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Rapport | Doc. 15840 | 10 octobre 2023

Situation humanitaire dans le Haut-Karabakh

Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées

Rapporteur : M. Domagoj HAJDUKOVIĆ, Croatie, SOC

Origine - Renvoi en commission: décision du Bureau, Renvoi 4759 du 9 octobre 2023. 2023 - Quatrième partie de session

Résumé

Au cours des deux dernières semaines, plus de 100 600 Arménien·ne·s ont fui le Haut-Karabakh après dix mois d’une crise humanitaire résultant du blocage du corridor de Latchine et de l’opération militaire lancée par l’Azerbaïdjan le 19 septembre 2023. Deux discours s’opposent sur l’exode de près de 99% de la population de la région, mais il est clair que l’Azerbaïdjan a la responsabilité et l’obligation de protéger les droits et libertés de tous les habitants de cette région et de faire tout ce qui est en son pouvoir pour rassurer la population arménienne quant à sa sécurité et au respect de ses droits, y compris de ses droits en tant que groupe minoritaire.

Le rapport déplore les événements tragiques qui se sont déroulés depuis le 19 septembre 2023, contraignant la quasi-totalité d’une population à quitter sa patrie ancestrale, et laissant soupçonner de nombreux aspects de nettoyage ethnique. Il appelle l’Azerbaïdjan à entreprendre immédiatement des actions sans équivoque et de bonne foi qui démontrent sa volonté d’assurer le retour de la population arménienne au Haut-Karabakh, et de protéger ses droits. L’usage de propos rassurants, nuancés ainsi que l’accès rapide à la région par les organisations internationales, y compris le Conseil de l’Europe, constitueraient un premier pas en ce sens.

Enfin, le rapport examine la situation humanitaire désastreuse résultant du déplacement forcé des Arménien·ne·s de leur patrie et souligne la nécessité de soutenir l’Arménie dans ses efforts pour faire face à un grand nombre de réfugiés, notamment par l’intermédiaire du Conseil de l’Europe.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 10 octobre 2023.

(open)
1. Rappelant «l’engagement [de l’Azerbaïdjan] dans la résolution pacifique du conflit du Haut-Karabakh», comme spécifié dans l’Avis 222 (2000), l’Assemblée parlementaire condamne fermement l’opération militaire lancée par l’armée azerbaïdjanaise dans le Haut-Karabakh le 19 septembre 2023. L’Assemblée reconnaît l’intégrité territoriale de l’Azerbaijan. Elle souligne que cela engage la responsabilité du pays pour les actions entreprises dans le cadre de ses frontières internationalement reconnues.
2. L'Assemblée constate que cette opération militaire a eu lieu après une période de dix mois durant laquelle la population arménienne de la région s'est vu refuser un accès libre et sûr par le corridor de Latchine, qui constitue pour elle la seule voie d’accès à l’Arménie et au reste du monde. Il en a découlé une pénurie alimentaire et des difficultés d'approvisionnement extrêmement graves et une grande vulnérabilité de l’ensemble de la population. Cette opération a été lancée au mépris manifeste des mesures provisoires et intérimaires adressées à l'Azerbaïdjan par la Cour internationale de justice et la Cour européenne des droits de l'homme, dont les décisions ont également noté l'obligation de l'Azerbaïdjan, en vertu de la Déclaration trilatérale de 2020, de garantir «la sécurité des citoyens, des moyens de transport et des marchandises circulant sur le corridor de Latchine, dans les deux sens».
3. L’Assemblée regrette profondément qu'au moment même où la situation concernant l'acheminement de l'aide humanitaire vers la population semblait s'améliorer et qu'une lueur d'espoir apparaissait, l'Azerbaïdjan ait pris la décision de lancer cette démonstration de force. En effet, l’enchaînement successif de plusieurs événements dans un intervalle aussi court, et notamment la grave pénurie alimentaire et les graves difficultés d'approvisionnement subies par la population durant plusieurs mois, suivies d'une opération militaire et de l'ouverture du corridor vers l'Arménie pour les départs, pourrait être perçu comme un scénario échafaudé pour inciter la population civile à quitter le pays.
4. L’Assemblée a la ferme conviction que cet ancien et tragique conflit ne peut se résoudre que de façon pacifique, grâce au dialogue et à des signaux de bonne volonté sans ambiguïté, et sur la base du droit international applicable, en respectant pleinement les droits humains de tous ceux qui y vivent.
5. L'Assemblée rappelle les obligations positives de l'Azerbaïdjan d'assurer la protection de toute personne vivant sur son territoire souverain et relevant de sa juridiction, y compris la population arménienne de cette région. Ces obligations sont inscrites dans les traités internationaux relatifs aux droits humains auxquels l'Azerbaïdjan est partie, en particulier la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5) et la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE no 157), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
6. L'Assemblée souligne l'obligation qui incombe désormais à l'Azerbaïdjan, en vertu des articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, de mener une enquête approfondie, transparente, indépendante et efficace sur les décès, les disparitions et les allégations de mauvais traitements survenus pendant et après sa récente opération militaire. L’Azerbaïdjan a également l'obligation, en vertu du Protocole n° 4 à la Convention (STE no 46), de respecter le droit des Arméniens de cette région de circuler librement, y compris le droit de quitter tout pays (article 2 du Protocole n° 4), et le droit d'entrer sur le territoire de l'État dont ils sont ressortissants (article 3 du Protocole n° 4). Ces droits, ainsi que le droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile (article 8) et le droit à la jouissance paisible des biens (article 1 du Protocole n° 1, STE no 9) pourraient être bafoués si les Arméniens qui ont fui la région étaient empêchés de retourner volontairement dans les maisons et sur les terres qu'ils ont laissées derrière eux ou si celles-ci étaient transférées ou expropriées de fait.
7. L'Assemblée rappelle que l'Azerbaïdjan est également lié par les normes internationales relatives à la protection des minorités nationales et à la prévention des déplacements de population, et qu'il a en outre l'obligation de fournir et d'autoriser l'assistance humanitaire aux Arméniens qui se trouvent encore aujourd'hui sur son territoire dans la région.
8. L'Assemblée a assisté avec une grande tristesse et un sentiment d'impuissance à l'exode massif de la population arménienne de cette région de l'Azerbaïdjan ces derniers jours, en conséquence immédiate du lancement de l'opération militaire et de l'accord conclu par les autorités azerbaïdjanaises avec les autorités autoproclamées, qui ont annoncé leur dissolution.
9. Regrettant vivement que la quasi-totalité de la population arménienne de la région – plus de 100 600 personnes au moment de l'adoption de la présente résolution – ait quitté sa patrie ancestrale et fui en Arménie, certainement en proie à la peur et à l’incertitude quant au traitement que leur réservent les autorités azerbaïdjanaises, l'Assemblée reconnaît l'énorme responsabilité qui pèse désormais sur l'Arménie face à la crise des réfugiés qui s’installe. Elle se félicite des déclarations de soutien et de solidarité clairement exprimées en Arménie à l'égard des réfugiés et appelle les États membres du Conseil de l'Europe à accompagner l'Arménie dans cette épreuve en lui apportant non seulement un soutien financier mais aussi une expertise, en particulier dans le domaine de la santé mentale et du soutien psychologique à cette population traumatisée. Les États membres du Conseil de l'Europe devraient également être prêts à faire preuve de solidarité européenne en accueillant une partie de la population réfugiée, si ces personnes souhaitent s’installer ailleurs.
10. L'Assemblée regrette la tragédie humaine qui se déroule aujourd'hui ainsi que l'incapacité persistante et de longue date des autorités de l’Azerbaïdjan à rassurer la population arménienne de cette région quant à sa sécurité et au plein respect de ses droits et à lui garantir un avenir sans aucun acte ni manifestation d’aucune sorte en guise de représailles ou de vengeance pour les événements survenus dans les années 1990 et pendant la guerre de 2020.
11. Dans sa Résolution 2508 (2023), l'Assemblée a noté que les dirigeants de l'Azerbaïdjan ne prenaient pas la mesure des très graves conséquences sur le plan humanitaire et des droits humains du blocus du corridor de Latchine. La situation de fait actuelle, avec l'exode massif de la quasi-totalité de la population arménienne de cette région, a donné lieu à des allégations et à des suspicions raisonnables de nettoyage ethnique. L'Assemblée note à cet égard que la pratique de nettoyage ethnique peut engager la responsabilité pénale individuelle en vertu du droit international, dans la mesure où elle présente les caractéristiques de crimes de guerre spécifiques (le fait d’ordonner le déplacement de populations civiles) ou de crimes contre l'humanité (déportation ou transfert forcé de populations et persécution d’un groupe identifiable). L'Assemblée note les déclarations fermes de l’Azerbaïdjan, qui réfute ces allégations et ces soupçons, et enjoint les autorités à ne ménager aucun effort pour prouver, en actes et en paroles, qu’il n’en est rien.
12. L'Assemblée est fermement convaincue que cet exode tragique de presque toute une population de sa patrie ancestrale ne doit pas être accepté comme la nouvelle réalité: il n’est pas trop tard pour l'Azerbaïdjan pour remédier à la situation et prouver sa bonne volonté. En tant qu'État membre du Conseil de l'Europe, l'Azerbaïdjan peut et devrait démontrer, en ces temps difficiles, sa volonté et son intention claire d’apaiser les craintes et de respecter les obligations qui lui incombent en vertu des instruments relatifs aux droits humains auxquels il est partie, ainsi que son engagement à l'égard des valeurs fondamentales de notre Organisation.
13. Chaque femme, chaque homme, chaque personne âgée, chaque enfant ayant fui sa patrie avec la conviction que sa sécurité et celle de tous les Arméniens était menacée à la suite des récents événements intervenus dans la région aura sa propre histoire à raconter. Au-delà de ces histoires individuelles, c'est la sécurité et la stabilité de toute la région du Caucase du Sud qui sont en jeu et qu’il faut préserver. C’est pourquoi l’Assemblée appelle l’Azerbaïdjan à faire tout ce qui est en son pouvoir pour démontrer sa volonté de vivre en paix avec son pays voisin, l’Arménie. L’Assemblée attend de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan qu’ils respectent pleinement leur intégrité territoriale et leur souveraineté respectives, ainsi que l’inviolabilité de leurs frontières respectives. Ceci est particulièrement important dans le contexte d'un éventuel corridor de transport reliant le Nakhitchevan, qui ne peut être établi contre la volonté de l'Arménie ou au détriment de ses intérêts nationaux librement déterminés.
14. Il appartient maintenant à l'Azerbaïdjan d’assurer un climat de confiance et des conditions matérielles satisfaisantes pour que les Arméniens de cette région puissent retourner dans leur patrie. Des mesures actives s’imposent en effet pour les rassurer et les encourager dans ce sens. Cela implique de restaurer leur confiance dans la volonté de l’Azerbaïdjan de garantir et de faire respecter la protection de leur vie et de leurs droits, y compris le droit à la liberté et à la sécurité, le droit à l'éducation dans leur propre langue, la liberté d'expression et la liberté de réunion et d'association, l'interdiction de la discrimination, la protection de leurs droits religieux et culturels et leur droit à la propriété, ainsi que la possibilité de maintenir des relations à travers les frontières avec l'Arménie et les membres de leur famille qui y vivent.
15. L'Assemblée estime qu'il faudra pour cela que l'Azerbaïdjan s'engage véritablement, immédiatement et publiquement dans des déclarations claires et sans équivoque, associées à des discussions avec les parties concernées sur les mesures concrètes qui seront mises en place pour protéger la sécurité, la langue, les droits religieux, culturels et les autres droits des minorités des Arméniens de cette région. Toute manifestation d'intolérance ou de vengeance pour des événements passés est particulièrement malvenue en cette période, et l'Assemblée invite l'Azerbaïdjan à être particulièrement vigilant sur ce point. En effet, en raison d’antécédents de propos de cette nature, il incombe clairement aux dirigeants politiques au plus haut niveau d'exprimer leur ferme rejet de toute expression de haine ou de vengeance. L'Assemblée appelle l'Azerbaïdjan à étendre sa protection au patrimoine culturel de la région.
16. Concernant les crimes perpétrés dans les années 1990 et pendant la guerre de 2020, il ne fait aucun doute qu'un processus de justice transitionnelle sera indispensable pour assurer une paix durable dans la région et entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. L'Assemblée considère qu'un tel processus, bien que complexe, pourrait s'avérer plus fructueux pour rétablir la confiance que le recours à des actes d’agression, l’usage de la rhétorique ou l'ouverture de procédures pénales contre les anciens dirigeants du Haut-Karabakh. L'Assemblée appelle l'Azerbaïdjan à libérer tous les représentants du Haut-Karabakh détenus ainsi que tous les prisonniers de guerre arméniens actuellement détenus en Azerbaïdjan.
17. L'Assemblée se félicite du déploiement par les Nations Unies d'une mission dans le Haut-Karabakh, pour la première fois en trois décennies, avec pour objectif d'évaluer les besoins humanitaires dans la région. Elle espère que cette visite sera rapidement suivie d'un accord donné par les autorités azerbaïdjanaises pour l’organisation de visites de haut niveau et d'information d'autres organes internationaux, en particulier des institutions et organes compétents du Conseil de l'Europe.
18. À cet égard, l'Assemblée estime qu’une visite, dans un avenir très proche, de la Commissaire aux droits de l'homme et celle, plus tard cette année, du Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales dans le cadre de son cycle de suivi régulier seraient un signal clair de la part de l’Azerbaïdjan de s’engager auprès de l’Organisation sur les mesures requises. La facilitation de ces visites permettra à l'Organisation d'avoir la meilleure vue d'ensemble de la situation, de dialoguer plus efficacement avec les autorités de l'Azerbaïdjan et d'apporter son expertise et son soutien pour remédier à la situation, et notamment protéger et rassurer la population arménienne restée dans la région, préserver la propriété et les biens de ceux qui ont cherché refuge à l’étranger dans la situation actuelle, et prendre les mesures nécessaires pour encourager le retour de cette population dans sa patrie.
19. En particulier, le Conseil de l'Europe pourrait offrir son expertise en matière de mesures de confiance, afin de donner à la population arménienne de cette région l’assurance de pouvoir retourner dans sa patrie et d’y vivre dans un climat de paix et de confiance, tant avec les autorités azerbaïdjanaises qu'avec ses voisins dans la région.
20. L’Assemblée considère qu’en plus du besoin urgent d’accéder dans la région pour les différents organes et institutions du Conseil de l’Europe, les autorités de l’Azerbaïdjan devraient régulièrement fournir des informations complètes et détaillées à la Secrétaire Générale et au Comité des ministres sur les mesures prises et prévues pour protéger et renforcer les droits et les libertés des Arméniens de cette région en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme, en particulier en vue de rassurer sur la possibilité d'un retour en toute sécurité de toutes les personnes qui l'envisagent.
21. Consciente de la portée ciblée du présent rapport, centré exclusivement sur la situation humanitaire affectant la population arménienne du Haut-Karabakh à la suite de l'opération militaire menée par l'Azerbaïdjan les 19 et 20 septembre 2023, l'Assemblée se tient prête à examiner de manière plus approfondie les implications politiques et juridiques des événements en cours et des mesures à venir. Si l'Azerbaïdjan ne remplit pas ses obligations, l'Assemblée n'aura d'autre choix que de demander l'ouverture d'une procédure complémentaire conjointe entre le Comité des Ministres et l'Assemblée parlementaire en réponse à une violation grave par l'Azerbaïdjan de ses obligations statutaires.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté par la commission le 10 octobre 2023.

