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Rapport | Doc. 15545 | 03 juin 2022

Cas signalés de prisonniers politiques en Fédération de Russie

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteure : Mme Thórhildur Sunna ÆVARSDÓTTIR, Islande, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15049, Renvoi 4501 du 6 mars 2020. 2022 - Troisième partie de session

Résumé

La commission des questions juridiques et des droits de l’homme est consternée par le nombre important et croissant de prisonniers politiques dans la Fédération de Russie. La Cour européenne des droits de l’homme a rendu de multiples arrêts dans lesquels elle a constaté des violations de la Convention européenne des droits de l’homme qui découlent de l’arrestation et de la détention arbitraires de responsables politiques de l’opposition, de militants de la société civile et de citoyens ordinaires qui manifestent pacifiquement. Dans plusieurs affaires, elle a également conclu à des violations de l’article 18 de la Convention, qui interdit le détournement de pouvoir pour restreindre les droits tirés de la Convention. Nombre de ces arrêts établissent des faits qui correspondent clairement à la définition de «prisonnier politique» donnée par l’Assemblée dans sa Résolution 1900 (2012).

La commission considère également que les listes de prisonniers politiques tenues à jour par le Centre des droits de l’homme Memorial sont crédibles. Il y a donc une présomption que les personnes qui y figurent soient des prisonniers politiques, qu’ils convient donc de libérer.

Le problème des prisonniers politiques découle de causes structurelles et systémiques qui ont été aggravées au fil des ans avec l’adoption de lois restrictives, y compris pendant la guerre d’agression en cours contre l’Ukraine.

La commission propose donc une série de recommandations aux autorités russes, notamment la libération de tous les prisonniers politiques. Elle propose également des recommandations à tous les Etats membres et observateurs, au Comité des Ministres et à d’autres acteurs internationaux.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 23 mai 2022.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire est consternée par le nombre important et croissant de prisonniers politiques en Fédération de Russie et par le schéma de répression systématique que les autorités actuelles suivent à l’encontre de tous les opposants.
2. Elle rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme a rendu de multiples arrêts contre la Fédération de Russie dans lesquels elle a constaté des violations de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), qui découlent de l’arrestation et de la détention arbitraires de responsables politiques de l’opposition, de militants de la société civile et de citoyens ordinaires qui manifestaient pacifiquement.
3. Ces violations du droit à la liberté et à la sécurité s’ajoutent généralement à des violations des droits des requérants à la liberté de réunion et à un procès équitable.
4. Dans certaines de ces affaires, la Cour a estimé que l’arrestation et la détention arbitraires des requérants «avaient eu pour effet de les empêcher et de les décourager, eux et d’autres personnes, de participer à des rassemblements de protestation et de s’investir activement dans l’opposition politique».
5. L’Assemblée observe que dans plusieurs arrêts concernant Alexeï Navalny, figure politique de l’opposition et militant anticorruption, la Cour a également conclu à des violations de l’article 18 combiné à d’autres articles de la Convention, fondées sur le détournement par les autorités du droit interne dans le but inavoué de supprimer le pluralisme politique. L’article 18, qui interdit aux États de restreindre les droits et libertés consacrés par la Convention à des fins non prévues par celle-ci, a pour objet d’empêcher le détournement de pouvoir.
6. Il ressort clairement des éléments contextuels concordants appréciés par la Cour que les autorités russes ont réagi de plus en plus sévèrement face aux activités de M. Navalny et d’autres militants politiques, ainsi que, plus généralement, face aux réunions publiques de nature politique. Cette évolution doit également être appréciée au vu de la répression croissante subie depuis plusieurs années par les opposants politiques ou, comme l’a évoqué la Cour dans ses arrêts consacrés à l’article 18, dans le «contexte plus général des initiatives prises par les autorités russes […] afin d’exercer une mainmise sur l’activité politique de l’opposition».
7. En outre, les arrêts de la Cour qui constatent une violation de l’article 18, et les nombreux autres qui font état de violations du droit à la liberté et à la sécurité, du droit à un procès équitable, à la liberté d’expression ou à la liberté de réunion, établissent des faits qui correspondent clairement à la définition de «prisonnier politique» donnée par l’Assemblée dans sa Résolution 1900 (2012).
8. L’Assemblée rappelle également qu’on peut déduire de nombreuses autres affaires traitées ces dernières années par l’Assemblée et ses rapporteurs ou la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe qu’elles satisfont à un ou plusieurs des critères énoncés dans la définition de «prisonnier politique» retenue par l’Assemblée.
9. L’Assemblée condamne l’adoption d’un certain nombre de lois restrictives, notamment la loi sur les «agents étrangers», la loi sur les «organisations indésirables» et la loi sur l’«extrémisme», qui ont contribué à la répression croissante et systématique des opposants politiques, des journalistes, des défenseurs des droits de l’homme et des militants de la société civile en Fédération de Russie. Ces lois répressives ont toutes été critiquées par différents organes du Conseil de l’Europe, notamment la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise). En conséquence, il convient de noter que le fléau grandissant des prisonniers politiques découle de causes structurelles et systémiques que l’action récemment menée par les autorités russes n’a fait qu’aggraver.
10. L’Assemblée rappelle que le Centre des droits de l’homme Memorial, l’une des organisations non gouvernementales les plus respectées de la Fédération de Russie, tient à jour des listes de prisonniers politiques. Selon les dernières informations transmises par Memorial, il y aurait 447 prisonniers politiques en Fédération de Russie, dont 87 prisonniers proprement politiques et 360 personnes emprisonnées pour des motifs religieux. Compte tenu des critères stricts appliqués par Memorial, qui s’inspirent de la définition de la Résolution 1900 (2012) sans la reprendre à l’identique, l’Assemblée estime que ces listes sont crédibles et fiables et conclut que les personnes qui y figurent peuvent être considérées comme des prisonniers politiques, qu’il convient donc de libérer.
11. L'Assemblée note qu’un grand nombre des 360 personnes emprisonnées pour des motifs religieux selon Memorial sont des Témoins de Jéhovah, considérés comme des «extrémistes» à la suite de l'arrêt de la Cour suprême de 2017 qui ordonnait la dissolution de l'organe central et de 395 organisations religieuses locales des Témoins de Jéhovah. Cette dissolution et l'application de la loi relative à «l'extrémisme» ont entraîné l’engagement de poursuites pénales à l’encontre des adeptes des Témoins de Jéhovah, qui continuent d'être emprisonnés en violation de leur liberté de pensée, de conscience et de religion.
12. L’Assemblée fait part une nouvelle fois de sa profonde inquiétude au sujet de la situation particulière des Tatars de Crimée abordée dans sa Résolution 2387 (2021), dans laquelle elle invitait les autorités russes, entre autres, à libérer toute personne détenue ou emprisonnée illégalement en raison de l’application abusive du droit russe en Crimée, y compris pour des raisons politiques, et à mettre fin immédiatement à toute pratique de harcèlement administratif ou judiciaire à l’égard des Tatars de Crimée. Elle rappelle également sa Résolution 2231 (2018) dans laquelle elle exhortait la Fédération de Russie à libérer sans plus tarder tous les Ukrainiens détenus en Fédération de Russie et en Crimée pour des raisons politiques ou sur la base de fausses accusations. La répression des Tatars de Crimée et des citoyens ukrainiens qui a suivi l'annexion illégale de la Crimée par la Fédération de Russie et son intervention dans l'est de l'Ukraine sert d’avertissement sévère des atrocités qui attendent la population ukrainienne.
13. L’Assemblée renouvelle sa condamnation, dans les termes les plus fermes, de la guerre d'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine. À cet égard, elle est extrêmement préoccupée par les informations qui font état d’enlèvements ou de placements en détention de maires, d’élus locaux, de militants, de volontaires, de journalistes et d’autres civils ukrainiens par les forces russes pendant la guerre en cours, dans les zones temporairement sous leur contrôle. Elle appelle à nouveau la Fédération de Russie à libérer immédiatement tous les maires et élus locaux, militants, volontaires, journalistes et autres civils enlevés, et à respecter strictement les obligations qui lui incombent en vertu du droit international, notamment le droit international des droits de l'homme et le droit international humanitaire.
14. L’Assemblée réitère sa condamnation des mesures prises par les autorités russes depuis le début de la guerre d’agression contre l’Ukraine pour restreindre davantage la liberté d’expression, la liberté de réunion et la liberté d’association par l’intensification de la répression de la société civile et des médias indépendants, la dissolution des organisations non gouvernementales et les arrestations massives de milliers de manifestants pacifiques opposés à la guerre. À cet égard, elle déplore l’adoption d’une nouvelle législation qui érige en infraction pénale la diffusion de «fausses informations» sur l’armée russe et qui prévoit des peines pouvant aller jusqu’à 15 ans d’emprisonnement. Cette loi a entraîné un nombre important de nouveaux cas de prisonniers politiques, à commencer par celui de Vladimir Kara-Murza, homme politique de l’opposition et historien détenu et poursuivi en vertu de la nouvelle loi. L'Assemblée est particulièrement préoccupée par le fait que M. Kara-Murza ait été arrêté quelques semaines après avoir témoigné devant la commission des questions juridiques et des droits de l'homme au sujet de la situation des prisonniers politiques en Fédération de Russie. Il convient également de noter que cette législation ne fait que renforcer les politiques criminelles des dirigeants russes actuels contre la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine.
15. L’Assemblée souligne que le maintien en détention de prisonniers politiques constitue une violation de la Convention européenne des droits de l’homme, à laquelle la Fédération de Russie demeure liée jusqu’au 16 septembre 2022, et contrevient également à d’autres traités internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels la Russie est partie, comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
16. En dépit de l’exclusion de la Fédération de Russie du Conseil de l’Europe, il importe que l’Assemblée continue à suivre la situation des prisonniers politiques en Fédération de Russie et rappelle aux autorités russes leurs obligations internationales en matière de droits de l’homme qui restent en vigueur, notamment leur obligation d’exécuter les arrêts existants et futurs de la Cour à l’égard des requérants qui relèvent de la définition de «prisonnier politique» donnée par l’Assemblée.
17. L’Assemblée appelle en conséquence la Fédération de Russie:
17.1. à exécuter tous les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme concernant les requérants qui satisfont à la définition de «prisonnier politique» énoncée dans la Résolution 1900 (2012), notamment par la prise de mesures individuelles pour s’assurer que les violations de la Convention constatées ont cessé et que toutes les conséquences négatives ont été effacées – en coopération avec le Comité des Ministres;
17.2. en donnant suite aux décisions du Comité des Ministres et à la mesure provisoire accordée par la Cour européenne des droits de l’homme le 16 février 2021, et conformément aux Résolutions 2375 (2021) et 2423 (2022), à libérer immédiatement Alexeï Navalny;
17.3. en donnant suite aux décisions du Comité des Ministres, à assurer la libération sans plus tarder d’Alexeï Pichugin, qui purge depuis plus de 18 ans une peine d’emprisonnement à la suite d’une procédure entachée d’irrégularités et qui demande réparation depuis 2013;
17.4. à prendre sans tarder des mesures générales effectives pour traiter les problèmes structurels et systémiques recensés par la Cour européenne des droits de l’homme et le Comité des Ministres en matière de liberté de réunion, de liberté d’expression et de droit à la liberté, afin de prévenir de nouvelles violations de la Convention, notamment en abrogeant ou en modifiant les lois qui n’ont fait qu’exacerber ces problèmes – y compris les lois sur les «agents étrangers», sur les «organisations indésirables», sur l’«extrémisme» et sur la diffusion de «fausses informations sur l’armée russe»;
17.5. à réexaminer les cas de toutes les personnes inscrites sur les listes de prisonniers politiques, régulièrement mises à jour par le Centre des droits de l’homme Memorial, y compris les personnes détenues pour des motifs religieux, et à libérer les personnes considérées comme des prisonniers politiques conformément à la définition donnée dans la Résolution 1900 (2012);
17.6. en attendant leur libération ou le réexamen de leur cas, à veiller au plein respect de leurs droits, notamment en respectant l'interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants et en garantissant le droit d'accès à l'assistance médicale requise, afin que leur santé et leur bien-être soient garantis de manière satisfaisante;
17.7. à coopérer avec le Comité européen de prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), aussi longtemps que la Fédération de Russie reste partie à la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (STE no 126), et à autoriser le suivi de l’état de santé et des conditions de détention des prisonniers politiques signalés en attendant leur libération ou le réexamen de leur cas;
17.8. à mettre en œuvre les recommandations et décisions pertinentes formulées par les autres organisations internationales dont la Fédération de Russie est membre, comme les Nations Unies et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe ou les organes conventionnels relatifs aux droits de l’homme qui sont compétents pour traiter des communications individuelles contre la Fédération de Russie.
18. L'Assemblée encourage la Haute-Commissaire aux droits de l'homme de la Fédération de Russie à suivre de près la situation des prisonniers politiques et à prendre des mesures conformément à son mandat.
19. L’Assemblée appelle par ailleurs les États membres et observateurs du Conseil de l’Europe:
19.1. à faciliter la délivrance de visas et à étudier avec attention les demandes d’asile soumises par d’anciens prisonniers politiques et responsables politiques de l’opposition russe, les militants de la société civile, les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme qui doivent quitter la Fédération de Russie sous peine d’être persécutés et/ou arrêtés;
19.2. à refuser les demandes d’extradition de ressortissants russes pour des infractions qui pourraient être considérées comme motivées par des considérations politiques;
19.3. à recourir à leurs «lois Magnitski» ou à tout autre instrument juridique permettant d’imposer des sanctions ciblées à tous ceux qui, en leur qualité de policiers, procureurs, juges, agents pénitentiaires ou dans l’exercice de toute autre fonction, ont contribué à la privation illégale et arbitraire de liberté des prisonniers politiques ou aux mauvais traitements qui leur ont été infligés en détention;
19.4. s’ils ne l’ont pas encore fait, à envisager d’adopter une telle loi, conformément à la Résolution 2252 (2019) «Lutter contre l’impunité par la prise de sanctions ciblées dans l’affaire Sergueï Magnitski et les situations analogues».
20. L’Assemblée invite la Cour européenne des droits de l’homme à poursuivre l’examen des affaires pendantes et futures contre la Fédération de Russie concernant des violations présumées de la Convention commises jusqu’au 16 septembre 2022, en particulier et de manière prioritaire celles introduites par des requérants détenus ou condamnés en conséquence directe d’une violation de leurs droits garantis par la Convention, celles qui soulèvent des problèmes structurels ou systémiques dans la législation et la pratique russes en ce qui concerne la liberté de religion, la liberté d’expression, la liberté de réunion et la liberté d’association, ainsi que celles déposées par des requérants des territoires illégalement occupés de l’Ukraine, de la Géorgie et de la République de Moldova.
21. L’Assemblée invite l’Union européenne à renforcer encore les sanctions économiques à l’encontre de la Fédération de Russie, de ses dirigeants et de ses agents en raison de leur implication et de leur responsabilité dans la persécution des opposants politiques et dans le maintien en détention de prisonniers politiques, en particulier M. Alexeï Navalny et M. Aleksey Pichugin.
22. Elle appelle Interpol à redoubler de vigilance dans le traitement des demandes de notice rouge émanant du Bureau central national russe qui pourraient reposer sur des motivations politiques, en tenant compte de la Résolution 2315 (2019) «La réforme d'Interpol et les procédures d’extradition: renforcer la confiance en luttant contre les abus».
23. L’Assemblée invite les États membres à commémorer, le 30 octobre de chaque année, la «Journée internationale des prisonniers politiques» pour toutes les personnes qui sont emprisonnées pour des raisons politiques.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 23 mai 2022.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire renvoie à sa Résolution … (2022) «Cas signalés de prisonniers politiques en Fédération de Russie».
2. L’Assemblée encourage le Comité des Ministres à continuer de surveiller l'exécution des arrêts rendus contre la Fédération de Russie au sujet des personnes qui sont toujours détenues par suite de violations de leur droit à la liberté d'expression, à la liberté d'association ou à la liberté de réunion, ou qui relèvent de la définition de «prisonnier politique» donnée par la Résolution 1900 (2012).
3. L’Assemblée invite le Comité des Ministres à utiliser tous les instruments dont il dispose, y compris ceux de l'article 46 de la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5), pour assurer la pleine et rapide exécution des arrêts Navalnyy et Ofitserov c. Russie, Navalnyye c. Russie et Pichugin c. Russie, en particulier la libération immédiate des requérants concernés.

