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Rapport | Doc. 15631 | 11 octobre 2022

Nouvelle escalade dans l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : M. Emanuelis ZINGERIS, Lituanie, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Décision du Bureau, Renvoi 4662 du 10 octobre 2022. 2022 - Quatrième partie de session

Résumé

L'agression à grande échelle de la Fédération de Russie contre l’Ukraine continue de provoquer d'immenses souffrances, des destructions et des déplacements de population à un niveau jamais atteint en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.

Ces dernières semaines, la Fédération de Russie a pris des mesures politiques, militaires et rhétoriques qui témoignent d’une nouvelle escalade de l'agression. Elle a organisé des prétendus référendums dans les zones occupées en violation du droit international, a revendiqué illégalement l'annexion de ces territoires, et a multiplié les menaces de guerre nucléaire. Ces événements ont suivi l'intensification de l'utilisation sans discernement par la Russie de l'artillerie à longue portée pour cibler les villes et villages d'Ukraine.

Cette escalade s'est exercée dans un contexte de répression continue et de tensions croissantes à l'intérieur de la Fédération de Russie, exacerbées par l'annonce par le Président Poutine d'une mobilisation partielle le 21 septembre 2022. Á travers ses actions à l'étranger et à l'intérieur du pays, la Fédération de Russie vise à provoquer un état de terreur dans le grand public à des fins politiques.

L'Assemblée parlementaire condamne fermement la récente escalade, réaffirme son ferme soutien à la souveraineté, à l'indépendance et à l'intégrité territoriale de l'Ukraine dans ses frontières internationalement reconnues, et exhorte les États membres à garantir un système global de responsabilité pour les violations graves du droit international découlant de l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Résolution
adoptée à l’unanimité par la commission le 11 octobre 2022.

(open)
1. Huit mois se sont écoulés depuis que la Fédération de Russie a lancé une invasion à grande échelle de l’Ukraine. Cette agression brutale et inhumaine provoque des souffrances, des destructions et des déplacements de très grande ampleur, atteignant un degré jamais observé en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Elle doit être condamnée sans équivoque comme constituant un crime en soi, une violation du droit international et une menace majeure pour la paix et la sécurité internationales.
2. Au cours des dernières semaines, la Fédération de Russie a pris des mesures politiques, militaires et rhétoriques témoignent d’une nouvelle escalade de l’agression. Émaillés de manœuvres d’intimidation flagrantes des électeurs et organisés sur les lignes de front d’un conflit armé en cours, les prétendus référendums qui se sont tenus dans les régions ukrainiennes de Donetsk, Kherson, Lougansk et Zaporijia entre le 23 et le 27 septembre 2022 sont une mascarade, qui porte atteinte au droit international et contrevient à toutes les normes de fond et de procédure applicables à la conduite de référendums. Ils doivent être considérés comme nuls et non avenus et dénués d’effets juridiques ou politiques.
3. De la même manière, la tentative d’annexion de ces régions par la Fédération de Russie constitue un affront au droit international. L’Assemblée parlementaire condamne fermement cette tentative manifeste de rattachement par la force et la contrainte d’un territoire appartenant à un autre État souverain et réaffirme son soutien résolu à la souveraineté, à l’indépendance et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine dans ses frontières internationalement reconnues. L'Assemblée rappelle que la Douma russe avait voté en faveur de l'invasion et de l'annexion de la Crimée, et note avec une grande inquiétude qu'elle a également validé ces tentatives d'annexion illégales plus récentes. Cela démontre une fois de plus que la Douma russe ne peut pas être traitée comme un partenaire égal parmi les parlements libres et équitablement élus des pays démocratiques.
4. Tout en poursuivant l’occupation illégale et la militarisation de la centrale de Zaporijia, les dirigeants de la Fédération de Russie ont multiplié les menaces de guerre nucléaire. En plus d’être odieuses et inconsidérées, ces menaces sont contraires au droit international et incompatibles avec les responsabilités qui incombent à une puissance nucléaire disposant d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies.
5. La situation humanitaire en Ukraine reste désastreuse. Près de 5 800 civils seraient morts selon les estimations et un tiers des Ukrainiens ont été contraints de quitter leur foyer depuis le 24 février 2022. Les prisonniers de guerre détenus par les forces armées de la Fédération de Russie ou par des groupes armés affiliés subissent des tortures et des mauvais traitements et, dans certains cas, sont jugés et condamnés à mort, ce qui contrevient clairement au droit international humanitaire. L’Assemblée est indignée par la découverte de fosses communes dans des villes, grandes et petites, libérées par les forces ukrainiennes et condamne fermement tous les crimes de guerre.
6. La poursuite du recours à de l’artillerie à longue portée par l’armée russe pour frapper des villes dans toute l’Ukraine a provoqué des destructions massives et un grand nombre de morts. Le 10 octobre 2022, une série de tirs barbares de missiles a été lancée sur plusieurs villes ukrainiennes, frappant des parcs publics, des aires de jeux et des bâtiments résidentiels. Par ces attaques aveugles, la Russie entend faire progresser sa politique terroriste visant à supprimer la volonté des Ukrainien·ne·s de résister et de défendre leur pays et à causer un maximum de dommages aux civils. Le rôle du régime illégitime de Loukachenko dans l'aide à l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine ne doit pas être oublié. L'annonce récente du déploiement de troupes du Bélarus aux côtés de troupes russes est très préoccupante et doit être largement condamnée.
7. Pendant ce temps, un climat de répression croissante s’installe en Fédération de Russie. Les autorités ont engagé une campagne à grande échelle de répression des libertés civiles reposant sur des actions d’intimidation et de persécution ouverte dans le but de faire régner la terreur dans la population à des fins politiques. Des personnalités démocratiques sont réprimées ou tuées, le système des partis d'opposition a été détruit, le système judiciaire n'est pas indépendant et de nombreux médias et organisations de la société civile, comme Memorial International, ont été fermés. Malgré les nombreuses mesures draconiennes adoptées ces dernières années, des manifestations et des mouvements de protestation contre la guerre ont éclaté dans tout le pays. Parmi les personnalités publiques les plus éminentes persécutées pour avoir formulé des critiques contre la guerre figure Vladimir Kara-Mourza, qui est détenu depuis avril 2022. Le 10 octobre 2022, l’Assemblée a eu l’honneur de décerner à M. Kara-Mourza le Prix Václav Havel 2022, lui témoignant ainsi son soutien pour son courage et sa détermination à créer une Russie pacifique et démocratique.
8. L’annonce par le Président Poutine d’une mobilisation partielle le 21 septembre 2022 constitue un nouveau signe d’escalade, qui a engendré des tensions dans le pays. Des manifestations devant les centres de recrutement ont parfois donné lieu à des violences, et des centaines de milliers d’hommes russes ont tenté de fuir le pays pour échapper à un éventuel appel sous les drapeaux. L’Assemblée est vivement préoccupée par les efforts apparemment délibérés des autorités russes pour axer de manière disproportionnée leur campagne de mobilisation sur les groupes ethniques minoritaires, notamment la population du Daghestan et les Tatars de Crimée qui sont mobilisés dans les territoires ukrainiens temporairement occupés par la Russie. Il est également inacceptable que des détenus de toute la Russie soient envoyés pour combattre en Ukraine.
9. Le déclenchement d’une guerre d’agression par un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies représente un défi pour la gouvernance mondiale. L’Assemblée regrette profondément que, le 30 septembre 2022, le Conseil de sécurité des Nations Unies n’ait pas été en mesure d’adopter une résolution condamnant les récents référendums en raison du veto posé par la Fédération de Russie, alors qu’aucune autre voix n’avait été exprimée contre ce texte. Dans ce contexte, l’Assemblée relève que l’idée d’une réforme du Conseil de sécurité des Nations Unies bénéficie d’un soutien croissant et se déclare favorable à un renforcement du rôle de l’Assemblée générale des Nations Unies, notamment en ce qui concerne les questions relatives au maintien de la paix et de la sécurité internationales.
10. L’Assemblée exprime de nouveau son plein soutien à l’Ukraine et souligne qu’il est important que les membres de la communauté internationale travaillent ensemble pour le rétablissement du pays et en faveur d’un avenir pacifique et prospère à long terme. Dans le même temps, l’Assemblée appelle à la mise en place d’un système global pour que la Fédération de Russie et ses dirigeants soient tenus de rendre des comptes pour cette agression et pour les atteintes aux droits humains internationaux et au droit humanitaire international commises dans ce contexte.
11. Compte tenu de ce qui précède, tout en renouvelant ses résolutions et recommandations pertinentes adoptées depuis le début de l’agression à grande échelle, l’Assemblée appelle les États membres du Conseil de l’Europe:
11.1. à réaffirmer leur soutien indéfectible à l’indépendance, à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine dans ses frontières internationalement reconnues;
11.2. à condamner sans équivoque les prétendus référendums tenus dans les régions ukrainiennes de Lougansk, Donetsk, Zaporijia et Kherson entre le 23 et le 27 septembre 2022 et à ne leur reconnaître aucun effet;
11.3. à condamner la tentative d’annexion des régions de Lougansk, Donetsk, Zaporijia et Kherson par la Fédération de Russie comme une violation du droit international et une menace majeure pour la paix et la sécurité internationales, et à ne leur reconnaître aucun effet;
11.4. à être fermes et unis pour exercer une pression maximale sur la Fédération de Russie afin qu’elle cesse son agression immédiatement;
11.5. à soutenir financièrement la reconstruction de l’Ukraine;
11.6. à mettre en place un système complet de responsabilité pour les violations graves du droit international résultant de l’agression menée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine en coopérant activement avec les autorités ukrainiennes sur cette question et, dans ce contexte:
11.6.1. à accélérer la création d’un tribunal international spécial (ad hoc) afin d’engager des poursuites pour le crime d’agression contre l’Ukraine;
11.6.2. à créer un système pour examiner les mesures qui permettraient de garantir que les auteurs répondent de leurs actes;
11.6.3. à établir un mécanisme international complet d’indemnisation comprenant un registre international des dommages et à coopérer activement avec les autorités ukrainiennes sur cette question.
12. Étant donné la gravité sans précédent de l’agression menée par la Fédération de Russie en tant que menace pour la paix et la sécurité internationales, l’ordre international fondé sur des règles, le droit international et les valeurs les plus fondamentales sur lesquelles est bâti le Conseil de l’Europe, l’Assemblée appelle les chefs d’État et de gouvernement des États membres du Conseil de l’Europe à se réunir dans le cadre du quatrième Sommet de l’histoire de l’Organisation et à inscrire en priorité à l’ordre du jour la question de la responsabilité de la Fédération de Russie, ainsi que celle du soutien à l’Ukraine.
13. En outre, tout en réaffirmant les recommandations qu’elle a précédemment adressées à la Fédération de Russie depuis le lancement de son agression contre l’Ukraine, l’Assemblée appelle la Fédération de Russie:
13.1. à cesser son agression de l’Ukraine immédiatement et sans condition;
13.2. à retirer complètement et sans condition ses forces d’occupation, y compris ses troupes et ses alliés, du territoire ukrainien dans ses frontières internationalement reconnues;
13.3. à retirer ses troupes du territoire de la Géorgie et de la République de Moldova;
13.4. à respecter strictement les obligations qui lui incombent en vertu du droit international, du droit international des droits humains et du droit international humanitaire, notamment en ce qui concerne le traitement des prisonniers de guerre;
13.5. à mettre fin immédiatement aux attaques contre des civils, notamment aux attaques aveugles contre des zones peuplées, aux assassinats et aux enlèvements ciblés, à la torture ainsi qu’aux viols et aux violences sexuelles, et à mener des enquêtes sur toutes les allégations de tels crimes;
13.6. à se retirer totalement de toutes les installations nucléaires ukrainiennes, à cesser d’en faire la cible de toute activité militaire et à s’en abstenir à l’avenir, et à coopérer pleinement avec l’Agence internationale de l’énergie atomique pour garantir la sûreté et la sécurité de ces installations;
13.7. à cesser de menacer de faire usage d’armes nucléaires et à s’engager à ne pas y recourir;
13.8. à cesser d'utiliser l'énergie comme outil de chantage;
13.9. à cesser de soutenir les attaques de piratage contre les pays démocratiques et leurs institutions;
13.10. à cesser d'interférer dans les processus électoraux et à s'abstenir de financer les activités anti-européennes des partis et mouvements extrémistes pro-russes dans les pays démocratiques;
13.11. à coopérer aux enquêtes et aux procédures mises en place par la Cour pénale internationale et la Cour internationale de justice et à se conformer aux décisions de ces dernières;
13.12. à coopérer avec les organes conventionnels des Nations Unies, en leur soumettant des rapports et des informations lorsqu’ils le demandent, en autorisant les visites dans le pays et en se conformant à leurs recommandations;
13.13. à coopérer avec la commission d’enquête sur l’Ukraine et le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Russie, qui ont été mis en place par le Conseil des droits de l’homme, et à se conformer à leurs recommandations;
13.14. à se conformer aux recommandations formulées dans le cadre du Mécanisme de Moscou de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et établies dans les rapports de l’OSCE sur les violations du droit international humanitaire et des droits humains, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis en Ukraine (1er avril-25 juin 2022) et sur les pratiques juridiques et administratives de la Russie;
13.15. à coopérer aux procédures engagées devant la Cour européenne des droits de l’homme et à exécuter les arrêts en suspens et ceux que la Cour rendra concernant les actes commis avant le 16 septembre 2022;
13.16. à prendre sans tarder des mesures générales effectives pour traiter les problèmes structurels et systémiques recensés par la Cour européenne des droits de l’homme et par le Comité des Ministres en matière de liberté de réunion, de liberté d’expression et de droit à la liberté en Fédération de Russie, notamment en abrogeant ou en modifiant les lois qui n’ont fait qu’exacerber ces problèmes – y compris les lois sur les «agents étrangers», sur les «organisations indésirables», sur l’«extrémisme» et les «fausses informations sur l’armée russe»;
13.17. à coopérer avec le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) aussi longtemps que la Fédération de Russie reste partie à la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (STE no 126), et à autoriser le suivi de l’état de santé et des conditions de détention des prisonniers politiques signalés en attendant leur libération ou le réexamen de leur cas.
14. L'Assemblée demande à l'OSCE de continuer à évaluer, par le biais du Mécanisme de Moscou ou d'autres outils appropriés, les violations du droit international humanitaire et des droits humains, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité commis en Ukraine; la situation des droits humains dans la Fédération de Russie; et l'agression de la Fédération de Russie contre la Géorgie et la République de Moldova.
15. Compte tenu de la gravité de la situation internationale, l'Assemblée appelle les organisations internationales à envisager les mesures appropriées pour éviter que le régime russe utilise le personnel de nationalité russe comme un vecteur pour soutenir l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine, diffuser de fausses informations et des récits russes à son sujet et influencer les décisions politiques de ces organisations.
16. En ce qui concerne ses propres travaux, l’Assemblée devrait continuer à suivre l’évolution de la situation en ce qui concerne l’agression menée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine.

