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Rapport | Doc. 15831 | 25 septembre 2023

La crise humanitaire émergente pour l’Afghanistan et les réfugiés afghans

Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées

Rapporteur : M. Birgir THÓRARINSSON, Islande, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15414, Renvoi 4621 du 24 janvier 2022. 2023 - Quatrième partie de session

Résumé

Depuis la prise de Kaboul par les talibans, en août 2021, l’Afghanistan est plongé dans une crise humanitaire sans précédent, aggravée par les décisions des autorités de fait et par l’isolement de ces dernières. La situation relative aux droits humains s’est dégradée, par rapport à la situation déjà préoccupante qui prévalait avant 2021, en particulier pour les femmes et les filles. L’Iran et le Pakistan, qui accueillent plus de 95% des réfugiés afghans, sont de moins en moins disposés à laisser entrer des réfugiés sur leur territoire. Au vu de la gravité de la situation, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a maintenu son appel à interdire les retours forcés vers l’Afghanistan et ses pays voisins.

Le rapport fait le point sur la réponse européenne à l’une des crises des réfugiés les plus longues à ce jour; il propose aux États membres des solutions concrètes pour mieux répondre aux besoins des Afghans en matière de protection, que ce soit en Europe ou sur la route vers notre continent, en recherchant des moyens novateurs d’utiliser les outils du Conseil de l’Europe aux fins de la coordination et de la solidarité entre les États membres. Dans la continuité de la Résolution 2403 (2021) «La situation en Afghanistan: conséquences pour l'Europe et la région», le rapport appelle les États membres à reprendre leur engagement politique en Afghanistan, conformément aux valeurs et aux normes du Conseil de l’Europe, et à nouer le dialogue avec tous les acteurs politiques dans ce pays.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 21 septembre
2023.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire réaffirme sa profonde préoccupation face à la situation actuelle en Afghanistan et à la crise prolongée des réfugiés afghans, telle qu’exprimée dans sa Résolution 2403 (2021) «La situation en Afghanistan: conséquences pour l'Europe et la région».Elle reconnaît que la situation s’est considérablement aggravée depuis août 2021.
2. L’Assemblée condamne fermement l’exclusion, par les autorités de fait, des minorités ethniques et religieuses et de certains groupes de la société – notamment les Hazaras, the Tadjiks, les chrétiens, les communautés LGBTQIA+ et les femmes – de la gestion des affaires publiques, ainsi que leur exposition à la discrimination et à des actes de violence ciblés.
3. L’Assemblée condamne avec la plus grande fermeté la violence systémique à l’égard des femmes et des filles inscrite dans des décrets qui violent les droits humains. Elle estime qu’il existe des éléments de preuve pouvant justifier que la Cour pénale internationale inclue la «persécution sexiste» en tant que crime contre l’humanité dans l’enquête qu’elle mène actuellement sur l’Afghanistan, conformément aux articles 5(b) et 7.1(h) du Statut de Rome.
4. L’Assemblée exprime sa solidarité avec le peuple afghan et salue le courage dont font preuve tous les Afghans qui, en Afghanistan et dans leurs pays d’exil, s’efforcent de faire valoir leurs droits dans un contexte extrêmement dangereux et hostile, en particulier les femmes et les filles.
5. La présente résolution vise à explorer des pistes concrètes permettant au Conseil de l'Europe et à ses États membres de mieux répondre aux besoins immédiats de protection des Afghans, tout en envisageant certains mécanismes de coordination politique allant au-delà d’une approche humanitaire axée sur la protection à court terme.
6. Les valeurs et normes que les chefs d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe ont réaffirmé dans la Déclaration de Reykjavík constituent une base solide pour définir les contours d’une telle approche, qui doit être fondée sur le respect des droits humains consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), ainsi que sur la solidarité entre les États membres en Europe. Cette approche se voit également renforcée par le dialogue politique avec les partenaires extérieurs, notamment les Nations Unies et l’Union européenne.
7. Dans ce contexte, l’Assemblée soutient la Résolution S/RES/2626 (2022) du Conseil de sécurité des Nations Unies et la Résolution 2022/2955(RSP) du Parlement européen sur la «Situation des droits de l’homme en Afghanistan, en particulier la détérioration des droits des femmes et les attaques contre les établissements d’enseignement».
8. L’Assemblée note que les Afghans représentent la troisième nationalité introduisant le plus grand nombre de demandes d’asile en Europe, parmi lesquels de nombreux enfants et adolescents non accompagnés en transition vers l’âge adulte. Elle rappelle les engagements souscrits par les États membres du Conseil de l’Europe dans le Plan d’action sur la protection des personnes vulnérables dans le contexte des migrations et de l’asile en Europe (2021-2025) (CM(2021)67-final), dans la Recommandation CM/Rec(2022)22 du Comité des Ministres aux États membres sur les principes des droits de l’homme et lignes directrices en matière d’évaluation de l’âge dans le contexte de la migration et son exposé des motifs, ainsi que dans la Recommandation CM/Rec(2019)4 sur l’aide aux jeunes réfugiés en transition vers l'âge adulte.
9. On ne saurait reprocher aux personnes qui fuient leur pays pour échapper à la persécution, à la famine ou à l’insécurité, qu’elles soient reconnues ou non en tant que réfugiées, de rechercher la sécurité et de tenter de s’intégrer. L’Assemblée met en garde contre la montée, dans toute l’Europe, du sentiment d’hostilité envers les migrants et les réfugiés, y compris les Afghans.
10. Le Pakistan et l’Iran accueillant 95% des Afghans déplacés, l’Assemblée reconnaît que ces deux pays ont largement contribué à l’accueil de ces personnes et souligne qu’il est important que les États membres participent à cet effort également. Elle regrette que de nombreux États membres aient abaissé leurs quotas annuels de réinstallation alors que, d’après le rapport «Tendances mondiales des déplacements forcés 2022» du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), les besoins en matière d’accueil n’ont jamais été aussi élevés.
11. Conformément à la Note d’orientation du HCR sur les besoins de protection internationale des personnes fuyant l’Afghanistan publiée en février 2023:
11.1. l’Assemblée considère que, dans les conditions actuelles, les expulsions vers l’Afghanistan ne sont pas acceptables et qu’il faudrait immédiatement mettre un terme aux renvois forcés;
11.2. tout retour volontaire d’Afghans, y compris dans le cadre de programmes soutenus par l’État, devrait faire l’objet d’un suivi assuré en coordination avec le HCR, conformément aux normes applicables de la Convention européenne des droits de l'homme et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme concernant les différents facteurs de vulnérabilité auxquels les personnes concernées peuvent être exposées;
11.3. l’Assemblée constate que les Afghans sont soumis à un nombre de restrictions de plus en plus important en Iran et au Pakistan, ainsi qu’à des risques de renvoi forcé. Elle considère que les États membres ne devraient pas renvoyer les Afghans au Pakistan ou en Iran car ils pourraient alors être victimes de discrimination dans leur accès aux droits et être expulsés vers l’Afghanistan.
12. L’Assemblée considère que les Afghans exilés devraient se voir offrir des conditions d’accueil et d’intégration dignes tant qu’il leur sera impossible de retourner de façon durable et sûre en Afghanistan:
12.1. l’Assemblée soutient le point de vue de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (AUEA), qui considère que les femmes et les filles risquent d’être persécutées et que leurs craintes à cet égard sont généralement fondées et légitimes. Elle salue les efforts déployés par certains États membres qui facilitent l’accès à la protection pour les femmes et les filles afghanes, et encourage tous les États membres à harmoniser leurs pratiques en suivant leur exemple;
12.2. l’Assemblée salue l’adoption, par le Comité des Ministres, de la Recommandation CM/Rec(2022)17 sur la protection des droits des femmes et des filles migrantes, réfugiées et demandeuses d’asile» et appelle à la mise en œuvre rapide et effective de cet instrument majeur dans toute l’Europe;
12.3. l’Assemblée rappelle que la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210) exige de ses États signataires qu’ils prennent les mesures nécessaires pour prévenir tout acte de violence fondée sur le genre et de violence domestique, pour enquêter sur ces actes, punir leurs auteurs et accorder une réparation aux victimes. Ces mesures devraient être mises en œuvre sans discrimination aucune, notamment sans discrimination fondée sur le statut de migrant ou de réfugié;
12.4. l’Assemblée exhorte les États membres à honorer leurs engagements en termes de réinstallation et d’aide humanitaire pour les Afghans, ainsi qu’à augmenter leurs quotas. Des mécanismes concrets de réinstallation et de regroupement familial doivent être créés rapidement, en coordination avec les autorités compétentes de l’Union européenne et le HCR. L’Assemblée salue la création en 2021 par l’AUEA de la Plateforme d’experts sur des voies d’accès sûres pour les Afghans, dans le cadre de son Réseau de réinstallation et d’admission humanitaire;
12.5. tous les États membres devraient considérer comme une priorité la question de l’accès des Afghans à une forme d’enregistrement, en accordant une attention particulière aux mineurs non accompagnés et aux enfants en transition vers l’âge adulte. L’Assemblée rappelle la Recommandation CM/Rec(2019)11 et son Exposé des motifs CM(2022)81-add sur un régime de tutelle efficace pour les enfants non accompagnés et les enfants séparés dans le contexte de la migration. Elle attire également l’attention sur le rôle des pouvoirs locaux et régionaux et des organisations de la société civile dans les efforts déployés à cet égard et rappelle la Résolution 487(2022) et la Recommandation 481(2022) du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe «Accueil des femmes et des enfants réfugiés dans les villes et régions d’Europe», et la Recommandation CONF-AG(2023)REC2 pour une approche globale des droits des réfugiés et des migrants et du rôle de la société civile, adoptée par la Conférence des Organisations internationales non-gouvernementales du Conseil de l’Europe;
12.6. les Afghans qui ne bénéficient pas d’une forme de protection internationale et d’un titre de séjour associé devraient avoir accès à d’autres formes légales d’enregistrement leur conférant (au moins temporairement) un droit de séjour (par exemple des visas de travail ou étudiant). Cela permettrait de s'assurer que les décisions de retour ne résultent pas de l'absence de solution alternative, sachant que les retours peuvent, en fin de compte, n’être pas définitifs et sont potentiellement dangereux.
13. L’Assemblée est profondément préoccupée par les obstacles auxquels sont confrontés les demandeurs d’asile, notamment les Afghans, dans leur accès à des procédures équitables, effectives et individualisées en Europe, ainsi que par les obstacles au regroupement familial, le cas échéant:
13.1. conformément aux arrêts pertinents de la Cour européenne des droits de l’homme, ainsi qu’à la Résolution 2462 (2022) «Renvois sur terre et en mer: mesures illégales de gestion des migrations» de l’Assemblée, les refoulements qui empêchent les individus de demander l’asile sur le territoire européen, qu’ils soient perpétrés par des acteurs étatiques ou non étatiques, doivent cesser immédiatement. Les allégations de refoulement doivent faire l’objet d’enquêtes approfondies et les responsables doivent répondre de leurs actes. Des mécanismes de plainte effectifs pour les victimes devraient être mis en place pour permettre la conduite de telles enquêtes;
13.2. les autorités étatiques devraient tout mettre en œuvre pour faciliter l’accès aux organes de suivi indépendants dans les régions où l’on sait que les personnes en situation de déplacement se rendent, notamment les régions frontalières, ainsi que le recommande le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants dans son 32e Rapport général de mars 2023;
13.3. les dispositions relatives aux pays tiers sûrs ne sauraient justifier le fait d’offrir des garanties procédurales moindres aux demandeurs d’asile. Il convient de ne pas alourdir la charge de la preuve lors de l’examen de la recevabilité des demandes d'asile en application de telles dispositions car cela a souvent pour effet de bloquer l'accès à une protection pour des personnes qui en ont besoin.
14. L’Assemblée réaffirme son engagement à réaliser concrètement les principes de partage de la charge et des responsabilités, tel qu’elle l’avait exprimé dans la Résolution 2379 (2021) «Le rôle des parlements dans la mise en œuvre des pactes mondiaux des Nations Unies pour les migrants et réfugiés»:
14.1. conformément à la Résolution 2502 (2023) «Intégration des migrants et des réfugiés: des avantages pour toutes les parties prenantes», l’Assemblée appelle les États membres à participer au programme sur le Passeport européen des qualifications des réfugiés, qui comporte un module destiné aux évaluateurs de qualifications portant spécifiquement sur les réfugiés et demandeurs d’asile afghans. Tous les États membres sont encouragés à reconnaître le Passeport comme une évaluation valable des qualifications des titulaires pour l’accès à l’enseignement supérieur en Europe, même dans les pays qui ne sont pas partenaires du projet;
14.2. l’Assemblée se fait l’écho de l’invitation faite par le Comité des Ministres dans sa réponse à la Recommandation 2248 (2023) de l’Assemblée «La solidarité européenne dans le contexte de l’asile et de la protection internationale» à tous les États membres d’envisager d’adhérer à la Banque de développement du Conseil de l’Europe (CEB). Elle appelle les États membres à maintenir leur soutien au Fonds pour les migrants et les réfugiés, essentiellement sous forme de subventions;
14.3. l’Assemblée souligne que l’absence d’approche harmonisée entre les États membres peut accroître le risque de disparition d’enfants non accompagnés. Aussi encourage-t-elle les États membres à coordonner leurs procédures de réinstallation et de relocalisation, conformément au droit communautaire et au Code des visas de l’Union européenne, le cas échéant. Les enfants afghans non accompagnés devraient être enregistrés en tant que titulaires d’une protection internationale afin de faciliter le regroupement familial;
14.4. l’Assemblée invite les États membres à maintenir et à renforcer leur soutien au HCR, en particulier par le biais de financements non affectés, de sorte que l’agence puisse continuer de mettre en œuvre ses programmes en faveur des Afghans déplacés en Afghanistan et dans les pays voisins;
14.5. l’Assemblée espère que les États membres et les autorités locales continueront de prévoir des fonds suffisants pour soutenir leurs programmes d’accueil. Elle souligne qu’il est important de ne pas affecter de fonds à une nationalité spécifique, car cela pourrait exclure certaines personnes des programmes d'accueil et de soutien auxquels celles-ci pourraient prétendre sur la base de leur vulnérabilité et d'autres critères individuels.
15. En Afghanistan, l’Assemblée:
15.1. appelle les États membres dont les services consulaires ont suspendu leurs activités à envisager la possibilité de coordonner une partie de leurs processus de demandes de visa avec ceux des États membres dont les services consulaires sont toujours en activité à Kaboul, dès lors qu’ils appliquent des critères d’éligibilité similaires pour les visas humanitaires ou au titre du regroupement familial;
15.2. appelle les États membres à étudier la possibilité de rétablir leurs services consulaires à Kaboul afin de faciliter l’accès à la protection pour les Afghans les plus vulnérables, notamment les femmes et les enfants, lorsque les personnes concernées ne sont pas en mesure de quitter le territoire afghan ou qu’elles sont empêchées de le faire;
15.3. convient que les représentations extérieures des États membres peuvent alimenter les rapports d’information sur les pays d’origine et contribuer considérablement à renforcer le soutien, y compris financier, à la société civile afghane, en particulier en faveur des femmes et des filles. La possibilité d’octroyer des bourses directes pour la poursuite d’études de médecine dans l’enseignement privé, l’un des seuls domaines d’études encore accessibles à ce jour pour les femmes, pourrait être examinée. De telles initiatives devraient être coordonnées avec les programmes des Nations Unies déployés en Afghanistan, le Service européen pour l’action extérieure et le bureau local à Kaboul de la Protection civile et des opérations d’aide humanitaire européennes;
15.4. encourage les États membres, conformément à la Résolution S/RES/2626 (2022) du Conseil de Sécurité des Nations Unies, à augmenter les fonds alloués à l’aide et à la coopération, en coordination avec le Service européen pour l’action extérieure de l’Union européenne. Elle souligne l’importance de passer progressivement d’une approche fondée sur l’assistance humanitaire à une approche fondée sur le développement en Afghanistan.
16. Au Pakistan et en Iran, l’Assemblée:
16.1. encourage les États membres à simplifier le processus de délivrance de visas et à assouplir certains des critères d’éligibilité et des critères administratifs auxquels sont soumises les demandes de visa. Les États membres qui imposent des seuils de recevabilité similaires devraient harmoniser leurs procédures et leurs pratiques. Ils devraient coordonner leur action avec l’Union européenne pour adopter une approche commune du regroupement familial et de relocalisation des Afghans chaque fois qu’une telle relocalisation dans un État membre de l’Union européenne comporte des aspects relevant du Code des visas de l’Union européenne;
16.2. reprend à son compte la Recommandation CM/Rec(2022)17, et appelle les États membres à «financer une assistance spécifique et des programmes humanitaires de réinstallation pour les femmes et les filles victimes ou à risque de violence à l’égard des femmes ou de traite des êtres humains»;
16.3. exhorte les États membres à prévoir des ressources humaines et financières plus importantes non seulement dans les consulats mais aussi dans les capitales des États membres, pour accroître, de manière effective, l’accès des Afghans à la réinstallation et à d’autres voies de protection, et pour faire en sorte que les dossiers soient traités dans des délais raisonnables;
16.4. suggère de s’appuyer sur le programme sur le Passeport européen des qualifications des réfugiés, en coordination avec le programme sur le Passeport de Qualifications de l'UNESCO pour les réfugiés et les migrants vulnérables, comme base pour la délivrance, à l’issue d’une évaluation spécifique du parcours scolaire, de certificats par les consulats, lorsque les personnes concernées ne sont pas en possession des documents nécessaires, ou qu’elles ne peuvent en produire qu’une partie. Ces certificats constituent un moyen de prouver et de valider le parcours éducatif des Afghans qui soumettent des demandes depuis Kaboul, ou alors depuis Islamabad ou Téhéran;
16.5. attire l’attention des États membres sur la lassitude des pays qui accueillent les réfugiés afghans et leur viennent en aide, en particulier l’Iran et le Pakistan, et s’inquiète que cette lassitude puisse accroître les risques de vulnérabilité et de violation des droits humains dans les premiers pays d’asile. Reprenant les principes énoncés dans sa Résolution 2380 (2021) «Action humanitaire pour les réfugiés et les migrants dans les pays de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient», l’Assemblée réaffirme la nécessité de fournir, au niveau national, une aide humanitaire pour soutenir l’accès des enfants et des adolescents afghans, garçons comme filles, à l’éducation et aux soins de santé, en coordination avec les agences des Nations Unies et leurs partenaires de mise en œuvre.
17. Conformément à la Résolution 2487 (2023) «La solidarité européenne dans le contexte de l’asile et de la protection internationale» et à la Résolution 2379 (2021), l’Assemblée s’engage à renforcer la volonté politique pour soutenir le peuple afghan par le biais de la coopération parlementaire, en particulier avec le Parlement européen et l’Union interparlementaire. Des échanges entre l’Assemblée et d’anciens membres du Parlement afghan actuellement en exil pourraient être envisagés.
18. L’Assemblée considère que le fait d’isoler les autorités de fait ne fait qu’ajouter à la souffrance du peuple afghan et réaffirme ainsi la position exprimée dans la Résolution 2403 (2021). Elle souligne:
18.1. que le fait d’engager un dialogue politique ciblé avec les autorités de fait ne signifie pas que les États membres reconnaissent les talibans en tant qu’autorité légitime en Afghanistan;
18.2. que tout contact avec les autorités de fait devrait viser à garantir le respect et la protection inconditionnels des droits humains des femmes et des filles. Ces contacts devraient aussi favoriser le respect des droits de tous les groupes ethniques, religieux et minoritaires en Afghanistan. À cet égard, l’Assemblée rappelle que l’Afghanistan reste partie à plusieurs traités internationaux relatifs aux droits humains, qu’il est donc tenu de respecter;
18.3. que tout dialogue avec l’ensemble des acteurs politiques en Afghanistan, y compris les autorités de fait, devrait inclure les membres de toutes les communautés et de tous les groupes minoritaires présents en Afghanistan. En outre, les voix des Afghans exilés qui souhaitent contribuer à ce dialogue, notamment les anciens membres du Parlement afghan, les juges et les avocats, devraient être dûment entendues, quels que soient les communautés ou groupes minoritaires auxquels les personnes concernées appartiennent.
19. L’Assemblée espère que la présente résolution pourra jeter les bases d’une feuille de route sur l’Afghanistan et qu’elle contribuera à la réflexion des États membres, en particulier à l’approche du Forum mondial sur les réfugiés qui est prévu en décembre 2023 et de l’édition 2024 des Consultations annuelles tripartites sur la réinstallation.
20. L’Assemblée encourage le Conseil de l’Europe à réfléchir à la manière dont il pourrait contribuer à la Plateforme d’experts sur l’Afghanistan, dirigée par l’AUEA, qui réunit des partenaires majeurs de l’Organisation avec lesquels il est utile d’instaurer une coopération, tels que les pays de l’UE+, le Canada, l’Union européenne, le HCR et l’Organisation internationale pour les migrations.

