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Rapport | Doc. 15677 | 05 janvier 2023

Violences sexuelles liées aux conflits

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteure : Mme Petra BAYR, Autriche, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15511, Renvoi 4647 du 28 April 2022. 2023 - Première partie de session

Résumé

Les violences sexuelles liées aux conflits constituent l’une des pires atrocités de la guerre et une tactique systématiquement employée pour humilier, violer et détruire le corps et l’esprit des victimes dans le but de répandre la peur et de saper la résistance morale de la partie opprimée. Il s’agit d’un crime de guerre au regard du droit international et qui est également utilisé à des fins de nettoyage ethnique, pour compromettre de manière irrémédiable le cycle de procréation d’un «ennemi», ou pour repeupler des régions avec le «vrai sang» du conquérant en puissance. Bien que la majorité des victimes soient des femmes et des filles, elles ne sont pas les seules cibles et cette forme de violence est moins spécifique au genre dans le cas des jeunes enfants.

Aujourd’hui, les violences sexuelles liées aux conflits ne sont plus considérées comme un sous-produit inévitable et indissociable de la guerre, mais comme un phénomène évitable, qui peut être combattu de manière effective. La prévention des violences sexuelles liées aux conflits se met en place bien avant l’éclatement de conflits armés. L’Assemblée parlementaire invite les États membres et les parlements nationaux à œuvrer à la prévention en temps de paix comme dans les situations de conflit grâce à une action internationale concertée, des politiques nationales de protection, des sanctions appliquées de manière stricte à l’encontre des auteurs de tels actes, l’autonomisation des personnes vulnérables et des programmes de réadaptation et de réparation axés sur les survivant·e·s.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 1er décembre
2022.

(open)
1. En plus de dévaster des territoires entiers et de détruire des infrastructures, la guerre inflige des dommages durables aux personnes qui la subissent et qui vivent à proximité, quel que soit leur rôle, laissant dans son sillage des traumatismes individuels, collectifs et familiaux qui persistent pendant des décennies et se répercutent sur plusieurs générations. En 2022, la guerre est revenue sur notre continent et les dirigeant·e·s européens sont à nouveau appelés à agir à l’échelle nationale et multilatérale, pour faire face non seulement au conflit lui-même, mais aussi aux conséquences négatives considérables sur nos sociétés de l’agression d’un pays contre un autre pays.
2. Les «violences sexuelles liées aux conflits», qui ne correspondent en fait à aucune conception réelle de la sexualité, constituent l’une des pires atrocités de la guerre et une tactique systématiquement employée pour humilier, violer et détruire le corps et l’esprit des victimes, tout en les laissant le plus souvent en vie pour qu’elles puissent raconter leur histoire, dans le but de répandre la peur et de saper la résistance morale de la partie opprimée. Les violences sexuelles liées aux conflits sont un crime de guerre au regard du droit international, peuvent être un élément constitutif d’un génocide et sont certainement utilisées à des fins de nettoyage ethnique, pour compromettre de manière irrémédiable le cycle de procréation d’un «ennemi», ou pour repeupler des régions avec le «vrai sang» du conquérant en puissance. Bien que la majorité des victimes soient des femmes et des filles, elles ne sont pas les seules cibles et cette forme de violence est moins spécifique au genre dans le cas des jeunes enfants.
3. Aujourd’hui, grâce notamment au travail de l’Organisation des Nations unies et aux résolutions successives de son Conseil de sécurité, les violences sexuelles liées aux conflits ne sont plus considérées comme un sous-produit inévitable et indissociable de la guerre, mais comme un phénomène évitable, qui peut être combattu grâce à une action internationale concertée, des politiques nationales de protection, des sanctions strictes appliquées à l’encontre des auteurs de tels actes, l’autonomisation des personnes vulnérables et des programmes de réadaptation et de réparation axés sur les survivant·e·s.
4. L’Assemblée parlementaire condamne avec la plus grande fermeté les violences sexuelles liées aux conflits et réaffirme que leurs auteurs doivent être traduits en justice, qu’ils soient sur le front ou occupent des fonctions dirigeantes. Une action résolue s’impose pour éradiquer le phénomène et faire face à ses conséquences. Renvoyant à sa Résolution 2120 (2016) «Les femmes dans les forces armées: promouvoir l’égalité, mettre fin aux violences fondées sur le genre» et à sa Résolution 2450 (2022) «Justice et sécurité pour les femmes dans les processus de paix et de réconciliation», l’Assemblée appelle les États membres à favoriser en temps de paix l’avènement de sociétés non-violentes et résilientes, fondées sur le principe de l’égalité, y compris concernant l’accès de toutes et tous aux droits, en tant que préalables indispensables pour affronter les crises, désamorcer les tensions susceptibles de dégénérer en conflit ouvert et en réduire au minimum ses conséquences. Elle demande instamment à tous les États ne l’ayant pas encore fait de ratifier la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210, «Convention d'Istanbul») qui, en vertu de son article 2.3, s'applique en temps de paix et dans les situations de conflit armé, et qui contient également des dispositions spécifiques sur les femmes migrantes et demandeuses d'asile victimes de violences.
5. La prévention des violences sexuelles liées aux conflits se met en place bien avant l’éclatement de conflits armés. Par conséquent, l’Assemblée invite les États membres et les parlements nationaux à œuvrer à la prévention en temps de paix comme dans les situations de conflit, notamment:
5.1. en encourageant un recrutement inclusif au sein des forces armées et de la police afin de parvenir à un meilleur équilibre entre les femmes et les hommes et, ainsi, à l’égalité en tenant compte de la perspective de genre dans les promotions, les actions et les politiques;
5.2. en mettant en place ou en renforçant la formation des forces de police et de l’armée en matière d’assistance aux victimes de violences fondées sur le genre, ce qui inclut la mise à disposition d’espaces sûrs permettant aux survivant·e·s de se remettre et de relater les expériences qu’ils ont vécues, ainsi que la dispense de conseils sur l’accès à une aide juridique et à des soins médicaux et psychologiques. Une coordination entre les différents services, y compris avec les organisations de la société civile, doit être assurée;
5.3. en mettant en œuvre, dans les endroits où un conflit a encore des effets concrets sur les communautés, en particulier dans le territoire de l’ex-Yougoslavie, des mesures de justice transitionnelle afin de susciter une véritable transformation politique, et en contrecarrant les récits à la gloire des criminels de guerre, par exemple;
5.4. en rendant hommage aux survivant·e·s de violences sexuelles liées aux conflits, comme Nadia Murad, lauréate du prix Václav Havel et du prix Nobel de la paix, qui, en tant que défenseuses et défenseurs, ambassadrices et ambassadeurs de la paix et de la réparation, peuvent attirer un soutien aussi bien politique que financier, tout en sensibilisant le public aux régions et personnes particulièrement touchées et à la nécessité de leur venir en aide et de leur permettre de se faire entendre;
5.5. en reconnaissant l’importance de la culture en tant qu’acteur du changement: le théâtre, le cinéma, le sport et d’autres activités culturelles peuvent grandement contribuer à faire évoluer les mentalités et à promouvoir un vivre ensemble pacifique.
6. La reconnaissance par le Statut de Rome de la Cour pénale internationale des violences sexuelles liées aux conflits comme crimes contre l’humanité et crimes de guerre a permis de poursuivre des auteurs de ces crimes ainsi que leur commandement, en combinaison avec d’autres crimes. Toutefois, l’échelon national est le niveau le plus approprié pour demander des comptes aux auteurs de violences. La compétence universelle est également une possibilité, et l’Assemblée félicite l’Allemagne, l’Espagne, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Norvège, la Pologne, la République Slovaque, la Roumanie, la Suède et la Suisse qui ont ouvert, au titre de la compétence universelle, des enquêtes concernant des crimes de guerre commis dans le cadre de la guerre d’agression russe contre l’Ukraine, ou qui ont déclaré leur intention de le faire. Elle félicite également les procureurs français qui ont engagé une enquête sur les crimes de guerre relevant de la compétence nationale dans le même contexte, pour des affaires dans lesquelles des citoyen·ne·s ou des résident·e·s français ont été des victimes potentielles ou des auteurs supposés. En ce qui concerne les poursuites judiciaires des violences sexuelles liées aux conflits, l’Assemblée appelle les États membres:
6.1. à signer et à ratifier le Statut de Rome qui constitue le fondement juridique des travaux de la Cour pénale internationale, s’ils ne l’ont pas déjà fait;
6.2. à utiliser la compétence universelle en tant que moyen de poursuivre les auteurs de crimes de violences sexuelles liées aux conflits quel que soit l’endroit où ils les ont commis;
6.3. à recourir aux dispositions relatives aux crimes internationaux figurant dans leurs codes pénaux nationaux, qui couvrent explicitement et implicitement les comportements constitutifs de violences sexuelles liées aux conflits, dès lors que des auteurs ou victimes sont présents sur leur territoire, ou que des actes ayant un lien avec le crime sont commis sur leur territoire;
6.4. à s’appuyer sur l’ensemble de dispositions législatives types et d’orientations pour les enquêtes et les poursuites relatives à des violences sexuelles liées aux conflits [Model Legislative Provisions and Guidance on Investigation and Prosecution of Conflict-related Sexual Violence] élaboré en 2021 par le Bureau de la Représentante spéciale du Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit afin de veiller à ce que des enquêtes efficaces soient menées, permettant leur utilisation devant les juridictions, et à cette même fin, à encourager et à soutenir les organisations de la société civile à suivre les lignes directrices établies par le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale et Eurojust relatives à la consignation de crimes internationaux et de violations des droits humains en vue de la détermination des responsabilités pour ces actes;
6.5. à collaborer avec les tribunaux internationaux, en vue d’assurer la transmission efficace des jugements aux autorités nationales de poursuite, ce qui comprend le partage de l’accès aux bases de données des éléments de preuve recueillis;
6.6. à soutenir, avec l’Assemblée, la mise en place d’un tribunal international spécial (ad hoc) afin d’engager des poursuites pour le crime d’agression contre l’Ukraine, et à veiller à ce que les enquêtes sur les violences sexuelles liées aux conflits en soient une priorité.
7. La documentation, l’établissement de rapports, la collecte de preuves et la recherche sont essentiels pour mettre au jour les crimes et poursuivre les auteurs de violences sexuelles liées aux conflits. Il est notoirement difficile d’évaluer l’ampleur de ces violences en raison de la sous-déclaration des cas par les survivant·e·s qui ne souhaitent pas s’exprimer ou ne sont pas en mesure de le faire, parce que les dommages causés peuvent être invisibles et difficiles à prouver, ou encore parce que les infrastructures et les services font souvent défaut là où se trouvent les survivant·e·s, notamment dans les zones de guerre, les régions de conflits dits «gelés», etc.
8. Saluant le travail accompli par des ONG telles que la Coalition Ukraine 5AM (un regroupement d’expert·e·s en technologie qui recueillent des données en Ukraine depuis les premiers bombardements par la Russie), finaliste du Prix Václav Havel 2022, l’Assemblée demande instamment aux États membres:
8.1. de veiller à la mise en place, en temps de paix, de procédures solides et sûres de signalement des violences sexuelles, conformément aux dispositions de la Convention d’Istanbul, afin que celles-ci soient opérationnelles lorsqu’elles sont appliquées aux violences sexuelles commises en situation de conflit;
8.2. de faire en sorte que les survivant·e·s de violences sexuelles se voient offrir des espaces sûrs pour partager les expériences vécues, que les témoins bénéficient d’une protection adéquate, que les différents services contribuant au recueil des éléments de preuve emploient des moyens technologiques recevables devant les juridictions pour enregistrer ces preuves et travaillent en coordination afin que les témoins ne soient pas obligés de répéter leur déclaration, et d’éviter ainsi de raviver les traumatismes;
8.3. de soutenir, y compris financièrement, le développement d’outils électroniques permettant aux survivant·e·s d’enregistrer elles- et eux-mêmes leur témoignage quant aux violences fondées sur le genre subies, en particulier pendant les conflits, par exemple l’application «Back Up» mise au point et à l’essai par l’ONG We Are NOT Weapons Of War;
8.4. de veiller à ce que la police soit formée et habilitée à recueillir des éléments de preuve au niveau local, sans nécessiter l’intervention de services de police et de juridiction de rangs plus élevés aux premiers stades des procédures judiciaires.
9. La prise en charge des survivant·e·s doit être immédiate, globale et axée sur les besoins des personnes concernées. À cet égard, l’Assemblée exhorte les autorités nationales et les organisations internationales à œuvrer de concert aux fins:
9.1. de soutenir le Fonds au profit des victimes de la Cour pénale internationale en lui versant des contributions financières;
9.2. de transférer au Fonds au profit des victimes, sur demande, les biens gelés des criminels condamnés par la Cour pénale internationale afin de financer des réparations et des programmes en faveur des survivant·e·s;
9.3. d’adopter, en s’appuyant sur les principes de la justice transitionnelle, des pratiques tenant compte du genre et axées sur les survivant·e·s, et de veiller à ce que les réparations soient adaptées à l’âge et à la situation des victimes;
9.4. de mettre en œuvre, à l’égard de toutes les victimes, qu’elles se trouvent sur le territoire national ou qu’elles aient fui la guerre dans leur pays, les lignes directrices de l’Organisation mondiale de la Santé relatives à la gestion clinique des victimes de viols, afin de veiller à ce que les prestataires médicaux appliquent des approches centrées sur les survivant·e·s et suivent les protocoles sanitaires nécessaires pour protéger les femmes contre les grossesses non désirées et les maladies sexuellement transmissibles.
10. Les mesures centrées sur les survivant·e·s doivent être adaptées aux besoins individuels des victimes de violences sexuelles liées aux conflits où qu’elles se trouvent et assurer notamment un accès sans entraves à l’information et à l’avortement. Les États doivent garantir l’accès des femmes aux droits et à la santé sexuels et reproductifs, et à cette fin:
10.1. prioriser les services en matière de droits et de santé sexuels et reproductifs à travers l’ensemble de la réponse humanitaire et d’aide aux réfugiés;
10.2. agir de manière efficace pour réduire et éliminer les restrictions et les barrières à l’accès à des soins de santé sexuelle et reproductive complets, y compris les soins essentiels ou exigeant une prise en charge rapide;
10.3. veiller à ce que les experts et les organisations de la société civile locaux participent à la conception des mesures en réponse aux questions de droits et de santé sexuels et reproductifs;
10.4. garantir aux systèmes de santé nationaux un financement durable et à long terme et un soutien adaptable en ce qui concerne la programmation, la prestation de service et le plaidoyer en matière de droits et de santé sexuels et reproductifs, afin d’éliminer les obstacles systémiques et structurels.
11. Les organisations internationales et les organisations non gouvernementales qui participent aux opérations de maintien de la paix n’ont pas été exempts d’abus de leur position de domination sur des personnes vulnérables, en particulier les personnes déplacées ou exilées, pour commettre des crimes atroces de violence sexuelle, notamment de traite des êtres humains et d’esclavage sexuel. L’Assemblée appelle l’Organisation des Nations Unies à poursuivre ses efforts pour mettre en œuvre une politique de tolérance zéro visant à éliminer les abus et l’exploitation sexuels commis dans le cadre de ses opérations, y compris par le personnel recruté localement, et pour veiller à ce que les ONGs œuvrant sur des programmes soient couvertes par ces politiques.
12. Les organisations non gouvernementales et les acteurs de la société civile jouent un rôle déterminant dans l’accompagnement des survivant·e·s de violences sexuelles liées aux conflits et servent d’agents d’alerte précoce sur le terrain lorsque des tensions naissent et que la situation se détériore. Par conséquent, l’Assemblée invite les parlements nationaux à veiller à ce que la société civile, et en particulier les ONG œuvrant sur les droits des femmes, celles dirigées par des femmes ainsi que celles consacrées aux violences fondées sur le genre et aux droits et à la santé sexuels et reproductifs, soient soutenues dans leur travail et bénéficient d’un soutien financier institutionnel continu, adaptable et durable et des infrastructures nécessaires pour leur permettre de fonctionner efficacement.
13. Enfin, l’Assemblée appelle les États membres à introduire des lois garantissant aux survivant·e·s de violences sexuelles liées aux conflits un accès individuel et collectif à des mesures d’inclusion, de réparation et de réhabilitation tout au long de la vie et sans obstacle bureaucratique ou psychologique injustifié, et à allouer les ressources financières et humaines nécessaires à ces programmes, compte tenu du fait que la réparation pécuniaire des conséquences des dommages infligés est quasi-impossible.

