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Rapport | Doc. 15932 | 22 février 2024

Soutien à la reconstruction de l’Ukraine

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : M. Lulzim BASHA, Albanie, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 15732, Renvoi 4735 du 26 mai 2023. 2024 - Deuxième partie de session

Résumé

Le Conseil de l’Europe a montré la voie en exprimant sa solidarité avec l’Ukraine et sa population, en condamnant la guerre d’agression menée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine et en excluant la Fédération de Russie de l'Organisation. Le Conseil de l'Europe a également fait preuve de leadership en créant le Registre des dommages causés par l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine. Le Conseil de l'Europe devrait désormais jouer un rôle majeur dans le soutien aux efforts de reconstruction de l'Ukraine, en recommandant la saisie des avoirs de l'État russe à cette fin.

L’Assemblée devrait:

  • appeler à établir, sous les auspices du Conseil de l'Europe, un mécanisme international d'indemnisation;
  • demander instamment aux États membres et non membres du Conseil de l'Europe détenant des avoirs de l'État russe de coopérer activement au transfert rapide de ces avoirs au mécanisme international d'indemnisation mis en place;
  • appeler à créer un fonds fiduciaire international, où seront déposés tous les avoirs de l’État russe détenus par des États membres ou non membres du Conseil de l'Europe;
  • appeler à mettre en place une commission internationale impartiale et efficace chargée de statuer sur les demandes présentées.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 25 janvier
2024.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire exprime une nouvelle fois sa profonde préoccupation face aux dévastations considérables et aux souffrances aiguës infligées à l’Ukraine et à sa population par la Fédération de Russie avec sa guerre d’agression illégale qui, commencée en 2014, s’est transformée en une invasion à grande échelle en février 2022, entraînant d’importantes pertes humaines et matérielles, de graves violations des droits humains et de nombreux crimes de guerre.
2. Le Conseil de l’Europe a montré la voie en exprimant sa solidarité avec l’Ukraine et sa population, en condamnant la guerre d’agression menée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine et en excluant la Fédération de Russie de l'Organisation à cause de sa violation grave du droit international et des obligations statutaires. Le Conseil de l'Europe a également fait preuve de leadership en créant le Registre des dommages causés par l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine, première étape vers la mise en place d'un système complet destiné à faire en sorte que la Fédération de Russie rende des comptes pour ses actes illicites. Fort de sa détermination indéfectible et son travail axé sur la démocratie, aux droits humains et à l'État de droit, le Conseil de l'Europe devrait jouer un rôle majeur dans le soutien aux efforts de reconstruction de l'Ukraine, en recommandant la saisie des avoirs de l'État russe et leur utilisation pour soutenir la reconstruction de l'Ukraine. Cette démarche poursuivrait un triple objectif: renforcer l'Ukraine, garantir que la Fédération de Russie rende des comptes et empêcher, par la dissuasion, toute autre agression future.
3. L’Assemblée estime qu’il est crucial que la communauté internationale, travaillant de concert, relève ce défi et veille à ce que les victimes de l’agression, l’Ukraine et ses citoyens, reçoivent les réparations qui leur sont dues, et à ce qu’il y ait une voie vers la justice. Comme l’Assemblée a déjà appelé à le faire dans sa Résolution 2516 (2023) «Garantir une paix juste en Ukraine et une sécurité durable en Europe», cela suppose de mettre en place «un mécanisme d’indemnisation global, comprenant une commission internationale chargée d’examiner les demandes d’indemnisation des dommages consignés au Registre des dommages, et un fonds d’indemnisation pour payer les décisions d’indemnisation des dommages accordés par la commission, en particulier en confisquant et en utilisant autrement les avoirs de la Fédération de Russie afin de payer des dommages de guerre en Ukraine».
4. Les dommages documentés causés aux infrastructures et à l'économie de l'Ukraine par l'agression de la Fédération de Russie avaient atteint 416 milliards $US en juin 2023. Le sort des personnes qui ont dû fuir l'Ukraine à cause de la guerre – environ 6,2 millions de personnes – est particulièrement préoccupante, car il s'agit d'une urgence humanitaire en soi, mais aussi parce qu'elle a des effets en chaîne au-delà des frontières, affectant les pays voisins et mettant les ressources à rude épreuve à plus grande échelle. En outre, on estime qu'environ 17,6 millions de personnes en Ukraine ont eu besoin d'aide humanitaire en 2023, dont 5,1 millions de personnes déplacées à l'intérieur du pays.
5. L'Assemblée reconnaît que la non-participation de la Fédération de Russie au règlement international des différends entrave les voies juridiques traditionnelles destinées à obtenir des réparations. Elle affirme toutefois que l'État agresseur, la Fédération de Russie, a l'obligation d'indemniser pleinement les dommages, pertes et préjudices causés par ses actes internationalement illicites, notamment la destruction d'infrastructures, la perte de vies humaines, les difficultés économiques et d’autres effets préjudiciables, conformément aux principes du droit international. À cet égard, l'Assemblée rappelle les articles de 2001 sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, les Principes fondamentaux et directives des Nations Unies de 2005 concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l'homme et de violations graves du droit international humanitaire, et la Résolution A/RES/ES-11/5, adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 14 novembre 2022 et intitulée «Agression contre l'Ukraine: recours et réparation», qui reconnaît la nécessité d'établir un mécanisme international de réparation.
6. L'Assemblée note que plusieurs pays détenant des avoirs souverains russes ont gelé des avoirs de l’État russe représentant environ 300 milliards $US. Les avoirs financiers de l’État russe déjà gelés doivent servir à la reconstruction de l'Ukraine. Les États qui les détiennent devraient coopérer et les transférer à un mécanisme international d’indemnisation. En vertu du droit international, les États ont le pouvoir d'adopter des contre-mesures visant un État qui a gravement enfreint le droit international. Le temps est venu pour les États membres du Conseil de l'Europe de passer des sanctions aux contre-mesures. L’Assemblée note aussi que les contre-mesures sont destinées à inciter l’État fautif à mettre fin à son comportement illégal ou à se conformer à ses obligations découlant de ce comportement, telles que le paiement d’une indemnisation pour les dommages causés. L'Assemblée souligne que la légitimité des contre-mesures recommandées reste inattaquable dans le cadre de l'immunité souveraine.
7. L’Assemblée estime que la création, sous les auspices du Conseil de l’Europe, d’un fonds international d’indemnisation ainsi que d’un mécanisme d’indemnisation, en tant qu’instrument international distinct chargé d’examiner et de statuer sur les réclamations et/ou d’indemniser les dommages, pertes ou préjudices causés par les actes internationalement illicites de la Fédération de Russie en Ukraine ou à l’encontre de l’Ukraine, fournirait un moyen structuré d’évaluer et d’indemniser les dommages subis par diverses parties prenantes en raison de l’invasion illégale de l’Ukraine par la Fédération de Russie. Ce mécanisme d’indemnisation devrait couvrir une série de pertes, y compris, mais sans s'y limiter, les dommages causés aux infrastructures, les impacts environnementaux, les pertes économiques subies par les entreprises et les investisseurs, et les coûts liés à l'accueil et au soutien des personnes qui ont été déplacées par l'agression, en Ukraine et à l'extérieur.
8. Alors que le Registre des dommages déjà établi entreprend le processus laborieux d'enregistrement des pertes ukrainiennes en vue d'une procédure internationale de réclamation, les pays qui ont gelé des avoirs russes devraient transférer ces avoirs à un fonds international d'indemnisation. Une commission internationale chargée d’examiner les demandes d’indemnisation des dommages consignés au Registre devrait être créée pour appliquer efficacement la procédure de réclamation.
9. Au vu de ces considérations, l’Assemblée:
9.1. appelle à établir, sous les auspices du Conseil de l'Europe, un mécanisme international d'indemnisation qui permette de traiter de manière complète la question des dommages subis par les personnes physiques et morales touchées, dont l’État ukrainien, en raison des actions illégales menées par la Fédération de Russie dans le cadre de son invasion de l’Ukraine;
9.2. demande instamment aux États membres et non membres du Conseil de l'Europe détenant des avoirs de l'État russe de coopérer activement au transfert rapide de ces avoirs au mécanisme international d'indemnisation mis en place, soutient les efforts de l’Union européenne et des États-Unis et leur demande, ainsi qu’au G7, d’agir sans délai en prenant toutes les mesures nécessaires pour que tous les avoirs de la Fédération de Russie qu’ils détiennent servent à la relance et à la reconstruction de l’Ukraine;
9.3. appelle à créer un fonds fiduciaire international, où seront déposés tous les avoirs de l’État russe détenus par des États membres ou non membres du Conseil de l'Europe, en veillant au respect des principes de transparence, de responsabilité et d’équité lors du décaissement de fonds destinés à indemniser l’Ukraine et les personnes physiques et morales touchées par l’agression russe en Ukraine;
9.4. appelle à mettre en place une commission internationale impartiale et efficace chargée de statuer, dans le respect des normes judiciaires reconnues, sur les demandes présentées par l'Ukraine et les entités touchées qui souhaitent obtenir réparation pour les dommages causés par l'agression menée par la Fédération de Russie;
9.5. souligne qu'il est de la plus haute importance, dans le cadre du transfert et de la gestion des avoirs russes gelés, de respecter les normes et principes juridiques internationaux établis, de garantir l'équité et la proportionnalité, et de protéger les droits de toutes les parties touchées;
9.6. soutient le recours à des contre-mesures, telles qu'elles sont définies dans le cadre du droit international, pour inciter la Fédération de Russie à se conformer à ses obligations et responsabilités juridiques internationales;
9.7. invite les États préoccupés par les violations d'obligations erga omnes à participer activement au mécanisme d'indemnisation, en contribuant aux efforts destinés à mettre un terme aux violations et à garantir des réparations justes aux personnes physiques et morales touchées ainsi qu’à l’État ukrainien;
9.8. encourage les efforts de collaboration entre les États membres, les organisations internationales et toutes les parties prenantes concernées, afin d'accélérer le processus de reconstruction et de garantir une indemnisation complète pour les dommages multiformes causés par la guerre d'agression de la Fédération de Russie;
9.9. appelle à présenter un front uni et résolu contre l'agression, en soulignant qu'il incombe à la communauté internationale, au titre d'une responsabilité partagée, de garantir le respect des normes mondiales, de prévenir les violations du droit international et de promouvoir une paix durable et la stabilité.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 25 janvier 2024.

