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Rapport | Doc. 15510 | 26 avril 2022

L'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine: faire en sorte que les auteurs de graves violations du droit international humanitaire et d’autres crimes internationaux rendent des comptes

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Aleksander POCIEJ, Pologne, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: décision du Bureau du 21 avril 2022, Renvoi 4635 du 25 avril 2022. 2022 - Deuxième partie de session

Resumé

La guerre d'agression que mène actuellement la Fédération de Russie contre l'Ukraine est menée avec une brutalité sans précédent en Europe depuis la seconde guerre mondiale. L'utilisation d'armes lourdes dans des zones densément peuplées a fait des milliers de victimes civiles. De nouvelles informations faisant état d'atrocités contre des civils, notamment des exécutions et des violences sexuelles, qui auraient été commises par les troupes russes dans les zones sous leur contrôle, continuent d'apparaître.

Face à ces allégations de violations graves du droit international humanitaire, l'Assemblée parlementaire exhorte la communauté internationale à envoyer un message clair, à savoir que les auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, et éventuellement de génocide, devront rendre des comptes. Il doit en être de même pour le crime d'agression prétendument commis par les dirigeants de la Fédération de Russie.

L'Assemblée appelle donc tous les États membres et observateurs du Conseil de l'Europe à soutenir les enquêtes en cours, notamment celles lancées par le Procureur de la Cour pénale internationale, les autorités ukrainiennes et les autres juridictions nationales faisant usage de leur compétence universelle, tout en assurant une étroite coordination. Ils devraient également créer un tribunal pénal international ad hoc pour l'enquête et la poursuite du crime d'agression, sur la base d'un traité multilatéral conclu par un groupe d'États, qui pourrait être appuyé par l'Assemblée générale des Nations Unies et soutenu par le Conseil de l'Europe.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 26 avril
2022.

(open)
1. L'Assemblée parlementaire est horrifiée par la guerre d'agression que la Fédération de Russie livre en ce moment contre l'Ukraine. Cette guerre est menée avec une brutalité sans précédent en Europe depuis la seconde guerre mondiale. L'utilisation d'armes lourdes dans des zones densément peuplées a causé des milliers de victimes civiles, la destruction presque complète de la ville de Marioupol et de graves dommages aux infrastructures civiles, telles que les hôpitaux, les établissements scolaires, les crèches, l'approvisionnement en eau et en électricité et les immeubles d'habitation à Kharkiv et dans de nombreuses autres villes d'Ukraine.
2. L’Assemblée est effarée par les informations faisant état d'atrocités qui auraient été commises sur des civils par les troupes russes dans les villes et villages temporairement placés sous leur contrôle, en particulier à Boutcha et dans d'autres villes des environs de Kiev.
3. L’Assemblée est consternée par les nombreuses informations faisant état de l’utilisation du viol et de la torture comme armes de guerre, deux pratiques reconnues comme des crimes de guerre par le droit pénal international.
4. L'octroi par le Président de la Fédération de Russie, le 18 avril 2022, d'un titre honorifique à la 64e brigade d'infanterie motorisée, qui était déployée à Boutcha au moment des atrocités signalées, adresse un message désastreux aux familles des victimes et encourage cyniquement les troupes russes à continuer de commettre en toute impunité des actes similaires qui peuvent être assimilés à des crimes de guerre et à des crimes contre l'humanité.
5. L'Assemblée invite donc instamment la communauté internationale à adresser clairement le message contraire, à savoir que les auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, et éventuellement de génocide, devront rendre compte de leurs actes. Il doit en être de même pour les auteurs du crime d'agression, c'est-à-dire les dirigeants politiques et militaires de la Fédération de Russie qui sont responsables du déclenchement de la guerre actuelle.
6. L'Assemblée note qu'il existe déjà des instruments juridiques pertinents pour engager des poursuites à l'encontre des auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, et éventuellement de génocide, à savoir:
6.1. la Cour pénale internationale (CPI), dont l'Ukraine a reconnu en 2014 la compétence pour enquêter sur les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité sur son territoire;
6.2. les systèmes de justice pénale de l'Ukraine et de tout autre État qui a reconnu la compétence universelle de ses juridictions pour de tels crimes.
7. Des responsables politiques, des universitaires et des avocats spécialistes des droits de l'homme de premier plan ont proposé la création, par un groupe d'États désireux de prendre l'initiative, d'un tribunal pénal international ad hoc chargé d'engager des poursuites contre les auteurs du crime d'agression. Ce dernier ne peut actuellement être pris en compte par la CPI sans une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies, à laquelle la Fédération de Russie mettrait sans doute son veto.
8. Outre la responsabilité pénale à titre individuel des auteurs de crimes visés par le droit international, la Cour européenne des droits de l'homme et la Cour internationale de Justice (CIJ) peuvent engager la responsabilité de la Fédération de Russie pour les violations des droits de l'homme commises par les troupes russes et, dans le cas de la CIJ, pour les autres violations du droit international pour lesquelles la CIJ est compétente.
9. L’Assemblée rappelle l’obligation juridique de prévenir et de punir le génocide en vertu de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, à laquelle les 46 États membres du Conseil de l’Europe sont parties contractantes. Selon l’interprétation de la Cour internationale de Justice, cette obligation et le devoir d’agir correspondant prennent naissance au moment où l’on apprend, ou l’on aurait normalement dû apprendre, l’existence d’un risque qu’un génocide soit commis.
10. L'Assemblée appelle donc tous les États membres et observateurs du Conseil de l'Europe:
10.1. à aider le Procureur de la CPI dans sa mission d'enquête et de poursuites à l'encontre des auteurs présumés de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et, éventuellement, de génocide, en lui apportant un soutien politique, des ressources humaines et financières adéquates et en mettant à sa disposition tout élément de preuve en leur possession, y compris des renseignements de source ouverte, des informations et des données, des images satellites et des interceptions de communications;
10.2. à faire usage de leur compétence universelle, dans l’étendue prévue par leur législation, pour enquêter sur les crimes visés par le droit international et en poursuivre les auteurs;
10.3. à rejoindre ou soutenir d'une autre manière l'équipe commune d'enquête (ECE) déjà mise en place par l'Ukraine, la Pologne et la Lituanie avec le concours d'Eurojust, dans le but de coordonner leurs enquêtes et de mettre en commun leurs conclusions grâce à une coopération directe entre les autorités compétentes des États participants;
10.4. à coordonner étroitement leurs enquêtes avec le Procureur de la CPI; les États participant à l'ECE pourraient associer le Procureur de la CPI à l'ECE;
10.5. à coopérer pleinement avec le Procureur de la CPI, les membres de l'ECE et tout autre État qui fait usage de sa compétence universelle, notamment en leur remettant toute personne présente sur leur territoire contre laquelle des mandats d'arrêt seront émis;
10.6. à mettre en place de toute urgence un tribunal pénal international ad hoc, qui devrait:
10.6.1. recevoir mandat d'enquêter et d'engager des poursuites pour le crime d'agression qui aurait été commis par les dirigeants politiques et militaires de la Fédération de Russie;
10.6.2. appliquer la définition du crime d'agression établie par le droit international coutumier, qui a également inspiré la définition du crime d'agression donnée à l'article 8 bis du Statut de la CPI;
10.6.3. avoir le pouvoir d'émettre des mandats d'arrêt internationaux sans être restreint par l'immunité de l'État ou des chefs d'État et de gouvernement et autres représentants de l'État;
10.6.4. être institué notamment par un groupe d'États qui partagent les mêmes idées, sous la forme d'un traité multilatéral appuyé par l'Assemblée générale des Nations Unies, avec le soutien du Conseil de l'Europe, de l'Union européenne et d'autres organisations internationales;
10.6.5. avoir son siège à Strasbourg (France), compte tenu des synergies qui pourraient exister avec la Cour européenne des droits de l'homme, qui traite de nombreuses requêtes individuelles et interétatiques connexes;
10.7. à signer et à ratifier le Statut de Rome de la CPI et les amendements de Kampala qui lui ont ajouté l'article 8 bis relatif au crime d'agression;
10.8. à se prévaloir de la possibilité offerte par l'article 33 de la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5) de saisir la Cour européenne des droits de l'homme, individuellement ou par le biais d’une action conjointe, de toute allégation de violation de la Convention et de ses protocoles par la Fédération de Russie jusqu'au 16 septembre 2022, date à laquelle la Fédération de Russie cessera d'être partie à la Convention.
11. L'Assemblée invite en outre:
11.1. la Cour européenne des droits de l'homme à envisager de donner la priorité aux affaires nées de l'agression russe contre l'Ukraine et à faire usage de la possibilité de procéder à une enquête en vertu de l'article 38 de la Convention européenne des droits de l’homme;
11.2. la Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe à suivre de près la situation des droits de l'homme en Ukraine et à relever et dénoncer rapidement, dans ses rapports ou déclarations ciblées, tout schéma de violations graves des droits de l'homme ou du droit humanitaire international qu'elle décèlerait;
11.3. la CPI et son Procureur:
11.3.1. à donner la priorité aux enquêtes et aux poursuites relatives aux crimes de guerre et aux crimes contre l'humanité commis pendant la guerre d'agression menée en ce moment par la Fédération de Russie contre l'Ukraine;
11.3.2. à conclure rapidement les enquêtes dans les cas les plus flagrants et à délivrer des actes d'accusation et des mandats d'arrêt contre les auteurs présumés;
11.3.3. à coopérer étroitement avec les autorités nationales chargées des poursuites qui exercent leur compétence universelle en vertu du principe de complémentarité et à participer à la coordination des enquêtes pertinentes par le biais de l'équipe commune d'enquête mise en place par plusieurs États avec le concours d'Eurojust;
11.4. la Commission internationale indépendante d'enquête créée par le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies à enquêter sur toutes les violations des droits de l'homme qui auraient été commises dans le cadre de l'agression russe contre l'Ukraine et à coopérer et coordonner étroitement ses activités avec le Procureur de la CPI et les autorités nationales chargées des poursuites qui enquêtent sur les crimes visés par le droit international qui relèvent de leur compétence universelle;
11.5. l'Assemblée générale des Nations Unies:
11.5.1. à soutenir la création d'un tribunal pénal international ad hoc pour engager des poursuites contre le crime d'agression dont les dirigeants politiques et les commandants militaires de la Fédération de Russie se seraient rendus coupables à l'encontre de l'Ukraine et à encourager les États membres des Nations Unies à intensifier leurs efforts pour apporter leur soutien sans réserve à la création d’un tel tribunal;
11.5.2. à demander à la Cour internationale de Justice de rendre un avis consultatif sur les éventuelles restrictions qui pourraient être imposées au droit de veto des membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, sur le fondement des principes généraux du droit relatifs à l'interdiction de l'abus de droit et à l'obligation faite aux États membres des organisations internationales d'exercer leurs droits de membre de bonne foi.
12. L'Assemblée appelle enfin la Fédération de Russie:
12.1. à cesser les hostilités contre l’Ukraine et à retirer immédiatement, complètement et inconditionnellement ses forces militaires du territoire de l’Ukraine dans ses frontières internationalement reconnues et à se conformer strictement à ses obligations au regard des droits humains et du droit international humanitaire;
12.2. à veiller à ce que les auteurs de crimes commis par ses forces et toutes les entités dont elle est responsable répondent de leurs actes conformément aux obligations qui lui incombent en vertu du droit international humanitaire et des droits de l'homme, notamment les Conventions de Genève, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention européenne des droits de l'homme, qui lie encore la Fédération de Russie jusqu'au 16 septembre 2022, compte tenu également du caractère contraignant des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, y compris ceux dont l’exécution est déjà en cours de surveillance et ceux qui seront encore rendus.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 26 avril 2022.

(open)
1. L'Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution … (2022), qui souligne la nécessité de faire en sorte que les auteurs de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et d'un éventuel génocide, ainsi que du crime d'agression, répondent de leurs actes commis dans le cadre de la guerre d'agression russe contre l'Ukraine.
2. L’Assemblée invite le Comité des Ministres:
2.1. à renforcer les services compétents du Conseil de l'Europe, afin de leur permettre de dispenser une assistance technique et des conseils d’experts à l'Ukraine et aux États membres qui exercent leur compétence universelle en matière d'enquête et de recherche de preuves sur les violations flagrantes des droits de l'homme, y compris celles qui peuvent être assimilées à des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité et à un éventuel génocide, à l'échelle requise;
2.2. à inviter les organes d’experts du Conseil de l’Europe, notamment le Conseil consultatif des juges européens et le Conseil consultatif des procureurs européens, la Commission européenne pour l’efficacité de la justice et la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), ainsi que les autres mécanismes de suivi et d’élaboration de normes du Conseil de l’Europe concernés, à produire des recommandations d’experts et des lignes directrices relatives à ces questions dans le cadre de leurs compétences;
2.3. à encourager tous les États membres à participer à la création d'un tribunal pénal international ad hoc chargé des poursuites pour le crime d'agression dont les dirigeants politiques et les commandants militaires de la Fédération de Russie se seraient rendus coupables à l'encontre de l'Ukraine, par le biais d'un traité multilatéral conclu entre les États qui partagent les mêmes idées;
2.4. à examiner les moyens qui permettraient au Conseil de l'Europe dans son ensemble de jouer un rôle actif dans la création et le fonctionnement de ce tribunal, notamment en lui fournissant une assistance logistique ou technique.