(open)
1. Se référant à la Résolution... (2023) «Situation humanitaire dans le Haut-Karabakh», l'Assemblée parlementaire invite le Comité des Ministres à prendre des mesures urgentes pour faire face et remédier à l'exode de la quasi-totalité de la population arménienne du Haut-Karabakh et à la grave crise sur le plan humanitaire et des droits humains qu’elle a endurée dans les mois qui ont précédé et immédiatement suivi l’opération militaire lancée par l'Azerbaïdjan le 19 septembre 2023. L’Assemblée est profondément préoccupée par une situation qui semble à tout le moins laisser soupçonner un nettoyage ethnique.
2. Regrettant que l'Azerbaïdjan n'ait pas respecté l'engagement pris lors de son adhésion au Conseil de l'Europe de régler pacifiquement le conflit dans cette région, comme spécifié dans l'Avis 222 (2000), l'Assemblée estime qu'il n'est pas trop tard pour l'Azerbaïdjan pour remédier à la situation et faire la preuve de ses intentions à l'égard de la population arménienne du Haut-Karabakh.
3. À cette fin, l'Assemblée demande que la Secrétaire Générale et le Comité des Ministres fassent tout ce qui est possible pour organiser une mission d’enquête du Conseil de l’Europe en Azerbaïdjan dès que possible, dans le but d'évaluer et de définir les mesures qui devraient être mises en place pour protéger les droits des Arméniens de cette région, y compris de ceux qui ont cherché refuge à l'extérieur du pays, et pour assurer le retour en toute sécurité de ceux qui le souhaitent. Une telle visite d’information sur le terrain permettrait de déterminer quel soutien le Conseil de l'Europe peut apporter à ce processus, y compris une expertise sur les questions relatives aux minorités et les mesures de confiance. Ce processus devrait indéniablement inclure des mesures immédiates pour recenser et protéger la propriété et les biens de ceux qui cherchent actuellement refuge à l'extérieur du pays et pour faciliter l'accès aux procédures nationales ou internationales pertinentes, en particulier en Azerbaïdjan.
4. Reconnaissant la crise humanitaire majeure à laquelle l'Arménie est confrontée avec l'arrivée de plus de 100 600 Arméniens d’Azerbaïdjan, l'Assemblée se félicite de la mission en cours, en Arménie, de la Représentante spéciale de la Secrétaire générale sur les migrations et les réfugiés, dont le but est de déterminer le soutien que l'Organisation pourrait apporter à son État membre dans l'assistance à ces réfugiés.
5. Reconnaissant la gravité de la situation, l'Assemblée restera vigilante quant aux prochaines mesures prises par les autorités azerbaïdjanaises et aux suites données à la Résolution ... (2023), en se fondant notamment sur la nécessité de garantir le plein respect, sans équivoque, des obligations et engagements internationaux souscris par l'Azerbaïdjan et lui incombant.

C. Exposé des motifs par M. Domagoj Hajduković, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le 8 octobre 2023, le Bureau a décidé de tenir un débat d’urgence sur la «situation humanitaire au Haut-Karabakh» et de saisir la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées pour un rapport sur le même sujet. J’ai été nommé rapporteur le 9 octobre 2023.
2. Tout au long de l’exposé des motifs qui suit, j'ai choisi d'appeler cette région «la région du Karabakh/Haut-Karabakh». Pour désigner des lieux situés dans la région, j’ai également décidé d’utiliser à la fois les toponymes azerbaïdjanais et arméniens, comme Kakhendi/Stepanakert, reflétant ainsi la souveraineté territoriale de l’Azerbaïdjan sur la région et les droits des Arméniens de là-bas.
3. Après une période de plusieurs mois de tension et de souffrances extrêmes liées au blocage du passage par le corridor de Latchine, la situation actuelle a été déclenchée par la décision non annoncée des autorités azerbaïdjanaises, le 19 septembre 2023, d’engager une force militaire dans la région afin d’écraser les autorités séparatistes autoproclamées de la région du Karabakh/Haut-Karabakh. Cette démonstration de force militaire a alors conduit à la reddition de facto des autorités autoproclamées de la région et, en même temps, à l’exode massif de presque toute la population arménienne de la région, en l’espace de quelques jours.
4. La situation était encore en évolution au moment de la rédaction du présent rapport. Suite à l’exode de plus de 100 000 Arméniens de l’Azerbaïdjan vers l’Arménie voisine, l’Azerbaïdjan a annoncé qu’il entreprendrait «des travaux concrets en lien avec la réintégration des résidents arméniens vivant dans la région du Karabakh» 
			(3) 
			«<a href='https://azertag.az/en/xeber/statement_by_the_presidential_administration_of_the_republic_of_azerbaijan-2771617'>Statement
by the Presidential Administration of the Republic of Azerbaijan</a>», AZERTAC, 2 October
2023. [Disponible en anglais seulement].. Parallèlement, les négociations de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan se poursuivent. Toutefois, dans le climat actuel de méfiance et de récriminations, et en l’absence d’actes de bonne volonté très concrets de la part des autorités azerbaïdjanaises pour remédier à la situation d’exode massif et construire une société véritablement harmonieuse et diversifiée dans la région, la perspective d’une paix et d’une réconciliation durables et mutuellement reconnues semble très lointaine.
5. L’opération militaire lancée par l’Azerbaïdjan le 19 septembre 2022 contre les zones à population arménienne de la région du Karabakh/Haut-Karabakh a été l’aboutissement de dix mois de tension, à la suite du blocus du corridor de Latchine le 12 décembre 2023, qui a entraîné une situation humanitaire et des droits humains dramatique. L’Assemblée parlementaire a déploré l’absence d’un accès libre et sûr par le corridor de Latchine, laissant entrevoir la perspective d’une famine lente de la population arménienne locale et la privation de ses besoins essentiels, tels que l’eau, le carburant, le gaz, l’électricité et les médicaments 
			(4) 
			Résolution
2508 (2023) «Assurer
un accès libre et sûr par le corridor de Latchine»..
6. En ce qui concerne les événements de septembre, deux récits très différents sont présentés. Du point de vue de l’Azerbaïdjan, le recours à une opération militaire représente une «opération antiterroriste», nécessaire pour renverser un régime séparatiste autoproclamé et exercer le droit de l’Azerbaïdjan de défendre son intégrité territoriale. Du point de vue opposé, l’opération militaire est considérée comme une attaque ou une agression qui a fait de nombreuses victimes civiles et provoqué l’exode de la population arménienne en tant que réfugiés. Il faudra du temps et une enquête minutieuse pour établir les responsabilités des autorités concernant les morts et les blessés civils dans cette opération militaire de 24 heures. Dans l’attente de cette évaluation plus large, mon rapport se concentrera sur les conséquences humanitaires immédiates des événements des derniers mois et de l’opération des 19 et 20 septembre 2023, à savoir le déplacement et l’exode de plus de 100 000 personnes en quête de refuge. J’examinerai également la question du respect par l’Azerbaïdjan de ses obligations internationales à l’égard de la population arménienne de cette région et les mesures nécessaires pour remédier à la situation tragique actuelle d’un groupe minoritaire entier quittant sa patrie. Je pense que le Conseil de l’Europe peut et doit jouer un rôle très actif en mettant à profit sa grande expertise en matière de renforcement de la confiance et de droits des minorités, afin de garantir que les Arméniens originaires de la région azerbaïdjanaise du Karabakh/Haut-Karabakh se sentent en sécurité et en mesure de rester ou de retourner chez eux. Cela est essentiel non seulement pour la population en question, mais aussi en tant que condition préalable à l’établissement d’une bonne foi et d’une confiance véritables entre deux de ses États membres, l’Arménie et l’Azerbaïdjan, qui recherchent une paix juste et durable et la résolution du conflit qui sévit de longue date autour de cette région.
7. Compte tenu de l’urgence de la situation et de l’impossibilité d’effectuer une mission d’information sur place, mon rapport s’appuie sur des rapports d’organismes internationaux, des rapports de médias indépendants et des informations fournies par l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Il vise à évaluer la situation sur le terrain et le climat qui a conduit, ces deux dernières semaines, à l’exode massif de la population arménienne de la région à la suite de l’opération militaire et de la réouverture ultérieure du corridor de Latchine qui permet le passage vers l’Arménie.

