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Rapport | Doc. 15796 | 20 juin 2023

Assurer un accès libre et sûr par le corridor de Latchine

Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées

Rapporteur : M. Paul GAVAN, Irlande, GUE

Origine - Renvoi en commission: décision du Bureau, Renvoi 4744 du 19 juin 2023. 2023 - Troisième partie de session

Résumé

Depuis le 12 décembre 2022, la population arménienne du Haut-Karabakh, en Azerbaïdjan, est privée d’une circulation libre et sûre par le corridor de Latchine, qui constitue pour elle la seule voie d’accès à l’Arménie et au reste du monde. Cela entraîne de graves conséquences sur le plan humanitaire et des droits humains, notamment s’agissant de la liberté de circulation, de la non-discrimination, de l’accès aux soins de santé et à l’alimentation, ainsi que du droit à la vie familiale et du droit à l’éducation.

Cette situation est contraire à la déclaration trilatérale signée le 9 novembre 2020 par le Président de la République d’Azerbaïdjan Ilham Aliev, le Premier ministre de la République d’Arménie Nikol Pachinian et le Président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine, et a fait l’objet de mesures provisoires décidées par la Cour européenne des droits de l’homme et d’une Ordonnance de la Cour internationale de Justice contre l’Azerbaïdjan, qui restent encore à mettre en œuvre.

Le présent rapport examine les mesures concrètes qui permettraient d’assurer un avenir durable et pacifique à la population arménienne du Haut-Karabakh, à commencer par le rétablissement d’un accès libre et sûr par le corridor de Latchine. Il appelle au dialogue constructif pour trouver un moyen d’avancer et s’inquiète à cet égard des propos inadmissibles tenus par les autorités azerbaïdjanaises, y compris au plus haut niveau, vis-à-vis des Arméniens. Le rapport plaide en faveur d’une intervention du Conseil de l’Europe en tant que médiateur pour rétablir la confiance entre deux de ses États membres, l’Arménie et l’Azerbaïdjan.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 19 juin 2023.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire rappelle que le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan au sujet du Haut-Karabakh dure depuis plus de 30 ans et que les deux pays se sont engagés à le régler par des moyens pacifiques lors de leur adhésion au Conseil de l’Europe en janvier 2001.
2. L’Assemblée a examiné de nombreux aspects de ce conflit au fil du temps, notamment dans la Résolution 1047 (1994) et la Recommandation 1251 (1994) «Conflit du Haut-Karabakh», la Résolution 1416 (2005) «Le conflit du Haut-Karabakh traité par la Conférence de Minsk de l’OSCE» ainsi que la Résolution 2391 (2021) et la Recommandation 2209 (2021) «Conséquences humanitaires du conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan/le conflit du Haut-Karabakh». Elle note que l’Azerbaïdjan a repris le contrôle d’une partie de son territoire à l’issue d’une guerre de 44 jours qui s’est terminée par un accord de cessez-le-feu, dit «déclaration trilatérale», signée le 9 novembre 2020 par le Président de la République d’Azerbaïdjan Ilham Aliev, le Premier ministre de la République d’Arménie Nikol Pachinian et le Président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine.
3. L’Assemblée salue la reconnaissance mutuelle de l’intégrité territoriale de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan et y voit une première étape vers la fin d’un conflit qui a déjà fait trop de morts et causé trop de tragédies d’un côté comme de l’autre.
4. Depuis la guerre de 2020 qui a permis à l’Azerbaïdjan de reprendre une partie de son territoire par la force, l’Assemblée s’inquiète vivement du fait que les responsables de ce pays n’aient pris aucune mesure de nature à donner aux Arméniens résidant sur ce territoire l’assurance qu’ils pouvaient y rester et continuer d’y vivre. Au contraire, l’Assemblée est extrêmement préoccupée par les événements survenus depuis la signature de la déclaration trilatérale, qui ont culminé le 12 décembre 2022 avec l’interruption du passage libre et sûr par le corridor de Latchine, suivie de coupures délibérées de l’approvisionnement de la région en électricité et en gaz.
5. Tout en reconnaissant pleinement l’intérêt de l’Azerbaïdjan à assurer la sécurité sur son territoire et à ses frontières, l’Assemblée est frappée de constater que ses dirigeants ne prennent pas la mesure des conséquences très graves de cette situation sur le plan humanitaire et des droits humains.
6. L’Assemblée est bien consciente d’être en présence ici de deux récits en totale opposition. À ce titre, et parce qu’elle croit aux vertus du dialogue, l’Assemblée déplore vivement que le rapporteur n’ait pas été invité en Azerbaïdjan lors de sa visite d’information et n’ait donc pas pu se rendre dans le corridor de Latchine pour observer la situation sur le terrain et s’entretenir de manière plus poussée avec les autorités azerbaïdjanaises.
7. L’Assemblée souligne que l’Azerbaïdjan a le devoir de protéger et d’assurer la sécurité à toute personne vivant à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues et relevant donc de sa juridiction, conformément à l’article 1 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), et considère qu’il y a lieu d’attirer l’attention de la communauté internationale sur la situation du corridor de Latchine et ses conséquences sur le plan humanitaire et des droits humains pour rappeler cette responsabilité.
8. Reconnaissant que l’absence d’un accès libre et sûr par le corridor de Latchine s’inscrit dans une problématique bien plus vaste, l’Assemblée est convaincue qu’une réponse humanitaire ne suffit pas à elle seule et qu’une solution politique s’impose. Saluant les négociations en cours entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, notamment sous les auspices de l’Union européenne et des États-Unis d’Amérique, l’Assemblée souligne que la situation actuelle n’est pas tenable et pourrait contraindre la population arménienne à quitter leur domicile et leurs lieux de vie si aucun règlement du conflit n’était trouvé. Dans ce contexte, elle préconise d’urgence qu’un dialogue ait lieu entre Bakou et Khakendi/Stepanakert sur les questions relatives aux droits et à la sécurité de la population arménienne du Haut-Karabakh ainsi qu’une participation internationale neutre dans tout mécanisme de mise en œuvre de la paix qui serait instauré.
9. Prenant acte des mesures provisoires décidées par la Cour européenne des droits de l’homme le 21 décembre 2022 en vertu de l’article 39 de son Règlement, qui indiquaient aux autorités de l’Azerbaïdjan de «prendre toute mesure en leur pouvoir pour assurer le passage sûr par le corridor de Latchine des personnes gravement malades ayant besoin de traitement médical en Arménie et des autres personnes bloquées sur la route sans abri ou moyens de subsistance», l’Assemblée demande à l’Azerbaïdjan de mettre en œuvre cette décision sans plus tarder.
10. Notant que la Cour internationale de Justice a ordonné à l’Azerbaïdjan d’adopter immédiatement «toutes les mesures dont elle dispose afin d’assurer la circulation sans entrave des personnes, des véhicules et des marchandises le long du corridor de Latchine dans les deux sens», l’Assemblée demande à l’Azerbaïdjan de se conformer d’urgence à cette ordonnance également.
11. Tout en notant que les requêtes analogues introduites par l’Azerbaïdjan contre l’Arménie ont été rejetées par les deux juridictions internationales, l’Assemblée est convaincue que l’Arménie doit également contribuer à l’apaisement des tensions et qu’elle devrait être ouverte à une forme de contrôle international visant à évaluer la véracité des allégations de l’Azerbaïdjan concernant l’introduction d’armes illégales vers le Haut-Karabakh.
12. L’Assemblée appelle l’Azerbaïdjan à inviter une délégation du Conseil de l’Europe à se rendre dans le corridor de Latchine et le Haut-Karabakh pour une mission d’information afin d’évaluer la situation sur le terrain. Elle lui demande par ailleurs d’autoriser l’accès à la région à d’autres organisations internationales, dont les agences des Nations Unies et en particulier le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO).
13. L’Assemblée salue le rôle crucial joué par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) dans le transport de patients par le corridor de Latchine, le regroupement des familles séparées et l’approvisionnement des habitants du Haut-Karabakh en médicaments, en équipements médicaux, en semences et en denrées alimentaires, dans la mesure où il le pouvait. Elle reconnaît, ce qui est un point essentiel, que de telles interventions ne devraient pas être nécessaires et que le fait qu'elles le soient est une preuve évidente de l’inexistence d’un accès libre et sûr par le corridor de Lacthine.
14. Reconnaissant pleinement l’intégrité territoriale de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan, l’Assemblée appelle l’Azerbaijan à faire preuve d’une approche constructive et pacifique sincère à l’égard de son voisin, l’Arménie, et des Arméniens vivant dans le Haut-Karabakh. Elle encourage vivement l’Azerbaïdjan à tout mettre en œuvre pour assurer une circulation libre et sûre dans les deux sens, le long du corridor de Latchine. En attendant, elle exhorte l’Azerbaïdjan à rétablir l’approvisionnement en électricité et en gaz sans délai ni entrave, et à convenir avec les Arméniens d’un nouvel axe pour les approvisionnements en gaz et la distribution d’électricité, passant par le territoire arménien et non azerbaïdjanais.
15. L’Assemblée est extrêmement préoccupée par les propos hostiles et menaçants tenus à l’égard des Arméniens par les représentants des autorités azerbaïdjanaises au plus haut niveau et exhorte l’Azerbaïdjan à rejeter toutes déclarations de ce type et à prendre des mesures pour lutter à la fois contre le discours de haine, notamment de la part des agents de la fonction publique et des hauts fonctionnaires, et contre les crimes de haine. L’Azerbaïdjan est encouragé à introduire et mettre en œuvre une législation adéquate à cette fin, avec l’assistance du Conseil de l’Europe. L’Assemblée est également attentive au discours de haine véhiculé par certaines personnes en Arménie et exhorte de la même manière les dirigeants arméniens à condamner ces propos et les autorités à prendre les dispositions requises pour les sanctionner.
16. Sans préjuger de l’issue des négociations de paix, l’Assemblée est convaincue qu’au-delà la question de la nationalité, qui en tout état de cause ne devrait pas porter préjudice aux Arméniens du Haut-Karabakh, des solutions novatrices pourraient être trouvées dans le cadre des normes, des instruments et des programmes du Conseil de l’Europe pour protéger les droits des Arméniens du Haut-Karabakh. L’Assemblée invite par conséquent l’Arménie et l’Azerbaïdjan à tirer pleinement parti des normes, instruments et programmes existants relatifs à l’exercice des droits des minorités, aux langues et à l’éducation, au patrimoine culturel, à la décentralisation et aux différentes options en matière d’autonomie locale.
17. Les conséquences de l’absence d’accès libre et sûr par le corridor de Latchine montrent que des mesures de confiance seraient sans doute utiles pour régler certaines situations. Partant, l’Assemblée recommande à l’Arménie et à l’Azerbaïdjan d’entreprendre des mesures de confiance sous les auspices du Conseil de l’Europe, notamment avec la participation de médecins, de journalistes, de la jeunesse et de la société civile. Elle invite également la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe à proposer ses bons offices pour établir et favoriser le dialogue et la coopération entre le Défenseur des droits de l’homme de l’Arménie et le Commissaire aux droits de l’homme de l’Azerbaïdjan.
18. L’Assemblée invite les délégations parlementaires arménienne et azerbaïdjanaise, qui sont les mieux placées pour ce faire, à examiner les mesures qui pourraient être prises pour instaurer un dialogue fructueux et constructif sur des sujets d’intérêt commun, en vue d’apaiser les tensions et d’engager une coopération sincère qui permettrait de dissiper les craintes et la méfiance.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté par la commission le 19 juin 2023.