B. Exposé des motifs de M. Emanuelis Zingeris, rapporteur

(open)

1. Origine du rapport, portée et procédure

1. Le présent rapport a été élaboré pour un débat selon la procédure d’urgence, conformément à l’article 51 du Règlement de l’Assemblée parlementaire. En raison du peu de temps disponible pour sa préparation, il ne couvre que quelques faits récents, mais très significatifs, de l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine. Un certain nombre d’autres rapports, qui sont en cours de préparation au sein de différentes commissions de l’Assemblée selon la procédure ordinaire, approfondiront des sujets que je ne pourrai mentionner que brièvement dans le cadre de ce travail mais qui méritent un examen attentif.

2. Introduction

2. Plus de huit mois après le début de l’agression brutale, illégale, injustifiée et injustifiable à grande échelle commise par la Fédération de Russie, le peuple ukrainien reste fermement résolu à se défendre et à libérer son pays de l’envahisseur.
3. De leur côté, face à cette menace majeure pour la paix et la sécurité, les autres États européens font front commun, unis par leurs valeurs communes, et restent déterminés à ne pas laisser l’agresseur l’emporter. Ils soutiennent l’Ukraine dans son droit à l’autodéfense, accueillent les Ukrainiens qui fuient pour se mettre à l’abri, et s’engagent à investir dans la reconstruction du pays. Ils manifestent leur attachement à un multilatéralisme fondé sur des règles. Par ailleurs, ils prennent des mesures afin de garantir leur indépendance vis-à-vis de la Fédération de Russie dans le secteur stratégique de l’énergie et de veiller à ce que cette dernière soit tenue de rendre des comptes pour ses crimes et violations du droit international.
4. Au fur et à mesure que la guerre d’agression se poursuit, la Fédération de Russie prend des mesures militaires, politiques et rhétoriques qui conduisent à une recrudescence de la violence et risquent d’élargir le conflit. La tentative d’annexion illégale de quatre régions d’Ukraine faite par la Fédération de Russie en recourant à de prétendus référendums constitue une nouvelle violation grave de la Charte des Nations Unies. Alors qu’ils décrètent une mobilisation militaire partielle et intensifient la répression interne, sur la scène internationale, les dirigeants russes durcissent leur rhétorique hostile à l’égard de ce qu’ils nomment «l’Occident», laissent entendre que le recours aux armes nucléaires est une possibilité, appellent à un nouvel ordre international et s’efforcent de consolider leurs liens avec des pays comme le Bélarus, la Chine, l’Iran, la Corée du Nord et la Syrie.
5. L’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine a des conséquences politiques d’envergure mondiale. Malheureusement, ayant un droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU, l’agresseur, est également en mesure de bloquer toute action de ce dernier visant à préserver la paix et la sécurité. L’unité des États partageant les mêmes idées, qui chérissent la paix et qui soutiennent le multilatéralisme fondé sur des règles, est plus que jamais nécessaire à ce moment dangereux de l’histoire.

3. La situation sur le terrain

3.1. Évolution sur le plan militaire

6. Après la période de relative impasse militaire qui a marqué la fin du printemps et le début de l’été, la donne a considérablement changé au cours des deux derniers mois. L’Ukraine a lancé des opérations de contre-offensive dans le sud du pays fin août, puis dans le nord-est début septembre. Le 13 septembre, le Président Zelensky a déclaré que les forces ukrainiennes avaient repris environ 8 000 kilomètres carrés de territoire aux forces russes.
7. En octobre, les troupes russes se sont retirées de la ville stratégique de Lyman située dans l’est du pays, qu’elles avaient transformée en plaque-tournante logistique, tandis que les forces ukrainiennes ont libéré de nombreux villages dans les régions de Kherson, Donetsk et Lougansk; cette dernière était, jusqu’à récemment, presque totalement sous contrôle russe. Les correspondants de guerre russes ont évoqué des «reculs catastrophiques» dans l’est, et les journalistes ont recueilli des témoignages faisant état de milices tchétchènes tirant sur des soldats russes qui fuyaient le front.
8. À mesure qu’elles perdent du terrain, les forces russes ont de plus en plus recours à l’artillerie à longue portée pour tuer et semer la panique dans les villes et villages ukrainiens, parfois très éloignés des lignes de front. Nikopol, Zaporijia, Mykolaïev et Beryslav, notamment, ont fait l’objet de multiples tirs de roquettes visant des zones résidentielles au cours des premières semaines d’octobre, l’armée ukrainienne évoquant l’utilisation de drones kamikazes de fabrication iranienne en complément de l’artillerie plus traditionnelle. Les troupes russes qui battent en retraite ont également tenté de détruire des ponts et des points de passage afin de ralentir la progression des forces ukrainiennes.
9. A la faveur d’un nouveau revers militaire majeur pour Moscou, la péninsule de Crimée, illégalement occupée, a subi plusieurs attaques au cours des derniers mois. En août, une série de déflagrations a détruit plusieurs avions de combat dans une base militaire russe en Crimée. Une semaine plus tard, de fortes explosions ont frappé un dépôt de munitions, les autorités ukrainiennes affirmant qu’elles étaient l’œuvre d’une unité d’élite de l’armée opérant derrière les lignes ennemies. Le 8 octobre, une explosion a partiellement détruit le pont lourdement gardé reliant la Russie à la Crimée qui, en plus d’être un symbole important de l’occupation russe, a servi de lien logistique essentiel aux troupes russes dans le sud de l’Ukraine.
10. Le 10 octobre, des explosions ont frappé la capitale Kiev lors de la série de tirs de missiles russes la plus étendue, la plus aveugle et la plus barbare depuis les premières semaines de l’agression, ainsi que de nombreuses autres villes du pays, dont Lviv, Dnipro et Zaporijia, tuant des dizaines de civils et endommageant les infrastructures civiles.