B. Exposé des motifs par Mme Petra Bayr, rapporteure

(open)

1. Contexte

1. La guerre d'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine marque le retour du conflit ouvert au cœur de l'Europe. Un conflit ouvert qui confronte la population européenne aux horreurs de la guerre: violence, oppression, destruction, déplacement, fuite et exil. Cette guerre reproduit malheureusement des schémas et des formes d’agression entre des peuples qui sont aussi vieux que la guerre elle-même, et qui se poursuivent dans différentes parties du monde depuis lors. Comme le rappelle la proposition de résolution, outre le combat armé, la torture et le viol sont utilisés comme des armes pour briser, démoraliser et détruire individus, foyers, familles et peuples.
2. Dans le monde entier, des entités étatiques et non étatiques ont recours à des moyens militaires plutôt qu’à des solutions diplomatiques et politiques, à l’intérieur des pays et au-delà des frontières nationales et décident d’augmenter les dépenses consacrées aux armements et à réduire les crédits précédemment affectés aux services sociaux et médicaux, ce qui a pour effet d'accroître la vulnérabilité de certaines parties des populations en cas de tensions et de conflits, notamment les femmes, les enfants, les personnes handicapées et les minorités.
3. Ainsi, des pays entiers négligent l’éducation et la formation nécessaires pour s’attaquer aux causes profondes de la violence fondée sur le genre, à savoir l’inégalité fondée sur le genre. Selon les Nations Unies, «les causes profondes de la violence sexuelle liée aux conflits, notamment la militarisation et la prolifération des armes, l’impunité, l’effondrement des institutions, les inégalités structurelles fondées sur le genre et les normes sociales néfastes, ont été exacerbées par une confluence des crises humanitaires, des crises politiques et des crises en matière de sécurité 
			(2) 
			Nations Unies, <a href='https://reliefweb.int/attachments/2a4084e4-f94b-3330-85cb-fed261aeef5e/FR.pdf'>“Violences
sexuelles liées aux conflits”, Rapport du Secrétaire général de
l’ONU</a>, S/2022/272, 29 mars 2022.». Dans le même rapport, l'ONU a dénombré 18 pays touchés par la violence sexuelle liée aux conflits en 2021, commis par différents acteurs dont 12 forces militaires et policières nationales et 49 organismes soupçonnés de manière crédible, la plupart des acteurs non étatiques.
4. En prenant comme point de départ la précédente Résolution 1670 (2009) de l’Assemblée parlementaire «La violence sexuelle à l'égard des femmes dans les conflits armés», ce rapport réexamine cette question à la lumière du contexte actuel, et présente des recommandations sur les mesures préventives et dissuasives contre la violence sexuelle liée aux conflits, à mettre en œuvre d’urgence par les États membres.

2. Méthodes de travail

5. Dans sa déclaration du 6 avril 2022, la Rapporteure générale de l'Assemblée sur la violence à l'égard des femmes a dénoncé les violences sexuelles effroyables qui auraient été perpétrées contre des civil·e·s par les forces militaires russes au cours du premier mois de la guerre en Ukraine, comme en témoignent les rapports quotidiens de journalistes, d'organisations internationales, relayés également par des témoins directs et du personnel médical, faisant état de viols et d'autres atrocités. Le 24 novembre 2022, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe, Marija Pejčinović Burić, a fait une déclaration forte sur le besoin d’assister les femmes ukrainiennes victimes de violences sexuelles et de traite aux mains de l’armée russe 
			(3) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/portal/-/ukraine-we-must-help-victims-of-sexual-violence-by-russian-soldiers'>“Ukraine:
Nous devons aider les victimes de violences sexuelles commises par
les soldats russes”, Déclaration de Marija Pejčinović Burić, Secrétaire
Générale du Conseil de l’Europe, Salle de presse, Conseil de l’Europe,
24 novembre 2022.</a>.
6. Les violences sexuelles perpétrées dans le cadre de la guerre en Ukraine seront l’un des principaux sujets examinés, et les atrocités commises seront mises en avant dans ce rapport ; dans ce contexte, il était important de recueillir des éléments de preuve sur la violence à l’égard des femmes et d’attirer l’attention sur le fait que des enfants, filles et garçons, sont également victimes de violences sexuelles liées aux conflits (VSLC). J'ai utilisé des témoignages recueillis lors d'une mission d'enquête menée en juin 2022 par le Forum parlementaire européen pour la santé et les droits sexuels et reproductifs, que j'ai l'honneur de présider, pour illustrer comment les définitions internationales des victimes de VSLC sont appliquées à la lettre dans les réalités tragiques de la guerre 
			(4) 
			Forum parlementaire
européen pour la santé et les droits sexuels et reproductifs (EPF), <a href='https://www.epfweb.org/node/926'>“EPF mission
to investigate sexual violence resulting from the Russian aggression
against Ukraine – June 2022”,</a> 12 Septembre 2022 (en anglais uniquement)..
7. Le 22 juin 2022, la commission a tenu une audition conjointe avec le Réseau parlementaire pour le droit des femmes de vivre sans violence, qui a été consacrée à une proposition de notre collègue Maryna Bardina (Ukraine, ADLE) sur le thème: «Développer des mécanismes et des moyens concrets pour détecter les crimes de violences sexuelles des conflits armés et soutenir la réadaptation des survivant·e·s». La réunion était présidée par la Rapporteure générale de l’Assemblée sur la violence à l’égard des femmes, Mme Zita Gurmai (Hongrie, SOC) et les intervenantes étaient la Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Mme Dunja Mijatović, la Vice-ministre de l'Intérieur de l'Ukraine, Mme Kateryna Pavlichenko (en ligne) et la conseillère juridique principale au bureau de TRIAL International à Sarajevo (Bosnie-Herzégovine), Mme Adrijana Hanušić Bećirović. Cette audition a apporté une contribution essentielle à mon rapport, sur les travaux du Conseil de l’Europe, la situation en Ukraine et, en particulier, sur les moyens de faire face aux conséquences à long terme des VSLC.
8. Une deuxième audition a eu lieu le 16 septembre 2022 à Paris, avec la participation de Mme Ajna Jusić, présidente de l'ONG bosniaque «Forgotten Children of War», elle-même enfant née d'un viol, et Mme Céline Bardet, juriste internationale, fondatrice et présidente de l'ONG «We Are NOT Weapons of War» 
			(5) 
			<a href='http://www.notaweaponofwar.org/en/'>www.notaweaponofwar.org/en/</a>.. J'ai aussi eu l’occasion de rencontrer, à Vienne, Mme Pramilla Patten, Représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit, et j’ai profité d’une visite à New York pour rencontrer Mme Letitia Anderson, spécialiste de la sensibilisation et des droits des femmes auprès du Bureau de la Représentante spéciale. Enfin, j'ai eu des entretiens en ligne avec Mme Patricia Viseur Sellers, spécialiste du droit pénal international et conseillère spéciale de la Cour pénale internationale pour les crimes d’esclavage, et avec des expert·e·s de l'ONG Nadia's Initiative 
			(6) 
			<a href='http://www.nadiasinitiative.org/'>www.nadiasinitiative.org/</a>., fondée par la survivante yézidie et militante internationale, Mme Nadia Murad, lauréate des prix Václav Havel, Sakharov et Nobel de la paix. Lors d’une conférence d’Action mondiale des parlementaires tenue en novembre 2022 à Buenos Aires, je me suis longuement entretenue avec Mme Minerva Tavarez Mirabal, présidente du Fonds de la Cour pénale internationale au profit des victimes, puis j’ai eu une vidéoconférence avec Mme Urszula Grycuk, coordinatrice du plaidoyer international de FEDERA, la Fondation polonaise pour les femmes et le planning familial. Tous ces échanges m’ont permis d’acquérir une bonne connaissance des enjeux et des défis de la protection contre les violences sexuelles liées aux conflits.