2. Obligations internationales de l’Azerbaïdjan dans la situation actuelle du Karabakh/Haut-Karabakh

8. L’Azerbaïdjan est un État partie à la Convention européenne des droits de l’homme (STE No. 5, «la Convention») et à la plupart de ses protocoles additionnels, à l’exception des protocoles nos 12 et 13. Le pays doit assurer à toute personne relevant de sa juridiction les droits et libertés garantis par la Convention et les protocoles ratifiés. En vertu de sa souveraineté territoriale reconnue sur le Karabakh/Haut-Karabakh et de son contrôle effectif actuel sur cette région, il exerce sa «juridiction» et a des obligations négatives et positives en vertu de la Convention à l’égard de la population arménienne vivant sur ce territoire ou qui fuit celui-ci. En vertu de l’article 2, il est tenu de protéger la vie de cette population, notamment dans le contexte de l’usage de la force par des agents de l’État pendant et après la récente opération militaire. Il a l’obligation procédurale de mener une enquête approfondie, indépendante et effective sur la totalité des décès et des disparitions qui se sont produits pendant et après l’opération. Cela s’applique également à toute allégation éventuelle de torture et de mauvais traitements de la part d’agents de l’État, conformément à l’article 3. Parmi les autres droits énoncés dans la Convention qui doivent être protégés pour les Arméniens restés au Karabakh/Haut-Karabakh et qui peuvent être menacés dans la situation actuelle figurent: le droit à la liberté et à la sûreté (article 5), le droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile (article 8), la liberté de religion (article 9), la liberté d’expression (article 10), la liberté de réunion et d’association (article 11), l’interdiction de la discrimination (article 14), le droit à la protection de la propriété (article premier du Protocole n° 1 (STE n° 9)), le droit à l’éducation (article 2 du Protocole n° 1), la liberté de circulation, qui comprend la liberté de choisir sa résidence et le droit de quitter tout pays (article 2 du Protocole n° 4 (STE n° 46)) et le droit à un recours effectif en ce qui concerne ces droits (article 13). Nombre de ces droits sont également énoncés dans d’autres traités internationaux auxquels l’Azerbaïdjan est partie, comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques 
			(5) 
			Voir les art. 6, 7,
9, 12, 17, 18, 19, 21, 22, et 26 du <a href='https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/international-covenant-civil-and-political-rights'>Pacte
international relatif aux droits civils et politiques</a> (1966).. Il est également important de noter que l’Azerbaïdjan n’a dérogé à aucun des droits de la Convention au moyen d’une notification au titre de l’article 15 liée aux événements actuels, contrairement à ce qui avait été le cas lors du conflit de 2020.
9. Pour les Arméniens du Karabakh/Haut-Karabakh qui ont fui la région et qui souhaitent y retourner à l’avenir, le droit des nationaux de ne pas être expulsés et le droit d’entrer sur le territoire de l’État dont ils sont ressortissants (article 3 du Protocole n° 4) pourraient potentiellement être en jeu. Si l’on empêchait le retour volontaire à leur domicile des Arméniens déplacés et sur leurs terres au Karabakh/Haut-Karabakh ou si ces biens étaient transférés à des colons azerbaïdjanais ou de facto expropriées, le droit au respect de leur vie privée et familiale et de leur domicile et le droit de jouir pacifiquement de leurs biens pourraient être violés 
			(6) 
			Voir, par exemple, <a href='https://hudoc.echr.coe.int/eng'>Affaire
Chiragov et Autres c. Arménie</a> (Requête n° 13216/05) (GC), arrêt du 16 juin 2015, paragraphes
192-201 et 206-208, concernant le refus d'accès aux logements aux
citoyens azerbaïdjanais déplacés dans le contexte du conflit du
Haut-Karabakh et l'incapacité de l'Arménie à prendre des mesures
pour garantir leurs droits de propriété..
10. L’Azerbaïdjan est également partie à la Convention-cadre du Conseil de l’Europe pour la protection des minorités nationales (STE n° 157). Dans son dernier rapport soumis au mécanisme de suivi compétent (2022), l’Azerbaïdjan notait qu’«après la fin du conflit Arménie-Azerbaïdjan, la réintégration de tous les citoyens des territoires touchés par le conflit dans le système politique, juridique, économique et social du pays sur la base de l’égalité des droits (...) assurera la mise en œuvre des dispositions de la Convention-cadre à l’égard des personnes d’origine arménienne dans les territoires touchés par le conflit (...)» 
			(7) 
			Comité
consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités
nationales du Conseil de l’Europe, Cinquième rapport périodique
du Gouvernement de la République d'Azerbaïdjan (<a href='https://rm.coe.int/5th-sr-azerbaijan-en/1680a8bfc1'>ACFC/SR/V(2022)004</a>). [Disponible en anglais seulement]. Ce rapport est
en cours d'évaluation par le Comité consultatif de la Convention-cadre
pour la protection des minorités nationales.. Cette déclaration a été faite en lien avec l’article 16 de la Convention-cadre, qui impose aux États parties l’obligation de ne prendre aucune mesure qui modifie «les proportions de la population dans une aire géographique où résident des membres des minorités nationales». Cette disposition est particulièrement pertinente dans le contexte actuel de déplacement massif d’Arméniens du Karabakh/Haut-Karabakh suite à l’intervention militaire. Les autres dispositions de la Convention-cadre applicables à la situation des droits humains des Arméniens restés dans la région sont les suivantes: article 4 (droit à l’égalité devant la loi et à une égale protection de la loi); article 5 (droit de conserver et développer leur culture et de préserver les éléments essentiels de leur identité que sont leur religion, leur langue, leurs traditions et leur patrimoine culturel); article 6 (obligation d’encourager un esprit de tolérance et de dialogue interculturel et de favoriser le respect et la compréhension mutuels); articles 7 à 9 (liberté de réunion, d’association, d’expression et de religion); articles 10 et 14 (droit d’utiliser et d’apprendre sa langue minoritaire); article 15 (participation effective à la vie culturelle, sociale et économique ainsi qu’aux affaires publiques); et article 17 (droit d’établir et de maintenir, librement et pacifiquement, des contacts au-delà des frontières avec d’autres personnes partageant la même identité).
11. L’Arménie et l’Azerbaïdjan ont tous deux engagé des procédures devant la Cour internationale de justice (CIJ) relativement à des violations présumées de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Dans le cadre de ces procédures, la CIJ a accordé des mesures conservatoires ordonnant à l’Azerbaïdjan, notamment, de «prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher l’incitation à la haine et à discrimination raciales et leur promotion, y compris de la part de ses fonctionnaires et ses institutions publiques, à l’encontre des personnes d’origine nationale ou ethnique arménienne», ainsi que de «prévenir et punir les actes de vandalisme et de profanation portant atteinte au patrimoine culturel arménien» 
			(8) 
			 Cour
internationale de Justice (CIJ), <a href='https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/180/180-20211207-ORD-01-00-FR.pdf'>Ordonnance
du 7 décembre 2021</a>, faisant référence aux articles 2 à 7 de la Convention
internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination
raciale. La CIJ s'est référée à la Résolution 2391 (2021) de l’Assemblée,
«Conséquences humanitaires du conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan
/ le conflit du Haut-Karabakh». La Commission européenne contre
le racisme et l'intolérance (ECRI) a exprimé ses inquiétudes quant
à l'utilisation d'un langage dans la sphère publique qui propage
des stéréotypes racistes et perpétue des animosités, notamment contre
l'Arménie, enracinées dans le contexte du conflit et des affrontements
de longue durée liés au Haut-Karabakh. Voir le rapport de <a href='https://rm.coe.int/sixiemre-rapport-de-l-ecri-sur-l-azerbaidjan/1680ab9e36'>l'ECRI
sur l'Azerbaïdjan (sixième cycle de suivi),</a> adopté le 29 mars 2023, publié le 21 juin 2023, p. 5-6,
et le <a href='https://search.coe.int/directorate_of_communications/Pages/result_details.aspx?ObjectId=0900001680abaa6f'>communiqué
de presse</a> afférent. Voir également la Commissaire aux droits de
l'homme du Conseil de l'Europe, «<a href='https://rm.coe.int/commdh-2021-29-memorandum-on-the-humanitarian-and-human-rights-consequ/1680a46e1c'>Memorandum
on the humanitarian and human rights consequences following the
2020 outbreak of hostilities between Armenia and Azerbaijan over
Nagorno-Karabakh»</a>, 11 novembre 2021. [Disponible en anglais seulement].. En 2023, la CIJ a accordé de nouvelles mesures conservatoires ordonnant à l’Azerbaïdjan de «prendre toutes les mesures à sa disposition pour assurer la libre circulation des personnes, des véhicules et des marchandises dans les deux sens le long du corridor de Latchine» 
			(9) 
			Cour internationale
de Justice (CIJ), <a href='https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/180/180-20230222-ORD-01-00-FR.pdf'>Ordonnance
du 22 février 2023</a>.. À la suite des événements récents, l’Arménie a présenté une nouvelle demande de mesures conservatoires, notamment pour ordonner à l’Azerbaïdjan de «ne prendre aucune mesure directement ou indirectement destinée à déplacer les personnes d’origine ethnique arménienne restées dans le Haut-Karabakh, ou ayant pour effet un tel déplacement, ou à empêcher le retour sûr et rapide à leur domicile des personnes déplacées lors de la récente attaque militaire (...)» 
			(10) 
			«<a href='https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/180/180-20230929-pre-01-00-fr.pdf'>Application
de la convention internationale sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan) – Demande
en indication de mesures conservatoires</a>», Communiqué de presse de la Cour internationale de
Justice (CIJ), 29 septembre 2023..
12. L’Azerbaïdjan a ratifié la Convention de 1948 sur le génocide. Elle est tenue, à ce titre, de prévenir et de punir tout acte de génocide 
			(11) 
			Selon
la jurisprudence de la Cour internationale de Justice, «l’obligation
de prévention et le devoir d’agir qui en est le corollaire prennent
naissance, pour un État, au moment où celui-ci a connaissance, ou
devrait normalement avoir connaissance, de l’existence d’un risque
sérieux de commission d’un génocide. Dès cet instant, l’État est
tenu, s’il dispose de moyens susceptibles d’avoir un effet dissuasif
à l’égard des personnes soupçonnées de préparer un génocide, ou
dont on peut raisonnablement craindre qu’ils nourrissent l’intention
spécifique (dolus specialis),
de mettre en œuvre ces moyens, selon les circonstances». Voir «L’application
de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Serbie et Monténégro)»,
CIJ, <a href='https://icj-cij.org/sites/default/files/case-related/91/091-20070226-JUD-01-00-FR.pdf'>arrêt
du 26 février 2007</a>, paras. 430-431., y compris l’incitation directe et publique à commettre le génocide et la tentative de génocide. L’un des actes définis en tant que génocide dans la Convention et qui a été mentionné en ce qui concerne l’obstruction du corridor de Latchine (avant l’intervention militaire) est la «soumission intentionnelle du groupe [national, ethnique, racial ou religieux] à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle» (article II, c)). Le 16 août 2023, le Conseil de sécurité des Nations Unies a tenu une réunion d’urgence à la demande de l’Arménie, mais n’a pas adopté de résolution. Le ministre arménien des Affaires étrangères, M. Ararat Mirzoyan, a exhorté le Conseil de sécurité à éviter un risque de «génocide». Un avis similaire a été exprimé le 7 août 2023 par M. Luis Moreno Ocampo, ancien procureur de la Cour pénale internationale (CPI), qui a écrit que «le blocus du corridor de Latchine par les forces de sécurité azerbaïdjanaises, qui empêchent l’accès au Haut-Karabakh de toute nourriture, de tout matériel médical et d’autres produits de première nécessité, devrait être considéré comme un génocide en vertu de l’article 2, alinéa c, de la Convention sur le génocide, qui définit ce dernier comme la ‘soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle’» 
			(12) 
			Luis Moreno Ocampo
(2023), <a href='https://luismorenoocampo.com/lmo_en/report-armenia/'>Expert
Opinion, «Genocide against Armenians in 2023</a>». [Disponible en anglais seulement].. Toutefois, l’avis de M. Moreno Ocampo a été contesté par M. Rodney Dixon KC, avocat britannique, qui avait été désigné comme expert par le gouvernement de l’Azerbaïdjan.
13. La situation de fait qui prévaut aujourd’hui, avec le déplacement massif d’Arméniens du Karabakh/Haut-Karabakh suite à l’intervention militaire, a donné lieu à des allégations et à des soupçons raisonnables de nettoyage ethnique à l’encontre des Arméniens. Le nettoyage ethnique est généralement décrit comme le fait de rendre une région homogène sur le plan ethnique en recourant à la force ou à l’intimidation pour chasser de la région en question les personnes appartenant à un autre groupe ethnique ou religieux. 
			(13) 
			 Conseil de Sécurité
de l’ONU, Rapport final de la Commission d’experts constituée conformément
à la Résolution 780 (1992) du Conseil de Sécurité, <a href='https://undocs.org/Home/Mobile?FinalSymbol=S%2F1994%2F674&Language=E&DeviceType=Desktop&LangRequested=False'>S/1994/674</a>, 27 mai 1994. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un crime autonome en vertu du droit international, le nettoyage ethnique présente les caractéristiques de crimes de guerre spécifiques (par exemple, le fait d’ordonner le déplacement de populations civiles 
			(14) 
			Voir l'art. 7 du Protocole
additionnel II; Article 8(2)(e)(viii) du <a href='https://www.icc-cpi.int/fr/resource-library/core-legal-texts'>Statut
de Rome de la Cour pénale internationale (CPI)</a> (1998), qui fait référence aux conflits armés ne présentant
pas un caractère international., la déportation ou le transfert illégal 
			(15) 
			Voir
l'art. 8(2)(a)(vii) du <a href='https://www.icc-cpi.int/fr/resource-library/core-legal-texts'>Statut
de Rome de la Cour pénale internationale (CPI)</a> (1998), qui fait référence aux conflits armés ne présentant
pas un caractère international.) ou de crimes contre l’humanité (la déportation ou le transfert forcé de population, la persécution d’un groupe identifiable, lorsqu’ils sont commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile 
			(16) 
			Voir
l'art. 7(1)(d) et (h) du <a href='https://www.icc-cpi.int/fr/resource-library/core-legal-texts'>Statut
de Rome de la Cour pénale internationale (CPI)</a> (1998).). Par exemple, selon les éléments constitutifs du crime contre l’humanité que sont la déportation ou le transfert forcé de population, «le terme ‘forcé’ ne se limite pas à la force physique, mais peut comprendre la menace de la force ou la coercition, comme celle qui est causée par la peur de la violence, la contrainte, la détention, l’oppression psychologique ou l’abus de pouvoir contre la ou les personnes visées ou une autre personne, ou en tirant profit d’un environnement coercitif» 
			(17) 
			«Déportés ou transférés
de force» est interchangeable avec «déplacés de force», comme indiqué
par la CPI, «<a href='https://www.icc-cpi.int/NR/rdonlyres/7730B6BF-308A-4D26-9C52-3E19CD06E6AB/0/ElementsOfCrimesFra.pdf'>Éléments
des crimes »</a>, 2002.. Bien que l’Azerbaïdjan n’ait pas ratifié le Statut de la CPI, il s’agit également de crimes de droit international coutumier qui engagent la responsabilité pénale individuelle 
			(18) 
			Il
a également été avancé qu'étant donné la nature transfrontalière
du crime d'expulsion dans ce cas particulier, la récente ratification
du Statut de la CPI par l'Arménie accorderait à la CPI la compétence
à l'égard de ce crime, voir par exemple Petrossian dans '<a href='http://opiniojuris.org/2023/09/22/armenia-as-the-124th-member-to-the-rome-statute/'>Armenia
as the 124th Member to the Rome Statute</a>', OpinioJuris,
22 septembre 2023, faisant référence au cas de déportation du peuple
Rohingya du Myanmar vers le Bangladesh (CPI, Chambre préliminaire
I, 6 septembre 2018). [Disponible en anglais seulement]..