3.2. Souffrances humaines et dévastations matérielles

11. Les Nations Unies ont corroboré 14 059 pertes civiles à ce jour depuis le début de la dernière agression en février, dont 5 767 personnes tuées et 8 292 blessées, mais les chiffres réels sont probablement beaucoup plus élevés 
			(2) 
			<a href='https://news.un.org/en/story/2022/09/1126391'>«Ukraine:
More than 14,000 casualties to date but ‘actual numbers are likely
considerably higher’»</a>, UN News, 9 septembre
2022 (en anglais seulement).. Un tiers des Ukrainiens ont été contraints de quitter leur foyer, soit près de sept millions de personnes déplacées dans le pays même et un nombre similaire de personnes ayant cherché refuge à l’étranger 
			(3) 
			<a href='http://www.unhcr.org/ua/en/internally-displaced-persons'>«Internally
Displaced Persons (IDP)»,</a> HCR, (en anglais seulement)..
12. L’armée russe a continué d’utiliser de l’artillerie à longue portée afin de frapper des centres résidentiels habités dans les villes d’Ukraine, même loin du champ de bataille, causant des destructions et un nombre élevé de morts parmi les civils. Les destructions provoquées par l’agression russe auront également d’énormes conséquences financières. Selon une étude de l’École d’économie de Kiev, au mois d’août, l’agression avait causé $108,3 milliards de dommages aux infrastructures du pays 
			(4) 
			<a href='https://www.forbes.com/sites/madelinehalpert/2022/08/02/war-has-caused-108-billion-in-damage-to-ukraines-infrastructure-study-finds/?sh=1467097823e5'>«War
Has Caused $108 Billion In Damage To Ukraine’s Infrastructure, Study
Finds</a>», Forbes, 2 août
2022 (en anglais seulement).. D’autres rapports basés sur des données publiques estiment le total à $114,5 milliards 
			(5) 
			<a href='https://www.statista.com/statistics/1303344/ukraine-infrastructure-war-damage/'>www.statista.com/statistics/1303344/ukraine-infrastructure-war-damage/</a> (en anglais seulement)..
13. La découverte de fosses communes dans les villes et villages libérés a suscité l’indignation quant aux crimes de guerre commis par les forces russes d’occupation. Plus récemment, un site d’enterrement collectif contenant environ 440 corps a été découvert à Izyoum après la libération de cette ville fin septembre, et lors de la libération de Lyman début octobre, les forces ukrainiennes ont trouvé deux fosses communes, l’une d’entre elles contenant sans doute environ 200 civils.
14. Dans son récent «mémorandum sur les conséquences de la guerre en Ukraine en matière de droits humains» 
			(6) 
			La Commissaire publie
son <a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/the-commissioner-publishes-her-memorandum-on-the-human-rights-consequences-of-the-war-in-ukraine'>mémorandum</a> sur les conséquences de la guerre en Ukraine en matière
de droits humains, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil
de l’Europe, 8 juillet 2022., la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe brosse un tableau sombre des effets dévastateurs et de grande ampleur du conflit. L’agression «a donné lieu à des violations graves et massives des droits humains et du droit international humanitaire, avec des effets désastreux sur l’exercice de pratiquement tous les droits humains par la population en Ukraine». La Commissaire écrit avoir été confrontée à des schémas incontestables de violations du droit à la vie commises par les troupes russes, notamment des exécutions arbitraires et des disparitions forcées; des violations du droit à la propriété, dont la destruction massive d’infrastructures civiles; des cas de torture et de mauvais traitements, de violence fondée sur le genre et de violence sexuelle en temps de guerre; et de violations du droit à la liberté et à la sécurité, dont des enlèvements et des détentions arbitraires ou au secret.
15. Ce sombre aperçu est confirmé par le deuxième rapport du Mécanisme de Moscou sur l’Ukraine, publié le 14 juillet 2022, qui a souligné «l’ampleur et la fréquence des attaques aveugles menées contre des civils et des biens civils, y compris des sites où aucune installation militaire n’avait été identifiée». Le rapport a souligné «des preuves crédibles que les hostilités ont été menées par les forces armées russes au mépris de leur obligation première de respecter les principes essentiels de distinction, de proportionnalité et de précaution qui constituent le fondement du droit international humanitaire» 
			(7) 
			<a href='https://www.osce.org/odihr/522616'>Rapport</a> de la mission d’experts du Mécanisme de Moscou de l’OSCE
intitulé «Report on Violations of International Humanitarian and
Human Rights Law, War Crimes and Crimes Against Humanity Committed
in Ukraine (1 April-25 June 2022)», OSCE, 14 juillet 2022 (en anglais
seulement)..
16. L'utilisation par les autorités russes de mercenaires payés pour combattre en Ukraine, y compris ceux du groupe Wagner, qui ont déjà été largement utilisés dans des conflits par procuration en Afrique et au Moyen-Orient pour répandre la terreur parmi les populations civiles, contribue également à cette situation humanitaire ignoble. L'organisation paramilitaire tchétchène d'Akhmad-Khadzhi Kadyrov est également déployée en Ukraine.
17. La Mission de surveillance des droits de l’homme des Nations Unies en Ukraine a documenté une série de violations à l’encontre des prisonniers de guerre détenus par les forces armées de la Fédération de Russie ou par des groupes armés affiliés, y compris la torture et les mauvais traitements, le manque de nourriture, d’eau, de soins de santé et d’assainissement adéquats. Malheureusement, alors que les observateurs des droits humains ont pu accéder sans entrave aux lieux d’internement et de détention dans le territoire contrôlé par l’Ukraine, la Russie n’a pas permis l’accès aux prisonniers de guerre détenus sur son territoire ou dans le territoire sous occupation 
			(8) 
			<a href='https://news.un.org/en/story/2022/09/1126391'>«Ukraine:
More than 14,000 casualties to date but ‘actual numbers are likely
considerably higher'</a>», UN News, 9 septembre 2022 (en anglais seulement).. Fin juillet, des dizaines de prisonniers de guerre ukrainiens ont été massacrés lors d’un tir de missile qui a touché un centre de détention dans l’est de l’Ukraine sous contrôle russe, dans ce que le Président Zelensky a qualifié d’attaque sous faux drapeau de la Russie.
18. Les prisonniers de guerre dans les zones contrôlées par la Russie sont jugés, poursuivis et même condamnés à mort pour avoir simplement participé aux hostilités en tant que combattants, en violation du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève. Il a également été signalé que des groupes armés soutenus par la Russie organisent des procès pour les prisonniers de guerre ukrainiens devant un prétendu «tribunal international» à Marioupol. Le droit humanitaire international interdit la création de tribunaux destinés uniquement à juger les prisonniers de guerre 
			(9) 
			<a href='https://www.amnesty.org/en/latest/news/2022/08/ukraine-russian-sham-trials-of-prisoners-of-war-in-mariupol-illegal-and-unacceptable/'>«Ukraine:
Russian sham trials of prisoners of war in Mariupol ‘illegal and
unacceptable’</a>», Amnesty International, 26 août 2022 (en anglais seulement).. En outre, les forces russes ont tenté de faire valoir que les ressortissants non ukrainiens qui combattent au sein des forces armées ukrainiennes ne sont pas protégés par le droit humanitaire international, ce qui est faux.
19. La destruction du patrimoine culturel de l’Ukraine est également utilisée comme arme de guerre. Ainsi que l’a récemment rappelé la vice-ministre ukrainienne de la Culture et de la Politique de l’information, Kateryna Tchuyeva, au Conseil de sécurité des Nations Unies, «le président russe, M. Poutine, a annoncé que la culture et l’identité ukrainiennes étaient la cible de cette guerre» 
			(10) 
			<a href='https://www.voanews.com/a/ukraine-s-cultural-heritage-under-attack-official-says/6661269.html'>«Ukraine's
Cultural Heritage Under Attack, Official Says», Voa News, 15 juillet
2022 (en anglais seulement). </a>. Son ministère a vérifié les dommages et la destruction d’au moins 423 objets et institutions du patrimoine culturel depuis le début de l’invasion en février. L’UNESCO a également condamné les attaques répétées contre les sites culturels ukrainiens tels que des édifices religieux, des bâtiments historiques, des centres culturels, des monuments, des musées et des bibliothèques 
			(11) 
			<a href='https://www.unesco.org/fr/articles/ukraine-plus-de-150-sites-culturels-detruits-partiellement-ou-totalement'>«Ukraine:
plus de 150 sites culturels détruits partiellement ou totalement</a>», UNESCO, 23 juin 2022..

4. Les «référendums» illégaux

4.1. Une mascarade

20. Entre le 23 et le 27 septembre 2022, les autorités soutenues par la Russie ont organisé de prétendus référendums dans quatre régions de l’Ukraine partiellement occupées: Lougansk, Donetsk, Zaporijia et Kherson. La tenue du scrutin n’avait été annoncée que trois jours auparavant, le 20 septembre.
21. La raison d’être de ces pseudo-référendums organisés à la hâte était claire pour tous: servir de prétexte à l’annexion de ces régions par Moscou. Face à l’incapacité des troupes russes à maintenir leur emprise militaire sur les zones occupées, les dirigeants russes ont tenté de consolider leur occupation illégale en organisant un simulacre de processus électoral dépourvu de toute légitimité.
22. Le processus a été entaché de manœuvres d’intimidation flagrantes de la part des troupes russes. Les Ukrainiens ont indiqué que des soldats armés faisaient du porte-à-porte pour recueillir les votes, allant jusqu’à demander aux personnes de répondre, à voix haute, à la question posée par référendum, à des soldats chargés de consigner leur vote par écrit 
			(12) 
			<a href='https://www.bbc.com/news/world-europe-63013356'>«Ukraine
'referendums': Soldiers go door-to-door for votes in polls</a>», BBC News, 23
septembre 2022 (en anglais seulement).. Le gouverneur légitime de Lougansk, Serhiy Haidai, a déclaré que les forces d’occupation russes avaient mis sur pied des groupes armés afin d’encercler les maisons et de contraindre les habitants à participer au scrutin. Selon certaines informations, les habitants ont été menacés de perdre leur emploi s’ils ne prenaient pas part au vote et se sont même vu interdire de quitter la ville entre le 23 et le 27 septembre 
			(13) 
			<a href='https://www.corriere.it/esteri/diretta-live/22_settembre_23/ucraina-russia-news-guerra-7477471a-3aa2-11ed-b03d-1f9e636121b9.shtml'>«Ucraina
Russia, news sulla guerra del 23 settembre</a>», Correrie della Sera (Italien)..
23. Il ne faut pas perdre de vue le contexte plus large dans lequel s’est déroulé le vote: les quatre régions concernées étaient toutes situées sur la ligne de front et en proie à de violents combats. Au moment de ce prétendu scrutin, seuls 60 % environ de Donetsk étaient sous le contrôle des troupes russes, et la capitale de l’une des quatre régions, Zaporijia, était alors fermement tenue par les forces ukrainiennes, ce qui rend d’autant plus absurdes les affirmations selon lesquelles la région a choisi d’être rattachée à la Russie. Ivan Fedorov, le maire ukrainien de Melitopol, ville sous occupation russe, destitué de force, a déclaré qu’au moment de l’ouverture du scrutin le 23 septembre, les habitants ont entendu une forte explosion dans le centre de la ville et ont eu peur de sortir de chez eux 
			(14) 
			<a href='https://www.reuters.com/world/europe/russia-begin-annexation-votes-ukrainian-regions-2022-09-22/'>«Voting
begins in Russia's annexation plan for swathes of Ukraine</a>», Reuters, 23
septembre 2022 (en anglais seulement)..
24. Des responsables ukrainiens ont également souligné l’incohérence des chiffres sur les résultats du référendum communiqués par les responsables des forces d’occupation soutenues par la Russie, compte tenu du nombre de personnes ayant fui en raison du conflit armé. Le gouverneur légitime de Lougansk, Serhiy Haidai, a notamment indiqué que le nombre de votants revendiqué par les autorités soutenues par la Russie correspondait au nombre de personnes disposant du droit de vote dans la région en 2012, avant les déplacements massifs engendrés par le conflit qui a débuté en 2014 et l’invasion à grande échelle lancée au début de cette année 
			(15) 
			<a href='https://www.theguardian.com/world/2022/sep/28/zelenskiy-vows-to-defend-ukrainians-in-occupied-regions-as-referendum-results-announced'>«Zelenskiy
vows to defend Ukrainians in occupied regions as ‘referendum’ results
announced</a>», The Guardian, 28 septembre
2022 (en anglais seulement)..
25. Comme on pouvait s’y attendre, les autorités des quatre régions soutenues par la Russie ont annoncé des «victoires» écrasantes, les votes en faveur du rattachement oscillant entre 84 % et 99,2 % 
			(16) 
			<a href='https://www.euronews.com/2022/09/27/occupied-areas-of-ukraine-vote-to-join-russia-in-referendums-branded-a-sham-by-the-west'>«Ukraine
'referendums': Full results for annexation polls as Kremlin-backed
authorities claim victory</a>», Euronews, 28 septembre
2022 (en anglais seulement).. Le 30 septembre 2022, le Président Poutine a annoncé l’annexion par la Fédération de Russie des quatre régions ukrainiennes lors d’une cérémonie organisée au Kremlin, empreinte de ferveur nationaliste et d’une rhétorique agressive envers «l’Occident», affirmant que les habitants des régions seraient des citoyens russes «pour toujours». Pour couronner le tout, le 3 octobre, le porte-parole du Kremlin a reconnu qu’il n’était pas encore possible d’établir avec précision les frontières du territoire annexé par la Russie 
			(17) 
			<a href='https://www.bbc.com/news/world-europe-63126156'>www.bbc.com/news/world-europe-63126156</a> (en anglais seulement)..