B. Exposé des motifs par M. Birgir Thórarinsson, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. La situation humanitaire en Afghanistan s’est aggravée depuis que les talibans ont pris le pouvoir, en août 2021, poussant des millions de personnes à se déplacer dans le pays ou à s’exiler, en quête de sécurité. Les principes les plus fondamentaux, tels que l’égalité des droits humains pour tous et l’État de droit, sont purement et simplement foulés aux pieds.
2. La situation dans le pays a engendré une crise des réfugiés des plus importantes, qui dure depuis des décennies. Pour la troisième année consécutive, au début de l’année 2023, l’Afghanistan se classait au deuxième rang mondial des pays comptant le plus grand nombre de ressortissants déplacés, à égalité avec l’Ukraine. Seule la Syrie compte davantage de ressortissants réfugiés 
			(2) 
			HCR, <a href='https://www.unhcr.org/fr/tendances-mondiales'>«Rapport
Tendances mondiales 2022</a>», juin 2023.. En août 2021, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a publié une Recommandation sur la cessation des expulsions vers l'Afghanistan qui témoigne du niveau de risque auquel sont exposés les civils dans ce pays. Cette recommandation est toujours en vigueur à l’heure actuelle. Le HCR recommande également de ne pas renvoyer les Afghans vers l’Iran ni vers le Pakistan, qui «accueillent généreusement la très grande majorité des réfugiés afghans dans le monde depuis des décennies».
3. L’ampleur de la crise en Afghanistan compromet toute perspective de retour durable dans un avenir proche. La communauté internationale, et le Conseil de l’Europe en particulier, devraient faire le point sur les efforts déployés au cours des deux dernières années et décider d’urgence de mesures concrètes et coordonnées pour répondre aux besoins immédiats en matière de protection; ainsi que réfléchir à une approche allant au-delà de l’engagement humanitaire en Afghanistan.
4. Le 30 septembre 2021, l’Assemblée parlementaire a adopté la Résolution 2403 (2021) «La situation en Afghanistan: conséquences pour l'Europe et la région», appelant les États membres à «apporter un soutien politique et financier pour […] aider» les pays voisins dans les efforts qu’ils déploient pour soutenir les Afghans fuyant leur pays, et «les parlements nationaux des États membres du Conseil de l’Europe, des États ayant le statut d’observateur ainsi que les parlements d’États jouissant du statut d’observateur et de partenaires pour la démocratie à contrôler leurs gouvernements et à leur demander des comptes sur la manière dont ils font face à̀ la situation actuelle.»
5. Le présent rapport se fonde sur les échanges tenus avec des acteurs de terrain agissant aux niveaux local, international et diplomatique en Europe, en Afghanistan et dans les pays voisins. Il convient de le considérer comme une suite directe aux considérations soulevées et aux décisions prises par l’Assemblée dans sa Résolution 2403 (2021).
6. En avril 2023, la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées m’a autorisé à effectuer une visite en Türkiye en qualité de rapporteur. Je remercie les autorités turques et les divers partis politiques que j’ai eu l‘honneur de rencontrer à Ankara, ainsi que les associations de défense des droits des réfugiés, l’Association du barreau et la municipalité métropolitaine d’Istanbul, qui ont tous exprimé des points de vue éclairés sur les Afghans et proposé des pistes concrètes pour renforcer la solidarité européenne et ainsi mieux soutenir les Afghans en exil.
7. Entre décembre 2022 et juillet 2023, j’ai eu l’occasion de me rendre en Afghanistan, en Iran et au Pakistan en ma qualité de membre du Parlement islandais. Ces visites ne s’inscrivent pas dans le cadre de mon mandat de rapporteur de l’Assemblée, mais elles m’ont permis de comprendre l’ampleur de la crise de déplacement en cours dans la région.

