives sur la démocratie, l’État de droit et le respect des droits humains.
4. La dissolution de Memorial, malgré de multiples demandes de la communauté internationale, l’une des organisations de défense des droits humains les plus respectées de la Fédération de Russie, porte un coup sérieux à la démocratie et aux libertés d’association et d’expression. Il s’agit d’un tournant et d’un obstacle important au fonctionnement de la société civile indépendante en Fédération de Russie.
5. Le sort de M. Alexei Navalny, arrêté et détenu malgré l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme, est extrêmement préoccupant, notamment compte tenu de son rôle dans le processus politique en Fédération de Russie, tout comme les événements qui ont entouré son empoisonnement.
6. L'Assemblée note que, contrairement aux dernières élections législatives et présidentielle organisées en Fédération de Russie en 2016 et 2018 respectivement, elle a été invitée à observer les élections législatives de 2021; elle regrette néanmoins les lacunes dans le droit électoral et la conduite des élections législatives de 2021 à la Douma, telles qu'elles ont été identifiées par la mission d'évaluation de l’Assemblée et la Commission de Venise.
7. L’Assemblée se déclare extrêmement préoccupée par l’escalade des tensions qui menacent la sécurité en Europe et par le renforcement des troupes militaires de la Fédération russes le long de sa frontière avec l’Ukraine.
8. L'Assemblée regrette qu'aucun progrès n'ait été accompli pour donner suite aux demandes et requêtes de l'Assemblée dans le cadre de la guerre de 2008 entre la Fédération de Russie et la Géorgie, telles qu'exprimées dans les Résolution 1633 (2008), Résolution 1647 (2009) et Résolution 1683 (2009), ainsi qu'au sujet de l'intervention militaire dans le Donbass et l'annexion illégale de la Crimée par la Fédération de Russie, telles qu'exprimées dans les Résolution 1990 (2014), Résolution 2034 (2015), Résolution 2063 (2015) et Résolution 2132 (2016).
9. L'Assemblée exprime sa plus vive déception de constater qu’aucune des recommandations incluses dans la Résolution 2363 (2021) «Contestation, pour des raisons substantielles, des pouvoirs non encore ratifiés de la délégation parlementaire de la Fédération de Russie» n'ont été suivies.
10. En outre, l'Assemblée regrette le manque de coopération de la Fédération de Russie avec l'Assemblée dans la préparation des rapports intitulés «Faire la lumière sur le meurtre de Boris Nemtsov» (Résolution 2297(2019)); «L'arrestation et la détention d'Alexeï Navalny en janvier 2021» (Résolution 2375 (2021)); «Empoisonnement d'Alexeï Navalny» (Résolution ... (2022)) et «Prisonniers politiques en Fédération de Russie».
11. Si les préoccupations susmentionnées justifient des questions quant au respect par la Fédération de Russie de ses engagements et obligations en tant qu'État membre du Conseil de l'Europe, il convient de souligner que l'Assemblée constitue l'unique plateforme parlementaire paneuropéenne de dialogue politique avec la participation de tous les pays européens sur les moyens de faire respecter les valeurs et les normes que défend le Conseil de l'Europe, y compris en Fédération de Russie. Il est rappelé que l'Assemblée ne peut jouer un rôle significatif dans ce processus que si la Fédération de Russie est un État membre de l'Organisation et participe pleinement à ses organes, mécanismes de coopération et activités.
12. À cet égard, il convient de reconnaître l'engagement de la délégation russe à coopérer avec la commission de suivi. L'Assemblée doit saisir cette occasion pour exercer une influence sur l'évolution de la situation de la démocratie, de l’État de droit et des droits de l’homme dans la Fédération de Russie.
13. Il convient également de souligner que, de manière générale, la Fédération de Russie est un membre actif du Conseil de l'Europe et qu'elle participe intensément à ses nombreuses activités, notamment au titre des conventions concernant le respect des engagements et obligations qu'elle a contractés au sein de l'Organisation.
14. La primauté des décisions de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie sur le droit international, y compris les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, ne garantit pas aux citoyens russes un recours en matière de droits humains et la possibilité de tenir les autorités pour responsables, ce qui demeure un argument important en faveur de la poursuite de la coopération à tous les niveaux, y compris au niveau parlementaire.
15. Il faut noter que l’Union Européenne, l’OTAN, l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) et aussi les Etats-Unis, tout en exprimant clairement leurs critiques à l’égard du comportement des autorités russes, n’ont pas interrompu leurs relations avec Moscou et ce, afin de maintenir un dialogue sur la sécurité en Europe et de favoriser une évolution qui verra l’État de droit et les principes démocratiques respectés en Fédération de Russie.
16. En conséquence, l’Assemblée décide de ratifier les pouvoirs des membres de la délégation russe.
17. Dans le même temps, l’Assemblée demande aux autorités russes de donner suite aux recommandations figurant dans les Résolution 1633 (2008), Résolution 1647 (2009), Résolution 1683 (2009), Résolution 1990 (2014), Résolution 2034 (2015), Résolution 2063 (2015), Résolution 2292 (2019), Résolution 2320 (2020) et Résolution 2363 (2021), et en particulier:
17.1. de répondre aux préoccupations en abrogeant la loi de 2012 relative aux agents étrangers modifiée et la loi de 2015 relative aux organisations indésirables modifiée, et d’amender la loi relative à l'extrémisme afin de la rendre conforme aux normes du Conseil de l'Europe;
17.2. de ne pas adopter de nouvelles lois imposant des restrictions supplémentaires sur la société civile, les défenseurs des droits humains et les journalistes;
17.3. de s’abstenir de toute violation des libertés fondamentales et des droits humains, en particulier la liberté d’expression, de réunion et d’association;
17.4. de coopérer avec toutes les commissions de l’Assemblée et de faciliter les missions de suivi et d’information de l’Assemblée;
17.5. d’intégrer, dans le système juridique russe, les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme et de les mettre en œuvre;
17.6. de mettre en œuvre sans délai toutes les décisions du Comité des Ministres concernant l'exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme et des multiples recommandations du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT);
17.7. de mettre pleinement en œuvre la Résolution 2375 (2021) «L'arrestation et la détention d' Alexeï Navalny en janvier 2021», la Résolution ... (2022) «Empoisonnement d’Alexei Navalny» et la Résolution 2297 (2019) «Faire la lumière sur le meurtre de Boris Nemtsov».
18. En réponse à la ratification des pouvoirs de la délégation russe, l’Assemblée attend un dialogue constructif aboutissant à des résultats concrets. Elle invite sa commission de suivi à poursuivre le dialogue avec les autorités de la Fédération de Russie et à soumettre le rapport sur le respect des obligations et des engagements de la Fédération de Russie dans les meilleurs délais, et au plus tard avant la fin de l'année 2022.