C. Exposé des motifs par M. Aleksander Pociej, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Faisant suite à la demande déposée par la commission des questions juridiques et des droits de l’homme le 4 avril 2022, l’Assemblée a décidé, le 25 avril 2022, de tenir un débat d’urgence sur la question objet du présent rapport lors de sa partie de session d’avril 2022.
2. Dans son Avis 300 (2022) adopté à l’unanimité le 15 mars 2022, l’Assemblée a estimé que la Fédération de Russie ne pouvait plus être un État membre du Conseil de l’Europe, conformément à la procédure engagée par le Comité des Ministres et prévue par l’article 8 du Statut de l’Organisation. Elle a notamment considéré que l’offensive armée menée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine enfreignait la Charte des Nations Unies, était un «crime contre la paix» en vertu du Statut du Tribunal militaire international (Charte de Nuremberg) et constituait une «agression» selon les termes de la Résolution 3314 (XXIX) de l’Assemblée générale des Nations Unies adoptée en 1974. C’est également une atteinte grave à l’article 3 du Statut du Conseil de l’Europe (STE n° 1). L’Assemblée s’est dite profondément troublée par les preuves des graves violations des droits humains et du droit international humanitaire commises par la Fédération de Russie, notamment par les attaques contre des cibles civiles, par l’utilisation aveugle de l’artillerie, de missiles et de bombes – y compris de bombes à fragmentation –, par les attaques contre les couloirs humanitaires censés permettre aux civils de fuir les villes assiégées, par la prise d’otages et par les attaques irresponsables perpétrées contre des installations nucléaires. À cet égard, elle a exprimé son soutien à tous les efforts visant à faire en sorte que les responsables aient à répondre de leurs actes, notamment la décision du Procureur de la Cour pénale internationale ( CPI) d’enquêter sur la situation en Ukraine et la création d’une commission d’enquête spéciale par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, et a fait savoir qu’elle évaluerait les propositions visant à créer un tribunal pénal international spécial pour les crimes de guerre commis pendant la guerre en Ukraine déclenchée par l’agression militaire russe. Elle s’est aussi félicitée d’autres efforts entrepris pour réunir des informations sur les crimes au regard du droit international qui pourraient être commis en Ukraine, notamment au moyen de la publication d’images de satellites commerciaux, de leur analyse et d’autres formes d’activités de renseignement entreprises par des acteurs privés à partir de sources ouvertes.
3. Au cours d’une réunion extraordinaire tenue le lendemain, le 16 mars 2022, le Comité des Ministres a décidé, dans le cadre de la procédure lancée en vertu de l’article 8 du Statut du Conseil de l’Europe et prenant en considération l’Avis de l’Assemblée, que la Fédération de Russie cessait d’être membre du Conseil de l’Europe avec effet immédiat 
			(3) 
			<a href='https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=0900001680a5da52'>CM/Res(2022)2</a>..
4. Depuis lors, et malgré les nombreux appels adressés par la communauté internationale à la Fédération de Russie pour qu’elle mette fin à sa guerre contre l’Ukraine et retire toutes ses troupes du territoire ukrainien, l’agression de la Fédération de Russie n’a cessé de s’intensifier, causant une crise humanitaire sans précédent en Europe depuis la seconde guerre mondiale, avec au moins 5 381 victimes civiles et plus de 10 millions de personnes, soit près d’un quart de la population ukrainienne, ayant été déplacées à l’intérieur du pays ou ayant fui vers les pays voisins 
			(4) 
			<a href='https://www.unhcr.org/fr/news/press/2022/3/6246acbda/haut-commissaire-nations-unies-refugies-appelle-arret-immediat-guerre-ukraine.html'>HCR
– Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés appelle
à un arrêt immédiat de la guerre en Ukraine, qui a provoqué le déracinement
de plus de 10 millions de personnes; https://www.ohchr.org/en/news/2022/04/ukraine-civilian-casualty-update-22-april-2022: </a>2 435 personnes tuées et 2 946 blessées. Le HCDH indique
qu’il s’agit d’estimations prudentes, dans la mesure où les informations
en provenance de certaines localités en proie à des combats intenses
ont été reçues tardivement et où de nombreux rapports doivent encore
être corroborés..

2. Violations graves du droit international humanitaire qui pourraient avoir été commises par les forces russes depuis le 24 février 2022