(open)
1. Se référant à la Résolution ... (2023) «Assurer un accès libre et sûr par le corridor de Latchine» et reconnaissant le rôle du Comité des Ministres en tant que garant de la protection des droits humains dans les États membres du Conseil de l’Europe, l’Assemblée parlementaire attire l’attention du Comité des Ministres sur la crise humanitaire et des droits humains qui frappe les Arméniens vivant dans le Haut-Karabakh depuis les interventions unilatérales menées par l’Azerbaïdjan dans le corridor de Latchine en contradiction avec l’accord de cessez-le-feu, ou «déclaration trilatérale», signée le 9 novembre 2020 par le Président de la RépubIique d’Azerbaïdjan Ilham Aliev, le Premier ministre de la République d’Arménie Nikol Pachinian et le Président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine.
2. Regrettant que le rapporteur de l’Assemblée n’ait pas été invité en Azerbaïdjan et n’ait donc pas pu recueillir des informations de première main sur le terrain, l’Assemblée demande l’organisation d’une mission d’information du Conseil de l’Europe en Azerbaijan dans les meilleurs délais, afin d’évaluer la situation dans laquelle vivent des Arméniens qui ne bénéficient plus, depuis le 12 décembre 2022, d’un accès libre et sûr par le corridor de Latchine.
3. Consciente du sentiment d’insécurité et de menace auquel doit faire face la population arménienne vivant dans le Haut-Karabakh, l’Assemblée est convaincue que le Conseil de l’Europe pourrait jouer un rôle important dans la promotion de la confiance et du dialogue entre ses deux États membres, en particulier par des mesures de confiance. Elle encourage par conséquent le Comité des Ministres à développer, dans le cadre des plans d’action existants ou par l’intermédiaire d’un instrument de coopération sui generis, de nouvelles activités qui viseraient notamment à lutter contre le discours de haine, ce qui inclut les propos et déclarations inacceptables des membres du Gouvernement de l’Azerbaïdjan à l’égard de membres de la population arménienne, et contribueraient à créer un climat de tolérance et de respect mutuel.

C. Exposé des motifs par M. Paul Gavan, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Faisant suite au débat d’actualité sur le thème «Répondre aux conséquences humanitaires du blocus du corridor de Latchine» que l’Assemblée parlementaire a tenu le 26 janvier 2023, le Bureau de l’Assemblée a décidé le 27 janvier 2023 de saisir la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées en vue de l’élaboration d’un rapport sur le même thème. La commission m’a désigné rapporteur le 15 mars 2023 et m’a autorisé le 27 avril 2023 à effectuer une mission d’information en Arménie et en Azerbaïdjan.
2. Lors de sa réunion du 11 mai 2023, à ma demande, la commission a décidé de changer le titre du rapport comme suit «Assurer un accès libre et sûr par le corridor de Latchine» et de demander au Bureau de l’Assemblée de tenir un débat d’urgence sur cette question durant la partie de session de juin 2023.
3. Le 31 mars 2023, une demande de mission en Arménie et en Azerbaïdjan a été envoyée aux présidents des délégations parlementaires respectives. Ayant annoncé d’emblée mon intention d’écouter tous les points de vue pour pouvoir produire un rapport juste, précis et honnête, et le présenter rapidement compte tenu de la situation tendue, il était important pour moi de pouvoir me rendre dans les deux pays et en particulier d’obtenir des informations de première main sur la liberté et la sécurité d’accès et de circulation le long du corridor de Latchine. J’ai effectué une visite en Arménie du 30 mai au 2 juin 2023 mais n’ai pu aller en Azerbaïdjan et y rencontrer des interlocuteurs, n’ayant pas reçu d’invitation en ce sens. Le lieu le plus proche du corridor de Latchine auquel j’ai pu accéder se trouvait du côté arménien, juste au-dessus de la nouvelle route construite à partir de Kornidzor, d’où j’ai pu voir le poste de contrôle érigé par l’Azerbaïdjan le 23 avril 2023.
4. La situation s’est aggravée tout récemment, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ayant dû suspendre les transferts médicaux vers l’Arménie par le couloir de Latchine en raison des tensions accrues à la frontière signalées par l’Arménie.

