1. Introduction,
but et portée du rapport
1. Nos valeurs communes – les
droits humains, la démocratie et l’État de droit – ne sont pas à
vendre. Pourtant, elles sont de plus en plus pertinentes dans le
commerce mondial. Comme le note la proposition de résolution (
Doc. 15144) déposée par la Commission des questions sociales, de
la santé et du développement durable, on voit apparaître une «vague»
d’accords commerciaux de nouvelle génération qui tendent de plus en
plus «à régir et à définir les normes de comportement à l’intérieur
des États et entre ceux-ci» tandis que, dans le même temps, le système
commercial multilatéral incarné par l’Organisation mondiale du commerce (OMC)
est fragilisé.
2. Nous assistons à une augmentation soutenue des accords de
commerce et d’investissement (ACI) tant en termes de volume que
d’importance géopolitique
. L’année 2021 a atteint le record historique
du nombre de notifications à l’OMC de nouveaux accords en vigueur.
Cela s’inscrit dans le cadre d’une augmentation cumulative constante,
année après année, des accords en vigueur depuis 2006
. Nous assistons également depuis
1992 à une croissance soutenue du nombre d’accords commerciaux multilatéraux/régionaux
. Conséquence
de la conjugaison de ces évolutions, un volume plus important que
jamais du commerce mondial est soumis aux dispositions d’ACI.
3. L’Assemblée parlementaire a pour la première fois soulevé
cette question sur le plan des droits sociaux, de la santé publique
et du développement durable
,
ainsi qu’en ce qui concerne l’arbitrage entre États et investisseurs
. Elle se déclarait préoccupée par
le fait que de tels accords de protection du commerce et de l’investissement
puissent introduire «de nouveaux pouvoirs pour les sociétés transnationales
de recourir à des tribunaux d’arbitrage pour poursuivre les États
membres pour les lois qu’ils adoptent qui pourraient entraver de
futurs profits [...]»
. En outre, l’Assemblée
constatait que le processus de négociation de ces accords manquait
de transparence et n’avait pas fait l’objet d’un examen suffisant
des parlementaires ou du public, et craignait une répartition inégale
des bénéfices économiques potentiels de ces accords. Selon l’Assemblée, «les
accords commerciaux de nouvelle génération devraient être destinés
à la promotion d’un environnement durable, des droits humains et
de l’État de droit démocratique, ainsi qu’à faciliter les avantages
mutuels du commerce»
.
4. En tant que rapporteur, j’estime que le moment est venu pour
l’Assemblée d’évaluer si les préoccupations précédemment exprimées
au sujet de la protection de nos valeurs communes ont été dûment prises
en compte par les États membres. Le présent rapport vise donc à
faire le point sur les évolutions récentes dans le domaine des ACI,
en particulier en termes de contrôle démocratique sur «la définition
du mandat des négociations, les négociations proprement dites et
la conclusion [de tels] accords»
. Le rapport examine également comment
les valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe sont promues par
ces accords et comment les droits essentiels sont défendus du point
de vue du développement durable, de la santé publique et des normes
environnementales et alimentaires. Il cherche à établir si de tels
accords soutiennent réellement la mise en œuvre de l’Accord de Paris
sur le changement climatique et de l’Agenda 2030 des Nations Unies
pour le développement durable. La communauté internationale peut
poursuivre des agendas d’intérêt commun par le biais du commerce,
à travers les démocraties et les autocraties, en particulier pour atténuer
collectivement le changement climatique.
5. Enfin, ce rapport examine comment interpréter et adapter les
accords commerciaux de «l’ancienne génération» à la lumière des
nouveaux impératifs de promotion du développement durable et de
nos valeurs communes. En particulier, puisque le commerce représente
25 % des émissions de gaz à effet de serre
et a une influence sur le pouvoir
économique relatif des démocraties et des autocraties, les règles
de conduite du secteur ont un impact à long terme sur notre environnement
et nos valeurs communes. Comme le commerce peut être influencé par
la guerre, les mesures unilatérales, les sanctions économiques et
d’autres phénomènes géopolitiques, il s’agit bien d’une activité
économique sensible aux valeurs. Les règles commerciales devraient
donc être considérées en fonction de leur impact sur nos valeurs
et notre environnement commun – au-delà de l’intérêt de certaines
industries ou économies. En effet, comme l’a souligné un participant
au Forum public 2022 de l’OMC
,
«le commerce devrait être régi par des règles, non par le pouvoir»,
et aucun pays ne peut résoudre un gros problème à lui seul.
6. Compte tenu des observations ci-dessus, le rapport met l’accent
sur trois domaines: (1) la démocratisation des ACI par l’examen
de bonnes pratiques nationales et internationales, afin de formuler
des recommandations pour réduire les tensions entre les ACI et la
gouvernance démocratique; (2) la promotion des valeurs fondamentales
du Conseil de l’Europe par le biais des ACI – examen de propositions
concrètes pour la sauvegarde de la démocratie, des droits humains
et de l’État de droit par le biais des ACI, sur la base de bonnes
pratiques en vigueur et de propositions issues de travaux universitaires
et de la littérature consacrée à l’élaboration de politiques ; (3)
le renforcement de la cohérence des politiques publiques et des
actions de soutien au développement durable à la lumière des traités
internationaux sur le climat et des objectifs de développement durable.