3. Opération militaire du 19 septembre et faits intervenus depuis cette date

3.1. L’opération militaire

14. Le 19 septembre 2023, le lendemain même de l’autorisation donnée au Comité international de la Croix-Rouge (CICR) de reprendre le transport de l’aide humanitaire, l’Azerbaïdjan a annoncé qu’il avait mené des «activités antiterroristes locales dans la région économique du Karabakh» en réaction à la mort de deux civils et de quatre policiers dans des incidents impliquant des mines terrestres. Les autorités azerbaïdjanaises ont affirmé que ces mines terrestres avaient été posées par les forces armées arméniennes 
			(19) 
			«<a href='https://press.un.org/fr/2023/cs15418.doc.htm'>Le
Conseil de sécurité examine les conséquences humanitaires immédiates
et politiques à terme de l’opération militaire de l’Azerbaïdjan
au Haut-Karabakh</a>», Nations Unies – couverture des réunions, 21 septembre
2023.. Les forces russes de maintien de la paix, dont le mandat découle de l’Accord trilatéral signé le 9 novembre 2020 par le Président azerbaïdjanais Ilham Aliyev, le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan et le Président russe Vladimir Poutine, ne sont pas intervenues pour empêcher ce recours à la force 
			(20) 
			«<a href='https://www.primeminister.am/fr/press-release/item/2020/11/10/Announcement/'>Déclaration
du Premier Ministre de la République d’Arménie, du Président de
la République d’Azerbaïdjan et du Président de la Fédération de
Russie</a>», communiqué de presse du premier ministre de la République
d'Arménie, 10 novembre 2020..
15. Les autorités arméniennes ont affirmé que cette opération militaire, qui fait suite au blocus des derniers mois, constitue un processus de nettoyage ethnique. Le gouvernement arménien a également fermement rejeté les affirmations de l’Azerbaïdjan selon lesquelles l’Arménie avait maintenu des forces armées dans cette région du Karabakh/Haut-Karabakh, avait été impliquée dans la pose de champs de mines et entravait les pourparlers directs entre Bakou et Kakhendi/Stepanakert 
			(21) 
			«<a href='https://www.mid.ru/fr/foreign_policy/news/1446283/'>Déclaration
du Président de la République d’Azerbaïdjan, du Premier ministre
de la République d’Arménie et du Président de la Fédération de Russie</a>», site Internet du ministère des Affaires étrangères
de la Fédération de Russie, 10 novembre 2020..
16. Le 20 septembre 2023, après 24 heures d’hostilités intenses, un accord a été conclu sur une cessation complète des hostilités. Les conditions incluaient le désarmement, la démilitarisation et la dissolution des «formations militaires illégales arméniennes». Il a également été convenu que, le lendemain, une réunion entre des responsables azerbaïdjanais et des représentants des résidents arméniens vivant dans la région du Karabakh/Haut-Karabakh se tiendrait à Yevlakh (Azerbaïdjan), afin de discuter de «questions de réintégration, sur la base de la Constitution de la République d’Azerbaïdjan et de ses lois» (voir paragraphe 50) 
			(22) 
			«<a href='https://www.letemps.ch/monde/europe/debut-des-pourparlers-entre-separatistes-armeniens-du-karabakh-et-l-azerbaidjan'>Début
des pourparlers entre séparatistes arméniens du Karabakh et l’Azerbaïdjan</a>», Le Temps, 21
septembre 2023. Voir aussi “<a href='https://en.trend.az/azerbaijan/politics/3800631.html'>Reintegration
talks between Karabakh Armenians, Azerbaijani officials kick off</a>”, Trend News Agency, 21 septembre
2023. [Disponible en anglais seulement]..
17. L’opération militaire aurait fait plus de 200 morts et 400 blessés, dont des civils et des enfants. Des corps étaient encore retrouvés début octobre 
			(23) 
			 «<a href='https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/20/haut-karabakh-l-azerbaidjan-et-les-separatistes-armeniens-annoncent-un-cessez-le-feu-et-l-ouverture-de-negociations_6190143_3210.html'>L’Azerbaïdjan
affirme avoir ‘rétabli sa souveraineté’ dans le Haut-Karabakh, où
au moins 200 personnes ont été tuées selon les séparatistes</a>», Le Monde, 20
septembre 2023. Voir aussi “<a href='https://www.theguardian.com/world/2023/sep/20/nagorno-karabakh-death-toll-azerbaijan-armenia-attack-conflict-russia-us'>Nagorno-Karabakh:
ceasefire agreed after dozens killed in military offensive</a>”, The Guardian,
20 septembre 2023.. Certains médias internationaux ont fait état d’«attaques aveugles» contre des civils, notamment dans le village d’Aghbulag/Sarnaghbuyr, entouré de forêts et loin de toute cible militaire importante, où au moins deux enfants ont été tués le 19 septembre 2023. Dans le même temps, les responsables azerbaïdjanais affirment que leur armée avait reçu l’ordre «de ne neutraliser que des cibles militaires légitimes» 
			(24) 
			«<a href='https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/28/haut-karabakh-la-terreur-et-l-humiliation-des-armeniens-qui-fuient-l-enclave-separatiste_6191345_3210.html'>Haut-Karabakh:
la terreur et l’humiliation des Arméniens qui fuient l’enclave séparatiste</a>», Le Monde, 28
septembre 2023.. En vertu des articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’Azerbaïdjan est tenu de mener une enquête indépendante, approfondie, transparente et efficace sur tous les décès et blessures qui ont pu survenir au cours de l’opération militaire des 19 et 20 septembre 2023. La conduite de telles enquêtes en temps opportun contribuera sans aucun doute à créer la confiance nécessaire qui fait tant défaut entre les Arméniens et l’Azerbaïdjan.
18. Du fait de l’opération militaire, plusieurs villages de la ligne de front ont dû être évacués par les forces russes de maintien de la paix 
			(25) 
			«<a href='https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20230919-l-azerba%C3%AFdjan-annonce-avoir-lanc%C3%A9-des-op%C3%A9rations-antiterroristes-au-haut-karabakh'>Haut-Karabakh:
l'Azerbaïdjan lance une offensive d'envergure et appelle les Arméniens
à capituler</a>», France 24, 19 septembre
2023. Voir aussi «<a href='https://oc-media.org/azerbaijan-demands-complete-surrender-of-nagorno-karabakh-as-it-launches-massive-offensive/'>Azerbaijan
demands complete surrender of Nagorno-Karabakh as it launches massive offensive</a>», Open Caucasus Media,
19 september 2023. [Disponible en anglais seulement].. En conséquence, 13 400 personnes, dont plusieurs centaines d’enfants, ont été logées et ont reçu de la nourriture et une aide médicale à la base russe située près de l’aéroport. Dans les premiers jours qui ont suivi cette évacuation, malgré les demandes qui avaient été faites, ces personnes n’avaient pas été évacuées en Arménie par les forces russes de maintien de la paix car elles n’avaient pas reçu d’ordre en ce sens.
19. Le 21 septembre 2023, les autorités arméniennes autoproclamées de la région ont affirmé que l’armée azerbaïdjanaise avait violé le cessez-le-feu et continué d’attaquer Stepanakert. Depuis lors, le cessez-le-feu semble être respecté. L’armée azerbaïdjanaise et les forces russes de maintien de la paix ont collecté des armes et des munitions remises par les forces séparatistes arméniennes.