(open)
1. L'Assemblée parlementaire attire l'attention du Comité des Ministres sur sa Résolution... (2024) «Soutien à la reconstruction de l'Ukraine», dans laquelle elle appelle résolument à utiliser les avoirs confisqués de l'État russe pour indemniser les dommages, préjudices et pertes causés par l’agression de la Fédération de Russie et à soutenir la reconstruction de l'Ukraine.
2. L’Assemblée renvoie à sa Résolution 2516 (2024) «Garantir une paix juste en Ukraine et une sécurité durable en Europe», dans laquelle elle appelait à mettre en place «un mécanisme d’indemnisation global, comprenant une commission internationale chargée d’examiner les demandes d’indemnisation des dommages consignés au Registre des dommages, et un fonds d’indemnisation pour payer les décisions d’indemnisation des dommages accordés par la commission, en particulier en confisquant et en utilisant autrement les avoirs de la Fédération de Russie afin de payer des dommages de guerre en Ukraine». Elle renvoie aussi à sa Résolution 2482 (2023) «Questions juridiques et violations des droits de l'homme liées à l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine», dans laquelle elle lançait un appel aux États membres du Conseil de l'Europe pour qu’ils mettent en place un mécanisme international d’indemnisation, expliquait pourquoi le Conseil de l'Europe devrait jouer un rôle de premier plan dans la création et la gestion de ce mécanisme et décrivait certaines des principales caractéristiques que le mécanisme devrait présenter.
3. L'Assemblée rappelle les décisions du Comité des Ministres du 15 septembre 2022 et du 24 février 2023, qui saluent tous les efforts visant à obtenir une réparation intégrale des dommages causés par les violations du droit international commises par la Fédération de Russie en Ukraine. Elle souligne aussi que, dans sa Résolution CM/Res(2023)3 établissant l'Accord partiel élargi sur le Registre des dommages causés par l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine, adoptée le 12 mai 2023, le Comité des Ministres est convenu de «continuer à travailler, en coopération avec l'Ukraine et les organisations et organismes internationaux compétents, à la mise en place, par un instrument international séparé, d'un futur mécanisme international d'indemnisation, qui pourra comprendre une commission des demandes d'indemnisation et un fonds d’indemnisation, dont les travaux du Registre, y compris sa plateforme numérique avec toutes les informations sur les demandes d’indemnisation et les preuves qu’elle contient, sont censés faire partie intégrante».
4. Compte tenu de ce qui précède, l'Assemblée invite le Comité des Ministres:
4.1. à prendre des dispositions en vue de la création, sous les auspices du Conseil de l'Europe, d’un mécanisme international d'indemnisation qui permette de traiter de manière complète la question des dommages subis par les personnes physiques et morales touchées ainsi que par l’État ukrainien en raison des actions illégales menées par la Fédération de Russie dans le cadre de son invasion de l’Ukraine;
4.2. à créer un fonds fiduciaire international, où seront déposés tous les avoirs de l’État russe qui auront été saisis, en veillant au respect des principes de transparence, de responsabilité et d’équité lors du décaissement de fonds destinés à indemniser l’Ukraine et les personnes physiques et morales touchées par l’agression russe en Ukraine ainsi qu’à aider aux efforts de relance et de reconstruction de l’Ukraine;
4.3. à approuver la mise en place d’une commission internationale chargée d’examiner les demandes d’indemnisation des dommages consignés au Registre, sous les auspices du Conseil de l'Europe.

C. Exposé des motifs par M. Lulzim Basha, rapporteur

(open)

1. Introduction

1.1. Origine

1. Le 24 février 2022, la Fédération de Russie a lancé l’invasion de grande ampleur de l’Ukraine sans aucune provocation de cette dernière, déclenchant ainsi la plus grande invasion internationale depuis 1941. La guerre d’agression illégale menée par la Fédération de Russie est à l’origine de destructions catastrophiques et de souffrances considérables pour le peuple ukrainien et pour l’Ukraine, causant de graves pertes humaines et matérielles et de nombreux crimes de guerre contre les civils. La Cour pénale internationale (CPI) a déjà délivré un mandat d’arrêt contre le Président russe et la Commissaire russe aux droits de l’enfant, en relation avec la déportation forcée d’enfants ukrainiens.
2. Tandis que la Fédération de Russie poursuit la guerre et continue de commettre des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et d’autres violations graves des droits humains en Ukraine, il est clair qu’une fois ce conflit terminé, l’Ukraine aura besoin d’une aide considérable pour reconstruire ses infrastructures civiles. La Fédération de Russie devrait être tenue pour responsable et prendre en charge l’indemnisation des pertes humaines et matérielles qu’elle a causées.
3. Depuis le début de l’invasion de grande ampleur de l’Ukraine, l’Assemblée parlementaire a adopté, à l’unanimité, une multitude de textes condamnant l’agression, ses différents aspects et ses conséquences. En mars 2022, elle a pris une position résolue en faveur de l'expulsion immédiate de la Fédération de Russie du Conseil de l'Europe, position qui a ensuite été suivie par le Comité des Ministres. En mai 2023, conformément aux demandes répétées de l’Assemblée, le Conseil de l’Europe a créé un Registre des dommages causés par l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine.
4. La non-participation de la Fédération de Russie au règlement des différends internationaux et le non-respect des obligations et jugements internationaux constituent un défi complexe dans la poursuite de la justice et de la réparation du préjudice causé par les actions de la Fédération de Russie dans le cadre de son invasion de l’Ukraine. Compte tenu du comportement de la Fédération de Russie dans les instances internationales et de son recours au veto au sein du Conseil de sécurité, il pourrait en effet y avoir des obstacles à la mise en œuvre directe des réparations par les voies juridiques traditionnelles.
5. La proposition de résolution visant à saisir et à transférer les avoirs de l’État russe vers un mécanisme international d’indemnisation vise à relever ce défi. Cette approche a pour but d’obliger la Fédération de Russie à se conformer aux obligations qu’elle a contractées en vertu du droit international en réorientant les avoirs pour compenser les dommages causés.
6. Le présent rapport démontrera davantage la nécessité d’établir un mécanisme international d’indemnisation sous les auspices du Conseil de l’Europe.