2. Deux «générations» d’accords de commerce
et d’investissement
7. Depuis la Seconde Guerre mondiale,
deux «générations» d’accords de commerce et d’investissement se
sont succédées
.
La première génération d’ACI est apparue après l’effondrement des
empires coloniaux européens avec le besoin des États nouvellement
indépendants d’attirer des capitaux étrangers («investissements
étrangers directs»). Mais, parce que les investisseurs hésitaient
à commercer avec de tels partenaires en raison de leur instabilité
politique et du manque d’indépendance des tribunaux locaux, les
États nouvellement indépendants ont signé des accords de libre-échange
avec leurs anciens colonisateurs. Ces accords conféraient divers
privilèges commerciaux (centrés généralement sur l’accès au marché
et les tarifs douaniers pour les marchandises), tout en garantissant
les droits de propriété des investisseurs et en instituant un mécanisme
de règlement des différends entre investisseurs et États. Ce mécanisme
permet aux investisseurs de régler leurs différends avec les États
d’accueil devant un tribunal international indépendant; toutefois,
la transparence, la cohérence des décisions et le coût élevé de
ce type d’arbitrage suscitent des inquiétudes croissantes. Bien
que les avis soient partagés quant à l’opportunité de ces accords
de première génération qui, pour certains experts, n’étaient que
la continuation d’une forme de colonialisme par d’autres moyens,
ils semblent avoir d’une certaine façon encouragé les investissements
étrangers directs
.
8. La deuxième génération d’ACI a vu le jour au début des années 1990.
Les accords de deuxième génération se distinguent des accords de
première génération de trois manières principales:
- Les accords de deuxième génération
ont un champ d’application beaucoup plus large: outre les droits de
douane et les investissements, ils couvrent souvent la propriété
intellectuelle, les dispositions sanitaires et phytosanitaires,
les barrières techniques au commerce, les subventions, le commerce
des services, les visas, la reconnaissance des qualifications professionnelles,
la réglementation nationale, les télécommunications et le commerce
électronique, la concurrence et les marchés publics .
- Dans les accords de deuxième génération, les dispositions
relatives à la protection des investissements font souvent l’objet
d’une lecture beaucoup plus large. Elles vont au-delà de la simple
protection de la propriété privée et confèrent aux investisseurs
des droits plus étendus que ceux dont jouissent les citoyens. Cela
peut permettre aux investisseurs d’opposer leur veto à une politique
publique (même lorsqu’elle bénéficie d’un soutien populaire), par
exemple en forçant un État à retirer les réglementations relatives
à la sécurité des combustibles , ou en exigeant d’un État qu’il
verse des sommes substantielles parce qu’un changement de politique
(comme dans le cas de l’abandon progressif de l’énergie nucléaire
motivé par l’accident de Fukushima) risque de se répercuter sur
les bénéfices futurs escomptés ou de
revenir sur les mesures de protection de l’environnement et des
paysages exceptionnels .
- De nombreux accords commerciaux mettent en place des comités
de fonctionnaires chargés d’en superviser le fonctionnement. Ces
comités disposent souvent de pouvoirs importants pour modifier certaines
parties de l’accord concerné, mais, en dépit des pouvoirs qu’ils
exercent et qui peuvent influer sur la législation, ils ne sont
absolument pas tenus de rendre des comptes.
9. Bien que certains traités internationaux aient à première
vue peu à voir avec des ACI, ils peuvent avoir une influence majeure
sur les politiques publiques par le biais des mécanismes de règlement
des différends entre investisseurs et États. L’un de ces traités
est le Traité sur la Charte de l’énergie (TCE) élaboré au milieu des
années 1990 dans le noble but de soutenir la coopération multilatérale
sur les questions énergétiques; il a ensuite été instrumentalisé
par certaines entreprises de combustibles fossiles pour poursuivre
les États et réclamer des compensations exorbitantes en réaction
aux revirements politiques respectueux du climat. Selon l’Institut
international pour le développement durable, «17 % de tous les litiges
entre investisseurs et États entamés par des acteurs privés du secteur
des combustibles fossiles s’appuient sur le TCE – soit plus que
sur tout autre accord international d’investissement». Bien que
les récentes négociations visant à moderniser le traité promettaient
des améliorations substantielles, les modifications annoncées en
juin 2022 continuent d’offrir, dans une vingtaine de parties contractantes
(y compris l’Union européenne et le Royaume-Uni), une large protection
aux investissements existants dans les combustibles fossiles par
le biais de ce que l’on appelle les «dispositions de caducité» (
sunset clauses), qui visent principalement
à éliminer tout litige intra-européen, de sorte qu’une grande incertitude
juridique demeure tant pour les gouvernements que pour les investisseurs
.