4.2. Une violation du droit international

26. La tentative d’annexion des régions ukrainiennes de Donetsk, Lougansk, Kherson et Zaporijia par la Russie, précédée par les prétendus référendums organisés dans ces territoires pour justifier l’annexion, viole l’indépendance, la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Elle constitue une grave violation du droit international, notamment de la Charte des Nations Unies (article 2.4) et des principes et engagements de l’Acte final d’Helsinki et de la Charte de Paris.
27. L’annexion est également contraire aux principes énoncés dans la Résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale des Nations Unies du 24 octobre 1970 
			(18) 
			Déclaration
relative aux principes du droit international touchant les relations
amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte
des Nations Unies., qui inclut le principe selon lequel «[l]e territoire d’un État ne peut faire l’objet d’une acquisition par un autre État à la suite du recours à la menace ou à l’emploi de la force» et «[n]ulle acquisition territoriale obtenue par la menace ou l’emploi de la force ne sera reconnue comme légale». Les États ont l’obligation de ne pas reconnaître la légalité d’une telle situation et de ne pas apporter leur aide ni leur assistance au maintien de cette situation. Le principe de non-reconnaissance a été appliqué dans différents contextes par le Conseil de sécurité des Nations Unies 
			(19) 
			Résolutions
541 (1983) et 550 (1984) du Conseil de sécurité des Nations Unies. et la Cour européenne des droits de l’homme à l’égard de plusieurs situations/entités de fait non reconnues 
			(20) 
			Affaire Güzelyurtlu e.a. c. Chypre et Turquie (GC),
29 janvier 2019, paragraphes 157-158 et 250-251.. En outre, la Fédération de Russie, en tant que puissance occupante, a l’obligation de respecter le droit ukrainien au titre du droit humanitaire international. L’annexion du territoire occupé est interdite et illégale.

4.3. Une violation du droit, des normes et des pratiques électoraux

28. Les prétendus référendums constituent une violation flagrante du droit international et du droit (constitutionnel) ukrainien 
			(21) 
			Articles
1 et 2 de la Constitution ukrainienne (souveraineté, intégrité territoriale
et indivisibilité).. En outre, ils n’ont pas respecté les lignes directrices révisées de la Commission de Venise sur la tenue des référendums, selon lesquelles: «le recours aux référendums doit respecter l’ensemble de l’ordre juridique. En particulier, le référendum ne peut être organisé si la Constitution ou une loi conforme à la Constitution ne le prévoit pas (...)» 
			(22) 
			<a href='https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-AD(2022)015-f'>CDL-AD(2022)015</a>, «Code de bonne conduite en matière référendaire révisé,
Lignes directrices sur la tenue de référendums», voir pp. 7-17..
29. Un vote tenu en présence de forces militaires, pendant un conflit armé actif et en l’absence d’une observation électorale indépendante, ne présente aucune des garanties de fond et de forme pour être l’expression valable des choix électoraux.

4.4. Les réactions internationales

30. Malgré la présentation qu’il fait de la situation, la volonté du Kremlin de montrer qu’il s’agit d’un véritable processus électoral et la mise en scène nationaliste pompeuse qui a suivi à Moscou, les référendums et les annexions illégales ont été condamnés par la communauté internationale.
31. Le Président du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe et ministre irlandais des Affaires étrangères, M. Simon Coveney, le Président de l’Assemblée parlementaire, M. Tiny Kox, et la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe, Mme Marija Pejčinović Burić, ont condamné la décision de la Fédération de Russie d’annexer illégalement les territoires et déclaré que le Conseil de l’Europe poursuivra son soutien à la population et aux autorités de son État membre, l’Ukraine 
			(23) 
			«<a href='https://www.coe.int/fr/web/portal/-/council-of-europe-leaders-condemn-the-illegal-annexation-of-occupied-territories-of-ukraine'>Les
dirigeants du Conseil de l’Europe condamnent l’annexion illégale
des territoires occupés de l’Ukraine</a>», Conseil de l’Europe, 30 septembre 2022..
32. Le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, a déclaré que la décision d’annexer les quatre régions ukrainiennes «n’aurait aucune valeur juridique et mérite d’être condamnée», ajoutant qu’elle allait «à l’encontre de tout ce que la communauté internationale est censée défendre» 
			(24) 
			<a href='https://www.un.org/sg/en/content/sg/statement/2022-09-29/secretary-generals-remarks-russian-decision-annexation-of-ukrainian-territory-delivered'>«Secretary-General's
remarks on Russian decision on annexation of Ukrainian territory»
[as delivered]</a>, United Nations Secretary General, 29 septembre 2022
(en anglais seulement)..
33. Le président en exercice de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et Ministre polonais des Affaires étrangères M. Zbigniew Rau, ainsi que le Président de l’Assemblée parlementaire de l’OSCE et la Secrétaire générale de l’OSCE ont publié une déclaration condamnant unanimement et catégoriquement l’annexion illégale et la poursuite de l’occupation de la Crimée. L’annexion «est inacceptable» et «vide de sens le principe d’intégrité territoriale, qui est au cœur des principes fondateurs de l’OSCE et de l’ordre international». Cet acte de la Fédération de Russie «qui inclut la mobilisation militaire et des menaces nucléaires irresponsables, ne fera qu’entraîner une escalade du conflit», ont-ils ajouté 
			(25) 
			<a href='https://www.osce.org/chairmanship/527109'>«OSCE Chairman-in-Office
Rau, Parliamentary Assembly President Cederfelt, OSCE Secretary
General Schmid and OSCE PA Secretary General Montella condemn Russia’s
illegal annexation of Ukrainian territory</a>», OSCE, 30 septembre 2022 (en anglais seulement).. Le Directeur du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’OSCE et la Représentante de l’OSCE pour la liberté des médias ont également publié une déclaration commune dans laquelle ils ont souligné que «non seulement ces pratiques n’ont aucune validité au regard du droit international, mais continuent d’aggraver la situation déjà catastrophique des droits humains» 
			(26) 
			<a href='https://www.osce.org/odihr/528075'>«Annexation of Ukrainian
territories is illegal and a threat to human rights, say OSCE human
rights Director and OSCE media freedom Representative»</a>, OSCE, 6 octobre 2022 (en anglais seulement)..
34. Les chefs de gouvernement de tous les États membres de l’Union européenne ont publié une déclaration rejetant fermement et condamnant sans équivoque l’annexion illégale, soulignant qu’ils ne la reconnaîtront jamais. Les présidents du Conseil européen, du Parlement européen et de la Commission européenne ont ensuite prononcé des condamnations à titre individuel 
			(27) 
			<a href='https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2022/09/30/statement-by-the-members-of-the-european-council/'>Déclaration</a> des membres du Conseil européen, Conseil européen de
l’Union européenne, 30 septembre 2022..
35. En outre, en réponse aux annexions illégales, la Commission européenne a annoncé le 28 septembre qu’elle avait adopté un nouveau train de sanctions contre la Russie. Le nouveau dispositif comprend l’ajout de personnes et d’entités visées par les sanctions, notamment des personnes impliquées dans l’occupation et l’annexion illégale des régions d’Ukraine, des personnes œuvrant dans le secteur de la défense russe ainsi que des personnes qui diffusent des informations erronées sur la guerre. Le train de mesures comprend également de nouvelles interdictions totales d’importation de produits russes et un élargissement de la liste des produits qui ne peuvent plus être exportés vers la Russie, notamment des technologies essentielles 
			(28) 
			<a href='https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/STATEMENT_22_5856'>Déclaration
à la presse</a> de la Présidente von der Leyen sur un nouveau paquet
de mesures restrictives à l'encontre de la Russie, Commission européenne,
28 septembre 2022..
36. Le Royaume-Uni a également annoncé qu’il avait adopté de nouvelles sanctions en riposte aux référendums visant les hauts responsables russes chargés de faire respecter les votes illégaux, l’agence de relations publiques impliquée dans la promotion du référendum, des oligarques et des membres des conseils d’administration des grandes banques d’État 
			(29) 
			<a href='https://www.gov.uk/government/news/uk-sanctions-collaborators-of-russias-illegal-sham-referendums'>«UK
sanctions collaborators of Russia’s illegal sham referendums</a>», United Kingdom Foreign and Commonwealth Office, 26
septembre 2022 (en anglais seulement).. Le Président Joe Biden a déclaré que les États-Unis «ne reconnaîtront jamais le territoire ukrainien comme autre chose qu’une partie de l’Ukraine», qualifiant les référendums de «prétexte pour tenter d’annexer des parties de l’Ukraine par la force en violation flagrante du droit international 
			(30) 
			<a href='https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2022/09/23/statement-from-president-biden-on-russias-sham-referenda-in-ukraine/'>«Statement</a> from President Biden on Russia’s Sham Referenda in Ukraine»,
The White House, 23 septembre 2022 (en anglais seulement).».
37. Réagissant aux référendums, le ministère chinois des Affaires étrangères a souligné que «l’intégrité souveraine et territoriale de tous les pays devrait être respectée […] et les buts et principes de la Charte des Nations Unies devraient être observés 
			(31) 
			<a href='https://www.aa.com.tr/en/asia-pacific/referendum-in-ukraines-4-regions-china-calls-for-respect-to-sovereignty/2695926'>«Referendum
in Ukraine's 4 regions: China calls for 'respect to sovereignty'</a>», AA, 27 septembre
2022 (en anglais seulement).». La Türkiye a exprimé son soutien à l’intégrité territoriale de l’Ukraine et a souligné qu’elle ne reconnaîtrait pas les résultats des référendums, tout comme le Kazakhstan.