3. Champ d’application du rapport

9. L’examen des cas de violences sexuelles liées à des conflits et de leur traitement au-delà de l’Europe a permis d’étudier d’autres dimensions et pourra, je l’espère, permettre d’obtenir une meilleure vision des conséquences à long terme et de définir les moyens les plus efficaces et les mieux adaptés pour aider les survivant·e·s, accorder des réparations et contribuer à la réadaptation. En Europe même, la guerre en ex-Yougoslavie a montré en particulier comment la violence et les traumatismes persistent pendant des décennies après le conflit, alimentés par des dommages psychologiques réprimés et non traités, la faiblesse des mesures prises par l'État pour recréer un espace de coexistence pacifique, le manque de reconnaissance adéquate des victimes, la stigmatisation des victimes de viol et leurs enfants et, dans certains cas, la «réhabilitation sociale» des criminels de guerre condamnés qui ont supervisé, ordonné ou toléré les violences fondées sur le genre.
10. La guerre des Balkans montre également comment l'idéologie peut constituer une forte motivation pour commettre des violences sexuelles, et plus particulièrement des viols, utilisés comme moyen soit de repeupler un pays ou une région par l'agresseur, soit de supprimer, par la destruction, les droits et la santé sexuels et reproductifs des populations ennemies et leurs droits, soit deux formes opposées de nettoyage ethnique à travers les mêmes crimes et avec la même intention finale. La violence peut aussi faire partie d’un plan visant à éliminer un peuple entier, ce qui constitue un génocide 
			(7) 
			Tel a été le cas du
massacre de Srebrenica par exemple, au cours duquel plus de 8 000
hommes et garçons musulmans bosniaques ont été tués par des unités
de l'armée serbe de Bosnie de la Republika Srpska (VRS) sous le commandement
de Ratko Mladić, avec la participation d'une unité paramilitaire
serbe. En 2004, la Chambre d'appel du Tribunal pénal international
pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) a jugé que le massacre des habitants
masculins de l'enclave constituait un génocide, ce qu’a confirmé
la Cour internationale de justice (CIJ) en 2007. Le transfert forcé
et la maltraitance de 25 000 à 30 000 femmes, enfants et personnes
âgées musulmans bosniaques pendant le massacre ont été considérés
comme un génocide lorsqu'ils ont été accompagnés du meurtre et de
la séparation des hommes.. Il s'agit là de facteurs aggravants qui s’ajoutent au concept d'humiliation corporelle, qui est l’incarnation de la «domination» d'une nation ou d'une ethnie sur une autre.
11. Ces dernières années, des révélations choquantes ont été faites à propos d’organisations internationales intervenant activement dans des opérations militaires (de maintien de la paix), notamment sur le continent africain, où la position de dépendance des populations locales a conduit à des abus commis par leurs membres, se manifestant notamment sous la forme d’exploitation et d’abus sexuels. Il convient également d'examiner les violences sexuelles perpétrées dans différents types de conflits, par exemple dans le cas d'éclatements sporadiques de conflits frontaliers dits «gelés» et dans les régions où les conflits – et les violences sexuelles qu’ils perpétuent – sont devenus le mode de vie de plusieurs générations.
12. L’objectif du présent rapport est de décrire les contours des VSLC et leurs conséquences, de susciter une prise de conscience des dommages durables subis par les survivant·e·s, de définir les bonnes pratiques et les mesures de prévention, de protection et de réparation que les législateurs, les organisations internationales, les ONG et les individus peuvent promouvoir et adopter en Europe. Je tiens en particulier à contribuer à la promotion de la justice, de l’assistance et des recours dédiés aux femmes et aux autres victimes et survivant·e·s de violences sexuelles liées aux conflits en Ukraine.

4. Comment définir les violences sexuelles liées aux conflits?

4.1. Définition des violences sexuelles liées aux conflits en droit international

13. Le viol et les autres formes de violence sexuelle sont des éléments constitutifs d’un génocide qui est défini par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide comme « des actes commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Le génocide a obtenu le statut de jus cogens (norme prévalant sur les autres normes) et il est interdit de plein droit et en tant que crime contre l’humanité. La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée le 9 décembre 1948, est entrée en vigueur le 12 janvier 1951 
			(8) 
			Le <a href='https://undocs.org/fr/A/RES/260(III)'>texte</a> de la Convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide (Convention sur le génocide) est disponible
sur le site internet du Bureau des Nations Unies de la prévention
du génocide et de la responsabilité de protéger: <a href='http://www.un.org/fr/genocideprevention/genocide-convention.shtml'>www.un.org/fr/genocideprevention/genocide-convention.shtml</a>.. La référence à cette première définition permet de comprendre comment les violences sexuelles peuvent être utilisées dans le cadre d’un plan, parfois comme outil de nettoyage ethnique par fécondation forcée, et toujours comme une démonstration de la domination, de l'humiliation et de la cruauté masculines. Certaines dispositions de la convention sont néanmoins insuffisantes, comme l’obligation de mesures visant la prévention du génocide.
14. L’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale sur les crimes contre l’humanité qualifie de crimes contre l’humanité le viol, l’esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée, la stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable, lorsqu’ils sont commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque. Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et le Tribunal pénal international pour le Rwanda ont tous deux joué un rôle décisif en créant des précédents dans la poursuite des VSLC, notamment en formulant les définitions et les éléments constitutifs des crimes fondés sur le genre 
			(9) 
			Les affaires jugées
par les tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et
le Rwanda, ainsi que le Tribunal spécial pour la Sierra Leone et
les Chambres extraordinaires des tribunaux cambodgiens, ont également
donné lieu à une jurisprudence importante sur les VSLC dans le cadre
des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité et du génocide. Il
s'agit notamment des affaires Akayesu,
Kunarac, Furundzija, Delalic, Karemera et Taylor..
15. En tant que graves atrocités internationales, les crimes contre l’humanité sont également soumis à la compétence universelle, ce qui implique que des tribunaux nationaux peuvent être compétents pour juger une personne soupçonnée de crime contre l’humanité, même si le suspect ou la victime ne sont pas des ressortissant·e·s du pays où est situé le tribunal et si le crime a eu lieu en dehors de ce pays. L’existence et la portée de la compétence universelle dépendent de la législation nationale. Par exemple, des enquêtes dans le cadre de la compétence universelle concernant des crimes de guerre commis lors de l’invasion de l’Ukraine par la Russie ont commencé dans plusieurs pays individuels, dont l’Allemagne, la Lituanie, l’Espagne et la Suède.
16. En 2008, les Nations Unies ont reconnu, dans la Résolution 1820 (2008) du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité, que le viol et d’autres formes de violence sexuelle peuvent constituer un crime de guerre, un crime contre l’humanité ou un élément constitutif du crime de génocide.
17. Comme le souligne la proposition de résolution, la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte et la prévention de la violence à l'égard des femmes et de la violence domestique (STCE no 210, «Convention d'Istanbul») érige le viol et les autres formes de violence en infraction pénale et prévoit la protection des femmes dans les conflits, ainsi que des femmes demandeuses d'asile.
18. Les femmes ne sont pas les seules victimes de VSLC. Dans toutes les situations de conflit, une proportion (généralement beaucoup plus faible) des crimes sont perpétrés contre des hommes, et en particulier contre des enfants, quel que soit leur genre. Dans certains cas particuliers, tels que l'exploitation et les abus sexuels perpétrés par des soldats de la paix décrits au chapitre 4.3 ci-après, la proportion d'hommes et d'enfants visés est plus élevée, et dans quelques cas, comme en Sierra Leone, les enfants de sexe masculin ont été les principales victimes 
			(10) 
			Voir,
par exemple, Independent Commission for Aid Impact (ICAI), «<a href='https://icai.independent.gov.uk/html-version/psvi-2/'>Conflict-related
sexual violence and sexual exploitation and abuse</a>», Literature review,
30 septembre 2020 (en anglais uniquement)..
19. Dans le présent rapport, j'ai choisi de conserver l’expression «violences sexuelles liées aux conflits» comme terme juridiquement et généralement reconnu pour les différents types de violence fondée sur le genre dans les conflits 
			(11) 
			Le titre original du
rapport était «La violence sexuelle dans les situations de conflits»;
ma proposition de le modifier et de l’intituler «Violences sexuelles
liées aux conflits» a été approuvée par la commission en juin 2022., malgré ma réticence à associer l'idée de sexualité à ce type de comportement délibéré et méprisable motivé par des intentions tactiques et politiques. Dans la plupart des cas, je fais également référence aux personnes soumises aux VSLC en tant que «survivantes» et non «victimes», ce qui est généralement accepté comme le terme le plus positif englobant les processus de guérison et de réparation et supposant un rôle actif plutôt que passif. Il convient toutefois de noter que de nombreuses dispositions légales exigent qu’une personne soit reconnue comme victime pour pouvoir bénéficier d’une assistance et d’un soutien.

4.2. Les réalités sur le terrain

Et puis... (silence) 'Une amie', Svetlana cherche son souffle et réfléchit un instant. Soudain, elle semble réaliser ce qu'elle dit exactement. Elle ravale ses larmes, s'éclaircit la voix et continue. Tout à coup, son histoire n'est plus celle d'elle-même, mais celle d'une «amie». Elle raconte comment cette «amie» dans le sous-sol de Marioupol a été violée par le soldat russe, tandis que l'autre soldat tenait son fils et le forçait à regarder. Svetlana raconte également que les soldats ont ensuite violé une autre femme dans l'abri antiaérien et que son «amie» a vu le soldat russe enfoncer un pistolet dans le vagin de la femme et tirer après le viol. Il a dit qu'il voulait s'assurer qu'elle ne donnerait plus jamais naissance à de «nouveaux Ukrainiens 
			(12) 
			<a href='https://www.epfweb.org/node/926'>EPF mission
to investigate sexual violence resulting from the Russian aggression
against Ukraine – June 2022, </a>op. cit..

