1. Introduction
1. La situation humanitaire en
Afghanistan s’est aggravée depuis que les talibans ont pris le pouvoir,
en août 2021, poussant des millions de personnes à se déplacer dans
le pays ou à s’exiler, en quête de sécurité. Les principes les plus
fondamentaux, tels que l’égalité des droits humains pour tous et
l’État de droit, sont purement et simplement foulés aux pieds.
2. La situation dans le pays a engendré une crise des réfugiés
des plus importantes, qui dure depuis des décennies. Pour la troisième
année consécutive, au début de l’année 2023, l’Afghanistan se classait
au deuxième rang mondial des pays comptant le plus grand nombre
de ressortissants déplacés, à égalité avec l’Ukraine. Seule la Syrie
compte davantage de ressortissants réfugiés
. En août 2021, le Haut-Commissariat des
Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a publié une
Recommandation
sur la cessation des expulsions vers l'Afghanistan qui témoigne du niveau de risque auquel sont exposés
les civils dans ce pays. Cette recommandation est toujours en vigueur
à l’heure actuelle. Le HCR recommande également de ne pas renvoyer
les Afghans vers l’Iran ni vers le Pakistan, qui «accueillent généreusement
la très grande majorité des réfugiés afghans dans le monde depuis
des décennies».
3. L’ampleur de la crise en Afghanistan compromet toute perspective
de retour durable dans un avenir proche. La communauté internationale,
et le Conseil de l’Europe en particulier, devraient faire le point
sur les efforts déployés au cours des deux dernières années et décider
d’urgence de mesures concrètes et coordonnées pour répondre aux
besoins immédiats en matière de protection; ainsi que réfléchir
à une approche allant au-delà de l’engagement humanitaire en Afghanistan.
4. Le 30 septembre 2021, l’Assemblée parlementaire a adopté la
Résolution 2403 (2021) «La situation en Afghanistan: conséquences pour l'Europe
et la région», appelant les États membres à «apporter un soutien politique
et financier pour […] aider» les pays voisins dans les efforts qu’ils
déploient pour soutenir les Afghans fuyant leur pays, et «les parlements
nationaux des États membres du Conseil de l’Europe, des États ayant
le statut d’observateur ainsi que les parlements d’États jouissant
du statut d’observateur et de partenaires pour la démocratie à
contrôler leurs gouvernements et à leur demander des comptes sur
la manière dont ils font face à̀ la situation actuelle.»
5. Le présent rapport se fonde sur les échanges tenus avec des
acteurs de terrain agissant aux niveaux local, international et
diplomatique en Europe, en Afghanistan et dans les pays voisins.
Il convient de le considérer comme une suite directe aux considérations
soulevées et aux décisions prises par l’Assemblée dans sa Résolution
2403 (2021).
6. En avril 2023, la commission des migrations, des réfugiés
et des personnes déplacées m’a autorisé à effectuer une visite en
Türkiye en qualité de rapporteur. Je remercie les autorités turques
et les divers partis politiques que j’ai eu l‘honneur de rencontrer
à Ankara, ainsi que les associations de défense des droits des réfugiés,
l’Association du barreau et la municipalité métropolitaine d’Istanbul,
qui ont tous exprimé des points de vue éclairés sur les Afghans
et proposé des pistes concrètes pour renforcer la solidarité européenne
et ainsi mieux soutenir les Afghans en exil.
7. Entre décembre 2022 et juillet 2023, j’ai eu l’occasion de
me rendre en Afghanistan, en Iran et au Pakistan en ma qualité de
membre du Parlement islandais. Ces visites ne s’inscrivent pas dans
le cadre de mon mandat de rapporteur de l’Assemblée, mais elles
m’ont permis de comprendre l’ampleur de la crise de déplacement
en cours dans la région.
2. La crise prolongée des réfugiés en
Afghanistan: un phénomène d’ampleur régionale
2.1. Une crise humanitaire sans précédent
8. D’après le Conseil des Affaires
étrangères de l’Union européenne, en mars 2023, environ 6 millions
de personnes étaient au bord de la famine en Afghanistan. Selon
des estimations, en avril 2023, 40% des Afghans étaient confrontés
à une situation d'insécurité alimentaire aiguë
dans
un pays qui se classe au 5e rang mondial des
pays les plus menacés par le changement climatique, comme le rappelle
le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) dans
son rapport 2023 intitulé «Perspectives socio-économiques pour l'Afghanistan».
9. La reprise, à la fin de l’année 2021, de l’aide financière
de la part de la Banque mondiale et de la Banque asiatique de développement
aux acteurs privés qui gèrent des centres de santé est une bonne
nouvelle. Cependant, depuis l’adoption par les talibans, en mai
et en octobre 2022, de décrets interdisant aux femmes de travailler
dans le secteur public puis pour les Nations Unies et les ONG, le
secteur de l’aide humanitaire et du développement, en particulier
les domaines de l’éducation et des soins de santé, se retrouve totalement privé
de personnel féminin ce qui nuit profondément à la capacité de répondre
aux besoins en matière de santé reproductive et d’identification
et d’aide aux victimes de violence fondée sur le genre et de violence domestique.
2.2. Questions sécuritaires et violations
systémiques des droits humains
10. Des violations massives des
droits humains sont perpétrées en Afghanistan depuis des décennies, diverses
factions et groupes armés se disputant le pouvoir dans le pays.
En 2019, la Cour pénale internationale a autorisé l’ouverture d’une
enquête sur les «crimes contre l'humanité [et les crimes de guerre]
prétendument commis en Afghanistan depuis le 1er mai
2003
.»
11. Dans les premiers jours qui ont suivi la prise de pouvoir
par les autorités de fait, on a pu constater une baisse du nombre
d’attentats et d’incidents de sécurité, ce qui a permis aux Nations
Unies d’étendre leur présence à des zones auxquelles elles n’avaient
pas accès auparavant; cependant, d’après les nombreux rapports du
Rapporteur spécial des Nations Unies sur l’Afghanistan et les Orientations
par pays sur l’Afghanistan que l’Agence de Union européenne pour
l'asile (AUEA) a publiées en janvier 2023
, la situation reste instable, un
certain nombre d’incidents de sécurité ciblant les civils ayant
été recensés, y compris des attentats perpétrés par les talibans,
l’État islamique et d’autres groupes armés.
12. Des attentats contre des membres de la communauté hazara sont
régulièrement signalés par la société civile
, qui attire sérieusement l’attention
sur le fait que ces attaques pourraient reposer sur des intentions génocidaires
.
En juin 2023, Amnesty International a publié un rapport fondé sur
des éléments de preuve concrets provenant du terrain accusant les
talibans d’avoir commis «un crime de guerre en infligeant une sanction
collective à la population civile de la province du Panchir en Afghanistan
».
13. Selon la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur l’indépendance
des juges et des avocats et le Rapporteur spécial des Nations Unies
sur la situation des droits de l’homme en Afghanistan, des mesures comme
la suspension de la Constitution de 2004 ou l’éviction de juges
depuis septembre 2021 ont précipité l’effondrement de l’État de
droit et réduit à néant l’indépendance de la justice en Afghanistan
.
Le bureau de l’Association du barreau afghan a été contraint à l’exil
et mène désormais ses activités depuis Bruxelles, en Belgique
.