1.2. But et portée

7. Le rapport sera axé sur les objectifs suivants: 1) soutenir la reconstruction et la relance de l’Ukraine; 2) demander et présenter les mesures de confiscation des avoirs de l’État russe; 3) mettre en place un mécanisme international d’indemnisation sous les auspices du Conseil de l’Europe; 4) présenter dans le monde entier un front uni contre l’agression.
8. Le rapport repose sur le postulat selon lequel la Fédération de Russie doit rendre des comptes pour sa destruction de l'Ukraine, et que l’on peut raisonnablement supposer qu'elle ne contribuera pas volontairement à l'effort de reconstruction. Dans de telles situations, lorsqu’il est peu probable qu’un État accepte volontairement de procéder à des réparations intégrales, d’autres États et organisations intergouvernementales peuvent envisager des mécanismes alternatifs pour faire en sorte que les parties lésées reçoivent les réparations auxquelles elles ont droit en vertu du droit international.
9. Plusieurs pays détenant des avoirs souverains russes ont gelé des avoirs de l’État russe représentant environ 300 milliards $US d'actifs de l'État russe. Les avoirs financiers de l’État russe déjà gelés doivent servir à la reconstruction de l’Ukraine. Les États qui les détiennent devraient donc coopérer pour que tous les avoirs saisis de l’État russe soient transférés à un mécanisme international d’indemnisation. Dans le contexte de ce rapport, le terme «avoir de l’État» désigne tout fonds ou autre bien qui appartient au gouvernement d’un État agresseur ou d’un État agresseur affilié, y compris à toute subdivision, agence ou instrument de ce gouvernement.
10. Le présent rapport a pour objet de définir la voie à suivre pour la confiscation des avoirs de l’État russe et leur transfert vers un mécanisme international d’indemnisation afin d’aider à la relance et à la reconstruction de l’Ukraine.

2. Contexte général

11. Comme le prévoit son Statut (STE No 1), le Conseil de l’Europe a pour mission centrale d’unir ses États membres pour préserver et défendre des valeurs communes tout en faisant avancer le progrès économique et social. Son objectif premier est de sauvegarder et d’actualiser ces principes communs, en favorisant un patrimoine collectif tout en contribuant au développement des États membres.
12. Le respect de l’État de droit et le développement (statut 1.b) des droits humains et des libertés fondamentales pour tous les individus relevant de la juridiction de chaque État membre sont au cœur de cette mission. Cet engagement souligne l’importance du Conseil de l’Europe dans la promotion de l’unité, de la démocratie et de la protection des droits humains dans toute l’Europe. Comme indiqué à l’article 3 de son Statut, «Tout membre du Conseil de l'Europe reconnaît le principe de la prééminence du droit et le principe en vertu duquel toute personne placée sous sa juridiction doit jouir des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il s'engage à collaborer sincèrement et activement à la poursuite du but [du Conseil de l’Europe]».
13. Selon les principes du droit international, lorsqu’un État est jugé responsable d’un fait internationalement illicite, il est tenu d’indemniser intégralement le préjudice causé par cet acte. Toutefois, les formes de réparation — restitution, satisfaction ou indemnisation — peuvent varier en fonction des circonstances et de la nature du fait illicite. Dans les cas où la restitution (restaurer la situation à ce qu’elle était avant le fait illicite) ou la satisfaction (reconnaissance de la violation et de ses conséquences) ne sont pas réalisables, l’indemnisation devient le principal moyen de réparation. Dans le contexte de la situation impliquant les actions de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, étant donné que la restitution ou la satisfaction ne sont pas réalisables, les principes juridiques internationaux viendraient plaider en faveur de la nécessité d’une indemnisation. Cette indemnisation pourrait englober les dommages causés par le fait illicite, tels que les pertes en vies humaines, la destruction de biens, les difficultés économiques et d’autres effets préjudiciables résultant de la violation du droit international.
14. Le moment est venu pour les États membres du Conseil de l’Europe de passer des sanctions aux contre-mesures. En vertu du droit international, les États ont le pouvoir d’adopter des contre-mesures à l’encontre d’un État qui a gravement enfreint le droit international. Ces contre-mesures sont des mesures prises dans le but d’inciter l’État auteur de la violation à respecter ses obligations juridiques internationales. Elles peuvent prendre diverses formes, dont l’une implique la suspension ou la limitation de certains privilèges ou obligations coutumiers qu’un État étend habituellement à un autre, comme en matière financière. Dans le cas de violations graves du droit international par la Fédération de Russie, les États peuvent, en vertu du principe des contre-mesures, prendre des mesures qui affectent les avoirs financiers ou les transactions de la Fédération de Russie.
15. Les avoirs souverains russes devraient donc être saisis et transférés vers un mécanisme international d’indemnisation, créé sous les auspices du Conseil de l’Europe et ouvert à la fois à ses États membres et aux États non-membres. Ces fonds serviraient ensuite à indemniser l’Ukraine, ses citoyens, ses entreprises et le gouvernement pour les dommages causés par les actes illégaux de la Fédération de Russie liés à son invasion illégale.