B. Exposé des motifs par M. Piero Fassino, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le 24 janvier 2022, avec le soutien de plus de 30 membres de l’Assemblée parlementaire présents dans l’hémicycle et/ou suivant les débats par visioconférence, appartenant à cinq délégations nationales au moins, M. Emanuelis Zingeris (Lithuanie, PPE/DC) a contesté les pouvoirs non encore ratifiés de la délégation russe pour des raisons substantielles sur le fondement de l’article 8 du Règlement de l’Assemblée. Par la suite, Mme Yevheniia Kravchuk (Ukraine, ADLE) a contesté les pouvoirs de la délégation russe pour des raisons formelles sur le fondement de l'article 7 du Règlement avec le soutien de plus de 10 membres présents et appartenant à au moins cinq délégations nationales.
2. Les raisons substantielles pour lesquelles les pouvoirs ont été contestés renvoient à des violations des principes fondamentaux du Conseil de l’Europe énoncés à l’article 3 et dans le préambule de son Statut (STE n° 1); au non-respect par la Fédération de Russie des recommandations que lui a adressées l’Assemblée dans de précédentes résolutions, en particulier les Résolution 1990 (2014), Résolution 2034 (2015), Résolution 2063 (2015), Résolution 2292 (2019),Résolution 2320 (2020), et Résolution 2363 (2021); à de nouvelles violations de l’État de droit et de la démocratie, le respect des droits humains et des libertés fondamentales et, plus généralement, le non-respect par la Fédération de Russie de ses engagements et obligations à l’égard du Conseil de l’Europe.
3. Conformément à l’article 8.3 du Règlement, la commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l’Europe (commission de suivi) a été saisie pour rapport sur les raisons substantielles et la commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles pour avis.
4. Lors de sa réunion du 24 janvier 2022, la commission de suivi m’a nommé rapporteur.
5. La présente contestation des pouvoirs fait suite à des contestations similaires présentées en juin 2019 (lors du retour de la délégation russe à l'Assemblée après son absence depuis 2015), en janvier 2020 et en janvier 2021.
6. Dans les chapitres qui suivent, j'essaierai de faire le point sur les évolutions et sujets de préoccupation concernant le respect des obligations et engagements de la Fédération de Russie à l’égard du Conseil de l’Europe. Pour des raisons évidentes, je ne peux pas présenter un tableau exhaustif de l'état de la démocratie et des droits de l’homme dans la Fédération de Russie et, en tout état de cause, ce n'est pas l'objet de mon rapport; celui-ci n'est pas destiné à remplacer ni à reproduire un rapport en cours d'élaboration par les rapporteurs chargés du suivi de la Russie, prévu pour être débattu devant l'Assemblée dans le courant de l'année. Le présent rapport ne traitera que de certains sujets de préoccupation en suspens concernant la démocratie, l'État de droit et la protection des droits de l’homme en Russie qui revêtent une importance pour le débat sur les pouvoirs de la délégation parlementaire russe.