4.5. Risque accru d’escalade

38. En plus d’être une mesure illégale et une nouvelle atteinte à la souveraineté d’un État voisin, les prétendus référendums pourraient avoir une autre conséquence grave. En effet, ils pourraient contribuer à une nouvelle escalade de la guerre en permettant au Gouvernement russe de prétendre que son territoire est attaqué par des armes occidentales fournies à l’Ukraine.
39. Le Président Poutine a déjà fait allusion à cette menace dans les jours précédant les référendums en déclarant: «nous utiliserons certainement tous les moyens à notre disposition» «lorsque l’intégrité territoriale de notre pays sera menacée 
			(32) 
			<a href='https://www.theguardian.com/world/2022/sep/21/putin-announces-partial-mobilisation-in-russia-in-escalation-of-ukraine-war'>«Putin
announces partial mobilisation and threatens nuclear retaliation
in escalation of Ukraine war</a>», The Guardian, 21
septembre 2022 (en anglais seulement).». Dmitri Medvedev, Vice-président du Conseil de sécurité russe, a déclaré le 22 octobre 2022, lors de l’examen des référendums, que «toute intrusion sur le territoire de la Russie est un crime qui autorise l’utilisation de toutes les forces d’autodéfense 
			(33) 
			<a href='https://www.theguardian.com/world/2022/sep/21/putin-announces-partial-mobilisation-in-russia-in-escalation-of-ukraine-war'>«Putin
announces partial mobilisation and threatens nuclear retaliation
in escalation of Ukraine war</a>», The Guardian, 21 septembre
2022 (en anglais seulement).».

5. La menace nucléaire

40. Les dirigeants politiques de la Fédération de Russie brandissent la menace de l’arme nucléaire dans leurs interventions publiques. Le 27 février 2022, quelques jours à peine après le début de l’invasion à grande échelle actuelle, le Président Poutine a mis les forces de dissuasion nucléaire «en régime spécial d’alerte au combat», exacerbant ainsi les tensions au niveau mondial et provoquant une escalade irresponsable du conflit. La Russie a également mené des exercices militaires nucléaires très médiatisés 
			(34) 
			<a href='https://time.com/6215610/putin-nuclear-weapons-threat/'>«'This
Is Not a Bluff.' Putin Raises Specter of Nuclear Weapons Following
Battlefield Losses</a>», Time, 21 September 2022
(en anglais seulement)..
41. Le 22 septembre 2022, parallèlement à l’annonce d’une mobilisation partielle, le Président Poutine a déclaré que la Russie possédait tout un arsenal d’armes nucléaires et que sa déclaration d’en faire usage si la Russie était menacée n’était pas du bluff.
42. Le 27 septembre, Dmitri Medvedev, Vice-président du Conseil de sécurité russe, a affirmé que la Russie avait le droit d’utiliser des armes nucléaires pour se défendre face à un acte d’agression de l’Ukraine «dangereux pour l’existence même de notre État» 
			(35) 
			<a href='https://www.usnews.com/news/world/articles/2022-09-27/russias-medvedev-warns-west-that-nuclear-threat-is-not-a-bluff'>«Medvedev
Raises Spectre of Russian Nuclear Strike on Ukraine» (usnews.com)</a>. Voir aussi: <a href='https://www.theatlantic.com/newsletters/archive/2022/09/russias-nuclear-threats/671571/'>«Russia’s
Nuclear Threats Are All Putin Has Left», The Atlantic </a>(en anglais seulement).. Cette déclaration renvoie directement à l’une des conditions de la doctrine de frappe nucléaire de la Russie qui justifierait le recours à l’arme nucléaire: «une agression contre la Fédération de Russie avec des armes conventionnelles lorsque l’existence même de l’État est menacée» 
			(36) 
			<a href='https://web.archive.org/web/20110504070127/http:/www.scrf.gov.ru/documents/33.html'>«Voyennaya
doktrina Rossiyskoy Federatsii» Военная доктрина Российской Федерации</a> [La doctrine militaire de la Fédération de Russie]. scrf.gov.ru (en
russe)..
43. Le recours insistant à cette rhétorique coïncide avec la tentative de la Fédération de Russie d’annexer des pans entiers de territoires ukrainiens. Conjugués aux affirmations du Président Poutine selon lesquelles «l’Occident» cherche à détruire la Russie, ces éléments pourraient témoigner de la volonté de brosser un tableau de la situation qui justifierait l’utilisation d’armes nucléaires aux yeux de l’opinion publique russe.
44. Ce discours extrêmement dangereux est incompatible avec les responsabilités d’une puissance nucléaire qui dispose d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies. Et si la Russie a également à sa disposition des armes nucléaires tactiques – par opposition aux armes stratégiques – il est important de noter que les premières n’ont encore jamais été utilisées dans le cadre d’un conflit 
			(37) 
			<a href='https://www.bbc.com/news/world-60664169'>«Ukraine
war: Could Russia use tactical nuclear weapons?</a>», BBC News, 25
septembre 2022 (en anglais seulement).. Sachant que les armes conventionnelles modernes sont désormais tout aussi efficaces pour détruire des cibles sur la ligne de front, les dirigeants russes tentent manifestement de recourir à la terreur que suscite l’utilisation potentielle d’armes nucléaires pour poursuivre leurs objectifs impérialistes d’expansion territoriale.
45. En plus d’être abjectes et dangereuses, ces menaces nucléaires contreviennent au droit international. Premièrement, elles sont contraires à l’article 2.4 de la Charte des Nations Unies concernant le recours à la menace ou l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale de tout État. Toute frappe de ce type constituerait également une violation du droit international humanitaire, en particulier des principes de distinction et de proportionnalité, dans la mesure où elle toucherait des civils de manière significative. Ces menaces violent également les propres engagements et assurances de la Russie envers l’Ukraine dans le cadre de l’adhésion de cette dernière au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires.
46. Tout en brandissant la menace de l’utilisation d’armes nucléaires, la Russie entrave la coopération multilatérale dans ce domaine. Le 26 août 2022, elle a fait barrage à l’adoption d’un document final substantiel lors de la dixième Conférence d’examen du Traité sur la non-prolifération, en raison de paragraphes faisant mention de la centrale nucléaire de Zaporijia. Le document final aurait permis d’évaluer la mise en œuvre de ce traité historique et de définir des actions visant à progresser dans la réalisation de ses principaux objectifs en matière de désarmement et de non-prolifération 
			(38) 
			<a href='https://press.un.org/en/2022/dc3850.doc.htm'>«Non-Proliferation
Treaty Review Conference Ends without Adopting Substantive Outcome
Document Due to Opposition by One Member State</a>», Nations Unies, 28 août 2022 (en anglais seulement)..
47. L’occupation illégale de la plus grande centrale nucléaire d’Europe, dans la région de Zaporijia en Ukraine, constitue un autre aspect du chantage nucléaire exercé par la Russie. À l’issue de la mission qu’elle a effectuée en août 2022, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a déclaré qu’il était «urgent de prendre des mesures provisoires afin de prévenir un accident nucléaire» et notamment «d’établir une zone de protection de la sûreté et de la sécurité nucléaires» 
			(39) 
			<a href='https://www.iaea.org/sites/default/files/22/09/ukraine-2ndsummaryreport_sept2022.pdf'>www.iaea.org/sites/default/files/22/09/ukraine-2ndsummaryreport_sept2022.pdf</a> Agence internationale de l’énergie atomique, AIEA (en
anglais seulement).. La poursuite de l’occupation et de la militarisation d’une centrale nucléaire civile continue d’exposer un très grand nombre de personnes innocentes ainsi que l’environnement naturel à un risque grave.
48. Témoignant de la fragilité de la situation, l’AIEA a fait savoir le 8 octobre 2022 que la centrale avait perdu sa dernière source d’énergie externe et qu’elle s’appuie désormais sur des générateurs diesel de secours pour produire l’électricité nécessaire au refroidissement du réacteur et à d’autres fonctions essentielles de sûreté et de sécurité 
			(40) 
			<a href='https://www.iaea.org/newscenter/pressreleases/ukraines-znpp-must-be-urgently-protected-iaeas-grossi-says-after-plant-loses-all-external-power-due-to-shelling'>«Ukraine’s
ZNPP Must Be Urgently Protected</a>, IAEA’s Grossi Says After Plant Loses All External Power
Due to Shelling», International Atomic Energy Agency,8 octobre 2022
(en anglais seulement)..