3. Soutien à la reconstruction de l’Ukraine

3.1. Le rôle du Conseil de l’Europe

16. Le Conseil de l’Europe est unique en raison de son approche spécifique centrée sur les dimensions fondamentales de l’État de droit, de la démocratie pluraliste et des droits humains. En conséquence, l’objectif premier de l’Organisation est de servir de pilier fondamental de la sécurité démocratique et de faciliter une coopération réussie et efficace dans ces domaines, non seulement en Europe, mais aussi à l’échelle mondiale.
17. Le Conseil de l’Europe joue un rôle crucial dans la défense des valeurs démocratiques, le respect de l’État de droit et la protection et la promotion des droits humains. Il atteint ces objectifs par le biais de divers mécanismes, notamment des conventions, des processus de suivi et du dialogue avec les États membres et non membres. C’est la raison pour laquelle le mécanisme international d’indemnisation devrait être conclu sous les auspices du Conseil de l’Europe et ouvert à ses États membres et non membres.
18. En mai 2023, le Conseil de l’Europe a établi un Registre des dommages causés par l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine. Afin de pouvoir disposer d’un système complet de reddition des comptes, il est évident qu’un mécanisme international d’indemnisation doit être créé pour statuer, conformément aux normes judiciaires établies, sur les réclamations présentées par l’Ukraine au nom de ses citoyens, entités et entités gouvernementales, ou directement par des personnes et des entités.
19. En juin 2023, selon l'École d'économie de Kiev 
			(3) 
			<a href='https://kse.ua/wp-content/uploads/2023/09/June_Damages_ENG_-Report.pdf'>Kiev
School of Economics</a> (en anglais seulement)., les dommages répertoriés qui ont été causés aux infrastructures de l'Ukraine par l'agression de la Fédération de Russie ont atteint 150,5 milliards $US, tandis que les dommages infligés à l'économie ont atteint 265,6 milliards $US. Le montant total des dommages s’élevait donc à 416,1 milliards $US en juin 2023. Les bâtiments résidentiels représentent la plus grande part des dommages, soit 37,1 % ou 55,9 milliards $US, suivis des infrastructures, qui représentent 24,3 % ou 36,6 milliards $US. Rien que durant la première année de guerre, 153 900 maisons ont été complètement détruites.
20. En outre, le secteur de l'éducation a subi des dommages directs d’un montant de 9,7 milliards $US. En février 2023, 3 170 établissements avaient été touchés, dont environ 1 500 centres d'enseignement secondaire, 909 écoles maternelles et 528 établissements d'enseignement supérieur.
21. En juin 2023, les dommages infligés au secteur énergétique ukrainien ont atteint un montant estimé à 8,8 milliards $US. Cette évaluation en hausse englobe de nombreux facteurs. Elle tient compte tout d’abord des dommages subis dans le secteur de l'énergie nucléaire et ensuite des évaluations actualisées concernant la destruction et la dégradation des installations de transport de gaz naturel. Ces calculs et évaluations révisés ont contribué à l'augmentation globale du coût estimé des dommages causés aux infrastructures énergétiques de l'Ukraine.
22. Une année d’invasion de grande ampleur déclenchée par la Fédération de Russie a non seulement coûté la vie à de nombreuses personnes et produit un impact considérable sur l'économie et les infrastructures de l'Ukraine, mais elle a également porté un coup sévère au secteur agricole. L'évaluation rapide des dommages et des besoins (RDNA) qui a été réalisée par le Gouvernement ukrainien, la Banque mondiale, l’Organisation des Nations Unies et l'Union européenne 
			(4) 
			<a href='https://documents1.worldbank.org/curated/en/099184503212328877/pdf/P1801740d1177f03c0ab180057556615497.pdf'>World
Bank Document</a> (en anglais seulement). présente des résultats détaillés sans toutefois comptabiliser les dommages et les pertes subis dans les secteurs de l'irrigation, de l’agroalimentaire et de la logistique agricole, qui sont étroitement liés à l'agriculture. Elle estime à 40,2 milliards $US les dommages et les pertes subis par le secteur agricole.
23. À l’approche de la fin de la deuxième année de l'agression, ces dommages et pertes se sont multipliés, non seulement en ce qui concerne les infrastructures et les ressources, mais aussi sur le plan des conséquences humanitaires pour les personnes impliquées. Les répercussions vont souvent bien au-delà de la destruction physique immédiate et englobent les impacts sociaux et économiques. Selon le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), la guerre a provoqué le déplacement d’un nombre important de personnes à l'intérieur du pays, sans compter ceux, plus nombreux, qui ont quitté le pays. Les bombardements intensifs et le conflit ont poussé environ 5,1 millions de personnes à quitter leur foyer et plus de 6,2 millions de personnes ont fui vers des pays voisins comme la Pologne, la Hongrie, la République de Moldova et d'autres destinations dans le monde. Parmi ces pays, la Pologne a été le principal pays hôte, accueillant près de 60 % des réfugiés ayant fui l'Ukraine 
			(5) 
			<a href='www.unrefugees.org/emergencies/ukraine/'>UNCHR</a> (en anglais seulement)..
24. Le sort des personnes réfugiées est particulièrement préoccupant, car il crée des effets en chaîne au delà des frontières, affectant les pays voisins et mettant les ressources à rude épreuve à plus grande échelle. Les coûts associés à l'hébergement et au soutien des personnes réfugiées sont immenses et peuvent avoir des conséquences à long terme pour les personnes déplacées et les pays qui leur offrent de l'aide. Avec la poursuite du conflit, les besoins humanitaires se sont encore accrus au cours de la deuxième année et se sont élargis. Selon les estimations, environ 17,6 millions de personnes en Ukraine ont eu besoin d'une aide humanitaire au cours de l’année 2023 
			(6) 
			Idem..
25. Les principes fondateurs du Conseil de l’Europe, qui sont de fait centrés sur l’État de droit, les droits humains et la gouvernance démocratique, créent un cadre solide pour relever les défis croissants découlant des tendances autoritaires au sein des États membres et venant de l’extérieur, telles que l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine.
26. Les mécanismes de dialogue, les conventions et les systèmes de suivi de l’Organisation offrent des outils essentiels pour inciter les États membres à participer aux discussions et aux actions visant à préserver et à renforcer les valeurs démocratiques. L’accent mis par le Conseil de l’Europe sur ces principes permet un engagement constructif, un dialogue et la promotion de la compréhension mutuelle entre les États membres.
27. En outre, le Conseil de l’Europe utilise déjà et possède une excellente expérience de plusieurs mécanismes de suivi pour s’assurer que ses membres adhèrent aux normes convenues en matière de démocratie, de droits humains et d’État de droit. Ces mécanismes joueront un rôle très important dans la mise en place et le fonctionnement du mécanisme international d’indemnisation, notamment: 1) La Cour européenne des droits de l’homme (la Cour). Bien qu’elle ne soit pas directement un organe de contrôle au sein du Conseil de l’Europe, la Cour, instituée par la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), est un élément crucial de son système de surveillance des droits humains. Elle entend des requêtes individuelles ou étatiques alléguant des violations des droits civils et politiques énoncés dans la Convention; 2) Le Comité des Ministres, qui contrôle et supervise l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, en veillant à ce que les États membres se conforment aux décisions de la Cour; 3) La Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), qui joue un rôle important dans la mise à disposition de conseils juridiques et d’expertise en matière constitutionnelle, et aide les États membres à veiller à ce que leur législation et leurs cadres constitutionnels soient conformes aux normes européennes; 4) Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), qui effectue des visites dans les lieux de détention des États membres afin de prévenir la torture et les traitements inhumains ou dégradants.
28. En outre, l’engagement de l’Assemblée sur des questions critiques, en particulier celles relatives à la paix et à la stabilité en Europe et au-delà, renforce son rôle influent. À cette fin, la diversité au sein de l’Assemblée est un atout considérable, car elle englobe un large éventail de perspectives politiques, y compris l’opposition. Cette représentation pluraliste permet à l’Assemblée d’examiner et de plaider en faveur de mesures telles que la confiscation des avoirs de l’État russe ou la mise en place d’un mécanisme international d’indemnisation, si ces mesures s’alignent sur les valeurs et les objectifs généraux du Conseil de l’Europe. Compte tenu de la complexité et de l’importance de ces mesures, les divers points de vue au sein de l’Assemblée peuvent contribuer à un débat plus complet et plus équilibré. Cette diversité peut contribuer à délibérer sur les ramifications potentielles, les considérations éthiques et les impacts plus larges de ces actions, enrichissant ainsi le processus décisionnel. En outre, les capacités de surveillance de l’Assemblée jouent un rôle central dans le suivi et pour garantir l’obligation de rendre des comptes. Lors de la proposition ou de la mise en œuvre de décisions importantes, ce mécanisme contribue à maintenir la transparence et les considérations éthiques.

3.2. Mesures de confiscation des avoirs de l’État russe

29. Soutenir la reconstruction de l’Ukraine après tous les dommages causés par l’agression russe est un aspect essentiel de la mission du Conseil de l’Europe. Il est important de noter que la reconstruction de l’Ukraine sera un processus multiforme qui nécessitera une coopération et des négociations internationales plus larges. C’est pourquoi le Conseil de l’Europe devrait apporter une contribution significative, dans le cadre de son mandat et en complément des efforts déployés par d’autres organisations internationales et gouvernements, pour parvenir à une reconstruction durable et pacifique.
30. La résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 14 novembre 2022 sur l’«Agression contre l’Ukraine: recours et réparation» 
			(7) 
			<a href='https://digitallibrary.un.org/record/3994481'>A/RES/ES-11/5</a>. invoque explicitement la demande d’indemnisation et recommande des actions nationale et internationale, et elle peut servir à remplir des conditions procédurales spécifiques en vertu du droit international. En effet, dans le domaine du droit international, certaines étapes procédurales, y compris la notification des réclamations et la possibilité de s’y conformer, sont souvent jugées nécessaires avant de mettre en œuvre des contre-mesures. En répondant à ces exigences procédurales, cette résolution peut être considérée comme renforçant les arguments en faveur de contre-mesures intégrales de l’État en vertu du droit internationale.
31. L’articulation par cette résolution de la demande d’indemnisation et son appel à l’action peuvent être considérés comme une mise en demeure et une occasion pour la Fédération de Russie de s’y conformer. Ce processus garantirait que la Fédération de Russie a été officiellement informée des plaintes émises à son encontre et qu’elle s’est vu offrir la possibilité de se conformer aux exigences ou obligations énoncées dans la résolution. L’éventuel non-respect de la part de la Fédération de Russie pourrait potentiellement servir de base à la mise en œuvre justifiable de contre-mesures comme moyen d’incitation au respect du droit international. Cette adhésion aux exigences procédurales renforcera la légitimité de toute mesure prise ultérieurement par les États ou entités concernés, car elle témoigne de l’engagement en faveur de la légalité dans la poursuite de la justice et des réparations pour violation du droit international.
32. La distinction entre propriété publique et propriété privée est un aspect critique dans ce contexte. La propriété publique, contrairement à la propriété privée, ne bénéficie pas des mêmes protections, en particulier lorsqu’il s’agit d’actions entreprises en réponse à des violations du droit international. Ce cadre juridique souligne la possibilité de pouvoir prendre des décisions exécutives pour de telles mesures, en contournant dans certains cas de longues procédures judiciaires.
33. Le présent rapport décrit une approche proactive permettant aux différents États de gérer et de traiter les avoirs de l’État russe gelés dans leurs juridictions respectives. La considération principale est d’identifier et de transférer ces avoirs – y compris les avoirs de la banque centrale russe et les avoirs connexes – vers une structure intermédiaire tel qu’un compte séquestre ou un trust de banque centrale.
34. L’objectif est de détenir ces avoirs dans une structure temporaire jusqu’à ce qu’un fonds international de compensation, créé conformément aux accords et mécanismes internationaux, soit prêt à les recevoir et à les distribuer. Ce fonds international d’indemnisation serait chargé de gérer et de débourser les avoirs conformément aux résolutions et accords internationaux, en particulier ceux décrits dans la résolution susmentionnée de l’Assemblée générale des Nations Unies.
35. La création d’un fonds international d’indemnisation n’est pas une condition préalable pour que les États puissent entamer le processus d’identification et de transfert des avoirs russes gelés. Les États sont encouragés à prendre les premières mesures en transférant ces avoirs sur un compte séquestre dans leur juridiction et en préparant leur transfert ultérieur au fonds international d’indemnisation une fois que ce dernier aura été établi. Cette approche permettrait une gestion coordonnée et progressive des avoirs russes gelés, garantissant leur transfert sécurisé et organisé conformément aux résolutions et accords internationaux, avant même la création d’un fonds international d’indemnisation formel. La méthode fournirait un moyen systématique et contrôlé de gérer ces actifs en attendant la création du fonds international d'indemnisation pour leur mise à disposition et leur distribution finales.
36. L’exécution de telles actions exige le respect des normes juridiques internationales. Il est essentiel de veiller à ce que le processus respecte les principes de proportionnalité et d’équité, en protégeant les droits des parties innocentes tout en tenant l’État responsable redevable de ses actes. On peut s’attendre à d’éventuelles contestations judiciaires de l’État russe, mais la validité de ces contestations et leur résultat seraient déterminés par les spécificités du droit international, de la jurisprudence et des éléments de preuve présentés. Le but ultime de ces actions est de rendre justice et de réparer les dommages causés par des violations du droit international.