2. Élections législatives

7. Les élections législatives se sont déroulées sur trois jours du 17 au 20 septembre 2021. Nous pouvons noter, contrairement aux précédentes élections législatives de 2016 et à l'élection présidentielle de 2018, que l'Assemblée a, cette fois-ci, été invitée à observer les élections. Sur décision du Bureau de l’Assemblée, une commission ad hoc de l'Assemblée composée de représentants des cinq groupes politiques a tenu, les 2 et 3 septembre 2021, des réunions préélectorales à distance afin de recueillir des informations sur la préparation des élections et d'évaluer la possibilité de tenir une réunion in situ. La commission ad hoc s'est réunie à Moscou du 16 au 20 septembre 2021 sous la forme d'une Mission d'évaluation des élections.
8. Malgré l’absence d’une mission internationale d’observation des élections 
			(2) 
			L'OSCE
a décidé de ne pas envoyer d'observateurs à la suite des restrictions
imposées par les autorités russes en raison de la pandémie. en bonne et due forme, la Mission d'évaluation des élections a été en mesure d'effectuer une observation des élections partielle en se rendant dans un certain nombre de bureaux de vote et en rencontrant certaines parties prenantes. S'appuyant sur les informations recueillies dans le cadre des réunions organisées à distance et in situ, notamment avec la Commission électorale centrale, les observateurs nationaux et les organisations de la société civile, ainsi que sur les conclusions de la Commission de Venise, la mission d'évaluation des élections a rendu compte au Bureau et ses conclusions ont été transmises à la commission de suivi pour qu'elle en tienne compte dans son prochain rapport de suivi sur la Fédération de Russie 
			(3) 
			<a href='https://assembly.coe.int/LifeRay/BUR/Pdf/DocsAndDecs/2021/AS-BUR-2021-62-FR.pdf'>Voir
As/Bur (2021) 62</a>..
9. La Mission a identifié certains sujets de préoccupation concernant l’encadrement juridique des élections.
10. La législation électorale russe ne cesse d’évoluer, les changements les plus récents ayant été adoptés en 2020 et 2021. Des modifications récentes ont notamment conféré à la Commission électorale centrale (CEC) le droit de décider de la prolongation du scrutin jusqu'à trois jours. Le vote sur plusieurs jours a été introduit pour la première fois en avril 2020 à l'occasion du vote consultatif de tous les citoyens russes («All-Russian vote») sur les amendements constitutionnels, qui s'est étalé sur sept jours. Il a ensuite été utilisé lors des élections régionales et locales de septembre 2020 et 2021. Il a été critiqué au motif qu'il donnait aux autorités un plus grand contrôle sur les élections et ne garantissait pas la transparence ni la sécurité nécessaires au scrutin. Cette critique a été réitérée lors des élections législatives par les observateurs, qui n'ont eu aucune possibilité de surveiller l’entreposage des urnes pendant la nuit et se sont plaints que le vote sur plusieurs jours a été utilisé pour faire pression sur les électeurs afin qu'ils se rendent dans les bureaux de vote pour augmenter la participation au scrutin.
11. En outre, l'accès à la vidéosurveillance a été restreint à un petit nombre de comptes attribués aux représentants des partis politiques et à certains observateurs, contrairement aux élections précédentes où les vidéos en provenance des bureaux de vote pouvaient être consultées par n'importe qui en ligne. Le nouveau système semble poser des problèmes eu égard au respect du Code de bonnes pratiques en matière électorale de la Commission de Venise car il offre la possibilité de limiter la capacité des observateurs à suivre différentes opérations liées aux élections 
			(4) 
			Voir
le Code de bonnes pratiques en matière électorale <a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2002)023rev2-cor-e'>(CDL-AD
(2002)023rev2-cor).</a>.
12. Le vote électronique, introduit en mai 2020, suscite également de vives préoccupations. Cette option, disponible dans sept sujets de la Fédération selon les données de la CEC, pourrait concerner environ 15 millions d'électeurs.
13. Un certain nombre d'organisations nationales impliquées dans le processus d'observation des élections et certains partis politiques ont fait part de leurs inquiétudes quant au secret et à la transparence du processus, au manque de possibilité d'observer le vote électronique, à l'absence d'instruments permettant d’évaluer et de vérifier son fonctionnement et permettant aux électeurs de vérifier leur vote, ainsi qu'au manque de clarté quant à l'organe chargé d’examiner les plaintes à ce sujet.
14. Les modifications les plus récentes apportées au cadre juridique des élections incluent d’importantes restrictions au droit de se présenter aux élections, liées notamment au statut d'«agent étranger», à la loi relative à l'extrémisme ainsi qu’à la détention d’actifs à l'étranger. En effet, certains membres bien connus des partis d'opposition ont vu leurs candidatures refusées et diverses procédures pénales ouvertes ou en cours ainsi que les condamnations prononcées à l'encontre de plusieurs personnalités de l'opposition les ont effectivement empêchées de se présenter aux élections.
15. Plus inquiétant encore, la CEC a procédé à la radiation de plusieurs candidats sur la base d’informations reçues des autorités, sans aucune décision judiciaire. Environ 9 millions de citoyens russes auraient ainsi été privés de leurs droits électoraux passifs.
16. Lors de la campagne, les candidats n’étaient manifestement pas tous sur un pied d’égalité. Des conditions de campagne inégales, notamment en matière de couverture médiatique, et des allégations d’utilisation abusive de ressources de l’État et de l’administration, ont nui à l’équité de la campagne.
17. À la suite des élections, Russie unie a maintenu sa majorité constitutionnelle malgré quelques pertes; elle a remporté 324 des 450 sièges et a recueilli 49,82 % des voix. Trois autres partis déjà présents dans la Douma précédente (le Parti communiste, Russie juste-pour la vérité et le Parti libéral-démocrate de Russie) ont de nouveau obtenu des sièges, et un nouveau parti, «Nouvelles personnes», a fait son entrée au parlement, avec 13 sièges et 5,32 % des voix. Le taux de participation a été de 51,72 %. Selon l’opposition extraparlementaire, en particulier Yabloko, la société civile, les journalistes indépendants et les partis qui critiquent véritablement les autorités ne sont plus représentés à la Douma depuis 2012.
18. Enfin, je tiens à mentionner la position de l’Assemblée concernant l’annexion illégale de la Crimée, confirmée le plus récemment dans la Résolution 2363 (2021). Je tiens aussi à mentionner l’avis sur la conformité, au regard des normes du Conseil de l’Europe et d’autres normes internationales, de l’inclusion d’un territoire non reconnu internationalement dans une circonscription nationale à des fins d’élections législatives, adopté par la Commission de Venise, qui y souligne que «l’organisation d’élections sur le territoire annexé ne constitue pas et ne peut pas constituer un remède à l’annexion».