6. Opposition à la guerre et répression croissante en Fédération de Russie

6.1. Répression des libertés civiles

49. Depuis le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine en 2022, les autorités russes ont encore étoffé leur arsenal juridique déjà vaste visant à restreindre les libertés d’expression, de réunion et d’association et à museler les médias indépendants. Selon l’ONG OVD-Info, au cours de cette période, le parlement a adopté 16 nouvelles lois répressives ou des amendements à des textes existants 
			(41) 
			<a href='https://data.ovdinfo.org/summary-anti-war-repressions-six-months-war'>Summary
of anti-war repressions. Six months of war | ОВД-Инфо (ovdinfo.org).</a>. À titre d’exemple:
  • en mars 2022, une nouvelle loi qui interdit toute critique des forces armées russes a établi des peines pouvant aller jusqu’à 15 ans d’emprisonnement;
  • en juillet 2022, la définition d’un «agent étranger» a été modifiée dans la loi concernée de manière à l’étendre à «toute personne tombée sous influence étrangère»;
  • en août 2022, des modifications ont été apportées à la loi sur les organisations indésirables, en vue d’étendre la responsabilité pénale en cas de participation à des «organisations indésirables» au-delà des frontières de la Russie, y compris les dons faits à ces organisations.
50. Malgré ces mesures draconiennes, des manifestations et des mouvements de protestation contre la guerre ont éclaté dans toute la Fédération de Russie. De nombreuses personnes ont été arrêtées, des informations faisant état de brutalités policières et de cas présumés de traitements inhumains et de torture en détention. Selon OVD-Info, la Russie a procédé au moins à 16 437 arrestations liées à des manifestations anti-guerre au cours des six premiers mois de l’agression 
			(42) 
			Ibid.. En outre, cette ONG a fait savoir qu’en plus des arrestations effectuées dans le cadre des rassemblements et après leur tenue, les autorités ont procédé à des arrestations préventives en recourant à un système de reconnaissance faciale.
51. Vladimir Kara-Mourza, qui s’est vu décerner le Prix Václav Havel le 10 octobre 2022, figure parmi les personnalités publiques les plus éminentes persécutées pour avoir formulé des critiques contre la guerre. Placé en détention depuis avril 2022, il fait actuellement l’objet d’une enquête pour haute trahison et encourt une peine de 20 ans de prison. L’ancien maire d’Ekaterinbourg, Evguéni Roïzman, a écopé d’amendes et a été arrêté à plusieurs reprises pour avoir discrédité les forces armées et pourrait faire l’objet de poursuites pénales pour récidive. Ilia Iachine, militant de l’opposition et ancien élu municipal de Moscou, est détenu pour avoir diffusé de fausses informations sur les forces armées russes. À la fin du mois d’août 2022, 74 «agents étrangers» supplémentaires ont été inscrits au registre tenu par le ministère de la Justice et le nombre total d’«organisations indésirables» s’élève à 65 
			(43) 
			<a href='https://data.ovdinfo.org/summary-anti-war-repressions-six-months-war'>Ibid.</a>. En conséquence, plusieurs organisations de la société civile, telles que Memorial International, ont été fermées.
52. Les mesures prises par les autorités pour mettre en œuvre une «politique de vérité unique» ont entraîné non seulement la fermeture de la quasi-totalité des médias indépendants, mais aussi le blocage de sites internet et de médias sociaux. L’endoctrinement des enfants au sujet de la guerre est une pratique répandue dans les écoles, tandis que les artistes exprimant leur opposition à la guerre n’ont pas le droit de se produire. Le Groupe d’enquête sur les activités antirusses dans la sphère culturelle et artistique (GRAD), créé par la Douma russe, a demandé très activement la mise à l’écart d’artistes et de personnalités de premier plan, ainsi que l’ouverture d’une enquête plus approfondie par le Service fédéral de sécurité.
53. Le rapport sur les pratiques juridiques et administratives de la Russie à la lumière de ses engagements envers la dimension humaine de l’OSCE, réalisé dans le cadre du mécanisme de Moscou de l’OSCE et publié le 22 septembre 2022, fournit une description détaillée de l’état actuel des choses. Il conclut que «les actions menées par les autorités contre la société civile montrent que le but ultime est de créer une société monolithique basée sur une certaine compréhension pré-moderne de la «russitude». Les opposants à cette société sont vus comme des clous qui dépassent du mur; ils doivent y être enfoncés jusqu’à disparaître. Les discours tenus par le Président au sujet d’une «cinquième colonne» et «d’insectes à anéantir» sont révélateurs d’une attitude de haine profondément ancrée. La principale stratégie des autorités russes repose sur l'intimidation. La persécution n’est pas cachée, mais visible aux yeux de tous, surtout lorsqu’elle est dirigée contre des personnalités publiques. Le principal objectif semble être de pousser les gens à se résigner ou à quitter le pays» 
			(44) 
			<a href='https://www.osce.org/odihr/526720'>«Report on Russia’s
Legal and Administrative Practice in Light of its OSCE Human Dimension
Commitments»,  OSCE, </a>22 septembre 2022 (en anglais seulement)..
54. Tant à l'étranger qu'à l'intérieur du pays, les dirigeants de la Fédération de Russie ont fait pression en faveur d'une idéologie anti-européenne et anti-humaniste du «monde russe», fondée sur des idées de supériorité nationale et de haine nationale ainsi que sur la discrimination fondée sur le genre, l'orientation et l'identité sexuelles. Cette situation est très préoccupante, notamment en raison de l'impact qu'elle pourrait avoir sur les jeunes générations en Russie.
55. Ce sombre scénario est complété par le fait que toutes les institutions judiciaires de Russie sont soumises au Kremlin, laissant le peuple de Russie sans recours réel et crédible à la justice et à l'État de droit.

6.2. Mobilisation

56. Après des semaines de revers militaires, le Président Poutine a annoncé le 21 septembre 2022 une mobilisation partielle, la première depuis la Seconde Guerre mondiale, qui serait justifiée, selon lui, par l’intention de l’Occident de «détruire la Russie» 
			(45) 
			<a href='https://www.theguardian.com/world/2022/sep/21/putin-announces-partial-mobilisation-in-russia-in-escalation-of-ukraine-war'>«Putin
announces partial mobilisation and threatens nuclear retaliation
in escalation of Ukraine war</a>», The Guardian, 21
septembre 2022 (en anglais seulement).. Il a affirmé que seuls les réservistes ayant reçu une formation préalable seraient appelés au service militaire. Le ministre de la Défense, M. Choïgou, a précisé par la suite que 300 000 Russes seraient concernés. La veille de l’annonce de la mobilisation, la Douma a adopté une loi imposant des sanctions pour le refus de combattre, la reddition et la désertion, sans aucun débat public ni discussion 
			(46) 
			<a href='https://www.aljazeera.com/news/2022/9/21/russians-react-to-putins-partial-mobilisation-plan'>«‘Thrown
into the meat grinder’: Russians react to mobilisation</a>», Aljazeera, 21
septembre 2022 (en anglais seulement)..
57. Cette décision politique lourde de conséquences est en contradiction directe avec le discours que le Président Poutine lui-même défend depuis le début de l’agression à grande échelle lancée contre l’Ukraine en février 2022, à savoir que la Russie ne mène qu’une «opération militaire spéciale».
58. Si le Président Poutine a assuré que la mobilisation partielle ne concernait que les personnes ayant reçu une formation préalable, le décret de mobilisation est, quant à lui, rédigé en des termes beaucoup plus généraux, au point que beaucoup, dans le vaste ensemble de Russes appelés à se battre par les agents recruteurs, n’ont jamais servi dans les forces armées ou ont passé l’âge de la conscription. Cette situation, qui a suscité une vive controverse dans tout le pays, a conduit Poutine lui-même à admettre publiquement que la mobilisation ne s’était pas déroulée sans heurts et à affirmer que des «erreurs» avaient été commises.
59. Les tensions se sont rapidement aggravées dans toute la Fédération de Russie et les affrontements qui ont eu lieu dans des centres d’appel ont parfois été violents. En Sibérie, un agent recruteur a été abattu après avoir prononcé un discours sur la guerre en Ukraine et un homme s’est immolé par le feu en signe de protestation dans une ville au sud de Moscou. Dans les villes de Russie, la police a dispersé des manifestations pacifiques contre la mobilisation et arrêté plus de 2 000 manifestants.
60. Il est particulièrement préoccupant de constater que les autorités ont concentré de manière disproportionnée leurs efforts de mobilisation sur des régions où vivent des minorités ethniques, des zones appauvries, des territoires occupés et des populations autochtones. La mobilisation a provoqué des troubles importants au Daghestan, où des manifestations déclenchées dans plusieurs villes ont donné lieu à des affrontements avec la police et à des coups de feu. Des enquêtes menées par le service russe de la BBC ont montré qu’au moins 301 soldats originaires du Daghestan étaient morts à la guerre. Ce chiffre est plus élevé que dans toute autre région russe et plus de dix fois supérieur à celui de Moscou, dont la population est cinq fois plus nombreuse 
			(47) 
			<a href='https://www.bbc.com/news/world-europe-63028586'>«Ukraine
war: Protests in Russia's Dagestan region against new draft</a>», BBC News, 26
septembre 2022 (en anglais seulement)..
61. Un autre élément préoccupant est la politique du Kremlin consistant à envoyer des personnes détenues dans les prisons russes pour combattre en Ukraine.
62. Selon les groupes de surveillance des droits humains, les Tatars de Crimée ont également reçu un nombre élevé d’avis d’incorporation depuis l’annonce de la mobilisation partielle 
			(48) 
			<a href='https://www.politico.eu/article/murder-putin-draft-target-crimea-tatars/'>«A
kind of murder’: Putin’s draft targets Crimea’s Tatars</a>», Politico, 4
octobre 2022 (en anglais seulement).. En plus de constituer une violation des Conventions de Genève, qui interdisent à une puissance occupante de contraindre des populations occupées à servir dans ses forces armées 
			(49) 
			<a href='https://ihl-databases.icrc.org/dih'>Article 51 de la
IVe Convention de Genève</a>. <a href='https://ihl-databases.icrc.org/customary-ihl/fre/docs/v1_rul_rule95'>DIH
coutumier – Règle 95. Le travail forcé (icrc.org)</a>., le ciblage du groupe minoritaire musulman turc soulève des questions quant aux véritables objectifs de la mobilisation. Cette situation est particulièrement préoccupante compte tenu de la pratique de «passeportisation» appliquée par les autorités russes d’occupation en Crimée depuis 2014, déjà examinée par l’Assemblée, qui a contraint les résidents de Crimée, notamment les Tatars de Crimée, à adopter la citoyenneté russe pour ne pas être traités comme des étrangers ou ne pas être expulsés 
			(50) 
			Doc. 15305, «La situation des Tatars de Crimée», paragraphes 52-53. Voir également SG/Inf(2022)15,
«Situation des droits de l’homme dans la République autonome de
Crimée et la ville de Sébastopol (Ukraine)», 4 mai 2022, paragraphe
69..
63. Face à cette évolution inquiétante, le Président Zelensky a appelé les Ukrainiens des territoires occupés à éviter la conscription ou, s’ils ne sont pas en mesure de le faire, à éviter de combattre leurs compatriotes et à saboter les opérations russes.
64. La mobilisation partielle annoncée par le Président Poutine a déclenché un exode massif d’hommes russes qui ont tenté de fuir le pays pour éviter une éventuelle convocation. Des rapports estiment que des centaines de milliers de personnes s’étaient déjà enfuies au cours de la première semaine d’octobre, certains médias russes annonçant un chiffre supérieur à 700 000 
			(51) 
			<a href='https://www.reuters.com/world/europe/where-have-russians-been-fleeing-since-mobilisation-began-2022-10-06/'>«Factbox:
Where have Russians been fleeing to since mobilisation began?</a>», Reuters, 6 octobre
2022 (en anglais seulement)..
65. Les gouvernements européens ont réagi différemment à la possibilité d’accueillir des déserteurs russes. L’Allemagne a indiqué que les Russes fuyant la mobilisation pourraient demander l’asile, conformément au droit international. La France, quant à elle, a déclaré qu’elle serait sélective et évaluerait la situation et le risque pour la sécurité des personnes concernées, mais qu’elle veillerait à ce que celles qui en ont besoin puissent tout de même venir dans le pays.
66. La Finlande, qui partage une frontière de 1 300 kilomètres avec la Russie, a indiqué qu’elle limiterait considérablement l’entrée des Russes; des personnalités politiques de ce pays ont qualifié les réservistes en fuite de risque évident pour la sécurité. L’Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la Pologne ont également commencé à restreindre l’entrée des citoyens russes voyageant avec des visas de tourisme. Le ministre lituanien des Affaires étrangères, M. Gabrielius Landsbergis, a déclaré sur Twitter que «les Russes devraient rester et se battre. Contre Poutine», tandis que son homologue letton, M. Edgars Rinkēvičs, a fait valoir que ceux qui fuient maintenant ne peuvent pas être considérés comme des objecteurs de conscience puisqu’ils n’ont pas réagi lorsque la Russie a commencé cette dernière agression en février 
			(52) 
			<a href='https://www.pbs.org/newshour/world/eu-divided-on-response-to-russians-fleeing-military-service'>«EU
divided on response to Russians fleeing military service</a>», PBS News Hour,
25 septembre 2022 (en anglais seulement)..
67. Le 30 septembre 2022, la Commissaire européenne aux Affaires intérieures, Mme Ylva Johansson, a demandé instamment aux États membres de renforcer le personnel aux frontières et d’intensifier les contrôles de sécurité, déclarant que les pays devraient évaluer au «cas par cas» s’il convient de laisser entrer les Russes qui tentent de se rendre en Europe 
			(53) 
			<a href='https://www.politico.eu/article/eu-urge-strict-border-control-security-russia-flee-draft-war-ukraine/'>«EU
urges stricter border control as Russians flee the war</a>», Politico, 30
septembre 2022 (en anglais seulement)..

