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Rapport | Doc. 15726 | 10 mars 2023

Les jeunes et les médias

Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias

Rapporteure : Mme Fiona O'LOUGHLIN, Irlande, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15222, Renvoi 4564 du 19 mars 2021. 2023 - Deuxième partie de session

Résumé

Le rapport passe en revue les principaux défis auxquels est confrontée la jeunesse en Europe face aux médias. L’environnement numérique représente une source d’information et un potentiel d’échange de connaissances inégalés jusqu’ici dans l’histoire de l’humanité, mais cette chance ne va pas sans risques pour les jeunes, ni sans responsabilité pour les autorités publiques et les acteurs économiques du secteur.

L’Assemblée parlementaire doit appeler à ce que les opérateurs veillent à la protection des données et de la vie privée des jeunes, et réglementent les contenus illicites – notamment s’ils sont à caractère pornographique – qui sont un véritable fléau pour les jeunes. Il faut également s’assurer que le potentiel créatif des jeunes dans l’environnement numérique ne soit ni entravé, ni source d’exploitation économique.

L’équilibre entre liberté et réglementation est fondamental. Les recommandations qui figurent dans le projet de résolution visent à respecter cet équilibre. A travers les nouveaux médias, les jeunes se mettent en réseau, réfléchissent et agissent ensemble, construisent leur propre identité et façonnent nos sociétés, et il est du devoir des États, des régulateurs, du monde de l’enseignement, de la société civile et des plateformes privées de faire en sorte que les jeunes d’aujourd’hui soient les adultes informés et responsables de demain.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 24 janvier
2023.

(open)
1. À travers les nouveaux médias, les jeunes européens développent des relations sociales et expriment leurs préoccupations, leurs aspirations et leurs attentes d'une manière bien différente des générations précédentes. La pandémie de covid-19 et les mesures prises pour lutter contre sa propagation ont eu un impact considérable sur leur vie: ils ont souffert, probablement plus que les adultes, de la distanciation physique et du confinement; en même temps, ils se tournent plus facilement vers le monde numérique et les nouveaux médias pour communiquer avec leurs proches, leurs amis et leurs pairs.
2. L’Assemblée parlementaire considère qu’il est essentiel de garantir aux jeunes une utilisation sécurisée des médias sociaux et de favoriser la participation des jeunes à la vie sociale, économique et politique par le biais des médias.
3. Les habitudes et les pratiques en matière d’accès à l’actualité et de recherche d’informations, que ce soit auprès des médias traditionnels ou des médias numériques non traditionnels, sont largement influencées par le facteur de l’âge. Les plateformes et les médias sociaux en ligne sont les principales sources d’information des jeunes. Deux pratiques coexistent: d’un côté, et le plus souvent, l’exposition fortuite à l’actualité, avec une consultation fragmentée sur les plateformes numériques; de l’autre, la consommation intentionnelle de l’actualité sur les sites de réseaux sociaux, avec un degré d’intérêt et d’engagement qui varie grandement en fonction des individus.
4. Le principal défi informationnel consiste à faire en sorte que toutes les sources d’information, qu’elles soient issues du numérique, de plateformes d’information non traditionnelles ou de médias traditionnels, puissent garantir aux jeunes des informations de qualité et inciter ces derniers à s’engager activement et intentionnellement dans la vie civique et politique.
5. La conception même des technologies est de nature à engendrer un comportement addictif chez les usagers, en particulier chez les jeunes. Pour ces derniers, la connectivité continue et la réactivité immédiate sont devenues des normes, ce qui les expose à des problèmes tels que le stress numérique, la peur de passer à côté de nouveautés et la «technoférence», ces interruptions continuelles dans les interactions interpersonnelles en raison des dispositifs technologiques, numériques et mobiles.
6. Les enfants et les jeunes sont saturés d’informations en ligne. Ils sont exposés à de nombreux contenus et discours mis en avant sur les réseaux par des influenceurs, des tiktokeurs, des youtubeurs et des blogueurs vidéo qui ont une emprise sur les jeunes face à la complexité du monde. Ces influenceurs des réseaux sociaux sont souvent des diffuseurs de mésinformation, de publicité nuisible et de contenu préjudiciable, voire illégal.
7. Certains jeunes peuvent aussi être piégés par l'incitation en ligne à la violence et à la radicalisation, mais beaucoup sont rapides à réagir et à s'opposer aux discours de haine et à la discrimination. Les contenus abusifs et préjudiciables aux jeunes incluent aussi de la pornographie non consentie, contre laquelle il est impératif de lutter de manière réglementaire.
8. Le défi d’une approche de régulation durable est d’obtenir un équilibre entre une utilisation sécurisée des médias sociaux et une autodétermination numérique des mineurs mais aussi de les protéger face à des comportements ou des risques qui pourraient leur nuire.
9. Une préoccupation majeure réside dans l’identité numérique et la réputation en ligne, à savoir les mesures de sécurité et la protection de la confidentialité des données des jeunes qui ne sont pas toujours informés des risques liés aux technologies numériques. A cet égard, il est important de tenir compte des capacités cognitives des mineurs et de garantir de façon effective le droit à l’effacement des données personnelles («droit à l’oubli»).
10. La culture participative et collaborative des jeunes est influencée par leurs habitudes en termes d’usage d’internet, des réseaux sociaux et des technologies numériques. Le degré de confiance dans les médias retentit sur leur intérêt et leur engagement.
11. A travers les nouveaux médias, les jeunes se mettent en réseau, réfléchissent et agissent ensemble, construisent leur propre identité et façonnent nos sociétés. Les médias participatifs créent un contexte propice aux politiques participatives où les jeunes ne se contentent pas de suivre des informations «élitistes». Les plateformes médiatiques offrent aux jeunes la possibilité d'exprimer leur position sur des questions actuelles cruciales, telles que les droits humains, la protection de l'environnement, le développement durable et la paix. Ils veulent légitimement exercer une influence sur des choix fondamentaux.
12. Il existe néanmoins entre les politiques institutionnelles et le quotidien de certains publics, notamment les jeunes femmes et les jeunes issus des minorités, une forte dissociation qui se reflète dans leur manière de percevoir les responsables politiques. Certains jeunes ne se sentent ni écoutés ni représentés dans les politiques institutionnelles et il existe une «disjonction technologique» entre médias politiques traditionnels et autres types de technologies de l’information.
13. Il est nécessaire de trouver de nouvelles approches afin de rendre leur voix plus audible également dans les médias traditionnels, de dialoguer avec eux pour valoriser leur manière de contribuer au tissu social, d'améliorer la protection de ceux qui pourraient être plus exposés et vulnérables aux contenus dangereux en ligne, et d’autonomiser les nombreux jeunes qui cherchent à construire un avenir meilleur.
14. Dans l’environnement numérique, les jeunes sont les principaux acteurs non seulement de la diffusion mais aussi de la production d'informations. L’écosystème numérique met ainsi à disposition des jeunes des outils et des espaces pour agir à la fois en tant que consommateurs et en tant que producteurs actifs et créatifs de culture. Cependant, il existe une monétisation de leurs données, leur attention, leur culture, leur travail et leur créativité pour générer des profits que les acteurs économiques des médias ne partagent pas équitablement. Cette participation à l’économie numérique implique des relations de pouvoir: à travers le «travail aspirationnel», des jeunes créent et produisent gratuitement dans l’espoir d’une carrière future, formant ainsi une catégorie de travailleurs de l’information qui pâtissent de relations asymétriques, voire d’exploitation des compétences.
15. En conséquence, l’Assemblée invite les États membres à développer un écosystème médiatique capable de garantir aux jeunes une information de qualité et la sécurité numérique, et de renforcer leur engagement démocratique. A cet égard, il faudrait:
15.1. mieux protéger l’indépendance éditoriale des médias et renforcer le rôle et la visibilité des journalistes professionnels;
15.2. soutenir les médias de service public et les organes médiatiques indépendants et locaux, en leur fournissant les moyens financiers adéquats pour qu’ils puissent stimuler la consommation avisée d’informations chez les jeunes et leur engagement démocratique;
15.3. soutenir la présence des médias d’information sur les réseaux sociaux pour diffuser des informations tenant compte de la diversité et des besoins spécifiques de certains groupes de jeunes, notamment des jeunes issus des minorités, par exemple des jeunes migrants;
15.4. financer et favoriser la recherche sur la sécurité et le bien-être en ligne;
15.5. apporter un soutien financier aux initiatives en matière de vérification des faits pour lutter contre la mésinformation et la désinformation;
15.6. promouvoir des programmes d’éducation aux médias (privés et publics) visant à contrer la tendance des jeunes au «grignotage d’informations» par intermittence et à renforcer les capacités numériques et la pensée analytique des jeunes utilisateurs, afin qu’ils puissent mieux se défendre contre les désordres de l’information et les contenus préjudiciables, et identifier les contenus et les pratiques publicitaires abusives sur internet et s’y opposer;
15.7. renforcer le rôle des autorités chargées de la protection des données et de la concurrence; veiller en particulier au respect des règles de protection des données applicables aux jeunes ayant moins de 18 ans, et appliquer des mesures appropriées pour que les plateformes commerciales observent toutes les obligations qui leur incombent en matière de protection de la vie privée et de surveillance;
15.8. étudier un système, facultatif ou obligatoire, d’identité numérique et renforcer les moyens permettant aux jeunes de protéger leur propre réputation en ligne;
15.9. aligner leurs législations nationales aux standards établis par la Convention du Conseil de l’Europe pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (STE no 108, «Convention 108») et sa version modernisée (STE no 181, «Convention 108+»); établir en particulier des sanctions strictes applicables aux grandes plateformes de médias sociaux lorsqu’elles déploient des pratiques commerciales déloyales et qu’elles collectent et utilisent à des fins commerciales des données concernant des mineurs, y compris le marketing ciblé et les publicités personnalisées;
15.10. renforcer le rôle des autorités nationales de régulation des médias et de régulation de la publicité et assurer le respect des mesures de protection des utilisateurs, notamment des plus vulnérables, face au harcèlement en ligne et aux contenus préjudiciables sur les plateformes de partage de vidéos et sur les réseaux sociaux;
15.11. renforcer la prévention et la lutte contre le harcèlement en ligne en diffusant les travaux de recherche et d’éducation sur la déontologie des médias et en chargeant les professionnels de santé et les éducateurs qui s’occupent d’enfants et de jeunes adultes de dépister régulièrement le harcèlement en ligne;
15.12. réguler les plateformes pornographiques en Europe et imposer des sanctions plus sévères aux services intermédiaires qui ne respectent pas l’obligation de supprimer les images non consenties, notamment la vengeance pornographique, le faux porno et les deepfakes;
15.13. mettre en œuvre des mesures appropriées afin que les publicités apparaissant sur les plateformes de partage de vidéos respectent les exigences publicitaires spécifiques en termes de transparence, d’interdictions ou de limites ciblant certains produits et les autres obligations à caractère général en matière de publicité; promouvoir l’uniformisation des approches de la régulation des médias sociaux sur la limitation ou l’interdiction des publicités qui s’adressent aux enfants, dont celles concernant des aliments néfastes.
16. L’Assemblée appelle également les États membres à promouvoir la participation des jeunes à la vie sociale et économique par le biais des médias, en tenant compte du fait que la transformation numérique peut créer des inégalités structurelles et reproduire celles qui existent déjà, notamment par le biais de l’ingérence dans la vie privée, de l’exploitation du travail gratuit et de la surveillance. A cet égard, il faudrait:
16.1. stimuler le développement du sens civique chez les jeunes ainsi que leur engagement politique en combattant l’incivilité dans les discours politiques en ligne et en adaptant l’engagement des responsables politiques auprès des jeunes;
16.2. créer des paramètres pour mesurer la création de valeur économique en ligne par les jeunes et financer des recherches sur le développement de leur vision économique;
16.3. adopter des réglementations permettant de lutter contre les nouvelles formes d’exploitation du travail des jeunes qui sont apparues dans les écosystèmes économiques numériques;
16.4. veiller à ce que les programmes éducatifs informent et sensibilisent les jeunes au sujet de la finance numérique et favorisent la contribution des jeunes à l’évolution du paysage économique via le numérique.