5. Divers organes du Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales ont réagi aux allégations de violations graves du droit international humanitaire et des droits de l’homme commises par les forces armées russes sur le territoire ukrainien.
6. Le 3 avril 2022, Tiny Kox, Président de l’Assemblée, s’est dit choqué et horrifié par les informations faisant état de meurtres de civils par les forces russes mises au jour après leur retrait de Boutcha et d’autres villes autour de Kiev 
			(5) 
			<a href='https://pace.coe.int/fr/news/8662/pace-president-reacts-to-reports-of-civilian-killings-by-russian-forces-around-kyiv'>Le
Président de l’APCE réagit aux informations faisant état de meurtres
de civils par les forces russes autour de Kyiv (coe.int).</a>. À l’issue de la première visite officielle du Conseil de l’Europe en Ukraine depuis le début des hostilités (effectuée le 6 avril 2022), il a condamné fermement «les atrocités contre des civils innocents, y compris d’horribles violences sexuelles, commises par l’armée russe dans les villes autour de Kiev». M. Kox a donné l’assurance que le Conseil de l’Europe apportera toute l’aide possible «pour faciliter les enquêtes sur ces crimes de guerre et pour faire en sorte que leurs responsables soient traduits en justice» 
			(6) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/portal/full-news/-/asset_publisher/y5xQt7QdunzT/content/assembly-delegation-condemns-atrocities-and-pledges-help-after-first-ukraine-visit?_101_INSTANCE_y5xQt7QdunzT_viewMode=view/'>La
délégation de l’Assemblée condamne les atrocités et promet des aides
après une première visite en Ukraine (coe.int)</a>. Le 6 avril 2022, la rapporteure générale de l’Assemblée
sur la violence à l’égard des femmes a également dénoncé les horribles
violences sexuelles qui auraient été commises par les forces militaires
russes en Ukraine, faisant état de «témoignages de viols et de violences
sexuelles» et de l’utilisation du viol «comme une arme pour briser, démoraliser
et détruire les gens, les foyers et les familles en Ukraine en ce
moment», voir: <a href='https://pace.coe.int/fr/news/8667/pace-general-rapporteur-denounces-the-horrifying-sexual-violence-reportedly-perpetrated-by-russian-military-forces-in-ukraine'>La
rapporteure générale de l’APCE dénonce d’horribles violences sexuelles
qui auraient été commises par les forces militaires russes en Ukraine</a>..
7. La Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe s’est également dite horrifiée «par les terribles images des atrocités provenant de la ville ukrainienne de Boutcha et d’autres villes des environs de Kiev après le retrait des forces russes». Elle a appelé «à une enquête urgente, complète et indépendante sur ces crimes effroyables» et a assuré les autorités ukrainiennes que le Conseil de l’Europe reste prêt à leur porter assistance 
			(7) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/portal/full-news/-/asset_publisher/y5xQt7QdunzT/content/statement-by-council-of-europe-secretary-general-marija-pejcinovic-buric-on-the-atrocities-in-bucha?'>Déclaration
de la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe, Marija Pejčinović
Burić, sur les atrocités à Boutcha  (coe.int).</a>.
8. La Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a rapidement réagi aux allégations de violations des droits humains et du droit international humanitaire perpétrées pendant la guerre en cours, en publiant un certain nombre de déclarations. À titre d’exemple, le 6 avril 2022, elle a indiqué que les images de corps sans vie de civils à Boutcha «illustrent de manière troublante les informations choquantes faisant état de violations des droits humains et du droit international humanitaire, telles que les exécutions sommaires, les enlèvements, la torture, les violences sexuelles et les attaques contre les infrastructures civiles, commises dans les régions d’Ukraine précédemment sous le contrôle des troupes russes». La Commissaire a ajouté que «les terribles actes commis à l’encontre des populations civiles de Boutcha, Borodianka, Trostianets, et de nombreuses autres villes et villages ukrainiens jusqu’alors paisibles (…) pourraient constituer des crimes de guerre et ne doivent pas rester impunis.» 
			(8) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/justice-needed-for-residents-of-bucha-and-all-other-victims-of-the-war-in-ukraine'>Justice
doit être rendue aux habitants de Boutcha et à toutes les autres
victimes de la guerre en Ukraine (coe.int).</a>. Le 8 avril, elle a condamné la frappe de missiles contre une gare ferroviaire à Kramatorsk, tuant et blessant des civils qui attendaient d’être évacués vers des régions plus sûres, déclarant que ces attaques pourraient également constituer des crimes de guerre 
			(9) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/kramatorsk-those-responsible-for-the-terrible-loss-of-civilian-life-must-be-held-accountable'>www.coe.int/fr/web/commissioner/-/kramatorsk-those-responsible-for-the-terrible-loss-of-civilian-life-must-be-held-accountable</a>. Selon des sources ukrainiennes, au moins 300 personnes
ont été blessées dans la frappe et une cinquantaine de personnes
tuées, dont au moins cinq enfants..
9. Les 1er et 4 mars 2022, la Cour européenne des droits de l’homme a indiqué au Gouvernement de la Fédération de Russie un certain nombre de mesures provisoires, compte tenu des opérations militaires déclenchées le 24 février 2022 dans diverses parties du territoire ukrainien, estimant «que cette situation fait peser sur la population civile un risque réel et continu de violations graves des droits découlant de la Convention européenne des droits de l’homme, en particulier de ses articles 2 (droit à la vie), 3 (interdiction de la torture et des traitements ou peines inhumains ou dégradants) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale)» 
			(10) 
			<a href='https://hudoc.echr.coe.int/app/conversion/pdf/?library=ECHR&id=003-7278449-9914884&filename=D%C3%A9cision%20de%20la%20Cour%20sur%20les%20demandes%20de%20mesures%20temporaires%20form%C3%A9es%20dans%20le%20cadre%20de%20requ%C3%AAtes%20individuelles%20relatives%20aux%20op%C3%A9rations%20militaires%20russes%20sur%20le%20territoire%20ukrainien.pdf'>https://hudoc.echr.coe.int/app/conversion/pdf/?library=ECHR&id=003-7278449-9914884&filename=D%C3%A9cision%20de%20la%20Cour%20sur%20les%20demandes%20de%20mesures%20temporaires%20form%C3%A9es%20dans%20le%20cadre%20de%20requ%C3%AAtes%20individuelles%20relatives%20aux%20op%C3%A9rations%20militaires%20russes%20sur%20le%20territoire%20ukrainien.pdf</a>. Les mesures provisoires du 1er mars ont été indiquées
dans le cadre d’une demande formulée par le Gouvernement ukrainien
(requête n° 11055/22, Ukraine c. Russie
(X)), mais elles englobent toute demande formulée par
des personnes appartenant à la catégorie de civils et qui ont apporté
la preuve suffisante qu’elles sont exposées à un risque grave et
imminent d’atteinte irréparable à leur intégrité physique et/ou
à leur vie.. Le 1er avril 2022, en réponse à de nouvelles demandes de l’Ukraine, la Cour a considéré que les mesures provisoires précédentes devaient être comprises «comme s’appliquant à toute attaque contre des personnes civiles, y compris l’utilisation d’armes interdites quelles qu’elles soient, les mesures ciblant certaines personnes civiles à raison de leur statut, ainsi que la destruction de biens de caractère civil sous le contrôle des forces russes». En outre, elle a élargi la mesure concernant le libre accès de la population civile à des couloirs d’évacuation sécurisés, et ajouté que «les couloirs d’évacuation susmentionnés doivent permettre aux personnes civiles de chercher refuge dans des régions plus sûres de l’Ukraine» (excluant ainsi les éventuels transferts forcés de civils vers la Fédération de Russie) 
			(11) 
			<a href='https://hudoc.echr.coe.int/app/conversion/pdf/?library=ECHR&id=003-7301031-9954338&filename=%C3%89largissement%20des%20mesures%20provisoires%20concernant%20les%20op%C3%A9rations%20militaires%20russes%20en%20Ukraine.pdf'>https://hudoc.echr.coe.int/app/conversion/pdf/?library=ECHR&id=003-7301031-9954338&filename=%C3%89largissement%20des%20mesures%20provisoires%20concernant%20les%20op%C3%A9rations%20militaires%20russes%20en%20Ukraine.pdf</a>..
10. Le 6 avril 2022, le président du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux a évoqué le cas de la maire du village de Motyzhyn, Olga Soukhenko, qui aurait été enlevée le 23 mars avec son mari et leur fils, et dont les corps ont été retrouvés par la suite dans une fosse. Des atrocités similaires ont été signalées à Hostomel et d’autres villes de l’oblast de Kiev où des maires ont été tués pour avoir refusé de coopérer avec les troupes russes 
			(12) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/portal/-/congress-president-condemns-the-crimes-against-ukrainian-citizens-and-elected-local-leaders'>Le
Président du Congrès condamne les crimes contre les citoyens et
les élus locaux ukrainiens (coe.int).</a>.
11. La Mission de surveillance des droits de l’homme en Ukraine (HRMMU) du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme de l’ONU (HCDH), dans son point sur la situation des droits humains en Ukraine (couvrant la période du 24 février au 26 mars 2022), a indiqué que la conduite des hostilités par les forces armées russes a été caractérisée par l’utilisation généralisée d’armes explosives ayant des effets à grande échelle dans les zones peuplées, y compris des tirs d’artillerie lourde et des systèmes de roquettes à lancement multiple, des missiles et des frappes aériennes. Elle a conclu que tout porte à croire que de graves violations du droit international humanitaire et des violations flagrantes du droit international des droits de l’homme ont été commises, notamment en ce qui concerne les principes de distinction et d’interdiction des attaques sans discrimination 
			(13) 
			<a href='https://www.ohchr.org/en/documents/country-reports/hrmmu-update-human-rights-situation-ukraine-24-february-26-march-2022'>HCDH,
point sur la situation des droits de l’homme en Ukraine, période
considérée: 24 février-26 mars, paragraphes 1-2</a>.. Le rapport fait état d’allégations de violations spécifiques du droit international humanitaire et des droits de l’homme commises par les forces russes, telles que:
  • l’explosion d’une arme à sous-munitions près d’un hôpital de Vouhledar (région de Donetsk) le 24 février, tuant au moins 4 civils et en blessant 10 autres, et endommageant des ambulances ainsi que l’hôpital lui-même;
  • l’utilisation le 25 février de missiles sans guidage de précision et munis d’armes à sous-munitions dans plusieurs districts de Kharkiv, tuant au moins 9 civils et en blessant 37 autres;
  • les 81 biens de caractère civil, dont 40 immeubles d’habitation, endommagés ou détruits dans la ville de Kharkiv au 26 mars;
  • les frappes aériennes menées sur des hôpitaux dans différentes villes, notamment le 9 mars sur l’hôpital n° 3 de Marioupol, blessant 17 civils (dont des professionnels de santé, des enfants et des femmes enceintes, l’une étant décédée à un stade très avancé de sa grossesse);
  • l’attaque lancée le 4 mars dans la zone de la centrale nucléaire de Zaporijjia dans la ville d’Enerhodar;
  • la frappe aérienne menée le 16 mars sur le théâtre d’art dramatique de Marioupol, où 800 à 1 200 civils s’étaient réfugiés, et qui pourrait avoir fait des centaines de victimes civiles;
  • les évacuations forcées d’habitants de Marioupol soit vers un territoire contrôlé par des groupes armés affiliés à la Russie, soit vers la Fédération de Russie;
  • le meurtre de civils qui tentaient de fuir en voiture durant les évacuations ou lors de manifestations pacifiques;
  • l’arrestation et la détention de 24 agents publics et autres fonctionnaires des collectivités locales, dont le maire de Melitopol, enlevé le 11 mars et échangé par la suite contre des prisonniers de guerre russes;
  • des cas de violences sexuelles liées au conflit, dont un dans la région de Kiev qui fait actuellement l’objet d’une enquête pour violation des lois et coutumes de la guerre 
			(14) 
			Voir les autres témoignages
de violences sexuelles relayés par les médias: <a href='https://www.bbc.com/news/world-europe-61071243'>www.bbc.com/news/world-europe-61071243</a>.;
  • les arrestations et éventuelles disparitions forcées de 21 journalistes et militants de la société civile qui s’étaient élevés contre les attaques menées par la Russie dans les régions de Kiev, Louhansk, Kherson et Zaporijjia;
  • des attaques ciblées à l’encontre de journalistes;
  • le manque d’accès aux biens essentiels et produits de première nécessité pour les civils dans des régions telles que Tchernihiv, Izioum, Kharkiv, Marioupol, Okhtyrka et Volnovakha 
			(15) 
			La HRMMU a également
fait état de violations alléguées du droit international humanitaire
et des droits de l’homme par les forces ukrainiennes (par exemple,
le lancement d’un missile équipé de sous-munitions à fragmentation
intercepté à Donetsk le 14 mars 2022, des vidéos présentant des
interrogatoires et des intimidations de prisonniers de guerre par
les forces ukrainiennes)..
12. Depuis la publication du rapport de la HRMMU, de nouvelles allégations de crimes de guerre, notamment celles faisant suite à la découverte de corps de civils les mains liées gisant dans les rues de Boutcha, ont été portées à l’attention de la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme 
			(16) 
			<a href='https://www.ohchr.org/fr/statements-and-speeches/2022/04/comment-un-high-commissioner-human-rights-michelle-bachelet-bodies'>Observation
de la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme
Michelle Bachelet sur les corps découverts dans la ville de Boutcha
en Ukraine-HCDH.</a>. En réponse aux rapports récents, l’Assemblée générale des Nations Unies a décidé au terme d’un vote, le 7 avril 2022, de suspendre la Russie du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, se disant «gravement préoccupée par la crise des droits de l’homme et la crise humanitaire en cours en Ukraine, en particulier par les informations concernant des violations des droits de l’homme et atteintes à ces droits et des violations du droit international humanitaire par la Fédération de Russie» 
			(17) 
			<a href='https://www.un.org/press/fr/2022/ag12214.doc.htm'>www.un.org/press/fr/2022/ag12214.doc.htm</a>..
13. Le 13 avril 2022, une mission d’experts de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a publié un rapport intitulé «Report On Violations of International Humanitarian and Human Rights Law, War Crimes and Crimes Against Humanity Committed in Ukraine Since 24 February 2022» («Rapport sur les violations du droit international humanitaire et des droits de l’homme, sur les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis en Ukraine depuis le 24 février 2022», (anglais seulement)). La mission était composée de trois experts choisis par l’Ukraine 