3.2. Développements politiques et juridiques

20. Le 21 septembre 2023, une rencontre entre des responsables azerbaïdjanais et les autorités autoproclamées de cette région a eu lieu à Yevlakh. Lors de cette réunion, les parties ont discuté des projets de l’Azerbaïdjan pour la «réintégration» de la population arménienne de la région, la mise à disposition d’une aide humanitaire, la restauration des infrastructures de la région et les exigences de Bakou telles que définies dans l’accord de cessez-le-feu. Une deuxième réunion s’est tenue à Khojali le 25 septembre 2023, portant principalement sur les questions humanitaires 
			(26) 
			«<a href='https://en.trend.az/azerbaijan/politics/3802657.html'>Topics
discussed between Azerbaijani authorities, reps of Karabakh Armenians
in Khojaly revealed »</a>”, Trend News Agency,
25 septembre 2023. [Disponible en anglais seulement].. Une troisième réunion similaire a eu lieu le 29 septembre 2023 à Yevlakh, concernant la réintégration de la population arménienne du Karabakh/Haut-Karabakh, la remise en état des infrastructures et l’organisation de ses activités sur la base de la Constitution et des lois de la République d’Azerbaïdjan. 
			(27) 
			«<a href='https://azertag.az/fr/xeber/troisieme_reunion_avec_les_representants_des_residents_armeniens_de_la_region_du_karabagh_a_termine_a_yevlakh___mis_a_jour_photos-2768512'>Troisième
réunion avec les représentants des résidents arméniens de la région
du Karabagh a terminé à Yevlakh</a>», AZERTAC, 29
septembre 2023. 
21. En ce qui concerne la position de l’Arménie, on peut dire que le Premier ministre arménien Nicol Pashinyan a affirmé à plusieurs reprises que l’Arménie n’avait pas participé aux discussions sur l’accord de cessez-le-feu, ni à sa rédaction. Il a également souligné que l’Arménie n’a pas de personnel militaire ni d’armée dans la région azerbaïdjanaise du Karabakh/Haut-Karabakh. Lors d’un discours en direct sur Facebook, le Premier ministre a déclaré que l’Arménie était prête à accueillir 40 000 personnes de la région, bien qu’une évacuation massive devrait être évitée 
			(28) 
			«<a href='https://www.lefigaro.fr/international/haut-karabakh-debut-des-pourparlers-entre-separatistes-armeniens-du-karabakh-et-l-azerbaidjan-20230921'>Haut-Karabakh:
l'Arménie est préparée pour accueillir ‘plus de 40.000 familles’,
déclare le premier ministre</a>», Le Figaro, 21
septembre 2023.. Cependant, les événements des jours suivants ont montré que son souhait de ne pas «dépeupler le Haut-Karabakh» mais de veiller à ce que les habitants de la région «aient la possibilité de vivre chez eux sans crainte, dans la dignité et la sécurité» ne s’était pas concrétisé, puisque la grande majorité des habitants arméniens de la région ont quitté leurs foyers et cherché refuge en Arménie.
22. Le 28 septembre 2023, les autorités autoproclamées de cette région ont annoncé leur propre dissolution et que la république non reconnue du Haut-Karabakh cesserait d’exister d’ici 2024. Cela a été confirmé par la signature, par le président autoproclamé Samvel Shahramanyan, d’un décret dans lequel il s’est engagé à la dissolution de toutes les institutions concernées d’ici le 1er janvier 2024. Le décret prévoit également que la population locale doit «prendre connaissance des conditions de réintégration présentées par la République d’Azerbaïdjan» et prendre «une décision indépendante et individuelle» sur son choix de rester ou de quitter la région. La déclaration souligne que la décision a été prise en raison de la «situation militaro-politique complexe» créée après l’attaque de l’Azerbaïdjan dans la région le 19 septembre 2023 
			(29) 
			«<a href='https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/28/la-republique-separatiste-du-haut-karabakh-va-s-autodissoudre_6191377_3210.html'>La
république autoproclamée du Haut-Karabakh annonce sa propre dissolution</a>», Le Monde, 28
septembre 2023..
23. À Erevan, l’opposition a organisé des manifestations accusant le gouvernement d’abandonner à son sort la population arménienne de la région du Karabakh/Haut-Karabakh. Bien qu’elles se poursuivent, ces manifestations antigouvernementales ont perdu de leur ampleur au cours de la dernière semaine de septembre. Néanmoins, il est clair que les troubles contre le gouvernement arménien pourraient aussi avoir un impact négatif à la fois sur les réformes démocratiques en cours dans ce pays et sur les négociations de paix en cours avec l’Azerbaïdjan.
24. Sur demande de l’Arménie, la Cour européenne des droits de l’homme a pris des mesures provisoires en vertu de l’article 39 de son Règlement. La Cour «a estimé que l’escalade militaire des 19 et 20 septembre 2023 avait mis en danger la vie et la santé de civils et d’autres personnes et a donc décidé, nonobstant l’accord de cessez-le-feu conclu le 20 septembre 2023, d’indiquer au gouvernement azerbaïdjanais de ne prendre aucune mesure qui pourrait entraîner des violations de ses obligations au titre de la Convention, notamment de l’article 2 (droit à la vie) et de l’article 3 (interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants)». La Cour a également décidé d’informer immédiatement le Comité des Ministres de la mesure provisoire susmentionnée 
			(30) 
			«<a href='https://www.armenpress.am/fre/news/1120285.html'>La Cour
européenne des droits de l'homme a appliqué une mesure provisoire
à l'encontre de l'Azerbaïdjan</a>», ArmenPress,
22 septembre 2023..
25. Le 28 septembre 2023, l’Arménie a soumis à la CIJ une demande en indication de mesures conservatoires, «afin de préserver et de protéger les droits consacrés par la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CERD)». L’Arménie a demandé à la Cour d’indiquer un certain nombre de mesures conservatoires et de réaffirmer les obligations de l’Azerbaïdjan en vertu des ordonnances qu’elle a rendues dans cette affaire, en particulier celles du 7 décembre 2021 et du 22 février 2023.
26. Un autre fait important dans cette période troublée a été la ratification, le 3 octobre 2023, par l’Assemblée nationale d’Arménie – par 60 voix contre 22 – du Statut de Rome, reconnaissant ainsi la compétence de la CPI. Il entrera en vigueur 60 jours après le vote 
			(31) 
			«<a href='https://fr.euronews.com/2023/10/03/armenie-le-parlement-adhere-a-la-cour-penale-internationale-un-affront-pour-moscou'>Arménie:
le parlement adhère à la Cour pénale internationale, un affront
pour Moscou</a>», Euronews, 3
octobre 2023.. L’engagement de l’Arménie à devenir le 124e État partie au Statut de Rome avait dû être reporté en raison d’une décision initiale de la Cour constitutionnelle d’Arménie selon laquelle le Statut de Rome était en conflit avec la Constitution arménienne. L’obstacle a été levé après une nouvelle décision de la Cour, le 24 mars 2024, qui a déterminé qu’il n’y avait plus de conflit constitutionnel concernant l’adhésion à la CPI. Cette étape importante a été franchie en dépit des pressions politiques exercées par la Russie et des déclarations de représentants de l’État, comme le porte-parole du Président russe M. Dmitry Peskov, selon lesquelles la Russie n’était pas favorable à cette ratification. Cette décision politique courageuse, en particulier dans les circonstances actuelles particulièrement complexes, aura sans aucun doute des conséquences sur le processus de paix en cours et la justice transitionnelle qui devrait en découler 
			(32) 
			“<a href='https://opiniojuris.org/2023/09/22/armenia-as-the-124th-member-to-the-rome-statute/'>Armenia
as the 124th Member to the Rome Statute</a>”, Opinio Juris,
22 Septembre 2023. [Disponible en anglais seulement]..

3.3. Réactions internationales

27. Le recours de l’Azerbaïdjan à la force militaire dans la région du Karabakh/Haut-Karabakh a été condamné presque unanimement par la communauté internationale. En effet, l’Azerbaïdjan a ainsi remis en question son engagement important à mettre fin au conflit par des moyens pacifiques. L’exode massif de la population arménienne qui a suivi a également suscité une vive inquiétude de la part de la communauté internationale. La diaspora arménienne dans le monde entier s’est employée activement à attirer l’attention de la communauté internationale sur le sort des Arméniens de cette région, en particulier pendant les mois de blocus du corridor de Latchine et dans la crise actuelle d’exode massif vers l’Arménie 
			(33) 
			Voir
par exemple l’épisode en podcast sur Radio
France, «<a href='https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-lundi-02-octobre-2023-9461991'>André
Manoukian: ‘On sait très bien que des élites européennes sont corrompues
par l'Azerbaïdjan’</a>», 2 octobre 2023..

3.3.1. Nations Unies

28. Le 21 septembre 2023, à la demande de l’Arménie et de la France, le Conseil de sécurité des Nations Unies a tenu une réunion d’urgence sur la situation dans la région du Karabakh/Haut-Karabakh à la suite de l’opération militaire de l’Azerbaïdjan. En raison d’un veto de la Fédération de Russie, il n’a pas été possible d’adopter une résolution, mais la discussion au Conseil de sécurité des Nations Unies a confirmé l’aggravation de la crise humanitaire et de la situation des droits humains dans la région et le fait que la vie et la sécurité des Arméniens qui y vivent étaient menacées. Les délégations participantes ont souligné que le recours à la force de la part de l’Azerbaïdjan était inacceptable et contraire aux normes et principes du droit international humanitaire et des droits humains. Il a également été souligné que les droits et la sécurité de la population arménienne de cette région devaient être garantis, y compris le droit de ces personnes de vivre à leur domicile dans la dignité 
			(34) 
			ONU,
couverture des réunions, op.cit..
29. Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Volker Türk, et le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, Morris Tidball-Binz, ont rappelé les obligations internationales de l’Azerbaïdjan envers les Arméniens du Karabakh/Haut-Karabakh, en particulier en ce qui concerne la protection de leurs droits et en vertu du droit humanitaire 
			(35) 
			«<a href='https://www.ohchr.org/fr/statements-and-speeches/2023/09/azerbaijan-armenia-comment-un-human-rights-chief-volker-turk'>Azerbaïdjan/Arménie:
observation de Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux
droits de l’homme</a>», Déclarations et discours, OHCHR, 26 septembre 2023.
Et «<a href='https://news.un.org/fr/story/2023/09/1139157'>Karabakh:
l'Azerbaïdjan doit garantir les droits des Arméniens de souche</a>», ONU Info, 28
septembre 2023.. La Conseillère spéciale du Secrétaire général pour la prévention du génocide, Alice Wairimu Nderitu, a également exprimé son inquiétude face à l’opération militaire menée par l’Azerbaïdjan, soulignant qu’il importait de prévenir de nouvelles violences et d’assurer dans la région une paix durable qui protège les droits de tous 
			(36) 
			«<a href='https://reliefweb.int/report/armenia/statement-ms-alice-wairimu-nderitu-un-special-adviser-prevention-genocide-situation-armenia-and-azerbaijan'>Statement
by Ms. Alice Wairimu Nderitu, UN Special Adviser on the Prevention
of Genocide, on the situation in Armenia and Azerbaijan »</a>, ONU communiqué de presse, 22 septembre 2023. [Disponible
en anglais seulement]..
30. Depuis le début, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) apporte son soutien aux personnes qui fuient leur domicile, tout en appelant à la protection des civils et au plein respect du droit international humanitaire et des réfugiés. Le HCR s’est inquiété du fait que «la majorité des personnes qui arrivent sont vulnérables, notamment les personnes âgées, les femmes et les enfants. Les personnes qui arrivent aux frontières sont épuisées et ont besoin d’une aide d’urgence, ainsi que d’un soutien psychosocial. Avec des températures glaciales la nuit et un hébergement limité, l’aide aux abris d’urgence doit être une priorité». Le HCR, avec d’autres organes des Nations Unies, aide le gouvernement arménien à mettre en place des structures de coordination. Le HCR dirige également la réponse inter-institutions pour les réfugiés, en collaboration avec le Bureau du Coordonnateur résident des Nations Unies. Le HCR, en collaboration avec les agences des Nations Unies et les ONG partenaires, a lancé un appel de 97 millions de dollars pour fournir une aide humanitaire et une protection urgentes aux réfugiés et à ceux qui les accueillent en Arménie, en soutien au Plan d'intervention d'urgence pour les réfugiés en Arménie (RRP), lancé le 7 octobre 2023 et couvrant les efforts de secours jusqu'à la fin du mois de mars 2024. 
			(37) 
			«<a href='https://www.francetvinfo.fr/monde/conflit-dans-le-haut-karabakh/haut-karabakh-l-onu-demande-pres-de-100-millions-de-dollars-pour-aider-les-refugies-en-armenie_6107754.html'>Haut-Karabakh:
l'ONU demande près de 100 millions de dollars pour aider les réfugiés
en Arménie</a>», France Info, 7 octobre
2023. Voir aussi «<a href='https://www.unhcr.org/news/press-releases/un-and-partners-appeal-us-97-million-respond-urgent-needs-refugees-and-their'>UN
and partners appeal for US$97 million to respond to urgent needs
of refugees and their hosts in Armenia »</a>, communiqué du HCR, 7 octobre 2023. [Disponible en anglais
seulement].
31. Pour la première fois depuis plus de 30 ans, l’Azerbaïdjan a permis qu’une mission de l’ONU, dirigée par le Coordonnateur résident des Nations Unies en Azerbaïdjan, effectue une mission dans la région du Karabakh/Haut-Karabakh afin d’évaluer les besoins humanitaires sur place. La visite a eu lieu le 1er octobre 2023 et la délégation s’est rendue d’Aghdam à Kakhendi/Stepanakert. Dans un communiqué de presse publié le même jour, la mission a expliqué qu’elle avait été «frappée par la manière soudaine dont la population locale [avait] quitté son domicile et par les souffrances que cette expérience [avait] dû lui causer». De plus, «d’après les conversations que l’équipe a pu avoir, il [était] difficile de déterminer à ce stade si la population locale [avait] l’intention de revenir» 
			(38) 
			«<a href='https://news.un.org/fr/story/2023/10/1139257'>Karabakh:
des équipes de l’ONU aident les réfugiés à la frontière arménienne</a>», ONU Info, 2
octobre 2023. Voir aussi «<a href='https://azerbaijan.un.org/en/248051-un-team-completes-mission-karabakh?_gl=1*11ddw09*_ga*MTY1ODM3NTUyNi4xNjk2MjM0NDUx*_ga_TK9BQL5X7Z*MTY5NjMxOTkwNy40LjAuMTY5NjMxOTkwNy4wLjAuMA..'>UN
team completes mission to Karabakh »</a>”, UN Azerbaijan Press Release, 2
octobre 2023. [Disponible en anglais seulement]..