C. Exposé des motifs par Mme Þórhildur Sunna Ævarsdóttir, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. Le présent rapport repose sur une proposition de résolution déposée le 28 janvier 2020 et renvoyée à la commission des questions juridiques et des droits de l’homme pour rapport le 6 mars 2020 
			(3) 
			Doc. 15049.. Lors de sa réunion du 29 juin 2020, la commission m’a nommée rapporteure. La proposition de résolution rappelle que le Centre des droits de l’homme Memorial, l’une des organisations non gouvernementales les plus respectées de Fédération de Russie, estime à plus de 300 le nombre de prisonniers politiques en Fédération de Russie – un chiffre multiplié par six depuis 2015 – parmi lesquels figurent des journalistes, des militants de la société civile, des défenseurs des droits de l’homme, des participants à des manifestations pacifiques, des adhérents à des groupes religieux interdits et des membres d’organisations «indésirables».
2. Au cours de la préparation du rapport, la commission a procédé à trois auditions d’experts. Le 8 décembre 2020, elle a ainsi entendu M. Sergueï Davidis, responsable du programme «Soutien aux prisonniers politiques» du Centre des droits de l’homme Memorial (Moscou), M. Tony Brace, responsable de l’Association européenne des Témoins de Jéhovah, et Mme Karinna Moskalenko, directrice du Centre de protection internationale (Moscou). Le 22 mars 2021, la commission a organisé une autre audition, à laquelle ont participé M. Mikhail Khodorkovski, chef du groupe d’opposition Open Russia et ancien «prisonnier d’opinion» selon Amnesty International, et M. Bill Bowring, professeur de droit au Birkbeck College, Université de Londres. Enfin, le 4 avril 2022, la commission a entendu M. Vladimir Kara-Murza, historien et homme politique russe, président fondateur de la Fondation Boris Nemtsov pour la liberté, M. Vladimir Milov, ancien vice-ministre de l’Énergie et conseiller de longue date de M. Alexeï Navalny, et Mme Vera Chelisheva, journaliste et cheffe du département judiciaire de Novaïa Gazeta. Bien que la commission m’ait autorisée à effectuer une visite d’information en Fédération de Russie, le manque de coopération des autorités russes a rendu cette visite impossible 
			(4) 
			Manque de coopération
souligné dans la Résolution 2422 (2022) «Contestation, pour des raisons substantielles, des pouvoirs
non encore ratifiés de la délégation de la Fédération de Russie».. De fait, la délégation russe de l’époque a déclaré à plusieurs reprises qu’elle n’avait aucune intention de coopérer avec moi à l’élaboration de mon rapport, contrairement à ses obligations statutaires. Le président de la délégation à ce moment-là, M. Petr Tolstoi, avait refusé l’invitation que je lui avais adressée d’envoyer un représentant des autorités russes présenter leur point de vue lors des deux auditions et avait préféré mettre en cause ma crédibilité de rapporteure en prétendant sans fondement que j’avais enfreint le code de conduite des rapporteurs dans des lettres adressées au président de la commission. En dépit de ce manque de coopération, les conclusions du présent rapport reposent sur un examen approfondi des informations fournies par les experts et des cas et situations examinés par les différents organes du Conseil de l'Europe.
3. En dépit de l’exclusion de la Fédération de Russie du Conseil de l’Europe le 16 mars 2022, en vertu de l’article 8 du Statut du Conseil de l’Europe (STE no 1) (CM/Res(2022)2), l’Assemblée parlementaire peut – et doit – poursuivre ses travaux relatifs à la situation des droits de l’homme dans la Fédération de Russie. Dans son Avis 300 (2022) «Conséquences de l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine», l’Assemblée a déclaré que, dans l’éventualité où la Fédération de Russie cesserait d’être membre de l’Organisation, le Conseil de l’Europe devrait envisager des initiatives qui lui permettraient de continuer à soutenir les défenseurs des droits de l’homme, les forces démocratiques, les médias libres et la société civile indépendante en Fédération de Russie, et à collaborer avec eux 
			(5) 
			Voir aussi
la <a href='https://search.coe.int/cm/pages/result_details.aspx?ObjectId=0900001680a5ee2b'>Résolution</a> CM/Res(2022)3 sur les conséquences juridiques et financières
de la cessation de la qualité de membre du Conseil de l’Europe de
la Fédération de Russie.. Cette position a été réitérée dans la Résolution 2433 (2022), dans laquelle l’Assemblée a décidé d’intensifier son engagement avec la société civile, les défenseurs des droits de l’homme, les journalistes indépendants, les milieux universitaires et les forces démocratiques de Russie, qui respectent les valeurs et les principes de l’Organisation, y compris l’intégrité territoriale des États membres souverains. Bien qu’il ait été mis formellement fin à la procédure de suivi parlementaire – strictement réservée aux États membres – pour la Fédération de Russie (AS/Mon(2022) 09), il n’en demeure pas moins que la commission des questions juridiques et des droits de l’homme est compétente pour examiner les questions relatives à la situation des droits de l’homme et à l’État de droit en Europe, y compris dans les États européens non membres. En outre, il importe aussi de rappeler que la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) reste applicable dans la Fédération de Russie jusqu’au 16 septembre 2022, et que nombre des situations prises en compte par le présent rapport peuvent donner lieu à des violations continues de certaines de ses dispositions (notamment le droit à la liberté et à la sûreté consacré par l’article 5 de la Convention). D’autres violations résultent également du manquement persistant des autorités russes à exécuter des arrêts précis de la Cour européenne des droits de l’homme, qui sont et continueront à être contraignants au-delà de cette date pour la Fédération de Russie, conformément aux articles 46, paragraphe 1, et 58, paragraphe 2, de la Convention.