			(18) 
			Les professeurs Wolfgang
Benedek, Veronika Bilkova et Marco Sassoli. Les experts ont été
nommés après l’invocation, le 3 mars, du Mécanisme de Moscou par
45 États participants de l’OSCE, en consultation avec l’Ukraine, «pour
examiner les conséquences sur les droits de l’homme et les répercussions
humanitaires de l’invasion et des actes de guerre de la Fédération
de Russie, soutenus par le Bélarus, sur le peuple ukrainien, à l’intérieur
des frontières et des eaux territoriales internationalement reconnues
de l’Ukraine». Les événements examinés portent sur la période allant
du 24 février au 1er avril 2022. Les experts n’ont pas pu se rendre
en Ukraine et les autorités ukrainiennes, les organisations internationales,
les ONG et les médias ont constitué leurs principales sources d’information.
Voir <a href='https://www.osce.org/odihr/515868'>le
rapport de la mission d’experts du Mécanisme de Moscou intitulé
«Report On Violations Of International Humanitarian And Human Rights
Law, War Crimes And Crimes Against Humanity Committed In Ukraine
Since 24 February 2022», OSCE</a>.. Elle a fait état de schémas clairs de violations du droit international humanitaire par les forces russes dans la conduite des hostilités ainsi que dans les parties occupées de l’Ukraine. Bien que certaines violations de la part de l’Ukraine aient également été constatées (s’agissant notamment du traitement des prisonniers de guerre), celles commises par la Fédération de Russie étaient de loin les plus importantes par leur ampleur et leur nature. Le rapport évoque, entre autres, des disparitions forcées, des exécutions sommaires, des pillages, des déportations, l’utilisation d’armes de nature à frapper sans discrimination dans des zones densément peuplées, des attaques contre des hôpitaux, des écoles et des lieux de culte. Il se penche plus en détail sur les attaques perpétrées contre la maternité et l’hôpital pédiatrique de Marioupol le 9 mars, et contre le théâtre de cette même ville le 16 mars, estimant qu’elles étaient forcément délibérées. La mission a également conclu que certains types d’actes violents contraires au droit international des droits de l’homme, tels que les exécutions ciblées, les disparitions forcées ou les enlèvements de civils, y compris de journalistes et de fonctionnaires locaux, étaient susceptibles d’être assimilés à une «attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile» (selon la définition des crimes contre l’humanité). Ainsi, selon les experts, l’exécution extrajudiciaire présumée de tous les hommes âgés de 16 à 60 ans résidant à Boutcha, si elle venait à être confirmée, constituerait de toute évidence un crime contre l’humanité. S’agissant des allégations de viols, y compris collectifs, commis par des soldats russes, les experts ont rappelé que le viol et les autres formes de violence sexuelle peuvent constituer un crime contre l’humanité ou un crime de guerre.
14. De grandes organisations internationales non gouvernementales de défense des droits de l’homme comme Human Rights Watch (HRW) et Amnesty International (AI) ont également mis en évidence de possibles crimes de guerre et violations du droit international humanitaire en Ukraine commis par les forces russes, notamment des cas de viols, d’exécutions sommaires, d’attaques aveugles et de populations civiles assiégées 
			(19) 
			<a href='https://www.hrw.org/fr/news/2022/04/03/ukraine-crimes-de-guerre-manifestes-dans-les-zones-controlees-par-la-russie'>Ukraine:
crimes de guerre manifestes dans les zones contrôlées par la Russie
| Human Rights Watch (hrw.org)</a>. 
			(19) 
			<a href='https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2022/04/ukraine-russian-forces-extrajudicially-executing-civilians-in-apparent-war-crimes-new-testimony/'>Ukraine.
Nouveaux témoignages: les forces russes ont procédé à des exécutions
extrajudiciaires de civils constituant des crimes de guerre manifestes
– Amnesty International.</a>.. Concernant Boutcha, la Secrétaire générale d’AI a déclaré que «les informations en provenance de Boutcha font état de crimes de guerre relevant de pratiques bien établies, parmi lesquels figurent des exécutions extrajudiciaires et des actes de torture, dans d’autres zones occupées de l’Ukraine» 
			(20) 
			<a href='https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2022/04/ukraine-apparent-war-crimes-by-russian-forces-in-bucha-must-be-investigated/'>Ukraine.
Des crimes de guerre attribués aux forces russes à Boutcha doivent
donner lieu à des enquêtes – Amnesty International.</a>.
15. Selon le discours officiel russe, certaines des atrocités présumées auraient été «mises en scène» par les autorités ukrainiennes après que les troupes russes se sont retirées des zones concernées. Le ministère russe des Affaires étrangères a notamment affirmé que «pas un seul résident local n’a[vait] subi d’action violente, pendant la période où la ville a été sous le contrôle des forces armées russes». De son côté, le Président Poutine a déclaré que les images montrant des cadavres dans les rues étaient «falsifiées». Pourtant, les images satellites de la ville ont révélé la présence de corps gisant dans les rues près de deux semaines avant que les Russes ne quittent la ville, et ce aux endroits mêmes où ils ont été découverts par la suite, contredisant directement la version russe 
			(21) 
			<a href='https://www.bbc.com/news/60981238'>www.bbc.com/news/60981238</a>.. Le 18 avril 2022, le Président Poutine a décerné un titre honorifique à la 64e brigade d’infanterie motorisée qui était déployée à Boutcha au moment des atrocités signalées 
			(22) 
			<a href='https://www.thetimes.co.uk/article/putin-honours-russian-brigade-accused-of-bucha-atrocities-vrxd3mtdm'>www.thetimes.co.uk/article/putin-honours-russian-brigade-accused-of-bucha-atrocities-vrxd3mtdm</a>.. Le message cruel ainsi adressé aux familles des victimes et aux troupes russes présentes ailleurs en Ukraine, à savoir que de telles horreurs peuvent être commises en toute impunité, voire récompensées, me scandalise.
16. Bien qu’il n’entre pas dans le cadre de mon mandat d’examiner les allégations susmentionnées au regard des différents articles des Conventions de Genève de 1949 ou d’autres règles du droit international humanitaire coutumier, il importe de souligner dès à présent que nombre de ces actes pourraient constituer des crimes de guerre, engageant la responsabilité pénale individuelle de leurs auteurs et de leurs commandants. Ces actes comprendraient des violations graves des Conventions de Genève et/ou du Protocole additionnel I de 1977 (applicable aux conflits armés internationaux), ratifiés à la fois par la Fédération de Russie et l’Ukraine, telles que l’homicide intentionnel, la torture ou les traitements inhumains, le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé, la déportation ou le transfert illégaux, la destruction et l’appropriation de biens non justifiées par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire 
			(23) 
			Article 147
de la Convention IV de Genève relative à la protection des personnes
civiles en temps de guerre. Ces actes constituent également des
crimes de guerre au sens de l’article 8(2)(a) du Statut de Rome
de la Cour pénale internationale (CPI). L’article 8(1) dispose que
la Cour a compétence à l’égard des crimes de guerre, en particulier
lorsque ces crimes s’inscrivent dans le cadre d’un plan ou d’une
politique ou lorsqu’ils font partie d’une série de crimes analogues commis
sur une grande échelle., le fait de soumettre intentionnellement la population civile ou des personnes civiles à une attaque, le fait de lancer intentionnellement une attaque sans discrimination atteignant la population civile ou des biens de caractère civil, en sachant que cette attaque causera des pertes en vies humaines, des blessures aux personnes civiles ou des dommages aux biens de caractère civil qui sont excessifs 
			(24) 
			Article 85.3 (a) et
(b) du Protocole additionnel I de 1977. Ces actes constituent également
des crimes de guerre au titre de l’article 8(2)(b) du Statut de
Rome de la Cour pénale internationale (même si leur libellé varie
légèrement). D’autres violations graves du Protocole additionnel I
(par exemple, soumettre à une attaque des localités non défendues et
des zones démilitarisées, article 85.3(d)) ne figurent pas en tant
que telles dans le Statut de la CPI.. Bien que la violence sexuelle et le viol ne figurent pas explicitement parmi les infractions graves énoncées dans les Conventions de Genève ou dans le Protocole additionnel I, ils peuvent être assimilés à des traitements inhumains ou au fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé 
			(25) 
			Ils
sont explicitement énumérés à l’article 8(2)(b)(xxii) du Statut
de la CPI en tant que crimes de guerre.. D’autres actes, comme le fait d’empêcher l’acheminement de l’aide humanitaire dans les villes encerclées (par exemple Marioupol), pourraient être qualifiés de crimes de guerre au sens du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (Statut de la CPI) 
			(26) 
			Article 8(2)(b)(xxv):
le fait d’affamer délibérément des civils comme méthode de guerre,
(…) y compris en empêchant intentionnellement l’envoi des secours..
17. Certaines de ces violations du droit international humanitaire pourraient dans le même temps constituer des crimes contre l’humanité en vertu de l’article 7 du Statut de la CPI ou du droit international coutumier, dès lors qu’il est établi qu’elles ont été commises «dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque» 
			(27) 
			Par exemple, l’article
7(1)(g) du Statut de la CPI pénalise le “viol, esclavage sexuel,
prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute
autre forme de violence sexuelle de gravité comparable”.. Quant à savoir si certains actes répondraient en outre à la définition du génocide au sens de l’article 6 du Statut de la CPI (c’est-à-dire, qu’ils ont été commis «dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux»), la question reste ouverte et nécessiterait un examen et une analyse juridique plus approfondis 
			(28) 
			Le
Président Zelensky a accusé la Russie de génocide. <a href='https://www.lefigaro.fr/flash-actu/varsovie-propose-une-commission-d-enquete-internationale-sur-le-genocide-en-ukraine-20220404'>De
son côté, Mateusz Morawiecki, Premier ministre de la Pologne, a
appelé à la création d’une commission d’enquête internationale sur
les actes commis par les forces russes dans des villes ukrainiennes
comme Boutcha, qui pourraient constituer un génocide</a>. <a href='https://edition.cnn.com/2022/04/12/politics/biden-iowa-genocide/index.html'>Le
Président Biden a également qualifié ces actes de génocide</a>.. Pour cette raison, il est essentiel de mener des enquêtes et de recueillir des informations sur les modes de comportement destructeur qui permettraient de conclure à l’existence d’une intention génocidaire 
			(29) 
			L’article de Timofey Sergeitsev
publié le 3 avril 2022 par l’agence de presse russe RIA NOVOSTI
(«Ce que la Russie devrait faire de l’Ukraine») rappelle de manière
glaçante que des idées génocidaires telles que celles exposées dans
cet article existent en Russie et sont librement relayées par les
médias d’État (voir <a href='https://ccl.org.ua/en/news/ria-novosti-has-clarified-russias-plans-vis-a-vis-ukraine-and-the-rest-of-the-free-world-in-a-program-like-article-what-russia-should-do-with-ukraine-2/'>https://ccl.org.ua/en/news/ria-novosti-has-clarified-russias-plans-vis-a-vis-ukraine-and-the-rest-of-the-free-world-in-a-program-like-article-what-russia-should-do-with-ukraine-2/</a>).. En tout état de cause, et même si la Fédération de Russie n’est pas partie au Statut de Rome, la Cour pénale internationale est compétente pour les crimes contre l’humanité et de génocide perpétrés sur le territoire de l’Ukraine à compter du 21 novembre 2013 (voir paragraphes 19 et 20 ci-dessous).
18. Enfin, il convient de souligner que les éventuelles violations du droit international humanitaire commises par les officiers et commandants russes engagent la responsabilité de leur État en vertu du droit international des droits de l’homme, notamment de la Convention européenne des droits de l’homme (dont la Russie est encore Partie contractante jusqu’au 16 septembre 2022, voir les paragraphes 41-44 ci-après), du Pacte international relatif aux droits civils et politiques 
			(30) 
			La Fédération de Russie
a ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques
et le Protocole facultatif s’y rapportant (relatif aux plaintes
individuelles). Voir la déclaration du Comité des droits de l’homme
(CDH) relative à l’examen du huitième rapport périodique de la Fédération
de Russie prévu lors de sa 134e session
les 3 et 4 mars 2022, dans laquelle le CDH demande instamment à
la Fédération de Russie de prendre toutes les mesures nécessaires
pour s’acquitter de ses obligations découlant du Pacte, notamment
s’agissant du droit à la vie, droit suprême auquel aucune dérogation
n’est permise, même dans des situations de conflit armé. et de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour internationale de Justice, les traités relatifs aux droits de l’homme continuent de s’appliquer en temps de guerre et tant le droit international humanitaire que le droit international des droits de l’homme doivent être interprétés de manière complémentaire et cohérente 
			(31) 
			Cour européenne des
droits de l’homme, Hassan c. Royaume-Uni, requête
n° 29750/09, arrêt du 16 septembre 2014 (Grande Chambre), paragraphe 104;
CIJ, Avis consultatif sur les «Conséquences juridiques de l’édification
d’un mur dans le territoire palestinien occupé», 9 juillet 2004,
paragraphe 106; voir aussi la Résolution
2407 (2021) «70e anniversaire des Conventions
de Genève: la contribution du Conseil de l’Europe à la synergie
croissante entre le droit international humanitaire et le droit
international des droits de l’homme».. Ainsi, les meurtres de civils, les incendies et les pillages d’habitations dans les zones occupées constituent des violations des articles 2, 3 et 8 de la Convention et de l’article 1 du Protocole n° 1 par l’État exerçant sa juridiction sur ces zones 
			(32) 
			Voir, par exemple, Géorgie c. Russie(II), requête n° 38263/08, arrêt
du 21 janvier 2021 (Grande Chambre), paragraphes 198-199, 205-222,
où la Cour a également mentionné plusieurs dispositions de la Convention
(IV) de Genève relative à la protection des personnes civiles en
temps de guerre.. Par conséquent, la Fédération de Russie devrait continuer d’avoir à répondre de ses actes devant les mécanismes internationaux des droits de l’homme existants, notamment des violations des droits humains commises par ses forces au cours de la guerre actuellement menée.