14. Les rapports que publie régulièrement le Rapporteur spécial
sur la situation des droits de l’homme sur l’Afghanistan ne laissent
aucun doute quant à l’ampleur des violations des droits humains
et à la gravité de la situation humanitaire. Comme l’on s’y attendait,
le régime taliban exclut des pans entiers de la population qui sont
par conséquent particulièrement exposés à la discrimination et à
des violences ciblées (notamment envers les minorités ethniques
et religieuses, en particulier les Hazaras, les Tadjiks et les Chrétiens,
et les communautés LGBTQIA+).
2.3. Une guerre contre les femmes
15. En juin 2023, le Haut-Commissariat
des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH) a indiqué que les femmes
et les filles étaient systématiquement victimes de discrimination
dans tous les domaines de leur vie
. En
effet, depuis mars 2022, un décret interdit
aux établissements de santé de prodiguer des soins médicaux aux
femmes qui ne portent pas le hijab
. D’après
le Groupe consultatif des femmes que j’ai rencontré à Kaboul au
cours d’une des visites effectuées en tant que membre du Parlement
islandais, les femmes ont été écartées du système public après avoir
reçu l’instruction de former des hommes à leur poste afin qu’ils
leur succèdent. Elles se sont aussi vu imposer l’interdiction de
travailler au sein du secteur judiciaire et du secteur non gouvernemental
(en décembre 2022) et de collaborer avec les Nations Unies (en avril
2023).
16. Les femmes sont interdites d’accès à l’éducation primaire
au-delà de la sixième année de scolarité (et donc, privées d’éducation
secondaire), et elles sont exclues des espaces publics, tels que
les parcs. Elles n’ont pas le droit de se déplacer à plus de 72
km sans être accompagnées par un homme légitime dans son rôle. Les
hommes qui défendent la cause des femmes sont arrêtés et jetés en
prison
.
Les lourdes restrictions imposées à la liberté de circulation des
femmes et à leur droit d’interagir avec leurs homologues masculins
sont particulièrement difficiles à vivre notamment lorsque ces dernières
vivent en milieu rural. Cela entrave considérablement leur accès
à l’aide humanitaire et à toute autre forme de soutien dont elles
ou leur famille peuvent avoir besoin.
17. Des organisations locales et des études sur le terrain font
état de taux de suicide alarmants et d’idées suicidaires chez les
femmes et les filles
, et soulignent que la prise
de pouvoir des talibans a porté un sérieux coup à la santé mentale,
au bien-être et au sentiment d’espoir des Afghans vulnérables
. Dans
ses dernières conclusions sur l’Afghanistan, le Conseil de l’Union
européenne a clairement affirmé que les violations des droits humains
étaient systémiques dans ce pays
.
18. La Commission Internationale de Juristes et Amnesty International
considèrent qu’une telle «guerre contre les femmes» justifierait
que la Cour pénale internationale ouvre une enquête sur de possibles
crimes contre l’humanité
.
2.4. Les personnes déplacées internes et
les rapatriés: des personnes déplacées qui ont besoin d’un soutien
particulier
19. Les personnes déplacées internes
relèvent du mandat du HCR. Les déplacements forcés à l’intérieur du
pays ne datent pas d’hier en Afghanistan: des conflits ou des catastrophes
naturelles (tremblements de terre, sécheresses, inondations) obligent
les gens à quitter leur lieu de résidence. Au 31 décembre 2022,
le HCR estimait à 3,25 millions le nombre d’Afghans déplacés à l’intérieur
de leur pays en raison d’un conflit
. Depuis août 2021, des personnes
déplacées de longue date accueillent les nouveaux arrivants. Cette
situation met à rude épreuve les ménages, ainsi que les régions
dont les ressources sont limitées.
20. D’après des estimations du HCR, à la fin de l’année 2022,
un peu plus de 6 400 réfugiés afghans étaient retournés en Afghanistan,
en provenance du Pakistan pour la très grande majorité (94%)
. Au 11 juillet 2023, le HCR comptabilisait
6 440 réfugiés afghans qui étaient volontairement rentrés dans leur
pays depuis le début de l’année 2023
. L’Organisation
internationale pour les migrations (OIM) estime quant à elle qu’entre
le 1er janvier et le 17 juin 2023, au
moins 37 000 Afghans sans papiers sont rentrés en Afghanistan depuis
le Pakistan en empruntant les deux points de passage frontaliers
– un chiffre qui, selon l’Organisation, est très vraisemblablement
inférieur à la réalité
.
21. Le processus de retour dans le pays est onéreux: d’après le
bureau de l’OIM au Pakistan, au 3 juin 2023, le coût moyen du voyage
du Pakistan vers l’Afghanistan s’élevait à 58 619 PKR (206 USD)
par famille
. À leur arrivée,
la plupart des rapatriés dépendent d’une aide en espèces pour assurer
leur subsistance (acquisition de produits alimentaires et non alimentaires)
et d’un appui du dispositif de réintégration pour répondre à leurs besoins
immédiats: le montant de l’aide financière versée par le HCR aux
rapatriés en Afghanistan pour la seule période comprise entre janvier
et avril 2023 s’élevait à 621 000 USD.
22. Les Afghans rentrent en Afghanistan non pas parce qu’ils considèrent
que le retour dans leur pays constitue une solution durable, mais
parce qu’ils ont l’impression qu’il n’existe pas de solution durable
pour eux ailleurs, comme ils l’ont affirmé lors d’entretiens menés
par le HCR
. Des Afghans soutenus par l’Agence après
leur retour d’Azerbaïdjan que j’ai rencontrés pendant ma visite
en Afghanistan (pas dans le cadre de mon mandat en tant que rapporteur
de l’Assemblée) m’ont fait part de sentiments similaires. Il est particulièrement
préoccupant de constater que le manque de perspectives d’intégration
dans certains États membres du Conseil de l’Europe est à l’origine
de telles décisions de retour.
2.5. Des répercussions sur la région, en
particulier sur l’Iran et le Pakistan
23. Le Pakistan accueille des réfugiés
afghans depuis 43 ans, et il est devenu le premier pays d’asile
pour les Afghans qui quittent leur pays depuis 2021. Nous ne pouvons
que saluer cet immense effort des autorités. D’après des estimations
du HCR et d’ONG nationales, le Pakistan compterait plus de 4 millions
de réfugiés, ainsi qu’un grand nombre d’apatrides sans papiers,
dont beaucoup d’enfants non accompagnés. Toutefois, à ce jour, le
pays ne s’est toujours pas doté de quelconque loi, politique ou
dispositif précis permettant l’accueil d’une telle quantité de personnes,
et encore moins d’un système de gestion des nouveaux arrivants.
Quant à l’Iran, le HCR estime qu’en février 2023, le pays accueillait
4,5 millions d’Afghans au total, dont près de 2,1 millions de sans-papiers
, la très grande majorité de ces réfugiés
vivant dans des zones urbaines.
24. À eux deux, le Pakistan et l’Iran ont accueilli plus de 95%
des réfugiés afghans sur une période qui couvre trois générations.
Cette situation a pesé – et continue de peser – lourdement sur l’infrastructure
et les services publics de ces pays, qui dépendent très fortement
de l’aide internationale. Dans les deux pays, les enfants afghans
enregistrés auprès des autorités peuvent avoir accès à l’éducation
primaire et secondaire gratuitement. Depuis 2015, une décision officielle
a été prise permettant aux enfants afghans vivant en Iran d’accéder
à l’éducation primaire et secondaire quel soit leur statut administratif.
En Iran, toutes les personnes réfugiées afghanes ont accès aux soins
de santé primaires gratuitement. Au Pakistan, les Afghans sans papiers
n’ont pas accès au système de santé public, même si, dans la pratique,
certains professionnels du domaine leur permettent d’y accéder,
sur une base discrétionnaire
.