3.3. Le mécanisme d’indemnisation

37. Il est crucial pour la communauté internationale, travaillant de concert, de relever ce défi et de veiller à ce que les victimes de l’agression, en l’occurrence l’Ukraine et ses citoyens, reçoivent les réparations qui leur sont dues et qu’une voie s’ouvre pour un règlement des différends et l’exercice de la justice. Comme l’a déjà demandé l’Assemblée dans sa Résolution 2516 (2023) «Garantir une paix juste en Ukraine et une sécurité durable en Europe», cela impliquera «la mise en place d’un mécanisme d’indemnisation global, comprenant une commission internationale chargée d’examiner les demandes d’indemnisation des dommages consignés au Registre des dommages, et un fonds d’indemnisation pour payer les décisions d’indemnisation des dommages accordés par la commission, en particulier en confisquant et en utilisant autrement les avoirs de la Fédération de Russie afin de payer des dommages de guerre en Ukraine». Cela permettra d’utiliser ces biens comme moyen pour contraindre l’État agresseur à respecter ses obligations juridiques internationales.
38. L’immobilisation ou l’utilisation des réserves de la Banque centrale russe, qui ont été gelées en Occident, est considérée comme une contre-mesure importante. À cet égard, des experts tels que Lawrence H. Summers, Philip D. Zelikow et Robert B. Zoellick soutiennent que, selon le droit international, la Fédération de Russie n’a pas droit à une indemnisation si la contre-mesure est proportionnée et constitue une réponse à sa propre violation aggravée des normes impératives du droit international, une infraction qui a été attestée tant par la Cour internationale de Justice que par l’Organisation des Nations Unies 
			(8) 
			Foreign
Affairs, «The Other Counteroffensive to Save Ukraine», 15 juin 2023
(en anglais seulement)..
39. La position constante de la Présidente du Conseil européen, Ursula von der Leyen, selon laquelle la Fédération de Russie doit être tenue responsable par le biais de ses avoirs souverains, souligne en outre le soutien croissant à l’utilisation de contre-mesures pour lutter contre les violations du droit international.
40. Le Conseil de l’Europe peut jouer un rôle dans le cadre d’une telle initiative, tout en œuvrant en faveur d’une paix durable et de la stabilité, ainsi qu’en partageant les meilleures pratiques et en apportant un soutien au développement et au renforcement des institutions démocratiques dans les pays touchés. Cela garantira l’utilisation conforme des fonds de reconstruction et leur contribution à la reconstruction d’une Ukraine démocratique.