3. Moyens d’établir les responsabilités concernant les violations graves du droit humanitaire international et d'autres crimes internationaux (y compris les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité, le génocide et le crime d'agression)

3.1. Enquêtes et procédures internationales en cours

19. Ni l'Ukraine ni la Fédération de Russie ne sont parties au Statut de la Cour pénale internationale 
			(33) 
			Les autres États membres
et observateurs du Conseil de l'Europe, ainsi que les États dont
les parlements jouissent du statut d'observateur ou de partenaire
pour la démocratie auprès de l'Assemblée, qui ne sont pas encore
des États parties au Statut de la CPI sont les suivants: l'Arménie,
l'Azerbaïdjan, Monaco, la Turquie, les États-Unis, Israël, le Kirghizstan
et le Maroc.. Cependant, l'Ukraine a fait deux déclarations au titre de l'article 12(3) du Statut, qui permet à un État qui n’est pas partie au statut d'accepter l'exercice de la compétence de la CPI. La première prenait expressément en compte les crimes allégués commis entre le 21 novembre 2013 et le 22 février 2014. La deuxième déclaration (8 septembre 2015) prolongeait indéfiniment l'acceptation de la compétence de la CPI 
			(34) 
			Communiqué de presse
de la CPI, 8 septembre 2015, «L'Ukraine accepte la compétence de
la CPI sur les crimes qui auraient été commis depuis le 20 février
2014»., couvrant ainsi les actes commis sur le territoire de l'Ukraine dans le cadre de la guerre en cours, notamment les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et le génocide. La seule exception est le crime d'agression. S'il est commis par des ressortissants ou sur le territoire d'un État qui n’est pas partie au Statut de la CPI, il ne peut être soumis à la juridiction de la Cour que dans le cadre d’une saisine du Procureur de la CPI par le Conseil de sécurité des Nations unies agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations unies 
			(35) 
			Article 15 bis (5)
et ter du Statut de la CPI. Certains auteurs
soutiennent que le Statut de la CPI devrait être modifié afin d'appliquer
au crime d'agression le régime de compétence ordinaire de la Cour
défini à l'article 12.. La Fédération de Russie mettrait probablement son droit de veto à une telle saisine.
20. Le 28 février 2022, le Procureur de la CPI, Karim Khan, a confirmé qu'il existait une base raisonnable pour procéder à l'ouverture d'une enquête sur les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité qui auraient été commis en Ukraine, en relation avec les événements déjà évalués lors de l'examen préliminaire lancé en 2014. Il a indiqué que l'enquête portera également sur «toute nouvelle allégation de crime relevant de la compétence de [son Bureau], commis par toute partie au conflit sur quelque partie du territoire ukrainien que ce soit» 
			(36) 
			<a href='https://www.icc-cpi.int/fr/news/declaration-du-procureur-de-la-cpi-karim-aa-khan-qc-sur-la-situation-en-ukraine-jai-pris-la'>www.icc-cpi.int/fr/news/declaration-du-procureur-de-la-cpi-karim-aa-khan-qc-sur-la-situation-en-ukraine-jai-pris-la</a>.. Le 1er mars 2022, le Procureur a informé les juges de la CPI d'une prochaine demande d'autorisation judiciaire au titre de l'article 15(3) du Statut. Il a annoncé également, le 2 mars 2022, qu'il avait ouvert une enquête sur la situation en Ukraine sur la base des renvois reçus de la part de 39 États parties de la CPI (dont 34 États membres du Conseil de l'Europe), une possibilité prévue par l'article 14 du Statut de la CPI, qui ne requiert pas d'autorisation judiciaire 
			(37) 
			Le Procureur a confirmé
par la suite que trois autres États, le Japon, la Macédoine du Nord
et la République du Chili, avaient également déféré la situation
en Ukraine, ce qui porte le nombre total d'États ayant déféré la
situation à 42.. Le champ d’investigation englobe toutes les allégations passées et présentes de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité ou de génocide commis par toute partie au conflit sur quelque partie du territoire ukrainien que ce soit à partir du 21 novembre 2013 
			(38) 
			<a href='https://www.icc-cpi.int/fr/news/declaration-du-procureur-de-la-cpi-karim-aa-khan-qc-sur-la-situation-en-ukraine-reception-de'>www.icc-cpi.int/fr/news/declaration-du-procureur-de-la-cpi-karim-aa-khan-qc-sur-la-situation-en-ukraine-reception-de</a>.. Pour l'instant, le Procureur de la CPI a déployé une équipe d'enquêteurs en Ukraine, qui a commencé à recueillir des éléments de preuve et a créé un portail consacré à la communication d'informations 
			(39) 
			<a href='https://www.icc-cpi.int/news/statement-icc-prosecutor-karim-aa-khan-qc-situation-ukraine-additional-referrals-japan-and'>/www.icc-cpi.int/fr/news/declaration-du-procureur-de-la-cpi-karim-aa-khan-qc-sur-la-situation-en-ukraine-renvois</a>.. Il a rencontré les autorités ukrainiennes sur le terrain, et a transmis une demande formelle à la Fédération de Russie afin de rencontrer leurs autorités compétentes 
			(40) 
			<a href='https://www.icc-cpi.int/news/statement-icc-prosecutor-karim-aa-khan-qc-his-visits-ukraine-and-poland-engagement-all-actors'>Déclaration
du Procureur de la CPI, Karim A.A. Khan QC, on his visits to Ukraine
and Poland: “Engagement with all actors critical for effective,
independent investigations.” | International Criminal Court (icc-cpi.int)</a>..
21. Conformément à l'Avis 300 (2022) de l'Assemblée, je soutiens pleinement les décisions récentes du Procureur de la CPI, ainsi que l'action conjointe des États membres du Conseil de l'Europe qui a permis au Procureur d'accélérer le processus et a envoyé un message fort de soutien à la CPI. Cependant, je trouve problématique que la précédente Procureure de la CPI ait terminé son examen préliminaire sur l'Ukraine en décembre 2020 (six ans après l'avoir lancé), et qu'aucune autorisation pour l'enquête n'ait été demandée aux juges de la CPI au cours de l'année 2021. En fait, la précédente Procureure, Fatou Bensouda, a évoqué d'importants problèmes opérationnels et des contraintes de capacité dus à un manque de ressources. Je pense que pour relever les défis de l'enquête en cours et remplir son rôle essentiel en matière d’établissement des responsabilités, la CPI et le Bureau du Procureur devraient recevoir le soutien financier et politique nécessaire de la part des États parties au Statut de Rome, en particulier des États membres du Conseil de l'Europe, par exemple sous forme de contributions volontaires et de détachement de personnel. Les États doivent également être prêts à fournir à la CPI des données et des preuves pertinentes en vue d’enregistrer et d’étayer les crimes présumés. Certes, les poursuites et les procès contre des individus devant la CPI prendront du temps, mais le lancement immédiat d'une enquête approfondie (éventuellement suivie rapidement de l'émission de mandats d'arrêt) envoie un message important, à savoir qu'il n'y a pas d'impunité pour les crimes internationaux. La procédure contribuera également à la poursuite de la délégitimation internationale des dirigeants politiques et militaires russes. Il faut espérer que le lancement de l'enquête aura également un certain effet dissuasif sur les troupes et les commandants russes sur le terrain 
			(41) 
			Voir Sergey
Vasilev, «Aggression against Ukraine: Avenues for Accountability
for Core Crimes», EJIL: Talk, 3 mars 2022..
22. L'agression de la Fédération de Russie a également conduit le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies à adopter, le 4 mars 2022, une résolution portant création d’une commission d'enquête internationale indépendante chargée d'enquêter sur toutes les violations des droits de l'homme qui auraient été commises dans le contexte de l'agression 
			(42) 
			<a href='https://www.ohchr.org/en/press-releases/2022/03/human-rights-council-establishes-independent-international-commission?msclkid=037db3d9aeb811ec87251eb202d14a0f'>www.ohchr.org/fr/press-releases/2022/03/human-rights-council-establishes-independent-international-commission</a>. Résolution A/HRC/49/1.. La commission sera constituée de trois experts des droits de l'homme, nommés par le Président du Conseil des droits de l'homme pour une période initiale d'un an, qui auront notamment pour mandat d'enquêter sur toutes les violations présumées des droits de l'homme et du droit international humanitaire, ainsi que sur les crimes connexes, dans le contexte de l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine. Ils seront également chargés d'établir les faits, les circonstances et les causes profondes de ces violations et abus, de recueillir, consolider et analyser les éléments de preuve de ces violations et abus, y compris leur dimension de genre, d'enregistrer et conserver systématiquement toutes les informations, pièces et éléments de preuve, notamment les entretiens, témoignages et éléments médico-légaux, en vue de toute procédure judiciaire future, d'identifier, si possible, les personnes et entités responsables afin de veiller à ce qu'elles répondent de leurs actes et enfin de formuler des recommandations, en particulier sur les mesures d’établissement des responsabilités.
23. Le président du Conseil des droits de l'homme a nommé les trois membres indépendants de la commission d'enquête, à savoir Erik Møse, ancien juge norvégien de la Cour européenne des droits de l'homme, Jasminka Džumhur, médiatrice des droits de l'homme de Bosnie-Herzégovine, et Pablo de Greiff, premier rapporteur spécial des Nations Unies sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition. M. Møse sera le président de la commission. Les commissaires sont invités à présenter un compte rendu oral de leurs travaux au Conseil des droits de l'homme en septembre 2022 et un rapport écrit complet en mars 2023.
24. À mon avis, ce type de mécanisme d'enquête peut jouer un rôle complémentaire important en rassemblant et en préservant des preuves qui peuvent être partagées avec la CPI et d'autres juridictions. Les États membres du Conseil de l'Europe, y compris l'Ukraine, devraient contribuer à cette enquête en fournissant les informations pertinentes qu'ils pourraient détenir sur des abus et des crimes allégués ou dont ils pourraient avoir connaissance.
25. Enfin, il convient de mentionner la procédure en cours devant la Cour internationale de Justice, engagée le 26 février 2022 par l'Ukraine contre la Fédération de Russie au sujet d'un différend relatif à l'interprétation, à l'application et à l'exécution de la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide. La requête vise à démontrer le caractère infondé des allégations selon lesquelles l’Ukraine aurait commis des actes de génocide dans les régions de Louhansk et de Donetsk et à établir que la Fédération de Russie ne saurait licitement mener quelque action militaire que ce soit sous ce prétexte. Le 16 mars 2022, la CIJ a indiqué des mesures conservatoires, demandant à la Fédération de Russie de suspendre immédiatement les opérations militaires qu’elle a commencées le 24 février 2022 sur le territoire de l’Ukraine et de veiller à ce qu’aucune des unités militaires ou unités armées irrégulières qui pourraient agir sous sa direction ou bénéficier de son appui ni aucune organisation ou personne qui pourrait se trouver sous son contrôle ou sa direction ne commettent d’actes tendant à la poursuite de ces opérations militaires. Elle a également demandé aux deux parties de s’abstenir de tout acte susceptible d’aggraver ou d’étendre le différend dont la Cour est saisie ou d’en rendre le règlement plus difficile 
			(43) 
			CIJ, «Allégations de
génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie)», ordonnance
du 16 mars 2022.. Bien que ces procédures ne visent pas à établir la responsabilité individuelle pour des violations concrètes des droits de l'homme ou du droit international humanitaire, elles sont utiles dans la mesure où elles discréditent l'un des principaux arguments utilisés par les dirigeants russes pour justifier «l’opération militaire spéciale» visant à mettre fin à un prétendu «génocide» de la population russophone dans l'est de l'Ukraine. À cet égard, la CIJ, dans son ordonnance du 16 mars, sans préjuger du fond du différend, a déjà indiqué qu'elle n'était en possession d'aucun élément de preuve étayant l'allégation de la Fédération de Russie selon laquelle un génocide aurait été commis.