2. Contexte général

5. Au sortir d’une guerre ayant fait des milliers de morts et entraîné de nombreuses situations tragiques sur le plan humain, et notamment le déplacement de milliers de personnes en Arménie et en Azerbaïdjan entre 1991 et 1993, les deux pays s’étaient engagés à régler le problème du Haut-Karabakh par des moyens pacifiques dans leur demande d’adhésion au Conseil de l’Europe 
			(3) 
			Avis 221 (coe.int) et Avis 222
(coe.int)..
6. Une reprise des hostilités en 2020 s’est soldée par un accord de cessez-le-feu, dit «déclaration trilatérale», signé le 9 novembre 2020 par le Président de la RépubIique d’Azerbaïdjan Ilham Aliev, le Premier ministre de la République d’Arménie Nikol Pachinian et le Président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine 
			(4) 
			<a href='https://www.primeminister.am/en/press-release/item/2020/11/10/Announcement/'>Déclaration
du Président de la République d’Azerbaïdjan, du Premier ministre
de la République d’Arménie et du Président de la Fédération de Russie
– communiqués de presse – mises à jour – Premier ministre de la
République d’Arménie</a> et <a href='https://president.az/en/articles/view/45923'>Déclaration
du Président de la République d’Azerbaïdjan, du Premier ministre
de la République d’Arménie et du Président de la Fédération de Russie
– site web officiel du Président de la République d’Arménie</a> (en anglais)..
7. Après la guerre de 2020 et conformément aux termes de la déclaration trilatérale, les régions de Kelbadjar et Latchine, qui étaient sous le contrôle de l’Arménie depuis 1993, ont été rendues à l’Azerbaïdjan. La restitution de ces régions a nécessité de délimiter de manière claire et précise la frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Elle a également privé le Haut-Karabakh de tout contact direct avec une zone placée sous le contrôle des forces armées arméniennes, ce qui appelait des dispositions spécifiques concernant l’accès par le corridor de Latchine. Celles-ci ont été prévues au point 6 de la déclaration trilatérale:
«La République d’Arménie restituera à la République d’Azerbaïdjan la région de Kelbadjar le 15 novembre 2020 et la région de Latchine le 1er décembre 2020. Le corridor de Latchine (5 km de large), qui reliera le Haut-Karabagh et l’Arménie sans passer par le territoire de Choucha, restera sous le contrôle des forces russes de maintien de la paix.
Comme convenu par les Parties, un projet de construction d’une nouvelle route par le corridor de Latchine établissant une liaison entre le Haut-Karabagh et l’Arménie sera présenté sous trois ans, et les forces russes de maintien de la paix seront redéployées par la suite pour protéger cet itinéraire.
La République d’Azerbaïdjan garantira la sécurité de la circulation des personnes, des véhicules et des marchandises dans les deux sens le long du corridor de Latchine».
8. Le 12 décembre 2022, le passage par le corridor de Latchine, seule route reliant encore le Haut-Karabakh et l’Arménie après la guerre de 44 jours en 2020, a été entravé par des personnes qui se disaient «éco-activistes» et étaient également présentées comme telles par les autorités azerbaïdjanaises 
			(5) 
			Rien dans ce document
ne peut être interprété de manière contraire au plein respect de
la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Arménie et de
l’Azerbaïdjan au sein de leurs frontières internationalement reconnues,
aux dispositions des résolutions du Conseil de sécurité des Nations
Unies de 1993 et de la Déclaration trilatérale signée le 9 novembre 2020
par le Président de la RépubIique d’Azerbaïdjan, le Premier ministre
de la République d’Arménie et le Président de la Fédération de Russie.. À l’heure actuelle, l’Azerbaïdjan conteste l’interruption de la circulation des biens et des personnes et des approvisionnements en énergie entre l’Arménie et le Haut-Karabakh.
9. Le 21 décembre 2022, la Cour européenne des droits de l’homme a décidé d’indiquer des mesures provisoires concernant le corridor de Latchine. Notant que la mesure dans laquelle le Gouvernement d’Azerbaïdjan «contrôlait actuellement la situation dans le “corridor de Latchine”» était contestée et n’était pas claire à ce stade, notant de plus l’obligation de l’Azerbaïdjan d’après l’article 6 de la Déclaration trilatérale précitée, la Cour a décidé «d’indiquer au gouvernement d’Azerbaïdjan de [...] prendre toutes les mesures en son pouvoir pour assurer le passage sûr par le corridor de Latchine des personnes gravement malades ayant besoin de traitement médical en Arménie et des autres bloquées sur la route sans abri ou moyen de subsistance» 
			(6) 
			<a href='https://hudoc.echr.coe.int/eng-press?i=003-7528728-10337270'>https://hudoc.echr.coe.int/eng-press?i=003-7528728-10337270</a>..
10. La Cour internationale de Justice (CIJ) a, quant à elle, conclu dans une ordonnance du 22 février 2023 que l’Azerbaïdjan devait «conformément aux obligations qui lui incombent au titre de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, prendre toutes les mesures dont elle dispose afin d’assurer la circulation sans entrave des personnes, des véhicules et des marchandises le long du corridor de Latchine dans les deux sens» 
			(7) 
			<a href='https://www.icj-cij.org/case/180'>Application de la Convention
internationale sur l’élimination de toute forme de discrimination
raciale (Arménie (icj-cij.org))</a>..
11. Les deux cours ont rejeté les requêtes analogues introduites par l’Azerbaïdjan contre l’Arménie 
			(8) 
			<a href='https://icj-cij.org/sites/default/files/case-related/181/181-20230222-ORD-01-00-FR.pdf'>https://icj-cij.org/sites/default/files/case-related/181/181-20230222-ORD-01-00-FR.pdf</a> et <a href='https://hudoc.echr.coe.int/eng-press?i=003-6838228-9156311'>https://hudoc.echr.coe.int/eng-press?i=003-6838228-9156311</a>..
12. Faisant suite à une lettre du 13 décembre 2022, adressée au président du Conseil de sécurité par le Représentant permanent de l’Arménie auprès de l’Organisation des Nations Unies, le Conseil de sécurité a tenu une réunion le 20 décembre 2022 avec la participation de Miroslav Jenča, Sous-secrétaire général pour l’Europe, l’Asie centrale et les Amériques – Département des affaires politiques et de la consolidation de la paix et du Département des opérations de paix 
			(9) 
			<a href='https://undocs.org/en/S/PV.9228'>https://undocs.org/en/S/PV.9228</a> (en anglais)... Ce dernier a estimé que bien que les efforts diplomatiques de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan apportent une «lueur d’espoir» concernant la résolution du conflit en cours, l’escalade actuelle des tensions et des incidents risquait de compromettre les fragiles progrès réalisés et d’entraîner une dangereuse recrudescence des violences 
			(10) 
			<a href='https://press.un.org/en/2022/sc15154.doc.htm'>«Despite
‘Glimmer of Hope’ in Armenia, Azerbaijan Conflict, Escalating Tensions
Threaten to Derail Fragile Progress, Senior Official Tells Security
Council», UN Press</a>..
13. Au sein du Conseil de l’Europe, la Présidente du Comité des Ministres a demandé la réouverture du corridor de Latchine dans une déclaration du 19 janvier 2023 
			(11) 
			<a href='https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=0900001680a9cdcd'>Détails
du résultat (coe.int)</a>.. Outre un débat d’actualité tenu lors de la partie de session de janvier 2023, l’Assemblée a également réagi par l’intermédiaire de trois de ses commissions. Les quatre co-rapporteurs chargés du suivi de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie ont affirmé dans une déclaration commune le 16 décembre 2022 qu’ils étaient «vivement préoccupés par la suspension de la liberté de circulation dans le corridor de Latchine, qui cause des difficultés considérables à la population», ajoutant que «[l]a liberté et la sécurité de circulation des personnes et des biens doivent être rétablies de toute urgence le long du corridor» et «[appelant] toutes les parties à la déclaration trilatérale des 9-10 novembre 2020 à prendre immédiatement les mesures nécessaires» 
			(12) 
			«<a href='https://pace.coe.int/fr/news/8930/pace-monitors-urge-the-restoration-of-freedom-of-movement-along-the-lachin-corridor'>Les
rapporteurs de suivi de l’APCE demandent instamment le rétablissement
de la liberté de circulation le long du corridor de Latchine» (coe.int)</a>.. Ils ont renouvelé leur appel au rétablissement de la liberté de circulation le long du corridor de Latchine dans une déclaration commune le 26 avril 2023 
			(13) 
			<a href='https://pace.coe.int/fr/news/9065/the-lachin-corridor-statement-by-the-pace-monitors-for-azerbaijan-and-armenia'>«Le
corridor de Latchine: déclaration des co-rapporteurs de l’APCE pour
l’Azerbaïdjan et l’Arménie» (coe.int)</a>.. À l’issue d’une visite en Arménie du 17 au 19 février 2023, les co-rapporteurs pour le suivi de l’Arménie ont fait part de leurs constatations dans une note d’information déclassifiée, affirmant que sur la base de leurs observations, le mouvement le long du corridor était «gravement entravé». Ils ont pressé les autorités azerbaïdjanaises «d’autoriser une mission de vérification indépendante et de permettre aux journalistes indépendants d’opérer librement dans toute la région» 
			(14) 
			<a href='https://rm.coe.int/le-respect-des-obligations-et-engagements-de-l-armenie-note-d-informat/1680aaa678'>https://rm.coe.int/le-respect-des-obligations-et-engagements-de-l-armenie-note-d-informat/1680aaa678</a>.. La commission des questions juridiques et des droits de l’homme a publié le 22 avril 2023 une déclaration sur l’obstruction du corridor de Latchine 
			(15) 
			<a href='https://pace.coe.int/fr/news/9025/statement-by-the-committee-on-legal-affairs-on-the-obstruction-of-the-lachin-corridor'>Déclaration
de la Commission des questions juridiques sur l’obstruction du corridor
de Lachin (coe.int)</a>.. En ma qualité de rapporteur pour le présent rapport, j’ai également publié une déclaration le 24 avril demandant un accès au corridor de Latchine pour constater la situation sur le terrain 
			(16) 
			<a href='https://pace.coe.int/en/news/9048/pace-rapporteur-seeks-access-to-lachin-corridor-to-see-at-first-hand-the-situation-on-the-ground'>«Un
rapporteur de l’APCE cherche à accéder au corridor de Latchine pour
constater la situation sur le terrain» (coe.int)</a>.. Malheureusement, je n’ai pu bénéficier de cet accès.
14. Dans sa Résolution du 18 janvier 2023 sur la mise en œuvre de la politique étrangère et de sécurité commune, le Parlement européen a «fermement [dénoncé] le blocus illégal du corridor de Lachin par l’Azerbaïdjan, en violation de la déclaration trilatérale du 9 novembre 2020, car il [menaçait] de plonger la population du Haut-Karabakh dans une crise humanitaire intentionnelle; [exigé] que les autorités azerbaïdjanaises rétablissent la liberté de circulation dans le corridor de Lachin avec effet immédiat et [rappelé] que seule une solution diplomatique, qui bénéficiera tant au peuple arménien qu’au peuple azerbaïdjanais, pourra apporter une réponse juste et durable au conflit» 
			(17) 
			<a href='https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2023-0009_FR.html'>Textes
adoptés – Mise en œuvre de la politique étrangère et de sécurité
commune – rapport annuel 2022 – mercredi 18 janvier 2023 (europa.eu)</a>.. Par ailleurs, dans sa Résolution du 19 janvier 2023 sur les conséquences humanitaires du blocage du Haut-Karabakh, le Parlement européen a «[déploré] les conséquences humanitaires tragiques du blocus du corridor de Lachin et du conflit du Haut-Karabakh; [exhorté] l’Azerbaïdjan à respecter et à mettre en œuvre la déclaration trilatérale du 9 novembre 2020 et à rouvrir immédiatement le corridor de Lachin afin de favoriser la liberté de circulation et de permettre l’accès aux biens et aux services essentiels, et ainsi de garantir la sécurité et les moyens de subsistance des habitants de la région; [souligné] la nécessité d’un accord de paix global garantissant les droits et la sécurité de la population arménienne du Haut-Karabakh; [invité] l’Azerbaïdjan à protéger les droits des Arméniens vivant dans le Haut-Karabakh et à abandonner sa rhétorique incendiaire qui le conduit à inciter à la discrimination à l’égard des Arméniens et à enjoindre aux Arméniens de quitter le Haut-Karabakh; [demandé instamment] à l’Azerbaïdjan de s’abstenir, à l’avenir, de nuire au fonctionnement des liaisons énergétiques, de transport et de communication entre l’Arménie et le Haut-Karabakh» 
			(18) 
			<a href='https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/RC-9-2023-0075_FR.html'>Proposition
de résolution commune sur les conséquences humanitaires du blocus
dans le Haut-Karabakh | RC-B9-0075/2023 | Parlement européen (europa.eu)</a>..
15. Des négociations sont en cours entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, appuyées par des efforts de médiation distincts de l’Union européenne, des États-Unis et de la Fédération de Russie. Charles Michel, président du Conseil européen, a accueilli plusieurs séries de pourparlers entre le Président Aliev et le Premier ministre Pachinian, notamment à Bruxelles le 14 mai 2023, où les deux dirigeants sont convenus de la reprise de réunions bilatérales sur les questions relatives aux frontières 
			(19) 
			<a href='https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2023/05/14/press-remarks-by-president-charles-michel-following-the-trilateral-meeting-with-president-aliyev-of-azerbaijan-and-prime-minister-pashinyan-of-armenia/'>Déclaration
à la presse du président Charles Michel à l’issue de la réunion
trilatérale avec le Président azerbaïdjanais, M. Aliev, et le Premier
ministre arménien, M. Pachinian – Consilium (europa.eu)</a>.. Le Président français Macron et le Chancelier allemand Scholz ont participé aux discussions en marge du deuxième sommet de la Communauté politique européenne le 1er juin 2023 
			(20) 
			<a href='https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2023/06/01/remarks-by-president-charles-michel-after-his-meeting-with-the-leaders-of-armenia-azerbaijan-france-and-germany/'>Intervention
du président Charles Michel à l’issue de sa rencontre avec les dirigeants
de l’Arménie, de l’Azerbaïdjan, de la France et de l’Allemagne –
Consilium (europa.eu)</a>.. Des négociations supplémentaires sont prévues, notamment à Bruxelles le 21 juillet 2023 et en marge de la prochaine réunion de la Communauté politique européenne qui se déroulera en Espagne le 5 octobre 2023 
			(21) 
			<a href='https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2023/06/01/remarks-by-president-charles-michel-after-his-meeting-with-the-leaders-of-armenia-azerbaijan-france-and-germany/'>Idem</a>.. Antony Blinken, Secrétaire d’État des États-Unis, a accueilli des négociations entre les dirigeants 
			(22) 
			<a href='https://www.state.gov/secretary-blinkens-meeting-with-armenian-prime-minister-pashinyan-and-azerbaijani-president-aliyev/'>Secretary
Blinken’s Meeting with Armenian Prime Minister Pashinyan and Azerbaijani
President Aliyev – United States Department of State</a>., ainsi qu’entre les ministres des Affaires étrangères des États, lors desquelles les parties ont accepté en principe certains termes 
			(23) 
			<a href='https://www.state.gov/armenia-azerbaijan-peace-negotiations/'>Armenia-Azerbaijan
Peace Negotiations – United States Department of State</a>.. Une réunion entre les deux dirigeants et le Président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine a eu lieu à Moscou le 25 mai 2023 
			(24) 
			<a href='https://apnews.com/article/russia-armenia-azerbaijan-conflict-peace-3ebea862eda225b6b770b6411986f44b'>«Putin
reports progress in talks between Armenia and Azerbaijan, saying
only technical issues remain», AP News</a>..
16. En marge du premier sommet de la Communauté politique européenne tenu à Prague le 6 octobre 2022, le Président Aliev et le Premier ministre Pachinian ont tous deux reconnu l’intégrité territoriale et la souveraineté de leurs pays respectifs en confirmant leur attachement à la Charte des Nations Unies et à la Déclaration d’Alma Ata de 1991 
			(25) 
			<a href='https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2022/10/07/statement-following-quadrilateral-meeting-between-president-aliyev-prime-minister-pashinyan-president-macron-and-president-michel-6-october-2022/'>Déclaration
à l’issue de la réunion quadrilatérale entre le Président Aliev,
le Premier ministre Pachinian, le Président Macron et le président
Michel, le 6 octobre 2022 – Consilium (europa.eu)</a>.. Par cette déclaration, la République d’Azerbaïdjan et la République d’Arménie sont convenus de reconnaître et de respecter mutuellement leur intégrité territoriale et l’inviolabilité des frontières existantes 
			(26) 
			<a href='http://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL(1994)054-e'>www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL(1994)054-e</a> (en anglais)..