B. Exposé des motifs par Mme Fiona O’Loughlin, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. Internet et les plateformes numériques sont devenus les moyens les plus utilisés pour accéder et diffuser des informations, mais aussi pour communiquer au sens large. L’environnement numérique offre une grande variété de sources d’information dans un flot permanent d’actualités, pour faire des recherches ou pour entretenir des liens professionnels ou privés. Les avantages en termes d’accessibilité et d’immédiateté sont indéniables.
2. Les médias sociaux sont, pour la jeune génération, l’outil privilégié pour l’information, la communication, les jeux, la création et les loisirs en général. Ils sont aussi un outil pour les jeunes qui veulent de plus en plus faire entendre leur voix sur des questions d’actualité cruciales et des enjeux mondiaux, comme les droits humains, la protection de l’environnement, le développement durable et la paix. De toute évidence, le développement des réseaux numériques a ouvert la voie à de multiples possibilités créatives, éducatives, inclusives, diverses et révolutionnaires pour l’autonomisation des jeunes.
3. Cependant, l’évolution technologique n’apporte pas seulement des bénéfices, mais comporte aussi des risques et des défis liés aux désordres de l’information et aux lacunes des réglementations dans les espaces numériques: mésinformation, désinformation, manipulation, incitation à la violence, harcèlement en ligne, isolation dans les «bulles filtrantes», adhésion à des théories complotistes sont autant de menaces pour les adultes et encore plus pour les jeunes. Nous devons être conscients de ces risques et élaborer des stratégies pour les contrer tout en respectant les droits fondamentaux des jeunes.
4. Étant donné que beaucoup de jeunes ne disposent pas d’une éducation aux médias ou d’une culture bien établie en matière de consommation d’information, ils ne peuvent pas organiser leurs flux d’informations en sélectionnant des sources d’informations fiables. Le fonctionnement des médias sociaux, basés sur des algorithmes, contribue à répandre des contenus clivants, polarisants et sensationnalistes potentiellement dangereux pour les jeunes.
5. Il existe un large éventail de problèmes de sécurité liés à des contenus illicites tels que la cybercriminalité, la pornographie, le cyberharcèlement ou la violence. En outre, il existe un risque réel d’effets nocifs de certains contenus nuisibles à la perception de soi, à l’image corporelle et aux pratiques de santé des enfants et des jeunes.
6. Nous devons protéger les jeunes de ces risques en leur permettant d’utiliser les médias sociaux de manière sûre, saine et créative. Comme le souligne la proposition de résolution à l’origine du présent rapport 
			(2) 
			«Les jeunes
et les médias», proposition de résolution (Doc. 15222), 9 février 2021., il est nécessaire de trouver de nouvelles approches afin de rendre la voix des jeunes plus audible également dans les médias traditionnels, de dialoguer avec eux pour renforcer leur capacité à contribuer au tissu social, d’améliorer la protection de ceux qui pourraient être plus exposés et vulnérables aux contenus dangereux en ligne, et d’autonomiser les nombreux jeunes qui cherchent à construire un avenir meilleur.
7. Il existe de multiples tendances en ce qui concerne l’interaction des jeunes avec les médias d’information, traditionnels ou non. Une approche qualitative nous permet de dégager deux directions de réflexion: l’utilisation sécurisée des médias sociaux par les jeunes et l’implication des jeunes dans une vie sociale active par le biais des médias.
8. Parmi les thèmes fondamentaux susceptibles d’intéresser concrètement les diverses parties prenantes, figurent notamment les questions de savoir à quoi les jeunes accordent de la valeur dans les informations, quels sont les besoins et les motivations profondes qui les poussent à consommer des médias d’information et à s’engager à leur égard, quel rapport ils entretiennent avec les émissions d’information classiques, quelle est leur confiance globale dans les informations délivrées par les médias professionnels, et quelle est la valeur perçue du journalisme de qualité dans le cadre de la crise de més/désinformation que nous traversons actuellement.
9. Le rythme accéléré est devenu la norme pour la communication en ligne et la consommation de vidéos, de même que pour l’information. Cette situation va de pair avec des questions de sécurité, de confidentialité numérique et de réputation. Les révélations selon lesquelles Facebook a, à maintes reprises, présenté des données trompeuses sur l’importance de son audience devraient nous alerter en tant que législateurs garants des droits des citoyens, y compris en ligne. Ces menaces envers l’autodétermination numérique des jeunes appellent à renforcer l’éducation sur la protection des données et la sécurité en ligne. La citoyenneté numérique implique de doter les jeunes des compétences requises pour comprendre et protéger leur vie privée et la sécurité des données lorsqu’ils interagissent avec l’intelligence artificielle, de développer l’éducation et la sensibilisation aux conséquences à court et à long terme de l’empreinte virtuelle ou de la «trace» numérique de leurs activités en ligne, et de sensibiliser davantage les jeunes aux pratiques commerciales en matière de données déployées par les fournisseurs de plateformes de médias sociaux.
10. Les influenceurs agissent comme des intermédiaires entre les jeunes et la complexité de leur environnement, mais en absence de réglementation adéquate, ils constituent aussi des menaces en termes de mésinformation, de publicité indue et de contenus nuisibles, en particulier la pornographie, la sexualisation des mineurs et les stéréotypes de genre.
11. La déontologie des médias devrait faire partie intégrante de programmes interdisciplinaires mélangeant apprentissage formel et informel, programmes éducatifs et campagnes de sensibilisation menées par l’ensemble des médias, qu’ils soient traditionnels ou numériques. Les jeunes doivent être sensibilisés à l’indépendance éditoriale, à la notion de service public et aux codes d’éthique journalistique afin de contrer la propagation de contenus préjudiciables et les infox.
12. Un environnement médiatique qui combine médias traditionnels et nouveaux médias offre aux jeunes de nombreuses perspectives, expériences et possibilités de s’engager individuellement dans la société ou dans leur communauté. Il convient d’examiner plus en détail les formes de participation à la vie sociale par le biais des médias, en tenant compte des obstacles pour certaines catégories de jeunes, notamment les jeunes femmes et les personnes issues de minorités.
13. Cet engagement sociétal peut aussi revêtir la forme d’un engagement et d’une participation politiques via les médias. Les technologies numériques permettent de participer aux activités démocratiques et de promouvoir la citoyenneté démocratique, mais cela implique en retour de respecter certaines règles de civilité dans le discours en ligne, et une adaptation de la part des responsables politiques. Il s’agit d’une question cruciale pour les élus des États membres et pour le fonctionnement futur de nos démocraties.
14. Enfin, les jeunes prennent part, sur internet, à diverses transactions économiques rémunérées ou non rémunérées. En cela ils se consacrent à du «travail aspirationnel» par le biais d’expression créative sur les médias sociaux. Ces formes de travail gratuit créent des asymétries de pouvoir dans l’économie numérique qui mènent à des inégalités structurelles. Il est indispensable de lutter contre cette forme d’exploitation du travail.
15. Le présent rapport vise deux objectifs: premièrement, proposer une évaluation des difficultés et opportunités que rencontrent actuellement les jeunes en termes d’accès, d’exposition et d’engagement à l’égard d’un large éventail de sources d’information numériques, traditionnelles ou non. Deuxièmement, présenter aux États membres des conclusions et des recommandations précises sur le thème du présent rapport.
16. Mon analyse s’appuie sur le rapport de Mme Adriana Mutu, directrice académique et professeure à l’ESIC Business and Marketing School de Barcelone 
			(3) 
			AS/Cult/Inf(2022)05,
distribution restreinte.; je la remercie pour son excellent travail. J’ai également tenu compte des contributions des autres experts qui ont participé à l’audition de la commission du 9 mai 2022: M. Pasquale Stanzione, président de l'Autorité italienne pour la protection des données personnelles (Garante per la protezione dei dati personali), Italie; Mme Mariek Vanden Abeele, professeure associée en culture numérique au Département des sciences de la communication de l'Université de Gand, Belgique; et M. Vittorio Gattari, membre du Conseil d'administration du Conseil italien de la jeunesse, membre du Conseil consultatif sur la jeunesse du Conseil de l'Europe.
17. Dans le rapport, le terme «jeunes» désigne tous les mineurs (c’est-à-dire, en général les personnes âgées de moins de 18 ans dans l’Union européenne). En outre, le rapport fait référence aux tendances de deux groupes d’âge en termes de consommation de médias numériques et traditionnels ainsi que de participation et d’engagement à l’égard de ces médias: la génération Z (les natifs du numérique, âgés de 18 à 24 ans) et la génération Y/les millénials (25-35 ans).