3.3.2. Conseil de l’Europe

32. Il est important de rappeler une fois de plus que lors de sa demande d’adhésion au Conseil de l’Europe, l’Azerbaïdjan s’est engagé «à un règlement pacifique du conflit du Haut-Karabakh» et «à régler les différends internationaux et internes par des moyens pacifiques et selon les principes de droit international (obligation qui incombe à tous les États membres du Conseil de l’Europe), en rejetant résolument toute menace d’employer la force contre ses voisins» 
			(39) 
			Avis 222 (2000) «Demande
d'adhésion de l'Azerbaïdjan au Conseil de l'Europe»..
33. La Secrétaire Générale assistait à l’Assemblée générale des Nations Unies à New York le jour du lancement de l’opération militaire et elle a pu rencontrer le ministre des Affaires étrangères de l’Azerbaïdjan en marge du débat général de l’Assemblée générale des Nations Unies. À l’issue de cet entretien, elle a publié une déclaration dans laquelle elle exprimait sa «vive inquiétude quant aux informations faisant état d’une escalade militaire autour de la région du Karabakh». La Secrétaire Générale a également «déploré que des civils innocents et vulnérables, qui traversent déjà une crise humanitaire aiguë dans la région, soient une fois de plus les premières victimes de l’usage de la force», ajoutant que «cette situation ne saurait être tolérée». Elle appelait «l’Azerbaïdjan de cesser immédiatement ses actions militaires», soulignant que «seul un dialogue constructif et inconditionnel, associant toutes les parties, peut déboucher sur une paix durable, seule solution possible». La Secrétaire Générale a également rappelé que «le Conseil de l’Europe est disposé à participer à ce processus et à apporter son aide en vue de garantir à toutes et à tous le plein exercice des droits humains, y compris les droits des minorités nationales.» 
			(40) 
			«<a href='https://www.coe.int/fr/web/portal/-/military-escalation-around-the-karabakh-region'>Escalade
militaire autour de la région du Karabakh</a>», Déclaration de la Secrétaire Générale Marija Pejčinović
Burić, Salle de presse du Conseil de l’Europe, 19 septembre 2023.
34. Le même jour, le Président de l’Assemblée a déclaré être profondément choqué «par la décision du gouvernement de l’Azerbaïdjan de lancer une nouvelle opération militaire agressive dans le Haut-Karabakh [...].» Il a également «condamn[é] fermement ces actions et [appelé] les autorités azerbaïdjanaises à cesser le feu immédiatement». Il a rappelé que «depuis des mois [l’Assemblée est témoin] de la détérioration rapide de la situation humanitaire dans la région en raison du blocus du corridor de Latchine et [appelle] à y mettre un terme», ajoutant que «[…] cela représente sans aucun doute un coup majeur porté aux perspectives de paix et de stabilité durables dans le Caucase du Sud». Tiny Kox a conclu sa déclaration en soulignant que «[...] la question du Haut-Karabakh ne peut être résolue que pacifiquement, par le dialogue et des signaux de bonne volonté sans ambiguïté, et sur la base du droit international applicable, en respectant pleinement les droits humains de toutes les personnes qui y vivent» 
			(41) 
			«<a href='https://www.coe.int/fr/web/portal/-/military-operation-in-nagorno-karabakh-pace-president-calls-on-azerbaijan-to-cease-fire-immediately'>Opération
militaire dans le Haut-Karabakh: le Président de l'APCE appelle
l'Azerbaïdjan à cesser le feu immédiatement</a>», Salle de presse du Conseil de l’Europe, 19 septembre
2023..
35. L’opération militaire a donné lieu à une déclaration de la Commissaire aux droits de l’homme, dans laquelle elle déplore «la nouvelle escalade militaire autour de la région du Karabakh et son impact sur les civils, en particulier les plus vulnérables d’entre eux» et réitère «sa volonté et sa disponibilité pour dialoguer avec tous les interlocuteurs concernés et se rendre dans la région pour aider à surmonter les défis actuels en matière de droits humains» 
			(42) 
			«<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/ensure-the-safety-and-human-rights-of-karabakh-armenians'>Assurer
la sécurité et les droits humains des Arméniens du Karabakh</a>», Déclaration de la Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe, 20 septembre 2023.. Le 2 octobre 2023, alors que la région avait déjà été vidée de ses habitants, elle a publié une autre déclaration dans laquelle elle appelait à «assurer la sécurité et les droits humains des Arméniens du Karabakh» et à un «accès libre et sans entrave des fournisseurs d’aide humanitaire et des missions internationales de défense des droits humains à toutes les zones et à toutes les personnes touchées par la situation actuelle» 
			(43) 
			«<a href='https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/ensure-the-safety-and-human-rights-of-karabakh-armenians'>Assurer
la sécurité et les droits humains des Arméniens du Karabakh</a>», Déclaration de la Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe, 2 octobre 2023.. Enfin, le Président du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux a exprimé sa «forte inquiétude concernant la situation dans le Haut-Karabakh» 
			(44) 
			«<a href='https://www.coe.int/fr/web/congress/-/congress-president-expresses-grave-concern-over-the-nagorno-karabakh-situation'>Le
Président du Congrès exprime sa forte inquiétude concernant la situation
dans le Haut-Karabakh</a>», Conseil de l’Europe, 19 septembre 2023..
36. La gravité de la situation a également conduit le Président de l’Assemblée à proposer la tenue d’une réunion du comité mixte (avec le Comité des Ministres), le 12 octobre 2023.
37. Il ne fait aucun doute qu’une ou plusieurs visites d’information en Azerbaïdjan de la part d’institutions ou d’organes du Conseil de l’Europe, dans les plus brefs délais, aideraient considérablement à clarifier cette situation très instable, à engager un dialogue constructif avec les autorités azerbaïdjanaises et à déterminer les mesures qui peuvent être mises en place pour remédier à l’exode dramatique actuel de la quasi-totalité de la population arménienne de la région azerbaïdjanaise du Karabakh/Haut-Karabakh. À cet égard, l’intention annoncée d’organiser une visite de la Commissaire aux droits de l’homme est particulièrement bienvenue.

3.3.3. L’Union européenne

38. Malgré la situation tendue engendrée par le blocus du corridor de Latchine en décembre 2022, les pourparlers de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan se sont poursuivis sous les auspices de l’Union européenne et, dans une moindre mesure, sous l’égide des États Unis d’Amérique. Ainsi, le 26 septembre 2023, le Conseil européen a organisé une réunion entre le secrétaire du Conseil de sécurité arménien, Armen Grigoryan, et le conseiller en politique étrangère du président de l’Azerbaïdjan, Hikmet Hajiyev, avec la participation des conseillers diplomatiques du président français Emmanuel Macron et du chancelier allemand Olaf Scholz, Emmanuel Bonne et Jens Ploetner, ainsi que du représentant spécial de l’Union européenne pour le Caucase du Sud et la crise en Géorgie, Toivo Klaar. À cette occasion, l’Union européenne a réaffirmé sa position concernant l’opération militaire menée par l’Azerbaïdjan et a insisté sur le besoin de transparence ainsi que sur la nécessité de garantir un accès aux acteurs internationaux de l’aide humanitaire et des droits de l’homme et d’obtenir des précisions sur la vision de Bakou quant à l’avenir des Arméniens du Karabakh/Haut-Karabakh en Azerbaïdjan 
			(45) 
			«<a href='https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2023/09/26/statement-by-spokesperson-for-president-of-the-european-council-charles-michel-on-armenia-azerbaijan-normalisation-26-september-2023/'>Déclaration
de la porte-parole du président du Conseil européen, Charles Michel,
concernant la normalisation des relations entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan</a>», Communiqué du Conseil européen, 26 septembre 2023.. Le 4 octobre 2023, l’Azerbaïdjan a annoncé qu’il ne participerait pas à la réunion très attendue des dirigeants arméniens et azerbaïdjanais qui devait se tenir dans le cadre du troisième sommet de la Communauté politique européenne prévu pour le 5 octobre 2023 à Grenade (Espagne). Cette réunion était considérée comme une étape importante pour entamer des pourparlers sur de possibles mesures concrètes devant permettre de faire progresser le processus de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan tels que ceux concernant la délimitation des frontières, la sécurité, la connectivité, les questions humanitaires, et le traité de paix dans une perspective plus large. Elle pouvait être mise à profit tant par Erevan que par Bakou pour réaffirmer publiquement leur attachement à l’intégrité territoriale et à la souveraineté de l’autre partie, conformément aux accords conclus précédemment 
			(46) 
			Ibid..
39. Les responsables de l’Union européenne, dont M. Josep Borrell, Haut Représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité / Vice-Président de la Commission (HR/VP) et une délégation de députés européens de la commission des affaires étrangères (AFET), ont condamné l’escalade des tensions et appelé à la cessation des hostilités liées à l’opération militaire 
			(47) 
			«<a href='https://www.eeas.europa.eu/eeas/azerbaijan-statement-high-representative-military-escalation_en'>Azerbaijan:
Statement by the High Representative on the military escalation</a>», SEAS, 19 septembre 2023. [Disponible en anglais seulement].
Et «<a href='https://www.europarl.europa.eu/delegations/en/product/product-details/20230919DPU37422'>Joint
statement on Azerbaijan’s attack on Nagorno-Karabakh »</a>”, Communiqué de la délégation DSCA du Parlement européen,
19 septembre 2023. [Disponible en anglais seulement].. Ils ont une nouvelle fois appelé à garantir les droits et la sécurité de la population de cette région après le cessez-le-feu – notamment lors d’un entretien téléphonique du président du Conseil européen Charles Michel avec le Président Ilham Aliyev. Le HR/VP a également publié une déclaration avertissant que le déplacement forcé de la population civile par des moyens militaires ou autres ferait l’objet d’une réponse ferme de la part de l’Union européenne. Il a ajouté que l’Union européenne était prête à prendre les mesures qui s’imposent si la situation se détériorait davantage. Il a réitéré cette position, notamment en appelant l’Azerbaïdjan à réaffirmer son engagement en faveur de l’intégrité territoriale de l’Arménie, lors de la réunion spéciale du Conseil de Sécurité des Nations Unies 
			(48) 
			«<a href='https://www.eeas.europa.eu/eeas/azerbaijan-address-high-representative-josep-borrell-un-security-council-nagorno-karabakh_en?channel=eeas_press_alerts&date=2023-09-22&newsid=0&langid=en&source=mail'>Azerbaijan:
Address by the High Representative Josep Borrell to UN Security
Council on Nagorno-Karabakh</a>», SEAS, 22 septembre 2023. [Disponible en anglais seulement].. Lors d’un débat avec le Service européen pour l'action extérieure (SEAE), les députés européens de tous les partis politiques ont appelé l’Union européenne à réexaminer ses relations avec l’Azerbaïdjan et en particulier à suspendre les importations de gaz; certains députés ont appelé à prendre des sanctions contre l’Azerbaïdjan.
40. Le 29 septembre 2023, le porte-parole du SEAE a publié une déclaration rappelant la nécessité urgente «d’assurer l’acheminement constant et sans entrave de l’aide humanitaire à ceux qui en ont encore besoin au Karabakh, et à ceux qui sont partis». Annonçant une aide humanitaire supplémentaire de 5 millions d’euros pour aider les personnes déplacées, qui ont quitté leurs foyers en direction de l’Arménie, et celles qui se trouvent en situation de vulnérabilité à l’intérieur de la région, le SEAE a souligné que «l’Azerbaïdjan a la responsabilité de garantir les droits et la sécurité des Arméniens du Karabakh, y compris leur droit de vivre chez eux dans la dignité, sans intimidation ni discrimination, et le droit au retour des personnes déplacées». Il a également estimé qu’«il est essentiel qu’une mission des Nations Unies puisse accéder au territoire dans les prochains jours» 
			(49) 
			«<a href='https://www.eeas.europa.eu/eeas/azerbaijan-statement-spokesperson-displacement-people-nagorno-karabakh-0_en'>Azerbaijan:
Statement by the Spokesperson on the displacement of people from
Nagorno-Karabakh</a>», SEAS, 29 septembre 2023. [Disponible en anglais seulement]..
41. Dans une résolution adoptée le 5 octobre 2023 par 491 voix contre 9, le Parlement européen a demandé à l’Union européenne de réexaminer ses relations avec l’Azerbaïdjan, estimant que la situation actuelle des Arméniens fuyant le Karabakh/Haut-Karabakh équivalait à un nettoyage ethnique. Il a appelé à des sanctions ciblées contre les responsables gouvernementaux azerbaïdjanais responsables de violations du cessez-le-feu et de violations des droits humains dans la région du Karabakh/Haut-Karabakh et à la suspension de toute négociation sur un partenariat renouvelé avec Bakou. Les députés ont également demandé à la Türkiye de réfréner son allié, l’Azerbaïdjan 
			(50) 
			«<a href='https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20230929IPR06132/haut-karabakh-le-pe-demande-un-reexamen-des-relations-avec-l-azerbaidjan'>Haut-Karabakh:
les députés demandent un réexamen des relations de l’UE avec l’Azerbaïdjan</a>», Communiqué de presse du Parlement européen, 5 octobre
2023..