25. Parallèlement à l’arrivée d’Afghans à laquelle ils faisaient
face depuis la mi-2021, l’Iran et le Pakistan ont été victimes de
graves catastrophes naturelles, notamment des inondations dévastatrices,
qui ont touché quelque 33 millions de personnes en septembre et
en octobre 2002
. En outre, les deux
pays sont confrontés à d’importantes difficultés économiques, dont
une inflation à deux chiffres, à la hausse des prix de l’alimentaire qui
s’ensuit et à une instabilité politique.
26. Des retards considérables dans le traitement des dossiers
d’enregistrement sont venus aggraver l’arriéré accumulé au fil des
années, même si un nombre conséquent d’Afghans nouvellement arrivés
en Iran ou au Pakistan auraient été enregistrés auprès du HCR. Les
autorités nationales des deux pays font montre, en quelque sorte,
d’une certaine lassitude en ce qui concerne l’accueil de réfugiés:
l’enregistrement auprès de ces dernières est devenu plus compliqué
ou prend souvent plus de temps, et certains se voient tout simplement
refuser l’entrée sur le territoire ou font l’objet de retours forcés
si l’on découvre qu’ils se trouvent dans le pays sans papiers. On
déplore également des renvois à la frontière entre l’Afghanistan
et le Tadjikistan
.
27. En Iran, les autorités ont mené entre avril et juin 2022 une
opération d’enregistrement des ressortissants étrangers sans papiers,
dans le cadre duquel environ 2,6 millions de personnes
ont reçu une attestation
de recensement leur conférant une protection pendant trois mois.
D’après des organisations locales de défense des droits des réfugiés,
seul un petit pourcentage des Afghans nouvellement arrivés ont pu
être enregistrés dans ce contexte. Toute personne considérée comme
sans papiers peut être expulsée si elle se fait arrêter. Les personnes
enregistrées se voient remettre la carte Amayesh, qu’elles doivent
renouveler chaque année à leurs frais; or, souvent, elles n’en ont
pas les moyens
.
Par ailleurs, pour faire renouveler leur permis de travail, les
Afghans concernés doivent s’acquitter d’une somme d’environ 100 USD,
ce qui représente plus d’un mois de revenus. Il est important de
souligner que près de 50% des enfants ne possèdent pas de carte Amayesh:
l’absence de papiers d’identité peut se transmettre de génération
en génération.
28. Au Pakistan, 1,3 millions de réfugiés se sont vu délivrer
une carte d’identité à l’issue de l’Initiative de renouvellement
des documents et de vérification des informations (
Document Renewal and Information Verification
Exercise – DRIVE
) menée par le gouvernement
jusqu’au début de l’année 2022, en coopération avec le HCR. L’initiative
DRIVE concernait spécifiquement les réfugiés arrivés avant 2021
et qui avaient été enregistrés par le Gouvernement du Pakistan.
Ceux qui sont arrivés en 2021 et après restent dans une situation
incertaine
. En effet, d’après des informations
communiquées par le bureau du HCR au Pakistan, à la mi-janvier 2022,
le gouvernement pakistanais a demandé au HCR de renvoyer toutes
les demandes d’asile aux ministères compétents et de cesser de délivrer
des documents d’identité aux demandeurs d’asile. Les autorités pakistanaises
ont annoncé que les Afghans dont le visa était arrivé à expiration
et qui ne quittaient pas le pays avant le 31 décembre 2022 se verraient
infliger une amende ou seraient inscrits sur une liste noire – tout
en précisant, cependant, qu’il ne serait procédé à aucune expulsion,
ni à aucune incarcération, contrairement à ce qui avait été annoncé
quelques semaines plus tôt
.
Ces mesures créent un sentiment général d’insécurité au sein de
la communauté qui, de ce fait, est moins encline à se signaler lorsqu’elle
est dans le besoin ou à s’enregistrer auprès du HCR.
29. La réticence croissante des autorités iraniennes et pakistanaises
à laisser entrer les Afghans sur leur territoire se traduit par
un durcissement des conditions administratives pour franchir la
frontière, voire par des refoulements aux frontières, ce qui constitue,
pour les femmes en particulier, des obstacles – et des risques – supplémentaires
sur la route de l’exil. Concrètement, les visas pakistanais coûtent
cher (entre 7 et 1 200 USD). La plupart des Afghans voient leur
demande de visa rejetée et ne sont pas remboursés. Depuis juin 2022,
ils ne peuvent obtenir de visa que s’ils sont en possession d’une
lettre d’invitation émanant d’un ressortissant pakistanais, accompagnée
d’une copie de la carte d’identité de ce dernier.
30. Le Pakistan est souvent un pays de transit vers d’autres destinations,
notamment l’Europe. Les personnes qui souhaitent se rendre dans
ce pays pour y solliciter un visa pour un autre pays (notamment
un visa humanitaire) sont donc confrontées à d’autant plus de difficultés.
En outre, les renvois forcés et les expulsions n’ont pas cessé depuis
la prise de pouvoir des talibans. D’après le bureau du HCR au Pakistan,
on comptabilisait, au mois d’avril 2023, 4 331 expulsions vers l’Afghanistan
depuis 2021.
31. Les Afghans sont aussi confrontés à d’importantes difficultés
en Iran, notamment les refoulements. Chaque mois, des dizaines de
milliers d’afghans sans papiers sont expulsés. Le HCR estime par
exemple que 65 100 Afghans auraient été renvoyés en avril 2022.
Et, d’après la surveillance des frontières exercée par le HCR, environ
45 500 Afghans sans papiers ont été expulsés de l’Iran par les points
de passage frontaliers d’Islam Qala et de Zaranj pour le seul mois
d’avril 2023. En mars 2023, 61 970 Afghans auraient fait l’objet d’une
expulsion
.
En juillet 2023, selon un agent de police iranien, ce sont près
de 18 000 ressortissants afghans qui auraient été expulsés en l’espace
de deux semaines
.
2.6. Recommandation du HCR sur la cessation
des expulsions
32. En août 2021, le HCR a publié
une
Recommandation
sur la cessation des expulsions vers l'Afghanistan qui témoigne du niveau de risque auquel sont exposés
les civils dans ce pays. Le HCR attire l’attention sur un point
important, à savoir qu’il ne serait pas non plus approprié de renvoyer
les Afghans vers des pays voisins de l’Afghanistan tels que l’Iran
et le Pakistan, qui «accueillent généreusement la très grande majorité
des réfugiés Afghans depuis des décennies».
33. Certaines autorités étatiques affirment parfois que les demandes
de protection de bon nombre d’Afghans qui se rendent en Iran ou
au Pakistan ne sont pas fondées et que ces personnes émigrent souvent pour
échapper à une situation économique extrêmement difficile. C’est
là un argument souvent avancé à l’égard des hommes afghans, notamment
les très jeunes adultes. Si cet argument vaut en partie, il est
tout aussi vrai que le risque d’être confronté à l’extrême pauvreté
et à la faim si l’on retourne dans son pays peut constituer une
raison légitime de rechercher des meilleures conditions de vie ailleurs.
3. La réponse européenne: une crise des
réfugiés oubliée
3.1. Des déclarations fortes dès août 2021
34. En août 2021, plus de 100 pays,
dont au moins 41 des États membres du Conseil de l’Europe, se sont engagés
à soutenir le départ sûr et organisé des ressortissants étrangers
et des Afghans souhaitant quitter le pays et à tout mettre en œuvre
pour garantir un tel départ, en appelant toutes les parties prenantes
à faire respecter cet engagement et à faciliter ces opérations
.