10. Lors de l’audition tenue le 2 décembre 2022, les membres de
notre commission ont eu la possibilité d’examiner les enjeux entourant
le TCE avec Guy Lentz, secrétaire général du TCE, Marie-Pierre Vedrenne, députée
européenne (Renew Europe, France), et Catherine Banet, responsable
du département de droit de l’énergie et des ressources, Institut
scandinave de droit maritime, Université d’Oslo (Norvège). Les discussions ont
montré combien la situation est complexe et combien il est difficile
de réformer le traité existant. Pour résumer, la réforme du TCE
est particulièrement épineuse pour deux raisons principales: premièrement,
le traité contient une clause de caducité d’une durée de 20 ans,
et deuxièmement, il s’agit d’un traité multilatéral doté d’une procédure
d’amendement rigide, ce qui renforce la situation de
statu quo . Un départ coordonné du traité
des pays de l’Union européenne semble exclu en raison de l’opposition
de certains pays.
11. Dans ce contexte, il convient de rappeler que sur la base
d’une demande formulée par la Belgique en 2017, l’Union européenne
cherche à établir un tribunal multilatéral des investissements et
a déjà remplacé le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs
et États par des systèmes juridictionnels des investissements bilatéraux
dans ses accords internationaux d’investissement récemment négociés
par exemple avec le Canada, le Mexique, Singapour et le Vietnam.
Ces accords prévoient également un passage progressif et en temps
voulu des systèmes juridictionnels des investissements bilatéraux
à un tribunal multilatéral des investissements permanent
. Le Parlement européen a, quant
à lui, demandé à l’Union européenne et à ses États membres de ne
pas signer ou ratifier de traités de protection des investissements incluant
le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et
États. En outre, la jurisprudence récente de l’Union européenne
(notamment l’affaire Komstroy) a établi que les dispositions relatives
au mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et
États prévues par le TCE ne s’appliquaient pas aux litiges intra-européens.
Toutefois, les tribunaux d’arbitrage privés ne sont pas tenus d’accepter
cet argument à titre d’objection procédurale.
3. Les
multiples couches du système commercial mondial
12. Les échanges mondiaux de biens,
de services et de capitaux à travers les frontières sont généralement encadrés
par des accords commerciaux à plusieurs niveaux: bilatéral (entre
deux États), régional (entre plusieurs partenaires commerciaux,
comme l’ALENA ou Accord de libre-échange nord-américain couvrant
le Canada, les États-Unis et le Mexique ; l’APEC ou Accord de coopération
économique pour l’Asie-Pacifique avec 21 pays ; et les accords-cadres
de l’Union européenne avec des partenaires commerciaux) ou multilatéral (régi
par l’OMC depuis 1995 et le GATT
entre 1948 et 1994).
13. Il est important de comprendre cette architecture d’accords
à plusieurs couches afin d’appuyer nos efforts politiques en faveur
de la promotion des valeurs que nous défendons à l’échelle la plus
large possible. En effet, l’application des valeurs, des normes
et des politiques peut se faire dans le cadre de contextes commerciaux
multilatéraux, régionaux et bilatéraux, ainsi que par le biais de
mesures unilatérales. Ces accords de facilitation des échanges peuvent
être utilisés de concert et de manière dynamique pour encourager
l’amélioration et la conformité. Ainsi, la disposition relative
à la «moralité publique» de l’accord du GATT fournit une certaine
base pour l’évolution des interprétations concernant les valeurs
des droits humains, de l’État de droit et de la démocratie dans
un contexte multilatéral. En outre, la «nouvelle génération» d’accords commerciaux
de l’Union européenne comporte systématiquement des chapitres sur
le développement durable.
14. Le système multilatéral fondé sur des règles soutenu par l’OMC
est le mécanisme le plus inclusif et le plus équilibré à l’échelle
mondiale. Il donne un poids considérable aux petits pays, en particulier
pour défendre leurs intérêts contre les grands acteurs. Ils peuvent
ainsi recourir au mécanisme de règlement des différends de l’OMC
et déclencher l’application de mesures correctives. Toutefois, ce
mécanisme de règlement des différends est bloqué depuis le 11 décembre
2019 parce que son organe d’appel n’est plus en mesure de rendre
des décisions contraignantes sur les différends commerciaux interétatiques.
Dans l’attente d’une solution, l’Union européenne et d’autres membres
de l’OMC ont mis en place une procédure arbitrale d’appel provisoire
multipartite et travaillent ensemble à la réforme du mécanisme de
règlement des différends de l’OMC afin d’en assurer l’efficacité.
15. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF)
de l’Union européenne est un
exemple phare de mesure unilatérale qui permet de faire appliquer
les normes environnementales nationales à la frontière en obligeant
les importateurs de produits à forte intensité de carbone à acheter
des certificats MACF
. Il contribue à accélérer la transition
vers une production nationale plus propre tout en rendant moins attrayantes
les importations de produits «sales» et la délocalisation de la
production vers des pays où les normes environnementales sont faibles.