2. La crise prolongée des réfugiés en Afghanistan: un phénomène d’ampleur régionale

2.1. Une crise humanitaire sans précédent

8. D’après le Conseil des Affaires étrangères de l’Union européenne, en mars 2023, environ 6 millions de personnes étaient au bord de la famine en Afghanistan. Selon des estimations, en avril 2023, 40% des Afghans étaient confrontés à une situation d'insécurité alimentaire aiguë 
			(3) 
			Cadre Intégré de Classification
de la Sécurité Alimentaire, <a href='https://www.ipcinfo.org/ipc-country-analysis/details-map/en/c/1156351/?iso3=AFG'>«Afghanistan:
Situation d'insécurité alimentaire aiguë en avril 2023 et projections
pour la période mai-octobre 2023»</a>, mai 2023 (en anglais uniquement). dans un pays qui se classe au 5e rang mondial des pays les plus menacés par le changement climatique, comme le rappelle le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) dans son rapport 2023 intitulé «Perspectives socio-économiques pour l'Afghanistan».
9. La reprise, à la fin de l’année 2021, de l’aide financière de la part de la Banque mondiale et de la Banque asiatique de développement aux acteurs privés qui gèrent des centres de santé est une bonne nouvelle. Cependant, depuis l’adoption par les talibans, en mai et en octobre 2022, de décrets interdisant aux femmes de travailler dans le secteur public puis pour les Nations Unies et les ONG, le secteur de l’aide humanitaire et du développement, en particulier les domaines de l’éducation et des soins de santé, se retrouve totalement privé de personnel féminin ce qui nuit profondément à la capacité de répondre aux besoins en matière de santé reproductive et d’identification et d’aide aux victimes de violence fondée sur le genre et de violence domestique.

2.2. Questions sécuritaires et violations systémiques des droits humains

10. Des violations massives des droits humains sont perpétrées en Afghanistan depuis des décennies, diverses factions et groupes armés se disputant le pouvoir dans le pays. En 2019, la Cour pénale internationale a autorisé l’ouverture d’une enquête sur les «crimes contre l'humanité [et les crimes de guerre] prétendument commis en Afghanistan depuis le 1er mai 2003 
			(4) 
			<a href='https://www.icc-cpi.int/fr/afghanistan'>Afghanistan
| Cour pénale internationale (icc-cpi.int)</a>.
11. Dans les premiers jours qui ont suivi la prise de pouvoir par les autorités de fait, on a pu constater une baisse du nombre d’attentats et d’incidents de sécurité, ce qui a permis aux Nations Unies d’étendre leur présence à des zones auxquelles elles n’avaient pas accès auparavant; cependant, d’après les nombreux rapports du Rapporteur spécial des Nations Unies sur l’Afghanistan et les Orientations par pays sur l’Afghanistan que l’Agence de Union européenne pour l'asile (AUEA) a publiées en janvier 2023 
			(5) 
			AUEA, <a href='https://euaa.europa.eu/publications/country-guidance-afghanistan-january-2023'>Orientations
par pays sur l'Afghanistan</a> (en anglais uniquement), janvier 2023, et Haut-Commissariat
des Nations Unies aux droits de l'homme, <a href='https://www.ohchr.org/fr/special-procedures/sr-afghanistan'>page
du Rapporteur spécial sur l'Afghanistan</a>., la situation reste instable, un certain nombre d’incidents de sécurité ciblant les civils ayant été recensés, y compris des attentats perpétrés par les talibans, l’État islamique et d’autres groupes armés.
12. Des attentats contre des membres de la communauté hazara sont régulièrement signalés par la société civile 
			(6) 
			Amnesty International, <a href='https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2021/10/afghanistan-13-hazara-killed-by-taliban-fighters-in-daykundi-province-new-investigation/'>«Afghanistan:
13 Hazaras tués par les combattants talibans dans la province de
Daykundi – nouvelle enquête», 5 octobre 2021.</a>, qui attire sérieusement l’attention sur le fait que ces attaques pourraient reposer sur des intentions génocidaires 
			(7) 
			Human Rights Law Centre
Australia, <a href='https://www.hrlc.org.au/reports-news-commentary/2023/6/19/53rd-session-un-human-rights-council?fbclid=IwAR3VJf2F-EJWblXnR4TSuOdoKqiR_o5swsOmh6ej06uxaZ6swq5io2hzRJM'>«Déclaration
à l'occasion de la 53e Session du Conseil des droits de l'homme des
Nations Unies</a>»,19 juin 2023 (en anglais uniquement).. En juin 2023, Amnesty International a publié un rapport fondé sur des éléments de preuve concrets provenant du terrain accusant les talibans d’avoir commis «un crime de guerre en infligeant une sanction collective à la population civile de la province du Panchir en Afghanistan 
			(8) 
			Amnesty International, <a href='https://www.amnesty.org/en/documents/asa11/6816/2023/en/'>«Afghanistan:
'Your sons are in the mountains': The collective punishment of civilians
in Panjshir by the Taliban»</a>, (Afghanistan: «Vos fils sont dans les montagnes»: La
sanction collective infligée aux civils par les Talibans au Panchir),
7 juin 2023.».
13. Selon la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur l’indépendance des juges et des avocats et le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme en Afghanistan, des mesures comme la suspension de la Constitution de 2004 ou l’éviction de juges depuis septembre 2021 ont précipité l’effondrement de l’État de droit et réduit à néant l’indépendance de la justice en Afghanistan 
			(9) 
			Rapporteurs spéciaux
des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme en Afghanistan
et l’indépendance des juges et des avocats, «<a href='https://www.ohchr.org/en/press-releases/2023/01/international-day-endangered-lawyer-24-january-2023'>Déclaration
conjointe à l'occasion de la Journée internationale de l'avocat
en danger</a>», 20 janvier 2023 (en anglais uniquement).. Le bureau de l’Association du barreau afghan a été contraint à l’exil et mène désormais ses activités depuis Bruxelles, en Belgique 
			(10) 
			CCBE et autres, «<a href='https://www.ccbe.eu/fileadmin/speciality_distribution/public/documents/Pressreleases/2023/FR_HR_20230124_PR_0123.pdf'>Le
Barreau indépendant d’Afghanistan relance ses activités en exil
depuis Bruxelles</a>», Journée internationale de l’avocat en danger de 2023,
janvier 2023..
14. Les rapports que publie régulièrement le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme sur l’Afghanistan ne laissent aucun doute quant à l’ampleur des violations des droits humains et à la gravité de la situation humanitaire. Comme l’on s’y attendait, le régime taliban exclut des pans entiers de la population qui sont par conséquent particulièrement exposés à la discrimination et à des violences ciblées (notamment envers les minorités ethniques et religieuses, en particulier les Hazaras, les Tadjiks et les Chrétiens, et les communautés LGBTQIA+).

2.3. Une guerre contre les femmes

15. En juin 2023, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH) a indiqué que les femmes et les filles étaient systématiquement victimes de discrimination dans tous les domaines de leur vie 
			(11) 
			HCDH, <a href='https://www.ohchr.org/en/documents/country-reports/ahrc5321-situation-women-and-girls-afghanistan-report-special-rapporteur'>«La
situation des femmes et des filles en Afghanistan (A/HRC/53/21)
– Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme
en Afghanistan et du Groupe de travail sur la discrimination à l'égard
des femmes et des filles»</a> (en anglais uniquement), juin 2023.. En effet, depuis mars 2022, un décret interdit aux établissements de santé de prodiguer des soins médicaux aux femmes qui ne portent pas le hijab 
			(12) 
			AUEA, op. cit.. D’après le Groupe consultatif des femmes que j’ai rencontré à Kaboul au cours d’une des visites effectuées en tant que membre du Parlement islandais, les femmes ont été écartées du système public après avoir reçu l’instruction de former des hommes à leur poste afin qu’ils leur succèdent. Elles se sont aussi vu imposer l’interdiction de travailler au sein du secteur judiciaire et du secteur non gouvernemental (en décembre 2022) et de collaborer avec les Nations Unies (en avril 2023).
16. Les femmes sont interdites d’accès à l’éducation primaire au-delà de la sixième année de scolarité (et donc, privées d’éducation secondaire), et elles sont exclues des espaces publics, tels que les parcs. Elles n’ont pas le droit de se déplacer à plus de 72 km sans être accompagnées par un homme légitime dans son rôle. Les hommes qui défendent la cause des femmes sont arrêtés et jetés en prison 
			(13) 
			Human Rights
Watch, «<a href='https://www.hrw.org/news/2023/02/06/afghan-professor-jailed-after-protesting-restrictions-women'>Afghan
Professor Jailed After Protesting Restrictions on Women»</a> (Un professeur afghan incarcéré pour avoir protesté
contre les restrictions des droits des femmes), 6 février 2023.. Les lourdes restrictions imposées à la liberté de circulation des femmes et à leur droit d’interagir avec leurs homologues masculins sont particulièrement difficiles à vivre notamment lorsque ces dernières vivent en milieu rural. Cela entrave considérablement leur accès à l’aide humanitaire et à toute autre forme de soutien dont elles ou leur famille peuvent avoir besoin.
17. Des organisations locales et des études sur le terrain font état de taux de suicide alarmants et d’idées suicidaires chez les femmes et les filles 
			(14) 
			Échange
de vues avec Mme Rana Refahi, consultante
pour l’Afghanistan, Asia Pacific Refugee Rights Network, réunion
de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées,
11 octobre 2022., et soulignent que la prise de pouvoir des talibans a porté un sérieux coup à la santé mentale, au bien-être et au sentiment d’espoir des Afghans vulnérables 
			(15) 
			Institut international
pour l’environnement et le développement, «<a href='https://www.iied.org/mental-health-wellbeing-sense-hope-among-vulnerable-afghans-plummeted-wake-taliban-takeover'>Mental
health, wellbeing and sense of hope among vulnerable Afghans plummeted
in wake of Taliban takeover »</a> (La prise de pouvoir des talibans a porté un sérieux
coup à la santé mentale, au bien-être et au sentiment d’espoir des
Afghans vulnérables), 28 novembre 2022.. Dans ses dernières conclusions sur l’Afghanistan, le Conseil de l’Union européenne a clairement affirmé que les violations des droits humains étaient systémiques dans ce pays 
			(16) 
			Conseil de l’Union
européenne, Conclusions du Conseil sur l’Afghanistan (<a href='https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2023/03/20/afghanistan-council-approves-conclusions-on-afghanistan/?utm_source=dsms-auto&utm_medium=email&utm_campaign=Afghanistan:%20Council%20approves%20conclusion'>Doc.
7264/23</a>), 20 mars 2023..
18. La Commission Internationale de Juristes et Amnesty International considèrent qu’une telle «guerre contre les femmes» justifierait que la Cour pénale internationale ouvre une enquête sur de possibles crimes contre l’humanité 
			(17) 
			Amnesty
International, <a href='https://www.amnesty.org/fr/documents/asa11/6789/2023/fr/'>«La
guerre des talibans contre les femmes. Le crime contre l’humanité
de persécution sexiste en Afghanistan</a>», mai 2023..