20. Les violences sexuelles ont de lourdes conséquences pour le système reproducteur des femmes. La violence physique et psychologique d’un viol sur des femmes déjà enceintes provoque des fausses couches et, dans ces circonstances, la tendance à ne pas faire de déclaration entraîne généralement des complications médicales supplémentaires faisant suite aux lésions causées par le viol. La dépression, l’insomnie, l’anxiété et d’autres formes de détresse psychologique sont également fréquentes chez les survivantes et les membres de leur famille qui ont été témoins de ces abus. Une autre conséquence, observée notamment durant la guerre civile en Sierra Leone, a trait à la forte hausse des cas de VIH/SIDA et des autres MST en raison de la fréquence des viols et violences sexuelles. Au Rwanda, de nombreux miliciens séropositifs ont violé des femmes tutsies dans l’intention précise de leur inoculer la maladie. Une étude réalisée en 2000 par l’Association des veuves du génocide rwandais a permis de recueillir les témoignages de 1 000 survivantes de violences sexuelles commises durant le génocide. 67% d’entre elles étaient séropositives.
21. Il existe des preuves de viol et d’autres formes de violences sexuelles commises par les forces russes en Ukraine depuis l’occupation de la Crimée et l’installation des forces contrôlées par les Russes dans le Donbass en 2014 
			(13) 
			Voir
Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, <a href='https://www.ohchr.org/Documents/Countries/UA/UAReport17th_EN.pdf'>«Report
on the human rights situation in Ukraine» (Rapport sur la situation
des droits de l’homme en Ukraine) </a>du 16 août au 15 novembre 2016 (en anglais).. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme a fait état de multiples cas de VSLC perpétrées contre des hommes et des femmes entre 2014 et 2021. Avant que n’éclate la guerre d’agression ouverte, la plupart des incidents se sont produits durant la détention des victimes ou leur privation de liberté par des groupes armés et des forces gouvernementales. Les auteurs des faits ont eu recours aux coups et à l’électrocution des parties génitales, au viol, aux menaces de viol et à la nudité forcée pour torturer, punir, humilier ou extorquer des aveux aux victimes. Pour accentuer la pression exercée sur les victimes, les auteurs ont également menacé de maintenir en détention, d’enlever, de violer, de blesser ou de tuer les enfants des victimes et les autres membres de leurs familles.
22. Des violences sexuelles contre des femmes ont été également rapportées en dehors des détentions, notamment dans des zones résidentielles à proximité de positions militaires. Les femmes victimes ont déclaré avoir été contraintes de se dénuder, avoir subi des agressions et attouchements sexuels en échange de leur passage aux points de contrôle. En 2019, le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) est parvenu à la conclusion qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que des viols de guerre et d’autres formes de violences sexuelles ont été perpétrés dans l’est de l’Ukraine.
23. Depuis février 2022, la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine et l’occupation des villes ukrainiennes qui a suivi ont nettement aggravé les facteurs de risque de VSLC, en raison de la présence de forces armées dans des zones habitées, des déplacements de civil·e·s dans le pays, de la destruction des habitations et infrastructures, de la privation de liberté, des restrictions à la liberté de circulation, et de l’effondrement de la loi et de l’ordre. En avril 2022, après les attaques des forces russes à Boutcha, le médiateur pour les droits de l’homme de l’Ukraine a rapporté les cas de quelque 25 jeunes filles et femmes âgées de 14 à 24 ans qui ont été détenues, violées et mises enceintes par des soldats russes dans un sous-sol. La Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et d’autres ont signalé des cas de VSLC, notamment de viol et de nudité forcée, dans l’ensemble du pays.
24. Les enquêtes sur ces crimes se heurtent à des difficultés d’accès aux régions occupées par les Russes et aux zones de combat, à l’insécurité physique des survivant·e·s qui peuvent également se retrouver dans un climat d’impunité, craignant les représailles et la stigmatisation et qui peuvent souffrir de traumatismes physiques et psychologiques. Le plus souvent, les survivant·e·s s’efforcent de subvenir à leurs besoins immédiats et à ceux de leurs familles et n’ont pas toujours accès à des soins de santé ou à un autre type d’assistance. Les enquêtes sur les VSLC conduites pas la CPI, l'État ukrainien et d’autres instances nécessitent une approche coordonnée, axée sur les survivant·e·s et tenant compte des traumatismes subis.

4.3. L’exploitation et les abus sexuels perpétrés par les forces de maintien de la paix

25. Dans son rapport annuel au Conseil de sécurité de l’ONU, António Guterres a souligné que pour l’Organisation, les cas d’actes d’exploitation et d’abus sexuels (EAS) commis par le personnel humanitaire et de maintien de la paix dans des «environnements d’intervention complexes» ne sont pas définis comme des VSLC. Mais le seul fait de mentionner l’exploitation et les abus sexuels dans le rapport sur les VSLC et la similitude des caractéristiques (abus d’une situation de vulnérabilité, de pouvoir et de confiance à des fins sexuelles dans un climat de peur; actes systématiques à caractère sexuel commis par un groupe dominant d’individus, par la menace ou la force; faible niveau de responsabilité et impunité relative) incitent à inclure cette forme de violence sexuelle liée aux situations de conflits, dans le présent rapport.
26. Les allégations d’EAS dans le contexte du maintien de la paix sont apparues durant la mission de l'Autorité provisoire des Nations Unies au Cambodge (APRONUC) en 1992, le nombre de prostituées passant de 6 000 avant la mission à plus de 25 000 en 1993 
			(14) 
			Westendorf, J-K et
Searle, L, «<a href='https://academic.oup.com/ia/article/93/2/365/2982811'>Sexual
exploitation and abuse in peace operations: trends, policy responses
and future directions</a>», International Affairs,
Vol. 93, Issue 2, 1 mars 2017, pp. 365–387<a href=''> (en
anglais).</a>. En 1995, les éléments de preuve recueillis en Bosnie-Herzégovine ont montré que des femmes et des jeunes filles avaient été victimes de la traite afin de travailler comme esclaves sexuelles dans des bordels fréquentés par le personnel des Nations Unies et que, plus tard, les forces d’intervention ont été complices de traite à des fins d’exploitation sexuelle 
			(15) 
			Ibid.. En 2002, des consultant·e·s indépendant·e·s ont rapporté que le personnel des Nations Unies et des ONG s’était livré à des actes d’exploitation et d’abus sexuels sur des femmes et jeunes filles dans des camps de réfugié·e·s en Guinée, au Liberia et en Sierra Leone. Selon une enquête de l’agence Associated Press 
			(16) 
			Dodds, P<a href='https://apnews.com/article/africa-arrests-united-nations-only-on-ap-e6ebc331460345c5abd4f57d77f535c1'>,
«AP Exclusive: UN child sex ring left victims but no arrests»</a>, AP News, 12 avril 2017 (en anglais)., basée sur un rapport interne des Nations Unies, entre 2004 et 2007, neuf enfants ont été exploités par les forces de maintien de la paix sri lankaises dans le cadre d’un réseau d’abus sexuels à Haïti. Bien que 114 soldats aient été renvoyés au Sri Lanka, aucune accusation criminelle n’a été portée contre eux. Des cas analogues se sont produits en République centrafricaine (soldats de la paix burundais et gabonais) et lors de la crise d’Ebola en République démocratique du Congo entre 2018 et 2020, plus de 50 femmes ont porté des accusations d’EAS contre des travailleurs humanitaires (OMS, UNICEF, Oxfam, Médecins sans Frontières, World Vision, ALIMA et Organisation internationale pour les migrations) 
			(17) 
			Flummerfelt,
R, «<a href='https://www.thenewhumanitarian.org/2020/09/29/exclusive-more-50-women-accuse-aid-workers-sex-abuse-congo-ebola-crisis'>More
than 50 women accuse aid workers of sex abuse in Congo Ebola crisis</a>», The New Humanitarian, 29 septembre
2020 (en anglais)..
27. L’exploitation et les abus sexuels perpétrés par les agents de maintien de la paix et les ONG revêtent différentes formes 
			(18) 
			Westendorf, J-K et
Searle, L, «<a href='https://academic.oup.com/ia/article/93/2/365/2982811'>Sexual
exploitation and abuse in peace operations: trends, policy responses
and future directions</a>», International Affairs,
Vol. 93, Issue 2, 1 mars 2017, pp. 365–387<a href=''> (en
anglais).</a>: abus sexuels d’opportunisme (perpétrés à des fins personnelles, comme une «pratique de la guerre»); abus planifiés et sadiques; relations sexuelles de nature transactionnelle («sexe de survie» qui représente la grande majorité des allégations d’EAS et qui n’est pas systématiquement considéré par tous les pays comme une infraction pénale, par exemple un travail ou de l’argent en échange d’un rapport sexuel); EAS en réseau perpétrés par des soldats de la paix impliqués dans des réseaux criminels exploitant la prostitution, le trafic sexuel, l’achat d’esclaves sexuelles et la dissimulation d’activités illicites comme la participation des forces de maintien de la paix à la traite des femmes dans les Balkans, qui a contribué à l’expansion rapide de l’industrie de l’exploitation du sexe, a perduré après l’opération et a eu des conséquences à long terme sur l’économie de l’après-guerre.
28. L’absence de données sur l’exploitation et les abus sexuels a toujours été problématique; et le fait que les pays protègent le caractère confidentiel des personnes déclarées coupables rend toute attribution des responsabilités impossible. La sous-déclaration par crainte ou ignorance des procédures complique également beaucoup l’estimation du nombre des auteurs 
			(19) 
			<a href='https://apnews.com/article/africa-arrests-united-nations-only-on-ap-e6ebc331460345c5abd4f57d77f535c1'>«AP
Exclusive: UN child sex ring left victims but no arrests»</a>, op. cit.. Par ailleurs, en vertu des accords internationaux régissant les forces de maintien de la paix des Nations Unies, les forces armées sont placées sous la juridiction exclusive de leurs propres pays. En conséquence, les allégations dirigées contre des soldats sont renvoyées au pays contributeur de troupes 
			(20) 
			<a href='https://icai.independent.gov.uk/html-version/sexual-exploitation-and-abuse-by-international-peacekeepers/'>«Sexual
exploitation and abuse by international peacekeepers», an accompanying
report to the ICAI review of the Preventing Sexual Violence in Conflict
Initiative</a>, op. cit..
29. Un rapport interne de l’ONU de 50 pages remis par un ancien fonctionnaire de l’Organisation au journal The New Humanitarian décrit en détail les erreurs et les problèmes rencontrés dans les enquêtes, en particulier dans le cadre des entretiens avec les victimes présumées. L’UNICEF n’a pas recueilli les témoignages précis des victimes et a attendu plusieurs semaines avant d’informer l’organe de supervision et d’enquête des Nations Unies des allégations; le climat dans lequel les femmes et les jeunes filles ont formulé des allégations a été décrit comme «menaçant», les enquêteurs posant des questions «humiliantes» et «inutiles»; le système de collecte et de stockage de l’ADN a entraîné la décomposition des échantillons qui auraient permis d’identifier les auteurs. La plupart des allégations ont donc été rejetées 
			(21) 
			Kleinfeld, P et Dodds,
P, «Blunders in Central African Republic sex abuse probe detailed
in internal UN review», The New Humanitarian,
31 octobre 2019 (en anglais)..
30. Entre 2003 et 2006, l’ONU a publié plusieurs bulletins et stratégies, établissant des règles strictes applicables au personnel, notamment au personnel des organisations ayant conclu des «accords de coopération» avec les Nations Unies, puis aux consultants et sous-traitants, prévoyant l’interdiction des relations sexuelles tarifées et déconseillant vivement les relations entre le personnel des Nations Unies et les «bénéficiaires de l’assistance». Le Secrétaire général de l’époque, Kofi Annan, a annoncé une politique de «tolérance zéro».
31. L’année 2008 a été celle du lancement du système d’informations global en ligne «Misconduct Tracking System» qui permet de recueillir et de compiler les allégations d’EAS de manière confidentielle, et l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté la première Stratégie globale d’aide et de soutien aux victimes d’actes d’exploitation ou d’agression sexuelles commis par des membres du personnel des Nations Unies ou du personnel apparenté, qui a pour objet de faire en sorte que les plaignant·e·s, les survivant·e·s et les enfants reçoivent une assistance médicale, juridique, psychosociale et autre appropriée. En 2015, des allégations d’abus en République centrafricaine ont entraîné la démission du chef de la Mission des Nations Unies dans ce pays, Babacar Gaye, ordonnée par l’ancien Secrétaire général, M. Ban Ki-moon.
32. En 2010, le Comité permanent interorganisations a commandé une étude mondiale sur la protection contre l’exploitation et les abus sexuels. Il est parvenu à la conclusion que malgré l’instauration de politiques depuis plusieurs années, la compréhension et l’acceptation de ces politiques par la direction et le personnel demeurent faibles ou inexistantes, que les politiques et orientations n’ont généralement pas été diffusées sur le terrain et que leur mise en œuvre est «lacunaire, faible ou inexistante» 
			(22) 
			Westendorf,
J-K et Searle, L, «<a href='https://academic.oup.com/ia/article/93/2/365/2982811'>Sexual
exploitation and abuse in peace operations: trends, policy responses
and future directions</a>», International Affairs,
Vol. 93, Issue 2, 1 mars 2017, pp. 365-387<a href=''> (en
anglais).</a>. L’exploitation et les abus sexuels continuent d’être pratiqués dans toutes les opérations de maintien de la paix, les auteurs sont rarement tenus responsables de leurs actes et le nombre réel d’EAS est probablement supérieur à celui déclaré. Les progrès accomplis dans les politiques de protection contre l’exploitation et les abus sexuels ont été principalement d’ordre réactif, en réponse à l’indignation de l’opinion publique face aux incidents révélés par les médias internationaux, des critiques ayant été soulevées sur la question de savoir si l’Organisation jugeait plus important de protéger son image que les civils. L'ONU a néanmoins pris diverses mesures pour mieux former les membres des missions de maintien de la paix et superviser leur travail sur le terrain 
			(23) 
			Voir Nations Unies-Maintien
de la paix, <a href='https://peacekeeping.un.org/fr/conflict-related-sexual-violence'>«Violences
sexuelles liées aux conflits</a>»..