Tout en étant pleinement compatible avec les règles du commerce international,
le MACF encourage les partenaires commerciaux de l’Union européenne
à renforcer leurs ambitions respectueuses du climat et pourrait
servir de base à la modernisation des accords commerciaux de «l’ancienne
génération». Le MACF suggère également que des ajustements aux frontières
pourraient être possibles pour soutenir non seulement les valeurs
environnementales, mais aussi les valeurs sociales et les droits
liés au travail. En outre, l’exemplarité de l’Union européenne en
matière d’exigences de devoir de vigilance favorise le développement
de chaînes d’approvisionnement conformes aux droits humains et assurant
la durabilité environnementale
.
16. De plus, comme cela a été souligné lors du Forum public 2022
de l’OMC, un sous-ensemble de pays membres de l’OMC examine actuellement
la possibilité de mettre en place un mécanisme de facilitation de l’investissement
qui permettrait de surmonter les problèmes liés aux dispositions
de protection des investissements et à leur application souvent
brutale par le biais du système de règlement des différends entre investisseurs
et États. Il s’agit de ce que l’on appelle une initiative de déclaration
conjointe, qui vise à alléger les formalités réglementaires et à
rationaliser les procédures administratives relatives aux investissements, ainsi
qu’à mettre en place un cadre national plus cohérent et plus transparent
pour attirer les investissements directs étrangers. Les pourparlers
concernant l’initiative de déclaration conjointe excluent expressément
les questions de règlement des différends, d’accès aux marchés et
de protection des investissements. Une fois conclue, l’initiative
de déclaration conjointe pourrait potentiellement réduire les tensions
découlant des clauses de règlement des différends entre investisseurs
et États dans les accords internationaux d’investissement en encourageant
la prévention des différends, notamment ceux entourant les politiques
étatiques en faveur d’investissements plus durables, et une plus
grande coopération entre les pays développés et en développement
en vue du renforcement des capacités de ces derniers.
4. Impacts
sur la démocratie: défis et opportunités
17. La majorité des ACI ne sont
pas soumis à un examen aussi rigoureux que la législation nationale
et pourtant, leurs impacts éventuels sont comparables. Ils peuvent
donner aux personnes et aux entreprises privées la possibilité de
peser sur la politique publique en faisant valoir des droits spéciaux
– qui sont refusés aux citoyens (comme mentionné ci-dessus). Cette
simple possibilité peut décourager les gouvernements de mener des
politiques populaires, même lorsque les investisseurs choisissent
de ne pas faire valoir leurs droits par la voie du mécanisme de
règlement des différends entre investisseurs et États (ainsi, plusieurs
États ont retardé ou abandonné l’interdiction de la publicité pour
le tabac après l’affaire
Phillip Morris
c. Uruguay)
.
18. Les ACI peuvent également contraindre les législateurs à modifier
la loi. Lorsque l’exécutif convient d’un traité incompatible avec
le droit interne, les législateurs (en pratique) n’ont guère d’autre
choix que de modifier la législation nationale en conséquence
.
En outre, les comités de fonctionnaires institués par les différents ACI
sont en capacité d’orienter les différents domaines de politique
publique pour s’assurer de leur conformité avec l’accord de référence.
19. Les ACI ne sont toutefois pas soumis à un niveau d’examen
proportionnel à leur impact. Les affaires étrangères sont généralement
la chasse gardée de la branche exécutive du gouvernement. Cela signifie
que les ministres et les fonctionnaires disposent d’une grande latitude
dans la négociation et la conclusion de ces traités. Ils peuvent
en effet engager leurs États à se soumettre à des limitations substantielles
pour les décennies à venir, sachant que de nombreux ACI contiennent
des dispositions qui lient les parties jusqu’à 20 ans (tel est le
cas du TCE), bien au-delà d’un cycle électoral ordinaire et même
après qu’un État a quitté le traité. Certains États et entités,
comme l’Union européenne, exigent l’autorisation du corps législatif
avant qu’un traité puisse être ratifié, mais ce n’est pas toujours
le cas (au Royaume-Uni, par exemple, un ACI peut être ratifié sans
vote du parlement).
20. Un certain nombre d’États et d’organisations autorisent l’examen
des ACI proposés immédiatement avant leur ratification. Certes,
«un examen succinct vaut mieux que rien», mais l’examen avant ratification
est d’une utilité limitée car les équipes de négociation du traité
en ont déjà substantiellement ficelé les modalités. Dès lors, en
pratique, l’accord est souvent un fait accompli. Le contrôle n’a
de sens que lorsqu’il y a une réelle perspective qu’il conduise
à des changements dans un accord. Il existe donc trois étapes clés
au cours desquelles un contrôle est nécessaire: (a) la définition
de la portée/du mandat – dans le cadre de laquelle les parties déterminent
les domaines politiques à inclure (potentiellement) dans l’accord
et leurs objectifs; (b) les négociations – l’examen devrait déterminer
la position des parties par rapport aux objectifs initiaux et si
de nouvelles propositions (c’est-à-dire non prises en compte lors
de la définition du mandat) sont incluses ; (c) la pré-ratification.