2.4. Les personnes déplacées internes et les rapatriés: des personnes déplacées qui ont besoin d’un soutien particulier

19. Les personnes déplacées internes relèvent du mandat du HCR. Les déplacements forcés à l’intérieur du pays ne datent pas d’hier en Afghanistan: des conflits ou des catastrophes naturelles (tremblements de terre, sécheresses, inondations) obligent les gens à quitter leur lieu de résidence. Au 31 décembre 2022, le HCR estimait à 3,25 millions le nombre d’Afghans déplacés à l’intérieur de leur pays en raison d’un conflit 
			(18) 
			HCR, Bureau pour l’Asie
et le Pacifique, <a href='https://reliefweb.int/report/afghanistan/unhcr-regional-bureau-asia-and-pacific-rbap-external-update-afghanistan-situation-24-01-may-2023'>«External
Update: Afghanistan Situation #24 as of 1 May 2023</a>».. Depuis août 2021, des personnes déplacées de longue date accueillent les nouveaux arrivants. Cette situation met à rude épreuve les ménages, ainsi que les régions dont les ressources sont limitées.
20. D’après des estimations du HCR, à la fin de l’année 2022, un peu plus de 6 400 réfugiés afghans étaient retournés en Afghanistan, en provenance du Pakistan pour la très grande majorité (94%) 
			(19) 
			HCR, Bureau pour l’Asie
et le Pacifique, <a href='https://reporting.unhcr.org/document/4216'>«External
Update: Afghanistan Situation #23 as of 1 February 2023»</a>.. Au 11 juillet 2023, le HCR comptabilisait 6 440 réfugiés afghans qui étaient volontairement rentrés dans leur pays depuis le début de l’année 2023 
			(20) 
			HCR, Portail de données
opérationnelles, <a href='https://data.unhcr.org/fr/situations/afghanistan'>Afghanistan</a>, consulté le 25 juillet 2023.. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) estime quant à elle qu’entre le 1er janvier et le 17 juin 2023, au moins 37 000 Afghans sans papiers sont rentrés en Afghanistan depuis le Pakistan en empruntant les deux points de passage frontaliers – un chiffre qui, selon l’Organisation, est très vraisemblablement inférieur à la réalité 
			(21) 
			OIM, <a href='https://dtm.iom.int/reports/pakistan-flow-monitoring-undocumented-afghan-returnees-pakistan-21-may-03-june-2023'>«Pakistan:
Suivi des flux d'Afghans sans papiers de retour du Pakistan» (21
mai – 3 juin 2023)</a>..
21. Le processus de retour dans le pays est onéreux: d’après le bureau de l’OIM au Pakistan, au 3 juin 2023, le coût moyen du voyage du Pakistan vers l’Afghanistan s’élevait à 58 619 PKR (206 USD) par famille 
			(22) 
			Ibid.. À leur arrivée, la plupart des rapatriés dépendent d’une aide en espèces pour assurer leur subsistance (acquisition de produits alimentaires et non alimentaires) et d’un appui du dispositif de réintégration pour répondre à leurs besoins immédiats: le montant de l’aide financière versée par le HCR aux rapatriés en Afghanistan pour la seule période comprise entre janvier et avril 2023 s’élevait à 621 000 USD.
22. Les Afghans rentrent en Afghanistan non pas parce qu’ils considèrent que le retour dans leur pays constitue une solution durable, mais parce qu’ils ont l’impression qu’il n’existe pas de solution durable pour eux ailleurs, comme ils l’ont affirmé lors d’entretiens menés par le HCR 
			(23) 
			<a href='https://reporting.unhcr.org/voluntary-return-114'>https://reporting.unhcr.org/voluntary-return-114</a>.. Des Afghans soutenus par l’Agence après leur retour d’Azerbaïdjan que j’ai rencontrés pendant ma visite en Afghanistan (pas dans le cadre de mon mandat en tant que rapporteur de l’Assemblée) m’ont fait part de sentiments similaires. Il est particulièrement préoccupant de constater que le manque de perspectives d’intégration dans certains États membres du Conseil de l’Europe est à l’origine de telles décisions de retour.

2.5. Des répercussions sur la région, en particulier sur l’Iran et le Pakistan

23. Le Pakistan accueille des réfugiés afghans depuis 43 ans, et il est devenu le premier pays d’asile pour les Afghans qui quittent leur pays depuis 2021. Nous ne pouvons que saluer cet immense effort des autorités. D’après des estimations du HCR et d’ONG nationales, le Pakistan compterait plus de 4 millions de réfugiés, ainsi qu’un grand nombre d’apatrides sans papiers, dont beaucoup d’enfants non accompagnés. Toutefois, à ce jour, le pays ne s’est toujours pas doté de quelconque loi, politique ou dispositif précis permettant l’accueil d’une telle quantité de personnes, et encore moins d’un système de gestion des nouveaux arrivants. Quant à l’Iran, le HCR estime qu’en février 2023, le pays accueillait 4,5 millions d’Afghans au total, dont près de 2,1 millions de sans-papiers 
			(24) 
			«<a href='https://www.al-monitor.com/originals/2023/06/iran-afghan-water-tensions-surge-amid-drought-complicating-taliban-ties'>Iran-Afghan
water tensions surge amid drought, complicating Taliban ties</a>» (Les tensions autour de l'eau entre l'Iran et l'Afghanistan
s'accentuent en raison de la sécheresse, ce qui complique les relations
avec les talibans), Al-Monitor, 6 juin
2023., la très grande majorité de ces réfugiés vivant dans des zones urbaines.
24. À eux deux, le Pakistan et l’Iran ont accueilli plus de 95% des réfugiés afghans sur une période qui couvre trois générations. Cette situation a pesé – et continue de peser – lourdement sur l’infrastructure et les services publics de ces pays, qui dépendent très fortement de l’aide internationale. Dans les deux pays, les enfants afghans enregistrés auprès des autorités peuvent avoir accès à l’éducation primaire et secondaire gratuitement. Depuis 2015, une décision officielle a été prise permettant aux enfants afghans vivant en Iran d’accéder à l’éducation primaire et secondaire quel soit leur statut administratif. En Iran, toutes les personnes réfugiées afghanes ont accès aux soins de santé primaires gratuitement. Au Pakistan, les Afghans sans papiers n’ont pas accès au système de santé public, même si, dans la pratique, certains professionnels du domaine leur permettent d’y accéder, sur une base discrétionnaire 
			(25) 
			Refugee
International, <a href='https://www.refugeesinternational.org/reports-briefs/they-left-us-without-any-support-afghans-in-pakistan-waiting-for-solutions/'>«They
Left Us Without Any Support: Afghans in Pakistan Waiting for Solutions»</a>, (Ils ne nous ont apporté aucun soutien: des Afghans
en attente de solutions au Pakistan), juin 2023..
25. Parallèlement à l’arrivée d’Afghans à laquelle ils faisaient face depuis la mi-2021, l’Iran et le Pakistan ont été victimes de graves catastrophes naturelles, notamment des inondations dévastatrices, qui ont touché quelque 33 millions de personnes en septembre et en octobre 2002 
			(26) 
			HCR, <a href='https://www.unhcr.org/news/briefing-notes/unhcr-humanitarian-needs-remain-acute-displaced-flood-hit-areas-pakistan'>Points
de presse: «Les besoins humanitaires des personnes déplacées par
les inondations au Pakistan restent aigus»</a>, septembre 2022.. En outre, les deux pays sont confrontés à d’importantes difficultés économiques, dont une inflation à deux chiffres, à la hausse des prix de l’alimentaire qui s’ensuit et à une instabilité politique.
26. Des retards considérables dans le traitement des dossiers d’enregistrement sont venus aggraver l’arriéré accumulé au fil des années, même si un nombre conséquent d’Afghans nouvellement arrivés en Iran ou au Pakistan auraient été enregistrés auprès du HCR. Les autorités nationales des deux pays font montre, en quelque sorte, d’une certaine lassitude en ce qui concerne l’accueil de réfugiés: l’enregistrement auprès de ces dernières est devenu plus compliqué ou prend souvent plus de temps, et certains se voient tout simplement refuser l’entrée sur le territoire ou font l’objet de retours forcés si l’on découvre qu’ils se trouvent dans le pays sans papiers. On déplore également des renvois à la frontière entre l’Afghanistan et le Tadjikistan 
			(27) 
			HCR,«<a href='https://news.un.org/en/story/2022/08/1125422'>UNHCR
raises concerns over Afghan refugee forced returns from Tajikistan</a>» (Le HCR exprime son inquiétude sur les retours forcés
de réfugiés depuis le Tadjikistan), 25 août 2022..
27. En Iran, les autorités ont mené entre avril et juin 2022 une opération d’enregistrement des ressortissants étrangers sans papiers, dans le cadre duquel environ 2,6 millions de personnes 
			(28) 
			HCR, <a href='https://data.unhcr.org/fr/documents/details/99583'>«Regional
Refugee Response Plan for Afghanistan Situation</a>» (Plan régional d’intervention en faveur des réfugiés
afghans), mars 2023. ont reçu une attestation de recensement leur conférant une protection pendant trois mois. D’après des organisations locales de défense des droits des réfugiés, seul un petit pourcentage des Afghans nouvellement arrivés ont pu être enregistrés dans ce contexte. Toute personne considérée comme sans papiers peut être expulsée si elle se fait arrêter. Les personnes enregistrées se voient remettre la carte Amayesh, qu’elles doivent renouveler chaque année à leurs frais; or, souvent, elles n’en ont pas les moyens 
			(29) 
			Norwegian
Refugee Council, <a href='https://www.nrc.no/perspectives/2023/renewing-key-documents-brings-hope-to-afghans-in-iran/'>«Renewing
key documents brings hope to Afghans in Iran</a>» (Le renouvellement de documents essentiels donne de
l'espoir aux Afghans en Iran), 1 juin 2023.. Par ailleurs, pour faire renouveler leur permis de travail, les Afghans concernés doivent s’acquitter d’une somme d’environ 100 USD, ce qui représente plus d’un mois de revenus. Il est important de souligner que près de 50% des enfants ne possèdent pas de carte Amayesh: l’absence de papiers d’identité peut se transmettre de génération en génération.
28. Au Pakistan, 1,3 millions de réfugiés se sont vu délivrer une carte d’identité à l’issue de l’Initiative de renouvellement des documents et de vérification des informations (Document Renewal and Information Verification Exercise – DRIVE 
			(30) 
			HCR, <a href='https://www.unhcr.org/fr/actualites/briefing-notes/le-pakistan-cloture-sa-campagne-de-delivrance-de-cartes-didentite'>Points
de presse: «Le Pakistan clôture sa campagne de délivrance de cartes
d'identité biométriques aux réfugiés afghans enregistrés»</a>, 4 janvier 2022.) menée par le gouvernement jusqu’au début de l’année 2022, en coopération avec le HCR. L’initiative DRIVE concernait spécifiquement les réfugiés arrivés avant 2021 et qui avaient été enregistrés par le Gouvernement du Pakistan. Ceux qui sont arrivés en 2021 et après restent dans une situation incertaine 
			(31) 
			HCR, <a href='https://data.unhcr.org/fr/documents/details/99583'>«Regional
Refugee Response Plan for Afghanistan Situation</a>» (Plan régional d’intervention en faveur des réfugiés
afghans), mars 2023.. En effet, d’après des informations communiquées par le bureau du HCR au Pakistan, à la mi-janvier 2022, le gouvernement pakistanais a demandé au HCR de renvoyer toutes les demandes d’asile aux ministères compétents et de cesser de délivrer des documents d’identité aux demandeurs d’asile. Les autorités pakistanaises ont annoncé que les Afghans dont le visa était arrivé à expiration et qui ne quittaient pas le pays avant le 31 décembre 2022 se verraient infliger une amende ou seraient inscrits sur une liste noire – tout en précisant, cependant, qu’il ne serait procédé à aucune expulsion, ni à aucune incarcération, contrairement à ce qui avait été annoncé quelques semaines plus tôt 
			(32) 
			«<a href='https://www.khaama.com/paperless-afghan-migrants-to-be-fined-or-blacklisted-not-deported-pakistan'>Paperless
Afghan Migrants to be Fined or Blacklisted, not Deported: Pakistan</a>» (Pakistan: les migrants afghans sans papiers se verront
infliger des amendes ou inscrits sur une liste noire, mais pas expulsés» Khaama Press, 23 décembre 2022.. Ces mesures créent un sentiment général d’insécurité au sein de la communauté qui, de ce fait, est moins encline à se signaler lorsqu’elle est dans le besoin ou à s’enregistrer auprès du HCR.
29. La réticence croissante des autorités iraniennes et pakistanaises à laisser entrer les Afghans sur leur territoire se traduit par un durcissement des conditions administratives pour franchir la frontière, voire par des refoulements aux frontières, ce qui constitue, pour les femmes en particulier, des obstacles – et des risques – supplémentaires sur la route de l’exil. Concrètement, les visas pakistanais coûtent cher (entre 7 et 1 200 USD). La plupart des Afghans voient leur demande de visa rejetée et ne sont pas remboursés. Depuis juin 2022, ils ne peuvent obtenir de visa que s’ils sont en possession d’une lettre d’invitation émanant d’un ressortissant pakistanais, accompagnée d’une copie de la carte d’identité de ce dernier.
30. Le Pakistan est souvent un pays de transit vers d’autres destinations, notamment l’Europe. Les personnes qui souhaitent se rendre dans ce pays pour y solliciter un visa pour un autre pays (notamment un visa humanitaire) sont donc confrontées à d’autant plus de difficultés. En outre, les renvois forcés et les expulsions n’ont pas cessé depuis la prise de pouvoir des talibans. D’après le bureau du HCR au Pakistan, on comptabilisait, au mois d’avril 2023, 4 331 expulsions vers l’Afghanistan depuis 2021.
31. Les Afghans sont aussi confrontés à d’importantes difficultés en Iran, notamment les refoulements. Chaque mois, des dizaines de milliers d’afghans sans papiers sont expulsés. Le HCR estime par exemple que 65 100 Afghans auraient été renvoyés en avril 2022. Et, d’après la surveillance des frontières exercée par le HCR, environ 45 500 Afghans sans papiers ont été expulsés de l’Iran par les points de passage frontaliers d’Islam Qala et de Zaranj pour le seul mois d’avril 2023. En mars 2023, 61 970 Afghans auraient fait l’objet d’une expulsion 
			(33) 
			HCR,
Bureau pour l’Asie et le Pacifique, op.cit.. En juillet 2023, selon un agent de police iranien, ce sont près de 18 000 ressortissants afghans qui auraient été expulsés en l’espace de deux semaines 
			(34) 
			«<a href='https://www.aa.com.tr/en/middle-east/iran-deports-nearly-18-000-afghan-migrants/2944491'>Iran
deports nearly 18,000 Afghan migrants</a>» (L’Iran expulse près de 18 000 migrants afghans), Anadolu Ajansı, 13 juillet 2023..