4.4. Le cas spécifique des femmes yézidies

33. En août 2014, en l’espace de deux semaines, le massacre de Sinjar a marqué le début d’une campagne stratégique de nettoyage ethnique (reconnue comme un génocide) du prétendu État islamique d’Irak et du Levant (EIIL) visant à anéantir le peuple yézidi, avec le meurtre et l’enlèvement de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants yézidis dans la ville kurde irakienne de Sinjar et aux alentours. Environ 400 000 Yézidis ont fui vers une région voisine et des dizaines de milliers se sont réfugiés sur le mont Sinjar. Les autres ont été tués ou faits prisonniers et soumis à des violences, notamment à l’esclavage, au travail forcé, à la torture et au viol. Les hommes ont reçu l’ordre de se convertir ou de mourir et les femmes ont été faites prisonnières, mariées au plus offrant, réduites en esclavage sexuel et forcées de se convertir. Plus de 6 000 femmes et enfants ont été faits prisonniers et près de 2 800 sont toujours portés disparus aujourd’hui. La violence sexuelle a été utilisée stratégiquement comme une arme de guerre et des manuels de l’EIIS («État islamique en Irak et en Syrie») codifiant la traite des femmes yézidies, dans l’idée que le viol des femmes détruirait la communauté de l’intérieur, sont apparus.
34. L’EIIL a perdu le contrôle de la région en décembre de la même année à la suite des ripostes des forces kurdes peshmerga, de celles du Parti des travailleurs du Kurdistan et des Unités de défense du peuple, soutenues par des frappes aériennes américaines et britanniques. Depuis lors, des efforts ont été faits pour offrir des mesures de réadaptation aux survivant·e·s de Sinjar et de la région environnante et créer les conditions du retour. Lors des discussions que j’ai eues avec des membres de l’ONG Nadia’s Initiative, créée en 2018 par la survivante yézidie Nadia Murad, j’ai vu comment les contributions internationales ont amélioré les conditions de vie et préparé le retour en toute sécurité de 150 000 personnes déplacées. Le travail est fait par et avec les Yézidi·e·s et il est axé sur l’éducation, les soins de santé (en particulier les soins obstétriques et gynécologiques, y compris dans les zones rurales), l’approvisionnement en eau potable, le rétablissement des moyens de subsistance, la culture et le travail de mémoire et l’autonomisation des femmes 
			(24) 
			<a href='http://www.nadiasinitiative.org/'>www.nadiasinitiative.org/</a>..
35. L’exemple de la reconstruction yézidie est très positif et m’a aidée à formuler plusieurs recommandations, dont la suivante: l’expression «rien sur moi sans moi» s’applique partout. Aucune action en faveur des survivant·e·s de la violence ne peut être couronnée de succès sans leur participation à toutes les étapes, de la conception à la mise en œuvre. Un autre élément important est le pouvoir des «champions»; le travail de Nadia Murad (et celui de son colauréat du prix Nobel, Denis Mukwege en République démocratique du Congo) a donné une grande visibilité à la cause des femmes yézidies et a attiré des financements importants; ce modèle peut être repris dans de nombreuses autres circonstances. D’autre part, la situation en Irak est très différente des autres cas, et pas seulement en raison du contexte géopolitique: par exemple, le gouvernement irakien reconnaît l’utilité, pour le pays, des programmes de réadaptation et d’infrastructure dans lesquels il n’intervient pas.

5. Dispositions juridiques relatives à la prévention, la protection, les poursuites et la réparation des violences sexuelles dans les situations de conflit

5.1. Organisation des Nations Unies

36. Le Secrétaire général de l’ONU présente au Conseil de sécurité un rapport annuel sur les violences sexuelles liées aux conflits 
			(25) 
			Selon
la Résolution 2467 (2019), le Secrétaire général présente un rapport
sur l’application des Résolutions 1820 (2008), 1888 (2009), 1960
(2010), 2106 (2013) et 2467 (2019)., portant sur l’application des résolutions 1820 (2008), 1888 (2009), 1960 (2010), 2106 (2013) et 2467 (2019) du Conseil. Au sein du système des Nations Unies, la Représentante spéciale chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit est la plus haute autorité responsable, avec l’appui du Réseau des Nations Unies contre la violence sexuelle en temps de conflit, qui œuvre en faveur de la prévention, en répondant aux besoins des survivant·e·s et en renforçant la responsabilisation.
37. Pour la Représentante spéciale Pramila Patten, l’idée de départ de la création en 2007 du réseau interinstitutions était de réunir des acteurs du monde politique, du maintien et de la consolidation de la paix et des droits humains, ainsi que des intervenant·e·s humanitaires et des spécialistes des programmes, pour renforcer l’entraide mutuelle afin d'amplifier l’impact des mesures prises pour traiter les violences sexuelles comme un défi politique plutôt qu’exclusivement technique. La prévention est au cœur de ce programme, ce qui vise à éviter de réagir perpétuellement aux conséquences de la violence sexuelle en aval, en l'absence de diplomatie préventive concertée en amont.
38. Dans ce contexte, les résolutions des Nations Unies susmentionnées ont exigé une tolérance zéro et des «conséquences crédibles» pour les VSLC. Cumulativement, elles incarnent un engagement politique à lever le voile du silence et à mettre à profit toute la panoplie d'outils diplomatiques et répressifs pour transformer le cercle vicieux de la violence et de l'impunité en un cercle vertueux de reconnaissance, de signalement et de réponse en temps réel. La Résolution 2467 (2019) a créé un fonds fiduciaire multipartite affecté aux VSLC, et a ainsi permis au réseau de soutenir des projets nationaux axés sur les survivant·e·s dans les régions touchées par des conflits.
39. En juin 2021, le Bureau de la Représentante spéciale a publié un rapport extrêmement détaillé et complet intitulé «Dispositions législatives types et orientations pour les enquêtes et les poursuites relatives à des violences sexuelles liées aux conflits» 
			(26) 
			Office of the Special
Representative of the Secretary General on Sexual Violence in Conflict, <a href='http://www.un.org/sexualviolenceinconflict/wp-content/uploads/2021/06/report/osrsg-svcs-model-legislative-provisions-on-conflict-related-sexual-violence-with-guidance-june-2021/model-legislationpagebypage.pdf'>«Model
legislative provisions and guidance on investigation and prosecution
of conflict-related sexual violence»</a>, United Nations, 18 juin 2021 (en anglais)., rédigé par Partners in Justice International en collaboration avec des expert·e·s, des spécialistes et des avocat·e·s ainsi qu’avec des victimes et des survivant·e·s. Il regroupe un volume considérable de recommandations et de dispositions types qui sont fondées sur des évaluations de la législation existante et qui visent à lever les obstacles auxquels se heurtent les victimes, les survivant·e·s et leurs familles en matière d’accès à la justice. Il s’agit d’une codification du droit pénal matériel et procédural en matière de VSLC, laquelle est axée sur les victimes et les survivant·e·s. Les législateurs devraient être vivement encouragés à utiliser ces modèles qui ont pour but de les aider à adopter ou bien à examiner et réviser – dans le cadre de leur droit national – les dispositions juridiques codifiant les crimes de VSLC en tant que crimes internationaux au niveau national.
40. En mars 2016, le Secrétaire général a créé le Fonds d’affectation spéciale en faveur des victimes d’exploitation et d’atteintes sexuelles afin de soutenir les entités et organisations des Nations Unies et celles extérieures à l’ONU qui fournissent des services d’assistance et de soutien aux victimes. Plus récemment, en septembre 2022, dans le contexte de la Campagne des Nations Unies contre la violence sexuelle en temps de conflit (ou Campagne Halte au Viol), un Cadre pour la prévention des violences sexuelles liées aux conflits, instrument unique et applicable à l'échelle mondiale, a aussi été rendu public 
			(27) 
			UN Action Against Sexual
Violence in Conflict, <a href='http://www.stoprapenow.org/digital-library/?cat=7-guidance-and-knowledge-products-on-crsv'>«Stop
Rape Now</a>», <a href='http://www.stoprapenow.org/'>www.stoprapenow.org</a> (en anglais)..