2. Affaires et situations déjà examinées au sein de l’Assemblée parlementaire

4. Ces dernières années, l’Assemblée, ses commissions et ses rapporteurs ont examiné de nombreuses questions revêtant un intérêt pour le présent rapport, dont certaines sont présentées ci-après par ordre chronologique.
5. En février 2014, les corapporteurs pour le suivi de la Russie, M. Andreas Gross (Suisse, SOC) et Mme Theodora Bakoyannis (Grèce, PPE/DC), ont fait part de leur vive préoccupation au sujet des peines d’emprisonnement prononcées par le Tribunal de Moscou à l’encontre de manifestants impliqués dans les événements de la place Bolotnaïa, le 6 mai 2012. Quelque 650 manifestants avaient été arrêtés à la suite des manifestations organisées sur la place Bolotnaïa, à Moscou, la veille de l’investiture présidentielle de M. Poutine. Des poursuites pénales ont ensuite été ouvertes à l’encontre de 28 personnes. Sept militants de la place Bolotnaïa ont écopé de peines allant de 2,5 à 4 ans d’emprisonnement et étaient toujours en détention provisoire depuis les événements. Les corapporteurs ont observé que les peines étaient «très sévères et disproportionnées», ajoutant que «les vices de procédure et la durée de la détention provisoire [étaient] de nature à susciter des soupçons légitimes quant à une justice motivée par des considérations politiques» 
			(6) 
			«Place Bolotnaïa: des
peines d’emprisonnement disproportionnées», 25 février 2014.. (Depuis, la Cour a rendu une série d’arrêts constatant des violations en lien avec ces événements – voir plus loin).
6. Dans son rapport de 2014 établi pour la commission de suivi et intitulé «Réexamen, pour des raisons substantielles, des pouvoirs déjà ratifiés de la délégation russe», M. Stefan Schennach (Autriche, SOC) a constaté que «[l]’arrestation de centaines de manifestants anti-guerre les 1er et 2 mars 2014 [était] une autre manifestation du durcissement de la répression contre la liberté d’expression et de réunion en Russie. Le 3 mars 2014, un tribunal de Moscou a ordonné le placement en détention pendant cinq jours de deux manifestants sur la base d’accusations d’ordre administratif. Amnesty International a considéré qu’ils étaient des "prisonniers d’opinion"» 
			(7) 
			Doc. 13483 de l’Assemblée..
7. Dans son rapport de 2015 intitulé «Contestation, pour des raisons substantielles, des pouvoirs non encore ratifiés de la délégation de la Fédération de Russie», M. Schennach a noté que «[d]es dispositions [avaient] été prises pour accroître la capacité des autorités russes à contrôler le discours public et à restreindre le droit de manifester. Des lois ont été adoptées pour ériger en infraction pénale les manifestations de rue non autorisées; elles prévoient de lourdes sanctions et notamment des amendes très élevées, des peines de travaux forcés et des peines d’emprisonnement (jusqu’à cinq ans). Des chefs de l’opposition, comme Alexeï Navalny, ont été assignés à résidence ou incarcérés. Ces mesures sont des tentatives manifestes pour décourager la participation aux manifestations et au débat politique ouvert» 
			(8) 
			Doc. 13685 de l’Assemblée..
8. Plus tard la même année, dans son rapport intitulé «Examen de l’annulation des pouvoirs déjà ratifiés de la délégation de la Fédération de Russie (suivi du paragraphe 16 de la Résolution 2034 (2015))», M. Schennach a indiqué que «[l]e harcèlement dont serait l’objet l’opposition peut également être perçu comme une volonté de déstabiliser les efforts de création d’une alternative politique unie à l’approche des prochaines élections de 2015 et 2016. Le 17 février 2015, le chef de l’opposition russe, Alexeï Navalny, a été condamné à quinze jours de prison pour avoir violé une loi restreignant les manifestations, cette mesure l’empêchant ainsi de participer au rassemblement prévu le 1er mars 2015» 
			(9) 
			Doc. 13800 de l’Assemblée.. (Depuis, la Cour a rendu un arrêt constatant des violations en lien avec ces événements – voir plus loin).
9. En août 2015, la Présidente de l’Assemblée, Mme Anne Brasseur (Luxembourg, ADLE), a déclaré que «[l]a condamnation d’Oleg Sentsov 
			(10) 
			Réalisateur,
écrivain et militant ukrainien de Crimée. Voir également plus loin. et d’Alexandre Koltchenko 
			(11) 
			Défenseur
des droits civils et militant politique ukrainien de Crimée. pour terrorisme, à vingt et dix ans d’emprisonnement respectivement, semble être manifestement excessive et suscite des inquiétudes quant au respect des normes de la Convention européenne des droits de l’homme dans la procédure judiciaire à leur encontre, tout particulièrement dans le contexte de la détérioration de la situation des droits de l’homme en Crimée depuis son annexion illégale par la Fédération de Russie» 
			(12) 
			M. Sentsov
a déposé auprès de la Cour une requête alléguant que sa détention
était illégale (req. n° 48881/14) et, conjointement avec M. Kolchenko,
une autre requête dans laquelle il se plaignait d’avoir été torturé
en détention et de la violation du droit des deux requérants à un
procès équitable (req. n° 29627/16). La Cour a communiqué ces requêtes
au gouvernement le 20 septembre et le 19 novembre 2018 respectivement.. Elle a exhorté une nouvelle fois les autorités russes à «respecter leurs engagements en tant qu’État membre du Conseil de l’Europe et à remettre en liberté toutes les personnes détenues illégalement suite à l’annexion de la Crimée» 
			(13) 
			«Anne Brasseur déplore
la condamnation en Russie de Sentsov et Kolchenko», 25 août 2015..
10. Dans sa Résolution 2112 (2016) «Les préoccupations humanitaires concernant les personnes capturées pendant la guerre en Ukraine», l’Assemblée s’est dit alarmée par les rapports concernant «11 prisonniers ukrainiens qui seraient détenus par les autorités russes en violation du droit international sur la base de chefs d’inculpation fabriqués de toutes pièces. Par ailleurs, 10 ressortissants ukrainiens au moins sont détenus en Crimée sur la base d’accusations à caractère politique». L’Assemblée a considéré que «[l]’exemple le plus flagrant [était] celui de Mme Nadiia Savchenko, membre de l’Assemblée parlementaire, qui a été emmenée de force en Fédération de Russie où elle est maintenue illégalement en détention depuis juin 2014 malgré, entre autres, l’immunité dont elle bénéficie en vertu de l’article 40.a du Statut du Conseil de l’Europe et de l’Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l’Europe et son Protocole additionnel auxquels la Fédération de Russie est partie. À la suite d’un procès inéquitable, la justice russe a condamné Mme Savchenko, accusée du meurtre de deux journalistes russes, à une peine d’emprisonnement de vingt-deux ans». Mme Savchenko a été libérée en mai 2016 dans le cadre d’un échange de prisonniers.
11. Dans sa Résolution 2116 (2016) «Empêcher de toute urgence les violations des droits de l’homme lors des manifestations pacifiques», l’Assemblée a constaté «avec préoccupation les récentes restrictions légales imposées au droit à la liberté de réunion […] en Fédération de Russie, avec la modification de la loi relative aux rassemblements publics qui autorise le placement en détention de toute personne participant à une réunion publique non autorisée». Dans le rapport de notre commission, la rapporteure, Mme Nellija Devaja (Macédoine du Nord, SOC), a indiqué qu’«un militant pacifique, Idlar Dadin, [avait] ainsi été condamné en décembre 2015 à une peine de trois ans d’emprisonnement pour infraction [à l’amendement de la loi relative aux réunions publiques]. En 2015, "plus de 640 personnes ont été détenues et accusées de participation à des réunions non autorisées […] pour avoir protesté pacifiquement à l’extérieur du tribunal où les verdicts étaient prononcés à l’encontre des prévenus de l’affaire Bolotnaïa"» 
			(14) 
			Doc. 14060 de l’Assemblée. Dans ce contexte, M. Dadin, ainsi que
trois autres manifestants, ont déposé des requêtes devant la Cour
alléguant des violations de leur liberté de réunion et de leur droit
à un procès équitable (req. n° 43113/15 et autres). La Cour a communiqué
ces requêtes au gouvernement le 11 septembre 2017..
12. Dans une «Note d’information de 2016 sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Fédération de Russie» présentée à la commission de suivi, les corapporteures, Mme Bakoyannis et Mme Liliane Maury Pasquier (Suisse, SOC), ont fait état d’incarcérations pour raisons politiques lors de l’examen de la situation démocratique. Elles ont notamment constaté que «[l]e 7 mai 2015, le tribunal de Moscou [avait] condamné à une peine de détention administrative trois militants de l’opposition (Aleksandre Ryklin, Sergueï Sharov-Delaunay et Irina Kalmykova), qui avaient participé à une manifestation pacifique le 6 mai 2015 place Bolotnaïa pour marquer le troisième anniversaire de la répression violente par la police de manifestants de l’opposition en ce lieu en 2012. Amnesty International considère qu’ils ont été privés de liberté uniquement parce qu’ils ont exercé leur droit à la liberté d’expression et qu’ils sont prisonniers de conscience. Elle a également dénoncé les violations du droit à un procès équitable lors des trois audiences» 
			(15) 
			Doc.<a href='http://www.assembly.coe.int/LifeRay/MON/Pdf/DocsAndDecs/2016/AS-MON-2016-29-EN.pdf'> AS/Mon(2016)29</a>, 11 octobre 2016.. (Depuis, la Cour a rendu un arrêt constatant des violations en lien avec ces événements – voir plus loin). En ce qui concerne les incarcérations pour raisons politiques et la liberté de réunion, les corapporteures ont observé que «[l]’autorisation d’organiser des rassemblements de rue [avait] souvent été refusée ou accordée uniquement dans des endroits excentrés et la violation des interdictions [avait] donné lieu à de fortes amendes et à des détentions. Cette évolution a eu une influence paralysante sur l’exercice du droit de réunion». Elles ont par ailleurs noté que le cadre juridique s’était «détérioré avec l’adoption de la série récemment signée d’amendements contre l’extrémisme (la loi Yarovaya) sur la base de laquelle le fait d’encourager la population à prendre part à des "émeutes" est devenu une infraction passible de cinq à dix années de prison. La loi Yarovaya confère aussi d’autres prérogatives aux forces de l’ordre russes et limite encore les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion. Elle prévoit aussi des restrictions aux pratiques religieuses et interdit la plupart des "activités missionnaires", dont le prosélytisme, le prêche, la prière ou la diffusion de matériels religieux en dehors de "lieux spécifiés". À ce sujet, elles ont appris que des témoins de Jéhovah font l’objet de poursuites pour activité extrémiste qui semble se limiter à la présence à des services religieux et à la pratique de leur foi.»
13. Dans sa Résolution 2141 (2017) «Attaques contre les journalistes et la liberté des médias en Europe», l’Assemblée a appelé les autorités russes à abandonner les chefs d’inculpation de «séparatisme» et autres infractions connexes à l’encontre des journalistes ukrainiens Anna Andrievska, Natalya Kokorina et Mykola Semena pour leurs rapports au sujet de l’occupation et de l’annexion illégales de la péninsule de Crimée par la Fédération de Russie; et à remettre en liberté Roman Sushchenko, correspondant pour l’agence de presse nationale ukrainienne Ukrinform en France depuis 2010, qui était détenu à Moscou sous le chef d’accusation «d’espionnage» depuis le 30 septembre 2016.
14. En mars 2017, les corapporteures pour le suivi de la Russie, Mme Bakoyannis et Mme Maury Pasquier, se sont déclarées profondément préoccupées par l’arrestation et la détention de centaines de manifestants dans toute la Fédération de Russie à la suite des manifestations anti-corruption organisées dans tout le pays. Elles ont fait part de leur inquiétude particulière au sujet de la détention et de la condamnation d’Alexeï Navalny. Dans ce contexte, elles ont rappelé que, selon la Cour européenne des droits de l’homme elle-même, il y avait lieu de craindre qu’une précédente action en justice engagée à son encontre ait eu une motivation politique 
			(16) 
			«Les corapporteures
sont préoccupées par la détention et la condamnation de manifestants
dont Alexeï Navalny», 27 mars 2017..
15. Le 11 janvier 2018, M. Egidijus Vareikis (Lituanie, PPE/DC), rapporteur sur les défenseurs des droits de l’homme dans les États membres du Conseil de l’Europe, et M. Frank Schwabe (Allemagne, SOC), rapporteur sur «le rétablissement des droits de l’homme et de l’État de droit reste indispensable dans la région du Caucase du Nord» se sont déclarés vivement préoccupés par l’arrestation par les autorités tchétchènes d’Oyub Titiev, un éminent défenseur des droits de l’homme et directeur du Centre des droits de l’homme Memorial en République tchétchène (voir également ci-après). Ils ont ajouté que «[s]on arrestation [risquait] d’avoir un effet dissuasif sur les activités de Memorial, une organisation de premier plan dans la défense des droits de l’homme en Russie».
16. Dans sa Résolution 2230 (2018) «Persécution des personnes LGBTI en République tchétchène», l’Assemblée a fait état de rapports sur des «cas d’enlèvements, de détentions arbitraires et de torture d’hommes présumés homosexuels, actes dans lesquels des agents des services répressifs tchétchènes ont été directement impliqués, agissant conformément aux ordres venant de hauts responsables tchétchènes. Cette campagne de persécution s’est déroulée dans le contexte d’actes graves de discrimination et de harcèlement perpétrés à grande échelle et de manière systématique contre les personnes LGBTI en République tchétchène».
17. Dans sa Résolution 2231 (2018) «Les ressortissants ukrainiens détenus par la Fédération de Russie en tant que prisonniers politiques», l’Assemblée a constaté que pas moins de 70 ressortissants ukrainiens, voire davantage, «généralement considérés comme des prisonniers politiques», étaient détenus en Crimée ou en Fédération de Russie pour des «motifs de nature politique ou sur la base de fausses accusations». À titre d’exemple, l’Assemblée a considéré que «les cas de M. Oleg Sentsov, M. Volodymyr Balukh et M. Pavlo Hryb en particulier [correspondaient] à la définition qu’elle donne des prisonniers politiques dans sa Résolution 1900 (2012) relative à la définition de prisonnier politique». À partir de ces éléments, l’Assemblée a appelé la Fédération de Russie à «libérer sans plus tarder tous les Ukrainiens détenus en Fédération de Russie et en Crimée pour des raisons politiques ou sur la base de fausses accusations». Le rapporteur de notre commission, M. Emanuelis Zingeris (Lituanie, PPE/CD), a fourni dans son rapport de nombreux détails sur les cas de M. Sentsov, M. Balukh et M. Hryb 