2. Utilisation sécurisée des médias sociaux par les jeunes

2.1. Les habitudes des jeunes en matière de navigation et de consommation sur les réseaux sociaux

18. Les écosystèmes informationnels en constante évolution ainsi que l’accès et l’exposition sans précédent à un large éventail de sources d’information numériques, via les médias traditionnels ou non (en particulier les plateformes des médias sociaux et les agrégateurs de nouvelles), appellent à une sensibilisation accrue et à un examen plus approfondi des habitudes et des comportements des jeunes en matière de navigation et de consommation des médias. Ces habitudes et ces pratiques suivent certaines tendances dont le facteur de l’âge est un des plus prédictifs 
			(4) 
			Voir: «<a href='www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/21670811.2018.1423625'>News
in social media</a>» (2018)<a href='https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/21670811.2018.1423625'>.</a>.
19. Un autre facteur prédictif est d’ordre géographique, puisque les habitudes des jeunes adultes européens en matière de navigation et de consommation des médias d’information varient d’un pays à l’autre. Cependant, il se dégage une tendance générale croissante: les plateformes et les réseaux des médias sociaux en ligne sont leurs principales sources d’information. Les publics jeunes associent consommation de l’actualité, navigation sur les réseaux sociaux, résolution de problèmes, action sociale et divertissement. Ce ne sont pas les jeunes qui cherchent l’actualité, mais l’actualité qui vient à eux via les réseaux sociaux. Par ailleurs, les jeunes adultes sont souvent amenés à consulter des informations que leur recommandent leurs pairs sur les réseaux sociaux ainsi que dans des conversations de groupe et des messages instantanés 
			(5) 
			Une étude de 2018 du
Reuters Institute for the Study of Journalism montre que dans six
pays – Finlande, France, Allemagne, Italie, Pologne et Royaume-Uni
– les médias sociaux sont la principale source d’information des
jeunes. Voir <a href='https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/our-research/private-sector-news-social-media-distribution-and-algorithm-change'>https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/our-research/private-sector-news-social-media-distribution-and-algorithm-change</a>. 
			(5) 
			En Autriche, 60 % de jeunes adultes interrogés
dans le cadre d’une étude en 2020 affirment qu’ils «tombent sur
les actualités par hasard lorsqu’ils consultent leurs réseaux ou
leurs groupes d’amis en ligne». Seuls 39 % des répondants déclarent
que l’actualité est un contenu qu’ils cherchent activement par eux-mêmes.
Voir <a href='https://ijoc.org/index.php/ijoc/article/view/13774'>https://ijoc.org/index.php/ijoc/article/view/13774.</a>. Dans cet environnement numérique, les jeunes ne suivent pas l’actualité mais c’est elle qui les suit.
20. Le fait que les médias sociaux deviennent la principale porte d’entrée vers l’actualité et les informations témoigne d’un changement de dynamique entre les médias d’information traditionnels, qui entretiennent un lien direct avec leur public, et les plateformes des médias sociaux, où les jeunes adultes consultent le plus souvent fortuitement l’actualité car ils ne font pas activement la démarche de la rechercher par eux-mêmes. De plus, les jeunes qui ont un faible niveau de confiance dans les médias ont tendance à préférer les sources d'information non traditionnelles telles que les médias sociaux et les blogs 
			(6) 
			Voir aussi: «<a href='www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/21670811.2017.1279979'>The
Impact of Trust in the News Media on Online News Consumption and
Participation</a>» (2017)<a href='https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/21670811.2017.1279979'>.</a>.
21. La compréhension et surtout la prise en compte de ce phénomène pourraient aider les médias et les journalistes à adapter leurs produits et formats à ce qui attire les publics jeunes afin de les intéresser, de restaurer la confiance globale dans les informations délivrées par les médias professionnels et de les fidéliser.
22. Il existe quatre grands moments de consultation de l’actualité qui varient en fonction de variables externes telles que les habitudes personnelles, le milieu professionnel et le support utilisé: moment exclusivement consacré à l’actualité, moment utilisé pour se tenir au courant des derniers événements, moment utilisé pour occuper le temps, moment d’interception. Il existe également quatre types de consommateurs de l’actualité: les consommateurs des médias traditionnels, les consommateurs fidèles de l’actualité, les consommateurs passifs de l’actualité, et les amateurs proactifs de l’actualité 
			(7) 
			Ces classifications
sont reprises d’une étude du Reuters Institute, «<a href='https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/our-research/how-young-people-consume-news-and-implications-mainstream-media'>How
Young People Consume News and the Implications for Mainstream Media</a>» (2019)<a href='https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/our-research/how-young-people-consume-news-and-implications-mainstream-media'>.</a>.
23. Les habitudes et comportements de ces différents types de consommateurs de l’actualité sont influencés par la place qu’occupent les marques de médias dans l’expérience de chaque consommateur (consommateur autonome ou consommateur attaché à une marque) et le degré d’engagement d’une personne à l’égard de l’information en général (faible consommation ou consommation élevée). Un consommateur autonome consulte ce qu’il juge pertinent tandis qu’un consommateur attaché à une marque considère certains médias précis comme des gardiens de l’information.
24. Le comportement des jeunes en matière de consommation des médias est aussi influencé par une série d’éléments clés tels que les questions traitées, le contenu de l’actualité, le format, le ton des informations délivrées, les différences entre les plateformes, entre les médias traditionnels, entre les groupes d’âge et entre les méthodes de paiement. Les jeunes assimilent souvent la consommation de l’actualité à «une corvée» 
			(8) 
			Ibid., ce qui a un impact sur la perception du contenu des médias traditionnels qui n’est pas considéré suffisamment attrayant ou attractif.
25. La différence entre l’exposition fortuite à l’actualité et la consommation intentionnelle de l’actualité sur les sites de réseaux sociaux est intéressante à examiner. La consommation fortuite de l’actualité sur les médias en ligne signifie que les jeunes peuvent être exposés à des informations ou à une actualité qu’ils n’ont pas activement cherché à consulter. Ils trouvent littéralement par hasard des informations sans les avoir cherchées volontairement. Cette «rencontre» avec l’information peut être considérée comme la conséquence indirecte d’autres activités, quelque chose qui se produit dans le cadre de la consultation habituelle de certains médias, chaînes ou contenus. Des chercheurs 
			(9) 
			Notamment
Bergström, Belfrage, Meijer et Kormelink. désignent ce phénomène par les termes «cycle de consultation» lorsque l’on consulte constamment son téléphone pour ne rien rater de ce qui se passe dans sa vie privée mais aussi dans le monde entier, et «grignotage d’informations» lorsque l’on consomme de l’actualité par petits bouts, en la survolant de façon détachée.
26. Cette consommation fortuite ou intentionnelle de l’actualité sur les médias sociaux parmi les jeunes a été mesurée en lien avec la façon de consulter l’actualité dans le fil des réseaux sociaux et avec le rôle que jouent leurs amis et leurs abonnés. On observe un déclin dans l’utilisation des médias d’information traditionnels sur les plateformes habituelles tandis que les sites des réseaux sociaux tels que Facebook, Instagram et Twitter sont une source d’information de plus en plus importante. Cela signifie que les sites des réseaux sociaux ne sont pas la principale source d’information mais sont un moyen important de relayer l’actualité que relatent les médias traditionnels et les autres sources conventionnelles d’information 
			(10) 
			Voir
l’étude portant sur les jeunes en Suède, «<a href='www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/21670811.2018.1423625'>News
in social media</a>» (2018)..
27. Notre défi, et celui des médias, est de faire en sorte que les sources d’information issues du numérique, les plateformes d’information non traditionnelles et les médias traditionnels puissent garantir aux publics jeunes des informations de qualité et inciter ces derniers à s’engager activement et intentionnellement à l’égard des médias d’information. En effet, malgré l’augmentation des taux de consommation de l’actualité sur les médias sociaux et le recul des taux d’audience des médias traditionnels, ces derniers restent perçus par les jeunes comme des sources réputées et fiables, pratiquant un journalisme de qualité. De façon logique, une confiance très faible à l’égard des médias d’information est associée à une préférence pour les sources d’actualité non traditionnelles, tandis qu’une très grande confiance à l’égard des médias d’information est plus susceptible d’être associée à une consommation de l’actualité auprès des sources traditionnelles.
28. Le rôle des journalistes en tant que fournisseurs d’informations et en tant que gardiens professionnels de l’information a évolué au fil du temps. Un point préoccupant est la perception selon laquelle les journalistes professionnels ne sont pas toujours identifiés comme des sources d’actualité. Les jeunes sont moins attachés à des canaux médiatiques précis et accordent peu d’attention aux journalistes professionnels. Il existe cependant des moyens de renforcer la visibilité de projets médiatiques indépendants, collectifs et locaux en assurant un financement public permettant de réduire la dépendance à l’égard de la publicité 
			(11) 
			En
France, de 2009 à 2011, un système a permis de financer, à hauteur
de 50 %, le coût d’un abonnement d’un an à un journal pour les 18-24
ans afin de susciter chez eux une habitude de consommation de l’actualité
et d’informations payantes..
29. Les médias devraient moderniser le format des actualités, leurs produits et leurs modes de distribution pour proposer de nouvelles formes de participation et d’interaction aux publics jeunes, qui, soit cherchent intentionnellement des informations de qualité et un journalisme responsable, soit tombent fortuitement sur des informations d’actualité correspondant à leurs centres d’intérêt.
30. Il est aussi possible de s’attaquer à la consommation fortuite de l’actualité et de combattre cette tendance en collaborant, avec les divers acteurs concernés, à l’élaboration de programmes d’éducation et d’initiation aux médias 
			(12) 
			Par
exemple en Espagne, le Conseil audiovisuel de Catalogne a lancé
en 2019 la Plateforme pour l’éducation aux médias qui rassemble
des représentants des universités, des groupes de recherche, des
entreprises et des associations professionnelles, et a pour but
d’aider les jeunes à adopter un regard critique à l’égard des contenus
que diffusent les médias.. Les jeunes doivent comprendre le rôle des médias dans la détermination des priorités et ils doivent être encouragés à participer activement et à prendre des décisions individuelles et collectives fondées sur des informations de qualité afin qu’ils puissent s’engager démocratiquement dans la sphère publique.
31. Enfin, il convient de tenir compte de l’attitude des jeunes issus des minorités, par exemple des jeunes migrants nés en dehors de leur pays de résidence actuel, en matière de consommation de l’actualité: ces derniers se tournent délibérément vers les réseaux sociaux car ils souhaitent se tenir au courant de l’actualité en général et de l’actualité civique et politique 
			(13) 
			«<a href='www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/21670811.2018.1423625'>News
in social media</a>» (2018)<a href='https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/21670811.2018.1423625'>.</a>. Par conséquent, les médias d’information devraient se servir de plateformes et de réseaux sociaux réellement susceptibles de susciter un engagement fort du public afin de promouvoir l’actualité internationale et de mettre en avant leurs «marques», notamment auprès de publics jeunes et culturellement divers, vivant en dehors de leurs pays d’origine.