7. Le multilatéralisme et les préoccupations de sécurité mondiale

68. Le Conseil de sécurité de l’ONU, gardien de la paix et de la sécurité internationales, est, en raison de sa conception même, incapable d’intervenir lorsque l’un de ses membres permanents fait usage de son droit de veto. C’est le cas cette fois-ci, alors que l’Europe connaît la guerre et la menace les plus importantes pour sa sécurité générale depuis la création de l’ONU en 1945. En fait, la menace va bien au-delà du continent européen.
69. Le 30 septembre 2022, malgré dix voix pour, un projet de résolution présenté par les États-Unis et l’Albanie pour condamner les «référendums» illégaux et la tentative d’annexion de quatre régions ukrainiennes comme une menace pour la paix et la sécurité internationales a été rejeté avec la seule opposition de la Fédération de Russie. Bien que le texte ait été rejeté, le résultat du vote a montré l’isolement de la Russie puisque le Brésil, la Chine, le Gabon et l’Inde se sont abstenus.
70. Après le vote, l’ambassadeur d’Ukraine aux Nations Unies a qualifié le Conseil de sécurité de «pilier brisé» des Nations Unies 
			(54) 
			<a href='https://reliefweb.int/report/ukraine/security-council-fails-adopt-resolution-condemning-moscows-referenda-ukraines-occupied-territories-permanent-member-employs-veto'>«Security
Council Fails to Adopt Resolution Condemning Moscow's Referenda
in Ukraine’s Occupied Territories, as Permanent Member Employs Veto»</a>, ReliefWeb, 1er
octobre 2022 (en anglais seulement).. À plusieurs reprises, l’Ukraine a évoqué la légitimité du droit de la Russie de siéger au Conseil de sécurité en tant qu’État successeur de l’Union soviétique. Les appels à une réforme du Conseil de sécurité gagnent du terrain. Ainsi que l’a déclaré le Président Zelensky, «un État qui met en œuvre une politique de génocide en ce moment même, qui maintient le monde à deux doigts d’une catastrophe radiologique et qui, dans le même temps, menace de frappes nucléaires, ne peut rester membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU jouissant d’un droit de veto» 
			(55) 
			<a href='https://www.president.gov.ua/en/news/vistup-prezidenta-volodimira-zelenskogo-na-zasidanni-radi-be-78053'>Discours</a> du Président Volodymyr Zelensky lors de la réunion du
Conseil de Sécurité des Nations Unies réuni à l’initiative de l’Ukraine,
27 septembre 2022. (en anglais seulement)..
71. Dans ce contexte d’impasse au Conseil de sécurité, la pertinence et l’autorité de l’Assemblée générale des Nations Unies se renforcent considérablement. La session extraordinaire d’urgence consacrée à l’agression russe contre l’Ukraine, initialement convoquée en février 2022, s’est rouverte le 10 octobre par un débat au cours duquel beaucoup de gouvernements du monde entier ont affirmé haut et clair que les annexions illégales de territoires sont contraires à ce que défendent les Nations Unies et ne seront jamais reconnues.
72. Auparavant, le 7 avril 2022, l’Assemblée générale des Nations Unies avait adopté une résolution suspendant l’adhésion de la Russie au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, car elle se disait «gravement préoccupée par la crise des droits de l’homme et la crise humanitaire en cours en Ukraine» 
			(56) 
			<a href='https://digitallibrary.un.org/record/3967950?ln=fr'>Suspension
du droit de la Fédération de Russie de siéger au Conseil des droits
de l’homme: résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations
Unies</a>, 7 avril 2022..
73. En outre, le 21 septembre 2022, le Président Zelensky a profité de son discours lors de la 77e session de l’Assemblée générale des Nations Unies pour présenter la formule de paix ukrainienne, ancrée sur cinq points clés: punir l’agression, protéger la vie, rétablir la sécurité et l’intégrité territoriale, garantir la sécurité et souligner l’importance de la détermination. Il a également appelé la communauté internationale à reconnaître la Russie comme État commanditaire du terrorisme 
			(57) 
			<a href='https://news.un.org/en/story/2022/09/1127421'>«Ukrainian
President outlines peace formula that punishes aggression, restores
security</a>», UN News, 20
septembre 2022 (en anglais seulement)..
74. L’agression russe contre l’Ukraine devrait également être analysée sous l’angle de ses répercussions géopolitiques plus larges. La Russie et la Chine ont pris des mesures pour renforcer leur partenariat, favorisant conjointement, notamment après la rencontre de février 2022 entre les deux présidents, une rhétorique de «nouvelle ère» dans les affaires internationales, où les deux États autoritaires partagent une amitié «sans limites». La tonalité était plus nuancée en marge du sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) qui s’est tenu début septembre à Samarcande, mais, bien qu’elle ait réaffirmé son soutien au principe de l’intégrité territoriale, la Chine s’est invariablement abstenue de critiquer ouvertement la Russie.
75. Certains pays ont soutenu la Fédération de Russie lors des votes de l'Assemblée générale des Nations Unies visant à condamner l'agression et à expulser la Russie du Conseil des droits de l'homme des Nations unies. Ces pays, qui comprennent le Bélarus, la Chine, Cuba, l'Iran et la Syrie, doivent être condamnés. Certains de ces pays se sont engagés dans des campagnes de désinformation en Afrique, en Asie et en Amérique latine qui aident la Fédération de Russie.
76. Alors que la guerre fait rage en Ukraine, l’Asie est devenue le théâtre de tensions croissantes. L’étalage hostile de la puissance diplomatique et militaire autour de la question de Taïwan est revenu au premier plan. Au mois d’octobre 2022, en deux semaines, la Corée du Nord a tiré à sept reprises des missiles balistiques, dont l’un a survolé le Japon, tandis que la Corée du Sud et les États-Unis effectuaient des exercices navals conjoints. En septembre, l’Iran a rejoint l’OCS, Poutine notant que les relations entre la Russie et l’Iran se développaient «de manière positive» 
			(58) 
			<a href='https://www.aljazeera.com/news/2022/9/15/iran-signs-memorandum-join-shanghai-cooperation-organisation'>«Iran
signs memorandum to join Shanghai Cooperation Organisation</a>», AlJazeera, 15
septembre 2022 (en anglais seulement)..
77. En Europe, la Fédération de Russie tente de renforcer son influence dans les Balkans occidentaux. En septembre 2022, en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies, les ministres des Affaires étrangères de Serbie et de Russie ont signé un accord sur les relations entre les deux ministères. Plusieurs membres du Parlement européen ont dénoncé l’accord, appelant même à la suspension des pourparlers d’adhésion de la Serbie à l’Union européenne et le Ministre serbe des Affaires étrangères, M. Nikola Selaković, a par la suite minimisé l’importance de l’accord, affirmant qu’il était technique et n’avait pas trait à des questions de sécurité. 
			(59) 
			<a href='https://www.euronews.com/2022/09/25/serbian-foreign-minister-plays-down-agreement-with-lavrov-amid-criticism'>«Serbian
foreign minister plays down deal with Lavrov after flak from Brussels</a>», Euronews, 25
septembre 2022 (en anglais seulement).
78. Dans le domaine de la sécurité dure, la guerre d’agression a conduit à un nouvel élargissement de l’OTAN à la Finlande et à la Suède. L’Ukraine a demandé à adhérer à l’OTAN selon une procédure accélérée. Les forces militaires de l’OTAN en Europe restent en état d’alerte élevée. Le sabotage manifeste d’un gazoduc reliant la Russie à l’Europe, début octobre 2022, a été une nouvelle démonstration des menaces de sécurité multiformes qui caractérisent l’environnement géopolitique actuel.
79. L’une des conséquences les plus inquiétantes de la guerre est l’insécurité alimentaire, tant en Ukraine que dans le monde. L’agression en cours pose un problème majeur pour les pays qui dépendent d’importations de la Russie et de l’Ukraine, deux grands producteurs de blé et d’engrais. Elle met en danger la sécurité alimentaire de millions de gens dans le monde, en particulier dans les pays à faible revenu.
80. Le 22 juillet 2022, avec l’aide de la Türkiye et de l’ONU, les représentants russes et ukrainiens sont parvenus à un accord sur l’exportation de céréales, de produits alimentaires connexes et d’engrais couvrant les ports ukrainiens d’Odessa, d’Ioujny et de Tchernomorsk. Cet accord a déjà permis d’exporter des millions de tonnes de blé. La Fédération de Russie a toutefois hésité à nommer davantage d’inspecteurs pour faire face au volume croissant des exportations, d’où des marchandises en attente dans les ports, et au début du mois de septembre, le Président Poutine menaçait de revoir l’accord en raison de ce qu’il considérait comme des destinations inappropriées pour les exportations.
81. Outre le soutien humanitaire, opérationnel et militaire apporté par plusieurs pays à l’Ukraine, la communauté internationale a continué d’appuyer fermement la reconstruction du pays. Lors de la conférence pour la reconstruction de l’Ukraine tenue à Lugano (Suisse), les chefs de gouvernement et les ministres représentant 41 pays du monde entier sont convenus d’un cadre commun pour le processus politique de reconstruction de l’Ukraine et d’un ensemble de principes qui serviront de points de référence dans l’avenir 
			(60) 
			<a href='https://www.urc2022.com/'>Ukraine Recovery
Conference, 4-5 juillet 2022, Lugano, Suisse</a> (en anglais seulement)..
82. Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté, en mai 2022, le plan d’action ajusté pour l’Ukraine afin d’apporter au pays le soutien à court et à moyen terme le plus adéquat et le plus utile.
83. L'unité transatlantique en faveur de l'Ukraine est à noter et à saluer. L'Europe devrait être particulièrement reconnaissante du soutien militaire et économique important apporté par les États-Unis à l'Ukraine.