3.2. Mécanismes internationaux alternatifs: proposition de création d'un tribunal spécial sur le crime d'agression

26. Comme je l'ai mentionné plus haut, le crime d'agression (codifié à l'article 8 bis du Statut de Rome 
			(44) 
			Article 8 bis (1) du
Statut de la CPI: on entend par «crime d’agression» la planification,
la préparation, le lancement ou l’exécution, par une personne effectivement
en mesure de contrôler ou de diriger l'action politique ou militaire
d'un État, d'un acte d'agression qui, par sa nature, sa gravité
et son ampleur, constitue une violation manifeste de la Charte des Nations
Unies. Article 8 bis (2): on
entend par «acte d’agression» l’emploi par un État de la force armée
contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance
politique d’un autre État, ou de toute autre manière incompatible avec
la Charte des Nations Unies., entré en vigueur le 17 juillet 2018) n'est pas soumis à la compétence de la CPI s'il est commis par des ressortissants ou sur le territoire d'un État qui n’est pas partie au Statut de la CPI. Étant donné que ni l'Ukraine ni la Fédération de Russie ne sont parties au Statut de Rome, la seule possibilité d'exercer une juridiction sur ce crime serait la saisine du Procureur de la CPI par le Conseil de sécurité des Nations unies. Dans le cas probable où la Fédération de Russie exercerait son droit de veto au Conseil de sécurité contre une telle saisine, la CPI serait empêchée d'enquêter sur les crimes d'agression commis contre l'Ukraine et d'engager des poursuites contre leurs auteurs. Afin de combler cette lacune et de compléter les actions en cours devant les autres tribunaux internationaux, un certain nombre de personnalités du monde juridique et politique, dont Sir Nicolas Bratza, ancien président de la Cour européenne des droits de l’homme, M. Gordon Brown, ancien Premier ministre du Royaume-Uni, les professeurs Philippe Sands et Philip Leach, les professeurs Egbert Myjer et Angelika Nussberger, anciens juges de la Cour européenne des droits de l’homme, ont proposé la création d'un tribunal spécial dont l'activité serait limitée au crime d'agression. Cette proposition indique que le tribunal spécial devrait être constitué pour enquêter sur les actes de violence commis par la Fédération de Russie contre l'Ukraine et déterminer s'ils constituent un crime d'agression. Elle indique également que les États devraient accepter d'accorder la compétence découlant des codes pénaux nationaux et du droit international général, et conférer à un tel tribunal la compétence d'enquêter et de poursuivre à la fois les auteurs du crime d'agression et ceux qui ont substantiellement contribué ou façonné la commission de ce crime 
			(45) 
			<a href='https://gordonandsarahbrown.com/wp-content/uploads/2022/03/Combined-Statement-and-Declaration.pdf'>https://gordonandsarahbrown.com/wp-content/uploads/2022/03/Combined-Statement-and-Declaration.pdf</a>. 
			(45) 
			<a href='https://news7h.com/putins-use-of-military-force-is-a-crime-of-aggression/'>https://news7h.com/putins-use-of-military-force-is-a-crime-of-aggression/</a>. La déclaration a été soutenue par le ministre ukrainien
des affaires étrangères lors d'un événement organisé par Chatham
House le 4 mars 2022 (<a href='https://www.chathamhouse.org/events/all/research-event/criminal-tribunal-aggression-ukraine'>www.chathamhouse.org/events/all/research-event/criminal-tribunal-aggression-ukraine</a>). Voir aussi: <a href='https://www.justiceinfo.net/fr/90538-ukraine-dynamique-tribunal-agression.html'>www.justiceinfo.net/fr/90538-ukraine-dynamique-tribunal-agression.html</a>..
27. L'Assemblée, dans son Avis 300 (2022), a déjà considéré que l'attaque armée de la Fédération de Russie contre l'Ukraine constitue un «crime contre la paix» en vertu de la Charte de Nuremberg et constitue une «agression» selon les termes de la Résolution 3314 (XXIX) de l'Assemblée générale des Nations Unies adoptées en 1974. L'Assemblée générale des Nations Unies a également considéré, à une majorité écrasante, que la Fédération de Russie avait commis une agression en violation de l'article 2, paragraphe 4, de la Charte des Nations Unies 
			(46) 
			Résolution de l'Assemblée
générale des Nations Unies sur l'agression contre l'Ukraine du 1er mars
2022, A/ES-11/L.1.. Bien que la Fédération de Russie ne soit pas partie au Statut de la CPI, qui codifie le crime d'agression en se référant à la définition énoncée dans la résolution 3314 (XXIX) de l'Assemblée générale des Nations Unies, le droit international coutumier prévoit également la responsabilité pénale individuelle de ceux qui planifient, préparent, lancent ou exécutent une guerre d'agression. Lors des procès de Nuremberg, le crime contre la paix (que nous appelons aujourd'hui «crime d'agression») a été considéré comme un crime de dirigeant, un crime principalement commis par des planificateurs et des concepteurs, ceux qui occupaient des postes de haut niveau au sein du parti nazi, du gouvernement, ou des chefs militaires 
			(47) 
			Charte du Tribunal
militaire international (Charte de Nuremberg), article 6 (a); déclaration
d'ouverture du juge Robert H. Jackson, chef du conseil des États-Unis,
au TMI.. La nature de ce crime imputable à un dirigeant est désormais reflétée dans l'article 8 bis du Statut de la CPI, qui limite son applicabilité aux personnes qui sont effectivement en mesure de «contrôler ou de diriger» l'action politique ou militaire d'un État. Certains ont fait valoir que si les crimes de guerre sont susceptibles d'être imputés à des soldats et des commandants à titre individuel, il serait plus facile d'identifier et de poursuivre les dirigeants qui ont planifié et mené la guerre d'agression contre l'Ukraine, en les tenant pour responsables de tous les décès et destructions résultant de l'agression, y compris des soldats ukrainiens (qui sont en principe des cibles légales en vertu du droit international humanitaire) 
			(48) 
			Voir également Andrew
Clapham, «Ukraine Tribunal Could Try Russian Leaders for Aggression» <a href='https://balkaninsight.com/2022/04/07/ukraine-tribunal-could-try-russian-leaders-for-aggression-expert/'>https://balkaninsight.com/2022/04/07/ukraine-tribunal-could-try-russian-leaders-for-aggression-expert/</a>.. Cette accusation pourrait s'appliquer non seulement aux dirigeants et hauts responsables russes, mais aussi à ceux du Bélarus, un État dont l'implication dans l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine a été largement condamnée par la communauté internationale 
			(49) 
			Rapport pour Avis 300 (2022), paragraphes 17 à 21..
28. L'un des principaux obstacles au fonctionnement et à l'efficacité d'un tel tribunal serait le manque présumé de coopération de l'État agresseur (des États agresseurs), qui continue de mener la guerre. Les tribunaux militaires de Nuremberg et de Tokyo établis après la seconde guerre mondiale étaient fondés sur le consentement des États vaincus de l'Axe. La Fédération de Russie mettrait certainement son veto à la création d'un tribunal ad hoc par le Conseil de sécurité des Nations Unies agissant au titre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, tels que ceux qui ont été créés pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) et le Rwanda (TPIR) dans les années 1990. L'autre possibilité consisterait à créer un tribunal spécial sur la base d'un accord entre l'État dans lequel les infractions ont été commises et l'Organisation des Nations Unies, à l'instar du Tribunal spécial pour la Sierra Leone créé en 2002 
			(50) 
			Dans sa résolution
du 7 avril 2022 sur les conclusions du Conseil européen des 24-25
mars 2022, le Parlement européen a demandé, entre autres, la création
d'un tribunal spécial des Nations unies pour les crimes commis en
Ukraine (paragraphe 3).. Dans certaines situations d'après conflit, des mécanismes judiciaires «hybrides», composés de juges internationaux et nationaux, ont été créés au sein du système juridique interne, par exemple les Chambres extraordinaires des tribunaux cambodgiens, créées en 2003, la Chambre des crimes de guerre de la Cour d'État de Bosnie-Herzégovine, créée en 2005, ou les Chambres spécialisées et le Bureau du Procureur spécialisé du Kosovo, créés en 2015 
			(51) 
			Composés
de membres internationaux et compétente pour les crimes contre l'humanité,
les crimes de guerre et autres crimes en vertu du droit du Kosovo
en relation avec les allégations rapportées dans le rapport de l'Assemblée parlementaire
du 7 janvier 2011 «Traitement inhumain de personnes et trafic illicite
d'organes humains au Kosovo», Doc. 12462.
(Toute référence au Kosovo dans le présent document, qu’il s’agisse
de son territoire, de ses institutions ou de sa population, doit
être entendue dans le plein respect de la Résolution 1244 du Conseil
de sécurité de l’Organisation des Nations Unies, sans préjuger du
statut du Kosovo.). La création d'un tel tribunal spécial ou «hybride» devrait se fonder de préférence sur une recommandation de l'Assemblée générale des Nations Unies, ce qui lui conférerait une large légitimité internationale 
			(52) 
			Par exemple, les Chambres
extraordinaires des tribunaux cambodgiens ont été approuvées par
une résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies (résolution
57/228 du 13 mai 2003)..
29. Certains ont récemment fait valoir qu'un tribunal «hybride» au sein du système judiciaire ukrainien pourrait également être mis en place avec le soutien du Conseil de l'Europe. L'Ukraine pourrait, par exemple, demander au Comité des Ministres de recommander, conformément à l'article 15(a) du Statut, que les États membres adoptent une «politique commune» en ce qui concerne l'appui à un tel tribunal. Le Conseil de l'Europe aurait ainsi le pouvoir exprès de conclure un accord avec l'Ukraine sur la création d'un tel tribunal 
			(53) 
			<a href='https://opiniojuris.org/2022/03/16/the-best-option-an-extraordinary-ukrainian-chamber-for-aggression/'>https://opiniojuris.org/2022/03/16/the-best-option-an-extraordinary-ukrainian-chamber-for-aggression/</a>. 
			(53) 
			<a href='http://opiniojuris.org/2022/03/30/an-aggression-chamber-for-ukraine-supported-by-the-council-of-europe/?fbclid=IwAR2WOc3jgY6fJY5qJ3zJw9Hff0SGIC72sxldnEPyNLxzomrXmPGYrLCv8N8'>http://opiniojuris.org/2022/03/30/an-aggression-chamber-for-ukraine-supported-by-the-council-of-europe/?fbclid=IwAR2WOc3jgY6fJY5qJ3zJw9Hff0SGIC72sxldnEPyNLxzomrXmPGYrLCv8N8.</a> 
			(53) 
			Voir, à l'inverse, les avantages de créer
un tribunal international spécial par le biais d'un traité entre
l'Ukraine et l'ONU, plutôt qu'un tribunal «hybride» dans le cadre
d'un traité entre l'Ukraine et le Conseil de l'Europe: <a href='https://www.justsecurity.org/81063/the-best-path-for-accountability-for-the-crime-of-aggression-under ukrainian-and-international law/'>www.justsecurity.org/81063/the-best-path-for-accountability-for-the-crime-of-aggression-under
ukrainian-and-international law/</a>.. La compétence du Conseil de l’Europe pour aider l'Ukraine à mettre en place un mécanisme de responsabilité pénale pourrait se justifier par le fait que l'agression en cours constitue une violation grave du Statut du Conseil de l'Europe et qu'en réponse à des violations massives des droits de l'homme commises sur le territoire de l'un de ses membres, les États membres ont la responsabilité collective de promouvoir les objectifs de l'Organisation et de sauvegarder ses idéaux et principes communs, conformément à l'article 1 du Statut. En outre, le préambule du Statut établit un lien clair entre la recherche de la paix et la justice, soutenant l'idée que la justice et la responsabilité des violations flagrantes des droits de l'homme sont essentielles au rétablissement de la paix.
30. Toutefois, étant donné l'ampleur de l'agression actuelle et la dimension internationale du conflit, je pense que la meilleure option serait qu'un groupe d'États crée un tribunal international spécial pour la répression du crime d'agression contre l'Ukraine (qui pourrait avoir son siège à l'intérieur ou à l'extérieur de l'Ukraine) sur la base d'un traité multilatéral, lui conférant la compétence sur le crime d'agression tel que défini dans le droit international coutumier 
			(54) 
			Carrie
McDougall propose que l'instrument constitutif du tribunal ad hoc reprenne la définition du
crime d'agression figurant à l'article 8bis du Statut de Rome. Voir: <a href='https://opiniojuris.org/2022/03/15/why-creating-a-special-tribunal-for-aggression-against-ukraine-is-the-best-available-option-a-reply-to-kevin-jon-heller-and-other-critics/'>https://opiniojuris.org/2022/03/15/why-creating-a-special-tribunal-for-aggression-against-ukraine-is-the-best-available-option-a-reply-to-kevin-jon-heller-and-other-critics/</a>.. Les États membres et observateurs du Conseil de l'Europe pourraient jouer un rôle de premier plan dans ce processus, en lançant les négociations, en apportant un soutien politique et financier au tribunal et éventuellement en participant à la nomination de ses membres conformément aux procédures établies dans le traité. Une fois adopté, il pourrait être soutenu par l'Assemblée générale des Nations unies, le Conseil de l'Europe, l'Union européenne ou d'autres organisations régionales. Il est probable que les dirigeants russes actuels ne coopéreront pas, mais les États parties à l'accord auront l'obligation d'arrêter et de remettre tout haut fonctionnaire russe recherché par le tribunal qui pourrait être présent sur leur territoire. Les chefs d'État et autres représentants gouvernementaux (de pays qui ne sont pas parties au traité) ne pourraient pas se prévaloir d'immunités vis-à-vis d'un tel tribunal international, conformément à la pratique de la CPI et d'autres tribunaux internationaux. Il s’agit d’un avantage qu'un tribunal strictement national, voire «hybride» n’aurait peut-être pas 
			(55) 
			CPI, Le Procureur c. Omar Hassan Ahmad Al Bashir, arrêt
du 6 mai 2019, paragraphes 113 et 115 (voir également l'article
27 du Statut de la CPI); Tribunal spécial pour la Sierra Leone, Le Procureur c. Charles Ghankay Taylor,
«Décision sur l'immunité de juridiction», 31 mai 2004, paragraphes
52 à 53. Selon la CIJ, Mandat d'arrêt
du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt
du 14 février 2002, paragraphe 60, un ministre des Affaires étrangères
en exercice ou un ancien ministre des affaires étrangères peut faire
l'objet de poursuites pénales devant certaines juridictions pénales
internationales, lorsqu'elles sont compétentes, telles que le TPIY,
le TPIR et la CPI. Bien qu'il ait été avancé qu'un tribunal spécial ad hoc ou «hybride» pour l'agression
contre l'Ukraine serait suffisamment international pour exclure
l'applicabilité des immunités pour une poursuite, au sens de cette
jurisprudence, la question reste ouverte (<a href='https://www.justsecurity.org/80395/united-nations-response-options-to-russias-aggression-opportunities-and-rabbit-holes/'>www.justsecurity.org/80395/united-nations-response-options-to-russias-aggression-opportunities-and-rabbit-holes/</a>; 
			(55) 
			<a href='https://opiniojuris.org/2022/03/15/why-creating-a-special-tη-for-aggression-against-ukraine-is-the-best-available-option-a-reply-to-kevin-jon-heller-and-other-critics/'>https://opiniojuris.org/2022/03/15/why-creating-a-special-tη-for-aggression-against-ukraine-is-the-best-available-option-a-reply-to-kevin-jon-heller-and-other-critics/</a>; 
			(55) 
			<a href='https://www.justsecurity.org/81063/the-best-path-for-accountability-for-the-crime-of-aggression-under-ukrainian-and-international-law/'>www.justsecurity.org/81063/the-best-path-for-accountability-for-the-crime-of-aggression-under-ukrainian-and-international-law/</a>)..
31. Je suis conscient des préoccupations que soulève le caractère sélectif de la proposition de création d'un tribunal spécial, fondées sur l'argument selon lequel les agressions passées d'autres États sont restées impunies. Cependant, je pense que nous devrions profiter de ce moment de réponse politique sans précédent de la part de la communauté internationale pour renforcer (et non affaiblir) la justice pénale internationale, notamment en créant des mécanismes nouveaux et ad hoc qui pourraient combler les lacunes des mécanismes existants et quelque peu imparfaits.
32. Si un changement dans la direction de la Fédération de Russie devait se produire à l'avenir et conduire à une éventuelle demande de ré-adhésion au Conseil de l'Europe, je pense qu'il faudrait demander à la Fédération de Russie de s'engager à coopérer pleinement avec toutes les procédures pénales internationales en cours découlant de l'agression, y compris en remettant les (anciens) responsables de l'État qui pourraient être inculpés par la CPI ou le tribunal spécial.
33. Afin d'aborder la question de l'abus par la Fédération de Russie de son droit de veto en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, en particulier pour empêcher une éventuelle résolution du Conseil de Sécurité visant à saisir la CPI de son propre crime d'agression au titre de l'article 8 bis du Statut de Rome, l'Assemblée générale des Nations Unies pourrait demander à la Cour internationale de Justice un avis consultatif sur la question de savoir si le droit de veto peut être limité en cas d'abus de droit évident, lorsque le seul but du veto est d'échapper à la responsabilité du crime d'agression de la puissance qui exerce le veto.