3. Position de l’Azerbaïdjan

17. Faute d’invitation à me rendre en Azerbaïdjan pour y rencontrer les interlocuteurs pertinents, les informations données ci-après concernant la position de l’Azerbaïdjan sur ces questions sont tirées, sauf indication contraire, d’une lettre de Samad Seyidov, président de la délégation azerbaïdjanaise à l’Assemblée, qui m’a été adressée le 24 mai 2023 en réponse à un questionnaire que je lui avais précédemment fait parvenir 
			(27) 
			Disponible auprès du
Secrétariat sur demande.. Il convient de noter que pour rester cohérent avec les termes de la déclaration trilatérale, j’emploie ci-après l’expression «corridor de Latchine» alors que la lettre évoque la «route de Latchine». Les informations suivantes sont identiques à celles qui figurent dans la lettre, même si elles ne la reprennent pas mot pour mot.

Situation à la frontière

18. La déclaration trilatérale du 10 novembre 2022 signée par les dirigeants de l’Azerbaïdjan, de la Fédération de Russie et de l’Arménie prévoyait l’établissement d’un «corridor de Latchine» large de 5 km permettant la circulation des citoyens, des véhicules et des marchandises dans les deux sens entre l’Arménie et le Haut-Karabakh. Le contingent russe de maintien de la paix a été temporairement déployé dans cette zone. Il est chargé d’organiser la circulation des citoyens, des biens et des véhicules le long de la route de Latchine tandis que l’Azerbaïdjan en garantit la sécurité.
19. La lettre indique que l’Azerbaïdjan n’impose aucune restriction à la circulation le long de la route de Latchine. Les règles de circulation restent les mêmes qu’auparavant. Il n’y a aucune entrave au franchissement de la frontière par les résidents, que ce soit à titre individuel ou accompagnés par les forces russes de maintien de la paix ou le CICR. Les convois humanitaires continuent de passer sans obstacle.
20. La lettre précise que la déclaration trilatérale ne prévoit pas l’extraterritorialité du corridor de Latchine. La zone de 5 km de large continue de faire partie du territoire souverain de l’Azerbaïdjan comme les autres régions dans lesquelles le contingent de maintien de la paix est temporairement déployé. La déclaration ne prévoit pas non plus l’entrée et la sortie non contrôlées des personnes, des véhicules et des marchandises vers et depuis l’Arménie et rien dans ce document ne peut être interprété comme empêchant l’Azerbaïdjan d’exercer son droit souverain de contrôler la circulation des personnes, des véhicules et des marchandises le long du corridor de Latchine.
21. Il est affirmé dans la lettre que, depuis la signature de la déclaration trilatérale, la route de Latchine est utilisée à des fins militaires illégales, notamment la rotation de personnel militaire et le transfert d’armes et de munitions, ainsi que de mines terrestres produites en Arménie en 2021. L’Azerbaïdjan demande de l’ordre et de la transparence concernant la circulation le long du corridor de Latchine.
22. Des manifestations de militants de la société civile azerbaïdjanaise ont eu lieu du 12 décembre 2022 au 28 avril 2023 le long du corridor de Latchine.
23. Par l’installation le 23 avril 2023 d’un point de passage à l’entrée du corridor de Latchine, à la frontière entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, où sont appliquées des procédures et un régime douanier adéquats, l’Azerbaïdjan assure la transparence de la circulation le long de la route, l’État de droit, la sécurité et la sûreté. De ce fait, la circulation des personnes, des véhicules et des marchandises est prévisible et régulée dans les deux sens.
24. Ceux qui franchissent la frontière doivent présenter des documents d’identité valides. Les habitants de la région sont considérés comme des citoyens azerbaïdjanais d’origine arménienne.
25. Le point de contrôle à la frontière est équipé de scanners à rayons X et d’autres technologies modernes pour accélérer les contrôles et permettre un passage rapide par la route.
26. La lettre indique que l’Azerbaïdjan surveille la situation sur le terrain et qu’elle emploiera toutes les mesures dont elle dispose pour se défendre contre toute menace pour la sécurité liée à la circulation le long du corridor de Latchine. Toute tentative d’utilisation abusive du corridor de Latchine à des fins incompatibles avec la déclaration trilatérale sera par conséquent mise en échec.

Statistiques

27. Entre le 12 décembre 2022 et le 24 mai 2023, un total de 2 000 personnes ont traversé le corridor de Latchine dans les deux sens avec l’aide du CICR. Quelque 9 000 personnes sont passées par la route, soit près de 100 par jour, ces chiffres incluant les transports de biens humanitaires et les convois du CICR.
28. Au total, 1 266 évacuations médicales ont eu lieu avec l’assistance du CICR (486 patients et leurs 290 proches vers l’Arménie et 308 patients et leurs 182 proches depuis l’Arménie). Par ailleurs, 714 personnes ont bénéficié du regroupement familial dans les deux sens (336 vers et 378 depuis l’Arménie). Le franchissement de la frontière a continué d’être facilité pour le CICR après la mise en place du point de contrôle, avec le passage de 113 patients et leurs 56 proches vers l’Arménie et de 84 patients et leurs 54 proches depuis l’Arménie. Entre le 28 avril et le 7 juin 2023, un total de 169 personnes ont été évacuées pour des raisons médicales vers l’Arménie dans 63 véhicules et 138 sont revenues dans 62 véhicules. Aucune demande de passage du CICR n’a été rejetée.
29. Entre le 10 et le 16 avril 2023, 430 tonnes de farine ont été acheminées par le CICR depuis l’Arménie vers Khankendi/Stepanakert.

Approvisionnement en énergie

30. La lettre affirme qu’il n’y a eu aucune interruption de l’approvisionnement en gaz et en électricité. La CIJ a rejeté la demande de l’Arménie d’indiquer une mesure conservatoire visant à «rétablir immédiatement et totalement l’approvisionnement du Haut-Karabakh en gaz naturel et en d’autres biens fournis par les entreprises de services collectifs et s’abstenir de l’interrompre ou de l’entraver».
31. Les interruptions temporaires de l’alimentation en gaz dans la région étaient dues à des défaillances techniques ou à de mauvaises conditions météorologiques. Dans certains cas, les autorités azerbaïdjanaises ont pris des dispositions pour régler les problèmes par leurs propres moyens en vue d’assurer la continuité de l’approvisionnement en gaz.

Construction d’une nouvelle route

32. Conformément au point 6 de la déclaration trilatérale aux termes duquel «un projet de construction d’une nouvelle route par le corridor de Latchine établissant une liaison entre le Haut-Karabagh et l’Arménie sera présenté sous trois ans, et les forces russes de maintien de la paix seront redéployées par la suite pour protéger cet itinéraire», l’Azerbaïdjan a respecté son obligation en finalisant la construction d’une nouvelle route contournant la ville de Latchine. Celle-ci est ouverte à la circulation depuis août 2022.
33. La construction de cette route s’est déroulée sans obstacle et sans la participation des forces russes de maintien de la paix, dans le cadre d’un dialogue entre les autorités azerbaïdjanaises et les Arméniens vivant dans la région. Cela montre que la communication entre les parties prenantes est non seulement possible mais aussi utile, car elle permet aujourd’hui à la population arménienne de la région de tirer parti des perspectives offertes par les vastes travaux de reconstruction et de réaménagement conduits par l’Azerbaïdjan dans la région.
34. Après la construction de la nouvelle route, la ville de Latchine et les villages de Zaboukh et Sous sont repassés sous le contrôle de l’Azerbaïdjan conformément à la déclaration trilatérale. Cela permettra et accélérera le retour de milliers d’Azerbaïdjanais qui avaient été déplacés de ces territoires.
35. Les travaux de construction de la nouvelle route sur le territoire arménien ayant pris du retard, l’Azerbaïdjan a construit une route temporaire de 4,7 km pour répondre aux besoins des habitants locaux, qui l’ont utilisée jusqu’en mars 2023 lorsque l’Arménie a finalisé la construction de la portion qui manquait sur son territoire.