3. Répression de la société civile et de l'opposition politique

3.1. Le cas de M. Alexei Navalny

19. Le cas emblématique du leader de l’opposition, M. Alexei Navalny, fait l’objet d’un autre rapport de l’Assemblée, intitulé «Empoisonnement d’Alexei Navalny», élaboré par la commission des questions juridiques et des droits de l'homme (rapporteur: M. Jacques Maire, France, ADLE), qui doit être examiné lors de la partie de session de janvier 2022 
			(5) 
			Voir Doc. 15434.. Sans m’immiscer dans le travail du rapporteur, je voudrais simplement évoquer quelques points ayant un intérêt pour le présent rapport.
20. Le 17 janvier 2021, M. Navalny a été arrêté à son retour d’Allemagne (où il avait été soigné à la suite d’un empoisonnement) pour avoir enfreint les termes d’une condamnation avec sursis prononcée en 2014 dans l’affaire Yves Rocher. Le procès initial ayant abouti à cette condamnation a été considéré comme inéquitable par la Cour européenne des droits de l'homme (STE n° 5), qui a conclu à la violation de l’article 18 de la Convention européenne des droits de l'homme 
			(6) 
			Navalny c. Russie,
arrêt du 17 octobre 2017.. À ce jour, M. Navalny est toujours en détention, malgré les vives critiques émises par la communauté internationale, y compris par les rapporteurs de l’Assemblée chargés du suivi, qui ont fait une déclaration publique à ce sujet.
21. Avant son empoisonnement et son arrestation, M. Navalny menait des activités politiques, notamment une campagne contre la corruption (il a participé à la création de la Fondation anti-corruption, FSK). En 2013, il s’est présenté aux élections municipales de Moscou et a obtenu 27 % des voix. Il a tenté de se présenter à l’élection présidentielle de 2018 mais la CEC a rejeté sa candidature en raison de sa condamnation antérieure. Il a néanmoins poursuivi ses activités politiques en organisant un «vote intelligent» aux élections régionales et locales et en structurant un réseau. Il a été placé en détention à plusieurs reprises pour avoir organisé des rassemblements publics non autorisés ou pour y avoir participé.
22. Dans plusieurs autres arrêts rendus à la suite de requêtes introduites par M. Navalny, la Cour européenne a conclu à la violation, par les autorités russes, de la liberté d’expression de M. Navalny, de son droit à la liberté et à la sûreté, de son droit à un procès équitable, du principe «pas de peine sans loi» et de l’interdiction des peines ou traitements inhumains ou dégradants.
23. Malheureusement, le cas de M. Navalny est symptomatique des difficultés rencontrées par les opposants politiques et les personnes qui critiquent le gouvernement. En outre, la Cour a reconnu dans plusieurs de ses arrêts que la manière dont M. Navalny était traité par les autorités entraînait des répercussions négatives sur le pluralisme et la démocratie en Russie. La Cour a ainsi évoqué l’effet dissuasif des actes des autorités, qui découragent M. Navalny et d’autres personnes de participer à des rassemblements de protestation et de s’engager activement en politique dans le camp de l’opposition.

3.2. Législation restrictive: loi sur les agents étrangers, loi sur les organisations indésirables et loi sur l’extrémisme