3.3. Enquêtes et poursuites nationales

34. Conformément à son statut, la CPI est complémentaire des juridictions pénales nationales 
			(56) 
			Préambule, articles
1 et 17 (questions de recevabilité).. La règle veut qu'elle intervienne lorsque les juridictions nationales n'ont pas la volonté ou sont dans l'incapacité de mener véritablement à bien une enquête ou des poursuites. Le Code pénal ukrainien interdit la planification, la préparation et la conduite d'une guerre agressive (article 437), les violations des règles de la guerre (article 438) et le génocide (article 442). L'article 438 contient une disposition interdisant, entre autres, le traitement cruel des prisonniers de guerre ou des civils, ainsi que «l'utilisation de méthodes de guerre interdites par les instruments internationaux, ou toute autre violation des règles de guerre reconnues par les instruments internationaux auxquels le Parlement ukrainien a consenti comme ayant force obligatoire, et donnant également l'ordre de commettre de telles actions». Ces dispositions permettent à l'Ukraine de poursuivre un individu pour des violations des traités de droit international humanitaire auxquels elle est partie. Au 14 avril 2022, le Bureau du Procureur général a enregistré 6 305 crimes de guerre allégués (en vertu de l'article 438) et 43 crimes d'agression allégués (en vertu de l'article 437) au cours de l'invasion généralisée 
			(57) 
			<a href='https://www.gp.gov.ua/'>www.gp.gov.ua</a>. Le Bureau du Procureur général a également inculpé
au début les prisonniers de guerre russes de violation de l'intégrité
territoriale de l'Ukraine, de meurtres et de franchissements illégaux
de la frontière ukrainienne, mais il semble que cette approche initiale
ait été causée par une mauvaise compréhension du droit international
humanitaire, selon lequel les combattants ne peuvent pas être punis
pour la simple participation aux hostilités (Rapport de la Mission d'experts
du Mécanisme de Moscou de l'OSCE, p. 12).. Elle a identifié 570 suspects, représentants des dirigeants militaires et politiques de la Fédération de Russie. En ce qui concerne la capacité des autorités ukrainiennes à traduire les responsables en justice, je note que le Code de procédure pénale (article 262) autorise les procès par contumace dans des circonstances exceptionnelles. En outre, une équipe spéciale est sur le point d'être créée au sein du Bureau du Procureur général pour la recherche et la confiscation des avoirs et des biens des criminels de guerre présumés de la Fédération de Russie à l'étranger 
			(58) 
			<a href='https://en.interfax.com.ua/news/general/806527.html'>https://en.interfax.com.ua/news/general/806527.html</a>..
35. Bien que la législation russe érige également en infraction la guerre d'agression (article 353 du Code pénal) et les crimes de guerre (article 356), il est peu probable que les dirigeants et officiers russes soient poursuivis devant les tribunaux russes, du moins dans les circonstances actuelles. Conformément au récit officiel du déni, le Comité d'enquête de la Fédération de Russie a ouvert une enquête sur les «informations délibérément fausses» concernant les forces armées russes à Boutcha 
			(59) 
			<a href='https://www.reuters.com/world/russia-orders-probe-ukrainian-provocation-over-civilian-deaths-bucha-2022-04-04/'>www.reuters.com/world/russia-orders-probe-ukrainian-provocation-over-civilian-deaths-bucha-2022-04-04/</a>.. Il a également engagé des procédures pénales sur divers cas présumés de bombardements ukrainiens.
36. Il est important de rappeler que les Conventions de Genève et leur Protocole additionnel I exigent des États qu'ils adoptent des lois pour punir les «infractions graves» (crimes de guerre), pour rechercher les personnes qui auraient commis de tels crimes et pour les traduire devant leurs tribunaux ou pour les extrader vers un autre État aux fins de poursuites (aut dedere aut judicare) 
			(60) 
			Première Convention
de Genève, article 49; deuxième Convention de Genève, article 50;
troisième Convention de Genève, article 129; quatrième Convention
de Genève, article 146; Protocole additionnel I, article 85(1).. Cela s'applique évidemment aux soldats et aux commandants de chaque partie. À cet égard, la mission d'experts de l'OSCE a recommandé à l'Ukraine et à la Russie d'étendre leurs enquêtes aux suspects appartenant à leur propre partie 
			(61) 
			Rapport de la mission
d'experts établie dans le cadre du mécanisme de Moscou de l'OSCE,
p. 92..
37. Des procédures peuvent également être engagées dans des pays tiers pour enquêter sur certains des crimes commis en Ukraine et en poursuivre les auteurs. De nombreux pays permettent de poursuivre les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité en vertu du principe de compétence universelle (par exemple, la Lituanie, les Pays-Bas, l'Allemagne, l'Espagne, la République tchèque), en limitant parfois son champ d'application aux cas où il existe un lien particulier, par exemple lorsque le suspect est présent ou réside sur leur territoire. Le parquet fédéral allemand a ouvert une enquête sur les crimes de guerre allégués commis par les troupes russes en Ukraine et a commencé à recueillir des preuves 
			(62) 
			<a href='https://www.aljazeera.com/news/2022/3/8/germany-launches-probe-into-suspected-war-crimes-in-ukraine'>www.aljazeera.com/news/2022/3/8/germany-launches-probe-into-suspected-war-crimes-in-ukraine</a>.. La France a ouvert trois enquêtes sur des crimes de guerre allégués commis contre ses ressortissants en Ukraine, sur la base du principe de la personnalité passive (nationalité des victimes) 
			(63) 
			<a href='https://blog.leclubdesjuristes.com/louverture-denquetes-en-france-pour-crimes-de-guerre-en-ukraine-quels-fondements-et-perspective/?utm_source=sendinblue&utm_campaign=Newsletter%20du%20Club%20des%20juristes%20-%20Spciale%20Ukraine%20-%20Dimanche%2010%20avril%202022&utm_medium=email'>https://blog.leclubdesjuristes.com/louverture-denquetes-en-france-pour-crimes-de-guerre-en-ukraine-quels-fondements-et-perspective/?utm_source=sendinblue&utm_campaign=Newsletter%20du%20Club%20des%20juristes%20-%20Spciale%20Ukraine%20-%20Dimanche%2010%20avril%202022&utm_medium=email.</a>.
38. En ce qui concerne le crime d'agression, certains pays peuvent également exercer une compétence universelle (par exemple, les Pays-Bas et la Lituanie) ou poursuivre l'agression sur la base de la protection de leurs intérêts (Pologne). Dans ce contexte, il a été signalé que la Pologne et la Lituanie ont ouvert des enquêtes sur l'agression russe contre l'Ukraine 
			(64) 
			<a href='https://opiniojuris.org/2022/03/15/why-creating-a-special-tribunal-for-aggression-against-ukraine-is-the-best-available-option-a-reply-to-kevin-jon-heller-and-other-critics/'>https://opiniojuris.org/2022/03/15/why-creating-a-special-tribunal-for-aggression-against-ukraine-is-the-best-available-option-a-reply-to-kevin-jon-heller-and-other-critics/. </a> 
			(64) 
			<a href='https://www.gov.pl/web/prokuratura-krajowa/mazowiecki-pion-pz-pk-wszczal-sledztwo-w-sprawie-napasci-rosji-na-ukraine'>www.gov.pl/web/prokuratura-krajowa/mazowiecki-pion-pz-pk-wszczal-sledztwo-w-sprawie-napasci-rosji-na-ukraine.</a>. Même si la plupart de ces procédures ne déboucheront sur des procès et des condamnations que lorsque, et si, les suspects entrent sur leur territoire ou sont extradés, les démarches entreprises par les juridictions nationales méritent d'être encouragées, car elles peuvent utilement compléter les efforts des enquêteurs ukrainiens et internationaux.
39. Les poursuites engagées au niveau national peuvent également bénéficier d'une assistance et d'une coordination dans un contexte régional. Par exemple, Eurojust a soutenu la mise en place d'une équipe commune d'enquête sur les principaux crimes internationaux allégués commis en Ukraine. Les autorités de la Lituanie, de la Pologne et de l’Ukraine ont signé, le 25 mars 2022, un accord établissant une équipe commune d'enquête pour permettre l'échange d'informations et faciliter les enquêtes sur ces crimes. La participation à l'équipe commune d'enquête peut être étendue à d'autres États membres de l'Union européenne, à des pays tiers et à d'autres parties. Le Bureau du Procureur de la CPI a déjà été invité à se joindre à l'équipe commune, en vue d'assurer la coordination de la collecte et l'analyse des preuves 
			(65) 
			<a href='https://www.eurojust.europa.eu/news/eurojust-supports-joint-investigation-team-alleged-core-international-crimes-ukraine'>www.eurojust.europa.eu/news/eurojust-supports-joint-investigation-team-alleged-core-international-crimes-ukraine</a>. 
			(65) 
			<a href='https://www.eurojust.europa.eu/news/statement-eurojust-president-mr-ladislav-hamran-following-visit-eu-ministers-justice-ukraine'>Statement
of Eurojust President Mr Ladislav Hamran following visit of EU Ministers
of Justice on Ukraine | Eurojust | European Union Agency for Criminal
Justice Cooperation (europa.eu)</a>. 
			(65) 
			<a href='https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/statement_22_2268'>Déclaration
d'Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne,
à la suite de son entretien téléphonique avec le président Zelenskyy
au sujet des réponses apportées par la Commission face aux atrocités commises
à Boutcha (ec.europa.eu)</a>: «Il est nécessaire d'apporter une réponse au niveau
mondial. Des discussions sont en cours entre Eurojust et la Cour
pénale internationale de manière à ce que les deux instances unissent
leurs forces et afin que la Cour fasse partie de l'équipe commune
d'enquête. Une telle approche coordonnée de la part des autorités ukrainiennes,
de l'Union européenne, de ses États membres et de ses agences, ainsi
que de la Cour pénale internationale, permettra de recueillir, d'analyser
et de traiter les éléments de preuve de la manière la plus complète
et la plus efficace possible»..

4. Renforcer la réaction et l’assistance du Conseil de l’Europe pour la reddition des comptes

40. Pour compléter les mécanismes de reddition des comptes (existants et nouveaux) évoqués ci-dessus, le Conseil de l’Europe devrait poursuivre son travail de base visant à protéger les droits de l’homme, l’État de droit et la démocratie en Ukraine. Dans la mesure du possible, ce travail devrait être poursuivi et même être intensifié pendant le conflit en cours, et en tout cas être poursuivi dans le cadre de l’action de post-conflit. Dans ces conditions, le Conseil devrait revoir ses priorités et réagir face aux nouveaux problèmes découlant de l’agression de la Fédération de Russie, en répondant autant que possible aux besoins exprimés par les autorités et la société civile ukrainiennes. Certains des mécanismes existants du Conseil de l'Europe, compte tenu de leur savoir-faire unique en matière de droits de l'homme et de leur mandat, pourraient contribuer de différentes manières à faire en sorte que les auteurs de violations de droits de l'homme et du droit international humanitaire rendent des comptes. Le Conseil de l’Europe pourrait également contribuer à la mise en place et au fonctionnement du futur tribunal ad hoc chargé d’enquêter et de poursuivre le crime d’agression, en mettant à disposition son savoir-faire dans des domaines tels que la négociation d’accords multilatéraux dans le domaine juridique et la logistique liée à la mise en place d’organes internationaux. Permettez-moi de suggérer que le nouveau tribunal ad hoc ait son siège à Strasbourg, afin de faciliter les synergies avec le Conseil de l’Europe et, en particulier, avec la Cour européenne des droits de l’homme. Comme nous le verrons, celle-ci traite de beaucoup de cas de violations des droits de l’homme liés à l’agression russe contre l’Ukraine.

4.1. Procédures devant la Cour européenne des droits de l’homme (affaires individuelles et interétatiques actuelles et futures)

41. La Cour européenne des droits de l'homme a reçu des demandes de mesures provisoires du Gouvernement ukrainien et de particuliers concernant les opérations militaires russes actuelles sur le territoire ukrainien. Elle a accordé certaines de ces mesures les 1er et 4 mars et le 1er avril 2022 (voir paragraphe 9 ci-dessus) 
			(66) 
			La demande du Gouvernement
ukrainien a été enregistrée sous le numéro de requête 11055/22, Ukraine c. Russie (X), bien que
l’Ukraine n’ait pas encore soumis de requête dûment complétée.. De nouvelles demandes de mesures provisoires et des requêtes individuelles et interétatiques pourraient encore être déposées contre la Fédération de Russie, à condition qu’elles concernent des actes ou omissions survenus avant le 16 septembre 2022 (date à laquelle la Fédération de Russie cessera d’être Haute Partie contractante à la Convention). Toutes ces nouvelles affaires concernant la guerre en cours viendront s’ajouter au nombre d'affaires interétatiques et individuelles pendantes devant la Cour concernant les étapes précédentes du conflit commencé en 2014, principalement en ce qui concerne la Crimée et l’Est de l'Ukraine 
			(67) 
			Les requêtes interétatiques
déposées par l’Ukraine contre la Fédération de Russie concernant
le conflit et actuellement pendantes sont les suivantes: Ukraine et Pays-Bas c. Russie, requêtes
n° 8019/16, 43800/14 et 28525/20 (Est de l’Ukraine, y compris la
catastrophe du vol MH17 de Malaysian Airlines), Ukraine c. Russie (concernant la Crimée), requêtes
n° 20958/14 et 38334/18 (Crimée), Ukraine
c. Russie (VIII), requête n° 55855/18 (incident du détroit
de Kerch de 2018). La Fédération de Russie a déposé une requête
contre l’Ukraine, Russie c. Ukraine,
requête n° 36958/21. J'ai été informé par le Greffe de la Cour qu’environ
8 750 requêtes individuelles découlent également des conflits précédents: 6 730
contre l'Ukraine uniquement; 1 066 contre la Fédération de Russie
uniquement; et 950 contre la Fédération de Russie et l’Ukraine..
42. Le traitement et le jugement de ces affaires soulèvent deux questions principales. Premièrement, il n’est pas du tout sûr que la Fédération de Russie veuille participer à ces procédures, étant donné la cessation de son appartenance au Conseil de l’Europe le 16 mars 2022 et en tant qu’État partie à la Convention à partir du 16 septembre 2022. Pour l'instant, il semble que la Fédération de Russie ait cessé de répondre à la Cour. Le 24 mars 2022, la Cour a invité en vain les autorités russes à fournir leurs commentaires dans le cadre des dernières demandes de mesures provisoires des autorités ukrainiennes et à répondre à des demandes spécifiques. Deuxièmement, la Cour devra se prononcer sur des questions juridictionnelles complexes, notamment dans les affaires où les violations alléguées de la Convention se sont produites pendant des opérations militaires et des hostilités actives. Pour ces affaires, en l'état actuel de la jurisprudence de la Cour (2021), un État n’exerce pas sa «juridiction» au sens de la Convention à l’égard d’opérations militaires extraterritoriales pendant la «phase active des hostilités» d'un conflit armé international, eu égard à «la réalité même de confrontations et de combats armés entre des forces militaires ennemies qui cherchent à acquérir le contrôle d’un territoire dans un contexte de chaos» 
			(68) 
			Géorgie
c. Russie (II), requête n° 38263/08, arrêt du 21 janvier
2021 (Grande Chambre), paragraphes 126 et 137. Cette approche restrictive
de la «juridiction» a également été appliquée à l’égard de l’État
territorial, la Géorgie, dans une décision d'irrecevabilité ultérieure
(Shavlokhova et autres c. Géorgie (déc.),
requête n° 45431/08, 5 octobre 2021).. Bien que cette conclusion ait été tirée à propos de la guerre de huit jours entre la Géorgie et la Fédération de Russie en Ossétie du Sud en août 2008 (impliquant des bombardements et des tirs d'artillerie), la Cour devra décider dans les affaires concernant le conflit actuel si des attaques militaires particulières contre des civils et des biens civils ou l’entrave alléguée à l’accès à des voies d'évacuation sûres (ces deux questions étant précisément couvertes par les mesures provisoires), relevaient de la «juridiction» de la Fédération de Russie et déclenchaient donc l’application de la Convention à l’égard de celle-ci.
43. Bien que le présent rapport ne soit pas le lieu approprié pour se demander si la jurisprudence actuelle de la Cour est pleinement satisfaisante, on ne peut exclure que la jurisprudence évolue et /ou que la Cour distingue la situation de conflit actuelle du précédent Géorgie c. Russie (II). En tout état de cause, je pense que dans les circonstances uniques actuelles, la Cour devrait donner la priorité aux affaires interétatiques et individuelles découlant du conflit actuel et que des ressources devraient être mobilisées à cet effet, notamment par le biais de contributions volontaires des États membres au budget de la Cour 
			(69) 
			Voir aussi le paragraphe 15.3
de l’Avis 300 (2022) sur la priorité qui pourrait être accordée à des requêtes individuelles
contre la Fédération de Russie pour des actes commis dans les zones
occupées temporairement en Ukraine.. Le risque que la Fédération de Russie n’exécute pas les arrêts de la Cour (en violation de ses obligations internationales au titre des articles 46.1 et 58.2 de la Convention), comme c’est le cas actuellement pour les mesures provisoires déjà accordées, ne devrait pas empêcher la Cour d’établir et de documenter la responsabilité de l’État agresseur dans les violations des droits de l’homme et de rendre justice (même symboliquement) aux victimes ukrainiennes.
44. Il est clair cependant qu’une fois que la Convention cessera de s’appliquer à l’égard de la Fédération de Russie, la Cour européenne n'aura aucune compétence sur les éventuelles violations commises par les autorités russes à partir de cette date dans les territoires occupés, ce qui créera ainsi une «zone grise» ou un «trou noir» dans l’espace juridique de la Convention. Cette question dépasse le cadre du présent rapport, mais, à mon avis, le Conseil de l’Europe devrait envisager d’autres mécanismes pour combler cette lacune et maintenir sa capacité de surveiller la situation des droits de l’homme dans ces territoires, qui se trouvent au sein des frontières internationalement reconnues de l'Ukraine. Il en irait de même pour les autres territoires d’États membres du Conseil de l’Europe qui se trouvent sous le contrôle de facto de la Russie (par exemple, en République de Moldova et en Géorgie) 
			(70) 
			Voir: <a href='https://www.ejiltalk.org/europes-kairos-the-role-of-the-council-of-europe-under-a-negotiated-peace-in-ukraine/'>www.ejiltalk.org/europes-kairos-the-role-of-the-council-of-europe-under-a-negotiated-peace-in-ukraine/</a>..