35. Le 23 août 2021, la présidente du Conseil consultatif des
juges européens a appelé «les autorités compétentes des États membres
du Conseil de l'Europe à veiller à̀ ce que des mesures efficaces
soient prises pour assurer les déplacements en toute sécurité, la
mise à l’abri et la protection des juges et autres professionnels
du droit afghans, ainsi que des membres de leurs familles, qui ont
des craintes fondées de persécution dans leur pays
.»
36. Entre le 15 et le 31 août 2021, plus de 122 000 personnes
ont été évacuées dans le cadre de ce que plusieurs médias ont décrit
comme l’un des plus importants ponts aériens de l’histoire
. Peu
de temps après, de nombreux pays dans le monde, dont plusieurs États
membres du Conseil de l’Europe, ont annoncé la mise en place de
systèmes de visas spécifiques pour les Afghans.
37. La publication de la recommandation du HCR sur la cessation
des expulsions a poussé la plupart des États membres du Conseil
de l’Europe à mettre un terme aux expulsions d’Afghans, y compris
les personnes sans papiers. L’OIM et Frontex ont suspendu toutes
les activités visant à faciliter ou à accompagner les opérations
de retour. À ma connaissance, seule la Türkiye a maintenu un programme
de retour volontaire et renvoie régulièrement des Afghans via des
vols charters et commerciaux (sur Ariana Afghan Air) vers l’aéroport
de Kaboul.
38. En octobre 2021, la Commission européenne a organisé un Forum
de haut niveau sur la protection des ressortissants afghans en danger,
dans le but de coordonner les initiatives dans ce domaine, jusque-là
menées unilatéralement, afin de mettre en place des voies d’accès
suffisamment sûres et légales à l’intention des Afghans considérés
les plus à risque
.
Au mois d’avril 2022, les États membres de l’Union européenne ont déclaré
à la Commission européenne que près de 28 700 admissions à titre
humanitaire avaient été effectuées, sur les 36 000 annoncées pour
2021/2022. Ces chiffrent englobent les Afghans évacués pendant le
pont aérien exceptionnel d’août 2021.
39. De nombreux pays européens ont autorisé les demandeurs d’asile
déboutés et les Afghans laissés sans papiers ou bénéficiant d’une
forme de protection temporaire à soumettre une nouvelle demande
d’asile sur la base de la situation actuelle en Afghanistan. En
outre, il est important de souligner qu’en Suède, en Finlande et
au Danemark, les femmes afghanes sont désormais considérées comme
un groupe social particulièrement vulnérable et éligible à une forme
de protection car les renvoyer Afghanistan les exposerait à des
persécutions systémiques et systématiques fondées sur le genre.
Ces deux approches sont conformes aux conclusions de l’AUEA publiées
en janvier 2023.
3.2. La difficulté de concrétiser les engagements
pris
40. Les évacuations auxquelles
il a été procédé ont eu lieu sur un court laps de temps, dans des circonstances
exceptionnelles. Elles concernaient essentiellement les ressortissants
des États-Unis, de ses alliés et ceux de l’Afghanistan qui coopéraient
avec ces forces étrangères ou travaillaient pour elles. La procédure
habituelle pour les demandes de visa, y compris pour les situations
d’urgence, a été rétablie peu de temps après, mais la plupart des
ambassades occidentales – et notamment européennes – avaient fermé
à Kaboul, aucun service consulaire ou presque n’étant plus assuré
dans la ville.
41. Pour pouvoir bénéficier d’une protection, les Afghans doivent
généralement se rendre au Pakistan et, dans une moindre mesure,
en Iran. Mais il est pratiquement impossible, pour bon nombre des
personnes pouvant prétendre à une protection internationale, de
quitter l’Afghanistan. En effet, pour franchir la frontière avec
le Pakistan, il faut au minimum un passeport et, le plus souvent,
un visa. Or, l’obtention de ces deux documents peut coûter plusieurs
milliers de dollars américains. Pour les Afghans qui ont les moyens
de voyager, le délai l’obtention d’un rendez-vous et le traitement
du dossier peut être de plusieurs mois, voire de plusieurs années.
De plus, avant de pouvoir être orientés vers les ambassades, les
réfugiés doivent être enregistrés auprès du HCR, que ce soit au
Pakistan ou en Iran. Pour pouvoir franchir ces différentes étapes, il
est nécessaire d’avoir des ressources financières, un logement et
un permis de séjour, même temporaire. Les femmes doivent en outre
être accompagnées par un homme lors du voyage; si elles voyagent
seules, elles ont plus de risques de se faire arrêter en Afghanistan,
d’être refoulées à la frontière ou d’être victimes d’abus en cours
de route.
42. Les délais de traitement des demandes au Pakistan et, dans
une moindre mesure, en Iran, sont trop longs, ce qui incite les
réfugiés à rechercher des alternatives aux voies régulières pour
pouvoir aller de l’avant. N’oublions pas que les Afghans représentent
une large proportion des personnes qui meurent sur la route vers l’Europe
ou qui sont bloquées dans les «hotspots».
43. La plupart des pays rejettent les demandes de visa humanitaire
et les demandes introduites sur la base d’autres motifs légaux (tels
que le regroupement familial ou le parrainage de réfugiés) si les
personnes concernées se trouvent encore en Afghanistan. Celles-ci
doivent quitter le pays et prendre rendez-vous dans une ambassade
encore en activité à l’étranger. Par ailleurs, le principe de l’octroi
systématique du droit d’asile aux femmes afghanes au Danemark, en
Finlande et en Suède ne s’applique pas si les demandes de visa sont déposées
dans les consulats de ces pays: les femmes concernées doivent déjà
se trouver dans l’un de ces pays pour soumettre leur demande.
44. Enfin, il faut reconnaître que les efforts sincères déployés
ces deux dernières années pour traiter des milliers de dossiers
le plus rapidement possible ont été largement insuffisants face
à l’ampleur des besoins en matière de protection. S’agissant des
pays de l’Union européenne, 17 États membres se sont engagés à accueillir
65 000 personnes, dont 17 000 aux fins d’une réinstallation, entre
2021/2022
et
2023
.
Ces chiffres contrastent nettement avec l’estimation du nombre d’Afghans
présents en Türkiye (600 000, la plupart n’étant pas enregistrés).
Dans un récent rapport, l’International Rescue Committee a attiré
l’attention sur le fait que seuls 271 Afghans avaient été réinstallés
dans un État membre de l’Union européenne au cours de l’année 2022
. La suspension par les autorités
allemandes de leur programme d’admission en mars 2023, à la suite de
suspicions d’abus, est un exemple des difficultés auxquelles se
heurtent les autorités nationales dans la mise en œuvre concrète
de procédures administratives sûres
.
3.3. La peur des Afghans en Europe: taux
de protection variables et refoulements
45. Le taux de reconnaissance en
première instance pour les Afghans est très variable selon le pays d’Europe
dans lequel ils se trouvent
: en
2022
,
il était compris entre 16% en Suisse et 100% au Portugal. D’après
l’AUEA, dans l’ensemble, le taux de protection accordée aux demandes
émanant d’Afghans a diminué dans les pays européens depuis 2021
(le taux de reconnaissance renvoie ici aux formes de protection réglementées
par l’Union européenne). Cette situation doit continuer de nous
préoccuper et illustre, à tout le moins, l’absence d’approche commune
dans le traitement des demandes d’asile en violation des normes
de l’Union européenne. La protection subsidiaire accordée aux Afghans
ne leur confère que des droits limités, y compris en ce qui concerne
le regroupement familial.