			(17) 
			Doc. 14591 de l’Assemblée. M. Sentsov a par la suite été libéré
dans le cadre d’un échange de prisonniers survenu entre les autorités
ukrainiennes et les forces rebelles pro-russes en amont du sommet
du groupe dit «de Normandie» de décembre 2019 (Doc. Assemblée 15050).
M. Baluh et M. Hryb ont également été libérés..
18. En février 2019, les corapporteurs de l’Assemblée sur le suivi de la Russie, M. José Ângelo Correia (Portugal, PPE/DC) et Mme Angela Smith (Royaume-Uni, SOC), ont exprimé leur grave préoccupation au sujet de la condamnation de Dennis Christensen à six ans de réclusion prononcée par le tribunal de l’arrondissement Jeleznodorojny pour «organisation d’activités d’une organisation extrémiste» parce qu’il était un Témoin de Jehova actif. Rappelant que la Cour européenne des droits de l’homme s’était déjà prononcée auparavant en faveur du droit des Témoins de Jéhovah à pratiquer leur religion sans ingérence des autorités russes et faisant à nouveau part des préoccupations de l’Assemblée au sujet de l’usage abusif et de l’application arbitraire de la «loi sur l’extrémisme» par les autorités russes, ils espéraient que la condamnation de M. Christensen serait annulée sans délai par la cour d’appel et ont invité les autorités russes à remettre celui-ci en liberté dans l’attente de l’arrêt rendu en appel 
			(18) 
			«Les corapporteurs
de l’Assemblée chargés du suivi de la Russie se disent préoccupés
par la condamnation d’un Témoin de Jéhovah pour extrémisme», 7 février
2019. Lors de l’audition d’experts tenue le 8 décembre 2020, M. Brace
a évoqué le cas de Dennis Christensen ainsi que ceux de Feliks Makhhammadiyev
(arrêté le 12 juin 2018), Ivan Chaikovsky (arrêté le 24 novembre
2020), Sergueï et Anastasia Polyakov (condamnés le 1er décembre
2020). Selon M. Brace, au 1er décembre
2020, dix Témoins de Jéhovah purgeaient une peine de prison, 35
étaient en détention provisoire, 50 avaient été condamnés et 214
arrêtés..
19. En février 2019, le rapporteur général sur la liberté des médias et la protection des journalistes, Lord George Foulkes (Royaume-Uni, SOC) s’est dit préoccupé par les actions menées par la police contre la journaliste russe Svetlana Prokopyeva (voir aussi plus loin). La police avait détenu et interrogé la journaliste pour avoir commenté en 2018 un attentat suicide lors d’une émission de radio, ce qui revenait, pour les autorités russes, à «justifier publiquement le terrorisme». Lord George Foulkes a appelé les autorités russes à abandonner les charges retenues contre la journaliste 
			(19) 
			«Un rapporteur appelle
les autorités russes à abandonner les poursuites contre la journaliste
Svetlana Prokopyeva», 21 février 2019.. Plus tard la même année, il les a exhortées à libérer immédiatement le journaliste d’investigation Ivan Golunov (bien connu pour ses enquêtes sur la corruption) qui avait été arrêté pour «trafic de drogue», une inculpation qu’il disait être fabriquée de toutes pièces 
			(20) 
			«Un rapporteur appelle
les autorités russes à libérer immédiatement le journaliste d’investigation
Ivan Golunov», 11 juin 2019..
20. En mars 2019, M. Frank Schwabe, rapporteur sur «Le rétablissement des droits de l’homme et de l’État de droit reste indispensable dans la région du Caucase du Nord», et M. Raphaël Comte (Suisse, ADLE), rapporteur général sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, ont réagi à la condamnation par un tribunal de la République tchétchène d’Oyub Titiev, militant des droits de l’homme, directeur du bureau régional de l’ONG Memorial et lauréat du prix des droits de l’homme Václav Havel 2018, à quatre ans d’emprisonnement dans une colonie pénitentiaire. Selon M. Schwabe, «les faits qui lui sont reprochés donnent tout à fait l’impression d’avoir été fabriqués en représailles de sa dénonciation de violations terribles des droits de l’homme; son procès était ouvertement inéquitable et la peine est absurdement disproportionnée par rapport à l’infraction alléguée» 
			(21) 
			«Des rapporteurs réagissent
à la condamnation d’Oyub Titiev (Memorial) en Tchétchénie, Fédération
de Russie», 19 mars 2019..
21. Dans sa Résolution 2375 (2021) «L’arrestation et la détention d’Alexeï Navalny en janvier 2021», l’Assemblée a examiné la situation du responsable politique russe de l’opposition à son retour en Fédération de Russie depuis l’Allemagne, où il avait été soigné pour empoisonnement. Dès son arrivée sur le sol russe, M. Navalny avait été arrêté en vertu d’un mandat d’arrêt émis pour avoir enfreint les termes d’une condamnation avec sursis prononcée à son encontre en 2014 dans l’affaire Yves Rocher, notamment en ne se présentant pas à la police alors qu’il était en soins intensifs puis en rééducation en Allemagne. Les tribunaux russes avaient alors commué sa peine avec sursis en une peine d’emprisonnement de deux ans et huit mois. Prenant en considération l’arrêt de 2017 de la Cour européenne des droits de l’homme (voir ci-dessous), la mesure provisoire exigeant sa libération adoptée par la Cour en février 2021 et les conditions de détention toujours discriminatoires et dangereuses pour sa santé, l’Assemblée a appelé la Fédération de Russie à libérer immédiatement M. Navalny 
			(22) 
			Voir «Des rapporteurs
de l’APCE réagissent à l’emprisonnement d’Alexeï Navalny», 3 février
2021, où j’ai déclaré que je considérais M. Navalny comme un prisonnier
politique. Voir aussi «Des rapporteurs de l’Assemblée réagissent
aux arrestations de partisans d’Alexeï Navalny», 24 janvier 2021,
où j’estimais que «la plupart, sinon tous ceux qui ont été arrêtés
samedi pourraient être considérés comme des prisonniers politiques prima facie».. Au cours de l'année 2021, Lilia Chanysheva, ancienne responsable d'une branche régionale de l'organisation de Navalny, a également été arrêtée et est désormais poursuivie pour la création d'une organisation «extrémiste» 
			(23) 
			Cette
affaire a été mentionnée par deux experts lors de l'audition organisée
par la commission le 4 avril 2022..
22. Dans sa Résolution 2387 (2021) «Violations des droits humains commises à l’encontre des Tatars de Crimée en Crimée», l’Assemblée a condamné le nombre élevé d’arrestations arbitraires et de poursuites et condamnations infondées de Tatars de Crimée pour des raisons politiques, sur la base de fausses accusations liées à l’extrémisme ou au terrorisme, notamment des allégations d’appartenance à des groupes musulmans et à l’opposition au régime actuel en Crimée. Elle a également exprimé sa préoccupation quant aux restrictions imposées aux Tatars de Crimée à propos de leur liberté d’expression et de réunion pacifique, ainsi que de leur liberté de pensée, de conscience et de religion – y compris pour les poursuites engagées à l’encontre des personnes ayant manifesté individuellement de manière pacifique. L’Assemblée a instamment prié les autorités russes de libérer toute personne détenue ou emprisonnée illégalement en raison de l’application abusive du droit russe en Crimée, y compris pour des raisons politiques, et d’assurer des conditions de détention dignes. Pour plus d’information sur les arrestations arbitraires et les poursuites engagées contre les Tatars de Crimée, veuillez consulter le Doc. 15305.
23. En juillet 2021, dans le cadre de mon mandat de rapporteure, j’ai exprimé mon inquiétude face aux nouvelles informations selon lesquelles Alexeï Pichugin, reconnu par les groupes de défense des droits de l’homme comme un prisonnier politique au regard des critères énoncés dans la Résolution 1900 (2012), était détenu au secret à Lefortovo, la principale prison du FSB à Moscou. M. Pichugin est emprisonné depuis 2003 malgré deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme concluant à des violations de son droit à un procès équitable au titre de l’article 6 de la Convention (voir plus loin les paragraphes 31-32) et en dépit des appels répétés du Comité des ministres du Conseil de l’Europe aux autorités russes pour qu’elles prennent «des mesures dès que possible en vue de s’assurer de sa libération» 
			(24) 
			L’affaire de M. Pichugin
a été présentée en détail lors des auditions de la commission par
M. Khodorkovski (qui a déclaré que le seul motif de son arrestation
et de son incarcération était d’obtenir un faux témoignage contre
lui), M. Kara-Murza et Mme Chelisheva..
24. Dans une «Note d’information sur la situation des défenseurs des droits de l’homme dans les États membres du Conseil de l’Europe» publiée en février 2022 (AS/Jur(2022) 01 Rev), la rapporteure générale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, Mme Alexandra Louis (France, ADLE), a évoqué les détentions, poursuites et/ou condamnations suivantes: l’arrestation de plus de 3 650 manifestants pro-Navalny en janvier 2021; les condamnations d’Anastasia Shevchenko 
			(25) 
			Lors de l’audition
du 22 mars 2021, M. Khodorkovski nous avait expliqué que Mme Shevchenko
venait d’être condamnée à quatre ans de prison avec sursis, après
deux ans d’assignation à résidence pour avoir donné des conférences
et s’être exprimée publiquement. (ancienne coordinatrice régionale du mouvement Open Russia), d’Iana Antonova (ancienne membre d’Open Russia) et d’Igor Kalyapin (défenseur des droits de l’homme), ainsi que le placement en détention provisoire d’Andreï Pivovarov 
			(26) 
			Son affaire a été présentée
lors de l’audition de la commission du 4 avril 2022 par M. Kara-Murza,
qui a expliqué que les chefs d’accusation retenus contre M. Pivovarov
concernaient 34 publications sur Facebook. (ancien directeur exécutif d’Open Russia) en vertu de la loi sur les «organisations indésirables»; la condamnation de Yuri Dmitriev 
			(27) 
			Son affaire a été exposée
lors de l’audition de la commission du 4 avril 2022 par M. Kara-Murza,
qui a déclaré qu’il purgeait actuellement une peine de 15 ans d’emprisonnement
pour des accusations considérées par beaucoup comme motivées par
des considérations politiques. M. Dmitriev a consacré sa vie à documenter
les crimes commis pendant l’ère soviétique. (directeur régional de Memorial en Carélie) à 15 ans d’emprisonnement sous de fausses accusations, alors qu’il avait été précédemment acquitté d’accusations similaires; la détention administrative de Sergueï Davidis, membre du Centre des droits de l’homme Memorial; les condamnations de défenseurs tatars, tels que Server Mustafayev et Emir Usein Kuku, pour des infractions liées à des actes de terrorisme et le placement en détention de cinq dirigeants tatars de Crimée, dont Nariman Dzhelyal, premier vice-président du Mejlis du peuple tatar de Crimée 
			(28) 
			Condamnées le 4 octobre
2021 par le président de l’Assemblée, M. Rik Daems..
25. Depuis le début de l’agression militaire illégale et non provoquée contre l’Ukraine le 24 février 2022, l’Assemblée, ses commissions et ses rapporteurs n’ont cessé de réagir à la répression croissante des opposants politiques et des militants de la société civile en Fédération de Russie, en particulier des personnes qui s’opposent à la guerre.
26. Le 10 mars 2022, en ma qualité de rapporteure générale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, j’ai exprimé ma profonde inquiétude à propos de la répression actuelle de la société civile russe dans le contexte de l’agression en cours de la Russie contre l’Ukraine. J’ai fermement condamné les représailles récentes à l’encontre de deux grands défenseurs des droits de l’homme – Oleg Orlov, membre du conseil d’administration du Centre des droits de l’homme Memorial, et Svetlana Gannushkina, présidente du Comité d’assistance civique, une organisation qui fournit une assistance juridique aux réfugiés et aux migrants. Ces deux défenseurs des droits de l’homme ont été arrêtés le 6 mars dernier et détenus pendant plus de dix heures après avoir participé à une manifestation contre la guerre en Ukraine. Ils font à présent l’objet de poursuites pénales. Depuis le début de la guerre, plus de 13 000 manifestants pacifiques contre la guerre ont été arrêtés dans 147 villes de Russie et, selon des médias indépendants, plusieurs d’entre eux ont été battus, voire torturés par la police.
27. Dans son Avis 300 (2022) du 15 mars 2022, l’Assemblée a condamné à l’unanimité l’intensification de la répression à l’égard de la société civile et la répression brutale des manifestations pacifiques organisées en Russie contre la guerre.
28. Le 22 mars 2022, M. Jacques Maire (France, ADLE) a réagi à la condamnation d’Alexeï Navalny à neuf ans de prison supplémentaires pour «escroquerie» et «offense à un tribunal», qu’il pourrait devoir purger dans une colonie pénitentiaire de régime sévère. M. Maire a appelé les autorités russes à libérer M. Navalny conformément aux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme et, en attendant, à respecter son droit à des conditions de détention dignes.
29. Le 27 avril 2022, le président de notre commission, M. Damien Cottier (Suisse, ADLE), a condamné l’arrestation arbitraire de Vladimir Kara-Murza et a demandé sa libération immédiate. M. Kara-Murza s’était adressé à notre commission en qualité d’expert il y a quelques semaines, dans le cadre de la préparation du présent rapport. Il est désormais incarcéré et poursuivi pour avoir soi-disant diffusé «délibérément de fausses informations» sur l’armée russe. En vertu d’une loi promulguée récemment, il encourt pour une telle infraction une peine qui peut aller jusqu’à 15 ans d’emprisonnement 
			(29) 
			«Le Président d’une
commission appelle à la libération immédiate de l’opposant russe
Vladimir Kara-Murza», 27 avril 2022. Doc. 15514, Proposition de résolution <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-EN.asp?fileid=30011&lang=EN&search=KjoqfGNhdGVnb3J5X3N0cl9lbjoiV29ya2luZyBkb2N1bWVudCJ8dHlwZV9zdHJfZW46Ik1vdGlvbiBmb3IgYSByZXNvbHV0aW9uIg=='>«Arrestation
arbitraire de Vladimir Kara-Murza, défenseur russe des droits de l’homme
et combattant pour la liberté»</a>, présentée le 28 avril 2022. Voir aussi: <a href='https://antiwarcommittee.info/fr/declaration-sur-la-persecution-de-vladimir-kara-murza/'>Déclaration
sur la persécution de Vladimir Kara-Murza – Comité anti-guerre de
Russie (antiwarcommittee.info)</a>.. Cette procédure a été précédée par son arrestation et sa condamnation à une détention administrative de 15 jours que j’ai dénoncées le 14 avril 2022 
			(30) 
			Voir ma déclaration
du 14 avril 2022 sur son arrestation et sa condamnation à 15 jours
de détention administrative: «La rapporteure générale sur la situation
des défenseur.e.s des droits de l’homme réagit à la condamnation
de Vladimir Kara-Murza»..