2.2. Sécurité, confidentialité numérique et réputation: autodétermination numérique

32. Plusieurs procès ont eu lieu ces dernières années contre des plateformes de médias sociaux pour violation du droit des enfants au respect de leur vie privée et de leurs droits en tant que consommateurs, notamment contre le géant du numérique TikTok 
			(14) 
			En 2020,
un procès a été intenté contre TikTok au Royaume-Uni par une jeune
fille anonyme âgée de 12 ans, et en 2021, d’autres poursuites ont
été engagées au Royaume-Uni au nom de tous les enfants qui avaient
utilisé TikTok depuis le 25 mai 2018. En 2021, aux Pays-Bas, un
procès a été intenté contre la société mère de TikTok, ByteDance.
Selon les associations plaignantes, les données à caractère personnel
(date de naissance, numéro de téléphone et adresses e-mail, ainsi
que des informations sur l’orientation sexuelle et les convictions
religieuses et même les données biométriques) d’1,2 à 1,6 million
d’enfants néerlandais ont été collectées illicitement pendant des
années et vendues contre des publicités ciblées.. En 2021, les révélations de la lanceuse d’alerte Frances Haugen à l’encontre de Facebook sur des pratiques consistant à tromper systématiquement les investisseurs au sujet de la démarche de Facebook en matière de sécurité et de la taille de son public, ont appelé à une meilleure sensibilisation et une meilleure information sur les mesures de sécurité, de protection et de confidentialité des données qui sont mises en œuvre en Europe par les géants du numérique et autres parties prenantes, aux niveaux national et international.
33. Il est essentiel, dans un souci de sensibilisation, mais aussi pour remédier à ces problèmes inquiétants, que les jeunes reçoivent des informations sur l’importance des questions de protection de la vie privée et de sécurité relatives aux données personnelles qu’ils partagent en ligne lorsqu’ils utilisent des plateformes de réseaux sociaux et d’achats en ligne, des applications mobiles, des traceurs et des mouchards. Il est aussi important de continuer les recherches sur l’autodétermination numérique.
34. Une grande partie du débat public sur les jeunes et les technologies numériques est axée sur l’évaluation et la compréhension des risques et des préjudices que les technologies numériques sont susceptibles d’entraîner, mais aussi sur les atouts potentiellement liés à l’utilisation des médias numériques par les jeunes. Nous ne pouvons pas nous limiter à mener des politiques publiques axées sur le risque car nous devons aussi tenir compte des défis et opportunités que comportent les technologies numériques pour les jeunes et leurs centres d’intérêt. Cela inclut les conditions dans lesquelles les jeunes ont accès à internet, leur capacité de décision et d’action lorsqu’ils se servent des technologies numériques, leur degré d’expérience face à ces technologies, leurs droits et responsabilités, les types d’activités dans lesquelles ils s’engagent ainsi que la façon dont ils le font en termes de créativité, de signification, d’éthique, de responsabilité et de participation.
35. Afin de développer ces capacités numériques 
			(15) 
			A savoir la maîtrise
des TIC, l’éducation à l’information, aux données et aux médias,
«l’éducation aux nouveaux médias»; la création numérique, la résolution
de problèmes et l’innovation numériques; la communication, la collaboration et
la participation numériques; l’apprentissage et le développement
numériques; l’identité et le bien-être numériques. Voir: <a href='https://repository.jisc.ac.uk/6611/1/JFL0066F_DIGIGAP_MOD_IND_FRAME.PDF'>https://repository.jisc.ac.uk/6611/1/JFL0066F_DIGIGAP_MOD_IND_FRAME.PDF.</a> et de garantir le «bien-être numérique» 
			(16) 
			Terme utilisé pour
désigner l'impact des technologies numériques sur ce que signifie
«vivre une vie qui est bonne pour un être humain». Ses implications
concernent la santé, l’éducation, la gouvernance et le développement
social, les médias et le divertissement. Le terme est ici utilisé
au sens large: conditions d'accès, niveau d’utilisation des technologies numériques,
degré d'expérience dans l'utilisation de ces technologies, droits
et responsabilités, types d'activités auxquelles les jeunes s'adonnent
et comment ils le font de manière créative, significative, éthique,
responsable et participative. Voir: <a href='https://link.springer.com/article/10.1007/s11948-020-00175-8'>https://link.springer.com/article/10.1007/s11948-020-00175-8.</a>, les jeunes doivent bénéficier de formations et d’informations qui leur permettent d’acquérir des compétences susceptibles de les aider à mieux se servir des technologies numériques. Les notions telles que la citoyenneté numérique, l’éducation au numérique, la détermination numérique et l’éducation aux nouveaux médias ont été employées pour regrouper et organiser ces compétences dans le cadre de programmes éducatifs susceptibles d’être mis en œuvre dans des environnements d’apprentissage formels, informels et connectés 
			(17) 
			Par
exemple en 2019 en Espagne, le Conseil audiovisuel de Catalogne,
la Corporation catalane des médias audiovisuels et le Centre social
la Caixa ont lancé la campagne «#AMiNoMenganyen» (#ilsnemetrompentpas)
pour favoriser les capacités numériques et l’éducation aux médias.
Elle cherche à favoriser la pensée critique, l’utilisation responsable
de la technologie, des informations d’actualité et des réseaux sociaux,
et à mettre en garde contre les dangers que représentent le harcèlement,
les infox et les menaces pesant sur la confidentialité numérique..
36. Le fait qu’utiliser internet laisse une empreinte virtuelle ou «trace» numérique au fil de l’activité en ligne, la réduction de cette empreinte numérique et la gestion de l’identité numérique sont autant de questions auxquelles les acteurs concernés, et notamment les institutions publiques et les acteurs de l’éducation, sont confrontés. Les jeunes devraient recevoir un enseignement au sujet de l’empreinte numérique et de ses avantages et inconvénients, comprendre la question de l’atteinte à la vie privée sur internet, apprendre qui suit la trace des utilisateurs sur internet et comment, et apprendre de quelle façon les lois sur la protection de la vie privée en vigueur dans diverses parties du monde peuvent avoir des conséquences sur leur empreinte numérique. Il convient de s’interroger sur la nécessité d’introduire un enseignement facultatif ou obligatoire à la citoyenneté numérique pour donner aux jeunes les moyens de comprendre la protection de la vie privée et de protéger leurs propres données lorsqu’ils naviguent en ligne, d’améliorer l’éducation et la sensibilisation aux conséquences à court et à long terme de l’empreinte virtuelle ou de la «trace» numérique, et il faudrait aussi davantage sensibiliser les jeunes aux pratiques commerciales en matière de données que déploient les fournisseurs de plateformes de réseaux sociaux.