5.2. Tribunaux internationaux: la Cour pénale internationale

41. L’Ukraine n’est pas partie au Statut de Rome, mais elle a accepté, à deux reprises, la compétence de la Cour à l’égard des faits présumés constitutifs de crimes au titre du Statut de Rome commis sur son territoire, d’abord en ce qui concerne les actes criminels réputés avoir été commis sur le territoire ukrainien entre le 21 novembre 2013 et le 22 février 2014, puis, de manière illimitée, pour englober ceux commis sur tout le territoire de l’Ukraine à partir du 20 février 2014. Le 28 février 2022, le procureur de la CPI a annoncé qu’il demanderait l’autorisation d’ouvrir une enquête sur la situation en Ukraine sur la base des conclusions auxquelles le Bureau était parvenu à l’issue de son examen préliminaire sur tous les faits nouveaux présumés constitutifs de crimes relevant de la compétence de la Cour. Cette autorisation a depuis été accordée. Depuis cette date, 43 États parties ont également procédé à des renvois séparément ou en groupe.
42. La CPI a mis au point des programmes complets de protection des témoins qui s’appliquent en particulier aux survivant·e·s de VSLC qui offrent spontanément de témoigner. Elle a aussi créé un Fonds au profit des victimes (voir le chapitre 8 ci-après) qui non seulement fournit un financement aux personnes mais organise aussi des programmes de soins et de réadaptation individuels et collectifs.

5.3. Conseil de l’Europe

43. Le préambule à la Convention d’Istanbul reconnaît l’existence de «violations constantes des droits de l’homme en situation de conflits armés affectant la population civile, et en particulier les femmes, sous la forme de viols et de violences sexuelles généralisés ou systématiques et la potentialité d’une augmentation de la violence fondée sur le genre aussi bien pendant qu’après les conflits». Son article 2 sur le champ d’application précise que la convention s’applique en temps de paix et en situation de conflit armé, sans autre disposition spécifique, ce qui signifie que toutes les dispositions doivent être respectées en toute circonstance.
44. Lors de son audition du 22 juin 2022, la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Mme Dunja Mijatović, a souligné que les violences sexuelles liées aux conflits figuraient au premier rang des priorités du Conseil de l’Europe du fait de l’évolution de la situation en Ukraine. La prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, en particulier dans le cadre de la promotion de la ratification et de la mise en œuvre de la Convention d'Istanbul, demeurent une part essentielle de ses travaux en la matière. Le conflit et les déplacements ont montré une nouvelle fois à quel point les femmes et les jeunes filles sont exposées à des risques de violences encore plus élevées en temps de crise.

5.4. Dispositions juridiques nationales

45. Les organisations humanitaires et les tribunaux internationaux considèrent qu'il est essentiel de renforcer les capacités nationales à poursuivre les auteurs de VSLC, car c'est le moyen le plus efficace et le plus approprié de faire en sorte qu’ils soient tenus responsables de ces crimes 
			(28) 
			Voir notamment Serge
Brammertz et Michelle Jarvis (ed.), «Prosecuting Conflict-Related
Sexual Violence at the ICTY», Oxford University Press, 2016 (voir <a href='https://www.icty.org/en/press/the-book-%E2%80%9Cprosecuting-conflict-related-sexual-violence-at-the-icty%E2%80%9D-now-available-online-in'>ici</a> pour un résumé<a href=''> – en anglais).</a>. L’équipe d’expert·e·s de l’État de droit et des questions touchant les violences sexuelles commises en période de conflit créée dans le cadre de la Résolution 1888 (2009) du Conseil de sécurité de l’ONU, aide les autorités nationales à renforcer les institutions chargées du maintien de l’État de droit pour une plus grande responsabilité en matière de VSLC. Ses actions se sont concentrées jusqu’ici sur le continent africain (République centrafricaine, République démocratique du Congo, Mali, Soudan du Sud), mais elle a été également active en Irak, où elle travaille actuellement à la finalisation de la loi accordant un soutien aux survivantes yézidies (2021).
46. À cet égard, l'exemple de la Bosnie-Herzégovine mérite d'être souligné. Lors de l'audience du 22 juin 2022, l'avocate de TRIAL International, Adrijana Hanušić Bećirović, a expliqué que la Bosnie était connue pour son taux élevé de poursuites pour VSLC, mais qu'il avait fallu beaucoup de temps pour faire coïncider les définitions nationales de la violence sexuelle et les dispositions du Code de procédure pénale avec les normes internationales, mettre en place un système complet de mesures spéciales de protection et former des juristes spécialisés. Elle a recommandé aux parlementaires de commencer leurs travaux par un examen des lacunes juridiques de la législation nationale, en particulier en ce qui concerne le code pénal et le code de procédure pénale 
			(29) 
			À cet égard les dispositions
législatives types et orientations pour les enquêtes et les poursuites
relatives à des violences sexuelles liées aux conflits dont il est
question au paragraphe 39 et dans la note ci-dessus peuvent fournir
un contenu substantiel.. Il est primordial de commencer tôt à élaborer des cadres administratifs pour les réparations et les politiques afférentes. Mme Hanušić Bećirovića a également souligné la nécessité d'adopter des approches centrées sur les survivant·e·s et de procéder, notamment, à une large consultation et des évaluations diversifiées des besoins.
47. En mai 2015, la Croatie a adopté une loi accordant un versement unique de 100 000 kunas (14 504 $US) et une allocation mensuelle de 2 500 kunas aux survivant·e·s de viols dans le conflit en ex-Yougoslavie des années 90, ainsi que des conseils juridiques et une aide médicale gratuits. La loi est entrée en vigueur en janvier 2016 
			(30) 
			Voir par exemple <a href=''>Voice of America</a>, <a href='https://www.voanews.com/a/reu-croatia-passes-law-to-compensate-war-rape-victims/2797440.html'>«Croatia
Passes Law to Compensate War Rape Victims», 29 mai 2015 (en anglais).</a>. Bien qu’arrivant très tard après le conflit, cette mesure peut être considérée comme un modèle pour d’autres pays . Dans le même temps, il faut accompagner toute législation en faveur des survivant·e·s d’une reconnaissance des crimes commis même sans auteur identifié. Selon un·e bénéficiaire, «la loi et les réparations ne valent rien si les auteurs restent en liberté. Je veux qu’ils répondent de leurs crimes, qu’ils disent pourquoi ils sont venus à Vukovar pour tuer et violer».
48. Au cours de l’audition susmentionnée sur ce rapport, la vice-ministre de l'Intérieur de l'Ukraine, Kateryna Pavlichenko, a insisté sur le fait que la guerre en Ukraine durait déjà depuis huit ans, depuis l'occupation illégale de la Crimée par la Fédération de Russie. Le Gouvernement ukrainien, le système répressif et le secteur public déploient tous les efforts possibles pour enquêter et rassembler des informations sur les crimes de guerre et aider les victimes. À l'initiative du ministère de l'Intérieur, des unités spéciales de police mobiles ont été mises en place pour établir les infractions pénales commises par le personnel militaire de la Fédération de Russie et encourager les victimes à signaler les cas aux autorités chargées de faire respecter la loi, en reconnaissant la nécessité de tenir compte des facteurs tant physiques que psychologiques.
49. La vice-ministre a précisé que les institutions ukrainiennes pour la prévention de la violence sexuelle se sont engagées à coopérer avec les parties prenantes internationales dans le cadre de la prévention et des enquêtes sur les crimes de guerre ainsi qu’à apporter une assistance complète aux victimes. Le gouvernement a signé un mémorandum de coopération avec l’ONU sur la lutte contre les violences sexuelles commises en période de conflit et leur prévention, s’appuyant sur l’engagement entre le Gouvernement ukrainien et la Représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit ainsi que sur le Plan national d’action de l’Ukraine pour la mise en œuvre de la Résolution 1325 du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité (2020-2025). Le Plan national d’action décrit précisément les mesures à prendre pour prévenir et combattre les violences sexuelles liées aux conflits observées dans les régions occupées par la Russie depuis 2014.

5.5. Utilisation de la compétence universelle

50. La compétence universelle, qui est un moyen extrêmement important et efficace pour les États de montrer leur détermination à poursuivre les auteurs de VSLC, a prouvé son utilité dans d'autres contextes. Elle est possible dans les pays où la loi reconnaît la compétence universelle pour certains des crimes les plus graves commis au regard du droit international. Elle permet d’instruire et de poursuivre ces crimes, quel que soit le lieu où ils ont été commis et quelle que soit la nationalité des suspects ou des victimes. La compétence universelle demeure l'une des seules possibilités de traduire en justice les auteurs de crimes commis en Syrie, par exemple 
			(31) 
			Voir par exemple, Human
Rights Watch, <a href='https://www.hrw.org/fr/news/2022/01/13/allemagne-condamnation-pour-la-torture-detat-en-syrie'>«Allemagne:
Condamnation pour la torture d’État en Syrie</a>», 13 janvier 2022, consulté le 25 novembre 2022. Le
procès d'Anwar R., ancien membre de la direction des renseignements
généraux syriens, est considéré comme une «étape majeure vers la
justice pour les crimes graves commis en Syrie»..
51. Au 11 juillet 2022, l'Allemagne 
			(32) 
			Enquêtes sur les attaques
aveugles contre des civils et des infrastructures civiles, sur l'utilisation
de munitions à fragmentation et sur les informations selon lesquelles
les forces russes disposeraient de listes de personnes à abattre: militants,
hommes politiques ukrainiens, etc., l'Espagne, l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie 
			(33) 
			Le ministère de la
Justice a demandé au bureau du procureur général de lancer une enquête
préliminaire contre Vladimir Poutine et Alexandre Loukachenko, et
en avril, le bureau a déclaré qu'il enquêterait, dans le cadre d’une
enquête globale, sur la mort du cinéaste Mantas Kvedaravičius, tué
lors d'une attaque des forces russes près de Marioupol alors que
celle-ci était assiégée., la Norvège, la Pologne, la République slovaque, la Roumanie, la Suède et la Suisse étaient autant de pays qui avaient déclaré leur intention d'utiliser la compétence universelle pour enquêter sur les crimes de guerre commis lors de l'invasion russe de l'Ukraine. En France, où la loi n'autorise pas la compétence universelle, les procureurs ont ouvert une enquête sur les crimes de guerre relevant de la compétence nationale, pour les affaires dans lesquelles des citoyens ou des résidents français ont été des victimes ou des suspects potentiels. Ces initiatives doivent être soutenues et se multiplier.

6. Prévenir la violence sexuelle en tant que tactique de guerre systématique

Mariya essuie ses larmes et raconte comment un soldat russe a commandé ses jeunes collègues. «Il leur a dit de violer les femmes dans le sous-sol encore et encore. Jusqu'à ce qu'elles soient complètement détruites mentalement. Il ne s'agit pas d'un «acte isolé» d'un soldat russe livré à lui-même, mais d'ordres clairs du Kremlin, même s'ils le nient avec véhémence 
			(34) 
			<a href='https://www.epfweb.org/node/926'>EPF mission to investigate
sexual violence resulting from the Russian aggression against Ukraine
– June 2022,</a> op. cit.».