Mise en œuvre des décisions de la Cour international de Justice et de la Cour européenne des droits de l’homme

36. La lettre affirme que le corridor de Latchine est un point de passage ouvert et sûr, conformément à la déclaration trilatérale. Depuis la publication de l’ordonnance de la CIJ, l’Azerbaïdjan a continué à prendre toutes les mesures dont elle disposait pour assurer une circulation sans entrave des personnes, des véhicules et des marchandises le long du corridor de Latchine.
37. L’Azerbaïdjan est en contact régulier avec le CICR pour faciliter la circulation humanitaire le long du corridor de Latchine. Les forces russes de maintien de la paix participent également aux évacuations médicales de personnes gravement malades.
38. Après l’installation du point de contrôle à la frontière, les éco-activistes qui manifestaient dans le corridor de Latchine ont suivi les conseils des autorités azerbaïdjanaises et ont suspendu leur action civile le 28 avril 2023.
39. Le point de contrôle permet de prévenir efficacement l’entrée et l’utilisation illégales du corridor de Latchine à des fins autres que celles prévues dans la déclaration trilatérale. Il a ainsi empêché le passage de personnel et de marchandises militaires (hormis ceux nécessaires aux besoins du contingent de maintien de la paix), la circulation de terroristes et de migrants irréguliers, l’entrée illégale de ressortissants de pays tiers et d’apatrides, le trafic d’armes, de stupéfiants et d’autres matières et produits dangereux et l’utilisation de la route pour le trafic illicite de ressources naturelles et de biens culturels.

Retour des personnes déplacées dans leur pays

40. La lettre affirme que le maintien de la paix, le relèvement et la reconstruction ainsi que le retour des personnes déplacées dans leur pays sont des priorités absolues pour le Gouvernement azerbaïdjanais. Des travaux de construction de grande envergure et de nouvelles infrastructures sont en cours. Un obstacle majeur à ces initiatives est la contamination par des mines des territoires qui étaient sous contrôle arménien et sont passés sous contrôle azerbaïdjanais. Plus de 300 personnes, principalement des civils, ont été victimes des mines arméniennes, dont certaines ont été introduites illégalement et enfouies par l’Arménie après novembre 2020.
41. L’Azerbaïdjan coopère avec les agences des Nations Unies dans ces efforts de reconstruction.
42. À l’occasion de la journée de l’indépendance de l’Azerbaïdjan le 28 mai 2023, une cérémonie s’est tenue dans la ville de Latchine en présence du Président Aliev venu remettre les clés de leur habitation aux personnes de retour dans la région 
			(28) 
			<a href='https://president.az/en/articles/view/60027'>«Ilham Aliyev
met with people who returned to the city of Lachin and presented
house keys to them», site web officiel du Président de la République
d’Azerbaïdjan</a>..
43. Depuis le 27 mai 2023, veille de la journée de l’indépendance de l’Azerbaïdjan, les 20 premières familles sont revenues dans la ville de Latchine, où quelque 4 000 personnes devraient s’établir dans un avenir proche. Au total, 700 nouvelles constructions sont sorties de terre ces derniers mois, dont 620 logements individuels et 9 immeubles résidentiels offrant un total de 144 appartements. Une école sera opérationnelle pour la prochaine année scolaire et un centre médical sera construit. Plus de 1 100 emplois seront créés. Latchine est devenue l’une des plus belles villes du monde 
			(29) 
			Ibid..

Mission d’information

44. La lettre affirme que la principale entrave à la circulation des civils le long du corridor de Latchine et au franchissement du point de contrôle à la frontière est le refus délibéré et persistant de l’Arménie de coopérer en ce sens, auquel s’ajoutent les pressions exercées sur les civils pour qu’ils évitent d’y passer.
45. L’Arménie a pour objectif de faire péricliter les initiatives de réintégration de l’Azerbaïdjan, sans considération des activités de construction et de relèvement post-conflit actuellement menées par le gouvernement, et donc d’obtenir un soutien international en faveur de sa campagne contre l’Azerbaïdjan.
46. À ce propos, l’exploitation des organisations internationales par l’Arménie est très préoccupante. Le pays mise sur des missions «d’information» et autres pour appuyer sa campagne de propagande, se soustraire à ses engagements et saper les efforts de normalisation. Par ailleurs, le déploiement de telles missions serait contre-productif dans un contexte marqué par la reprise récente des négociations directes entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan au plus haut niveau politique.
47. La lettre se termine en affirmant que l’Azerbaïdjan reste ouvert à un dialogue constructif.

Position de l’Azerbaïdjan exprimée par le Président Aliev

48. Dans son discours prononcé à l’occasion de la Journée de l’indépendance, le Président Aliev a dit que les «territoires autochtones [de l’Azerbaïdjan]» avaient été libérés des «envahisseurs» et a ajouté «nous – ceux à qui appartiennent ces terres – sommes venus ici pour construire et créer» 
			(30) 
			Ibid., qualifiant les Arméniens d’ennemis «méprisables», «indignes» et «haïs», «mis à genoux et chassés du territoire [azerbaïdjanais]».
49. Le Président Aliev a affirmé que l’installation du point de contrôle à la frontière le 23 avril 2023 «devrait servir de leçon aux Arméniens qui habitent aujourd’hui dans la région du Haut-Karabakh» et que «la région du Karabakh où vivent aujourd’hui des Arméniens est notre terre ancestrale et légitime». Il a poursuivi en déclarant qu’il ne restait «plus qu’une seule solution – obéir aux lois de l’Azerbaïdjan, être un citoyen azerbaïdjanais normal et loyal et jeter aux ordures les faux attributs étatiques [...]». À la fin de son discours adressé aux personnes de retour dans la région, le Président Aliev a également envoyé un message à ses voisins arméniens: «Faites-leur savoir que nous pouvons voir les villages arméniens d’ici. Nous pouvons voir ces villages, qu’ils ne l’oublient pas» 
			(31) 
			Ibid..
50. Dans son allocution, le Président Aliev a confirmé que la circulation le long du corridor de Latchine était entièrement sous contrôle [de l’Azerbaïdjan] 
			(32) 
			Ibid..

4. Mon appréciation de la situation sur le terrain

51. Comme l’affirme le Président Aliev, le corridor de Latchine est entièrement contrôlé par l’Azerbaïdjan. Depuis le 12 décembre 2022 en effet, d’abord à travers la présence de personnes se qualifiant de «militants écologistes» (terme également employé par les autorités azerbaïdjanaises), puis avec la mise en place d’un poste-frontière le 23 avril 2023, le contrôle exercé sur le corridor de Latchine restreint fortement la circulation. Seules peuvent passer quelques catégories de personnes, de biens et de véhicules, par l’intermédiaire du CICR et des forces russes de maintien de la paix.
52. Toutes les informations données dans le présent rapport ont été vérifiées par recoupement avec celles de mes interlocuteurs arméniens et internationaux. Je regrette vivement de ne pas avoir été invité à me rendre en Azerbaïdjan, et espère que cette impossibilité d’accéder au corridor de Latchine et d’aborder le sujet directement avec les autorités azerbaïdjanaises ne servira pas de prétexte pour réfuter ou mettre en doute mes constats, conclusions et recommandations.
53. Depuis le 12 décembre 2022, les populations arméniennes du Haut-Karabakh, qui ne sont reliées à l’Arménie que par le corridor de Latchine, vivent dans des conditions extrêmement difficiles, notamment pour ce qui est de l’accès à la nourriture, à l’hygiène, aux soins, aux médicaments et à l’éducation 
			(33) 
			L’usage d’expressions
comme «populations arméniennes du Haut-Karabakh» ou «habitants arméniens
du Haut-Karabakh» ne préjuge en rien du statut de ces populations.. Parmi elles, un grand nombre d’enfants et de personnes âgées. Beaucoup d’habitants arméniens de la région qui se trouvaient en Arménie à cette date n’ont pu regagner leur domicile. J’en ai rencontré plusieurs à Goris: ils conservent tous l’espoir de retrouver leur famille.
54. Lorsque les «militants écologistes» sont apparus, les Arméniens vivant dans la région les ont perçus d’emblée comme une menace. On ignore dans quelle mesure exactement la peur qu’inspiraient ces «militants» ou l’hostilité qu’ils manifestaient ont dissuadé les habitants de passer par Latchine, mais deux incidents spécifiques m’ont été rapportés: des personnes en provenance d’Arménie qui souhaitaient se rendre à Stepanakert ont été harcelées et, dans un cas, empêchées de poursuivre leur chemin. Le premier de ces incidents s’est produit le 7 avril 2023. Un groupe de femmes qui tentaient de rentrer au Haut-Karabakh avec l’aide des forces russes de maintien de la paix ont été empêchées de le faire, sauf quatre d’entre elles qui, se trouvant mal, se sont évanouies et ont été transportées à l’hôpital de Stepanakert. Le second incident concerne des adolescents qui s’étaient rendus au concours Eurovision de la chanson junior et ont subi un harcèlement sur le chemin du retour. Dans les deux cas, ces personnes étaient transportées par les forces russes de maintien de la paix.
55. Depuis la mise en place du poste-frontière le 23 avril 2023, le corridor de Latchine constitue l’un des trois postes-frontières entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Il a été créé à l’usage exclusif des habitants du Haut-Karabakh. Est-il arrivé qu’une personne arménienne tente de passer seule le poste-frontière et soit repoussée? Il est difficile de répondre; mais la peur est un élément crucial, en particulier pour les hommes, qui ont tous été impliqués d’une manière ou d’une autre dans la guerre, au moins comme soldats, et se trouvent sous la menace de poursuites pour terrorisme, sabotage ou subversion 
			(34) 
			<a href='https://en.trend.az/azerbaijan/politics/3710166.html'>«Azerbaijani
state collecting evidence for punishment of Armenian separatists
– former military prosecutor» (PHOTO/VIDEO) (trend.az)</a>.. Par ailleurs, un étranger muni d’un visa azerbaïdjanais ne pourrait pas passer.
56. Jusqu’au 12 décembre 2022, tous les approvisionnements – énergie, médicaments, denrées alimentaires, etc. – venaient d’Arménie. Depuis, ces importations sont devenues presque impossibles. Les pénuries rythment le quotidien. L’Azerbaïdjan a proposé de fournir de l’énergie et d’autres biens depuis son territoire, mais cette offre est mal accueillie par la population locale, qui semble terrifiée à l’idée de ce qu’elle pourrait devenir si elle repassait sous autorité azerbaïdjanaise. En assurant le transport de personnes et de biens dans la région de Latchine, les forces russes de maintien de la paix et le CICR jouent un rôle essentiel, car il n’y a pas de liberté de circulation en pratique.
57. Je ne peux passer sous silence le ressentiment qui s’est exprimé lors de ma mission à l’égard de la communauté internationale. Inquiets de ne pas être entendus, les Arméniens craignent que la force brute finisse par l’emporter et que l’Azerbaïdjan ne se débarrasse d’une bonne part de la population arménienne locale. J’espère vivement que le présent rapport servira, entre autres, à mettre en lumière la situation humanitaire très difficile que connaissent les populations arméniennes du Haut-Karabakh depuis le 12 décembre 2022. Je ne m’attarderai pas sur les autres enjeux géopolitiques, car ils ne relèvent pas de mon mandat et car je souhaite centrer mon rapport sur les mesures concrètes que le Conseil de l’Europe pourrait prendre pour contribuer à résoudre cette situation.