37. La collecte des données à caractère personnel, les pratiques commerciales concernant les données, l’utilisation des outils de surveillance et de la technologie de reconnaissance faciale dont se servent les fournisseurs de plateformes de médias sociaux, constituent de véritables menaces numériques. Il convient de noter que l’Union européenne a adopté un «Digital Services Act», une nouvelle législation qui prendra effet en 2023 
			(18) 
			Voir
décision du Conseil européen du 4 octobre 2022: <a href='https://www.consilium.europa.eu/en/policies/digital-services-package/'>www.consilium.europa.eu/en/policies/digital-services-package.</a>. Elle interdit certains types de publicités sur les plateformes en ligne lorsqu'elles ciblent les enfants ou lorsqu'elles utilisent des catégories particulières de données personnelles, telles que l'origine ethnique, les opinions politiques et l'orientation sexuelle. Il serait souhaitable d’étendre cette législation aux pays européens qui ne sont pas membres de l’Union européenne.
38. De nouvelles recherches sont nécessaires au sujet des différents aspects de l’autodétermination numérique, depuis le contrôle de nos données à caractère personnel jusqu’à l’expression de soi, la participation à la vie civique et l’économie numérique, la construction de relations, la santé et le bien-être, afin d’engager un dialogue critique sur la façon de définir et de comprendre les problèmes et le potentiel liés à l’autodétermination numérique. Il est important de garantir un soutien financier à des recherches sur les risques en ligne, notamment le cyberharcèlement, le harcèlement sexuel, l’usurpation d’identité, l’exposition à des contenus pornographiques, les contenus violents ou agressifs, les discours préjudiciables, les contenus sur les drogues et les contenus racistes.

2.3. Les réseaux de jeunes et l’exposition à la publicité nuisible

39. Les plateformes et réseaux sociaux facilitent l’accès aux actualités et offrent les moyens d’interagir en ligne avec l’actualité en laissant des commentaires, en partageant et en postant des contenus. C’est donc en grande partie en fonction des centres d’intérêt et du comportement des personnes auxquelles ils se connectent via ces plateformes et réseaux sociaux que les jeunes sont exposés à de la publicité. Les jeunes sont notamment exposés à une grande variété de pratiques et de discours mis en avant par les influenceurs sur les médias sociaux, les tiktokeurs, les youtubeurs et les blogueurs vidéo qui agissent de plus en plus comme des «interprètes» ou des «guides» qui aident à distiller la complexité du flux des actualités quotidiennes, en présélectionnant des sujets et en postant des commentaires reflétant leurs opinions personnelles.
40. Cependant, les influenceurs des réseaux sociaux ont aussi une forte emprise sur les jeunes. Ce sont souvent les principaux diffuseurs de mésinformation, de contenus préjudiciables et de pratiques publicitaires inquiétantes. Ce matériel nuisible peut par exemple contenir des scènes pornographiques et mettre en avant la sexualisation des mineurs, des stéréotypes de genre dans la publicité sur des jouets pour enfants, etc. De plus, souvent les tiktokeurs n’indiquent pas ou ne préviennent pas clairement qu’ils font la publicité ou la promotion de certaines marques 
			(19) 
			En Espagne, les recherches
publiées par le régulateur catalan des médias audiovisuels montrent
que dans plus de 93,8 % des contenus vidéos qu’ils génèrent, les
tiktokeurs n’indiquent pas qu’ils font de la publicité. Les enfants
et les adolescents sont très fréquemment exposés à des publicités
et des messages publicitaires subliminaux sur les chaînes YouTube
et les produits/marques ne sont pas clairement identifiés, ce qui
sème la confusion chez les consommateurs. Trois youtubeurs sur quatre
(77,2 %) proposent des contenus publicitaires chargés de stéréotypes
de genre. Les mineurs sont exposés à des contenus pornographiques
dans les programmes audiovisuels et sur internet, par exemple des playlists montrant une sexualisation
des mineurs sur les plateformes de partage de vidéos Dailymotion,
Vimeo et YouTube. Les mineurs sont par ailleurs exposés à des contenus
numériques véhiculant des messages de haine et de violence envers
les femmes. Voir: <a href='https://www.cac.cat/informes-del-cac-internet'>www.cac.cat/informes-del-cac-internet.</a>.
41. Ces pratiques appellent à une réglementation plus forte et à une protection des enfants et des mineurs, y compris une réglementation de la publicité en ligne, des placements de produits, des contenus de marque et de la publicité clandestine. Les plateformes de partage de vidéos auxquelles des enfants sont susceptibles d’avoir accès devraient aussi veiller à respecter les obligations en matière de protection des données.
42. Certains pays d’Europe ont commencé à réguler le rôle des influenceurs en ligne. Le 8 juillet 2022, l’Espagne a adopté une loi générale de communication audiovisuelle tenant compte des influenceurs en tant que fournisseurs de services audiovisuels 
			(20) 
			Voir le texte de la
loi: <a href='https://www.boe.es/diario_boe/txt.php?id=BOE-A-2022-11311'>www.boe.es/diario_boe/txt.php?id=BOE-A-2022-11311.</a>. En 2021, la Norvège a voté une réglementation ciblant les images manipulées, obligeant les influenceurs des médias sociaux et les publicitaires à inscrire des mentions légales sur les images retouchées. En vigueur depuis l’été 2022, le texte s’applique en outre aux images partagées par les influenceurs et autres personnages publics qui postent des photos retouchées d’eux-mêmes pour faire la publicité de produits ou de services. Les législateurs sont donc parfaitement en mesure d’agir contre ces dérives.
43. Les organes de régulation des médias ont aussi un rôle à jouer en énonçant des mesures précises en matière de publicité à l’intention des fournisseurs de plateformes de partage de vidéos. C’est ainsi que l’OFCOM, l’autorité britannique de régulation des médias, a publié en 2021, à l’intention des fournisseurs de plateformes de partage de vidéos, un guide énonçant des mesures précises en matière de publicité, parmi lesquelles figure l’obligation de fournir à toute personne téléchargeant une vidéo la fonctionnalité permettant de déclarer que la vidéo contient une publicité.
44. Malgré l’existence de ces bonnes pratiques, les États membres ne suivent pas encore d’approche uniforme à l’égard des fournisseurs de plateformes de partage de vidéos afin de s’assurer que ceux-ci comprennent les obligations étendues qui s’appliquent aux moins de 18 ans en matière de publicité en ligne au titre de la protection des données ou du contenu préjudiciable. Il est urgent d’agir.