24. La situation des journalistes critiques et membres de la société civile œuvrant dans le domaine de la démocratie, de l’État de droit et des droits humains se dégrade régulièrement depuis quelques années. Les derniers développements sont toutefois très préoccupants.
25. Parmi les lois ayant des effets dévastateurs sur les activités de la société civile, la loi relative aux agents étrangers occupe une place particulière. Adoptée en 2012, elle avait déjà été sévèrement critiquée à l’époque par la communauté internationale, y compris par l’Assemblée parlementaire et la Commission de Venise 
			(7) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2014)025-f'>CDL-AD(2014)025</a> - Avis sur la loi fédérale n° 121-FZ relative aux organisations
non commerciales.. Malheureusement, au lieu d’être supprimée, elle a été considérablement renforcée par des modifications successives, apportées en 2014, 2017 et 2019.
26. Les modifications les plus récentes de la loi sur les agents étrangers ont été adoptées en 2020 et ont été critiquées par la Commission de Venise dans un avis publié le 6 juillet 2021. Dans son avis, la Commission de Venise constate avec préoccupation que cette législation «permet aux autorités d’exercer un contrôle important sur les activités et l’existence des associations ainsi que sur la participation des individus à la vie civique» 
			(8) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2021)027-f'>CDL-AD(2021)027</a> - Avis sur la compatibilité avec les normes internationales
en matière de droits de l'homme d'une série de projets de loi introduits
par la Douma d'État russe entre le 10 et le 23 novembre 2020 pour
modifier les lois concernant les « agents étrangers », adopté par
la Commission de Venise les 2-3 juillet 2021.. Le ministère de la Justice est désormais habilité à considérer comme des «agents étrangers» non seulement des organisations, mais aussi des médias et des particuliers. Cette étiquette peut ainsi être appliquée à des blogueurs, à des journalistes, à des étudiants boursiers et à des militants qui participent à des conférences internationales.
27. Les critères servant à déterminer si une personne est un agent étranger sont généraux et flous. La définition de l’«activité politique» est vague et englobe l’observation d’élections, la publication de commentaires sur la politique russe et la participation à des rassemblements. L’expression «soutien de l’étranger» ne désigne pas uniquement un financement étranger mais aussi l’«assistance reçue de sources étrangères». Les modifications de 2020 ont également instauré de nouvelles exigences en matière d’enregistrement et de communication d’informations. En outre, les personnes qualifiées d’agents étrangers se voient interdire l’accès aux emplois de la fonction publique et de l’administration municipale. Elles ne peuvent pas non plus observer des élections. La loi prévoit une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement pour les personnes ou organisations qualifiées d’agents étrangers qui n’informent pas les entités officielles de leur statut et/ou refusent de déclarer leurs activités aux autorités russes. Les médias et les ONG qualifiés d’agents étrangers sont très souvent contraints de cesser leurs activités car ils perdent leurs annonceurs, leurs journalistes et leurs militants.
28. La décision du ministère de la Justice peut être contestée devant les tribunaux. Toutefois, à ce jour, aucun auteur de recours n’a obtenu gain de cause.
29. Parmi les organisations qualifiées d’«agents étrangers» figurent des ONG, des défenseurs des droits humains et des journalistes de grand renom. L’une des initiatives les plus inquiétantes a été la décision, prise en août 2021, de classer parmi les «agents étrangers» un éminent organisme de surveillance électorale, GOLOS. En juillet 2021, la Russie avait qualifié d’«agents étrangers» 76 organisations et 20 médias ou particuliers.
30. La loi sur les organisations indésirables, adoptée en 2015, a suscité de vives critiques de la part de la communauté internationale. Les «organisations indésirables» sont interdites ou soumises à des restrictions dans leurs activités en Russie. Les organisations qui ne procèdent pas à leur auto-dissolution, ainsi que les Russes qui entretiennent des liens avec elles, sont passibles de lourdes amendes et de longues peines de prison. Cette qualification (comme dans le cas des «agents étrangers») vise non seulement à empêcher les ONG internationales de mener leurs activités sur le territoire de la Fédération de Russie, mais aussi à empêcher les citoyens de la Fédération de Russie de participer aux activités de ces ONG, tant en Russie qu’à l’étranger.
31. Le 9 juin 2021, la Douma d’État a adopté une série de lois sur la lutte contre «l’infiltration d’organisations indésirables en Fédération de Russie». Ces modifications ont pour effet d’interdire aux citoyens de participer aux activités d’«organisations indésirables», même si elles sont situées à l’étranger. En outre, la loi autorise le service fédéral russe de surveillance financière (Rosfinmonitoring) à obtenir des informations sur tous les transferts monétaires en provenance de l’étranger.
32. En juillet 2021, la liste des organisations indésirables comprenait 34 organisations, dont «Open Russia» (inscrit sur la liste en 2017, ce mouvement a annoncé sa dissolution en 2019). Il est choquant de constater que sur cette liste figurent une organisation du Conseil de l'Europe appelée «Écoles d’études politiques du Conseil de l'Europe» (inscrite depuis décembre 2020) et trois organisations allemandes à but non lucratif («Forum of Russian-speaking Europeans», «Centre for Liberal Modernity» et «German-Russian Exchange», inscrites en mai 2021) qui viennent en aide aux personnes handicapées et organisent des programmes d’échange pour étudiants. Depuis, de nouvelles entités ont été ajoutées à la liste.
33. La loi sur l’extrémisme est un autre texte législatif dont les autorités usent et abusent pour réprimer les opinions indépendantes et les critiques. Ce qui est particulièrement problématique avec cette loi, c’est qu’elle donne une définition vague des activités extrémistes et laisse ainsi une grande place à l’arbitraire. Le libellé de l’article 275 révisé, très général, vague et imprécis, permet aisément d’emprisonner des journalistes pour avoir divulgué des secrets d’État. La loi ne précise pas quelles sont les informations classifiées, laissant à divers organismes gouvernementaux le soin de le déterminer. Selon les juristes, cette loi peut être utilisée pour cibler toute personne ayant des contacts internationaux, y compris les universitaires, les journalistes, les chercheurs et les militants des droits humains.
34. Dans plusieurs affaires emblématiques, la loi a été appliquée à des journalistes critiques envers les autorités.
35. Il est frappant de constater que la Fondation anti-corruption d’Alexei Navalny a aussi été qualifiée d’extrémiste.
36. Par ailleurs, les juristes de «Team 29», qui sont spécialisés dans la lutte contre les poursuites politiques en Russie, ont été déclarés ennemis de l’État en application de la loi sur l’extrémisme.
37. De plus, selon une loi électorale modifiée récemment, les personnes ayant des liens avec des organisations qualifiées d’extrémistes ne peuvent pas se présenter aux élections.