4. L’exode

4.1. Une tragédie humaine

42. Des dizaines de milliers d’Arméniens de la région du Karabakh/Haut-Karabakh ont pris la route vers l’Arménie immédiatement après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu et l’ouverture du corridor de Latchine par l’Azerbaïdjan. Les autorités autoproclamées de la région ont déclaré que les personnes évacuées seraient accompagnées par les forces russes de maintien de la paix pour traverser la frontière séparant la région contestée de l’Arménie. «Chers compatriotes, nous souhaitons vous informer que les familles sans abri à la suite des récentes opérations militaires qui ont exprimé leur désir de partir seront transférées en Arménie, accompagnées par les forces russes de maintien de la paix», peut-on lire dans un communiqué. «Le gouvernement communiquera prochainement des informations sur la relocalisation d’autres groupes de population» 
			(51) 
			«<a href='https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20230924-l-azerba%C3%AFdjan-poursuit-ses-op%C3%A9rations-pour-un-contr%C3%B4le-total-du-haut-karabakh'>Haut-Karabakh:
un millier de réfugiés arrivent en Arménie</a>», France24, 24
septembre 2023.. Des ONG locales ont également participé à l’évacuation.
43. Malgré l’accord de cessez-le-feu entre les autorités azerbaïdjanaises et les autorités autoproclamées de la région, les bombardements se seraient poursuivis même après la fin officielle de l’opération militaire menée par l’Azerbaïdjan. Le gouvernement arménien a indiqué qu’au 3 octobre 2023, plus de 100 617 Arméniens avaient été déplacés de force de l’Azerbaïdjan vers l’Arménie, ce qui représente près de 99% de la population arménienne de la région 
			(52) 
			«<a href='https://news.un.org/fr/story/2023/10/1139272'>L’Arménie
confrontée à des défis sanitaires face à l’afflux sans précédent
de réfugiés</a>», ONU Info, 3 octobre 2023. Et «<a href='https://news.am/eng/news/784647.html'>100,617 forcibly
displaced persons enter Armenia from Karabakh as of Tuesday morning
»</a>, NEWS.am, 3 octobre 2023.
[Disponible en anglais seulement].. Il a également été indiqué que neuf enfants étaient hospitalisés en soins intensifs 
			(53) 
			«<a href='https://radar.am/en/news/social-2592625481/'>There are
still 9 children displaced from Nagorno-Karabakh in the intensive
care unit</a>», Radar.am, 3
octobre 2023. [Disponible en anglais seulement]..
44. Les personnes cherchant refuge ont voyagé en voiture ou en minibus, emportant les effets personnels qu’elles pouvaient transporter, lors d’un périple de plus de deux jours pour parcourir les quelques kilomètres de route à faire pour quitter le pays. La nourriture, l’eau et le carburant étaient rares, et les reportages photo et vidéo témoignent de la panique et du chaos qui régnaient pendant cet exode. Le corridor de Latchine sert de passage à sens unique pour les personnes qui quittent le pays, et de voie à double sens pour les camions du CICR qui acheminent l’aide humanitaire dont les rares personnes restées sur place ont grandement besoin.
45. Les organisations internationales s’inquiètent du fait que de nombreuses personnes cherchant refuge sont séparées de leur famille; elles alertent également sur les besoins considérables de soutien en matière de santé mentale pour les réfugiés. Les témoignages font état d’enfants trop faibles pour marcher, signe tragique de la vulnérabilité et du traumatisme vécus par cette population au terme d’une longue période de privations 
			(54) 
			«<a href='https://news.un.org/fr/story/2023/09/1139192'>Arméniens
du Karabakh: le HCR se prépare à un éventuel exode de 120.000 personnes</a>», ONU Infos, 29 septembre 2023..
46. De nombreuses personnes vulnérables, notamment les personnes âgées, malades et handicapées, ne peuvent certainement pas partir et le CICR mène désormais des actions dans les rues, utilisant des mégaphones pour essayer d’identifier les personnes qui ont besoin d’aide ou qui souhaitent être évacuées 
			(55) 
			<a href='https://twitter.com/icrc/status/1709499938227310669?s=51&t=OWybFsHsx3eBgfAl_5rgHw'>ICRC,
Twitter</a>, 4 octobre 2023. [Disponible en anglais seulement]..
47. Ajoutant au désastre, une explosion s’est produite dans un dépôt de carburant près de Kakhendi/Stepanakert le 26 septembre 2023. Des centaines de voitures faisaient la queue pour prendre de l’essence afin de quitter la région. Au moins 170 personnes sont mortes, plus de 200 ont été blessées, et la plupart d’entre elles ont été évacuées par hélicoptère vers l’Arménie. Les restes retrouvés sur les lieux de l’explosion ont été envoyés en Arménie pour identifier les victimes au moyen d’analyses ADN 
			(56) 
			«<a href='https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/29/haut-karabakh-au-moins-170-morts-dans-l-explosion-d-un-depot-de-carburant-selon-les-autorites-separatistes_6191564_3210.html'>Haut-Karabakh:
170 morts dans l’explosion d’un dépôt de carburant, selon les autorités
séparatistes</a>» Le Monde, 29 septembre
2023..
48. Depuis le début de cet exode de la population, les craintes se sont multipliées quant au fait que les gardes-frontières azerbaïdjanais pourraient profiter de l’occasion pour arrêter des personnes soupçonnées d’être associées aux autorités autoproclamées. Le 27 septembre 2023, Ruben Vardanyan, homme politique de premier plan et ancien ministre de l’État autoproclamé, a été arrêté par les garde-frontières azerbaïdjanais alors qu’il tentait de franchir le poste de contrôle de Latchine pour entrer en Arménie. Le lendemain, les autorités azerbaïdjanaises ont engagé contre lui des poursuites pénales, notamment pour «financement du terrorisme», entrée illégale au Karabakh/Haut-Karabakh l’année dernière et fourniture d’équipements militaires à ses forces armées. Un tribunal azerbaïdjanais l’a ensuite placé en détention provisoire. Les médias arméniens ont indiqué que le gouvernement arménien avait saisi la Cour européenne des droits de l’homme au sujet de la détention de M. Vardanyan, en demandant une mesure provisoire dans l’attente de la communication d’informations par l’Azerbaïdjan sur les conditions de détention. D’autres placements en détention ont été signalées 
			(57) 
			Les personnes arrêtées
comprennent les anciens Présidents de
facto de l’entité auto-proclamée du Nagorno-Karabakh
Arkadi Ghukasyan, Bako Sahakyan, Arayik Harutyunyan, le Président
en exercice du Parlement auto-proclamé Davit Ishkhanyan, l’ancien
ministre de facto des Affaires
Etrangères Davit Babayan, l’ancien ministre de
facto de la Défense Levon Mnatsakanyan et son adjoint
Davit Manukyan.. À mon avis, en cette période très difficile et très tendue, il est d’autant plus important que toutes les mesures prises en ce qui concerne les soupçons d’activités terroristes ou illégales soient clairement circonscrites, mesurées et transparentes, afin d’éviter de donner l’apparence de représailles ou de vengeance et d’exacerber davantage encore les craintes de la population arménienne. Les garanties nécessaires, dont le droit à un procès équitable, consacré à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, devraient être appliquées et, idéalement, les mesures relatives à un mécanisme de justice transitionnelle devraient être mises en œuvre en priorité 
			(58) 
			<a href='https://www.mfa.am/en/press-releases/2023/10/04/Mfa_Statement/12256'>MFA
Statement</a>, Ministère des Affaires étrangères de la République
d’Arménie, 4 octobre 2023. [Disponible en anglais seulement]..

4.2. Accueil des réfugiés en Arménie

49. Le gouvernement arménien, dirigé par le Premier ministre Nikol Pashinyan, a démontré sa volonté d’accueillir et d’héberger les réfugiés, bien que leur nombre dépasse la capacité d’accueil annoncée de 40 000 réfugiés 
			(59) 
			<a href='https://www.lefigaro.fr/international/haut-karabakh-debut-des-pourparlers-entre-separatistes-armeniens-du-karabakh-et-l-azerbaidjan-20230921'>«Haut-Karabakh:
l'Arménie est préparée pour accueillir ‘plus de 40.000 familles’,
déclare le premier ministre</a>», Le Figaro, 21
septembre 2023.. Au 3 octobre 2023, selon le gouvernement arménien, 100 632 réfugiés avaient traversé la frontière vers l’Arménie, et 92 216 d’entre eux avaient été enregistrés 
			(60) 
			Voir par exemple ce <a href='https://m.facebook.com/armgovernment/videos/627482242791608/?extid=NS-UNK-UNK-UNK-IOS_GK0T-GK1C&ref=sharing&wtsid=rdr_0rEl4tjbjBN221Rmd'>communiqué
du gouvernement arménien</a> publié sur le compte Facebook officiel du Gouvernement
de la République d’Arménie, 3 octobre 2023. [Disponible en arménien
seulement].. L’ONU estime qu’il reste encore entre 50 et 1000 personnes sur place.
50. Sur la base d’une évaluation immédiate des besoins urgents, le gouvernement arménien a rapidement adopté une série de mesures pour aider les réfugiés et leur fournir de la nourriture, un logement, des médicaments, un enseignement et d’autres équipements de base. Il a également mis en œuvre différents programmes d’aide en espèces.
51. Une attention particulière a été accordée aux enfants séparés. Ceux qui n’ont pas pu retrouver leurs familles ont été hébergés au centre d’aide d’urgence de Goris, tandis que des personnes âgées célibataires ont été placées en maison de retraite.
52. Après avoir atteint leur destination initiale au-delà de la frontière à Goris ou Kornidzor et avoir été enregistrés, les réfugiés ont été transférés à Erevan, puis, à partir de là, vers d’autres régions d’Arménie, notamment Syunik, Kotyak et Ararat. Une plateforme pour les besoins de première nécessité, une plateforme pour cartographier le soutien afin de coordonner le travail des initiatives de soutien privé et une ligne d’assistance téléphonique ont été lancées, et plus de 600 bénévoles se sont portés volontaires.
53. La communauté internationale des donateurs est intervenue pour aider à faire face à cette situation urgente et dramatique. Le HCR codirige le Plan d’intervention inter-institutions d’urgence avec le Bureau du Coordonnateur résident des Nations Unies en Arménie 
			(61) 
			«<a href='https://www.unhcr.org/fr/actualites/points-de-presse/le-hcr-appelle-une-aide-urgente-pour-faire-face-la-situation'>Le
HCR appelle à une aide urgente pour faire face à la situation humanitaire
en Arménie</a>», Points de presse du HCR, 29 septembre 2023.. L’Union européenne, l’Autriche, le Danemark, la France, l’Espagne, la Suède, la Norvège, le Royaume-Uni et les États-Unis ont notamment annoncé un train de mesures supplémentaires d’aide humanitaire.
54. Malgré tous les efforts déployés, les autorités ont atteint les limites de leurs capacités d’accueil en raison du nombre considérable d’arrivées en très peu de temps. Il convient de fournir un soutien urgent et à grande échelle aux communautés d’accueil ainsi qu’aux réfugiés, et partager la charge de l’accueil.
55. Le projet destiné aux personnes déplacées dans le cadre du Plan d’action du Conseil de l’Europe pour l’Arménie est désormais intégralement financé. La Représentante spéciale de la Secrétaire Générale sur les migrations et les réfugiés peut jouer un rôle essentiel aux fins d’évaluer le soutien supplémentaire que le Conseil de l’Europe peut apporter à l’Arménie pour faire face à cet afflux important de réfugiés.