Les «militants écologistes»

58. Si je désigne entre guillemets le groupe de personnes qui sont apparues le 12 décembre 2022 et se sont présentées comme des «militants écologistes», c’est parce que j’ai reçu suffisamment d’informations de sources différentes pour douter de leurs intentions. Leur présence dans le corridor de Latchine le 12 décembre me paraît montrer le dessein, de la part de l’Azerbaïdjan, de mettre les populations arméniennes de la région dans une situation d’inconfort et d’hostilité.
59. Parmi les exemples les plus pittoresques, on a pu voir une dame en manteau de fourrure s’exprimer dans un mégaphone avant de lancer en l’air une colombe morte 
			(35) 
			<a href='https://www.lefigaro.fr/international/armenie-ces-nebuleux-eco-activistes-qui-bloquent-le-corridor-de-latchine-20221226'>«Arménie:
ces nébuleux «éco-activistes» qui bloquent le corridor de Latchine»
(lefigaro.fr)</a>. – sans doute un message subliminal sur sa vision de la paix.
60. Différentes sources gouvernementales et non gouvernementales arméniennes ont identifié quelque 300 personnes dont des ex-militaires, des jeunes, des «éco-touristes» venus du Brésil, etc 
			(36) 
			<a href='https://globalvoices.org/2023/05/03/the-lachin-corridor-standoff-between-armenia-and-azerbaijan-ends-for-now/'>«The
Lachin Corridor standoff between Armenia and Azerbaijan ends, for
now» Global Voices</a>.. Certaines organisations financées par la nouvelle agence publique de coordination du travail des ONG, créée en 2021, ont aussi pris part aux rassemblements bloquant le corridor de Latchine. Ces personnes ont disparu peu après la mise en place du poste-frontière, probablement parce qu’elles avaient rempli leur mission. J’ai été informé que certaines d’entre elles, jugeant ne pas avoir été assez payées pour leur présence dans le corridor de Latchine, avaient récemment entrepris de manifester devant les locaux de la Présidence.

Rôle des forces russes de maintien de la paix

61. En vertu de la Déclaration tripartite de 2020, un contingent de maintien de la paix a été déployé par la Fédération de Russie le long du corridor de Latchine 
			(37) 
			Déclaration tripartite
de 2020, par. 3 (voir <a href='https://www.commonspace.eu/news/document-full-text-agreement-between-leaders-russia-armenia-and-azerbaijan'>www.commonspace.eu/news/document-full-text-agreement-between-leaders-russia-armenia-and-azerbaijan</a>).. Il comprenait 1 960 soldats dotés d’armes légères, 90 véhicules blindés de transport de troupes et 380 unités de matériel automobile et spécial 
			(38) 
			Ibid.. Il était initialement prévu que le contingent de maintien de la paix reste sur place pendant cinq ans, avec la possibilité de prolongations 
			(39) 
			Ibid.,
par. 4.. Les forces de maintien de la paix ont assuré le contrôle de la circulation dans le corridor de Latchine jusqu’à ce que l’Azerbaïdjan mette en place un poste-frontière, le 23 avril 2023 
			(40) 
			<a href='https://reliefweb.int/report/armenia/new-troubles-nagorno-karabakh-understanding-lachin-corridor-crisis'>https://reliefweb.int/report/armenia/new-troubles-nagorno-karabakh-understanding-lachin-corridor-crisis</a>.. Malgré la mission russe de maintien de la paix, de multiples atteintes à l’accord de cessez-le-feu ont été signalées 
			(41) 
			Voir
par exemple <a href='https://tass.com/politics/1627157'>https://tass.com/politics/1627157</a>..
62. Au cours de la période pendant laquelle le CICR a dû suspendre ses opérations, du 29 avril au 16 mai 2023, les forces de maintien de la paix ont continué de transporter des patients malades jusqu’en Arménie et de ramener d’Arménie des Arméniens du Haut-Karabakh, y compris certaines des personnes que j’ai rencontrées à Goris, qui n’ont cependant pas été autorisées à revenir dans la région.
63. J’ai entendu s’exprimer un sentiment de déception à l’égard des forces russes de maintien de la paix, en raison de leur inaction et de leur incapacité à protéger les Arméniens face aux «militants écologistes» qui manifestaient dans le corridor de Latchine.

Rôle du CICR

64. Depuis décembre 2022, dans son rôle d’intermédiaire humanitaire neutre et en accord avec toutes les parties, le CICR a transporté plus de 400 patients dans le corridor de Latchine et réuni des familles séparées (plus de 600 personnes, dont 230 mineurs). Il a livré des médicaments, du lait infantile et des denrées alimentaires aux structures de santé et assuré la continuité des services d’ambulance et de soins d’urgence. De plus, le CICR a distribué des colis de nourriture et d’articles d’hygiène à la population et à des établissements et livré diverses semences pour soutenir l’agriculture dans les localités rurales et semi-urbaines 
			(42) 
			<a href='https://www.icrc.org/en/document/operational-update-across-lachin-corridor'>«Operational
Update – ICRC operations across the Lachin Corridor» | ICRC</a>..
65. Du 29 avril au 16 mai 2023, les opérations du CICR ont été suspendues, jusqu’à ce que le Comité parvienne à un accord avec les autorités azerbaïdjanaises sur ses procédures opérationnelles. Il n’y a pas eu d’obstacle majeur à ses activités depuis lors.

Rôle de la mission de l’Union européenne en Arménie

66. Le 23 janvier 2023, le Conseil de l’Union européenne a décidé de mettre en place une mission civile de l’Union européenne en Arménie dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune, avec pour objectifs de «contribuer à la stabilité dans les zones frontalières en Arménie, à l’instauration d’un climat de confiance sur le terrain et à la création d’un environnement propice aux efforts de normalisation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, soutenus par l’UE 
			(43) 
			<a href='https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2023/01/23/armenia-eu-sets-up-a-civilian-mission-to-ensure-security-in-conflict-affected-and-border-areas/'>«Arménie:
l’UE met en place une mission civile pour contribuer à la stabilité
dans les zones frontalières» – Conseil de l’UE (europa.eu)</a>.». Réunissant au maximum 100 agents non armés, dont des experts et des observateurs, elle a un mandat initial de deux ans 
			(44) 
			<a href='https://www.europarl.europa.eu/thinktank/en/document/EPRS_BRI(2023)747919'>«Armenia
and Azerbaijan: Between war and peace» | Think Tank | European Parliament
(europa.eu)</a>.. Compte tenu de ses effectifs restreints et de son caractère civil, cette mission a un mandat limité, qui consiste à observer et décrire la situation le long de la frontière arménienne avec l’Azerbaïdjan 
			(45) 
			Ibid., sans pouvoir intervenir pour empêcher des atteintes à l’accord de cessez-le-feu ou y réagir. Cette mission n’est présente que du côté arménien de la frontière et ne peut observer les évolutions côté azerbaïdjanais 
			(46) 
			<a href='https://www.eeas.europa.eu/euma/eu-mission-armenia-euma_en?s=410283'>EU
Mission in Armenia (EUMA) | EEAS (europa.eu)</a>..

Accès aux soins de santé

67. La seule solution pour les personnes ayant besoin d’un traitement médical qui ne peut être prodigué sur place consiste à se faire conduire en Arménie par le CICR ou par les forces russes de maintien de la paix. Il n’est pas possible de partir simplement avec sa voiture ou en transports publics, comme c’était le cas avant le 12 décembre 2022.
68. Le nombre de cas nécessitant un traitement en dehors de la région a sensiblement augmenté depuis, pour plusieurs raisons: manque de médicaments et de matériel médical, impossibilité pour les spécialistes de se rendre dans la région depuis l’Arménie ou d’autres pays pour réaliser des opérations délicates et approvisionnement aléatoire en électricité. En outre, les médecins locaux ne peuvent se rendre en Arménie ou à l’étranger pour parfaire leur formation.
69. Pour les mêmes raisons, toutes les opérations chirurgicales prévues ont dû être annulées et seules les opérations d’urgence sont toujours réalisées.
70. En raison des coupures d’électricité, les hôpitaux ne sont reliés au réseau que six heures par jour et doivent utiliser le reste du temps des générateurs fonctionnant à l’essence ou au diesel. Le générateur de l’hôpital local ne suffit pas à compenser les coupures de courant, et ces coupures se produisent trois fois par jour pendant au moins deux heures sans qu’il soit possible d’anticiper à quel moment. Certaines coupures d’électricité ont duré jusqu’à 10 heures.
71. Dans le Centre médical pédiatrique, toutes les opérations chirurgicales prévues ont été annulées et les enfants devant absolument être opérés ont dû être transférés en Arménie. En Arménie, les listes d’attente d’enfants devant être traités pour des maladies graves se sont fortement allongées, car les spécialistes qui se rendaient à Stepanakert pour s’occuper d’eux ne sont plus autorisés à le faire. J’ai appris qu’il avait été impossible de chauffer l’hôpital cet hiver. Des coupures de courant avaient régulièrement lieu et pour garder les enfants au chaud, il a fallu tous les réunir dans la même salle, quelle que soit leur maladie. Couvrir les besoins nutritionnels des enfants constitue en outre un problème pressant.
72. Il est devenu extrêmement difficile de traiter les maladies chroniques exigeant des soins spécialisés. Les personnes souffrant de troubles aigus doivent maintenant être transférées en Arménie. La pénurie de pédiatres et de neurologues, qui ne peuvent plus venir depuis l’étranger, est devenue très préoccupante. La disponibilité des médicaments et des fournitures médicales dépend entièrement des convois du CICR. Il est difficile de savoir comment des mesures de prévention peuvent être appliquées et si les vaccins sont toujours régulièrement administrés.
73. L’accès aux soins n’est ni fiable ni pérenne. Une commission de médecins se charge d’établir quels patients doivent être transférés en priorité, et plusieurs jours peuvent s’écouler avant qu’un transport médical ne soit autorisé. Le CICR n’a pu réaliser aucun transport médical pendant deux périodes de 15 jours, à savoir au début du rassemblement des «militants écologistes» dans le corridor de Latchine et après la mise en place du poste-frontière le 23 avril 2023, dans l’attente d’un accord sur une procédure d’autorisation avec l’Azerbaïdjan, qui donne son feu vert à chaque transfert de patients.
74. Le transfert de patients représente un important défi. Certains ne peuvent se déplacer ou doivent être transportés allongés. Le rôle de l’hôpital aujourd’hui consiste à stabiliser l’état des patients avant leur transfert vers l’Arménie.
75. La situation en dehors de Stepanakert est encore plus difficile, car les patients doivent d’abord être transportés à l’hôpital. Près de Choucha/Chouchi, quatre villages (Turshsu/Lisagor, Saribaba/Yeghtsanhogh, Boyuk Galadarasi/Mets Shen et Khichik Galadarasi/Hin Shen) sont totalement coupés du reste de la région et de l’Arménie.
76. Les patients, mais aussi les membres du personnel médical sont touchés par des problèmes de santé mentale. Les conditions de vie terribles auxquels ils sont soumis et l’incertitude sur leur avenir ont fragilisé de nombreux esprits.
77. Bien qu’il ne soit pas possible d’estimer le nombre de personnes décédées du fait de l’insuffisance des soins disponibles à Stepanakert, au moins un patient en attente d’une greffe de rein a perdu la vie car il n’a pu être transféré à temps vers un hôpital arménien. Un autre patient est décédé pendant sa prise en charge en Arménie, et la famille s’est vu refuser la restitution de son corps pour l’enterrement.