3.3. Dissolution de Memorial

38. Memorial est l’une des organisations non gouvernementales russes les plus connues et les respectées. Cette ONG spécialisée dans l’histoire de la répression politique et dans la protection des droits humains symbolise la démocratisation du pays. Elle a été créée en 1989 par un groupe de militants russes des droits humains, sous la conduite d’Andreï Sakharov, lauréat du prix Nobel de la paix. Au départ, le but était de mener des recherches sur l’histoire de la répression soviétique, de réhabiliter les victimes de cette répression et d’observer la situation des droits humains. Memorial a défendu les droits des prisonniers politiques, des migrants et d’autres groupes marginalisés et a dénoncé des exactions, notamment dans le Caucase du Nord.
39. Le 11 novembre 2021, le Parquet général de la Fédération de Russie a saisi la Cour suprême pour demander la dissolution de Memorial International à Moscou (organisation qui regroupe toutes les organisations Memorial de Russie), au motif que l’organisation aurait enfreint de manière systématique la loi sur les agents étrangers. Le Parquet général accusait notamment l’organisation de ne pas s’être identifiée publiquement comme «agent étranger».
40. Le 28 décembre, la Cour suprême a ordonné la dissolution de Memorial International et de ses branches régionales. Un recours a été introduit contre cette décision.
41. La dissolution de cette éminente organisation de défense des droits humains intervient après de nombreuses années de harcèlement, au cours desquelles des amendes exorbitantes lui ont été imposées au motif qu’elle n’aurait pas respecté la loi sur les agents étrangers, et des poursuites pénales et administratives ont été engagées contre des membres de son personnel, qui ont aussi été agressés et harcelés; à cet égard, il convient de rappeler l’assassinat, en 2009, de la chercheuse Natalia Estemirova, qui n’a jamais fait l’objet d’une véritable enquête. M. Oyub Titiev, lauréat du prix Václav Havel et directeur du bureau de Memorial en Tchétchénie, ainsi que M. Yury Dmitriev, directeur de Memorial en Carélie, ont été emprisonnés sur la base d’accusations motivées par des considérations politiques. Parmi les faits les plus récents, on peut aussi citer la descente de police effectuée dans les locaux de Memorial International à Moscou le 14 octobre 2021.
42. La communauté internationale a sévèrement critiqué la décision de la Cour suprême et a considéré que cette décision réduisait encore l’espace laissé en Russie à la société civile, aux médias indépendants et aux défenseurs de la démocratie. Dans sa déclaration, la Secrétaire Générale du Conseil de l'Europe a parlé d’«une nouvelle dévastatrice pour la société civile en Fédération de Russie». Elle a souligné que l’existence et le développement des organisations de la société civile constituent un pilier essentiel de toute démocratie européenne et a rappelé que les autorités russes ont ignoré les appels répétés du Conseil de l'Europe à reconsidérer la loi sur les agents étrangers pour la rendre conforme à la Convention européenne des droits de l'homme.
43. Les rapporteurs chargés du suivi de la Russie ont réagi sur cette question et eu un échange de lettres constructif sur ce sujet avec la Commissaire russe aux droits de l'homme, Mme Tatiana Moskalkova. Compte tenu de son mandat, qui est défini par la Loi constitutionnelle fédérale, la Commissaire n’est pas habilitée à intervenir dans la procédure judiciaire, mais les membres de son bureau suivent la procédure et Mme Moskalkova a annoncé son intention d’utiliser tous les outils juridiques à sa disposition une fois que la décision judiciaire entrera en vigueur.

3.4. Restrictions des libertés de réunion et d'expression

44. Les restrictions de la liberté de réunion constituent une préoccupation depuis de nombreuses années. L'un des cas les plus emblématiques a été l’arrestation, le 6 mai 2012, de près de 700 personnes lors de rassemblements pacifiques sur la place Bolotnaïa. La plupart d'entre elles ont fait l'objet d'une détention administrative d'un mois et d'amendes.
45. Lors de grands rassemblements avant les élections municipales de septembre 2019, des milliers de manifestants pacifiques se sont réunis dans le centre de Moscou pour demander que les candidats de l'opposition soient autorisés à présenter leur candidature à l’assemblée municipale (leur inscription avait été refusée). Le gouvernement local n'a pas autorisé cet événement et les autorités ont réagi en recourant à une force excessive contre les manifestants pacifiques. Plus de 1 300 manifestants ont été arrêtés, souvent avec violence. Trois jours plus tard, le Comité d'enquête de Moscou a engagé une procédure pénale que le défenseur des droits humains Pavel Chikov a considérées comme «un signal que le prix à payer pour manifester est désormais l'emprisonnement». Il était invoqué dans cette affaire pénale que le rassemblement n'était pas une manifestation pacifique mais plutôt une série d’«émeutes massives» et violentes, passibles non pas d'amendes et d’une détention administrative mais de peines d'emprisonnement. Les personnes reconnues coupables d'avoir appelé aux «émeutes» pourraient encourir jusqu'à deux ans de prison, les participants de trois à huit ans, et les organisateurs jusqu'à 15 ans. Six personnes ont été inculpées dans cette affaire.
46. En janvier 2021, des foules importantes se sont réunies dans plus de 100 villes en Russie pour protester contre l'arrestation d’Alexei Navalny, ce qui a déclenché d’autres manifestations à Moscou et à Saint-Pétersbourg, qui ont à nouveau donné lieu à des arrestations massives. Durant les trois jours de manifestations, la police a arrêté plus de 11 000 personnes puis ouvert des dizaines d'enquêtes pour crime.
47. La liberté d'expression est un autre sujet de grave préoccupation. La Fédération de Russie occupe la 150e place sur 180 dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2021 établi par Reporters Sans Frontières.
48. Il reste très peu d’organes indépendants; la plupart sont en ligne et certains ont leur siège à l'étranger. Il n'existe aucune chaîne de télévision indépendante ayant une couverture nationale. TV Dozhd, dernière chaîne de télévision connue pour sa ligne éditoriale indépendante depuis 2014, est accessible uniquement sur internet.
49. Dans le domaine de la presse écrite, seuls quelques journaux nationaux, dont Novaya Gazeta, conservent leur indépendance éditoriale et expriment des points de vue divergents. Par conséquent, internet, notamment les réseaux sociaux et les versions en ligne de la presse écrite, est devenu une source d'information importante.
50. Une nouvelle loi anti-extrémiste, entrée en vigueur en juillet 2016, a donné aux autorités de l'État toute une série d'outils pour contrôler les médias, en introduisant les notions de «séparatisme», d'«extrémisme» et d'«incitation à la violence», qui ne sont pas clairement définies et qui peuvent donc donner lieu à des interprétations abusives, et en octroyant aux autorités une grande marge de manœuvre pour réprimer toute critique.
51. Roskomnadzor (Service fédéral de supervision des communications, des technologies de l'information et des médias), organe étatique composé de 71 bureaux régionaux chargés du contrôle des médias (y compris en ligne), est formellement subordonné au gouvernement et n'est pas indépendant vis-à-vis des autorités. Le chef de cette instance et ses adjoints sont nommés par le ministre des télécommunications et des communications de masse. Cet organisme est doté de larges pouvoirs de sanction, comme des amendes, la possibilité de demander le retrait de publications jugées contraires à la législation, de bloquer des sites internet en l’absence d’une décision de justice préalable et d’ordonner la fermeture d’un média après deux avertissements au cours d’une année civile.
52. Les agressions et les menaces contre les journalistes sont fréquentes. Les journalistes et rédacteurs en chef qui expriment des critiques sont également souvent poursuivis sur la base d'accusations pénales dont la communauté internationale considère très largement qu’elles reposent sur des motivations politiques.
53. Le 23 juin 2020, la Cour européenne des droits de l'homme a conclu à la violation des articles 10 (droit à la liberté d'expression) et 13 (droit à un recours effectif) de la Convention dans quatre affaires emblématiques concernant le blocage de sites internet en Russie 
			(9) 
			Vladimir
Kharitonov c. Russia (application 10795/14), O. Flavus and others
c. Russia (12468/15), Bulgakov vs.Russia (20159/15) and Engels c.
Russia (61919/16)..