L’Union européenne est un chef de file mondial en matière de dispositions
relatives au contrôle à chacune de ces étapes clés, mais de nombreux
États restent à la traîne.
21. Si, du point de vue de la démocratie et des droits, les ACI
présentent un certain nombre d’aspects problématiques, ils offrent
également des possibilités significatives. De plus en plus, ces
accords transcendent les normes nationales et internationales et
(pour au moins certaines de leurs dispositions) contiennent des mécanismes
d’application solides et efficaces. Les ACI ont donc le potentiel
requis pour devenir un outil efficace de renforcement des normes
démocratiques et des droits humains, dont les droits sociaux.
5. Sauvegarder
les valeurs et les droits fondamentaux par le biais du commerce
22. Comme indiqué brièvement ci-dessus,
la promotion et la protection des valeurs et des normes fondamentales
dans le commerce international peuvent se réaliser de manière universelle,
tout d’abord au niveau multilatéral par le biais de l’OMC, mais
aussi au niveau régional par la prise de mesures bilatérales ou unilatérales
par de grands pays (comme les États-Unis, la Chine), ou d’alliances
entre pays (comme l’Union européenne), notamment par l’inclusion
de chapitres ou de dispositions spécifiques dans les ACI.
23. Au niveau multilatéral, l’Accord de l’OMC sur les sauvegardes
définit certaines règles fondamentales et
permet le recours à des mesures de sauvegarde par les États membres
de l’OMC. Une «sauvegarde» est, dans ce contexte, une mesure d’urgence
prise par un pays pour protéger son marché national par une restriction
temporaire des importations d’un produit (par exemple au moyen de
quotas ou d’une augmentation des droits de douane) dès lors que
ces importations ont causé ou pourraient causer un dommage grave
à l’industrie du pays importateur. Normalement, une sauvegarde ne
devrait pas durer plus de quatre ans, mais dans la pratique, elle
peut être prolongée jusqu’à huit ans si elle est jugée nécessaire.
Les pays en développement peuvent maintenir des sauvegardes en place
pendant une durée pouvant aller jusqu’à dix ans. Cependant, les
mesures de sauvegarde d’une durée supérieure à trois ans doivent
donner lieu à une compensation sous la forme de concessions commerciales
substantiellement équivalentes.
24. Une interprétation souple des sauvegardes pourrait aussi être
utilisée pour protéger une activité économique nationale vertueuse
contre les importations de biens produits sans respect suffisant
des normes minimales. Sur le plan social, les traités internationaux
du travail (notamment les conventions de l’Organisation internationale
du travail (OIT)) fixent des critères essentiels pour garantir la
valeur sociale et économique et augmenter la productivité, la résilience
et l’adaptabilité des entreprises, tout en protégeant les droits fondamentaux
des travailleurs et en garantissant un socle de protection sociale.
De plus, l’article XX du GATT admet des exceptions générales et
l’adoption de mesures de restriction du commerce «nécessaires à
la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux
ou à la préservation des végétaux». Cette disposition permet l’adoption
de mesures législatives visant à garantir un commerce équitable
sur le plan social et environnemental.
25. Cependant, les différences de normes et un «nivellement par
le bas» pour des raisons de compétitivité font qu’il est souvent
difficile de faire respecter les normes théoriques par-delà les
frontières. C’est là, précisément, que les mesures unilatérales
et les sauvegardes commerciales peuvent entrer en jeu pour contraindre
les pays laxistes à améliorer l’application des normes sociales
minimales sous la pression de partenaires commerciaux plus vertueux.
Je tiens à insister sur la nécessité de chercher à éliminer le travail nocif
des enfants et le travail forcé, d’assurer le respect des normes
minimales en matière de santé et de sécurité au travail et de s’employer
à élever les niveaux de subsistance au-dessus des taux de pauvreté nationaux.
Dans ce contexte, le rôle moteur de l’Union européenne en matière
de devoir de vigilance pourrait ouvrir la voie à la mise en place,
dans le monde entier, de chaînes d’approvisionnement plus propres
sur le plan social et environnemental et plus respectueuses des
droits humains.
26. Favoriser les échanges commerciaux avec des «pays amis» («friend-shoring») peut également
être un moyen, pour les démocraties avancées, de promouvoir et de
consolider des valeurs par le biais d’accords commerciaux. Par exemple,
l’accord commercial conclu entre l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande intègre
des normes élevées de conformité environnementale et sociale, dont
la protection des droits des populations autochtones. Les anciens
accords commerciaux peuvent être remis aux normes lorsqu’il existe
un consentement mutuel des parties: c’est dans ce domaine que l’on
pourra principalement agir dans l’avenir. Ainsi, le Royaume-Uni
pourrait être encouragé à mettre à jour son accord commercial avec
la Nouvelle-Zélande sur la base de l’approche plus progressiste
de l’Union européenne.