2.6. Recommandation du HCR sur la cessation des expulsions

32. En août 2021, le HCR a publié une Recommandation sur la cessation des expulsions vers l'Afghanistan qui témoigne du niveau de risque auquel sont exposés les civils dans ce pays. Le HCR attire l’attention sur un point important, à savoir qu’il ne serait pas non plus approprié de renvoyer les Afghans vers des pays voisins de l’Afghanistan tels que l’Iran et le Pakistan, qui «accueillent généreusement la très grande majorité des réfugiés Afghans depuis des décennies».
33. Certaines autorités étatiques affirment parfois que les demandes de protection de bon nombre d’Afghans qui se rendent en Iran ou au Pakistan ne sont pas fondées et que ces personnes émigrent souvent pour échapper à une situation économique extrêmement difficile. C’est là un argument souvent avancé à l’égard des hommes afghans, notamment les très jeunes adultes. Si cet argument vaut en partie, il est tout aussi vrai que le risque d’être confronté à l’extrême pauvreté et à la faim si l’on retourne dans son pays peut constituer une raison légitime de rechercher des meilleures conditions de vie ailleurs.

3. La réponse européenne: une crise des réfugiés oubliée

3.1. Des déclarations fortes dès août 2021

34. En août 2021, plus de 100 pays, dont au moins 41 des États membres du Conseil de l’Europe, se sont engagés à soutenir le départ sûr et organisé des ressortissants étrangers et des Afghans souhaitant quitter le pays et à tout mettre en œuvre pour garantir un tel départ, en appelant toutes les parties prenantes à faire respecter cet engagement et à faciliter ces opérations 
			(35) 
			<a href='https://www.state.gov/joint-statement-on-afghanistan/'>«Déclaration
conjointe sur l'Afghanistan</a>» (en anglais uniquement), communiqué de presse, Bureau
du porte-parole du Département d’État des États-Unis d’Amérique,
15 août 2021..
35. Le 23 août 2021, la présidente du Conseil consultatif des juges européens a appelé «les autorités compétentes des États membres du Conseil de l'Europe à veiller à̀ ce que des mesures efficaces soient prises pour assurer les déplacements en toute sécurité, la mise à l’abri et la protection des juges et autres professionnels du droit afghans, ainsi que des membres de leurs familles, qui ont des craintes fondées de persécution dans leur pays 
			(36) 
			Conseil consultatif
des juges européens, <a href='https://www.coe.int/fr/web/ccje/-/xxx'>«Déclaration de
la Présidente du CCJE sur les besoins de protection des juges et
autres professionnels du droit en Afghanistan»,</a> 23 août 2021.
36. Entre le 15 et le 31 août 2021, plus de 122 000 personnes ont été évacuées dans le cadre de ce que plusieurs médias ont décrit comme l’un des plus importants ponts aériens de l’histoire 
			(37) 
			CCBE et autres, op.cit.. Peu de temps après, de nombreux pays dans le monde, dont plusieurs États membres du Conseil de l’Europe, ont annoncé la mise en place de systèmes de visas spécifiques pour les Afghans.
37. La publication de la recommandation du HCR sur la cessation des expulsions a poussé la plupart des États membres du Conseil de l’Europe à mettre un terme aux expulsions d’Afghans, y compris les personnes sans papiers. L’OIM et Frontex ont suspendu toutes les activités visant à faciliter ou à accompagner les opérations de retour. À ma connaissance, seule la Türkiye a maintenu un programme de retour volontaire et renvoie régulièrement des Afghans via des vols charters et commerciaux (sur Ariana Afghan Air) vers l’aéroport de Kaboul.
38. En octobre 2021, la Commission européenne a organisé un Forum de haut niveau sur la protection des ressortissants afghans en danger, dans le but de coordonner les initiatives dans ce domaine, jusque-là menées unilatéralement, afin de mettre en place des voies d’accès suffisamment sûres et légales à l’intention des Afghans considérés les plus à risque 
			(38) 
			Commission
européenne, <a href='https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_21_5088'>Forum
de haut niveau sur la protection des ressortissants afghans en danger</a>, Communiqué de presse IP/21/5088, 6 octobre 2021.. Au mois d’avril 2022, les États membres de l’Union européenne ont déclaré à la Commission européenne que près de 28 700 admissions à titre humanitaire avaient été effectuées, sur les 36 000 annoncées pour 2021/2022. Ces chiffrent englobent les Afghans évacués pendant le pont aérien exceptionnel d’août 2021.
39. De nombreux pays européens ont autorisé les demandeurs d’asile déboutés et les Afghans laissés sans papiers ou bénéficiant d’une forme de protection temporaire à soumettre une nouvelle demande d’asile sur la base de la situation actuelle en Afghanistan. En outre, il est important de souligner qu’en Suède, en Finlande et au Danemark, les femmes afghanes sont désormais considérées comme un groupe social particulièrement vulnérable et éligible à une forme de protection car les renvoyer Afghanistan les exposerait à des persécutions systémiques et systématiques fondées sur le genre. Ces deux approches sont conformes aux conclusions de l’AUEA publiées en janvier 2023.

3.2. La difficulté de concrétiser les engagements pris

40. Les évacuations auxquelles il a été procédé ont eu lieu sur un court laps de temps, dans des circonstances exceptionnelles. Elles concernaient essentiellement les ressortissants des États-Unis, de ses alliés et ceux de l’Afghanistan qui coopéraient avec ces forces étrangères ou travaillaient pour elles. La procédure habituelle pour les demandes de visa, y compris pour les situations d’urgence, a été rétablie peu de temps après, mais la plupart des ambassades occidentales – et notamment européennes – avaient fermé à Kaboul, aucun service consulaire ou presque n’étant plus assuré dans la ville.
41. Pour pouvoir bénéficier d’une protection, les Afghans doivent généralement se rendre au Pakistan et, dans une moindre mesure, en Iran. Mais il est pratiquement impossible, pour bon nombre des personnes pouvant prétendre à une protection internationale, de quitter l’Afghanistan. En effet, pour franchir la frontière avec le Pakistan, il faut au minimum un passeport et, le plus souvent, un visa. Or, l’obtention de ces deux documents peut coûter plusieurs milliers de dollars américains. Pour les Afghans qui ont les moyens de voyager, le délai l’obtention d’un rendez-vous et le traitement du dossier peut être de plusieurs mois, voire de plusieurs années. De plus, avant de pouvoir être orientés vers les ambassades, les réfugiés doivent être enregistrés auprès du HCR, que ce soit au Pakistan ou en Iran. Pour pouvoir franchir ces différentes étapes, il est nécessaire d’avoir des ressources financières, un logement et un permis de séjour, même temporaire. Les femmes doivent en outre être accompagnées par un homme lors du voyage; si elles voyagent seules, elles ont plus de risques de se faire arrêter en Afghanistan, d’être refoulées à la frontière ou d’être victimes d’abus en cours de route.
42. Les délais de traitement des demandes au Pakistan et, dans une moindre mesure, en Iran, sont trop longs, ce qui incite les réfugiés à rechercher des alternatives aux voies régulières pour pouvoir aller de l’avant. N’oublions pas que les Afghans représentent une large proportion des personnes qui meurent sur la route vers l’Europe ou qui sont bloquées dans les «hotspots».
43. La plupart des pays rejettent les demandes de visa humanitaire et les demandes introduites sur la base d’autres motifs légaux (tels que le regroupement familial ou le parrainage de réfugiés) si les personnes concernées se trouvent encore en Afghanistan. Celles-ci doivent quitter le pays et prendre rendez-vous dans une ambassade encore en activité à l’étranger. Par ailleurs, le principe de l’octroi systématique du droit d’asile aux femmes afghanes au Danemark, en Finlande et en Suède ne s’applique pas si les demandes de visa sont déposées dans les consulats de ces pays: les femmes concernées doivent déjà se trouver dans l’un de ces pays pour soumettre leur demande.
44. Enfin, il faut reconnaître que les efforts sincères déployés ces deux dernières années pour traiter des milliers de dossiers le plus rapidement possible ont été largement insuffisants face à l’ampleur des besoins en matière de protection. S’agissant des pays de l’Union européenne, 17 États membres se sont engagés à accueillir 65 000 personnes, dont 17 000 aux fins d’une réinstallation, entre 2021/2022 
			(39) 
			Parlement
européen, <a href='https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/E-9-2022-001707-ASW_EN.html'>Réponse
de Mme Johansson, au nom de la Commission européenne, à la question parlementaire
E-001707/2022(ASW) concernant le plan d'action adopté par l'Union
européenne en réponse aux événements en Afghanistan</a> (en anglais uniquement), 17 août 2022. et 2023 
			(40) 
			Commission
européenne, <a href='https://home-affairs.ec.europa.eu/system/files/2022-12/Resettlement pledges submitted by Member States for 2023.pdf'>«Engagements
pris par les États membres en matière de réinstallation pour l'année
2023»</a> (en anglais uniquement), 29 novembre 2022.. Ces chiffres contrastent nettement avec l’estimation du nombre d’Afghans présents en Türkiye (600 000, la plupart n’étant pas enregistrés). Dans un récent rapport, l’International Rescue Committee a attiré l’attention sur le fait que seuls 271 Afghans avaient été réinstallés dans un État membre de l’Union européenne au cours de l’année 2022 
			(41) 
			 <a href='https://www.rescue.org/eu/press-release/irc-new-research-reveals-eu-staggering-neglect-afghan-refugees'>www.rescue.org/eu/press-release/irc-new-research-reveals-eu-staggering-neglect-afghan-refugees</a>.. La suspension par les autorités allemandes de leur programme d’admission en mars 2023, à la suite de suspicions d’abus, est un exemple des difficultés auxquelles se heurtent les autorités nationales dans la mise en œuvre concrète de procédures administratives sûres 
			(42) 
			 <a href='https://www.kabulluftbruecke.de/en/updates-en/update-on-suspension-of-german-federal-admission-programme/'>www.kabulluftbruecke.de/en/updates-en/update-on-suspension-of-german-federal-admission-programme/</a>..