4. Relations avec les pays voisins

54. L'évolution des relations avec un certain nombre des pays voisins demeure un motif de grave inquiétude, qui a été remis en évidence avec l'escalade récente des tensions et le déploiement de forces militaires le long de la frontière avec l'Ukraine.
55. En ce qui concerne les pays voisins, lors de son adhésion au Conseil de l'Europe, la Fédération de Russie s'est engagée notamment à «régler les différends internationaux et internes par des moyens pacifiques (obligation qui incombe à tous les Etats membres du Conseil de l'Europe), en rejetant résolument toute menace d'employer la force contre ses voisins» 
			(10) 
			Avis 193 (1996), para. 10.7. et à «dénoncer comme erroné le concept de deux catégories différentes de pays étrangers, qui consiste à traiter certains d'entre eux appelés "pays étrangers proches" comme une zone d'influence spéciale» 
			(11) 
			Ibid, para. 10.11..
56. Lors d'un mouvement de troupes extraordinaire 
			(12) 
			<a href='https://www.janes.com/defence-news/news-detail/russian-ground-troop-units-and-iskander-ballistic-missiles-identified-at-ukrainian-border-by-janes'>www.janes.com/defence-news/news-detail/russian-ground-troop-units-and-iskander-ballistic-missiles-identified-at-ukrainian-border-by-janes</a>., vaste et imprévu, en mars et avril 2021, la Russie a posté plus de 85 000 soldats le long de sa frontière avec l'Ukraine, ce qui a grandement exacerbé les tensions dans la région et suscité des craintes de conflit militaire. À la suite d'interventions notamment de la Chancelière allemande, Mme Merkel, et du Président des États-Unis, M. Biden, les autorités russes ont annoncé que les soldats rentreraient dans leurs bases normales, tout en laissant apparemment en place une grande partie des infrastructures militaires 
			(13) 
			<a href='https://www.crisisgroup.org/europe-central-asia/eastern-europe/ukraine/b092-responding-russias-new-military-buildup-near-ukraine'>www.crisisgroup.org/europe-central-asia/eastern-europe/ukraine/b092-responding-russias-new-military-buildup-near-ukraine</a>.. Cependant, en novembre 2021, la Russie a recommencé à renforcer massivement sa présence militaire le long de la frontière ukrainienne. À l'heure actuelle, on estime que 100 000 soldats russes sont stationnés le long de cette frontière. Lors d'une tentative d'apaiser les tensions, les présidents Biden et Poutine se sont parlé lors d'un entretien vidéo le 7 décembre 2021. Une série de réunions entre responsables russes et américains se sont tenues par la suite, de même que des réunions entre des responsables russes et l’OTAN ou encore le Conseil permanent de l'OSCE. Tout en niant que la Russie ait une quelconque intention d'envahir l'Ukraine, les autorités russes ont adressé publiquement à l'OTAN une série de demandes constituant une condition à l'apaisement des tensions, notamment une promesse juridiquement contraignante que l'Ukraine ne serait jamais autorisée à adhérer à l'OTAN et que l’OTAN ne déploierait ni troupes ni missiles dans l’un ou l’autre de ses nouveaux États membres. Ces demandes ont été fermement rejetées par la totalité des États membres de l'OTAN, car elles iraient à l’encontre de la politique de la porte ouverte de l'OTAN et du droit à la souveraineté de ces pays. Soulignant que l’OTAN respectait pleinement l'Acte fondateur de 1997 sur les relations, la coopération et la sécurité mutuelles entre l'OTAN et la Fédération de Russie, le Secrétaire général de l'OTAN, M. Stoltenberg, a insisté sur le fait que la Russie n'avait aucun droit de créer une sphère d'influence afin de tenter de contrôler ses voisins 
			(14) 
			<a href='https://www.euractiv.com/section/defence-and-security/news/russia-has-no-right-to-establish-a-sphere-of-influence-nato-chief-says/'>www.euractiv.com/section/defence-and-security/news/russia-has-no-right-to-establish-a-sphere-of-influence-nato-chief-says/</a>.. Malgré les innombrables initiatives diplomatiques, les tensions et les craintes d'une nouvelle invasion imminente de l'Ukraine par la Fédération de Russie ne se sont pas apaisées et se sont même encore renforcées après le lancement d'exercices militaires russo-bélarusses le long de la frontière entre le Bélarus et l'Ukraine. Des effectifs supplémentaires de 1 500 soldats russes – sans compter les forces russes de maintien de la paix – sont stationnés dans la région transnistrienne de la République de Moldova, le long de la frontière avec l'Ukraine, en violation des engagements pris envers Conseil de l'Europe 
			(15) 
			Avis 193 (1996), para. 10.9.et lors du sommet de l'OSCE à Istanbul en 1999.
57. Malheureusement, aucun progrès n'a été fait pour remédier à l'annexion illégale de la Crimée par la Fédération de Russie, tandis que le processus de Minsk visant à régler le conflit militaire dans le Donbass est totalement moribond, la Fédération de Russie ayant apparemment 
			(16) 
			<a href='https://www.reuters.com/world/europe/france-says-russia-refused-hold-normandy-format-meeting-ukraine-2021-11-09/'>www.reuters.com/world/europe/france-says-russia-refused-hold-normandy-format-meeting-ukraine-2021-11-09/</a>. refusé une réunion au niveau ministériel dans le cadre du «format Normandie». De même, aucun progrès n'a été enregistré en vue de répondre aux demandes de l'Assemblée liées à la guerre de 2008 entre la Russie et la Géorgie qui figurent dans la Résolution 1633 (2008), Résolution 1647 (2009) et Résolution 1683 (2009). Au contraire, les rapporteurs pour la Géorgie n'ont cessé de faire part de leurs préoccupations au sujet de la frontiérisation en cours et de l'annexion rampante des régions géorgiennes d'Ossétie du Sud et d'Abkhazie par la Fédération de Russie, et ont exhorté les autorités russes à octroyer aux civils géorgiens une liberté de circulation leur permettant de franchir les limites administratives avec ces deux régions.