27. Dans le même temps, je dois mettre en garde contre tout abaissement
des normes environnementales, sanitaires et sociales lors de la
négociation de nouveaux accords commerciaux, en particulier lorsqu’il
y a peu, voire pas, de contrôle démocratique, d’obligation de rendre
des comptes et de transparence. Le contrôle démocratique et l’obligation
de rendre des comptes aux étapes clés des négociations commerciales
semblent mieux enracinés dans les pays de l’Union européenne et
aux États-Unis que dans beaucoup d’autres pays, y compris le mien,
le Royaume-Uni. En particulier, il ne faudrait pas laisser les «ports
francs» qui se développent au Royaume-Uni saper l’égalité des conditions
de concurrence dans les domaines économique, social, environnemental
et de la santé publique.
6. Renforcer
la cohérence des politiques publiques en faveur du développement
durable: vers une élaboration de politiques commerciales écologiquement
rationnelles et socialement équitables
28. Comme le montrent les études
de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE),
le commerce et l’environnement sont étroitement liés: en effet,
la croissance économique peut exercer une pression insoutenable
sur les ressources naturelles, générer de la pollution et augmenter
les émissions de gaz à effet de serre. Dans le même temps, l’expansion
du commerce peut favoriser le développement économique et le bien-être
social, renforçant ainsi la capacité des pays à gérer plus efficacement
l’environnement par l’accès à de nouvelles technologies qui réduisent
la consommation d’énergie, d’eau et d’autres ressources et diminuent
le rejet de substances nocives dans l’environnement. De plus, les
politiques et les accords commerciaux peuvent inciter à appliquer
des normes environnementales plus strictes au sein de chaînes d’approvisionnement
mondiales de plus en plus intégrées et interdépendantes. Toutefois,
tant que dureront la dégradation de l’environnement et le changement
climatique, le commerce sera perturbé par les effets des phénomènes
climatiques extrêmes sur le transport maritime et sur l’agriculture, l’épuisement
des ressources et les hausses de prix dans le secteur manufacturier,
la baisse de la productivité des terres et la propagation d’espèces
envahissantes et de zoonoses, pour ne citer que quelques conséquences.
29. Cela étant posé, comment adapter les échanges commerciaux
et les politiques qui y sont liées? L’OCDE fait valoir, dans ses
études, que des politiques environnementales fortes sont à la fois
compatibles avec le commerce et bénéfiques à son expansion si l’on
se tourne davantage vers des biens et services environnementaux
et si l’on renforce la coopération à l’échelle mondiale. L’OCDE
considère également que le commerce peut être un vecteur majeur
de durabilité environnementale grâce aux effets conjugués des mesures
réglementaires, de la sensibilisation des populations et de la demande
de consommateurs qui soutiennent les chaînes d’approvisionnement
propres, le traitement des déchets et le recyclage pour récupérer les
matières premières et les ressources énergétiques. Dans le même
temps, une réglementation insuffisante dans les «paradis pour pollueurs»
peut entraîner une concentration des activités nuisibles à l’environnement dans
les zones à risque, loin du regard du public. Si l’on souhaite maximiser
les bénéfices environnementaux tirés du commerce et minimiser les
risques, il faut, selon l’OCDE, inclure des dispositions environnementales dans
les traités commerciaux, réduire les subventions dommageables à
l’environnement ainsi que les droits de douane sur les biens et
services «verts», améliorer la cohérence des politiques et mener
une coopération ciblée.
30. Fin 2020, l’OMC a lancé un «dialogue structuré» sur la durabilité
environnementale et le commerce pour les pays membres intéressés
et d’autres parties prenantes. La Déclaration ministérielle formulée
par l’OMC en 2021 prévoit de mener des discussions sur le commerce
et le changement climatique, la facilitation des échanges commerciaux
de biens et services environnementaux, l’économie circulaire et
les chaînes d’approvisionnement durables. Ces discussions structurées,
auxquelles participent 46 États membres, pourraient aussi ouvrir
la voie à un accord mondial sur les biens environnementaux (les
progrès dans ce domaine sont au point mort depuis 2016)
. Les accords
existants de l’OMC accordent déjà une marge d’action aux États pour
ce qui est de prendre des mesures de protection de l’environnement.
Toutefois, l’OMC estime que ces mesures ne devraient pas être appliquées
de manière arbitraire ni être «plus restrictives que ce qui est
nécessaire pour atteindre l’objectif visé»
.
31. Les États membres du Conseil de l’Europe doivent encore faire
face à des risques de litiges devant des tribunaux ad hoc en tant que parties à des
accords internationaux en matière de commerce et d’investissement d’«ancienne
génération» lorsqu’ils accélèrent leur transition énergétique vers
des énergies propres et respectent leurs engagements au titre de
l’Accord de Paris, de la loi européenne sur le climat et du Pacte
vert pour l’Europe. Même le fait de se dégager du mécanisme de règlement
des différends entre investisseurs et États ne supprime pas tout
risque de litige devant des juridictions nationales. Cela étant,
il est possible d’invoquer un conflit normatif entre le traité visé
par l’arbitrage et l’Accord de Paris – en accordant la priorité
à l’Accord de Paris, considérant que ce dernier, en tant que lex posterior, devrait prévaloir.