Infrastructures

78. J’ai été informé que l’approvisionnement en électricité depuis l’Arménie était interrompu depuis le 9 janvier 2023. Cela a de graves conséquences sur le fonctionnement des écoles (qui ont été purement et simplement fermées cet hiver), des hôpitaux, des entreprises, et sur les activités quotidiennes en général. Le réseau électrique se situe aux alentours de la ville de Berdzor/Latchine, passée sous le contrôle de l’Azerbaïdjan en août 2022, ce qui empêche d’y accéder pour procéder à des réglages ou à des réparations. L’infrastructure était censée se prolonger le long de la nouvelle route, mais ce n’est pas encore le cas.
79. Avant la guerre de 2020, on comptait 20 petits générateurs installés sur des cours d’eau. Aujourd’hui, l’approvisionnement électrique est assuré par quatre générateurs de ce type auxquels s’ajoute le générateur du lac de barrage de Sarsang, dont le niveau baisse depuis décembre 2022 du fait de la surexploitation. En outre, aucun de ces équipements n’est conçu pour fonctionner en continu, si bien que des problèmes mécaniques commencent à se présenter.
80. Une forte part de l’approvisionnement électrique repose sur le réservoir de Sarsang. Il fournissait auparavant 32 % de l’électricité de la région. Depuis, la forte hausse de son exploitation a entraîné une diminution sans précédent du niveau de l’eau. Il a été calculé que le lac était passé de 345,45 millions de mètres cubes d’eau en janvier 2022 à 117 millions de mètres cubes en janvier 2023. Des coupures d’électricité plus longues sont attendues en juillet et en août, ce qui ne fera qu’accentuer encore la crise humanitaire. Par le passé, une partie de l’eau du réservoir avait été utilisée pour d’autres régions d’Azerbaïdjan, mais ce n’est plus possible car l’eau suffit à peine à faire fonctionner le générateur.
81. Couper l’électricité trois fois par jour permet d’économiser 30 % de la capacité totale. Cependant, l’approvisionnement risque de devoir être totalement interrompu du fait du manque d’hydroélectricité. En effet, un générateur hydroélectrique ne peut fonctionner qu’avec un réservoir d’au moins 70 mètres cubes. Le pic de la crise, qui devrait se produire en août, pourrait entraîner une coupure totale d’électricité ou un approvisionnement électrique réduit à quelques heures par jour.
82. Les données indiquent que l’origine du problème d’approvisionnement se situe au 31e kilomètre de ligne, près de la ville de Latchine/Berdzor, qui se trouve sous contrôle azerbaïdjanais. Les ingénieurs et techniciens, arméniens ou issus des forces russes de maintien de la paix, qui ont souhaité y accéder se sont heurtés au refus de l’Azerbaïdjan. Avant le 9 janvier 2023, il était possible de remplacer des pièces abîmées avec l’aide des forces russes de maintien de la paix. Depuis, l’accès à la zone est totalement interdit.
83. Les seules sources d’hydroélectricité sont le lac de barrage de Sarsang et quatre petites centrales hydroélectriques installées sur des rivières à fort courant. Leur débit est insuffisant pour générer la même quantité d’électricité en hiver.
84. L’approvisionnement en gaz depuis l’Arménie a été interrompu à maintes reprises depuis le 13 décembre 2022, et il l’est totalement depuis le 21 mars 2023. Les autorités azerbaïdjanaises n’ont autorisé personne, pas même le CICR, à se rendre sur place pour vérifier l’origine de cette interruption. Or, le gaz contribuait à générer de l’électricité. Le fonctionnement des installations était normal le jour où la CIJ a rendu l’ordonnance dans laquelle elle rejetait la mesure n° 3 avancée par l’Arménie, qui concernait l’approvisionnement en gaz naturel et autres services d’utilité publique, pour absence de preuves suffisantes (ordonnance, paragraphe 64 
			(47) 
			<a href='https://opiniojuris.org/2023/03/16/when-might-is-wrong-addressing-azerbaijans-refusal-to-comply-with-the-icjs-order-to-unblock-the-lachin-corridor/'>«When
Might Is Wrong: Addressing Azerbaijan’s Refusal to Comply with the
ICJ’s Order to Unblock the Lachin Corridor» – Opinio Juris</a>.).
85. Le calcul des flux de gaz naturel montre qu’ils s’arrêtent au village de Pekh, ce qui laisse penser qu’une valve a été installée. Le niveau de pression du gaz permet de confirmer ce blocage.
86. Lors d’une réunion entre les parties avant la mise en service de la nouvelle route, le transfert des lignes de communication vers cette route a été évoqué. Les lignes de communication ont bien été transférées, mais non les infrastructures de transport du gaz et de l’électricité.
87. En raison du manque général d’entretien, les infrastructures commencent à s’user.

Pénuries

88. Le fait que le CICR et les forces russes de maintien de la paix doivent approvisionner le Haut-Karabakh en nourriture témoigne d’une pénurie de denrées alimentaires. À la date d’avril 2023, l’aide humanitaire acheminée par le CICR se composait comme suit: deux pompes pour l’approvisionnement en eau potable, des accessoires et produits chimiques pour l’assainissement de l’eau, sept tonnes de grains de maïs, plus de 1 000 tonnes de farine de blé et 154 tonnes de plants de pommes de terre. Cependant, comme les capacités logistiques du CICR sont limitées, certains biens sont actuellement bloqués à Goris.
89. Un rationnement alimentaire a été mis en place, avec des cartes de rationnement pour l’achat de produits essentiels: pâtes, blé noir, riz, sucre, huile, fruits et légumes, œufs, etc.
90. J’ai également été informé d’une pénurie d’espèces, qui pousse les habitants à pratiquer le troc ou à faire leurs achats à l’aide de bons. Les retraits d’espèces ne sont plus possibles qu’aux guichets automatiques et le 11 janvier 2023, ils ont été plafonnés à 50 000 AMD par jour (environ 127 USD).
91. L’activité économique de la région est entravée, puisqu’il est devenu impossible d’importer des matériaux bruts et d’exporter des produits finis. Quelque 6 000 personnes ont perdu leur travail et avec lui, leur principale source de revenus. Le taux de chômage s’élève à 20%.
92. Des tirs ciblant des civils agriculteurs, survenus au moins les 28 avril et 5 mai 2023, ont fortement découragé le travail de la terre, pourtant crucial à cette période de l’année.
93. Il est difficile de ne pas conclure que ces nombreuses difficultés, ainsi que les mesures vexatoires quotidiennes, contribuent très ouvertement à faire comprendre aux populations arméniennes d’Azerbaïdjan qu’elles n’ont pas d’avenir dans la région.

Dilemmes pour le Gouvernement arménien

94. La reconnaissance par l’Arménie de l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan a constitué un geste courageux de la part du Premier ministre Nikol Pachinian, qui a essuyé les critiques de l’opposition, de la diaspora arménienne et des Arméniens du Haut-Karabakh.
95. Le gouvernement a évité l’escalade en empêchant les Arméniens de manifester dans le corridor de Latchine. Le point de contrôle installé par l’Arménie vise à éviter que quiconque ne se rende trop près du corridor, ce qui aggraverait encore une situation déjà très tendue.
96. Dans un discours prononcé le 31 mai 2023 à l’occasion du Forum arménien pour la démocratie, Nikol Pachinian a exprimé l’espoir que son pays devienne synonyme de paix et de forte croissance économique, ajoutant que la poursuite conjointe de la démocratie, de la croissance et de la paix devait servir ce but. On ne peut que constater le fort contraste entre cette approche et plusieurs propos récemment tenus par la classe politique et les hauts responsables d’Azerbaïdjan, en particulier le discours du Président Aliev évoqué plus haut 
			(48) 
			<a href='https://armenpress.am/eng/news/1112195.html'>«Democracy
is Armenia’s main trademark, says Pashinyan» | ARMENPRESS Armenian
News Agency</a>. et la déclaration de la commission des relations internationales du Parlement azerbaïdjanais, plus tôt en 2023, qualifiant la diaspora arménienne de «vieille tumeur cancéreuse de l’Europe 
			(49) 
			<a href='https://www.politico.eu/article/eu-showdown-former-soviet-union-oil-azerbaijan-armenia-conflict-south-caucasus/amp/'>www.politico.eu/article/eu-showdown-former-soviet-union-oil-azerbaijan-armenia-conflict-south-caucasus/amp/</a>.».
97. Bien qu’il soit difficile de négocier avec un interlocuteur prompt à employer une rhétorique de haine, voire à nier l’intégrité territoriale de l’Arménie, il est crucial que l’Arménie persiste à faire tout ce qui est en son pouvoir pour contribuer à la désescalade des tensions sur le terrain 
			(50) 
			<a href='https://en.wikipedia.org/wiki/Western_Azerbaijan_(political_concept)'>Western
Azerbaijan (political concept) – Wikipedia,</a> et <a href='https://en.wikipedia.org/wiki/Zangezur_corridor'>Zangezur
corridor – Wikipedia</a>. 
			(51) 
			«<a href='https://www.crisisgroup.org/europe-central-asia/caucasus/nagorno-karabakh-conflict/new-troubles-nagorno-karabakh-understanding-lachin-corridor-crisis'>New
Troubles in Nagorno-Karabakh: Understanding the Lachin Corridor
Crisis», Crisis Group</a>..