46. Autre fait tout aussi saisissant, si ce n’est plus: certains
Afghans sont déboutés de leur demande d’asile mais ne peuvent pas
être expulsés car ils seraient alors exposés à des risques de violence
indiscriminée. La situation des mineurs non accompagnés est aussi
particulièrement préoccupante: certains ne sont parfois pas enregistrés
en tant que bénéficiaires d’une protection internationale et se
retrouvent en situation irrégulière à leurs 18 ans s’ils ne déposent
pas une demande d’asile à ce moment-là, quand bien même ils vivraient
dans un pays d’Europe depuis des années. S’ils ne sont pas enregistrés,
ils risquent aussi d’être exclus des processus de regroupement familial
mis au point pour les réfugiés.
47. Il semblerait que ce soient souvent le bien-fondé et la crédibilité
des demandes de protection, et, dans de rares cas, une discrimination
sous-jacente fondée sur des préjugés liés à l’appartenance ethnique
ou aux croyances religieuses, qui soient en cause dans ces processus.
Les Afghans, et en particulier les hommes afghans, sont davantage
perçus comme des personnes fuyant la pauvreté et des conditions
socio-économiques extrêmement difficiles, plutôt qu’un conflit et
des violations des droits humains, contrairement aux Syriens et
aux Ukrainiens, par exemple. Cette perception porte aussi à conséquence
sur le soutien matériel disponible pour les Afghans en exil. S’exprimant
à l’occasion d’un événement organisé conjointement par la Banque
de Développement du Conseil de l'Europe (CEB) et l’Organisation
de coopération et de développement économiques (OCDE) sur l’intégration
locale des réfugiés, le chef de mission de l’OIM en Pologne a souligné
que l’affectation de fonds au soutien des réfugiés ukrainiens empêchait
les autres communautés de réfugiés et de migrants dans le besoin
de bénéficier de ces programmes d’aide
. Ces considérations
peuvent également s’appliquer en Türkiye, où la plus grande partie
des fonds perçus, émanant essentiellement de subventions de l’Union
européenne, bénéficie aux réfugiés syriens, qui représentent la
plus grande communauté de réfugiés dans le pays
.
48. Au fil des années, les Afghans sont devenus l’une des principales
populations sollicitant une protection en Europe. Cependant, ils
ne cessent d’être refoulés un peu partout sur le continent, notamment
aux frontières entre la Türkiye et l’Iran, entre la Türkiye et la
Grèce
, entre le Bélarus et la Pologne
, et au sein des Balkans occidentaux
.
D’après des données émanant du Conseil danois des réfugiés, 40%
des personnes refoulées identifiées par l’organisation en 2021 étaient
afghanes
.
49. Il est important de souligner que certains pays ont décidé
de ne pas respecter la recommandation du HCR appelant à mettre un
terme aux expulsions. C’est notamment le cas de la Türkiye depuis
laquelle les vols retours vers Kaboul ont repris depuis le début
de l’année 2022. Les autorités turques m’ont assuré que ces retours
n’étaient pas forcés et ne concernaient que les hommes afghans arrêtés
en situation irrégulière. Selon des statistiques officielles communiquées
par la Présidence de la gestion des migrations
, plus de 57 000 Afghans
ont ainsi été renvoyés en 2022. En avril 2023, lors de ma visite
à Ankara, 22 vols de retour vers l’Afghanistan avaient eu lieu depuis
le début de l’année. D’après des chiffres officiels, 773 Afghans
ont été expulsés entre le 2 et le 8 juin 2023
. Le représentant
du HCR que j’ai rencontré en Türkiye s’est dit préoccupé par cette
accélération du rythme des retours par rapport à 2022.
50. La Türkiye est le pays d’Europe qui accueille le plus grand
nombre de réfugiés afghans, ce qui s’explique essentiellement par
sa situation géographique. Selon la Présidence de la gestion des
migrations, elle compterait quelque 142 000 Afghans enregistrés
– un chiffre bien inférieur aux estimations concernant le nombre
total d’Afghans vivant dans le pays, qui se situerait entre 400
000 à 600 000, la plupart de ces personnes n’étant pas enregistrées
et n’ayant donc pas accès à des droits ni à la protection contre
l’expulsion en cas d’arrestation.
51. Il m‘est d’avis que, tout comme les autres demandeurs d’asile,
les Afghans devraient avoir accès à des formes d’emploi régulier
pour pouvoir subvenir à leurs besoins, plutôt que de dépendre de
leurs communautés et pays d’accueil. Pendant ma visite en Türkiye,
en avril 2023, les responsables, les représentants d’organisations
internationales et les acteurs de la société civile que j’ai rencontrés
ont souligné que les Afghans étaient considérés comme une force
de travail précieuse qui accepte souvent des emplois délaissés par
les travailleurs turcs (bergers, mécaniciens).
4. Protéger les Afghans en Europe
4.1. Cesser les renvois forcés vers l’Afghanistan
53. Selon l’AUEA, le nombre d’Afghans soumettant une première
demande de protection internationale dans des pays de l’UE+ a doublé
entre 2020 et 2021, et le nombre de nouvelles demandes a aussi augmenté. En
2022, les Afghans ont représenté la deuxième population ayant soumis
le plus grand nombre de demandes d’asile dans des pays de l’Union
européenne, derrière les Syriens. L’AUEA souligne en outre qu’en
2022 le nombre de demandes émanant de ressortissants syriens et
afghans avait été à son niveau le plus élevé depuis 2016
.
54. Le risque de persécution – au sens de la Convention de Genève
relative au statut des réfugiés – auquel sont confrontés les Afghans
qui demandent une protection internationale peut être évalué de
façon variable selon les États membres. Cependant, je suis d’avis
que le fait de renvoyer ces personnes en Afghanistan risque de les
exposer à des violations des leurs droits économiques et sociaux,
voire de leurs droits civils et politiques. Il est donc essentiel
de respecter la Note d’orientation du HCR sur les besoins de protection internationale
des personnes fuyant l’Afghanistan, mais aussi de surveiller les
renvois auxquels il est malgré tout procédé afin d’évaluer leur
durabilité et de vérifier si, dans la pratique, les droits des personnes
ainsi rapatriées sont respectés.
4.2. Prévenir et sanctionner les refoulements
55. Les initiatives visant à empêcher
les individus, notamment les Afghans, de demander l'asile sur le territoire
européen doivent prendre fin immédiatement et faire l'objet de poursuites
judiciaires. À cet égard, la Cour européenne des droits de l’homme
a récemment déclaré recevables certaines affaires ayant trait à
des allégations de refoulements d’Afghans à la frontière entre la
Pologne et le Bélarus
,
sachant qu’elle avait déjà ordonné la mise en œuvre de mesures provisoires
pour mettre un terme aux refoulements d’Afghans arrêtés à cette
même frontière en août 2021
.
56. En 2022, l’Assemblée a voté en faveur de la prévention des
refoulements et de l’imposition de sanctions à cet égard, conformément
à la
Résolution 2462
(2022) «Renvois sur terre et en mer: mesures illégales de gestion
des migrations». Les parlementaires devraient donner suite à cette
résolution et veiller à ce qu’«une évaluation individuelle des besoins
de protection et du caractère sûr d’un retour» soit menée en vue
de prévenir toute violation de l’article 3 de la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 5), et
de l’interdiction des expulsions collectives consacrée à l’article 4
du Protocole n° 4 à la Convention (STE no 46).