3.3. La peur des Afghans en Europe: taux de protection variables et refoulements

45. Le taux de reconnaissance en première instance pour les Afghans est très variable selon le pays d’Europe dans lequel ils se trouvent 
			(43) 
			 Échange
de vues avec M. Reshad Jalali, Conseiller principal en matière de
politiques au sein du Conseil Européen pour les réfugiés et les
exilés, réunion de la commission des migrations, des réfugiés et
des personnes déplacées, 7 décembre 2022.: en 2022 
			(44) 
			 AUEA, <a href='https://euaa.europa.eu/publications/asylum-report-2023'>«Rapport
annuel sur la situation en matière d’asile dans l’Union européenne</a>» (en anglais uniquement), juillet 2023., il était compris entre 16% en Suisse et 100% au Portugal. D’après l’AUEA, dans l’ensemble, le taux de protection accordée aux demandes émanant d’Afghans a diminué dans les pays européens depuis 2021 (le taux de reconnaissance renvoie ici aux formes de protection réglementées par l’Union européenne). Cette situation doit continuer de nous préoccuper et illustre, à tout le moins, l’absence d’approche commune dans le traitement des demandes d’asile en violation des normes de l’Union européenne. La protection subsidiaire accordée aux Afghans ne leur confère que des droits limités, y compris en ce qui concerne le regroupement familial.
46. Autre fait tout aussi saisissant, si ce n’est plus: certains Afghans sont déboutés de leur demande d’asile mais ne peuvent pas être expulsés car ils seraient alors exposés à des risques de violence indiscriminée. La situation des mineurs non accompagnés est aussi particulièrement préoccupante: certains ne sont parfois pas enregistrés en tant que bénéficiaires d’une protection internationale et se retrouvent en situation irrégulière à leurs 18 ans s’ils ne déposent pas une demande d’asile à ce moment-là, quand bien même ils vivraient dans un pays d’Europe depuis des années. S’ils ne sont pas enregistrés, ils risquent aussi d’être exclus des processus de regroupement familial mis au point pour les réfugiés.
47. Il semblerait que ce soient souvent le bien-fondé et la crédibilité des demandes de protection, et, dans de rares cas, une discrimination sous-jacente fondée sur des préjugés liés à l’appartenance ethnique ou aux croyances religieuses, qui soient en cause dans ces processus. Les Afghans, et en particulier les hommes afghans, sont davantage perçus comme des personnes fuyant la pauvreté et des conditions socio-économiques extrêmement difficiles, plutôt qu’un conflit et des violations des droits humains, contrairement aux Syriens et aux Ukrainiens, par exemple. Cette perception porte aussi à conséquence sur le soutien matériel disponible pour les Afghans en exil. S’exprimant à l’occasion d’un événement organisé conjointement par la Banque de Développement du Conseil de l'Europe (CEB) et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur l’intégration locale des réfugiés, le chef de mission de l’OIM en Pologne a souligné que l’affectation de fonds au soutien des réfugiés ukrainiens empêchait les autres communautés de réfugiés et de migrants dans le besoin de bénéficier de ces programmes d’aide 
			(45) 
			 <a href='https://coebank.org/fr/news-and-publications/blog/insights-joint-ceb-oecd-conference-local-integration-refugees/'>«Éclairage
sur la conférence conjointe CEB-OCDE sur l'intégration locale des
réfugiés</a>», février 2023.. Ces considérations peuvent également s’appliquer en Türkiye, où la plus grande partie des fonds perçus, émanant essentiellement de subventions de l’Union européenne, bénéficie aux réfugiés syriens, qui représentent la plus grande communauté de réfugiés dans le pays 
			(46) 
			 Shaddin Almasri, «<a href='https://doi.org/10.1093/rsq/hdac028'>Why
is Syria a War but Not Afghanistan? Nationality-based Aid and Protection
in Turkey’s Syria Refugee Response</a>» (Pourquoi considère-t-on qu'il y a la guerre en Syrie,
mais pas en Afghanistan? L'aide et la protection fondées sur la
nationalité dans la réponse de la Türkiye à la crise des réfugiés
syriens), Refugee Survey Quarterly, Volume 42, Issue 1, mars 2023,
pp. 29–54..
48. Au fil des années, les Afghans sont devenus l’une des principales populations sollicitant une protection en Europe. Cependant, ils ne cessent d’être refoulés un peu partout sur le continent, notamment aux frontières entre la Türkiye et l’Iran, entre la Türkiye et la Grèce 
			(47) 
			 Conseil
grec des réfugiés, <a href='https://www.gcr.gr/media/k2/attachments/GCR_Pushback_Criminalization_Report.pdf'>«At
Europe’s borders, between impunity and criminalization</a>» (Aux frontières de l’Europe, entre impunité et incrimination),
mars 2023., entre le Bélarus et la Pologne 
			(48) 
			 Grupa Granica, <a href='https://hfhr.pl/aktualnosci/raport-dzialania-grupy-granica-zima-2023'>«Periodic
Report of Grupa Granica on the situation at the Polish-Belarusian
border. December 2022-January 2023»</a> (Rapport périodique de Grupa Granica sur la situation
à la frontière entre la Pologne et le Bélarus, décembre 2022-janvier
2023), février 2023., et au sein des Balkans occidentaux 
			(49) 
			Refugee Rights Turkey
& ECRE, <a href='https://asylumineurope.org/wp-content/uploads/2022/07/AIDA-TR_2021update.pdf'>«AIDA
country report on Türkiye – 2021 update</a>» (Rapport AIDA sur la Türkiye – mise à jour 2021), 2022,
et Human Rights Watch, «<a href='https://www.hrw.org/news/2022/11/18/turkey-pushes-afghans-back-iran-border'>Turkey
Pushes Afghans Back at Iran Border – Surge in Deportations to Kabul</a>» (La Türkiye refoule les Afghans à la frontière iranienne
– augmentation des expulsions vers Kaboul), 18 novembre 2022.. D’après des données émanant du Conseil danois des réfugiés, 40% des personnes refoulées identifiées par l’organisation en 2021 étaient afghanes 
			(50) 
			Conseil
danois des réfugiés, <a href='https://pro.drc.ngo/media/cxihgutp/prab-report-january-to-december-2022.pdf'>«Beaten,
punished and pushed back</a>» (Battus, punis et refoulés), janvier 2023..
49. Il est important de souligner que certains pays ont décidé de ne pas respecter la recommandation du HCR appelant à mettre un terme aux expulsions. C’est notamment le cas de la Türkiye depuis laquelle les vols retours vers Kaboul ont repris depuis le début de l’année 2022. Les autorités turques m’ont assuré que ces retours n’étaient pas forcés et ne concernaient que les hommes afghans arrêtés en situation irrégulière. Selon des statistiques officielles communiquées par la Présidence de la gestion des migrations 
			(51) 
			«<a href='https://www.dailysabah.com/politics/diplomacy/turkiye-deports-over-101000-irregular-migrants-so-far-in-2022'>Türkiye
deports over 101,000 irregular migrants so far in 2022</a>» (Plus de 101 000 migrants en situation irrégulière expulsés
par la Türkiye jusqu’à présent en 2022), Daily
Sabah, 13 novembre 2022., plus de 57 000 Afghans ont ainsi été renvoyés en 2022. En avril 2023, lors de ma visite à Ankara, 22 vols de retour vers l’Afghanistan avaient eu lieu depuis le début de l’année. D’après des chiffres officiels, 773 Afghans ont été expulsés entre le 2 et le 8 juin 2023 
			(52) 
			Chiffres sur les expulsions
communiqués via le compte Twitter de la Présidence de la gestion
des migrations («<a href='https://twitter.com/Gocidaresi/status/1667577510878380034?cxt=HHwWhICwtaa6tqQuAAAA'>Düzensiz
Göçle Mücadelemiz Devam Ediyor</a>»), 10 juin 2023.. Le représentant du HCR que j’ai rencontré en Türkiye s’est dit préoccupé par cette accélération du rythme des retours par rapport à 2022.
50. La Türkiye est le pays d’Europe qui accueille le plus grand nombre de réfugiés afghans, ce qui s’explique essentiellement par sa situation géographique. Selon la Présidence de la gestion des migrations, elle compterait quelque 142 000 Afghans enregistrés – un chiffre bien inférieur aux estimations concernant le nombre total d’Afghans vivant dans le pays, qui se situerait entre 400 000 à 600 000, la plupart de ces personnes n’étant pas enregistrées et n’ayant donc pas accès à des droits ni à la protection contre l’expulsion en cas d’arrestation.
51. Il m‘est d’avis que, tout comme les autres demandeurs d’asile, les Afghans devraient avoir accès à des formes d’emploi régulier pour pouvoir subvenir à leurs besoins, plutôt que de dépendre de leurs communautés et pays d’accueil. Pendant ma visite en Türkiye, en avril 2023, les responsables, les représentants d’organisations internationales et les acteurs de la société civile que j’ai rencontrés ont souligné que les Afghans étaient considérés comme une force de travail précieuse qui accepte souvent des emplois délaissés par les travailleurs turcs (bergers, mécaniciens).

4. Protéger les Afghans en Europe

4.1. Cesser les renvois forcés vers l’Afghanistan

52. Immédiatement après la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan, de nombreux organes du Conseil de l’Europe ont exprimé leur solidarité avec le peuple afghan et appelé à soutenir ce dernier, comme en attestent la Déclaration de la Commissaire aux droits de l'homme, Mme Dunja Mijatović, et celle de la Conférence des OING «[à] propos de la situation en Afghanistan, des flux migratoires qui s’ensuivent». Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux a lui aussi réagi en publiant une Déclaration 4 (2015) intitulée «L’accueil des réfugiés en Europe.»
53. Selon l’AUEA, le nombre d’Afghans soumettant une première demande de protection internationale dans des pays de l’UE+ a doublé entre 2020 et 2021, et le nombre de nouvelles demandes a aussi augmenté. En 2022, les Afghans ont représenté la deuxième population ayant soumis le plus grand nombre de demandes d’asile dans des pays de l’Union européenne, derrière les Syriens. L’AUEA souligne en outre qu’en 2022 le nombre de demandes émanant de ressortissants syriens et afghans avait été à son niveau le plus élevé depuis 2016 
			(53) 
			AUEA, <a href='https://euaa.europa.eu/publications/afghan-nationals-seeking-international-protection-eu'>«Factsheet
N°10 based on the Asylum Report 2022 on developments related to
Afghan nationals seeking asylum in EU+ countries»</a> (Fiche d'information n° 10 fondée sur le rapport 2022
sur l'asile concernant les développements relatifs aux ressortissants
afghans demandant l'asile dans les pays de l'UE+), août 2022, et <a href='https://coebank.org/fr/news-and-publications/blog/insights-joint-ceb-oecd-conference-local-integration-refugees/'>«Éclairage
sur la conférence conjointe CEB-OCDE sur l'intégration locale des
réfugiés»</a>, février 2023..
54. Le risque de persécution – au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés – auquel sont confrontés les Afghans qui demandent une protection internationale peut être évalué de façon variable selon les États membres. Cependant, je suis d’avis que le fait de renvoyer ces personnes en Afghanistan risque de les exposer à des violations des leurs droits économiques et sociaux, voire de leurs droits civils et politiques. Il est donc essentiel de respecter la Note d’orientation du HCR sur les besoins de protection internationale des personnes fuyant l’Afghanistan, mais aussi de surveiller les renvois auxquels il est malgré tout procédé afin d’évaluer leur durabilité et de vérifier si, dans la pratique, les droits des personnes ainsi rapatriées sont respectés.