3.4. Des sanctions aux contre-mesures

41. La notion de contre-mesures en droit international fait référence aux mesures prises par un État à l'encontre d'un autre pour réagir au comportement internationalement illicite de ce dernier. Les contre-mesures visent à inciter l'État responsable à cesser son comportement illicite ou à respecter les obligations qui en découlent, telles que le versement d'une indemnisation pour les dommages causés.
42. Le gel des avoirs dans le cadre des sanctions a été une mesure utilisée par les pays pour exercer des pressions sur la Fédération de Russie immédiatement après l’invasion de février 2022. Cependant, il arrive un moment où aborder la question de l’indemnisation et des réparations devient essentiel, en particulier lorsque le gel des avoirs n’est pas suffisant à dissuader l’État agresseur.
43. La mise en œuvre de contre-mesures légales de l’État, telles que la suspension des obligations ordinaires envers les comptes de l’État russe, est une étape qui peut être franchie par les pays qui s’opposent à l’agression de la Fédération de Russie. Cette approche consiste à revoir le traitement de ces comptes ou avoirs en réponse aux actes de la Fédération de Russie, mais il est important de mener ces actions dans les limites de la légalité et du droit international. L’accent devrait être mis sur la distinction entre la propriété privée et les avoirs directement détenus ou contrôlés par l’État russe. Lors de la mise en œuvre de ces contre-mesures, l’objectif premier n’est pas de tirer profit de ces actions, mais d’orienter les avoirs gelés ou retenus vers l’aide aux victimes de l’agression de la Fédération de Russie.
44. Les contre-mesures ne sont pas obligatoires et sont souvent prises en dehors des processus du Conseil de sécurité de l’ONU et du chapitre 7 de la Charte des Nations Unies, qui sont utilisés pour les mandats et les opérations de maintien de la paix. Au lieu de cela, les contre-mesures sont généralement des mesures prises par les États en réponse à des actions illégales de la part d’autres États afin d’encourager le respect du droit international et des obligations internationales. Dans ce cas, la reconnaissance par l’ONU de la violation grave par la Fédération de Russie du droit international et du préjudice qui en résulte pour des États, ainsi que du devoir pour la Fédération de Russie d’indemniser des États, constituent une base juridique et morale permettant aux États membres d’agir. Cette reconnaissance par l’ONU établit que les actes de la Fédération de Russie sont une question d’intérêt international commun et justifient la mise en place, par les États, de contre-mesures dans le cadre du droit international.
45. Dans l'affaire relative au Projet Gabčíkovo-Nagymaros 
			(9) 
			Cour International
de Justice, Affaire relative au Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), <a href='https://www.icj-cij.org/fr/affaire/92/arrets'>Arrêt
du 25 septembre 1997</a>., la Cour internationale de Justice a expliqué qu’une contre-mesure «prise pour riposter à un fait internationalement illicite d'un autre État et [...] dirigée contre ledit État» peut légitimer un comportement qui sinon serait illicite. Ce point est également confirmé dans l'article 22 des articles de la Commission du droit international (CDI) sur la responsabilité des États pour fait internationalement illicite, qui énonce que «[l]’illicéité du fait d’un État non conforme à l’une de ses obligations internationales à l’égard d’un autre État est exclue si, et dans la mesure où, ce fait constitue une contre-mesure prise à l’encontre de cet autre État» 
			(10) 
			Commission
du droit international, <a href='https://legal.un.org/ilc/texts/instruments/french/draft_articles/9_6_2001.pdf'>«La
responsabilité des États pour fait internationalement illicite</a>», 2001..
46. Les principales conditions associées aux contre-mesures licites sont les suivantes: 1) la riposte à un comportement illicite: les contre-mesures doivent être une réponse au comportement illégal de l'État responsable; 2) l’objectif de la mise en conformité: les contre-mesures devraient viser à encourager l'État responsable à mettre fin à son comportement illicite ou à remplir ses obligations, notamment l'indemnisation; 3) la proportionnalité: les contre-mesures devraient être proportionnées à la gravité du comportement illicite et du préjudice causé par celui-ci; 4) la nature temporaire: les contre-mesures ne devraient persister que jusqu'à ce que l'État responsable se conforme à ses obligations ou cesse le comportement illicite; et 5) la réversibilité: lorsque l’objectif de la mise en conformité est atteint, des relations juridiques normales devraient être rétablies et les contre-mesures devraient cesser.
47. Le pouvoir de recourir à des contre-mesures appartient à chaque État souverain. Les États qui ont l'intention de prendre des contre-mesures doivent veiller à ce qu’elles soient conformes aux conditions énoncées et prises de préférence dans le but d'encourager le respect des règles plutôt que d'infliger des sanctions. Il est recommandé, en outre, de s'engager dans des discussions et des négociations ou de rechercher une médiation pour résoudre les litiges avant de recourir à des contre-mesures afin d’atténuer les tensions et de promouvoir des résolutions pacifiques.
48. L'article 49 des articles sur la responsabilité de l'État pour fait internationalement illicite définit le cadre de l'utilisation de contre-mesures en réaction à un fait internationalement illicite par un État: «1) L’État lésé ne peut prendre de contre-mesures à l’encontre de l’État responsable du fait internationalement illicite que pour amener cet État à s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu de la deuxième partie [des articles]; 2) Les contre-mesures sont limitées à l'inexécution temporaire d’obligations internationales de l'État prenant les mesures envers l'État responsable; et 3) Les contre-mesures doivent, autant que possible, être prises d’une manière qui permette la reprise de l’exécution des obligations en question.»
49. L'article 51 des articles sur la responsabilité de l'État pour fait internationalement illicite, intitulé «Proportionnalité», ajoute une condition concernant l'utilisation des contre-mesures: «Les contre-mesures doivent être proportionnelles au préjudice subi, compte tenu de la gravité du fait internationalement illicite et des droits en cause.»
50. S’agissant des quatre conditions de l'article 49 et de l'article 50, le paragraphe 1 de l'article 49 énonce que «l’État lésé ne peut prendre de contre-mesures à l’encontre de l'État responsable du fait internationalement illicite que pour amener cet État à s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu de la deuxième partie». Ces obligations englobent des responsabilités telles que la cessation de tout comportement illicite en cours et l'indemnisation d'un fait internationalement illicite.
51. Dès lors, si un État commet un acte répréhensible en ne mettant pas fin à ses actions illicites ou en ne compensant pas pleinement le préjudice causé, l'État lésé peut prendre des mesures pour convaincre l'auteur de l'acte répréhensible d’honorer ses obligations en mettant fin à ses actions et en s'acquittant de son obligation de réparation. Dans ce scénario, si les États transfèrent des actifs à un mécanisme international d’indemnisation, cela pourrait inciter la Fédération de Russie à s'acquitter de son obligation de dédommager pleinement l'Ukraine. Cette action pourrait également l’inciter à mettre un terme à son comportement répréhensible et à s'aligner sur les normes fondamentales qu'elle ignore. Pour ces raisons, le transfert d'actifs serait considéré comme une contre-mesure juridique, car il serait vu comme un moyen de faire respecter les obligations de l'État responsable énoncées dans la deuxième partie des articles sur la responsabilité de l'État pour fait internationalement illicite.
52. La deuxième condition de l'article 49 indique que les contre-mesures doivent être temporaires. Elles ne peuvent que suspendre les obligations de l'État lésé à l'égard de l'État responsable pendant une période limitée, empêchant que le fait illicite soit considéré comme abusif pendant cette période. Bien qu'aucune durée spécifique ne soit mentionnée, on peut supposer que la mesure est légale tant que le comportement illicite persiste, mais pas au-delà. Ce point est conforme à la troisième exigence du paragraphe 3 de l'article 49, qui garantit que la contre-mesure permet à l'État responsable et à l'État lésé de s'acquitter à nouveau de leurs obligations mutuelles. Cette exigence énonce que les contre-mesures doivent être réversibles et permettre ainsi «la reprise de l’exécution des obligations en question». Dans l'affaire du projet Gabčíkovo-Nagymaros, la Cour internationale de justice a indiqué que les contre-mesures devraient avoir pour but d’inciter l'État responsable à se conformer au droit international. Il ne s'agit pas de fixer des délais stricts, mais de veiller à ce qu'un État puisse recommencer à s'acquitter de ses obligations une fois que le comportement illicite a cessé et que les contre-mesures ont pris fin, comme l'a précisé la CDI.
53. En d'autres termes, les trois exigences de l'article 49 indiquent clairement que les contre-mesures visent à encourager l'État responsable à remplir ses obligations légales, dans le but de conduire au rétablissement de relations juridiques normales entre les parties. Les contre-mesures proposées mettraient essentiellement en suspens certaines obligations internationales, par exemple le respect des actifs financiers ou des accords de l'autre partie.
54. La notion d’entraide en droit international et dans les contre-mesures s'articule autour d'une action unilatérale prise par un État seul, ou conjointement avec d'autres États, dans le but de protéger ou d'exécuter des droits et des obligations juridiques internationaux. Les contre-mesures sont adoptées afin d’exprimer la position de l'État réagissant qui considère que l'État cible a commis un fait internationalement illicite. En d'autres termes, les sanctions institutionnelles créent des relations «verticales» en matière d'application tandis que les contre-mesures décentralisées créent des relations «horizontales» entre l'État responsable et l'État réagissant. Dans ce cas, un groupe d'États partageant les mêmes idées pourrait choisir de s'associer à l’adoption de contre-mesures contre l'État cible. Dans ce contexte, les mandats obligatoires des organisations internationales sont inutiles et superflus 
			(11) 
			Crawford,
James, «State Responsibility: The General Part» (CUP, 2013) sect.
21.3..
55. En vertu de l'article 54, la responsabilité d'un État pour son comportement internationalement illicite peut être invoquée soit par un «État lésé», soit, dans certaines circonstances, par d'autres États qui ne sont pas directement lésés par ce comportement: «Le présent chapitre est sans préjudice du droit de tout État, habilité en vertu du paragraphe 1 de l'article 48 à invoquer la responsabilité d'un autre État, de prendre des mesures licites à l'encontre de ce dernier afin d'assurer la cessation de la violation ainsi que la réparation dans l'intérêt de l'État lésé ou des bénéficiaires de l'obligation violée.»
56. La notion d'obligations erga omnes en droit international fait référence aux obligations dues par un État à la communauté internationale dans son ensemble, plutôt qu'à des États spécifiques. Ces obligations sont considérées comme des principes fondamentaux du droit international qui transcendent des accords spécifiques entre États et sont contraignants pour tous les États. Les obligations erga omnes comprennent des obligations telles que l'interdiction du génocide, de l'esclavage, de l'agression et certaines protections des droits humains. Les violations d’obligations erga omnes peuvent affecter tous les États et les individus et donner lieu à des droits pour tout État ou toute entité d'exiger la cessation du comportement illégal et de demander réparation pour les préjudices causés. En ce qui concerne les États tiers qui ne sont pas directement touchés par les actes illicites de la Fédération de Russie, il est admis qu'ils ont eux aussi un intérêt à exiger le respect des obligations erga omnes.
57. La CDI reconnaît la possibilité pour les États tiers de prendre des contre-mesures en cas de violation d'obligations erga omnes. L'article 54 des articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite prévoit une clause de sauvegarde qui ne limite pas le droit de tout État d'invoquer l'article 48 
			(12) 
			<a href='https://legal.un.org/ilc/texts/instruments/french/draft_articles/9_6_2001.pdf'>Article
48 des articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement
illicite</a><a href='https://legal.un.org/ilc/texts/instruments/french/draft_articles/9_6_2001.pdf'></a>. relatif aux contre-mesures et de prendre des mesures contre un État responsable de faits internationalement illicites afin d’assurer la cessation de la violation et la réparation dans l'intérêt de l'État lésé ou des bénéficiaires de l'obligation violée. Il vise ainsi tous les États, et pas uniquement la victime directe de l'agression.
58. Cette reconnaissance et cette réserve du droit de prendre des contre-mesures par des États tiers dans l'intérêt du respect des obligations erga omnes reflètent la nature évolutive du droit international. Elles reconnaissent l'existence d'une norme coutumière qui pourrait potentiellement se développer afin que les États qui ne sont pas directement affectés par une violation mais qui sont préoccupés par les implications plus larges d'une violation des obligations erga omnes puissent entreprendre de telles actions.
59. La règle d’interdiction du recours à la force est une norme absolue du droit international qui s'applique à tous, et pas uniquement au pays directement attaqué. En cas de guerre d'agression, tout État ou groupe d'États peut demander des comptes à l'agresseur et réclamer justice.
60. En outre, l'article 48 reconnaît que les pays tiers ont le droit de demander des comptes à un État responsable d’une violation comme suit:
1. Tout État autre qu’un État lésé est en droit d’invoquer la responsabilité d’un autre État, si: a) L’obligation violée est due à un groupe d’États dont il fait partie, et si l’obligation est établie aux fins de la protection d’un intérêt collectif du groupe; ou b) L’obligation violée est due à la communauté internationale dans son ensemble.