52. Les actes de violences sexuelles commis par des «agresseurs individuels» sont non seulement des comportements humains abjects mais ils résultent également d'une culture d'impunité au sein des forces belligérantes étatiques et non étatiques, et d’une tactique délibérée des instigateurs de la guerre visant à inclure le viol, l'esclavage sexuel et la torture dans les indicateurs de succès liés à un conflit. Tous les efforts doivent être faits pour mettre fin à cette glorification de la domination physique et de l'ascendance psychologique qui persiste à divers niveaux dans de nombreuses sociétés et traditions, et se traduit en temps de guerre par des traitements manifestement inhumains. Dans les Balkans, l'un des obstacles à une réparation durable et à la justice transitionnelle est la glorification renouvelée de certains criminels de guerre, à laquelle les autorités doivent apporter des réponses énergiques pour y mettre fin 
			(35) 
			Voir
par exemple en Serbie: Stojanovic, M, “<a href='https://balkaninsight.com/2021/11/12/why-a-ratko-mladic-mural-is-so-hard-to-remove-in-serbia/'>Why
a Ratko Mladic Mural is So Hard to Remove in Serbia”</a>, Balkan Transitional Justice,
12 novembre 2021 (en anglais). La fresque est nettoyée et repeinte
à chaque fois que des militants tentent de l'enlever..
53. Pour la Représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit, un changement de paradigme est nécessaire pour dissiper le mythe selon lequel le viol est un simple «dommage collatéral» ou un «sous-produit inévitable de la guerre», ce qui sous-entend que le viol sera toujours omniprésent en temps de guerre et ne pourra pas être évité. Selon Pramilla Patten, «dans les relations internationales, le fait de présenter un phénomène comme inévitable indique généralement qu’il n’y a pas de volonté politique de le changer, et constitue un code qui révèle la complaisance et l'acceptation, qui à leur tour engendrent le fatalisme et la passivité 
			(36) 
			Pramila Patten, Foreword
to the <a href='https://www.un.org/sexualviolenceinconflict/wp-content/uploads/2022/09/auto-draft/202209-CRSV-Prevention-Framework.pdf'>Framework
for the Prevention of Conflict-Related Sexual Violence</a> Stop Rape Now – United Nations Action Against Sexual
Violence in Conflict, United Nations, 2022, pp. 4-6 (en anglais).».
54. Il est évident que les violeurs individuels doivent être tenus légalement responsables, tout comme leurs supérieurs dans la chaîne de commandement qui ont supervisé, toléré ou même encouragé ou ordonné le viol. Dans ce contexte, la sanction dissuasive doit répondre à des impératifs de prévention à la fois individuels et généraux. Mme Patricia Viseur Sellers a expliqué, au cours de notre rencontre, que le cadre de justice internationale des Nations Unies prévoit une responsabilité pénale pour avoir «aidé et encouragé» à commettre des crimes de guerre, ce qui signifie que les dirigeants, qui ont le devoir de prévenir et de punir le crime, peuvent être tenus responsables de la perpétration de crimes de guerre, y compris de VSLC, sans être présents physiquement et sans qu’un ordre direct ait été donné (par exemple dans le cas de Charles Taylor au Libéria).
55. Afin d'avoir un effet dissuasif et de prévenir les violences sexuelles dans les conflits, il est essentiel que les tribunaux – qu'il s'agisse de tribunaux ad hoc, de la CPI ou de tribunaux nationaux – soient en mesure de présenter des preuves dans les poursuites contre les auteurs et les instigateurs. Afin de recueillir les preuves nécessaires, il est important que bien avant le début du conflit, les hôpitaux et les gynécologues, par exemple, disposent des connaissances et de l'équipement nécessaires pour obtenir des preuves médico-légales fiables en utilisant les moyens appropriés.
56. Le rapport 2016 de Maryvonne Blondin intitulé « Les femmes dans les forces armées: promouvoir l'égalité, mettre fin aux violences fondées sur le genre 
			(37) 
			Doc. 14073. », fournit également une base utile pour étudier comment la violence au sein des forces armées crée un climat d'impunité et probablement de normalité face aux comportements violents dans l'armée.

7. Survivant·e·s, comment obtenir la justice durable recherchée?

7.1. Sous-déclaration, stigmatisation et impunité

Je ne suis pas un enfant de viol, je suis l'enfant de ma mère.
Anja Jusić

57. Lors de l'audition de juin 2022, Mme Adrijana Hanušić Bećirović, juriste auprès de TRIAL International, a souligné que l'un des principaux obstacles à la prise en charge et aux poursuites des cas de VSLC et au soutien des victimes est la stigmatisation sociale qui entoure ces crimes. Il est nécessaire d’offrir aux victimes des lieux sûrs, généralement des associations de victimes et d’ONG locales, qui leur permettent de s’exprimer librement. Selon elle, il incombe principalement aux gouvernements de fournir les services de soutien, mais ils devraient le faire en partenariat avec les ONG. Les poursuites ont un effet dissuasif et sont importantes pour les victimes, car elles leur offrent la possibilité d’obtenir une certaine satisfaction et un soutien pendant le processus de guérison. Ces observations ont été confirmées par mes recherches sur les conditions requises pour aider les survivant·e·s de VSLC et permettre à toutes les communautés concernées par le conflit de tourner la page.
58. Dans un grand nombre de pays et de régions, les victimes de violences sexuelles, notamment de viol, sont stigmatisées en raison du contexte culturel ou social. En République démocratique du Congo, les victimes de violences sexuelles sont ostracisées par leurs familles et leurs villages. Des communautés entières sont brisées et cela aboutit à un manque de respect à l’égard de toutes les femmes. Depuis la guerre civile en Sierra Leone dans les années 1990, les victimes de viol sont marginalisées en raison de la stigmatisation sociale dont elles font l’objet, sont rejetées par leurs maris, leurs familles et leurs communautés ou bien réduites au silence pour éviter tout ostracisme.
59. Les femmes qui se sont retrouvées enceintes à la suite d’un viol sont plus particulièrement exposées à de nouveaux traumatismes et abus de leurs droits, car leur enfant sera considéré comme un enfant de l’ennemi. Les survivantes de viols et leurs enfants risquent donc davantage d’être bannis par leurs communautés et les femmes mariées d’être rejetées par leur mari. Les femmes mariées peuvent être désavouées par leur mari et les femmes célibataires risquent fort de ne jamais pouvoir se marier, car elles sont considérées comme « salies » par leur communauté et deviennent alors encore plus vulnérables sur le plan social et économique.
60. Nos échanges avec la présidente d’Enfants oubliés de la guerre, Anja Jusić, nous ont permis de jeter un regard extrêmement émouvant et instructif sur les dommages causés par les VSLC sur plusieurs générations. Elle nous a confié comment le fait d’être née des suites d'un crime de guerre l’avait stigmatisée tout au long de sa jeune existence, de la naissance à l'école, puis au travail, dans des sociétés où l'absence du nom du père sur les documents d'identité ne pouvait indiquer qu'une seule chose, où le souvenir du crime ayant causé la naissance d'un enfant se lisait dans les yeux de la mère, et où rompre le silence entre la mère et l'enfant était presque trop difficile à supporter. Le soutien psychologique est essentiel pour que les familles puissent surmonter les conséquences des crimes dont elles ont été victimes.
61. Parmi les nombreux conseils destinés à aider les survivant·e·s, Mme Jusić a souligné qu'une approche centrée sur les survivant·e·s était essentielle, mais qu'il était également essentiel de détourner l'attention du public des victimes/survivant·e·s pour mieux trouver et désigner les auteurs. Trop souvent, les survivant·e·s sont jugés comme ayant d'une certaine manière attiré et provoqué le viol qu’ils ou qu’elles ont subi. Il n'y a aucune excuse permettant de justifier les VSLC, mais la société reste méfiante et continue de blâmer de nombreuses jeunes femmes et filles pour cet acte.

7.2. Collecte de données

62. La peur de la stigmatisation et de l'ostracisme joue également un rôle déterminant dans la sous-déclaration des cas et complique ainsi la collecte des données. Dans tous ces conflits, il semble que seule une part de la réalité de la violence à l’égard des femmes soit apparente. Ainsi, au Kosovo* 
			(38) 
			* Toute référence au
Kosovo mentionnée dans ce texte, que ce soit le territoire, les
institutions ou la population, doit se comprendre en pleine conformité
avec la Résolution 1244 du Conseil de Sécurité des Nations-Unies
et sans préjuger du statut du Kosovo., les victimes n’ont commencé à s’exprimer que 20 ans après la guerre. Les femmes survivantes de violences sexuelles en Bosnie-Herzégovine ont ainsi utilisé le silence comme stratégie d'adaptation et n'ont commencé à réfléchir à ce qu'elles avaient vécu et au traumatisme en résultant que lorsque leurs obligations parentales sont devenues moins lourdes.
63. En septembre 2022, le Bureau du Procureur de la CPI et Eurojust ont publié des lignes directrices pratiques pour enregistrer et préserver les informations recueillies sur les crimes internationaux. Ces lignes directrices visent à aider les organisations de la société civile à consigner les principaux crimes internationaux, tels que les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité. Elles sont censées renforcer et aider les organisations de la société civile qui cherchent à recueillir et à préserver des informations afin de contribuer aux enquêtes.
64. La juriste française Céline Bardet s'est appuyée à la fois sur sa grande expérience auprès de survivant·e·s de VSLC dans le monde entier et sur ses connaissances universitaires pour élaborer des programmes et des outils pratiques destinés à aider les survivant·e·s à apporter la preuve que des crimes sexuels ont été commis à leur encontre et à accepter ces épreuves afin de se reconstruire 
			(39) 
			<a href='http://www.notaweaponofwar.org/en/'>WeAreNOTWeaponsofWar</a>.. Mme Bardet a fondé l'ONG We Are NOT Weapons of War (WWoW) dans le triple but de sensibiliser au crime de viol pendant les conflits, de lutter contre l'impunité comme principale raison de la propagation du viol de guerre, d'aider les victimes à accéder aux soins médicaux et psychologiques dont elles ont besoin et de favoriser leur autonomisation par l’accès à des voies de recours légales. L'application mobile «Backup» développée par l'organisation utilise un système crypté (blockchain) qui facilite le signalement des victimes de viols de guerre, la coordination des professionnel·le·s impliqués et la collecte de données fiables sur le phénomène. Les phases pilotes ayant été une réussite en République centrafricaine, en Libye et en Iraq, l'application sera bientôt disponible dans toutes les régions où sévit la guerre.
65. Lors de la session d'automne 2022 de l'Assemblée, l'ONG Coalition Ukraine 5AM (nommée d'après l'heure à laquelle le bombardement de l'Ukraine par la Russie a commencé) a été l'un des trois candidats présélectionnés pour le Prix Václav Havel des droits de l'homme. Il s'agit d'un groupe d'organisations ukrainiennes de défense des droits humains dont l'objectif est de découvrir, décrire, collecter et préserver les éléments de preuve, tout en sensibilisant le public aux crimes de guerre et aux crimes contre l'humanité présumés commis pendant un conflit. Ce type d'initiative, qui est considérée comme une passerelle entre les crimes commis sur le terrain et les tribunaux nationaux et internationaux, doit être encouragé.
66. Il n’existe pas non plus d’étude mondiale approfondie des VSLC utilisant toutes les données disponibles; une telle étude serait essentielle pour tenter de comprendre le caractère systématique et l’étendue des VSLC, coordonner les efforts visant à les éradiquer et à les prévenir dans l’avenir et sensibiliser le grand public.