4.2. Prévenir et sanctionner les refoulements

55. Les initiatives visant à empêcher les individus, notamment les Afghans, de demander l'asile sur le territoire européen doivent prendre fin immédiatement et faire l'objet de poursuites judiciaires. À cet égard, la Cour européenne des droits de l’homme a récemment déclaré recevables certaines affaires ayant trait à des allégations de refoulements d’Afghans à la frontière entre la Pologne et le Bélarus 
			(54) 
			Cour
européenne des droits de l’homme, <a href='https://hudoc.echr.coe.int/eng'>requête n° 2509/22 M.M. et
autres c. Pologne, et requêtes n° 10271/22 et 10373/22</a>, communiquées le 5 avril 2023 (en anglais uniquement)., sachant qu’elle avait déjà ordonné la mise en œuvre de mesures provisoires pour mettre un terme aux refoulements d’Afghans arrêtés à cette même frontière en août 2021 
			(55) 
			Cour
européenne des droits de l’homme, <a href='https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwjM3r_shsqAAxVuVqQEHQQnB3IQFnoECB4QAQ&url=https%3A%2F%2Fhudoc.echr.coe.int%2Fapp%2Fconversion%2Fpdf%2F%3Flibrary%3DECHR%26id%3D003-7134259-9666846%26filename%3DCommunication%2520et%2520application%2520de%2520mesures%2520provisoires%2520dans%2520l&usg=AOvVaw0Yr-vNMGrDBKhKE6VzP34k&opi=89978449'>«La
Cour communique l’affaire R.A. [et autres] contre Pologne et applique des
mesures provisoires</a>», 28 septembre 2021..
56. En 2022, l’Assemblée a voté en faveur de la prévention des refoulements et de l’imposition de sanctions à cet égard, conformément à la Résolution 2462 (2022) «Renvois sur terre et en mer: mesures illégales de gestion des migrations». Les parlementaires devraient donner suite à cette résolution et veiller à ce qu’«une évaluation individuelle des besoins de protection et du caractère sûr d’un retour» soit menée en vue de prévenir toute violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), et de l’interdiction des expulsions collectives consacrée à l’article 4 du Protocole n° 4 à la Convention (STE no 46).
57. Les autorités étatiques devraient tout mettre en œuvre pour faciliter l’accès à des mécanismes de suivi indépendants dans les régions où l’on sait que les personnes en situation de déplacement se rendent, notamment les régions frontalières, comme le recommande le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT).

4.3. Améliorer les voies d’accès à la protection pour les Afghans en Europe

58. Le fait d’allouer des ressources limitées, voire restreintes, au HCR ou à la réinstallation des réfugiés limite forcément le nombre de réfugiés pouvant avoir des perspectives de protection à long terme. Dans un contexte où le nombre de réfugiés et de déplacés internes nécessitant une protection urgente ne cesse d’augmenter, cette situation n’est pas tenable et entraîne inévitablement une sorte de priorisation de certaines communautés par rapport à d’autres – ce qui doit être évité à tout prix.
59. S’agissant plus particulièrement des Afghans, je demande instamment aux États membres de s’entendre sur des critères communs pour le traitement des dossiers et d’allouer davantage de ressources pour améliorer effectivement l’accès à la réinstallation et à des voies alternatives pour l’obtention d’une protection, en particulier pour les femmes et les filles. Il faudrait, pour cela, affecter davantage de ressources humaines et financières au traitement des dossiers de réinstallation dans les consulats, mais aussi dans les capitales des États membres, de sorte à pouvoir augmenter les quotas et à ce que les dossiers puissent être traités dans des délais appropriés (administrations et tribunaux chargés de l'asile, services d’interprétation, accès à l'aide juridictionnelle). En effet, actuellement, le délai de traitement des demandes de visa soumises par les Afghans – pour ceux qui ont la chance de voir leur dossier examiné par les services consulaires d’un État membre – est de plusieurs mois, voire de plusieurs années.
60. Les procédures relatives à la réinstallation et aux visas humanitaires devraient être assouplies pour les femmes et les filles, conformément à la Recommandation CM/Rec(2022)17 sur la protection des droits des femmes et des filles migrantes, réfugiées et demandeuses d'asile, et en particulier à son paragraphe 64, qui encourage les États membres «à financer une assistance spécifique et des programmes humanitaires de réinstallation pour les femmes et les filles victimes ou à risque de violence à l’égard des femmes ou de traite des êtres humains, y compris la traite à des fins d’exploitation sexuelle.»

4.4. Protéger les enfants afghans en situation de déplacement

61. Les États membres devraient coordonner leurs pratiques avec celles de l’Union européenne et adopter une approche commune du regroupement familial et de la réinstallation des Afghans. En outre, des mesures devraient être prises pour garantir que tous les enfants afghans sont enregistrés en tant que personnes nécessitant une protection internationale, afin qu’ils puissent rejoindre les membres de leur famille dans d’autres pays dans le cadre du regroupement familial – dans tous les cas où cela est possible.
62. L’absence d’approche harmonisée entre les États européens renforce le risque de disparitions d’enfants non accompagnés. Selon l’AUEA, en 2021, le nombre absolu de demandes d’asile soumises dans des pays de l’Union européenne par des enfants afghans non accompagnés (plus de 12 600) n’avait jamais été aussi élevé depuis 2015-2016 et représentait près de la moitié des demandes émanant d’enfants non accompagnés dans les pays de l’UE+ en 2021 
			(56) 
			AUEA, <a href='https://euaa.europa.eu/latest-asylum-trends-annual-overview-2022'>«Latest
Asylum Trends – Annual Overview 2022</a>», (Dernières tendances en matière d’asile – Aperçu annuel 2022),
février 2022..
63. Les États membres, en coopération avec la Représentante spéciale de la Secrétaire générale du Conseil de l’Europe sur les migrations et les réfugiés notamment, devraient réfléchir à des mesures communes et à des politiques coordonnées de promotion de bonnes pratiques permettant de protéger les droits des mineurs non accompagnés et des enfants en transition vers l’âge adulte.

4.5. Des formes alternatives d’enregistrement pour les Afghans qui ne peuvent être renvoyés

64. Il y a, en Europe, de nombreux Afghans dépourvus de papiers d’identité, soit parce que leur pays d’accueil prétend que leur dossier devrait être traité par un autre État européen, soit parce qu’ils sont devenus majeurs après avoir passé un certain temps dans un pays européen sans y être enregistrés. Bien entendu, il y a aussi parfois des cas où les Afghans ne souhaitent pas s’enregistrer dans un pays d’Europe qu’ils considèrent comme un pays de transit, et non un pays de destination. Cependant, chaque fois que possible, il conviendrait de s’assurer que ces personnes se voient proposer une forme d’enregistrement sur notre continent afin d’éviter, autant que faire se peut, qu’elles ne se retrouvent dans une impasse administrative en raison de l’absence de papiers d’identité et de l’impossibilité de les renvoyer chez elles. L’adoption de telles mesures, qui devrait être considérée comme une priorité, est tout particulièrement importante pour les enfants afghans non accompagnés et les jeunes adultes afghans.
65. Dans le cas des personnes déboutées de leur demande de protection, il peut être utile d’envisager des formes alternatives de séjour légal en attendant qu’un retour dans des conditions acceptables sur le plan des droits humains soit possible. En Türkiye, par exemple, la plupart des Afghans ne sont pas enregistrés, alors que, comme le reconnaissent les autorités, leur participation à la force de travail est absolument nécessaire et appréciée dans le pays.
66. Ainsi, pour respecter la Note d’orientation du HCR sur les besoins de protection internationale des personnes fuyant l’Afghanistan, et en cas de rejet d’une demande de protection temporaire après examen juste et équitable du dossier individuel, les pays d’accueil pourraient délivrer aux Afghans une sorte de permis de travail (temporaire ou saisonnier) dans des secteurs en manque de main d’œuvre.

4.6. Une véritable solidarité entre les États membres pour l’accueil des Afghans

67. Ma visite en Türkiye m’a permis de prendre clairement conscience des principales difficultés auxquelles sont confrontés les pays européens, notamment les premiers pays d’asile. Les États membres de l’Union européenne ne peuvent pas attendre de la Türkiye et des pays situés en première ligne qu’ils relèvent et gèrent à eux seuls les défis liés à la protection et à l’accueil de personnes forcées de se déplacer en raison d’une crise dans leur pays, comme le peuple afghan actuellement.
68. Des mécanismes concrets de réinstallation et de regroupement familial doivent être créés et mis en place rapidement. Le plan de réinstallation adopté par le Gouvernement slovène en janvier 2023, qui visait à faciliter la réinstallation de 50 réfugiés afghans et syriens en Slovénie et qui a bénéficié du soutien du Fonds de l’Union européenne pour l’asile, les migrations et l’intégration, est l’un des rares exemples concrets de solidarité dans ce domaine 
			(57) 
			«<a href='https://www.euractiv.com/section/politics/news/slovenia-to-receive-50-syrian-afghan-refugees-from-turkey/'>Slovenia
to receive 50 Syrian, Afghan refugees from Turkey</a>» (La Slovénie s’apprête à accueillir 50 réfugiés syriens et
afghans en provenance de Türkiye), EURACTIV, 2 décembre 2022.. Ce type d’initiative devrait être étendu et développé à plus grande échelle dans les États européens.
69. Il est absolument nécessaire d’apporter un soutien durable à la CEB pour lui permettre de développer ses activités dans les pays et régions d’accueil. Les divers centres d’accueil, hôpitaux mais aussi programmes de cohésion sociale financés par les subventions de la Banque le long des routes empruntées par les migrants et les réfugiés, ou dans les endroits où ils cherchent à se réfugier, sont des exemples concrets de l’engagement du Conseil de l’Europe, qui ont pu voir le jour grâce à l’immense soutien de l’Union européenne également, pour garantir le maintien de la solidarité et l’accès effectif aux droits. Ces programmes sont essentiels et sont au cœur de la mission de la Banque.

5. Une feuille de route sur l’Afghanistan applicable hors des frontières européennes pour les États membres

5.1. Reprise des services consulaires à Kaboul

70. L’isolement diplomatique bloque l’accès aux procédures de visas pour les Afghans exposés à un risque de persécution et/ou éligibles au regroupement familial, et notamment les femmes ainsi que les personnes figurant sur une liste de personnes recherchées en raison de leur activité professionnelle ou de leur appartenance à un groupe ethnique, religieux ou social particulier. Les États membres pourraient réfléchir ensemble à des moyens de résoudre ce problème, par exemple en centralisant le dépôt de demandes de visa dans une ou plusieurs ambassades ou consulats et en facilitant le traitement de ces demandes selon une même approche fondée sur des informations sur les pays d’origine et des normes communes concernant l’Afghanistan. Une coordination avec l’AUEA et le HCR pourrait être envisagée pour engager des discussions avec les autorités nationales favorables à une telle coopération.
71. Une partie des conditions imposées aux Afghans pour le dépôt de demandes de visa (à titre humanitaire, ou dans le cadre du regroupement familial) devrait être assouplie car il est impossible, dans la pratique, de satisfaire à certains critères (données biométriques 
			(58) 
			Parlement du Royaume-Uni
– Bibliothèque de la Chambre des communes, <a href='https://commonslibrary.parliament.uk/research-briefings/cbp-9307/'>«UK
immigration routes for Afghan nationals</a>» (Les voies d’accès à l’immigration pour les ressortissants
afghans au Royaume-Uni), Note d’information par Melanie Gower, 26 janvier
2023.); il faudrait en outre prendre des mesures pour alléger certains coûts pour les migrants les plus vulnérables (éventuellement en affectant des fonds spécifiques au soutien aux personnes très vulnérables et démunies). L’expertise du Conseil de l’Europe peut être utile à cet égard, notamment dans les cas où le bagage éducatif doit être évalué pour faciliter le traitement des demandes de visas d’étudiants ou l’obtention de bourses proposées par certains établissements d’éducation. En effet, dans le cadre du projet Passeport européen des qualifications pour les réfugiés 
			(59) 
			Passeport européen
des qualifications des réfugiés, <a href='https://www.coe.int/fr/web/education/recognition-of-refugees-qualifications'>page
internet du projet</a>., en 2021, l’Organisation a conçu des outils de formation destinés à faciliter l’évaluation de l’éducation formelle et informelle en Afghanistan 
			(60) 
			<a href='https://www.coe.int/fr/web/education/-/eqpr-training-on-afghanistan-recent-situation-and-its-impact-on-the-education-system'>«Formation
EQPR sur la situation récente en Afghanistan et son impact sur le
système éducatif</a>», 10 décembre 2021.. Le Passeport peut ainsi fournir une base pour la délivrance, à l’issue d’une évaluation spécifique du parcours scolaire, de certificats par les consulats, dans le cadre du traitement des demandes de visa, et ce, depuis Kaboul, ou sinon, depuis Islamabad et Téhéran.