4.2. Commissaire aux droits de l'homme

45. La Commissaire aux droits de l'homme, Dunja Mijatovic, s’efforce de faire face aux effets de la guerre sur les droits de l’homme, tant en Ukraine que dans les autres États membres du Conseil de l’Europe qui accueillent des personnes ayant besoin de protection. Dans le cadre de ce travail, la Commissaire coopère avec les défenseurs des droits de l’homme et recueille des informations sur la nature des violations des droits de l'homme, conformément à son mandat.
46. Cependant, elle n’est pas mandatée et, par conséquent, n’est pas équipée pour travailler sur l’obtention de preuves de violations du droit international humanitaire. Elle a néanmoins souligné l’importance de l’obligation de rendre des comptes pour les violations graves des droits de l’homme et les infractions graves au droit international humanitaire commises en Ukraine 
			(71) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/war-in-ukraine'>Guerre
en Ukraine – Commissaire aux droits de l'homme (coe.int)</a>.. Elle est également en contact avec les services du Procureur de la CPI pour voir comment soutenir son travail.
47. Je pense que la Commissaire devrait continuer à sensibiliser aux schémas de violations des droits de l’homme commises en Ukraine pendant la guerre en cours et à soutenir les initiatives visant à les documenter, notamment par des contacts réguliers avec les autorités, les institutions et son réseau de défenseurs des droits de l’homme et de la société civile en Ukraine.

4.3. Activités de coopération

48. Le 22 mars 2022, Irina Venediktova, Procureure générale d'Ukraine, et Christos Giakoumopoulos, Directeur général des droits de l’homme et de l’État de droit du Conseil de l’Europe, se sont rencontrés à la frontière polono-ukrainienne pour discuter d’une assistance immédiate à l’Ukraine dans le contexte des conséquences pour les droits de l’homme et l’État de droit de l’agression de la Fédération de Russie. M. Giakoumopoulos a souligné que dans le cadre de son mandat et de son savoir-faire, la Direction générale continuerait d’aider les autorités ukrainiennes à faire respecter les droits de l’homme et l’État de droit dans le contexte des problèmes actuels liés à la guerre. A cet égard, le Directeur général et la Procureure générale d’Ukraine ont discuté des priorités d’action et des mesures de coopération immédiates, notamment en ce qui concerne les violations flagrantes des droits de l’homme 
			(72) 
			<a href='https://www.coe.int/en/web/kyiv/-/immediate-assistance-to-ukraine-prosecutor-general-of-ukraine-meets-council-of-europe-director-general-of-human-rights-and-rule-of-law'>Immediate
assistance to Ukraine: Prosecutor General of Ukraine meets Council
of Europe Director General of Human Rights and Rule of Law (coe.int)</a>..
49. Le 5 avril 2022, des consultations ont été organisées au niveau d’experts par la Direction générale avec des représentants du ministère ukrainien de la Justice. Elles visaient à examiner le projet de loi «Sur le soutien aux procédures pénales et à l’exécution des peines, qui sont empêchées en raison de l’agression armée et de l’occupation temporaire du territoire ukrainien», préparé sous les auspices du ministère. Le Vice-ministre de la Justice, Oleksandr Banchuk, a exposé les besoins les plus urgents du ministère, notamment l’aide éventuelle du Conseil de l’Europe pour documenter les violations flagrantes des droits de l’homme, à réaliser en coordination avec le Parquet général d'Ukraine. Ces consultations sont menées dans le cadre du projet du Conseil de l'Europe «Système de justice pénale conforme aux droits de l'homme en Ukraine», qui fait partie du Plan d'action 2018-2022 du Conseil de l'Europe pour l’Ukraine 
			(73) 
			<a href='https://www.coe.int/en/web/national-implementation/home/-/asset_publisher/2laM7S0jwBMy/content/consultations-with-the-ministry-of-justice-of-ukraine-cooperation-on-challenges-arising-from-the-ongoing-armed-aggression-of-the-russian-federation?inheritRedirect=false&redirect=https%3A%2F%2Fwww.coe.int%2Fen%2Fweb%2Fnational-implementation%2Fhome%3Fp_p_id%3D101_INSTANCE_2laM7S0jwBMy%26p_p_lifecycle%3D0%26p_p_state%3Dnormal%26p_p_mode%3Dview%26p_p_col_id%3Dcolumn-1%26p_p_col_count%3D4'>Consultations
with the Ministry of Justice of Ukraine: cooperation on challenges
arising from the ongoing armed aggression of the Russian Federation
– Council of Europe Human Rights National Implementation website
(coe.int)</a>..
50. Le Conseil de l'Europe devrait mobiliser ses ressources et ses programmes de coopération pour aider les autorités ukrainiennes, par exemple en fournissant des conseils d’experts et une formation sur la documentation des violations de droits de l'homme et en donnant des conseils sur les différentes réformes législatives et judiciaires qui peuvent être nécessaires pour mener des enquêtes et des poursuites effectives et conformes aux droits de l’homme sur les crimes graves commis pendant la guerre 
			(74) 
			La
Direction générale des droits de l’homme et de l’État de droit a
mis en place récemment un groupe d’experts pour soutenir le Parquet
général d’Ukraine: <a href='https://www.coe.int/en/web/kyiv/-/council-of-europe-expert-advisory-group-starts-its-work-supporting-ukraine-s-prosecutor-general-office'>Council
of Europe expert advisory group starts its work supporting Ukraine’s Prosecutor
General Office – News & Events (coe.int)</a>..

5. Conclusions

51. En résumé, et à la lumière de tous les rapports et déclarations des instances internationales et des observateurs non gouvernementaux, des éléments de plus en plus nombreux confirment que les forces armées russes ont commis de graves violations du droit international humanitaire depuis le début de leur agression de 2022 contre l’Ukraine. Il s’agit notamment d’attaques contre des civils et des objectifs civils, du bombardement aveugle de quartiers résidentiels et d’infrastructures civiles comme les hôpitaux, les écoles et les abris, le recours aux bombes à fragmentation, les attaques contre les couloirs humanitaires et, plus récemment, les exécutions extrajudiciaires, les viols et les violences sexuelles dans les villes temporairement occupées par les troupes russes. Nombre de ces atrocités peuvent constituer des violations graves des Conventions de Genève et/ou du 1er Protocole additionnel de 1977, et par conséquent être qualifiées de crimes de guerre. Elles peuvent également constituer des violations du droit international des droits de l’homme, y compris de la Convention européenne des droits de l'homme (qui reste en vigueur pour la Russie jusqu’au 16 septembre 2022) et de crimes contre l’humanité s’il est démontré qu’elles ont été commises «dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile, et en connaissance de cette attaque». Toutes ces violations potentielles du droit international résultent du recours à la force par la Fédération de Russie, qui est par nature illégale et répondrait à la définition du crime d’agression au sens de l’Article 8 bis du statut de la CPI ou du droit international coutumier. Ajoutons que la Cour internationale de Justice, dans son ordonnance en indication de mesures conservatoires dans le litige opposant l’Ukraine à la Fédération de Russie en vertu de la Convention contre le génocide, n’a constaté aucune preuve établissant un «génocide» qui aurait été commis par l’Ukraine à l’encontre de la population russophone de la région du Donbass, alors qu’il s’agit de l’un des prétextes avancés par la Fédération de Russie pour justifier son intervention militaire en Ukraine.
52. Il ne devrait pas y avoir d’impunité pour les violations du droit international, des droits de l’homme et du droit international humanitaire, dont les normes doivent être appliquées simultanément et de manière complémentaire en cas de conflit armé international. Les États membres du Conseil de l'Europe devraient, à titre individuel et par le biais de l’Organisation dans son ensemble, soutenir (y compris par des moyens humains et financiers) les enquêtes et procédures actuellement ouvertes en raison de l'agression en cours au sein de diverses instances internationales d’établissement des responsabilités dont la Cour pénale internationale, la Cour internationale de Justice, la Cour européenne des droits de l'homme et la Commission d'enquête internationale indépendante créée par le Conseil des droits de l'homme de l’ONU. Ils devraient également encourager la création d’un tribunal international spécial et y participer afin de permettre les poursuites et les sanctions pour le crime d’agression que les dirigeants politiques et militaires de la Fédération de Russie sont accusés d’avoir commis contre l’Ukraine, comme le proposent différentes initiatives/experts se fondant sur divers modèles. Cela ouvrirait la possibilité de traduire en justice des hauts responsables des gouvernements russe et bélarusse qui ont mené la guerre d’agression contre l’Ukraine ou y ont participé. Cela permettrait de compléter les mécanismes existants qui n’ont pas de compétences concernant ce crime.
53. Le Conseil de l'Europe et ses États membres sont invités à soutenir toutes les procédures nationales visant à mener des enquêtes ou à engager des poursuites pour les crimes qui auraient été commis en Ukraine, notamment, et prioritairement, celles des autorités ukrainiennes compétentes. Le Conseil de l'Europe pourrait également apporter son expertise et son assistance dans la documentation des violations flagrantes des droits de l'homme au profit des autorités ukrainiennes compétentes. Les États membres qui ont déjà ouvert des enquêtes sur les crimes commis en Ukraine en vertu du principe de la compétence universelle ou sur d’autres bases devraient participer à la collecte et à la préservation des preuves, en coordination avec les juridictions internationales et d’autres juridictions nationales. Afin d’éviter les éventuels doubles emplois et contradictions, il convient de conférer au Procureur de la CPI un fort rôle de coordination et de le doter des moyens humains, techniques et financiers nécessaires.
54. Dans les projets de résolution et de recommandation j’ai formulé quelques recommandations spécifiques à certains États membres et observateurs, à d’autres acteurs internationaux pertinents et au Comité des Ministres afin de garantir un degré aussi élevé que possible de responsabilité pour les graves violations du droit international humanitaire et d’autres crimes internationaux commis pendant l’agression de l’Ukraine par la Fédération de Russie.