3. Les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme et leur mise en œuvre 
			(31) 
			Cette
partie traitera de la surveillance de l’exécution des arrêts uniquement
pour les affaires dans lesquelles les requérants sont toujours détenus.
Les mesures générales requises pour l’exécution de certains de ces
arrêts (par exemple, les réformes de la législation et de la pratique
en matière de réunions publiques exigées par la Cour à l’article 46 de
son arrêt Navalny de 2018)
ne sont pas prises en compte par le présent rapport.

30. La Cour européenne des droits de l’homme a rendu de nombreux arrêts sur la détention arbitraire et/ou la violation du droit à un procès équitable des personnes critiques à l’égard du gouvernement et d’opposants ou des personnes qui leur sont associées. Dans certains de ces arrêts, la Cour a également constaté des violations de l’article 18 de la Convention, une disposition complémentaire qui interdit aux États contractants de restreindre les droits et libertés consacrés par la Convention dans des buts autres que ceux prévus par la Convention elle-même. L’objet et le but de l’article 18 sont d’interdire le détournement de pouvoir 
			(32) 
			Guide sur l’article 18
de la Convention européenne des droits de l’homme, 2021. L’article 18
est rarement invoqué et il existe peu d’affaires dans lesquelles
la Cour a conclu à sa violation. Cet article ne peut s’appliquer
que conjointement avec un autre article de la Convention ou de ses
Protocoles. Il ne peut y avoir violation de l’article 18 que si
la liberté ou le droit auquel il a été porté atteinte peut faire
l’objet de restrictions en vertu de la Convention (par exemple,
la liberté d’expression en vertu de l’article 10 ou la liberté de
réunion en vertu de l’article 11)..
31. Dans l’affaire Pichugin c. Russie 
			(33) 
			Req. n° 38623/03, arrêt
du 23 octobre 2012., le requérant avait été le chef du service de sécurité de la société pétrolière Ioukos 
			(34) 
			La société pétrolière
Ioukos était en partie détenue par Mikhail Khodorkovski. L’année
où M. Pichugin a été arrêté et inculpé, M. Khodorkovski et son associé,
M. Platon Lebedev, ont été accusés de fraude et d’évasion fiscale
après s’être engagés en politique dans le camp de l’opposition.
Ils ont été reconnus coupables et condamnés à des peines d’emprisonnement.
Pendant leur détention, d’autres accusations similaires ont été
portées à leur encontre, entraînant de nouvelles périodes d’emprisonnement.
Les autorités fiscales ont réclamé à Ioukos le paiement d’une série
d’arriérés d’impôts, ce qui a conduit à sa faillite et à sa mise
en liquidation en 2007. Dans une succession d’arrêts, la Cour a constaté
de nombreuses violations des droits de M. Khodorkovski et de M. Lebedev,
notamment en ce qui concerne l’interdiction des traitements dégradants,
le droit à la liberté et à la sûreté, le droit à un procès équitable,
le droit au respect de la vie familiale (article 8, en raison du
transfert des requérants dans un établissement au régime plus restrictif)
et le droit au respect de leurs biens (article 1 du Protocole no 1)
(req. no 5829/04, arrêt du 31 mai 2011;
req. no 11082/06, arrêt du 25 juillet
2013; et req. no 51111/07, arrêt du 14 janvier
2020). La Cour a également constaté des violations des droits de
l’entreprise Ioukos à un procès équitable et au respect de ses biens
(req. no 14902/04, arrêt du 20 septembre
2011).. En juin 2003, il avait été arrêté pour meurtre et maintenu en détention par une série d’ordonnances jusqu’à sa condamnation en mars 2005 à une peine de vingt ans d’emprisonnement. Il s’est plaint à la Cour de nombreuses violations de ses droits. La Cour a estimé que son droit à être jugé dans un délai raisonnable ou libéré pendant la procédure (article 5(3) de la Convention) avait été violé, puisque les décisions de prolongation de sa détention provisoire reposaient essentiellement sur la gravité des chefs d’accusation et reprenaient des formulations stéréotypées sans tenir compte de faits précis ni envisager de mesures préventives alternatives: elles n’étaient donc pas fondées sur des motifs «suffisants». La Cour a également constaté des violations du droit du requérant à un procès équitable, puisque le procès en première instance et en appel se sont tous deux déroulés à huis clos et que le juge de première instance a refusé à la défense la possibilité de contester la crédibilité du témoin clé de l’accusation et a permis à ce témoin de refuser de répondre à certaines questions de la défense (article 6(1) et (3)(d)). La Cour a conclu que «la forme de redressement la plus appropriée serait, en principe, la tenue d’un nouveau procès ou la réouverture de la procédure», tout en notant que «l’article 413 du Code de procédure pénale russe dispose qu’une instance pénale peut être rouverte si la Cour constate une violation de la Convention».
32. Dans une seconde affaire 
			(35) 
			Req. no 38958/07,
arrêt de comité du 6 juin 2017., M. Pichugin avait été inculpé – alors qu’il était en prison – d’autres accusations de meurtre pour lesquelles il avait finalement été reconnu coupable et condamné à la prison à perpétuité. La Cour a conclu à des violations du droit du requérant à un procès équitable en raison du refus du juge de première instance d’autoriser la défense à produire certaines expertises, et de la couverture médiatique des déclarations du procureur général adjoint et de l’enquêteur principal, qui constituait une violation de la présomption d’innocence. La Cour a de nouveau déclaré que «le moyen le plus approprié de remédier à la violation serait, en principe, un nouveau procès ou la réouverture de la procédure».
33. Étant donné le caractère inéquitable de tous les procès dans lesquels il a été condamné, M. Pichugin est généralement considéré comme un prisonnier politique en raison de ses liens étroits avec M. Khodorkovski 
			(36) 
			La Résolution 1418 (2005) de l’Assemblée sur «[l]es circonstances entourant l’arrestation
et l’inculpation de hauts dirigeants de Ioukos» a conclu que «les
circonstances entourant l’arrestation et l’inculpation des hauts
dirigeants de Ioukos suggèrent fortement qu’elles ne sont pas en
conformité avec le principe de l’État de droit», laissant entendre
que «l’intérêt de l’action de l’État dans ces affaires ne se limite
pas à la simple poursuite de la justice pénale, mais qu’il inclut également
des éléments tels que l’affaiblissement d’un adversaire politique
déclaré»..Il convient de noter que, malgré les déclarations de la Cour sur le moyen de redressement approprié, M. Pichugin purge toujours sa peine d’emprisonnement à perpétuité dans un établissement pénitentiaire de haute sécurité. La Cour suprême russe a examiné les deux affaires et a conclu que les violations constatées par la Cour européenne des droits de l’homme n’affectaient pas l’issue de la procédure pénale ni la légalité ou le caractère raisonnable et équitable des sentences prononcées et qu’elles ne justifiaient pas leur annulation ou l’ouverture d’une nouvelle procédure. Les demandes de grâce présidentielle soumises par M. Pichugin ont été rejetées à trois reprises, dont la dernière le 4 juin 2020. Lors de la réunion des Droits de l’Homme (DH) du 9 mars 2022, le Comité des Ministres (dans le cadre de la surveillance de l’exécution de ces arrêts en vertu de l’article 46(2) de la Convention) a rappelé que la réouverture judiciaire de la procédure pénale interne n’avait pas assuré de réparation pour le requérant, puisque ses condamnations avaient été maintenues en l’absence d’une analyse complète des preuves retenues contre lui et du bien-fondé des condamnations à la lumière des constats de la Cour. Il a exhorté à nouveau les autorités russes à trouver de toute urgence d’autres moyens de garantir une réparation pour le requérant, y compris en envisageant l’adoption de toute autre mesure visant à assurer sa libération 
			(37) 
			Résolution intérimaire
CM/ResDH(2022)50. Voir aussi la «Note d’information. Mise en œuvre
des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme: 10e rapport:
Fédération de Russie», AS/Jur(2020) 05..
34. Dans l’affaire Nemtsov c. Russie 
			(38) 
			Req. no 1774/11,
arrêt du 31 juillet 2014., le requérant, un dirigeant politique de l’opposition qui a été abattu devant le Kremlin en 2015 
			(39) 
			Voir la Résolution 2297 (2019) de l’Assemblée intitulée «Faire la lumière sur le meurtre
de Boris Nemtsov»., avait été arrêté après une manifestation le 31 décembre 2010 et placé en garde à vue jusqu’au 2 janvier 2011. Il avait ensuite été condamné à 15 jours de détention administrative. La Cour a constaté des violations de ses droits à la liberté de réunion, à un procès équitable et à la liberté et la sûreté, ainsi que de l’interdiction des traitements inhumains et dégradants pendant sa détention au poste de police. Ayant «constaté ci-dessus que le requérant avait été arrêté, détenu et condamné pour une infraction administrative de façon arbitraire et illégale et que cela avait eu pour effet de l’empêcher ou de le dissuader, lui et d’autres personnes, de participer à des rassemblements de protestation et de s’engager activement dans la politique dans le camp de l’opposition», la Cour a considéré que le grief tiré de l’article 18 ne soulevait aucune question distincte et n’a pas examiné la question plus avant.
35. La Cour a rendu un certain nombre d’arrêts et de décisions dans des affaires de détention introduites par Alexeï Navalny, un avocat, militant anticorruption et dirigeant de l’opposition politique.
  • Dans l’affaire Navalnyy et Yashin c. Russie 
			(40) 
			Req. no 76204/11,
arrêt du 4 décembre 2014., les requérants avaient été arrêtés, placés en garde à vue et condamnés à 15 jours de détention administrative pour avoir participé à une «marche spontanée» après une manifestation autorisée en 2011. La Cour a conclu à la violation de l’article 11 (liberté de réunion), observant que les autorités avaient expressément reconnu que les requérants avaient été sanctionnés pour avoir manifesté pacifiquement et de manière spontanée et pour avoir scandé des slogans anti-gouvernementaux. La Cour a également constaté des violations du droit à un procès équitable dans le cadre de la procédure administrative, et du droit à la liberté et à la sûreté, ainsi que de l’interdiction des traitements inhumains et dégradants dans le cadre des conditions de détention au poste de police. Ayant constaté que l’arrestation, la détention et la condamnation arbitraires des requérants «avaient eu pour effet de les empêcher ou de les dissuader, eux et d’autres personnes, de participer à des rassemblements de protestation et de s’engager activement dans la politique dans le camp de l’opposition», la Cour a décidé de ne pas examiner les plaintes des requérants au regard de l’article 18.
  • L’affaire Navalnyy c. Russie 
			(41) 
			Req. no 29580/12
et autres, arrêt de Grande Chambre du 15 novembre 2018. portait au total sur sept incidents survenus en 2012 et 2014, au cours desquels le requérant, alors qu’il participait à des rassemblements publics de militants de l’opposition, avait été arrêté, placé en garde à vue et condamné à des amendes ou à des peines de détention administrative. La Cour a conclu à la violation du droit du requérant à la liberté et à la sûreté dans les sept cas, de son droit à un procès équitable dans six cas et de son droit à la liberté de réunion dans les sept cas. La Cour a jugé qu’il était «établi au-delà de tout doute raisonnable que les restrictions imposées au requérant lors des cinquième et sixième épisodes poursuivaient un but inavoué, contraire à l’article 18 de la Convention, à savoir celui d’étouffer le pluralisme politique, qui est un attribut du “régime politique véritablement démocratique” encadré par la “prééminence du droit”, deux notions auxquelles renvoie le Préambule de la Convention». La Cour a donc conclu à la violation de l’article 18 combiné aux articles 5 et 11. Elle s’est fondée pour cela sur des éléments contextuels concordants selon lesquels, à l’époque des faits, les autorités ont réagi de plus en plus sévèrement face au comportement du requérant – eu égard à sa situation de chef de file de l’opposition – et à celui d’autres militants politiques, ainsi que sur le contexte plus général des initiatives prises par les autorités russes pour exercer une mainmise sur l’activité politique de l’opposition.
  • Dans l’affaire Navalnyy et Ofitserov c. Russie 
			(42) 
			Req. no 46632/13,
arrêt du 23 février 2016., les requérants ont été reconnus coupables de fraude et condamnés respectivement à cinq et quatre ans d’emprisonnement, peines qui ont été suspendues contre l’engagement de ne pas changer de lieu de résidence. La Cour a conclu que «les actes qualifiés de délictueux sortaient totalement du champ d’application de la disposition sur la base de laquelle les requérants ont été condamnés […]. Le droit pénal a donc été interprété de façon arbitraire et imprévisible, au détriment des requérants, et a abouti à une issue manifestement déraisonnable du procès». Les juridictions internes «n’ont de loin pas assuré un procès équitable aux requérants et elles ne semblent même pas s’être souciées des apparences. Il y a lieu de noter également qu’elles ont écarté d’emblée la thèse de la persécution politique formulée par les requérants, qui était à tout le moins défendable». «Il est évident pour la Cour, comme il l’a dû l’être pour les juridictions internes, qu’il existait un lien manifeste entre les activités publiques du premier requérant et la décision de la Commission d’enquête de l’inculper. […] Faute d’avoir examiné ces allégations, les juridictions ont elles-mêmes fait fortement craindre que la véritable motivation des poursuites engagées contre les requérants et de leur condamnation était de nature politique». La Cour a estimé que les procédures pénales engagées contre les requérants avaient violé leur droit à un procès équitable au titre de l’article 6 de la Convention 
			(43) 
			La Cour a toutefois
conclu que les griefs soulevés par les requérants au titre de l’article 18
étaient incompatibles ratione materiae avec
les dispositions de la Convention, puisque les articles 6 et 7 ne
renferment aucune restriction pertinente susceptible de donner lieu
à un examen de la Cour au titre de l’article 18..
  • Dans l’affaire Navalnyye c. Russie 
			(44) 
			Req. no 101/15,
arrêt de 17 octobre 2017. Lors de l’audition de la commission du
4 avril 2022, M. Milov a fourni des informations sur cette affaire