2. Tout État en droit d’invoquer la responsabilité en vertu du paragraphe 1 peut exiger de l'État responsable: a) La cessation du fait internationalement illicite et des assurances et garanties de non-répétition […]; et b) L’exécution de l’obligation de réparation conformément aux articles précédents, dans l’intérêt de l’État lésé ou des bénéficiaires de l’obligation violée.
61. Le recours à de telles contre-mesures est un moyen pour les États de tirer parti de leur position collective et de l’obligation qui incombe à l’État responsable d’indemniser les préjudices causés. Il importe de veiller à ce que ces actions soient conformes au droit international, proportionnées et respectueuses des droits des parties innocentes, et qu’elles visent à encourager le respect des obligations internationales et des principes de justice.
62. La contre-mesure proposée, à savoir le transfert d’avoirs russes gelés vers un mécanisme international d’indemnisation en vue du versement d'une indemnité à l'Ukraine ou à d'autres parties affectées, remplit la condition de réversibilité telle qu’interprétée par la CDI. Cette action permettrait de rétablir les relations juridiques antérieures entre les parties concernées. La CDI souligne qu'il faut éviter les contre-mesures causant des «dommages irréparables» et suggère de choisir des mesures permettant la reprise des obligations suspendues 
			(13) 
			CDI, Annuaire de la Commission du Droit International (Nations
Unies, 2007), commentaire de l’article 49, para. 9.. Par exemple, lors du transfert d'avoirs gelés, les États pourraient convenir que ces avoirs seront restitués si la Fédération de Russie s'acquitte de ses obligations. Par ailleurs, les règles du mécanisme d’indemnisation pourraient créditer la Fédération de Russie pour les réparations payées, ce qui réduirait son obligation restante. Si la valeur des avoirs dépasse les réparations dues, l'excédent pourrait être restitué. De cette manière, le transfert ne porterait pas préjudice à la Fédération de Russie de manière irréversible.
63. Des États ont déjà riposté face à de telles violations visées à l'article 48 sans pour autant prétendre être lésés individuellement, notamment en imposant des sanctions économiques 
			(14) 
			CDI, Annuaire de la Commission du Droit International (Nations
Unies, 2001), page 137.. On peut citer notamment l'exemple de l'affaire États-Unis-Ouganda en 1978, qui a vu le Congrès américain imposer des restrictions sur les exportations de biens et de technologies à destination et en provenance de l'Ouganda, au motif que le Gouvernement de l'Ouganda, sous la direction d'Idi Amin à l'époque, avait commis un génocide à l'encontre des Ougandais. La raison d'être de cette législation était de condamner et de dissocier les États-Unis de tout gouvernement étranger engagé dans le crime international de génocide.
64. Après l’invasion du Koweït par l’Iraq en 1990, les États ont adopté des contre-mesures suite à l’échec des sanctions. La France, le Royaume-Uni et les États-Unis ont ouvert la voie en transférant les fonds gelés de l’État iraquien sur un compte séquestre international afin de fournir une indemnisation sans le consentement volontaire de l’Iraq. Par la suite, la Commission d'indemnisation des Nations Unies a traité les demandes et a versé aux victimes des indemnités pour les pertes et les dommages causés par l'invasion, provenant en partie d'avoirs gelés 
			(15) 
			Sous
les auspices des Résolutions 687 (1991) et 778 (1992) du Conseil
de sécurité.. De même, la Fédération de Russie serait incitée à respecter son devoir et à indemniser ses victimes, volontairement ou involontairement. Les droits de l’agresseur ne prévalent pas sur les droits de ses victimes.
65. À la fin des années 1990, face à l'escalade de la crise et à la détérioration de la situation humanitaire au Kosovo* 
			(16) 
			*
Toute référence au Kosovo dans le présent document, qu’il s’agisse
du territoire, des institutions ou de la population, doit être entendue
dans le plein respect de la Résolution 1244 du Conseil de sécurité
de l’Organisation des Nations Unies, sans préjuger du statut du
Kosovo., les États membres de la Communauté européenne ont pris des mesures collectives, notamment en adoptant une législation qui gelait les fonds yougoslaves et imposait une interdiction immédiate des vols aériens. Ces mesures ont finalement contribué à attirer l'attention de la communauté internationale sur la situation au Kosovo et ont ouvert la voie à de nouvelles initiatives et interventions diplomatiques dans la région.
66. En ce qui concerne l'utilisation de contre-mesures par des États tiers, la pratique des États a considérablement évolué depuis 2001. Cette évolution renforce l'importance de l'article 48 en tant que représentation reconnue du droit international actuel. Le nombre d’exemples de mise en œuvre a considérablement augmenté. Constatant cette tendance, l'Institut de droit international a adopté, en 2005, une résolution sur «Les obligations Erga Omnes en droit international», qui comprenait la disposition suivante (article 5): «Si une violation grave, largement reconnue, d’une obligation erga omnes a lieu, tous les États auxquels l’obligation est due: a) doivent s’efforcer de mettre un terme à cette violation en recourant à des moyens licites conformément à la Charte des Nations Unies; b) doivent ne pas reconnaître comme licite une situation créée par cette violation; c) ont la faculté de prendre des contre-mesures n’impliquant pas le recours à la force dans des conditions analogues à celles qui s’appliquent à un État spécialement atteint par la violation» 
			(17) 
			www.idi-iil.org/app/uploads/2017/06/2005_kra_01_fr.pdf..
67. Le précédent créé depuis le conflit entre l'Irak et le Koweït montre que l'indemnisation peut concerner non seulement les parties directement impliquées dans un conflit mais aussi d'autres pays touchés, des organisations internationales et des personnes ou entités qui ont subi des pertes en raison de l'agression. Si le Koweït ou les Koweïtiens ont reçu environ 80 % des indemnités, plus de dix autres pays et organisations internationales ont également bénéficié de compensations pour les dommages qu'ils ont subis pendant le conflit, notamment les dommages environnementaux. Il s’agissait notamment de l'Arabie saoudite, de l'Iran et d’Israël.
68. Dans le cas du conflit en Ukraine et des actions de la Fédération de Russie, plusieurs dimensions sont à prendre en compte pour une demande d'indemnisation. Outre son impact direct sur l'Ukraine et ses citoyens, l’invasion a des répercussions sur les pays voisins, les entreprises, les investisseurs et les personnes déplacées. Ces parties peuvent avoir des demandes légitimes d'indemnisation découlant du droit international en raison des dommages subis à la suite du conflit.
69. Au cours des vingt dernières années, des mesures telles que le gel des avoirs d'un État responsable de violations et la mise en œuvre de sanctions économiques ont été fréquemment utilisées. Ces mesures ont souvent été employées par des États qui n'étaient pas directement touchés en réponse aux violations, commises par l'État responsable, des obligations dues à la communauté internationale dans son ensemble. Citons notamment les exemples suivants: 1) en 2011, la Suisse et les États-Unis ont gelé les avoirs du colonel Kadhafi et de la Banque centrale libyenne; 2) en mars 2011, les États membres de l'Union européenne ont imposé des mesures en gelant les avoirs du président Al-Asad et de la Banque centrale de Syrie. À ce jour, 83 États et organisations internationales ont accueilli avec satisfaction ces sanctions adoptées par l'Union européenne; 3) en mars 2014, les États membres de l'Union européenne, l'Australie, le Canada, le Japon, le Liechtenstein, la Suisse et les États-Unis ont imposé des mesures contre la Fédération de Russie pour son rôle déstabilisateur en Ukraine; 4) depuis l'invasion de l'Ukraine, les États membres de l'Union européenne et 14 autres États plus Taïwan ont adopté un large éventail de mesures contre la Fédération de Russie, notamment des gels d'avoirs, des sanctions économiques et financières, des saisies de biens; 5) l’Union européenne et d'autres États ont adopté des mesures contre le Myanmar en 2000, le Zimbabwe en 2002 et le Bélarus en 2004.
70. Il importe de noter que les mesures prises auraient été considérées comme illégales si elles avaient été adoptées en l'absence d'un comportement internationalement illicite de l'État visé. Dans le cadre des articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, leur caractère illégal n’a été occulté que parce qu’elles avaient été mises en œuvre en tant que contre-mesures visant à réagir au comportement illicite de l'État ciblé. Les mesures adoptées par les États non directement touchés ont donc été considérées comme justifiées parce qu’il s’agissait de contre-mesures légitimes adoptées conformément à la deuxième partie, chapitre II des articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite.
71. Le but des contre-mesures devrait donc plutôt être constructif que punitif. Conformément au droit sur les contre-mesures, certaines mesures pouvant s’avérer illégales peuvent être justifiées si des conditions spécifiques sont remplies, notamment: a) offrir une riposte face au comportement illicite d'un État, b) mettre fin à ce comportement ou en assurer la réparation, c) être proportionnées à la gravité de l'acte répréhensible et du préjudice qui en résulte, d) prendre fin lorsque la conformité est respectée, et e) permettre une reprise des relations normales dès que la conformité est respectée. Chaque État qui utilise des contre-mesures doit veiller à ce que ces conditions soient remplies. La décision de prendre des contre-mesures relève de l'autorité de chaque État souverain, ce qui en fait une obligation décentralisée et volontaire.
72. En outre, pour satisfaire à la condition de proportionnalité énoncée à l'article 51, les contre-mesures doivent être adaptées à la gravité du préjudice subi par l'État lésé et à la gravité du comportement fautif de l'État responsable. De plus, pour satisfaire à l'article 53, ces contre-mesures devraient prendre fin rapidement dès que l'État responsable recommence à respecter ses obligations internationales.
73. En ce qui concerne leur légalité, il n'existe pas de distinction vraiment significative entre le gel des avoirs d'un autre État et leur transfert à la victime du comportement illicite à titre de réparation du préjudice subi. Si le transfert d'avoirs va plus loin que leur simple gel, les deux mesures seront considérées comme légales si elles sont exécutées en réaction à une violation d'obligations découlant d'une norme internationalement reconnue du droit international. Ces mesures auront pour but d’inciter à la cessation du comportement illicite ou à la réparation du préjudice infligé à l'État lésé.
74. Ainsi, la création d'un fonds ou d'un mécanisme destiné à traiter toutes les demandes diverses pourrait effectivement fournir un moyen structuré d'évaluer et de compenser les dommages subis par les différentes parties prenantes en raison de l'invasion illégale de l'Ukraine par la Fédération de Russie. Ce fonds pourrait couvrir une série de pertes, notamment les dommages causés aux infrastructures, les impacts sur l’environnement, les pertes économiques subies par les entreprises et les investisseurs, ainsi que les coûts associés à l'accueil et au soutien des personnes déplacées. Toutefois, la création et l'administration d'un tel fonds nécessiteraient une réflexion approfondie, une coopération internationale et l'adhésion à des principes juridiques afin de garantir l'équité et l’obligation de rendre compte dans le traitement des dommages multiformes causés par le conflit.
75. Le Registre des dommages déjà établi va entreprendre le processus laborieux d’enregistrement des pertes ukrainiennes en préparation d’une procédure internationale de réclamation - par exemple, par l’intermédiaire d’un fonds international d’indemnisation et d’une commission internationale chargée de l’examen des réclamations pour dommages consignées dans le registre. Mais un long et difficile processus de réclamations ne peut pas répondre rapidement à l’immense perturbation de l’économie et de la société ukrainiennes. Grâce à des contre-mesures, les pays qui ont gelé des avoirs russes peuvent élaborer avec souplesse des programmes massifs de reconstruction et de redressement tout en finançant un processus visant à indemniser d’autres États et requérants lésés.
76. La légitimité des contre-mesures proposées reste indiscutable même dans le cadre de l'immunité souveraine, qui fonctionne comme un principe empêchant les tribunaux nationaux d'un État de statuer sur les actions gouvernementales d'un autre État ou de saisir les actifs de cet État. Les contre-mesures examinées ne pourraient faire l’objet d’une action judiciaire. Il faudrait, en revanche, qu’elles soient strictement exécutées par la branche exécutive du gouvernement et établies par des lois ou des résolutions du Conseil des Ministres au sein des systèmes parlementaires.
77. Si l'article 52 énonce les conditions préalables requises pour qu'un «État lésé» prenne des contre-mesures, ces mêmes conditions s'appliqueraient également aux autres États qui envisagent de prendre de telles mesures. Dès lors, un État qui veut imposer des contre-mesures à la Fédération de Russie pour son agression internationalement illicite contre l'Ukraine doit d’abord lui avoir demandé de remplir ses obligations juridiques internationales. Cela implique la cessation de l'agression, le retrait des forces russes du territoire ukrainien et l'indemnisation de l'Ukraine et des autres parties touchées pour les dommages résultant du comportement illicite. En outre, l'État en question doit notifier à la Fédération de Russie son intention de prendre des contre-mesures et lui faire une offre de négociation sur le respect des obligations. On pourrait considérer à cet égard que ces exigences ont été satisfaites grâce à l'adoption de résolutions par l'Assemblée générale des Nations Unies, compte tenu de leur contenu et des déclarations qui les appuient. Cela étant, le fait de satisfaire à ces conditions préalables de manière indépendante ne devrait pas poser de problèmes majeurs.