57. Les autorités étatiques devraient tout mettre en œuvre pour
faciliter l’accès à des mécanismes de suivi indépendants dans les
régions où l’on sait que les personnes en situation de déplacement
se rendent, notamment les régions frontalières, comme le recommande
le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines
ou traitements inhumains ou dégradants (CPT).
4.3. Améliorer les voies d’accès à la protection
pour les Afghans en Europe
58. Le fait d’allouer des ressources
limitées, voire restreintes, au HCR ou à la réinstallation des réfugiés limite
forcément le nombre de réfugiés pouvant avoir des perspectives de
protection à long terme. Dans un contexte où le nombre de réfugiés
et de déplacés internes nécessitant une protection urgente ne cesse d’augmenter,
cette situation n’est pas tenable et entraîne inévitablement une
sorte de priorisation de certaines communautés par rapport à d’autres
– ce qui doit être évité à tout prix.
59. S’agissant plus particulièrement des Afghans, je demande instamment
aux États membres de s’entendre sur des critères communs pour le
traitement des dossiers et d’allouer davantage de ressources pour
améliorer effectivement l’accès à la réinstallation et à des voies
alternatives pour l’obtention d’une protection, en particulier pour
les femmes et les filles. Il
faudrait, pour cela, affecter davantage de ressources humaines et
financières au traitement des dossiers de réinstallation dans les
consulats, mais aussi dans les capitales des États membres, de sorte
à pouvoir augmenter les quotas et à ce que les dossiers puissent
être traités dans des délais appropriés (administrations et tribunaux
chargés de l'asile, services d’interprétation, accès à l'aide juridictionnelle).
En effet, actuellement, le délai de traitement des demandes de visa
soumises par les Afghans – pour ceux qui ont la chance de voir leur
dossier examiné par les services consulaires d’un État membre –
est de plusieurs mois, voire de plusieurs années.
60. Les procédures relatives à la réinstallation et aux visas
humanitaires devraient être assouplies pour les femmes et les filles,
conformément à la Recommandation
CM/Rec(2022)17
sur la protection des droits des femmes et des filles migrantes,
réfugiées et demandeuses d'asile, et en particulier à son paragraphe 64, qui encourage
les États membres «à financer une assistance spécifique et des programmes
humanitaires de réinstallation pour les femmes et les filles victimes
ou à risque de violence à l’égard des femmes ou de traite des êtres
humains, y compris la traite à des fins d’exploitation sexuelle.»
4.4. Protéger les enfants afghans en situation
de déplacement
61. Les États membres devraient
coordonner leurs pratiques avec celles de l’Union européenne et
adopter une approche commune du regroupement familial et de la réinstallation
des Afghans. En outre, des mesures devraient être prises pour garantir
que tous les enfants afghans sont enregistrés en tant que personnes nécessitant
une protection internationale, afin qu’ils puissent rejoindre les
membres de leur famille dans d’autres pays dans le cadre du regroupement
familial – dans tous les cas où cela est possible.
62. L’absence d’approche harmonisée entre les États européens
renforce le risque de disparitions d’enfants non accompagnés. Selon
l’AUEA, en 2021, le nombre absolu de demandes d’asile soumises dans
des pays de l’Union européenne par des enfants afghans non accompagnés
(plus de 12 600) n’avait jamais été aussi élevé depuis 2015-2016
et représentait près de la moitié des demandes émanant d’enfants
non accompagnés dans les pays de l’UE+ en 2021
.
63. Les États membres, en coopération avec la Représentante spéciale
de la Secrétaire générale du Conseil de l’Europe sur les migrations
et les réfugiés notamment, devraient réfléchir à des mesures communes et
à des politiques coordonnées de promotion de bonnes pratiques permettant
de protéger les droits des mineurs non accompagnés et des enfants
en transition vers l’âge adulte.
4.5. Des formes alternatives d’enregistrement
pour les Afghans qui ne peuvent être renvoyés
64. Il y a, en Europe, de nombreux
Afghans dépourvus de papiers d’identité, soit parce que leur pays d’accueil
prétend que leur dossier devrait être traité par un autre État européen,
soit parce qu’ils sont devenus majeurs après avoir passé un certain
temps dans un pays européen sans y être enregistrés. Bien entendu,
il y a aussi parfois des cas où les Afghans ne souhaitent pas s’enregistrer
dans un pays d’Europe qu’ils considèrent comme un pays de transit,
et non un pays de destination. Cependant, chaque fois que possible,
il conviendrait de s’assurer que ces personnes se voient proposer
une forme d’enregistrement sur notre continent afin d’éviter, autant
que faire se peut, qu’elles ne se retrouvent dans une impasse administrative
en raison de l’absence de papiers d’identité et de l’impossibilité
de les renvoyer chez elles. L’adoption de telles mesures, qui devrait
être considérée comme une priorité, est tout particulièrement importante
pour les enfants afghans non accompagnés et les jeunes adultes afghans.
65. Dans le cas des personnes déboutées de leur demande de protection,
il peut être utile d’envisager des formes alternatives de séjour
légal en attendant qu’un retour dans des conditions acceptables
sur le plan des droits humains soit possible. En Türkiye, par exemple,
la plupart des Afghans ne sont pas enregistrés, alors que, comme
le reconnaissent les autorités, leur participation à la force de
travail est absolument nécessaire et appréciée dans le pays.
66. Ainsi, pour respecter la Note d’orientation du HCR sur les
besoins de protection internationale des personnes fuyant l’Afghanistan,
et en cas de rejet d’une demande de protection temporaire après
examen juste et équitable du dossier individuel, les pays d’accueil
pourraient délivrer aux Afghans une sorte de permis de travail (temporaire
ou saisonnier) dans des secteurs en manque de main d’œuvre.
4.6. Une véritable solidarité entre les
États membres pour l’accueil des Afghans
67. Ma visite en Türkiye m’a permis
de prendre clairement conscience des principales difficultés auxquelles sont
confrontés les pays européens, notamment les premiers pays d’asile.
Les États membres de l’Union européenne ne peuvent pas attendre
de la Türkiye et des pays situés en première ligne qu’ils relèvent
et gèrent à eux seuls les défis liés à la protection et à l’accueil
de personnes forcées de se déplacer en raison d’une crise dans leur
pays, comme le peuple afghan actuellement.
68. Des mécanismes concrets de réinstallation et de regroupement
familial doivent être créés et mis en place rapidement. Le plan
de réinstallation adopté par le Gouvernement slovène en janvier
2023, qui visait à faciliter la réinstallation de 50 réfugiés afghans
et syriens en Slovénie et qui a bénéficié du soutien du Fonds de
l’Union européenne pour l’asile, les migrations et l’intégration,
est l’un des rares exemples concrets de solidarité dans ce domaine
.
Ce type d’initiative devrait être étendu et développé à plus grande
échelle dans les États européens.
69. Il est absolument nécessaire d’apporter un soutien durable
à la CEB pour lui permettre de développer ses activités dans les
pays et régions d’accueil. Les divers centres d’accueil, hôpitaux
mais aussi programmes de cohésion sociale financés par les subventions
de la Banque le long des routes empruntées par les migrants et les
réfugiés, ou dans les endroits où ils cherchent à se réfugier, sont
des exemples concrets de l’engagement du Conseil de l’Europe, qui
ont pu voir le jour grâce à l’immense soutien de l’Union européenne également,
pour garantir le maintien de la solidarité et l’accès effectif aux
droits. Ces programmes sont essentiels et sont au cœur de la mission
de la Banque.