2.4. Les jeunes et le cyberharcèlement

45. Dans l’écosystème numérique, le harcèlement en ligne, le cyberharcèlement ou les cyberagressions prennent diverses formes, par exemple l’usurpation d’identité, le piratage des comptes d’autrui, la diffusion de photos ou de vidéos en ligne, la diffusion de contenus diffamatoires en ligne, et d’autres comportements intentionnels visant à se servir de dispositifs électroniques pour porter préjudice aux victimes.
46. Le cyberharcèlement visant les jeunes (ou entre jeunes) est un phénomène répandu dans tous les pays d’Europe 
			(21) 
			Une étude publiée par
l’université de Harvard sur le cyberharcèlement et les jeunes montre
qu’en Roumanie et en Grèce, respectivement 37,3 % et 26,8 % des
jeunes ont été victimes de cyberharcèlement. L’Allemagne, avec 24,3 %,
et la Pologne, avec 21,5 %, viennent ensuite. Les taux les plus
faibles ont été enregistrés aux Pays-Bas (15,5 %), en Islande (13,5 %)
et en Espagne (13,3 %). Selon une étude portant sur 2 872 jeunes
tchèques âgés de 9 à 17 ans, au cours de l’année 2018, 35 % des
répondants avaient été dérangés ou heurtés par quelque chose en
ligne. Les jeunes plus âgés (15-17 ans) et les filles étaient les
plus susceptibles de signaler de tels faits par rapport aux garçons
et aux participants plus jeunes (9-10 ans). Voir: <a href='http://nrs.harvard.edu/urn-3:HUL.InstRepos:41672537'>http://nrs.harvard.edu/urn-3:HUL.InstRepos:41672537.</a> et ses effets sur la santé mentale des enfants ont fait l’objet de très nombreuses publications médicales, qui parlent d’un taux plus élevé de dépression, d’automutilation et d’idées suicidaires chez les victimes. En examinant les divers types de commentaires toxiques et haineux et la manière dont ils prolifèrent dans les vidéos par et pour les jeunes postées sur YouTube 
			(22) 
			Voir: «<a href='https://mitsloan.mit.edu/ideas-made-to-matter/content-booms-how-can-platforms-protect-kids-hate-speech'>As
content booms, how can platforms protect kids from hateful speech?</a>» (2022)<a href='https://mitsloan.mit.edu/ideas-made-to-matter/content-booms-how-can-platforms-protect-kids-hate-speech'>.</a>, il apparaît qu’un commentaire sur 20 est inapproprié et que le premier commentaire haineux ouvre la porte à d’autres. Ce constat est d’autant plus frappant que les enfants demeurent attirés par YouTube et sont désireux de faire carrière dans la création de vidéos sur cette plateforme.
47. Il convient donc de traiter le problème du cyberharcèlement dans toute sa complexité et d’examiner les nouvelles solutions et approches possibles pour aider les différents acteurs à reconceptualiser, prévenir et atténuer plus efficacement ce phénomène. Des initiatives devraient être mises en œuvre parallèlement aux dispositions en vigueur de la directive européenne révisée sur les services de médias audiovisuels visant à renforcer la protection des mineurs et du public en général face à la victimisation par cyberharcèlement, aux contenus préjudiciables et notamment au sexisme, à l’incitation au racisme et à d’autres contenus discriminatoires 
			(23) 
			<a href='https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_22_2707'>https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_22_2707.</a>.
48. Au sein des États membres, des mesures ont déjà vu le jour, soit par la voie réglementaire 
			(24) 
			Par exemple, lors de
la transposition de la directive révisée sur les services de médias
audiovisuels dans le droit espagnol, diverses entités nationales
publiques ou privées ont renforcé la protection des mineurs et des
personnes handicapées face aux infractions motivées par la haine,
au discours de haine et au cyberharcèlement. En mai 2019, le Conseil
de l’audiovisuel de Catalogne a demandé à YouTube de supprimer 12 vidéos
où il était question du cybercontrôle de rendez-vous entre adolescents.
YouTube a répondu et supprimé 11 vidéos sur les 12 concernées., soit sous forme de lignes directrices 
			(25) 
			Au Royaume-Uni, les
règles du régulateur OFCOM exigent des plateformes de partage de
vidéos: la protection des moins de 18 ans; des conditions d’utilisation
prévoyant que si une personne télécharge une vidéo avec des contenus faisant
l’objet de restrictions, cela doit être signalé au fournisseur de
plateforme de partage de vidéos; des systèmes permettant de s’assurer
de l’âge des téléspectateurs potentiels; des systèmes de contrôle
parental; des systèmes permettant aux téléspectateurs d’évaluer
des contenus préjudiciables; des conditions d’utilisation interdisant
le téléchargement de vidéos dont le contenu est préjudiciable; des
mécanismes permettant aux téléspectateurs de signaler ou de marquer
des contenus préjudiciables et d’expliquer aux utilisateurs les
mesures prises.. Il convient de généraliser cette approche, dans le cadre de la transposition de la directive européenne révisée sur les services de médias audiovisuels ou par le biais de réglementations spécifiques pour les États non-membres de l’Union européenne. La question des commentaires en ligne est cruciale. Un élément déterminant réside dans la réaction rapide des plateformes des géants du numérique, soit à l’aide d’algorithmes, soit à la suite de signalements, pour retirer les commentaires potentiellement préjudiciables.
49. La pornographie occupe malheureusement une place à part dans le cyberharcèlement, et les plateformes pornographiques et les services intermédiaires jouent un rôle majeur pour la diffusion de pornographie non consentie 
			(26) 
			Ainsi,
en 2020 en Irlande, plus de 100 000 images de femmes et de filles
ont été divulguées en ligne, et en Italie une page Telegram de partage
d’images sexuelles sans consentement portant aussi sur des mineurs
était consultée en moyenne par 40 000 personnes par jour..
50. Les images non consenties incluent des pratiques telles que upskirting (photographies prises sous la jupe des filles et des femmes), vidéosurveillance, caméras cachées, vengeance pornographique, images volées ou ayant fuité. Mais cela concerne aussi le faux porno et les deepfakes qui consistent à utiliser la technologie numérique pour fusionner les visages de célébrités ou de personnes privées sur du matériel sexuel explicite. Ces images sont ensuite mises en ligne. Ce phénomène est en pleine expansion en Europe.
51. Même si les grandes plateformes ont pris des mesures pour lutter contre ce problème, les contenus non consentis demeurent facilement accessibles, gratuits et même organisés par genre et par catégorie. Cette pornographie non consentie et facilement accessible légitime et normalise des abus. La régulation est donc justifiée au vu de la fréquence et de l’impact des images non consenties sur les réseaux, au point que près d’un tiers des femmes et des jeunes femmes 
			(27) 
			Voir l’enquête
du réseau HateAid: <a href='https://hateaid.org/wp-content/uploads/2022/04/HateAid-Report-2021_EN.pdf'>https://hateaid.org/wp-content/uploads/2022/04/HateAid-Report-2021_EN.pdf.</a> dans l'Union européenne craignent que de fausses images intimes d'elles ne soient partagées en ligne sans leur consentement.
52. Une première piste se trouve à nouveau dans la législation de l’Union européenne sur les services numériques, qui contient de nouvelles dispositions destinées à faire en sorte que les fournisseurs de services intermédiaires respectent l’obligation de réduire la quantité de pornographie non consentie présente sur leurs sites, notamment via un système d’«alertes de confiance» activées par des entités labellisées au sein de chaque État en vertu de leur expertise et qui verront leurs notifications traitées en priorité.
53. Au-delà de la réglementation, le comportement des acteurs actuels et futurs en termes de prévention et de lutte contre le harcèlement en ligne dépend en partie de leur connaissance des travaux de recherche sur la déontologie des médias à l’intention du public et de leur accès à ces travaux. Cela implique que les pouvoirs publics financent la recherche visant à lutter contre le cyberharcèlement et établissent des lignes directrices concrètes pour prévenir ce phénomène et y répondre. Des recherches sur le cyberharcèlement devraient également prendre en compte des facteurs de victimisation tels que handicap, groupe ethnique, genre et orientation sexuelle. Enfin, les prestataires de soins de santé et les éducateurs qui s’occupent d’enfants et de jeunes adultes sont des acteurs importants de dépistage de harcèlement en ligne. Cependant, le financement de formations destinées à ces prestataires dépend des États membres et varie d’un pays à l’autre.