8. La responsabilité de la Fédération de Russie

84. Il est capital que la Fédération de Russie et ses dirigeants répondent des crimes que cet État commet sur le sol européen contre un État souverain voisin et ses citoyens, en violation du droit international. Cette question devrait être examinée de manière globale en vue d’éviter l’impunité tout en respectant les attributions et les responsabilités des différentes juridictions.
85. Entre autres recommandations, l’Assemblée a appelé les États membres et observateurs du Conseil de l’Europe à créer un tribunal pénal international ad hoc qui serait chargé d’enquêter et d’engager des poursuites pour le crime d’agression commis par les dirigeants politiques et militaires de la Fédération de Russie 
			(61) 
			Résolution 2436 (2022) et Recommandation
2231 (2022) «L’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine: faire
en sorte que les auteurs de graves violations du droit international
humanitaire et d’autres crimes internationaux rendent des comptes»<a href=''>.</a>. Cette proposition est conforme à l’initiative lancée par l’Ukraine et récemment renouvelée par le Président Zelensky lors de son intervention devant l’Assemblée générale des Nations Unies. Si le quatrième Sommet des chefs d’État et de gouvernement des États membres du Conseil de l’Europe apportait son soutien politique résolu à cette initiative, ce geste aurait une forte signification politique.
86. Parmi les juridictions internationales qui travaillent actuellement sur l’Ukraine, citons:
  • le Procureur de la Cour pénale internationale, qui a ouvert une enquête sur les allégations actuelles de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou de génocide commis sur toute partie du territoire de l’Ukraine par toute personne à partir du 21 novembre 2013;
  • sur la base d’une requête déposée par l’Ukraine, la Cour internationale de justice (CIJ), qui examine l’interprétation, l’application et le respect de la Convention de 1948 ou Convention des Nations Unies sur le génocide. La requête vise à montrer que les allégations selon lesquelles l’Ukraine est responsable d’un génocide dans les régions de Lougansk et de Donetsk sont infondées et à établir que la Fédération de Russie ne dispose donc d’aucune base légale pour engager une action militaire fondée sur ces fausses allégations.
87. Dans le domaine des droits humains, six mois après avoir été expulsée du Conseil de l’Europe, la Fédération de Russie a cessé d’être partie à la Convention européenne des droits de l’homme au 16 septembre 2022. La Cour européenne des droits de l’homme demeure compétente pour connaître des requêtes contre la Russie qui concernent des actes ou des omissions survenus jusqu’au 16 septembre 2022. On peut notamment citer à cet égard l’affaire interétatique Ukraine c. Russie (X) (requête no 11055/22), dont la Cour a été saisie par l’Ukraine et qui concerne des allégations faisant état de violations graves et massives des droits humains commises par la Fédération de Russie sur le territoire ukrainien depuis le 24 février 2022. Il convient également de se féliciter du fait que 23 États membres du Conseil de l’Europe aient demandé à intervenir en tant que tierces parties dans cette procédure, car cette démarche est un signe de soutien à l’Ukraine, mais aussi au système de la Convention dans son ensemble pour amener la Russie à répondre de ses actes 
			(62) 
			<a href='https://hudoc.echr.coe.int/eng-press'>Ukraine
c. Russie (X)</a> (requête no 11055/22)..
88. Au sein du système des Nations Unies, une commission d’enquête internationale indépendante a été créée par le Conseil des droits de l’homme les 3 et 4 mars 2022 pour enquêter sur les violations présumées des droits humains dans le contexte de l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine. En outre, comme il a déjà été mentionné, le 8 octobre 2022, le Conseil des droits de l’homme a défini le mandat d’un rapporteur spécial sur les droits de l’homme en Russie.
89. Le Conseil de l’Europe devrait être en première ligne pour soutenir les procureurs ukrainiens et les juridictions hybrides (comprenant des juges nationaux et internationaux) qui pourraient être chargés d’enquêter et d’engager des poursuites pour ces crimes internationaux graves. La création d’un registre des dommages dus à l’agression russe devrait aussi être appuyée et la Fédération de Russie devrait être tenue d’indemniser les dommages qu’elle a causés.

9. Conclusions

90. L’agression non provoquée, injustifiée et injustifiable perpétrée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine est une tragédie d’une ampleur colossale. Elle est à l’origine d’une immense détresse ainsi que de souffrances humaines et de dévastations matérielles terribles en Ukraine. Il s’agit de la plus grande guerre en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. En raison de ses répercussions planétaires en matière de sécurité militaire, énergétique et alimentaire, elle constitue une grave menace pour la paix internationale et la gouvernance mondiale.
91. Alors que cette agression se poursuit et atteint de nouveaux sommets de violence et de destruction, le régime russe confirme sa véritable nature terroriste, par son discours irresponsable et plein de haine et son mépris ignominieux des droits humains et des règles du droit international les plus élémentaires.
92. Les États membres du Conseil de l’Europe devraient condamner la dernière escalade en date de l’agression menée par la Fédération de Russie. Ils ne devraient reconnaître aucun effet aux simulacres de «référendums» organisés par la Fédération de Russie, qui lui servent de prétexte pour tenter d’annexer de larges pans du territoire ukrainien, en violation du droit international. Ils devraient intensifier leur soutien à l’Ukraine par tous les moyens disponibles, en appuyant son droit à se défendre et en contribuant à sa reconstruction.
93. En ce moment critique, les États membres du Conseil de l’Europe devraient rester fidèles à leurs principes et à leurs valeurs et ne devraient ménager aucun effort pour veiller à ce que la Fédération de Russie soit tenue pour responsable, juridiquement et politiquement, de cette agression et de tous les dommages et souffrances qui en résultent.
94. L’Assemblée a déjà adopté un certain nombre de textes portant sur l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, que j’ai énumérés en annexe du présent rapport et dont les recommandations devraient être réitérées dans leur intégralité. Ces textes sont le reflet de la conscience de l’Europe. Il est de la plus haute importance que les chefs d’État et de gouvernement des États membres du Conseil de l’Europe, réunis lors d’un quatrième Sommet, soutiennent les propositions de l’Assemblée, en réaffirmant non seulement leur attachement à la démocratie, aux droits humains et à l’État de droit, mais aussi à l’indépendance, à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine ainsi que leur volonté de ne pas laisser la Fédération de Russie impunie.

Annexe – Textes de référence

(open)

A. Assemblée parlementaire

Conséquences humanitaires et déplacements internes et externes en lien avec l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine (Rapporteur: M. Pierre-Alain Fridez, Suisse, SOC). Texte adopté: Résolution 2448 (2022)

Cas signalés de prisonniers politiques en Fédération de Russie (Rapporteure: Mme Thórhildur Sunna Ævarsdóttir, Islande, SOC). Textes adoptés: Résolution 2446 (2022) et Recommandation 2236 (2022).

Protection et prise en charge des enfants migrants ou réfugiés non accompagnés ou séparés (Rapporteure: Mme Mariia Mezentseva Ukraine, PPE/DC). Texte adopté: Résolution 2449 (2022)

La sécurité en Europe face à de nouveaux défis: quel rôle pour le Conseil de l’Europe? (Rapporteur: M. Bogdan Klich, Pologne, PPE/DC). Textes adoptés: Résolution 2444 (2022) et Recommandation 2235 (2022)

L'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine: faire en sorte que les auteurs de graves violations du droit international humanitaire et d’autres crimes internationaux rendent des comptes (Rapporteur: M. Aleksander Pociej, Pologne, PPE/DC). Textes adoptés: Résolution 2436 (2022) et Recommandation 2231 (2022)

Conséquences de l'agression persistante de l'Ukraine par la Fédération de Russie: rôle et réponse du Conseil de l'Europe (Rapporteur: M. Frank Schwabe, Allemagne, SOC). Textes adoptés: Résolution 2433 (2022) et Recommandation 2228 (2022)

Conséquences de l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine (Rapporteure: Mme Ingjerd Schou. Norvège, PPE/DC). Texte adopté: Avis 300 (2022)

Sous-commission ad hoc de la commission juridique et des droits de l’homme chargée d’effectuer une visite d’information en Ukraine afin de recueillir des informations sur d’éventuels crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis pendant la guerre d’agression lancée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine

B. Comité des Ministres

«L'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine: faire en sorte que les auteurs de graves violations du droit international humanitaire et d’autres crimes internationaux rendent des comptes» – Recommandation 2231 (2022) de l'Assemblée parlementaire – (Réponse adoptée par le Comité des Ministres le 5 octobre 2022 lors de la 1445e réunion des Délégués des Ministres) CM/AS(2022)Rec2231-final

«Conséquences de l'agression persistante de la Fédération de Russie contre l'Ukraine: rôle et réponse du Conseil de l'Europe» – Recommandation 2228 (2022) de l'Assemblée parlementaire, CM/Del/Dec(2022)1444/2.5

Conséquences de l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine – Responsabilité des auteurs de crimes internationaux, CM/Del/Dec(2022)1442/2.3

132e Session du Comité des Ministres (Turin, Italie, 20 mai 2022) – Unis autour de nos valeurs – la réponse du Conseil de l’Europe à l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, CM/Del/Dec(2022)132/2

Conséquences de l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, CM/Del/Dec(2022)1431/2.3

Conséquences de l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, CM/Del/Dec(2022)1429bis/2.3

Conséquences de l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, CM/Del/Dec(2022)1428ter/2.3

Conséquences de l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, CM/Del/Dec(2022)1428bis/2.3

Conséquences de l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, CM/Del/Dec(2022)1427bis/2.3

Situation en Ukraine – Poursuite de la procédure prévue à l'article 8 du Statut, CM/Del/Dec(2022)1427/2.5

Situation en Ukraine – Mesures à prendre, notamment en vertu de l'article 8 du Statut du Conseil de l'Europe, CM/Del/Dec(2022)1426ter/2.3

Situation en Ukraine, CM/Del/Dec(2022)1426bis/2.3

«Les conséquences humanitaires de la guerre en Ukraine» – Recommandation 2119 (2018) de l’Assemblée parlementaire, CM/Del/Dec(2018)1316/3.4

132e Session du Comité des Ministres (Turin, Italie, 20 mai 2022) – Ajustements prioritaires du Plan d'action du Conseil de l'Europe pour l'Ukraine 2018-2022, CM(2022)89-final

Plan d’action du Conseil de l’Europe pour l’Ukraine 2018-2021, GR-DEM(2017)18-final