et d’autres affaires liées à M. Navalny., le requérant et son frère ont été condamnés à trois ans et demi d’emprisonnement pour blanchiment de capitaux et escroquerie (affaire Yves Rocher). La peine de M. Navalny a été assortie du sursis. La Cour a considéré en particulier que les tribunaux russes avaient interprété de manière extensive et imprévisible l’infraction d’escroquerie au détriment des requérants et que les décisions rendues avaient été arbitraires et manifestement déraisonnables. La Cour a constaté la violation des articles 7 (pas de peine sans loi) et 6(1) (droit à un procès équitable) 
			(45) 
			Comme
dans l’affaire précédente, la Cour a déclaré irrecevable et rejeté
le grief soulevé par les requérants au titre de l’article 18 pour
incompatibilité ratione materiae..
  • Dans l’affaire Navalnyy c. Russie (no 2) 
			(46) 
			Req. no 43734/14,
arrêt du 9 avril 2019., le requérant avait fait l’objet d’une assignation à résidence de plus de dix mois assortie de restrictions à son droit de communiquer, de correspondre et d’utiliser internet, pour des raisons sans rapport avec les exigences de l’enquête pénale. La Cour a constaté des violations du droit à la liberté et à la sécurité du requérant ainsi que de son droit à la liberté d’expression. Elle a également conclu à la violation de l’article 18 combiné à l’article 5, au motif que les restrictions à son droit à la liberté avaient poursuivi le même but que dans la précédente affaire Navalnyy (arrêt de Grande Chambre), à savoir supprimer le pluralisme politique.
  • Dans l’affaire Navalnyy et Gunko c. Russie 
			(47) 
			Req.
no 75186/12, arrêt du 10 novembre 2020., les requérants avaient été arrêtés, détenus et condamnés pour une infraction administrative en lien avec leur participation à une manifestation autorisée sur la place Bolotnaïa le 6 mai 2012. La Cour a conclu à une violation de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants), estimant que le recours à la force physique lors de l’arrestation du premier requérant avait porté atteinte à sa dignité humaine. Elle a également constaté une violation du droit à la liberté – considérant que la détention administrative des requérants pendant près de vingt et dix-huit heures respectivement était injustifiée et arbitraire – ainsi que des violations du droit à un procès équitable et du droit à la liberté de réunion pacifique. La Cour a par ailleurs estimé que l’arrestation arbitraire, la détention et la condamnation des requérants «avaient eu pour effet de [les] dissuader, [eux] et d’autres, de participer à des rassemblements de protestation ou de s’engager activement dans la politique dans le camp de l’opposition». Au vu de ces constatations, la Cour a jugé inutile d’examiner s’il y avait eu violation de l’article 18.
  • Dans le cadre d’une nouvelle requête Navalnyy c. Russie 
			(48) 
			Req. no 4743/21.
Le 2 février 2021, le tribunal du district Simonovskiy de Moscou
a commué la peine avec sursis de M. Navalny en une peine de trois
ans et demi d’emprisonnement dans une colonie pénitentiaire (la
peine finale s’élève à deux ans et huit mois, auxquels s’ajoutent
les dix mois passés en résidence surveillée pendant le premier procès). concernant le placement en détention de M. Navalny à son retour d’Allemagne en janvier 2021, la Cour a fait droit le 16 février 2021 à une mesure provisoire au titre de l’article 39 du règlement de la Cour et a demandé au Gouvernement russe de le libérer immédiatement. Ce faisant, elle a tenu compte de la nature et de l’ampleur du risque pour la vie du requérant et a pris sa décision à la lumière des circonstances générales de sa détention.
36. Lors de la réunion DH du 7 au 9 juin 2021, le Comité des Ministres a rappelé les conclusions de la Cour au titre de l’article 18 dans certaines des affaires Navalnyy et a appelé les autorités à prendre des mesures d’urgence en vue de garantir que le requérant puisse exercer sans entrave ses droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’expression, et à mettre fin à la «chronologie et à la physionomie» des restrictions qui lui sont imposées dans le but ultime de supprimer le pluralisme politique. Lors de la réunion DH du 9 mars 2022, le Comité des Ministres a vivement déploré qu’en dépit de ses nombreux appels, M. Navalny soit toujours en détention et a de nouveau exhorté les autorités à prendre toutes les mesures possibles pour assurer sa libération immédiate et annuler les condamnations contestées par les arrêts pertinents de la Cour 
			(49) 
			Résolution
intérimaire CM/ResDH(2022)53 concernant les req. no 46632/13
et 101/15..
37. Dans une série d'arrêts concernant Garri Kasparov, ancien champion du monde d'échecs et militant politique, la Cour a conclu à des violations du droit à la liberté et à la sûreté, du droit à un procès équitable et de la liberté de réunion. La première affaire concernait l'arrestation du requérant pour avoir participé à une manifestation non autorisée mais pacifique. La deuxième affaire concernait la détention du requérant pendant cinq heures par la police de l'aéroport alors qu'il se rendait à Samara (Russie) pour participer à un rassemblement de l'opposition. La troisième affaire concernait son arrestation (et celle d'un autre militant) lors d'un rassemblement de protestation et leur détention administrative consécutive. Bien que la Cour n'ait conclu à la violation de l'article 18 dans aucun de ces arrêts, elle a déclaré dans le dernier que " les mesures risquaient aussi sérieusement de dissuader d'autres partisans de l'opposition et le public en général d'assister à des manifestations et, plus généralement, de participer à un débat politique ouvert. L'effet dissuasif des sanctions était encore amplifié par le fait qu'elles visaient le premier requérant, une personnalité publique bien connue, dont la privation de liberté ne pouvait qu'être largement médiatisée" 
			(50) 
			Kasparov et autres c. Russie, n°
21613/07, arrêt du 3 octobre 2013; Kasparov
c. Russie, n° 53659/07, arrêt du 11 octobre 2016; Kasparov et autres (no. 2) c. Russie, n°
51988/07, arrêt du 13 décembre 2016..
38. Dans l’affaire Frumkin c. Russie 
			(51) 
			Req. no 74568/12,
arrêt du 5 janvier 2016., le requérant avait été arrêté en 2012 lors de la dispersion d’un rassemblement politique qui se tenait sur la place Bolotnaïa à Moscou. Il avait été détenu dans un commissariat de police pendant au moins trente-six heures, puis condamné à une peine de quinze jours de détention administrative. La Cour a conclu que son arrestation et sa détention constituaient une violation de son droit à la liberté de réunion et d’association consacré par l’article 11 de la Convention. Elle a jugé que son droit à la liberté et à la sûreté garanti par l’article 5 avait été violé à raison de l’absence de motifs et de fondements juridiques permettant de le placer en détention provisoire avant l’audience administrative. La Cour a également constaté que le droit du requérant à un procès équitable consacré à l’article 6 avait été violé, puisque le tribunal administratif a fondé sa décision sur des preuves à charge non vérifiées, refusant de convoquer les agents de police pour un contre-interrogatoire ou d’admettre d’autres éléments de preuve présentés par le requérant. En ce qui concerne la plainte relative à la violation de l’article 18, la Cour a noté que l’arrestation, la détention et la condamnation du requérant «avaient eu pour effet de l’empêcher et de le dissuader, lui et d’autres personnes, de participer à des rassemblements de protestation et de s’engager activement dans la politique dans le camp de l’opposition». Sur cette base, elle a estimé qu’il n’était pas nécessaire d’examiner si l’article 18 avait été violé.
39. Dans l’affaire Yaroslav Berlousov c. Russie 
			(52) 
			Req.
no 2653/13, arrêt du 4 octobre 2016., le requérant avait été arrêté, placé en détention provisoire pour une longue durée, jugé et condamné à une peine d’emprisonnement totale de deux ans et trois mois pour avoir participé aux manifestations de la place Bolotnaïa de 2012 (voir plus haut). La Cour a constaté la violation de l’interdiction des traitements inhumains et dégradants, ainsi que de ses droits à la liberté et la sûreté, à un procès équitable et à la liberté de réunion. Observant que «la condamnation pénale du requérant n’était pas nécessaire dans une société démocratique et qu’elle avait eu pour effet de l’empêcher ou de le dissuader, lui et d’autres personnes, de participer à des rassemblements de protestation et de s’engager activement dans la politique dans le camp de l’opposition», la Cour a considéré que le grief tiré de l’article 18 ne soulevait aucune question distincte et qu’il n’était donc pas nécessaire d’examiner si cet article avait été violé. La Cour a rendu des arrêts similaires dans les affaires Barabanov c. Russie 
			(53) 
			Req. no 4966/12,
arrêt du 30 janvier 2018. Dans cette affaire, la Cour a conclu qu’il
n’y avait aucune violation de l’article 3, car le requérant n’avait
pas fourni suffisamment de précisions sur la violation alléguée., Polikhovich c. Russie 
			(54) 
			Req. no 62630/13,
arrêt du 30 janvier 2018., Stepan Zimin c. Russie 
			(55) 
			Req.
no 63686/13, arrêt du 30 janvier 2018., Lutskevich c. Russie 
			(56) 
			Req. no 6312/13,
arrêt du 15 mai 2018. et Razvozzhayev c. Russie et Ukraine et Udaltsov c. Russie 
			(57) 
			Req. no 75734/12
et autres, arrêt du 19 novembre 2019., Gushchin et Gaskarov c. Russie 
			(58) 
			Req. no 22581/15
et autres, arrêt du 25 février 2020., et Nepomnyashchikh c. Russie 
			(59) 
			Req. no 51118/16,
arrêt du 8 juin 2021. Selon les informations disponibles, dans la
plupart de ces affaires, les requérants ont purgé leur peine ou
ont été libérés, mais le Comité des Ministres peut encore examiner
si d’autres conséquences négatives résultant de leurs condamnations
pénales (casier judiciaire, autres restrictions) ont été effacées: 
			(59) 
			<a href='https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectID=0900001680a29ce2'>https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectID=0900001680a29ce2</a>..
40. Dans l’affaire Mariya Alekhina et autres c. Russie, les requérantes, membres du groupe punk féministe russe des Pussy Riot, avaient été inculpées de «hooliganisme motivé par la haine religieuse» et condamnées à deux ans d’emprisonnement pour avoir interprété une chanson politique dans la cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou en 2012. La Cour a conclu à des violations de l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants (conditions de transport des requérantes vers et depuis le tribunal où se tenaient les audiences et le procès), du droit à la liberté et à la sécurité, du droit à un procès équitable et de la liberté d’expression. En ce qui concerne la liberté d’expression, la Cour a considéré que les poursuites pénales et la condamnation des requérantes pour leur performance n’étaient pas nécessaires dans une société démocratique 
			(60) 
			Req. no 38004/12,
arrêt du 17 juillet 2018. Les requérantes ont été amnistiées par
la suite..
41. Dans l’affaire Ryklin et Sharov c. Russie 
			(61) 
			Req.
no 37513/15, arrêt du 12 février 2019., les requérants avaient été arrêtés et condamnés à dix jours de détention administrative en 2015 après des manifestations publiques marquant le troisième anniversaire du rassemblement de la place Bolotnaïa de 2012. La Cour a conclu à des violations de leur liberté d’expression et de leur droit à un procès équitable 
			(62) 
			Le grief soulevé par
les requérants pour détention illégale a été rejeté pour vice de
procédure.. Elle a rappelé qu’elle avait «systématiquement conclu à une violation de l’article 11 de la Convention dans les situations où les participants ou les organisateurs d’un rassemblement public se trouvaient arrêtés et condamnés pour des infractions administratives au seul motif que les autorités russes considèrent ce rassemblement comme une réunion publique non autorisée». La Cour a aussi rappelé qu’elle avait «précédemment constaté que l’absence de partie poursuivante lors de l’audience au cours de laquelle sont définis les chefs d’accusation administratifs constituait un manquement grave, contraire à l’exigence d’impartialité objective consacrée par l’article 6(1) de la Convention».
42. Dans l’affaire Udaltsov c. Russie 
			(63) 
			Req. no 76695/11,
arrêt du 6 octobre 2020., le requérant, un militant politique et de la société civile bien connu, coordinateur du Conseil du front de gauche de Moscou, avait été placé en détention administrative avant et après son procès pour avoir désobéi à une décision rendue par des agents publics et avoir quitté un centre de détention sans autorisation. La Cour a conclu à une violation du droit à la liberté et à la sécurité en raison de plusieurs détentions administratives arbitraires et de son maintien arbitraire en milieu hospitalier. Elle a également constaté une violation du droit à un procès équitable à l’égard d’un ensemble de procédures administratives. En ce qui concerne le grief soulevé par le requérant quant aux peines de détention prononcées à son encontre dans le but de l’empêcher de participer à des rassemblements de protestation, la Cour a considéré qu’il n’y avait pas lieu d’examiner ce grief sous l’angle des articles 10 et 11. S’agissant du grief relatif à la violation de l’article 18, elle a estimé qu’il ne représentait pas un aspect fondamental de l’affaire.
43. Dans l’affaire Karuyev c. Russie 
			(64) 
			Req. no 4161/13,
arrêt du 18 janvier 2022., le requérant avait été arrêté et condamné à quinze jours de détention administrative pour avoir craché sur un portrait du Président Poutine (trouble à l’ordre public). La Cour a estimé que le fait de cracher sur la photographie d’un responsable politique au lendemain de sa réélection devait être considéré comme l’expression d’une opinion politique, et que la condamnation du requérant ne reposait pas sur un fondement légal clair et prévisible en droit interne. Par conséquent, elle a conclu à une violation du droit à la liberté d’expression du requérant.
44. Bien que la Cour ait constaté des violations de l'article 3 (interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants) uniquement dans certaines des affaires susmentionnées (par exemple Nemtsov), elle a examiné les conditions de détention dans les prisons et autres lieux de détention dans de nombreuses autres affaires contre la Russie et les a jugées contraires à l'article 3. Dans l'une des affaires Navalny en cours, le requérant se plaint au titre de l'article 3 de ses conditions de détention, notamment de la privation de sommeil, d'une alimentation inadéquate, de violences verbales et du refus d'assistance médicale. Par conséquent, la détention arbitraire et illégale de prisonniers politiques n'implique pas seulement une privation injustifiée de liberté et des violations de droits fondamentaux comme la liberté d'expression ou la liberté de réunion, elle comporte également un risque de conditions de détention inappropriées qui peuvent s'apparenter à un traitement inhumain ou dégradant.