3. Participation des jeunes à la vie sociale par le biais des médias et avec leur aide

3.1. Participation et engagement des jeunes dans un environnement médiatique convergeant

54. Le degré de confiance dans les médias influence grandement l’intérêt, l’engagement et la participation. Les formes de comportement participatif en ligne, considéré comme un aspect de l’engagement citoyen dans les sociétés démocratiques, consistent notamment à consulter, produire, partager et commenter l’actualité, à exprimer des opinions sur des questions d’intérêt général, à échanger des informations, à exprimer une émotion, à prendre part à un débat, à informer autrui, à vérifier les faits et à équilibrer une discussion.
55. La participation à l’égard de l’actualité en ligne varie d’un pays à l’autre, en fonction également de la confiance à l’égard des médias d’information par rapport à d’autres sources non traditionnelles telles que les médias sociaux, les blogs et les sources issues du numérique. Chez les jeunes en particulier, la culture participative et collaborative est influencée par leurs habitudes d’usage de ces sources non traditionnelles. D’autres éléments s’y ajoutent, notamment les caractéristiques démographiques individuelles, le style de vie, les cycles de vie, les types de nouveaux formats, les contenus, les moyens utilisés pour consulter l’actualité, le ton, et la narration 
			(28) 
			Pour les jeunes espagnols
âgés de 12 à 18 ans, les réseaux sociaux sont les principaux outils
de loisir et de sociabilité. 94,5 % des adolescents se connectent
à internet principalement chez eux, 59,2 % d’entre eux indiquent disposer
d’une connexion dans leur propre chambre. Le divertissement (95,1 %)
et l’information (80,2 %) sont les deux principales fonctions attribuées
à internet, mais la participation est aussi importante. À l’aide
de ces technologies, «les jeunes créent des espaces de soutien,
de sociabilité et de reconnaissance qui sont aussi des espaces d’apprentissage collaboratif,
sans aucun doute informels et soutenus par leur cercle social rapproché,
dans lequel ils ont largement l’occasion de développer des aptitudes
très variées dans le domaine social, culturel, professionnel ou
technique». Voir: «<a href='https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0267323111432411'>Messenger
and social network sites as tools for sociability, leisure and informal
learning for Spanish young people</a>», 2012<a href='https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0267323111432411'>.</a>.
56. L’utilisation d’internet en toute sécurité est primordiale en ce qui concerne la participation aux écosystèmes informationnels et l’engagement des jeunes à cet égard. Les jeunes créent des espaces de soutien, de sociabilité et de reconnaissance qui sont aussi des espaces d’apprentissage collaboratif. Ils développent ainsi des aptitudes dans les domaines social, culturel, professionnel ou technique. Du point de vue de l’action des pouvoirs publics, une question essentielle est de savoir qui écoute les jeunes dans ces processus d’engagement.
57. La crédibilité de l’information dépend aussi de celle des journalistes. A cet égard, les médias de service public jouent un rôle important pour renforcer le journalisme professionnel. Les médias publics continuent en effet d’être perçus comme étant plus dignes de confiance que les chaînes privées, même auprès des jeunes 
			(29) 
			C’est ce qui ressort
d’une étude auprès de jeunes autrichiens. Voir «<a href='https://ijoc.org/index.php/ijoc/article/view/13774'>News
Consumption and Trust in Online and Social Media: An In-depth Qualitative
Study of Young Adults in Austria</a>», 2020<a href='https://ijoc.org/index.php/ijoc/article/view/13774'>.</a>. Il existe également des corrélations entre les niveaux d’éducation, l’exposition aux informations télévisées et aux journaux et la confiance à l’égard des médias. Il est par conséquent impératif que les États membres s’engagent à dûment assurer le financement des médias de service public tout en offrant des garanties à ces derniers en matière d’indépendance éditoriale, et ce afin de restaurer la confiance des jeunes à l’égard des journalistes professionnels.

3.2. Déontologie des médias, jeunesse, informations et engagement démocratique

58. Les adolescents et les jeunes adultes sont exposés à un vaste éventail de discours politiques susceptibles d’avoir une influence sur leur engagement et leur participation à l’égard des questions civiques et politiques, aussi bien en ligne que hors ligne. Avoir la possibilité d’explorer et d’échanger des idées avec autrui est un mécanisme essentiel grâce auquel les jeunes peuvent forger leurs propres opinions et les affiner.
59. L’expression «médias participatifs», inventée par des chercheurs pour définir les usages des médias numériques qui sont davantage interactifs, sociaux et collaboratifs, s’oppose à celle de «médias traditionnels», audiovisuels ou écrits, jugés «élitistes». Ces médias numériques ont un impact sur le développement du sens civique des jeunes 
			(30) 
			Dès 2012,
des études américaines ont montré que 46 % des jeunes s’informent
sur les réseaux sociaux, 44 % parlent de questions sociales ou politiques
en ligne et 67 % sont «actifs politiquement» sur les réseaux sociaux.
Voir: «<a href='www.researchgate.net/publication/255702744_Participatory_Politics_New_Media_and_Youth_Political_Action'>Participatory
Politics: New Media and Youth Political Action</a>» et «<a href='www.pewresearch.org/internet/2013/04/25/civic-engagement-in-the-digital-age/'>Civic
Engagement in the Digital Age</a>»<a href='https://www.pewresearch.org/internet/2013/04/25/civic-engagement-in-the-digital-age/'>.</a>. Ils créent un contexte propice aux politiques participatives dans lequel les citoyens ordinaires ne se contentent pas de suivre des informations élitistes et d’attendre de pouvoir avoir une action politique, mais participent activement à la détermination des questions d’intérêt général et à l’ouverture de voies d’action civique.
60. Cependant, l’engagement démocratique ne dépend pas seulement de l’âge, il dépend aussi du genre, du milieu social et de l’origine ethnique. Une étude concernant les jeunes femmes britanniques de milieux défavorisés a montré qu’elles ne se sentent ni représentées ni écoutées dans le cadre des politiques institutionnelles ou dans la sphère publique; elle se servent d’autres types de technologies pour accéder aux informations et communiquer sur leurs réseaux sociaux et ne s’engagent pas délibérément à l’égard des politiques institutionnelles 
			(31) 
			Voir: “Lost in translation:
Why civic online efforts in Britain have failed to engage young
women from low socioeconomic backgrounds”, 2010, <a href='https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0267323110380998'>https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0267323110380998.</a>. Ces conclusions suggèrent que la démarche que suit actuellement le secteur public en créant des sites web à vocation civique à l’intention des jeunes en général n’est pas efficace à l’égard de ces jeunes femmes.
61. Dans le domaine politique aussi, les conflits et les incivilités dans le discours en ligne sont des aspects préoccupants auxquels les jeunes s’exposent lorsqu’ils participent aux débats en ligne. Plus les jeunes participent à des groupes d’intérêt en ligne, plus ils sont exposés à des conflits, et plus grande est la probabilité qu’ils reçoivent un commentaire agressif, ce qui n’est pas le cas avec les groupes d’amis (où les jeunes sont plus susceptibles d’entretenir une relation personnelle, dans la vie réelle, avec les membres d’un groupe).
62. La civilité ou l’incivilité dans les discours en ligne peuvent ainsi avoir une incidence sur le sens civique et le degré d’engagement politique des jeunes. Si nous voulons que les échanges sur la politique suscitent un engagement de la part des jeunes, nous devons gérer les désaccords et éviter les propos agressifs dans les médias, pour ne pas nuire à la confiance à l’égard de la politique et des institutions.
63. Bien que les jeunes ne soient pas tous désengagés à l’égard de la politique, ils se sentent détachés et exclus, et regardent d’un œil critique les politiques institutionnelles. Je reprends ici la catégorisation de chercheurs qui ont établi quatre facteurs dont dépendent la participation et la contribution des jeunes de leur propre initiative: la technologie, la représentation publique, l’éducation, le genre et le langage médiatiques 
			(32) 
			Ibid.. Les responsables politiques eux-mêmes ont un rôle à jouer pour remédier au sentiment d’indifférence que les jeunes éprouvent à l’égard de la politique; c’est notre responsabilité d’adapter le processus de communication politique à l’aide des innovations dans les domaines de la technologie, de la communication et de l’éducation. En Ukraine, le Ministère de la Transformation numérique a lancé un cours éducatif pour les jeunes intitulé «L'éducation aux médias en temps de pandémie» 
			(33) 
			<a href='https://osvita.diia.gov.ua/en/courses/mediagramotnist-u-casi-pandemii'>https://osvita.diia.gov.ua/en/courses/mediagramotnist-u-casi-pandemii.</a> impliquant divers jeunes faiseurs d'opinion tels que des chanteurs et des blogueurs. Il s'agit d'un exemple d'outil innovant d'éducation aux médias destiné à un public jeune, que les médias de service public pourraient être encouragés à suivre.
64. Compte tenu du «désintérêt» préoccupant que ressentent les jeunes à l’égard de l’information, la possibilité d’un engagement politique démocratique et l’exposition à des informations politiques fiables sur les plateformes traditionnelles et sur les nouvelles plateformes est un défi important, comme le relevait la proposition de résolution à l’origine du présent rapport. La consommation de l’actualité via les agrégateurs d’informations en ligne, les médias sociaux et les blogs, pose notamment la question de savoir qui doit surveiller, et comment, l’écosystème informationnel pour lutter contre la mésinformation et la désinformation. Ce sont les journalistes qui demeurent des gardiens professionnels de l’information dans les systèmes informationnels hybrides, à condition que des initiatives en matière de vérification des faits pour lutter contre la mésinformation et la désinformation soient par ailleurs financées.
65. Face à la formation de «chambres d’écho» 
			(34) 
			Les chambres d’écho,
ou «bulles d’opinions politiques» ont été décrites pour la première
fois en 1998 par un lobbyiste du cigarettier Philip Morris, John
Scruggs. Aujourd’hui cela se réfère à des espaces numériques mettant majoritairement
en contact des personnes qui partagent les mêmes opinions et qui
les amplifient, enfermant ces usagers dans des visions partisanes
ou erronées. et aux risques liés à la progression de la mésinformation et de la désinformation en ligne, des initiatives en matière de vérification des faits ont vu le jour, y compris au niveau européen 
			(35) 
			Par exemple
le projet European Digital Media Observatory-EDMO, qui soutient
les groupes indépendants actifs dans la lutte contre la désinformation: <a href='https://edmo.eu/'>https://edmo.eu/.</a>, pour contrecarrer l’impact d’informations potentiellement préjudiciables et pour limiter la diffusion et l’impact de la désinformation.
66. Par ailleurs, protéger la sécurité des groupes en ligne est un objectif prioritaire. Cette démarche peut être mise en œuvre parallèlement aux dispositions en vigueur de la directive européenne révisée sur les services de médias audiovisuels. Tout comme pour les contenus publicitaires ou pornographiques préjudiciables, les plateformes des géants du numérique devraient agir rapidement (y compris à l’aide d’algorithmes) pour supprimer les commentaires potentiellement préjudiciables au débat politique.