5. Conclusions

58. La situation dans la Fédération de Russie en matière de respect par ce pays de ses engagements et obligations envers le Conseil de l'Europe est très préoccupante. Les politiques et mesures restrictives adoptées par les autorités et utilisées pour empêcher le pluralisme et limiter les droits et libertés fondamentaux suscitent de très vives inquiétudes. La répression contre l'opposition politique extraparlementaire et la société civile indépendante, les défenseurs des droits humains et les médias est sévèrement critiquée par la communauté internationale, notamment au Conseil de l'Europe. Le triste sort de la figure de l'opposition, Alexei Navalny, et la fermeture de l'organisation de défense des droits humains la plus ancienne et la plus connue, Memorial, sont considérés comme des atteintes emblématiques et graves contre la démocratie.
59. En tant que rapporteur de la commission de suivi sur la contestation des pouvoirs de la délégation russe, j'ai exprimé toutes ces préoccupations persistantes et il m’incombe la responsabilité de suggérer à l'Assemblée la voie à suivre. Devrions-nous accepter la délégation russe? Devrions-nous ratifier ses pouvoirs?
60. Il est évident que notre Organisation, et l'Assemblée en particulier, est la plateforme paneuropéenne la plus importante, si ce n'est la seule, qui joue un rôle crucial pour mener le dialogue politique au niveau parlementaire. Et il faut bien reconnaître que ce dialogue a lieu. La commission de suivi est bien placée pour témoigner de l'engagement et de la volonté politique de la délégation russe, qu’illustre la participation active de ses représentants aux activités de la commission en général, mais de manière tout aussi importante concernant la Russie elle-même, y compris par des auditions, échanges de vues et discussions.
61. Les rapporteurs chargés du suivi pour la Russie se sont rendus à Moscou en juillet 2021, malgré les conditions sanitaires difficiles, et ont rendu compte de leur visite à la commission en soulignant que les parlementaires russes étaient disposés à dialoguer. Ils ont annoncé leur intention de préparer une feuille de route – en coopération avec les collègues russes – qui définirait les attentes de la commission en ce qui concerne les mesures concrètes à prendre sur les plans législatif et politique. Je pense qu'en tant que membres de l'Assemblée, nous n'avons pas le droit de rejeter cette chance, aussi mince soit-elle, de faire évoluer la situation en Fédération de Russie en matière de démocratie, d'État de droit et de respect des droits humains.
62. De même, d'autres commissions de l’Assemblée coopèrent avec les collègues russes pour préparer leurs rapports, comme l'illustrent les travaux de la commission des questions politiques et de la démocratie et de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme sur«Le rétablissement des droits de l’homme et de l’État de droit reste indispensable dans la région du Caucase du Nord».
63. En outre, la Fédération de Russie est un membre actif du Conseil de l'Europe et participe intensément à ses nombreuses activités, notamment au titre des nombreuses conventions concernant le respect des engagements et obligations qu'elle a contractés au sein de l'Organisation.
64. L'accès des citoyens russes à la Cour européenne des droits de l'homme leur garantit un recours en matière de droits humains et la possibilité de tenir les autorités pour responsables du respect de l'État de droit. Cela demeure un argument important en faveur de la poursuite de la coopération à tous les niveaux, y compris au niveau parlementaire.
65. Enfin, il faut noter que l’Union européenne, l’OTAN, l’OSCE et aussi les Etats-Unis, tout en exprimant clairement leurs critiques à l’égard du comportement des autorités russes, n’ont pas interrompu leurs relations avec Moscou et ce, dans le but d’obtenir une réduction des tensions et de favoriser une évolution qui verra l’Etat de droit et les principes démocratiques respectés en Russie.
66. C’est donc dans ce contexte que je recommande à l'Assemblée de ratifier les pouvoirs de la délégation russe.