4. Interventions de la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe

45. La Commissaire aux droits de l’homme, Dunja Mijatović, a également soulevé des questions qui présentent un intérêt pour le présent rapport. Celles-ci portent sur le recours abusif au droit pénal à l’encontre des personnes critiques à l’égard des autorités et des opposants à ces dernières et sur la menace de longues peines d’emprisonnement qui en résulte.
46. Le 11 juillet 2018, la Commissaire a écrit au procureur général de la Fédération de Russie concernant la situation de Oyub Titiev. Dans sa lettre, la Commissaire déclarait que M. Titiev, «connu pour le travail considérable qu’il a mené pour la défense des droits de l’homme dans le Caucase du Nord, et en particulier pour ses efforts visant à établir les responsabilités dans des cas de violations graves des droits de l’homme perpétrées par des agents de l’État» avait été «privé de sa liberté en janvier dernier, puis placé en détention provisoire et poursuivi au pénal pour possession présumée de drogue». Elle prenait note de la conclusion du Conseil des droits de l’homme auprès du Président de la Fédération de Russie, selon laquelle les autorités tchétchènes avaient agi «dans le but d’exclure des informations qui permettraient de conclure que l’affaire pénale visant M. Titiev avait été fabriquée de toute pièce» et que «tous les refus d’ouvrir une enquête pénale à la suite des plaintes déposées par M. Titiev étaient non fondés et arbitraires». Elle observait enfin que le chef du Conseil présidentiel des droits de l’homme et la Haut-Commissaire aux droits de l’homme de la Fédération de Russie avaient tous deux demandé à ce que le dossier de M. Titiev soit «transféré» hors de la République tchétchène, ce qui révélait «des doutes quant à la probabilité que les droits de M. Titiev soient garantis si l’affaire restait en République tchétchène» 
			(65) 
			L’affaire de M. Titiev
est restée sous la compétence des tribunaux tchétchènes. En mars
2019, M. Titiev a été condamné à quatre ans de privation de liberté
dans une colonie pénitentiaire. Il a bénéficié d’une libération
conditionnelle en juin 2019; il était en détention depuis janvier
2018..
47. Le 6 décembre 2018, la Commissaire a appelé les autorités russes à libérer Lev Ponomarev, un «pilier du mouvement pour les droits de l’homme en Russie» et un «partenaire de longue date» du Bureau de la Commissaire, qui a consacré «plusieurs décennies à la défense des droits de l’homme». M. Ponomarev a été condamné à 25 jours de détention administrative par un tribunal de Moscou pour avoir publié un message sur Facebook appelant à un rassemblement non autorisé. La Commissaire a déclaré que «le fait de sanctionner quelqu’un pour avoir partagé des informations dans les médias sociaux au sujet d’un événement public à visée pacifique était difficilement justifiable. Mon Bureau a demandé à plusieurs reprises la révision du cadre juridique qui régit les événements publics en Fédération de Russie. La peine de 25 jours de détention imposée à M. Ponomarev est un exemple frappant du caractère disproportionné des sanctions prévues par la législation». Elle a ensuite appelé à libérer M. Ponomarev «de toute urgence».
48. Le 13 février 2019, la Commissaire a écrit à la Haut-Commissaire aux droits de l’homme de la Fédération de Russie au sujet de l’affaire Svetlana Prokopyeva, une journaliste indépendante. Mme Prokopyeva faisait l’objet d’une enquête pour «justification du terrorisme», une infraction passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à sept ans, après la publication d’un article critique dans lequel elle s’interrogeait sur les motivations possibles d’une adolescente kamikaze. La Commissaire a rappelé qu’elle avait «observé un phénomène inquiétant de recours abusif à la législation anti-terroriste pour restreindre les activités légitimes de journalisme ou l’expression de critiques envers les autorités». Elle a déclaré que «le fait de reconnaître la responsabilité pénale d’une journaliste pour des propos ne contenant aucun élément de violence et n’incitant personne au terrorisme était incompatible avec les normes relatives aux droits de l’homme sur la liberté d’expression». En outre, «les poursuites pénales engagées à l’encontre de [Mme Prokopyeva] ont un effet plus général d’intimidation à l’égard de l’ensemble des médias et des journalistes de la Fédération de Russie, en les empêchant de communiquer des informations d’intérêt général et en interférant avec le droit des citoyens de les recevoir» 
			(66) 
			Le 12 juillet 2019,
la Commissaire a de nouveau écrit à la Haut-Commissaire de la Fédération
de Russie au sujet de l’affaire de Mme Prokopyeva,
après que celle-ci a été inscrite sur une liste officielle publique
de personnes considérées comme étant impliquées dans des activités
d’extrémisme ou de terrorisme, ce qui avait entraîné le blocage
de ses comptes bancaires. La Commissaire a réaffirmé sa position
contre le «recours abusif à la législation anti-terroriste et anti-extrémiste
pour restreindre les activités légitimes de journalisme ou l’expression
de critique envers les autorités». Sur cette base, elle a estimé
que «les récentes restrictions imposées à l’autonomie financière
de Mme Prokopyeva portaient atteinte
de manière grave et disproportionnée à ses droits. De plus, son
inscription sur une liste officielle de terroristes et d’extrémistes
ne respectait pas la présomption d’innocence». Le 6 juillet 2020,
Mme Prokopyeva a été reconnue coupable d’
«apologie du terrorisme» et condamnée à une amende de 500 000 roubles;
le procureur avait réclamé une peine de six ans d’emprisonnement..
49. Le 23 juin 2020, la Commissaire a appelé les autorités russes à «revoir la législation et les pratiques relatives à la liberté de réunion et d’expression». Sa déclaration évoquait «[l]’arrestation de plus de 100 personnes à Moscou et à Saint-Pétersbourg hier [qui] illustre une nouvelle fois l’intolérance des autorités russes à l’égard des personnes qui expriment pacifiquement leurs opinions». Elle mentionnait également une conversation avec la Haut-Commissaire aux droits de l’homme de la Fédération de Russie, dans laquelle elle exprimait ses préoccupations persistantes concernant la situation de Mme Prokopyeva et d’autres affaires. Ces affaires incluaient notamment: Abdulmumin Gadzhiyev, un journaliste du Daghestan en détention provisoire, poursuivi pour extrémisme et actes terroristes pour avoir écrit un article sur un prédicateur islamiste accusé d’être lié à Daech; Yulia Tsvetkova, une artiste et militante actuellement assignée à résidence, accusée de pornographie et de «propagande gay» pour des déclarations publiées sur son site internet; Anastasia Shevchenko, assignée à résidence et poursuivie pour «organisation d’activités d’une organisation indésirable» (en l’occurrence le mouvement d’opposition Open Russia) en vertu d’une loi de 2015 largement critiquée – une infraction passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à six ans; et Yuri Dmitriev, un militant des droits civils et historien des crimes commis par le régime stalinien, qui est accusé de pornographie et de violences sexuelles sur sa fille adoptive (voir plus loin).
50. Le 20 juillet 2020, la Commissaire a demandé aux autorités russes d’abandonner les poursuites contre le défenseur des droits de l’homme Semyen Simonov. M. Simonov faisait face à des chefs d’accusation retenus au titre de la loi sur les «agents étrangers» pour ses activités au sein du Southern Human Rights Centre à Sotchi, qui documente les cas d’exploitation des travailleurs migrants ayant participé aux projets de construction pour les Jeux Olympiques d’hiver de 2014 et la Coupe du monde de football de 2018. La Commissaire a indiqué que «[l’]inculpation de Semyen Simonov […] pour infraction à la législation sur les organisations non commerciales est préoccupante et aura un effet dissuasif sur l’ensemble des acteurs œuvrant pour les droits de l’homme en Russie».
51. Le 30 septembre 2020, la Commissaire est revenue sur le cas de M. Dmitriev, après que la Cour suprême régionale a alourdi sa peine à 13 ans d’emprisonnement dans une colonie pénitentiaire de haute sécurité, sur appel du procureur. La Commissaire a déclaré que «[l]e verdict rendu [le 29 septembre] contre Iouri Dmitriev […] pour des faits dont il avait été déclaré non coupable précédemment 
			(67) 
			En 2018, M. Dmitriev
a été acquitté lors de son premier procès, mais la Cour suprême
régionale a annulé ce verdict suite à un appel du procureur., fait peser de sérieux doutes sur la crédibilité des poursuites engagées contre lui. […] Le procès qui a conduit à la lourde condamnation prononcée par la Cour suprême de Carélie et qui s’est déroulé en l’absence d’un avocat choisi par M. Dmitriev ne peut être considéré comme présentant les caractéristiques d’un procès équitable. C’est un exemple supplémentaire du harcèlement judiciaire dirigé contre les défenseurs des droits de l’homme, les journalistes et d’autres voix indépendantes ou critiques, qui s’intensifie en Fédération de Russie ces dernières années».
52. Le 21 janvier 2021, la Commissaire a appelé les autorités russes à remettre Alexeï Navalny en liberté et à cesser toute intimidation judiciaire à son égard. Elle considérait que les procédures engagées à son encontre étaient manifestement «peu crédibles et en contradiction avec le droit et les procédures judiciaires de la Russie, et avec les obligations et normes internationales en matière de droit de l’homme». Elle a également critiqué l’arrestation dans de nombreuses villes russes de dizaines de personnes pour avoir manifesté pacifiquement contre l’arrestation de M. Navalny. Le 2 février 2021, après la condamnation de ce dernier à trois ans et demi d’emprisonnement, la Commissaire a déclaré que cette nouvelle décision contrevenait aux obligations internationales de la Russie en matière de droits de l’homme et envoyait un signal qui portait atteinte à l’intégrité du système européen de protection des droits de l’homme.
53. Le 25 novembre 2021, la Commissaire a fait part de ses préoccupations concernant l’arrestation et le placement en détention d’un important groupe de Tatars de Crimée, dont plusieurs journalistes, qui s’étaient rassemblés pacifiquement à Simferopol pour assister à la libération d’Edem Semedlyaev, un avocat défenseur des droits de l’homme. Elle a également parlé d’une politique de persécution manifeste, qui se traduit par les condamnations pénales imposées à des militants et responsables tatars, souvent à la suite d’accusations de terrorisme ou d’extrémisme dénuées de fondement.
54. Le 7 mars 2022, après l’agression militaire de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, la Commissaire a noté que plus de 13 000 personnes avaient été arrêtées dans plusieurs dizaines de villes russes pour avoir exercé leur droit légitime à manifester pacifiquement contre la guerre. Elle a évoqué les cas des défenseurs des droits de l’homme Oleg Orlov et Svetlana Gannushkina. Elle s’est dit préoccupée par la nouvelle législation qui érige en infraction pénale la diffusion de «fausses informations» sur les actions de l’armée russe, le «dénigrement» de ladite armée et les appels à des protestations publiques, et qui prévoit des peines pouvant aller jusqu’à 15 ans d’emprisonnement et de lourdes amendes.

5. Les listes de prisonniers politiques compilées par le Centre des droits de l’homme Memorial

55. Selon les dernières informations transmises par l’ONG Centre des droits de l’homme Memorial, il y avait, en Fédération de Russie, au 8 avril 2022, 87 prisonniers politiques (non persécutés pour raison religieuse) et 360 personnes emprisonnées pour des motifs religieux 
			(68) 
			Informations en anglais
transmises par nos experts. Voir le site internet en russe (consulté
le 3 mai 2022): <a href='https://memohrc.org/ru/pzk-list'>Список политзаключённых
(без преследуемых за религию) | Правозащитный центр «Мемориал» (memohrc.org)</a>, où le nombre de prisonniers persécutés pour raison
religieuse s’élève à 355.. Le nombre total de prisonniers politiques s’élevait à 447 – un nombre en augmentation depuis le début de l’élaboration du présent rapport. Au moment de la publication de ma note introductive (octobre 2020), le site internet de Memorial faisait état de 62 prisonniers politiques (non persécutés pour raison religieuse) et de 266 prisonniers politiques persécutés pour leur religion.
56. Memorial évalue les cas individuels sur la base de ses propres «Lignes directrices pour la définition du "prisonnier politique"». Celles-ci s’inspirent largement de la définition donnée par la Résolution 1900 (2012) de l’Assemblée, mais ne la reprennent pas à l’identique. En réalité, elles sont plus restrictives puisque, contrairement à la Résolution 1900, les critères de Memorial prévoient des «clauses d’exclusion». Memorial applique un filtre supplémentaire afin d’exclure toute personne ayant eu recours à la violence contre une personne ou ayant incité à la violence sur la base de la nationalité, de la race, de la religion, etc. Il convient de noter que les listes de Memorial incluent aussi les Tatars de Crimée.
57. Je tiens à souligner que plusieurs des personnes citées ci-dessus (que ce soit par la Commissaire, l’Assemblée ou les arrêts de la Cour) figurent sur les listes de Memorial: Alexeï Navalny, Alexeï Pichugin, Yuri Dmitriev, Abdulmumin Gadzhiyev, Dennis Christensen, Andreï Pivovarov et Emir Usein Kuku. Un certain nombre de cas signalés par les experts lors des auditions tenues par notre commission (notamment ceux de Lilia Chanysheva, ancienne responsable du bureau politique de M. Navalny à Ufa, et d’Andreï Borovikov, militant écologiste et ancien coordinateur du bureau régional de M. Navalny) figurent également sur les listes de Memorial.
58. Si je n’ai pas été en mesure de vérifier si tous les cas cités dans les listes de Memorial répondent à la définition de «prisonnier politique» de l’Assemblée, je considère que les listes compilées par Memorial sont crédibles et fiables. Lors de l’audition organisée par la commission le 8 décembre 2020, M. Sergueï Davidis, responsable du programme «Soutien aux prisonniers politiques» du Centre des droits de l’homme Memorial, nous a présenté les critères stricts et les procédures rigoureuses appliqués par Memorial pour établir ces listes. Le Centre des droits de l’homme Memorial est l’une des organisations non gouvernementales les plus respectées de Fédération de Russie et sa dissolution récente (survenue en même temps que celle d’International Memorial), prononcée en vertu de la loi sur les «agents étrangers», n’est qu’un énième exemple de la répression des opposants politiques et de la société civile par les autorités russes – qui s’est considérablement accrue depuis le début de l’offensive contre l’Ukraine. La dissolution de Memorial a suscité de vives critiques au plus haut niveau au sein du Conseil de l’Europe et dans de nombreux États membres. Il convient de noter que la Cour suprême russe a récemment rejeté un appel visant à suspendre la liquidation judiciaire de Memorial, en faisant totalement abstraction de la mesure provisoire accordée par la Cour européenne des droits de l’homme en décembre 2021.