3.3. La jeunesse, le travail aspirationnel et les nouvelles asymétries du pouvoir dans l’économie numérique

67. Les progrès du nouvel écosystème médiatique numérique ont profondément modifié la création de contenu et les habitudes et tendances générales en matière de consommation des médias. La principale tendance est à l’augmentation du taux de consommation des médias audiovisuels sur les plateformes de partage de vidéos, les réseaux sociaux et les systèmes de messagerie instantanée. Le temps passé en ligne inclut aussi la participation à des transactions économiques rémunérées ou non, caractérisées par de la consommation et de la production de contenu. Cela inclut l’expression créative sur les réseaux sociaux, les jeux interactifs, la collaboration, les blogs vidéo ou écrits, la photographie, la musique, le podcasting, etc.
68. Les jeunes contribuent à modifier le paysage économique en accomplissant un travail gratuitement dans l’espoir d’en être un jour récompensés. Ce phénomène de «travail aspirationnel», appelé aussi «hope labor» («travail de l’espoir», ou «travail basé sur l’espoir»), pousse les jeunes à travailler gratuitement, à prendre des risques, sans être rémunérés ou en l’étant faiblement, et sans garantie de gains futurs. Le travail aspirationnel, en tant que main-d’œuvre des médias numériques, est d’autant plus problématique que les influenceurs promeuvent l’idée que les possibilités sont illimitées dans l’environnement en ligne et qu’il faut s’armer de patience en attendant de gagner de l’argent avec le contenu produit.
69. L’écosystème numérique donne aux jeunes davantage de moyens car il leur apporte des outils et des espaces pour agir en tant que consommateurs et producteurs actifs et créatifs de culture. Mais les plateformes monétisent les données, l’attention, la culture, le travail et la créativité des jeunes pour générer des profits qu’elles ne partagent pas équitablement. De nouvelles catégories de consommation et de production voient le jour, mais leur rôle et leurs interactions demeurent encore flous, notamment entre «prosommateurs» et «playbors» 
			(36) 
			Prosommateurs: mot
valise issu du terme anglais prosumer pour
décrire les jeunes comme étant à la fois des  consommateurs et des
producteurs sur le marché des produits médiatiques. Playbors: également mot valise anglais,
fait référence à la frontière floue entre plaisir ludique ou loisir
(play, en anglais) et travail
productif (labor, en anglais).. L’écosystème des plateformes commerciales et non commerciales qui offrent aux jeunes des occasions d’apprendre, de socialiser et de jouer présente aussi des risques pour eux, notamment l’ingérence dans la vie privée, l’exploitation du travail gratuit et la surveillance.
70. Par conséquent, l’avènement de nouveaux métiers numériques tels que les «travailleurs de l’information» devrait susciter des débats sur le rôle joué par les jeunes dans l’écosystème en réseau de l’économie numérique. La transformation numérique peut amener à créer des inégalités structurelles et à reproduire celles qui existent déjà, par exemple des rapports de force déséquilibrés entre plateformes et utilisateurs, une «fracture numérique» due à un accès inégal aux technologies, un développement inégal des compétences nécessaires pour s’épanouir en ligne, et le fait que les avantages de l’usage des technologies diffèrent selon le statut socio-économique. Les jeunes produisent des données personnelles et transactionnelles en tant qu’utilisateurs, que des entreprises traitent ensuite comme des marchandises – elles les vendent, les monétisent et/ou les transforment en capital financier – sans pour autant offrir une compensation équitable aux jeunes en contrepartie de leur produit.
71. Les États membres du Conseil de l’Europe pourraient et devraient élaborer des stratégies pour encourager et permettre la participation créative, saine et sûre des jeunes à la vie sociale active, notamment par le biais des médias et avec leur aide, et lutter contre les risques d’exploitation de ces jeunes «travailleurs aspirationnels». Il faudrait développer des cadres réglementaires permettant de rectifier ces «nouvelles asymétries du pouvoir», soit les rapports de force déséquilibrés entre les jeunes et les plateformes commerciales à but lucratif dont ils sont adeptes.
72. Ces stratégies pourraient passer par des programmes et des cadres éducatifs pour mieux sensibiliser et mieux informer les jeunes au sujet de l’économie numérique, dans laquelle ils produisent des données en tant qu’utilisateurs qui sont ensuite commercialisées et exploitées par les plateformes ayant des modèles économiques à but lucratif.
73. A l’heure actuelle, les États membres ne suivent pas de démarche uniforme au sujet des pratiques commerciales concernant les données, la confidentialité des données, la surveillance et la publicité ciblée. Il en va de même pour les conditions d’utilisation qui s’apparentent à de la concurrence déloyale. Or, il convient précisément de développer une démarche uniforme en ce qui concerne la vision économique de l’environnement numérique chez les jeunes, en tenant compte de l’âge, des origines ethniques, du genre, de l’éducation et du temps passé en ligne. L’objectif général est de mieux comprendre le «travail aspirationnel» et, s’il exploite véritablement les jeunes, de remédier à cette nouvelle forme d’exploitation.
74. En raison de l’absence de paramètres clairs permettant d’évaluer et de mesurer les diverses formes de création de valeur, le travail créatif et affectif des jeunes sur les plateformes numériques est invisible. Il convient donc de pallier ce manque de paramètres de mesure. Une démarche analytique pourrait être mise en œuvre parallèlement à des initiatives entrepreneuriales et réglementaires visant à soutenir les jeunes qui participent à l’économie numérique ainsi qu’à la consommation et à la production de contenus.

4. Conclusions

75. Mon rapport passe en revue les principaux défis auxquels est confrontée la jeunesse en Europe face aux médias, tout en gardant à l’esprit que l’environnement numérique représente une source d’information et un potentiel d’échange de connaissances inégalés jusqu’ici dans l’histoire de l’humanité. Cette chance ne va pas sans risques pour les jeunes, ni sans responsabilité pour les autorités publiques et les acteurs économiques du secteur.
76. De nombreux acteurs ont un rôle à jouer, à commencer par les médias eux-mêmes: leur indépendance, leur professionnalisme de même que leur adaptation aux changements technologiques sont des conditions préliminaires à une information de qualité et à l’engagement citoyen des jeunes.
77. L’équilibre entre liberté et réglementation est aussi une donnée fondamentale: l’Assemblée doit appeler à ce que les opérateurs veillent à la protection des données et de la vie privée des jeunes, comme l’a fait récemment l’Union européenne dans son paquet législatif relatif aux services numériques adopté en 2022. La réglementation concerne aussi les contenus illicites, notamment s’ils sont à caractère pornographique, qui sont un véritable fléau pour les jeunes.
78. Enfin, nous devons nous assurer que le potentiel créatif des jeunes dans l’environnement numérique ne soit ni entravé ni source d’exploitation économique.
79. Les recommandations qui figurent dans le projet de résolution visent à respecter cet équilibre entre autonomie et responsabilité. Il est du devoir des États, des régulateurs, du monde de l’enseignement, de la société civile et des plateformes privées de faire en sorte que les jeunes d’aujourd’hui soient les adultes informés et responsables de demain.