4.3. La position de l’Azerbaïdjan

56. L’Azerbaïdjan a fermement rejeté les allégations de nettoyage ethnique formulées par l’Arménie, et a fait part de sa volonté et de ses efforts pour régler la situation et réintégrer la population arménienne dans cette région. Les autorités ont attiré l’attention sur le communiqué de presse publié par l’ONU après sa mission, qui indique que les observateurs «[…] n’ont pas constaté de dommages causés aux infrastructures civiles, notamment aux hôpitaux, aux écoles et aux logements, ni aux structures culturelles ou religieuses». Un représentant de l’ONU aurait également déclaré qu’on n’avait pas «recensé de cas de mauvais traitements» de la part des forces azerbaïdjanaises à l’encontre des personnes qui ont traversé la frontière en direction de l’Arménie 
			(62) 
			«<a href='https://www.trtfrancais.com/actualites/karabakh-lonu-affirme-navoir-recu-aucun-signalement-de-mauvais-traitement-contre-les-armeniens-15194171'>Karabakh:
L’ONU affirme n’avoir reçu aucun signalement de mauvais traitement
contre les Arméniens</a>», TRT français, 30 septembre 2023..
57. Un certain nombre de mesures ont en effet été prises rapidement, en particulier la nomination de Ramin Mammadov en tant que référent chargé des contacts avec la population arménienne de la région.
58. Les plans de réintégration présentés lors de trois réunions tenues les 21, 25 et 29 septembre 2023 étaient axés sur les questions juridiques, de gouvernance et de sécurité, sur les problématiques économiques et sociales, culturelles, éducatives et religieuses 
			(63) 
			«<a href='https://azertag.az/fr/xeber/communique_de_ladministration_presidentielle_de_la_republique_dazerbaidjan-2768965'>Communiqué
de l’Administration présidentielle de la République d’Azerbaïdjan</a>», AZERTAC, 29
septembre 2023. Voir aussi: <a href='https://azertag.az/en/xeber/statement_by_the_presidential_administration_of_the_republic_of_azerbaijan-2771617'>«Statement
by the Presidential Administration of the Republic of Azerbaijan</a>», AZERTAC, 2 octobre
2023. [Disponible en anglais seulement].. Selon les informations disponibles, les mesures concrètes n’ont pas encore été mises en œuvre. De telles mesures tangibles et visibles sont absolument nécessaires pour rassurer la population arménienne quant à la possibilité d’un retour en toute sécurité et quant au plein respect et à la protection de ses droits, y compris des droits des minorités.
59. L’Azerbaïdjan a mis en ligne un «portail sur la réintégration des résidents arméniens vivant dans la région économique du Karabakh de la République d’Azerbaïdjan» permettant aux Arméniens de la région de s’enregistrer afin de participer au processus de réintégration 
			(64) 
			<a href='https://reintegration.gov.az/'>Reintegration Portal of
Armenian residents living in the Karabakh economic region of the
Republic of Azerbaijan</a>. [Disponible en arménien seulement].. Il est expliqué que le processus d’enregistrement vise à leur permettre d’utiliser efficacement l’ensemble des services gouvernementaux et à répondre à leurs besoins socio-économiques et humanitaires. Le portail est disponible en quatre langues, dont l’arménien. Les médias sociaux azerbaïdjanais ont relayé les exemples de plusieurs Arméniens ayant opté pour ce processus d’enregistrement.
60. Le Centre provisoire de gestion, placé sous l’égide du Poste central de coordination, a également commencé à fournir des services médicaux à Khankendi/Stepanakert en envoyant du personnel médical spécialisé, notamment des médecins spécialistes, des ambulances et une unité médicale d’urgence. La prochaine étape consistera à évaluer la situation médicale, sanitaire et épidémiologique de ce qui reste de la population de la ville.
61. Toutes ces mesures paraissent positives. Cependant, la confiance s’établit au fil du temps. Le conflit et le différend de longue date concernant le blocus du corridor de Latchine et la rupture de l’approvisionnement énergétique, constamment réfutés par les autorités azerbaïdjanaises, ainsi que l’absence de consensus sur le nombre d’Arméniens vivant dans cette région et d’autres lectures très différentes des faits, participent au manque de confiance dans les intentions et la bonne volonté des autorités. Qu’il accepte ou non certains points de vue sur la situation, l’Azerbaïdjan doit prendre en compte les craintes et les perceptions de la population et concentrer ses efforts sur l’instauration de la confiance.

5. Conclusion et recommandations

62. Au cours des dernières semaines, l’Europe et le monde ont été témoins d’un exode massif de population d’un pays vers un autre, faisant suite à un conflit et à des tensions existant de longue date. Plus de 100 600 Arméniens, soit près de 99% de sa population, ont quitté la région du Karabakh/Haut-Karabakh après une crise humanitaire de dix mois liée au blocage du corridor de Latchine.
63. Les récits opposés au sujet de cet exode sont difficiles à concilier; tandis que l’Azerbaïdjan affirme son droit de protéger son territoire contre les activités terroristes séparatistes et sa volonté d’œuvrer à une cohabitation harmonieuse de tous les groupes présents dans cette région, l’Arménie considère l’exode comme un déplacement forcé de facto équivalant à un nettoyage ethnique.
64. Quoi qu’il en soit, les autorités azerbaïdjanaises ont la responsabilité et l’obligation de protéger les droits et la sécurité de tous les habitants de cette région et de maintenant faire tout ce qui est en leur pouvoir pour rassurer la population arménienne quant à sa sécurité et au respect de ses droits, y compris ses droits en tant que groupe minoritaire. L’action de l’Azerbaïdjan doit être guidée par les obligations internationales du pays, parmi lesquelles le Statut du Conseil de l’Europe, la Convention européenne des droits de l’homme, la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales.
65. En ce qui concerne la plus grande partie de la population arménienne, qui est maintenant réfugiée à l’étranger, il est impératif que l’Azerbaïdjan démontre, par des paroles et des actions concrètes, qu’il est prêt à accueillir de nouveau ces citoyens, lesquels doivent avoir toute confiance et n’avoir aucun doute qu’ils seront acceptés et protégés en tant que composante égale et respectée de la population de l’Azerbaïdjan.
66. L’Arménie a fait preuve d’une forte solidarité et d’une grande résilience en recevant et en accueillant en quelques jours la quasi-totalité de la population de la région du Karabakh/Haut-Karabakh. La communauté internationale doit se mobiliser pour apporter un soutien adéquat à la protection et à la prise en charge de ces réfugiés vulnérables et les aider à se remettre des traumatismes et des privations qu’ils ont subis ces derniers mois.
67. Le Conseil de l’Europe peut et doit jouer un rôle majeur dans le suivi de cette situation, en apportant son expertise et sa contribution dans les semaines et les mois à venir et en encourageant l’Azerbaïdjan à mettre en place les mesures nécessaires pour démontrer sa bonne volonté et ses bonnes intentions, telles qu’exprimées à plusieurs reprises. Ce soutien devrait commencer le plus rapidement possible, avec des missions d’information et autres dans les deux pays, y compris dans la région du Karabakh/Haut-Karabakh. En particulier, une visite rapide de la Commissaire aux droits de l’homme et celle, planifiée, du Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales seront déterminantes.
68. Dans les plus brefs délais, l’Azerbaïdjan devrait fournir des informations sur les mesures qu’il a mises en place pour préserver le patrimoine culturel et religieux et les biens de la population arménienne de cette région, et pour préparer le retour des personnes qui le souhaitent et œuvrer activement à ce retour.
69. Dans un contexte de rhétorique exacerbée, de récriminations, de perceptions opposées et de présentations contestées des faits, il n’est pas facile d’avancer et de progresser. Telle est pourtant la seule façon de parvenir à la paix tant attendue dans cette région troublée. L’Azerbaïdjan a affirmé sa volonté et son engagement en faveur d’un vivre-ensemble harmonieux de tous les habitants de la région du Karabakh/Haut-Karabakh et il doit maintenant donner suite à ces propos de bonne foi et par des actions concrètes.

Annexe – Avis divergent présenté par M. Samad Seyidov (Azerbaïdjan, CE/AD), conformément à l'article 50.4 du Règlement

(open)

Le présent rapport, et tout particulièrement le projet de résolution, expose malheureusement de manière partiale le contexte des événements, reprend un certain nombre d'affirmations sans fondement et ignore les mesures prises par l'Azerbaïdjan pour réintégrer les résidents arméniens de la région azerbaïdjanaise du Karabakh et pour stabiliser la situation dans la région. Nous jugeons indispensable de faire remarquer ce qui suit.

La présence militaire illégale de l'Arménie sur le territoire souverain de l'Azerbaïdjan est restée l'obstacle le plus important à la normalisation post-conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, ainsi qu'aux initiatives visant à réintégrer les résidents arméniens du Karabakh après la signature de la déclaration trilatérale du 10 novembre 2020. Il est clair qu'aucun État souverain ne tolérerait une présence militaire illégale sur son sol. Ainsi, les mesures antiterroristes de l'Azerbaïdjan visaient exclusivement à neutraliser des cibles militaires légitimes présentes sur son territoire souverain, qui représentaient jusqu'au dernier moment une source de menace. Ces mesures étaient en soi parfaitement conformes au droit souverain de l'Azerbaïdjan à l'autodéfense, consacré par la Charte des Nations unies. Grâce à ces mesures, l'Arménie et son régime illégal inféodé ont été contraints d'accepter un désarmement, un démantèlement de toutes les structures illégales et un retrait de l'Azerbaïdjan. Si ce processus ne s'est pas déroulé pacifiquement, c'est en raison du mépris flagrant de l'Arménie et de l'absence de réaction adéquate des acteurs internationaux au cours de la période précédente.

Parallèlement, l'Azerbaïdjan, pays multi-ethnique et multi-religieux, n'a jamais cessé de réaffirmer publiquement et sans ambiguïté son engagement à créer des conditions propices au maintien et à la réintégration dans la société azerbaïdjanaise des Arméniens de souche résidant dans la région du Karabakh. Le fait est que tous les résidents qui ont quitté la région du Karabakh pour l'Arménie ont agi par leur propre choix. Malheureusement, l'Arménie a adopté l'idée qu'«aucun Arménien ne peut vivre sous l'autorité de l'Azerbaïdjan», afin d'imposer sa position annexionniste et séparatiste à la communauté internationale. Dans ces conditions, cette idée a été inculquée à la société arménienne, ainsi qu'aux résidents arméniens du Karabakh, pendant trois décennies, assortie d'une déshumanisation et d'une diabolisation de l'Azerbaïdjan. Cette haine et cette peur de l'Azerbaïdjan, qui ont été cultivées artificiellement, expliquent la raison principale de la décision prise individuellement par de nombreux habitants locaux de quitter l'Azerbaïdjan pour l'Arménie.

L'Azerbaïdjan a présenté ses plans de réintégration, y compris des mesures spécifiques visant à assurer la sécurité, l’auto-gouvernance municipale, le développement socio-économique et la jouissance des droits, en particulier les droits liés à l'éducation, à la culture et à la religion. En outre, plusieurs réunions ont été organisées avec les représentants des résidents arméniens pour discuter de ce plan et un portail consacré à l'enregistrement initial a été mis en place, entre autres.

La vision de l'Azerbaïdjan est de parvenir à la normalisation des relations interétatiques avec l'Arménie et de faire en sorte que les Azerbaïdjanais et les Arméniens vivent côte à côte en paix, dans la dignité et le respect mutuel. De nombreux résidents arméniens ont déjà manifesté leur désir de rentrer chez eux et d’y vivre en qualité de ressortissants azerbaïdjanais; l'Azerbaïdjan s'en félicite et fait en sorte de faciliter leur retour volontaire en multipliant les initiatives en ce sens.

Ainsi, le rapport a omis de reconnaître ces faits sous quelque forme que ce soit; au contraire, en procédant à des appréciations et à des présentations erronées, il a privé l'Assemblée de la possibilité de contribuer positivement au processus de paix en cours dans la région au sens large.