5. Une feuille de route sur l’Afghanistan
applicable hors des frontières européennes pour les États membres
5.1. Reprise des services consulaires à
Kaboul
70. L’isolement diplomatique bloque
l’accès aux procédures de visas pour les Afghans exposés à un risque de
persécution et/ou éligibles au regroupement familial, et notamment
les femmes ainsi que les personnes figurant sur une liste de personnes
recherchées en raison de leur activité professionnelle ou de leur appartenance
à un groupe ethnique, religieux ou social particulier. Les États
membres pourraient réfléchir ensemble à des moyens de résoudre ce
problème, par exemple en centralisant le dépôt de demandes de visa dans
une ou plusieurs ambassades ou consulats et en facilitant le traitement
de ces demandes selon une même approche fondée sur des informations
sur les pays d’origine et des normes communes concernant l’Afghanistan.
Une coordination avec l’AUEA et le HCR pourrait être envisagée pour
engager des discussions avec les autorités nationales favorables
à une telle coopération.
71. Une partie des conditions imposées aux Afghans pour le dépôt
de demandes de visa (à titre humanitaire, ou dans le cadre du regroupement
familial) devrait être assouplie car il est impossible, dans la
pratique, de satisfaire à certains critères (données biométriques
); il faudrait en outre prendre des mesures
pour alléger certains coûts pour les migrants les plus vulnérables
(éventuellement en affectant des fonds spécifiques au soutien aux
personnes très vulnérables et démunies). L’expertise du Conseil
de l’Europe peut être utile à cet égard, notamment dans les cas
où le bagage éducatif doit être évalué pour faciliter le traitement
des demandes de visas d’étudiants ou l’obtention de bourses proposées
par certains établissements d’éducation. En effet, dans le cadre
du projet Passeport européen des qualifications pour les réfugiés
, en 2021, l’Organisation a conçu
des outils de formation destinés à faciliter l’évaluation de l’éducation
formelle et informelle en Afghanistan
. Le Passeport
peut ainsi fournir une base pour la délivrance, à l’issue d’une
évaluation spécifique du parcours scolaire, de certificats par les
consulats, dans le cadre du traitement des demandes de visa, et
ce, depuis Kaboul, ou sinon, depuis Islamabad et Téhéran.
5.2. Soutenir la société civile locale
et surveiller la situation relative aux droits humains
72. Il est extrêmement important
de souligner qu’au niveau local, un réseau modeste – mais solide
– d’acteurs de la société civile continue de mener ses activités,
parfois de façon souterraine dans un contexte très sensible, assurant,
dans les régions rurales et urbaines, des services essentiels à
l’intention des Afghans, y compris un soutien psycho-social, ce
qui est fondamental dans le cas des personnes déplacées de force
et des communautés persécutées. Les acteurs locaux ont été profondément
touchés par le gel des actifs de la Banque centrale d’Afghanistan.
Contrairement aux OING, les acteurs de la société civile locaux
et indépendants sont confrontés à des défis de taille pour accéder
à des financements et les conserver. Comme le suggère le Conseil
de sécurité des Nations Unies dans sa Résolution 2626 (2022), je
pense que les États membres devraient envisager de soutenir la société
civile afghane locale, en particulier les acteurs qui assurent des
services destinés aux femmes et aux filles (éducation, foyers pour
femmes, soutien psycho-social). Il faudrait se concentrer tout particulièrement
sur le financement des programmes éducatifs: l’accès à l’éducation,
en particulier pour les femmes et les filles, posait déjà problème
en Afghanistan bien avant 2021, et il n’y a tout simplement pas
assez d’écoles dans le pays, notamment dans les régions rurales.
La diversité du leadership des autorités locales dans différents
domaines pourrait offrir une certaine marge de manœuvre pour soutenir
des améliorations sectorielles, notamment dans le domaine des droits
des femmes.
73. Le Conseil de l’Europe, en tant qu’organisation partageant
son expertise dans la promotion générale des instruments et outils
de défense des droits humains, peut lui-même s’engager en faveur
du peuple afghan en Afghanistan sur le long terme. En l’absence,
à l’heure actuelle, d’autorité étatique avec laquelle coopérer,
on pourrait envisager une coopération entre l’Organisation et les
Nations Unies, qui uniraient ainsi leurs forces pour la mise en
œuvre des programmes axés sur des domaines essentiels, tels que
l’éducation générale ou la prévention contre la violence fondée
sur le genre et la violence domestique, et conçus dans le cadre
des activités de coopération extérieure des États membres.
74. En outre, les représentations extérieures des États membres
pourraient faciliter le suivi des retours vers l’Afghanistan et
s’assurer que les retours constituent une solution sûre, notamment
au regard des obligations découlant de l’article 3 de la Convention
européenne des droits de l’homme. Dans l’idéal, ce suivi devrait
être assuré de façon complémentaire et en coordination avec la surveillance
des frontières exercée par le HCR et l’OIM, ainsi qu’avec les initiatives
menées par le Service européen d’action extérieure et les comités
du Conseil de l’Europe s’occupant des questions relatives à la traite
des êtres humains, la violence à l’égard des femmes et des filles
et la prévention contre la torture et les traitements inhumains
ou dégradants.
75. Un tel suivi pourrait livrer de précieuses informations sur
les besoins en matière de réinstallation et sur l’approche que les
États membres pourraient adopter pour les programmes de coopération
extérieure. Il pourrait aussi contribuer très utilement aux Rapports
d’information sur les pays d’origine concernant l’Afghanistan adoptés
par chaque État membre ainsi que par l’AUEA.
5.3. Nouer le dialogue avec les autorités
de fait en Afghanistan – Donner une chance à la voie diplomatique
76. L’Afghanistan est toujours
partie à certaines conventions des Nations Unies, notamment la Convention sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des
femmes, la Convention relative aux droits de l’enfant et la Convention
contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants et son Protocole facultatif. Indéniablement, une grande
partie des décisions prises par les autorités de fait porte directement
atteinte à ces traités. Cependant, le suivi de la mise en œuvre
des conventions des Nations Unies est le seul outil à disposition
pour continuer de surveiller les autorités de fait. Les consulats
peuvent aussi, en tant que représentations extérieures des États
membres, contribuer au suivi de la situation relative aux droits humains
en Afghanistan.
77. Le fait de maintenir l’Afghanistan au sein du système international
des droits de l’homme est indispensable pour le peuple afghan.
Toutefois, comme le souligne notre collègue Sir Tony Lloyd dans
son rapport, «[m]ême si le dialogue avec les talibans est nécessaire,
il devrait se limiter à un engagement prudent, pragmatique et opérationnel;
tout éventuel renforcement de cet engagement devrait être subordonné
à un certain nombre d'exigences.
»
78. Je suis profondément convaincu, après avoir mené des travaux
de recherche et échangé avec de nombreux acteurs à Kaboul, notamment
le Groupe consultatif des femmes et de hauts représentants des Nations
Unies, que les États membres devraient trouver un moyen de nouer
le dialogue avec les autorités de fait. J’ai moi-même eu l’occasion
de rencontrer les talibans pendant une visite organisée en coopération
avec les Nations Unies à Kaboul. Soyons clairs: «nouer le dialogue»
ne signifie pas «reconnaître». Cependant, il est essentiel de communiquer
pour épargner des souffrances supplémentaires au peuple afghan.