6. Les cas signalés à la lumière de la définition du «prisonnier politique» donnée par l’Assemblée

59. La Résolution 1900 (2012) de l’Assemblée définit le «prisonnier politique» comme suit:
«Une personne privée de sa liberté individuelle doit être considérée comme un “prisonnier politique”:
a. si la détention a été imposée en violation de l’une des garanties fondamentales énoncées dans la Convention européenne des droits de l’homme et ses protocoles, en particulier la liberté de pensée, de conscience et de religion, la liberté d’expression et d’information et la liberté de réunion et d’association;
b. si la détention a été imposée pour des raisons purement politiques sans rapport avec une infraction, quelle qu’elle soit;
c. si, pour des raisons politiques, la durée de la détention ou ses conditions sont manifestement disproportionnées par rapport à l’infraction dont la personne a été reconnue coupable ou qu’elle est présumée avoir commise;
d. si, pour des raisons politiques, la personne est détenue dans des conditions créant une discrimination par rapport à d’autres personnes; ou,
e. si la détention est l’aboutissement d’une procédure qui était manifestement entachée d’irrégularités et que cela semble être lié aux motivations politiques des autorités».
60. Cette définition est le résultat de travaux menés en 2001 par les experts indépendants du Secrétaire Général sur des cas de prisonniers politiques en Arménie et en Azerbaïdjan, à la suite de l’engagement pris par ces deux pays au moment de leur adhésion au Conseil de l’Europe de libérer tous les prisonniers politiques 
			(69) 
			Voir «Addendum au rapport
des experts indépendants», SG/Inf (2001)34 Addendum partie I, 24 octobre
2001.. Depuis l’adoption de la Résolution 1900 (2012), cette définition a été utilisée de manière systématique par l’Assemblée, notamment dans la Résolution 2231 (2018) «Les ressortissants ukrainiens détenus par la Fédération de Russie en tant que prisonniers politiques» et dans la Résolution 2322 (2020) «Les cas signalés de prisonniers politiques en Azerbaïdjan». Elle a également été entérinée par l’Assemblée parlementaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe dans la Déclaration de Bakou de 2014 et constitue une référence pour le travail de la société civile dans de nombreux pays 
			(70) 
			Voir par exemple «Europe
without political prisoners», document de travail établi pour une
conférence tenue à Berlin en 2014, Comité Helsinki de Norvège /
Initiative européenne pour la stabilité, 31 mai 2014.. Il importe de rappeler que toutes les formes et durées de privation de liberté, qu’il s’agisse d’un emprisonnement après une condamnation, d’une détention provisoire, d’une détention administrative ou encore d’une assignation à résidence, peuvent relever de la définition de «prisonnier politique».
61. Les arrêts de la Cour mentionnés ci-dessus ne précisent pas expressément que les requérants étaient des prisonniers politiques, puisque cette notion ne figure pas dans la Convention et que la définition de l’Assemblée ne lie pas la Cour. Cependant, il est clair que les arrêts de la Cour qui constatent une violation de l’article 18 reprennent un ou plusieurs des motifs énoncés dans la Résolution 1900. Dans les deux arrêts Navalnyy (rendus en 2018 et 2019) où elle a conclu à une violation de l’article 18, la Cour a considéré que les restrictions imposées aux droits à la liberté et à la liberté de réunion de M. Navalny avaient pour but inavoué de supprimer le pluralisme politique. Elle a tenu compte du «contexte plus général des initiatives prises par les autorités russes […] afin d’exercer une mainmise sur l’activité politique de l’opposition», ce qui revient à reconnaître l’existence d’un problème bien plus large que celui de la seule répression ciblée contre M. Navalny. Elle a également évoqué une tendance continue à mettre en place de nouvelles restrictions dans le régime légal de la liberté de réunion, notamment la responsabilité pénale pour les infractions en la matière, et a appelé à prendre des mesures générales législatives ou autres pour prévenir des violations similaires à l’avenir (en vertu de l’article 46) 
			(71) 
			Paragraphes 182 à 186
de l’arrêt de 2018..
62. Il convient de garder ce contexte à l’esprit lorsqu’on examine les nombreux autres arrêts de la Cour qui constatent des violations du droit à la liberté, du droit à un procès équitable, de la liberté d’expression ou de la liberté de réunion, mais sans chercher à établir ni conclure à une violation de l’article 18. En fait, l’article 18 de la Convention fixe un seuil élevé qui ne doit pas nécessairement être atteint dans chaque cas pour répondre à la définition du «prisonnier politique» adoptée par l’Assemblée. Cet article est rarement invoqué par les requérants et lorsque c’est le cas, la Cour peut estimer inutile de l’examiner après la constatation principale d’une violation du droit matériel (arrêt Navalnyy et Gunko). Il convient par ailleurs de noter qu’en principe, l’article 18 ne peut être examiné conjointement avec les articles 6 (droit à un procès équitable) et 7 (principe de légalité), selon la jurisprudence de la Cour (arrêt Navalnyye), mais seulement avec les droits qui comportent des clauses explicites de restriction. Quoi qu’il en soit, il est évident que nombre de ces arrêts font référence à un ou plusieurs des motifs de la résolution: détention en violation de la liberté d’expression ou de la liberté de réunion (Frumkin; Yaroslav Belousov) et/ou détention résultant d’une procédure manifestement entachée d’irrégularités et apparemment liée aux motivations politiques des autorités (NavalnyyetOfitserov).
63. En ce qui concerne les cas susmentionnés qui ont été examinés par l’Assemblée et ses rapporteurs ou par la Commissaire, la plupart d’entre eux sont également susceptibles de satisfaire à un ou plusieurs des critères énoncés dans la Résolution 1900 (2012). Par exemple, les personnes qui ont été arrêtées pour avoir manifesté contre la guerre actuelle en Ukraine (notamment Oleg Orlov, Svetlana Gannushkina et plus de 13 000 manifestants pacifiques) ont été détenues en violation de leur droit à la liberté de réunion pacifique. Il en va de même pour M. Kara-Murza, actuellement incarcéré et qui encourt des poursuites pour avoir diffusé «délibérément de fausses informations» sur l’armée russe, en violation de son droit à la liberté d’expression. Les nouvelles mesures répressives visant à réduire au silence toute opposition à la guerre ont été précédées par l’instauration, ces dernières années, d’un certain nombre de lois restrictives, notamment la loi sur les «agents étrangers», la loi sur les «organisations indésirables» et la loi sur l’«extrémisme», qui toutes ont contribué à la persécution systématique des opposants politiques, des journalistes, des défenseurs des droits de l’homme et des militants de la société civile. Il est clair que cet ensemble de lois, manifestement incompatible avec la Convention européenne des droits de l’homme et d’autres normes internationales des droits de l’homme 
			(72) 
			Voir,
par exemple, l’Avis CDL-AD(2021)027 de la Commission de Venise sur
la compatibilité avec les normes internationales en matière de droits
de l’homme d’une série de projets de loi présentés à la Douma d’État
Russe entre le 10 et 23 novembre 2020, en vue de modifier la législation
qui vise les «agents étrangers»., a été utilisé pour restreindre les droits fondamentaux élémentaires à des fins purement politiques.

7. Conclusions et propositions

64. Les affaires mentionnées ci-dessus ne représentent que les cas les plus importants qui ont été traités par divers organes du Conseil de l’Europe. Elles n’en sont pas moins frappantes par leur nombre impressionnant et par la répression systématique qu’elles révèlent à l’encontre de tous les opposants des autorités en place. Elles doivent donc être appréhendées dans un contexte de répression croissante des opposants politiques ces dernières années ou, comme la Cour l’a formulé dans ses arrêts rendus sur le terrain de l’article 18, dans le «contexte plus général des initiatives prises par les autorités russes […] afin d’exercer une mainmise sur l’activité politique de l’opposition».
65. Bien que la Fédération de Russie ait été exclue du Conseil de l’Europe le 16 mars 2022, tant l’Assemblée que le Comité des Ministres ont clairement fait savoir que le Conseil de l’Europe devait continuer à soutenir les défenseurs des droits de l’homme, les forces démocratiques, les médias libres et la société civile indépendante en Fédération de Russie et à s’engager à leurs côtés. Ce soutien doit se traduire par la condamnation ferme de la détention de centaines de personnes qui relèvent ou sont susceptibles de relever de la définition du «prisonnier politique» donnée par l’Assemblée, et par un appel à leur libération ou, tout au moins, à un réexamen de leur cas. Cela devrait s’appliquer à tous les prisonniers inscrits sur les listes de Memorial, qui doivent être considérés comme des prisonniers politiques selon notre définition.
66. L’Assemblée doit également rappeler que la Fédération de Russie est toujours liée par la Convention européenne des droits de l’homme jusqu’au 16 septembre 2022 et qu’elle est tenue d’exécuter pleinement les arrêts de la Cour (ceux qui ont déjà été rendus et ceux à venir) relatifs aux personnes qui sont toujours détenues sur le fondement d’accusations à caractère politique, en adoptant les mesures individuelles et générales nécessaires, en particulier dans les cas les plus flagrants, comme ceux de M. Navalny et de M. Pichugin. La Fédération de Russie doit également coopérer avec le Comité européen de prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) tant qu’elle reste partie à la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (STE no 126). Le CPT doit pouvoir rendre visite à ces prisonniers et contrôler leurs conditions de détention en attendant leur libération ou le réexamen de leur cas.
67. L’Assemblée doit par ailleurs appeler les autorités russes à mettre en œuvre les recommandations formulées par les autres organisations internationales dont la Fédération de Russie reste membre, comme les Nations Unies (et ses organes conventionnels tels que le Comité des droits de l’homme, qui sont compétents pour traiter les requêtes individuelles contre la Fédération de Russie) et l’OSCE. L’Assemblée doit continuer à rappeler aux autorités russes leurs obligations internationales en matière de droits de l’homme.
68. L’Assemblée doit aussi inviter les États membres et observateurs du Conseil de l’Europe à mettre en place des dispositifs qui facilitent l’octroi de visas et à examiner les demandes d’asile d’anciens prisonniers politiques ou de dirigeants de l’opposition russe menacés, de militants de la société civile, de journalistes et de défenseurs des droits de l’homme qui doivent quitter la Russie. De leur côté, les États membres et observateurs doivent désormais refuser toute demande d’extradition de ressortissants russes pour des infractions qui pourraient être considérées comme motivées par des considérations politiques, et Interpol doit examiner très attentivement toute demande de notice rouge émanant du Bureau central national russe qui pourrait reposer sur des motifs politiques.
69. Enfin, l’Assemblée doit inviter l’Union européenne à renforcer encore les sanctions économiques à l’encontre de la Fédération de Russie, de ses dirigeants et de ses agents en raison de leur implication et de leur responsabilité dans la persécution des opposants politiques et dans le maintien en détention de prisonniers politiques, en particulier M. Alexeï Navalny.
70. Les États membres qui ont adopté une «loi Magnitski» – qui leur permet d’infliger des sanctions ciblées aux auteurs de violations des droits de l’homme bénéficiant d’une impunité – devraient utiliser cette loi pour imposer des sanctions ciblées à tous ceux qui, en qualité de policiers, procureurs, juges, agents pénitentiaires ou dans l’exercice de toute autre fonction, ont contribué à la privation illégale de liberté des prisonniers politiques ou aux mauvais traitements qu’ils subissent en détention. Les États membres qui n’ont pas encore adopté une telle loi devraient envisager de le faire, conformément à la résolution de l’Assemblée à cet égard 
			(73) 
			Résolution 2252 (2019) «Lutter contre l’impunité par la prise de sanctions
ciblées dans l’affaire Sergueï Magnitski et les situations analogues»..
71. Enfin et surtout, l’Assemblée doit encourager les Etats membres à commémorer, le 30 octobre de chaque année, la Journée internationale des prisonniers politiques 
			(74) 
			Voir
par exemple: <a href='https://humanrightshouse.org/articles/the-day-of-political-prisoners/'>https://humanrightshouse.org/articles/the-day-of-political-prisoners/</a>., pour tous ceux qui sont encore emprisonnés pour des raisons politiques. Comme l’a si bien dit Vladimir Kara-Murza lors de l’audition du 4 avril 2022, juste avant d’être lui-même arrêté: ce que les prisonniers politiques redoutent le plus, c’est d’être oubliés. Nous ne devons en aucun cas les oublier et nous devons continuer à faire pression pour leur libération.
72. À la lumière de ce qui précède, je propose une série de recommandations, énoncées dans le projet de résolution et le projet de recommandation ci-joints.