De plus, le devoir de vigilance environnementale, de plus en plus
respecté dans les États membres de l’Union européenne, pourrait renforcer
l’engagement des grandes entreprises du secteur privé à faire des
affaires dans une démarche prospective et respectueuse de l’environnement.
32. De la même façon, il serait judicieux de promouvoir les normes
sociales européennes par le biais du commerce international, qui
est l’un des instruments les plus puissants dont disposent les pays
européens, en particulier dans leurs relations avec les pays en
développement. Alors que l’Accord de Paris donne le ton de l’action
nationale et internationale contre le changement climatique, les
Objectifs de développement durable des Nations Unies, adoptés par
la communauté internationale la même année, fixent les objectifs
plus généraux à atteindre en matière de développement durable, y
compris une très forte dimension sociale.
33. L’Union européenne, en tant que principal bloc commercial
de pays, jouit de pouvoirs particuliers. Dès 1995, elle a introduit
des conditionnalités sociales qui prévoient des sanctions commerciales
lorsque des biens sont fabriqués en recourant au travail forcé et
au travail de détenus. Par la suite, elle a favorisé le recours
à un système d’incitations sociales par le biais des préférences
commerciales et en accordant une plus large place aux normes du
travail de l’OIT en tant que partie intégrante de la protection
des droits humains à l’échelle mondiale. Cependant, dans les faits,
les droits humains de première et de deuxième génération ne sont
pas toujours défendus avec la même vigueur, les normes sociales
étant protégées de manière plus accommodante que les politiques
commerciales.
34. L’étude comparative indépendante menée en 2022 sur les accords
de libre-échange a révélé que les dispositions relatives au développement
durable, qui portent sur l’environnement, le travail, la responsabilité sociale
des entreprises, le genre et les droits des peuples autochtones,
étaient de plus en plus utilisées. C’est particulièrement le cas
des accords commerciaux de l’Union européenne, et les autres États
membres du Conseil de l’Europe pourraient suivre cet exemple. La
Suisse mérite une mention spéciale à cet égard en raison du rôle
de précurseur qu’elle a joué en insérant dès 2010 des dispositions
spécifiques sur les aspects sociaux et environnementaux du commerce
dans les nouveaux accords de libre-échange ou dans leur version révisée.
L’étude montre également que le rôle joué par la société civile
est essentiel à cet égard, en ce qu’elle participe au contrôle de
la mise en œuvre des accords de libre-échange et incite à mener
des réformes nationales qui intègrent des normes progressistes en
matière de travail, d’environnement et de droits humains. Globalement,
la recherche de dispositions efficaces en faveur du développement
durable dans les traités commerciaux reste un processus dynamique
d’apprentissage par la pratique
.
7. Conclusions
et recommandations
35. Il est clair que les activités
internationales de commerce et d’investissement n’ont pas lieu dans
une bulle isolée des autres activités humaines. Se déroulant à différents
niveaux, elles interagissent avec les valeurs auxquelles nous sommes
attachés, les droits que nous cherchons à protéger et le vaste contexte
sociétal que nous voulons améliorer sur le plan démocratique, socio-économique
et environnemental. Les accords commerciaux évoluent avec la société
et l’attention accrue qu’elle porte aux questions de durabilité
et de dignité humaine. Nous devrions donc saluer les efforts déployés
par certains pays et par les blocs commerciaux pour développer les
échanges d’une manière qui soutienne le progrès de la société par
une coopération ciblée, le renforcement des capacités, une sensibilité
accrue à la cause du développement durable et un renforcement des
engagements en faveur de la préservation et de l’amélioration de
notre qualité de vie. Toutes les parties prenantes ont un rôle à
jouer, y compris les parlements nationaux et les assemblées parlementaires
comme la nôtre.
36. Les problèmes surviennent lorsque les engagements ne sont
pas respectés, que les normes sont abaissées ou que les obligations
sont ignorées. Les États sont responsables de l’élaboration des
politiques et de leur mise en œuvre, y compris en matière commerciale.
Les ACI constituent des outils puissants au service du progrès et
devraient donc être constamment adaptés aux réalités et aux priorités.
En tant que rapporteur, j’estime que tous les nouveaux traités devraient
contenir des dispositions fortes sur le développement durable et
les droits humains, conformément aux Objectifs de développement
durable, et que les traités plus anciens devraient être mis à jour
en y intégrant de nouvelles dispositions en ce sens. Il conviendrait
notamment d’y ajouter des références à des normes internationales
largement acceptées – telles que celles qui figurent dans les conventions
de l’OIT concernant les questions sociales et de travail, dans l’Accord
de Paris concernant les objectifs climatiques internationaux et
dans d’autres conventions pertinentes du droit international de l’environnement.