79. En effet, le fait d’isoler l’Afghanistan de la communauté
internationale ne pourra que nuire à la population. Aussi suggèrerais-je
de donner une chance à la voie diplomatique, en conditionnant la
mise en œuvre de cette solution au respect absolu des droits humains:
les États membres devraient exercer une pression diplomatique sur
les autorités de fait pour induire un changement politique qui viserait
notamment à garantir le plein respect des droits des femmes et des
filles. La diplomatie peut soulever des montagnes.
80. Le Comité des Ministres pourrait discuter et convenir d’une
telle approche, en fournissant un cadre et un ensemble clair de
conditions selon lesquelles les États membres du Conseil de l'Europe
pourraient engager une certaine forme de dialogue avec l'administration
intérimaire en Afghanistan. Ce cadre et ces conditions devraient
naturellement s’adosser à un respect inconditionnel des droits humains
des femmes et des filles, notamment l’accès sans entrave à l’éducation
et à l’emploi, ainsi qu’au respect des droits de tous les groupes ethniques,
religieux et minoritaires.
5.4. Une assistance indispensable: augmenter
le financement et rétablir l’aide au développement
81. Ces deux dernières années,
de nombreuses initiatives ont été prises, dans des conditions très
difficiles, pour soutenir le peuple afghan: pas moins de 65 partenaires
(organisations internationales, agences des Nations Unies, ONG locales,
nationales et internationales) participent au Plan régional d’intervention
en faveur des réfugiés afghans, qui couvre le Turkménistan, le Pakistan,
l’Iran, le Tadjikistan et l’Afghanistan. L’aide est dispensée de
façon unilatérale (trains caritatifs affrétés par la Türkiye, par
exemple
) ou régionale dans le cadre
de l’assistance humanitaire (le soutien de l’Union européenne et
de ses États membres s’élève à 1,6 milliards € depuis l’été 2021,
par exemple) ou par le biais d’initiatives privées.
82. La coopération et l’aide extérieures dont sont convenus les
États membres devrait continuer de bénéficier aux OING, aux organisations
internationales et à leurs partenaires de mise en œuvre, dont l’action en
Afghanistan, mais aussi au Pakistan et en Iran, a un impact considérable.
Cependant, les fonds versés sont largement insuffisants. En mars 2023,
le HCR et ses partenaires humanitaires ont lancé le Plan régional d’intervention
en faveur des réfugiés afghans, avec pour objectif de venir en aide
à 5,2 millions d’Afghans et leurs communautés d’accueil en Iran,
au Pakistan, au Tadjikistan, au Turkménistan et en Ouzbékistan.
À la mi-mai 2023, le plan n’était financé qu’à hauteur de 13%.
83. D’après le PNUD, il faut s’attendre à une diminution alarmante
du soutien à ces populations: sur 127 organisations internationales
interrogées, 94% ont déclaré avoir totalement ou partiellement cessé
leurs activités dès que l’interdiction de travailler pour des ONG
ou des organisations internationales a été imposée aux femmes, en
décembre 2022, et 150 ONG et agences d’aide ont suspendu tout ou
partie de leurs activités
.
Le PNUD attire l’attention sur le fait qu’en 2023, l’aide humanitaire
destinée à l’Afghanistan va baisser en raison de la restriction
des droits des femmes, le plan d'intervention humanitaire 2023 bénéficiant d’un
montant de financement nettement inférieur comparé à la même période
en 2022.
84. Le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et
Coordonnateur des secours d'urgence au Bureau de la coordination
des affaires humanitaires (OCHA), que j’ai rencontré à New York
en mars 2023, a reconnu qu’un dialogue politique avec les forces
politiques au pouvoir en Afghanistan était nécessaire. Il a aussi
souligné que la Résolution S/RES/2626 (2022) du Conseil de sécurité
des Nations Unies évoquait le fait que les États membres des Nations
Unies devaient «soutenir les efforts visant à̀ faciliter l’accès
aux actifs appartenant à̀ la Banque centrale d’Afghanistan au profit
du peuple afghan» et aider à fournir des «services essentiels à
la population afghane et contribuer à la création de conditions
économiques et sociales pouvant conduire à̀ l’autonomie et à la
stabilité.». Dans l’esprit de cette résolution, il conviendrait
de passer progressivement d’une approche humanitaire à une approche
axée sur le développement, qui serait le seul moyen de soutenir
les Afghans sur le long terme. Elle consisterait notamment à favoriser
la conduite d’activités génératrices de revenus durables, en particulier
dans le secteur agricole.
6. Conclusions
85. La gravité de la situation
en Afghanistan et la pression exercée sur les premiers pays d’asile
sont telles que le HCR a maintenu son appel aux États membres à
s’abstenir de tout retour forcé tant en Afghanistan que dans les
pays de la région. Les autorités de fait et des acteurs non étatiques
continuent de persécuter des minorités religieuses et ethniques,
les membres de la communauté LGBTQIA+ et les femmes, et les décisions prises
par le régime auto-proclamé ne laissent aucun doute quant à l’intention
des talibans de mener une guerre contre les femmes.
86. Le présent rapport a pour but de montrer clairement l’extrême
vulnérabilité du peuple afghan, dans son pays mais aussi à l’extérieur
de celui-ci, tant dans les États européens que dans les premiers
pays d’asile, situés dans la région de l’Afghanistan. Il rend également
compte des initiatives prises par les États membres pour protéger
les réfugiés afghans, tout en évoquant les limites de ces réponses,
le taux de reconnaissance pour les Afghans restant très variable
en Europe.
87. L’Afghanistan se classe au troisième rang mondial des pays
comptant le plus grand nombre de ressortissants déplacés de force.
Pourtant, la crise prolongée des réfugiés afghans reste largement
sans réponse; elle peut même sembler oubliée. Du rejet des demandes
de protection aux refoulements, les obstacles physiques et administratifs
auxquels se heurtent les réfugiés afghans qui parviennent à quitter
leur pays d’origine, en quête de sécurité, et à reconstruire leur
vie ne sont pas compatibles avec le point de vue consensuel selon
lequel il ne peut y avoir de retour durable et digne en Afghanistan
pour le moment.
88. Les États membres devraient reconnaître d’urgence que toute
approche structurelle de la crise des réfugiés afghans doit reposer
sur des formes pérennes – et non temporaires – de protection en
Europe, en attendant que les Afghans qui souhaitent retourner dans
leur pays puissent le faire de façon durable et dans la dignité.
Les normes et outils du Conseil de l’Europe fournissent un cadre
sur lequel s’appuyer pour construire une approche structurée de
la protection et de l’intégration des Afghans en Europe, qui soit
fondée sur les droits humains.
89. Certains de ces outils et normes, tels que le Passeport européen
des qualifications des réfugiés, peuvent aussi faciliter l’engagement
extérieur des États membres et la coordination de leur action dans
le processus de réinstallation et de traitement des demandes de
visa, qui constitue l’un des principaux obstacles auxquels sont
confrontés les réfugiés afghans qui sollicitent une protection internationale
depuis l’Iran, le Pakistan et l’Afghanistan.
90. Le fait de donner une chance à la voie diplomatique, en conditionnant
la mise en œuvre de cette solution au respect absolu des droits
humains, s’inscrit dans une démarche pragmatique: en effet, en empruntant
cette voie, les États membres pourraient exercer une pression sur
les autorités de fait et induire un changement politique dans l’objectif
de garantir le plein respect des droits des femmes et des filles,
entre autres.