8. Faire face aux conséquences des violences sexuelles pendant les conflits

8.1. Mesures internationales

67. En plus de travailler sur la prévention, l’ONU a défini des orientations sur les réparations relatives aux violences sexuelles liées aux conflits. Une note d’orientation du Secrétaire général de l’ONU publiée en 2014 
			(40) 
			Voir par exemple Nations
Unies, «<a href='https://www.ohchr.org/Documents/Press/GuidanceNoteReparationsJune-2014.pdf'>Note
d'orientation du Secrétaire général sur les réparations relatives
aux violences sexuelles liées aux conflits» (Guidance note of the
Secretary General,</a><a href=''>Reparations for Conflict-Related
Sexual Violence), </a>Nations Unies<a href=''>, juin 2014 (en anglais)</a>. indique que toutes les victimes, y compris celles de violences sexuelles liées aux conflits doivent être traitées avec humanité et que leur dignité et leurs droits humains doivent être respectés pour éviter toujours plus de dommages et de traumatismes. Leur droit à un recours et à une réparation doit être réalisé sans discrimination fondée sur le sexe, l’identité de genre, l’origine ethnique, la race, l’âge, l’affiliation politique, la classe sociale, l’état civil, l’orientation sexuelle, la nationalité, la religion et le handicap ou tout autre statut.
68. En 2002, l’Assemblée des États parties au Statut de Rome de la CPI a créé un Fonds au profit des victimes doté de deux mandats. Premièrement, l’octroi des réparations ordonnées par la Cour en faveur des victimes à la suite d’une déclaration de culpabilité soit par le paiement par la personne déclarée coupable, soit par l’utilisation de contributions volontaires sur décision du Conseil de direction pour aider les survivant·e·s à guérir et à se réintégrer. Deuxièmement, le mandat d’assistance du Fonds pour les victimes offre une réparation aux victimes les plus vulnérables et à celles qui ont subi les formes les plus graves de violence, à leurs familles et à leur communauté. Les équipes du Fonds travaillent en collaboration avec des partenaires locaux pour mettre en œuvre des programmes de changement de vie, dont des programmes de santé mentale, de soins médicaux et de soutien matériel 
			(41) 
			<a href='https://www.trustfundforvictims.org/index.php/en/about/two-mandates-tfv'>Our
mandates: The Trust Fund for Victims </a>(en anglais)..
69. L’éligibilité au mandat d’assistance dépend de critères d’identification particuliers et assez restrictifs. Outre les réparations collectives, les victimes individuelles peuvent recevoir un soutien supplémentaire. Les survivant·e·s de violences fondées sur le genre (dans le cas du Mali par exemple) ont accès à des réparations collectives et individuelles. Mme Minerva Tavarez Mirabal, présidente du Conseil de direction du Fonds au profit des victimes, m’a informée lors de notre entretien que seuls 14 des 123 États parties au Statut de Rome contribuent régulièrement et durablement au Fonds (tandis que 48 effectuent des versements occasionnels) et qu’il est donc essentiel d’augmenter ces versements.
70. Dans l’allocution qu’elle a prononcée à l’occasion de la 12ème Assemblée consultative des parlementaires sur la Cour pénale internationale et l’État de droit le 4 novembre 2022 à Buenos Aires, Mme Tavarez Mirabal a indiqué que depuis que la Cour a rendu sa première ordonnance de réparation en 2012 (modifiée en appel en 2015), les juges ont accordé des réparations aux victimes dans chacune des quatre condamnations prononcées. Dans les quatre cas, les réparations ont été ordonnées par l’intermédiaire du Fonds au profit des victimes et un cinquième cas est en cours: la procédure de réparation a déjà eu lieu alors que la condamnation est toujours en appel. Par ordre de valeur, les condamnés se sont vu ordonner respectivement des réparations de 1 million $US (Katanga), 2,7 millions € (Al Mahdi), 10 millions $US (Lubanga) et 30 millions $US (Ntaganda).
71. Environ 900 bénéficiaires dans la province d’Ituri (République démocratique du Congo) et 800 au Mali ont jusqu’à présent bénéficié de mesures de compensation ou de réadaptation par l’intermédiaire de sept partenaires ou directement par le Fonds au profit des victimes. En outre, conformément au mandat d’assistance, le Fonds au profit des victimes exécute des programmes en Ouganda et en République démocratique du Congo depuis 2008 et en République centrafricaine et en Côte d’Ivoire depuis 2020. Pour la seule année 2021, ces programmes ont bénéficié à quelque 17 000 victimes. Les programmes du Fonds au profit des victimes en dehors des décisions de réparation prises par la Cour ont jeté les bases des programmes de réparations imposées par la Cour et peuvent renforcer le soutien des victimes aux travaux de la CPI même lorsque les accusés ont été acquittés ou que les arrestations ont été difficiles.
72. À ce jour, les ordonnances de réparation se sont élevées à près de 38 millions €, dont 330 000€ seulement proviennent d’amendes, du produit de confiscations ou de paiements de réparations. Le nombre de survivant·e·s signifie que les réparations financières du Fonds, même dans les pays à faible revenu, sont le plus souvent symboliques, mais en tant que signe de reconnaissance des souffrances, de réadaptation et de statut des individus et de communautés entières, elles représentent bien plus qu’une compensation en espèces. Les programmes de santé et d’infrastructures contribuent aussi à la réadaptation des victimes sur le plan économique et social.

8.2. Mesures nationales: gouvernements et société civile

73. La prise en charge médicale et psychologique est vitale pour les personnes qui survivent aux violences sexuelles. Dans le contexte européen actuel de retour en arrière des droits des femmes, le déplacement en temps de guerre peut avoir de graves conséquences sur l'étendue et la qualité des soins qu’elles peuvent recevoir. L'accès des femmes à leurs droits (y compris leurs droits sexuels et reproductifs) et à des soins appropriés varie d'un pays à l'autre en fonction de la législation et des politiques. Les droits à l'avortement très restrictifs en Pologne sont problématiques pour les femmes qui se trouvent enceintes après avoir été violées en Ukraine. Les ressources socio-économiques du pays d'accueil comptent également dans la qualité de l’assistance professionnelle fournie 
			(42) 
			Conseil de l’Europe,
«<a href='https://www.coe.int/fr/web/portal/-/moldova-needs-more-resources-and-expertise-to-welcome-refugees-fleeing-the-war-in-ukraine'>La
République de Moldova a besoin de ressources supplémentaires et
d’expertise pour accueillir les personnes fuyant la guerre en Ukraine»,
Représentante Spéciale de la Secrétaire Générale sur les Migrations
et les Réfugiés, Salle de presse, </a>Conseil de l’Europe<a href=''>, 17 juin 2022,
consulté le 25 novembre 2022.</a>. Voir en relation avec la République de Moldova, par exemple, la déclaration du 17 juin 2022 de la Représentante spéciale du Conseil de l’Europe sur les migrations et les réfugiés: «La République de Moldova a besoin de ressources supplémentaires et d’expertise pour accueillir les personnes fuyant la guerre en Ukraine».
74. D’après Mme Urszula Grycuk, coordinatrice du plaidoyer international de la Fondation polonaise pour les femmes et le planning familial (FEDERA), ces femmes ont beaucoup de mal à comprendre les structures de l’État dans lequel elles viennent d’arriver et disposent rarement d’informations suffisantes. Pour qu’un avortement soit légal en Pologne, un juge doit délivrer un certificat attestant que la grossesse résulte d’un viol. Pour les exilées dans le pays, il s’agit d’un obstacle presque insurmontable, en particulier dans un environnement où la dénonciation de toute forme de violence sexuelle est stigmatisée. Les Ukrainiennes qui cherchent à avorter en Pologne après avoir survécu à des VSLC dépendent de FEDERA et d’autres ONG qui leur fournissent des informations sur l’accès à l’avortement médicalisé ou à l’avortement à l’étranger. J’ai aussi appris d’une autre source que l’enregistrement d’une éventuelle grossesse devient obligatoire à l’entrée dans le pays en tant que réfugiée de sorte que même ces possibilités limitées sont de moins en moins envisageables.
75. Plus généralement, les États doivent veiller à ce que les femmes fuyant les conflits aient accès aux droits et à la santé sexuels et reproductifs (DSSR) qui devraient être prioritaires dans l'ensemble de la réponse humanitaire et concernant les réfugié·e·s. Toutes les restrictions et tous les obstacles aux DSSR, y compris les soins urgents et essentiels, doivent être supprimés, et les organisations de la société civile doivent être consultées et participer à la conception des efforts de réponse aux DSSR. Un financement durable et à long terme et un soutien flexible doivent être fournis dans les systèmes de santé nationaux pour la programmation, la prestation de services et le plaidoyer en matière de DSSR.
76. Selon la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe 
			(43) 
			 Audition du 22 juin
2022., les ONG ne peuvent pas être les seules à gérer le soutien psycho-social et psychologique apporté aux survivantes de VSLC. Il est en effet nécessaire de mobiliser des expert·e·s, des médecins et des personnes disposant de l’expérience professionnelle nécessaire pour gérer ce crime brutal et humiliant, même si bon nombre de ces compétences sont présentes au sein même des ONG. La Commissaire a constaté le travail considérable accompli par l’Ukraine avec ses partenaires internationaux pour recueillir des informations sur les auteurs de crimes et les poursuivre, et déclaré que la ratification par l’Ukraine de la Convention d’Istanbul «a permis au pays de franchir une étape importante». Le Conseil de l’Europe pourrait également jouer un rôle dans le soutien apporté à la réadaptation médicale et psycho-sociale des victimes dans les États membres, notamment l’Ukraine.
77. Adrijana Hanušić Bećirović, conseillère juridique principale au bureau de TRIAL International à Sarajevo (Bosnie-Herzégovine), a expliqué que l’ONG mène un combat contre l’impunité et aide les victimes à obtenir justice et réparation, son action s’adressant principalement aux victimes de violences sexuelles liées aux conflits. Ses travaux consistent à influencer la jurisprudence et les politiques et à contribuer à l'amélioration des textes juridiques, du code pénal au code de procédure pénale en passant par la réparation administrative, en recherchant des solutions systémiques. En Bosnie-Herzégovine, les violences sexuelles ont été généralisées pendant la guerre. Elles ont eu des conséquences durables pour les victimes et leurs familles. Il est nécessaire de prendre toute une série de mesures de réparation, allant de la réadaptation à l'indemnisation, en passant par la restitution, des mesures de satisfaction et des garanties de non-récidive.

9. Conclusions et recommandations

78. Les violences sexuelles liées aux conflits constituent une chaîne d’événements qui commence par des inégalités fondamentales dans la lutte pour le pouvoir et se termine par des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Les recommandations sont donc, en premier lieu, la nécessité de permettre aux individus, en particulier les femmes et les filles, d’être autonomes sur le plan physique, psychologique et social, par un changement réel et mesurable des politiques, de l'éducation et des mentalités.
79. Les mesures spécifiques concernent la mise en place d’outils d'alerte rapide et d'autoprotection, la prévention par la formation des forces de police et militaires, mais aussi du personnel international ainsi que des ONG travaillant dans le cadre de programmes humanitaires avec les exilés et les populations opprimées en position de vulnérabilité, tous susceptibles de se retrouver en position de domination en période de conflit.
80. La collecte de données fiables est essentielle dans les crimes de VSLC, même si les juridictions se tournent désormais vers les témoignages de survivant·e·s et de témoins qu’ils considèrent comme suffisants pour traduire les auteurs en justice. Les données recueillies devraient aussi être rassemblées dans une étude globale du phénomène.
81. Les mécanismes de recours, de réparation et de reconstruction des vies des survivant·e·s doivent éviter de les retraumatiser, de les stigmatiser et de les marginaliser. Il est nécessaire de créer des espaces sûrs où les survivant·e·s peuvent s'exprimer librement, ou choisir de ne pas le faire. J'ai été frappée par les observations de la juriste internationale, Céline Bardet, selon lesquelles les survivantes devraient être comprises et en mesure de se prévaloir de la reconnaissance et de la réparation pour les crimes commis contre elles sans nécessairement être obligées d'aller devant les tribunaux. Une telle possibilité ne peut être offerte que dans les sociétés où la justice transitionnelle a permis des changements politiques et sociétaux.