37. Nous faisons également face à des complications juridiques
inattendues en ce qui concerne la modernisation de certains traités
(comme le TCE), dont les clauses de caducité ou l’interprétation
étroite par des tribunaux d’arbitrage privés (dans le cadre du mécanisme
de règlement des différends entre investisseurs et États) exposent
les États à des litiges coûteux, à un abaissement des normes (de
protection de la santé publique et de l’environnement), voire à
des revirements de politique sous la pression d’entreprises influentes. Les
États devraient faire preuve de plus d’unité en exigeant la modification
de ces traités ou en s’accordant sur leur nouvelle interprétation,
en mettant en place des mécanismes alternatifs de règlement des
différends, comme le tribunal multilatéral des investissements proposé
par l’Union européenne, et en faisant une juste place aux traités
internationaux les plus récents, comme l’Accord de Paris.
38. En ce qui concerne la question spécifique du TCE, nous encourageons
les États désireux de combler l’écart existant entre la protection
des investissements et les objectifs climatiques à négocier et à
conclure un accord
inter se de
modification de sa clause de caducité
. Cela enverrait un
message clair aux autres États parties, selon lequel une clause
de caducité d’une si longue durée est incompatible avec leurs engagements contractés
au titre de l’Accord de Paris (paradoxalement, le préambule du TCE
fait référence à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements
climatiques, sous les auspices de laquelle l’Accord de Paris a été
signé). Le droit international l’autorise en vertu des articles
41 et 64 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969)
et en l’absence de dispositions spécifiques dans le TCE. Ainsi,
la clause de caducité serait réduite ou supprimée entre les États
parties à l’accord
inter se –
mais elle serait maintenue dans sa version précédente (20 ans) vis-à-vis
des investisseurs d’autres États. Malgré cette limitation, un accord
de modification
inter se devrait
conduire à une interprétation du TCE plus respectueuse des engagements
sociaux et environnementaux des États par les tribunaux nationaux
et les tribunaux arbitraux, en s’appuyant sur son propre préambule,
son article 19 et conformément à d’autres conventions internationales
(Accord de Paris, Protocole de la Charte de l’énergie sur l’efficacité
énergétique et les aspects environnementaux connexes, etc.), et
ce dans l’attente d’une révision coordonnée ou d’un retrait du TCE.
39. Nous devrions reconnaître que des mesures unilatérales dans
le commerce international (comme le Mécanisme d'ajustement carbone
aux frontières de l’Union européenne) peuvent s’avérer nécessaires
pour que les États en ayant l’ambition progressent plus rapidement
vers un développement durable et inclusif. Les États devraient continuer
à tirer parti de toutes les possibilités offertes par le droit international
du commerce et des investissements pour agir unilatéralement, notamment
par l’adoption de mesures fondées sur l’article XX du GATT et sur
les accords de l’OMC relatifs aux sauvegardes et sur l’application
des mesures sanitaires et phytosanitaires. Les forums internationaux,
tels que le Partenariat international d’action sur le carbone
, devraient ensuite s’employer à
mondialiser ces évolutions vertueuses et ces mesures unilatérales.
40. Si le présent rapport souligne la nécessité d’atténuer les
risques engendrés par la procédure d’arbitrage dans l’application
des dispositions relatives à la protection des investissements fondées
sur des ACI, il est important de noter également les opportunités
qu’elles présentent. Bien que ces dispositions puissent être problématiques
lorsqu’elles sont appliquées de manière restrictive, elles sont
très efficaces pour protéger les intérêts des investisseurs. Leur
mécanisme d’application pourrait être pris comme modèle pour garantir
de la même manière le respect des dispositions relatives à l’environnement,
au travail et aux droits fondamentaux. De cette façon, nous pouvons
tirer des leçons pour améliorer la protection de la prise de décision
démocratique et des valeurs du Conseil de l’Europe.
41. Enfin, les exigences relatives à l’obligation de vigilance
devraient être promues et mises en application dans le monde entier.
Ces exigences, combinées au devoir d’information des entreprises,
sont essentielles pour permettre un contrôle du public et des ONG.
Les poursuites engagées pour non-respect des devoirs de vigilance
et d’information se sont multipliées ces derniers temps
et semblent constituer un outil efficace
pour contraindre les entreprises à répondre de leurs actes et à
respecter leurs obligations sociales et environnementales. Les accords
commerciaux purement économiques ne favorisent pas automatiquement
les droits humains, la démocratie, l’État de droit et le développement
durable. Par conséquent, le devoir de vigilance raisonnable dans
les chaînes d’approvisionnement – reflétant l’importance de ces
valeurs – devrait être intégré dans les ACI. Nous devons également
veiller à ce que les négociations techniques en tiennent compte
par le biais d’un engagement démocratique, afin de s’assurer que
le public ait voix au chapitre et puisse influencer le changement
pour promouvoir plus largement nos valeurs dans le commerce.