5.2. Soutenir la société civile locale et surveiller la situation relative aux droits humains

72. Il est extrêmement important de souligner qu’au niveau local, un réseau modeste – mais solide – d’acteurs de la société civile continue de mener ses activités, parfois de façon souterraine dans un contexte très sensible, assurant, dans les régions rurales et urbaines, des services essentiels à l’intention des Afghans, y compris un soutien psycho-social, ce qui est fondamental dans le cas des personnes déplacées de force et des communautés persécutées. Les acteurs locaux ont été profondément touchés par le gel des actifs de la Banque centrale d’Afghanistan. Contrairement aux OING, les acteurs de la société civile locaux et indépendants sont confrontés à des défis de taille pour accéder à des financements et les conserver. Comme le suggère le Conseil de sécurité des Nations Unies dans sa Résolution 2626 (2022), je pense que les États membres devraient envisager de soutenir la société civile afghane locale, en particulier les acteurs qui assurent des services destinés aux femmes et aux filles (éducation, foyers pour femmes, soutien psycho-social). Il faudrait se concentrer tout particulièrement sur le financement des programmes éducatifs: l’accès à l’éducation, en particulier pour les femmes et les filles, posait déjà problème en Afghanistan bien avant 2021, et il n’y a tout simplement pas assez d’écoles dans le pays, notamment dans les régions rurales. La diversité du leadership des autorités locales dans différents domaines pourrait offrir une certaine marge de manœuvre pour soutenir des améliorations sectorielles, notamment dans le domaine des droits des femmes.
73. Le Conseil de l’Europe, en tant qu’organisation partageant son expertise dans la promotion générale des instruments et outils de défense des droits humains, peut lui-même s’engager en faveur du peuple afghan en Afghanistan sur le long terme. En l’absence, à l’heure actuelle, d’autorité étatique avec laquelle coopérer, on pourrait envisager une coopération entre l’Organisation et les Nations Unies, qui uniraient ainsi leurs forces pour la mise en œuvre des programmes axés sur des domaines essentiels, tels que l’éducation générale ou la prévention contre la violence fondée sur le genre et la violence domestique, et conçus dans le cadre des activités de coopération extérieure des États membres.
74. En outre, les représentations extérieures des États membres pourraient faciliter le suivi des retours vers l’Afghanistan et s’assurer que les retours constituent une solution sûre, notamment au regard des obligations découlant de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Dans l’idéal, ce suivi devrait être assuré de façon complémentaire et en coordination avec la surveillance des frontières exercée par le HCR et l’OIM, ainsi qu’avec les initiatives menées par le Service européen d’action extérieure et les comités du Conseil de l’Europe s’occupant des questions relatives à la traite des êtres humains, la violence à l’égard des femmes et des filles et la prévention contre la torture et les traitements inhumains ou dégradants.
75. Un tel suivi pourrait livrer de précieuses informations sur les besoins en matière de réinstallation et sur l’approche que les États membres pourraient adopter pour les programmes de coopération extérieure. Il pourrait aussi contribuer très utilement aux Rapports d’information sur les pays d’origine concernant l’Afghanistan adoptés par chaque État membre ainsi que par l’AUEA.

5.3. Nouer le dialogue avec les autorités de fait en Afghanistan – Donner une chance à la voie diplomatique

76. L’Afghanistan est toujours partie à certaines conventions des Nations Unies, notamment la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la Convention relative aux droits de l’enfant et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et son Protocole facultatif. Indéniablement, une grande partie des décisions prises par les autorités de fait porte directement atteinte à ces traités. Cependant, le suivi de la mise en œuvre des conventions des Nations Unies est le seul outil à disposition pour continuer de surveiller les autorités de fait. Les consulats peuvent aussi, en tant que représentations extérieures des États membres, contribuer au suivi de la situation relative aux droits humains en Afghanistan.
77. Le fait de maintenir l’Afghanistan au sein du système international des droits de l’homme est indispensable pour le peuple afghan. Toutefois, comme le souligne notre collègue Sir Tony Lloyd dans son rapport, «[m]ême si le dialogue avec les talibans est nécessaire, il devrait se limiter à un engagement prudent, pragmatique et opérationnel; tout éventuel renforcement de cet engagement devrait être subordonné à un certain nombre d'exigences. 
			(61) 
			Résolution 2403 (2021) «La situation en Afghanistan: conséquences pour l'Europe
et la région».»
78. Je suis profondément convaincu, après avoir mené des travaux de recherche et échangé avec de nombreux acteurs à Kaboul, notamment le Groupe consultatif des femmes et de hauts représentants des Nations Unies, que les États membres devraient trouver un moyen de nouer le dialogue avec les autorités de fait. J’ai moi-même eu l’occasion de rencontrer les talibans pendant une visite organisée en coopération avec les Nations Unies à Kaboul. Soyons clairs: «nouer le dialogue» ne signifie pas «reconnaître». Cependant, il est essentiel de communiquer pour épargner des souffrances supplémentaires au peuple afghan.
79. En effet, le fait d’isoler l’Afghanistan de la communauté internationale ne pourra que nuire à la population. Aussi suggèrerais-je de donner une chance à la voie diplomatique, en conditionnant la mise en œuvre de cette solution au respect absolu des droits humains: les États membres devraient exercer une pression diplomatique sur les autorités de fait pour induire un changement politique qui viserait notamment à garantir le plein respect des droits des femmes et des filles. La diplomatie peut soulever des montagnes.
80. Le Comité des Ministres pourrait discuter et convenir d’une telle approche, en fournissant un cadre et un ensemble clair de conditions selon lesquelles les États membres du Conseil de l'Europe pourraient engager une certaine forme de dialogue avec l'administration intérimaire en Afghanistan. Ce cadre et ces conditions devraient naturellement s’adosser à un respect inconditionnel des droits humains des femmes et des filles, notamment l’accès sans entrave à l’éducation et à l’emploi, ainsi qu’au respect des droits de tous les groupes ethniques, religieux et minoritaires.

5.4. Une assistance indispensable: augmenter le financement et rétablir l’aide au développement

81. Ces deux dernières années, de nombreuses initiatives ont été prises, dans des conditions très difficiles, pour soutenir le peuple afghan: pas moins de 65 partenaires (organisations internationales, agences des Nations Unies, ONG locales, nationales et internationales) participent au Plan régional d’intervention en faveur des réfugiés afghans, qui couvre le Turkménistan, le Pakistan, l’Iran, le Tadjikistan et l’Afghanistan. L’aide est dispensée de façon unilatérale (trains caritatifs affrétés par la Türkiye, par exemple 
			(62) 
			«<a href='https://www.dailysabah.com/politics/diplomacy/7th-kindness-train-carrying-aid-from-turkiye-reaches-afghanistan'>7th
'Kindness Train' carrying aid from Türkiye reaches Afghanistan</a>» (Le 7e «train de la gentillesse»,
qui transporte de l’aide humanitaire fournie par la Türkiye, arrive
en Afghanistan»), Daily Sabah,
24 janvier 2023.) ou régionale dans le cadre de l’assistance humanitaire (le soutien de l’Union européenne et de ses États membres s’élève à 1,6 milliards € depuis l’été 2021, par exemple) ou par le biais d’initiatives privées.
82. La coopération et l’aide extérieures dont sont convenus les États membres devrait continuer de bénéficier aux OING, aux organisations internationales et à leurs partenaires de mise en œuvre, dont l’action en Afghanistan, mais aussi au Pakistan et en Iran, a un impact considérable. Cependant, les fonds versés sont largement insuffisants. En mars 2023, le HCR et ses partenaires humanitaires ont lancé le Plan régional d’intervention en faveur des réfugiés afghans, avec pour objectif de venir en aide à 5,2 millions d’Afghans et leurs communautés d’accueil en Iran, au Pakistan, au Tadjikistan, au Turkménistan et en Ouzbékistan. À la mi-mai 2023, le plan n’était financé qu’à hauteur de 13%.
83. D’après le PNUD, il faut s’attendre à une diminution alarmante du soutien à ces populations: sur 127 organisations internationales interrogées, 94% ont déclaré avoir totalement ou partiellement cessé leurs activités dès que l’interdiction de travailler pour des ONG ou des organisations internationales a été imposée aux femmes, en décembre 2022, et 150 ONG et agences d’aide ont suspendu tout ou partie de leurs activités 
			(63) 
			PNUD, <a href='https://www.undp.org/afghanistan/publications/afghanistan-socio-economic-outlook-2023'>«Perspectives
socio-économiques 2023 pour l'Afghanistan</a>», avril 2023 (en anglais uniquement).. Le PNUD attire l’attention sur le fait qu’en 2023, l’aide humanitaire destinée à l’Afghanistan va baisser en raison de la restriction des droits des femmes, le plan d'intervention humanitaire 2023 bénéficiant d’un montant de financement nettement inférieur comparé à la même période en 2022.
84. Le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d'urgence au Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), que j’ai rencontré à New York en mars 2023, a reconnu qu’un dialogue politique avec les forces politiques au pouvoir en Afghanistan était nécessaire. Il a aussi souligné que la Résolution S/RES/2626 (2022) du Conseil de sécurité des Nations Unies évoquait le fait que les États membres des Nations Unies devaient «soutenir les efforts visant à̀ faciliter l’accès aux actifs appartenant à̀ la Banque centrale d’Afghanistan au profit du peuple afghan» et aider à fournir des «services essentiels à la population afghane et contribuer à la création de conditions économiques et sociales pouvant conduire à̀ l’autonomie et à la stabilité.». Dans l’esprit de cette résolution, il conviendrait de passer progressivement d’une approche humanitaire à une approche axée sur le développement, qui serait le seul moyen de soutenir les Afghans sur le long terme. Elle consisterait notamment à favoriser la conduite d’activités génératrices de revenus durables, en particulier dans le secteur agricole.

6. Conclusions

85. La gravité de la situation en Afghanistan et la pression exercée sur les premiers pays d’asile sont telles que le HCR a maintenu son appel aux États membres à s’abstenir de tout retour forcé tant en Afghanistan que dans les pays de la région. Les autorités de fait et des acteurs non étatiques continuent de persécuter des minorités religieuses et ethniques, les membres de la communauté LGBTQIA+ et les femmes, et les décisions prises par le régime auto-proclamé ne laissent aucun doute quant à l’intention des talibans de mener une guerre contre les femmes.
86. Le présent rapport a pour but de montrer clairement l’extrême vulnérabilité du peuple afghan, dans son pays mais aussi à l’extérieur de celui-ci, tant dans les États européens que dans les premiers pays d’asile, situés dans la région de l’Afghanistan. Il rend également compte des initiatives prises par les États membres pour protéger les réfugiés afghans, tout en évoquant les limites de ces réponses, le taux de reconnaissance pour les Afghans restant très variable en Europe.
87. L’Afghanistan se classe au troisième rang mondial des pays comptant le plus grand nombre de ressortissants déplacés de force. Pourtant, la crise prolongée des réfugiés afghans reste largement sans réponse; elle peut même sembler oubliée. Du rejet des demandes de protection aux refoulements, les obstacles physiques et administratifs auxquels se heurtent les réfugiés afghans qui parviennent à quitter leur pays d’origine, en quête de sécurité, et à reconstruire leur vie ne sont pas compatibles avec le point de vue consensuel selon lequel il ne peut y avoir de retour durable et digne en Afghanistan pour le moment.
88. Les États membres devraient reconnaître d’urgence que toute approche structurelle de la crise des réfugiés afghans doit reposer sur des formes pérennes – et non temporaires – de protection en Europe, en attendant que les Afghans qui souhaitent retourner dans leur pays puissent le faire de façon durable et dans la dignité. Les normes et outils du Conseil de l’Europe fournissent un cadre sur lequel s’appuyer pour construire une approche structurée de la protection et de l’intégration des Afghans en Europe, qui soit fondée sur les droits humains.
89. Certains de ces outils et normes, tels que le Passeport européen des qualifications des réfugiés, peuvent aussi faciliter l’engagement extérieur des États membres et la coordination de leur action dans le processus de réinstallation et de traitement des demandes de visa, qui constitue l’un des principaux obstacles auxquels sont confrontés les réfugiés afghans qui sollicitent une protection internationale depuis l’Iran, le Pakistan et l’Afghanistan.
90. Le fait de donner une chance à la voie diplomatique, en conditionnant la mise en œuvre de cette solution au respect absolu des droits humains, s’inscrit dans une démarche pragmatique: en effet, en empruntant cette voie, les États membres pourraient exercer une pression sur les autorités de fait et induire un changement politique dans l’objectif de garantir le plein respect des droits des femmes et des filles, entre autres.