5. Conclusions et recommandations

98. Lorsque j’ai été chargé de rédiger le présent rapport, j’ai souhaité modifier son titre initial, «Conséquences humanitaires du blocus du corridor de Latchine», pour l’intituler «Assurer un accès libre et sûr par le corridor de Latchine», qui me semblait moins préjuger du résultat de mes travaux. Au terme de ce processus et en rassemblant tous les éléments de mon rapport, je conclus malheureusement que le passage par le corridor de Latchine n’est ni libre, ni sûr.
99. Bien que je n’aie pas été autorisé à franchir le corridor de Latchine et à me rendre à Khankendi/Stepanakert pour m’entretenir avec les personnes qui y sont bloquées, j’ai recueilli de précieux éléments probants, à la fois en provenance d’Arménie et d’Azerbaïdjan, qui m’ont mené à cette conclusion.
100. Il importe de souligner que le corridor de Latchine ne représente pas seulement un enjeu de sécurité pour l’Azerbaïdjan et un problème humanitaire pour les habitants de la région. La situation a aussi de graves conséquences sur l’exercice des droits humains les plus fondamentaux pour les Arméniens qui vivent sur le territoire internationalement reconnu de l’Azerbaïdjan. Pour l’heure, les autorités azerbaïdjanaises ne montrent ni reconnaissance du problème d’accès, ni volonté claire de résoudre immédiatement les questions les plus urgentes; au contraire, certains aspects de leurs propos récents sont susceptibles d’alimenter la défiance et la peur. Pour toutes ces raisons, le Conseil de l’Europe, aux côtés de l’Assemblée et de tous les organes de l’Organisation, devrait clairement s’attacher à exprimer ses préoccupations et à proposer des solutions et un soutien dans les domaines qui relèvent de son mandat, contribuant à défendre ses valeurs et ses normes sur le territoire d’un de ses États membres et à promouvoir la coexistence pacifique entre deux États membres voisins après des années de tensions et de guerre.
101. Il est particulièrement inquiétant et désolant que la crainte ressentie par les populations arméniennes du Haut-Karabakh soit alimentée, comme elle l’est actuellement, par une rhétorique menaçante au plus haut niveau de l’État azerbaïdjanais. Nul doute que cette crainte explique en partie la réticence de ces populations à franchir le poste-frontière installé le 23 avril 2023. Il revient désormais en premier lieu à l’Azerbaïdjan – qui a retrouvé ses frontières internationalement reconnues – de s’assurer que les Arméniens qui vivent sur son territoire se sentent en sécurité et libres de mener la vie qu’ils souhaitent, conformément au droit et aux normes internationales applicables, en particulier les normes de droits humains du Conseil de l’Europe, qui s’imposent à l’Azerbaïdjan.
102. Or, les populations arméniennes du Haut-Karabakh vivent dans la peur, une peur encore aggravée par les conditions de vie déplorables causées par la coupure délibérée de l’approvisionnement en gaz et en électricité. Dans ces circonstances, il est difficile de ne pas conclure que des mesures intentionnelles ont pu être prises pour qu’il devienne aussi difficile et inconfortable que possible, pour la population arménienne, de rester en Azerbaïdjan.
103. Le présent rapport se limite au mandat qui m’a été confié, et donc aux conséquences de l’impossibilité de franchir le corridor de Latchine librement et en toute sécurité. Je ne me suis pas attardé sur les questions liées aux négociations de paix menées entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan sous les auspices de l’Union européenne, des États-Unis d’Amérique et de la Fédération de Russie. Cependant, je suis convaincu que certains des aspects que j’ai traités pourraient être pertinents pour ces négociations, en particulier concernant l’absolue nécessité de nouer des relations de confiance authentiques et durables entre ces deux voisins qui n’ont d’autre choix que de coexister. Une présence internationale constituerait indéniablement une aide dans ce processus.
104. La mise en œuvre des normes en matière de démocratie, de droits humains et de prééminence du droit, que l’Azerbaïdjan s’est engagé à respecter en devenant membre du Conseil de l’Europe, doit se trouver au cœur des solutions à identifier et constitue un impératif pour atténuer les souffrances de la population arménienne d’Azerbaïdjan, en particulier sur les territoires regagnés depuis 2020, qui ne sont reliés à l’Arménie que par le corridor de Latchine. Le Conseil de l’Europe est doté de normes pertinentes et d’outils précieux, qui pourraient fortement contribuer à bâtir la confiance entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ainsi qu’entre l’Azerbaïdjan et les Arméniens qui vivent sur son territoire; mais ces normes et ces outils ne peuvent fonctionner que s’ils sont appliqués de bonne foi.
105. La paix ne se résume pas à l’absence de guerre. Elle consiste à se sentir libre et en sécurité dans une société qui offre des moyens de rechercher le bonheur, le progrès et l’épanouissement. À ce jour, l’Azerbaïdjan ne s’est pas montré disposé à garantir cette liberté et cette sécurité aux Arméniens qui vivent sur son territoire et relèvent de son autorité. Le Conseil de l’Europe et ses États membres doivent utiliser tous les leviers possibles pour veiller au respect des engagements pris par l’Azerbaïdjan lorsqu’il a adhéré à l’Organisation, il y a plus de 20 ans, afin qu’entre les deux communautés, la peur et la haine appartiennent une fois pour toutes au passé.

Annexe

(open)

Avis divergent présenté par M. Samad Seyidov (Azerbaïdjan, CE/AD), en vertu de l’article 50.4 du Règlement

Compte tenu du processus de négociation en cours entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan sur la normalisation des relations interétatiques, le présent rapport est, inopportunément, injuste et inexact. Il contient de nombreuses accusations infondées et inacceptables à l'encontre de l'Azerbaïdjan et ne reflète pas la situation réelle dans la région, ni autour de la route de Latchine.

A l’évidence, le rapport décrit et évalue les problèmes de la région en se fondant sur de forts préjugés. En ce qui concerne la position de l'Azerbaïdjan sur la situation qui a été présentée précédemment au rapporteur, le document souligne volontiers qu'il s'agit de la position de ce pays particulier. Toutefois, les informations reçues de sources arméniennes, qui ne reposent sur aucun élément de preuve, sont présentées comme des faits. Ainsi, les thèses de l'Arménie et des milieux revanchistes sont répétées de manière inconsidérée, et le rapporteur affirme qu'il s'agit là de ses propres conclusions. Il s'agit là d'une grave lacune du rapport d'un point de vue méthodologique.

Dans ce contexte, l'affirmation selon laquelle le passage par la route de Latchine n'est pas “libre et sûr” ne correspond pas à la réalité sur le terrain. En plus d’assurer la sécurité dans la région, l’Azerbaïdjan met en place toutes les conditions nécessaires à un passage sans entrave, sûr et transparent du point de contrôle frontalier. Comme cela a été signalé à plusieurs reprises au rapporteur, y compris par des sources accessibles au public, la route de Latchine continue d'être utilisée par les Arméniens locaux, le CICR et le contingent russe de maintien de la paix. En ce qui concerne la mise en place du poste de contrôle frontalier, qui semble être présentée dans le rapport comme une mesure unilatérale prise par l'Azerbaïdjan «en contradiction avec la Déclaration trilatérale du 10 novembre 2020», il convient de souligner que la sécurité et la gestion des frontières relèvent exclusivement du droit souverain de chaque État et que rien dans la Déclaration trilatérale ne contient de dérogation implicite ou explicite de la part de l'Azerbaïdjan à ce droit.

En outre, malheureusement, le rapport passe sous silence les efforts constants déployés par l'Azerbaïdjan depuis novembre 2020 en ce qui concerne les droits et la sécurité des résidents arméniens vivant sur son territoire. Au plus haut niveau, l’Azerbaïdjan a exprimé sa détermination à réintégrer ces habitants en tant que citoyens égaux dans le système politique, juridique, économique et social de l’Azerbaïdjan. Plus récemment, l’Azerbaïdjan a nommé un Représentant spécial pour le dialogue avec les Arméniens de souche locale, qui a déjà mené une première série de pourparlers le 1er mars 2023. Au lieu de reconnaître ces efforts et d’en encourager d’autres, le rapport les passe sous silence et répète les accusations partiales découlant du récit fallacieux et sans fondement de l’Arménie, qui sert à dénigrer les efforts de l’Azerbaïdjan en ce sens.

Le discours de haine constitue un grave problème qui n'est nullement propre à une société en particulier. Par conséquent, la différenciation et le jugement de valeur formulés dans le rapport à cet égard sont injustifiés, contre-productifs et ne contribuent pas à résoudre le problème. En outre, le rapport sera sans aucun doute utilisé pour une propagande anti-azerbaïdjanaise haineuse, en raison de son approche sélective et partiale.

Enfin, sur un point plus spécifique, on relèvera que, tout en reconnaissant l'intégrité territoriale et la souveraineté de l'Azerbaïdjan, le rapport utilise malheureusement des toponymes anciens et incorrects pour désigner les territoires souverains de l'Azerbaïdjan.