3.5. Un front uni contre l’agression

78. L’utilisation des avoirs gelés ou saisis comme moyen de financer un programme de relance de l’Ukraine servirait à la fois d’avertissement et de démarche stratégique ayant des implications plus larges. Une telle action montrerait les répercussions importantes de la violation des normes mondiales et de l’engagement dans des guerres d’agression. Elle rappellerait l’interdépendance du monde et la responsabilité collective pour faire respecter le droit international et d’empêcher que de tels actes soient commis sans contrôle.
79. De plus, la création d’un programme européen de relance centré sur l’Ukraine, financé par des avoirs russes, présente une approche multidimensionnelle. Non seulement il fournirait un moyen de faciliter la relance et la reconstruction de l’Ukraine après le conflit, mais il servirait également à contrer la stratégie d’usure et de ruine de Moscou.
80. En utilisant les avoirs restés entre les mains de pays libres, cette approche permettrait de transformer une erreur de la part de la Fédération de Russie en une opportunité pour la communauté internationale de créer un impact positif. Elle répondrait non seulement aux besoins immédiats de la relance mais soulignerait également une position ferme contre l’agression et un engagement visant au respect des normes mondiales, mettant en évidence le potentiel de l’action collective en direction d’un changement positif.

4. Le paysage institutionnel européen et mondial

4.1. L’Union européenne

81. La coopération entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne est marquée par une relation complémentaire visant à promouvoir et à défendre des valeurs communes, en particulier dans les domaines de la démocratie, des droits humains et de l’État de droit. Ce partenariat garantit une approche plus unifiée et plus globale de la défense des principes démocratiques et des droits humains dans notre région.
82. Le Conseil de l’Europe a élaboré de nombreuses conventions et instruments juridiques axés sur les droits humains, l’État de droit et la démocratie. L’Union européenne aligne souvent sa législation et ses politiques sur ces normes et, dans certains cas, l’adhésion aux conventions du Conseil de l’Europe est une condition préalable à l’adhésion à l’Union européenne. Le nouveau contexte géopolitique rend encore plus nécessaire l'approfondissement du partenariat entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne.

4.2. Le G7

83. Les dirigeants du G7 ont fermement condamné les actions de la Fédération de Russie, qualifiant l’attaque contre l’Ukraine d’agression non provoquée et injustifiée 
			(18) 
			<a href='https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2022/02/24/g7-leaders-statement-on-the-invasion-of-ukraine-by-armed-forces-of-the-russian-federation/'>G7
Leaders’ Statement on the invasion of Ukraine by armed forces of
the Russian Federation</a>, (Déclaration des dirigeants du G7 sur l’invasion de
l’Ukraine par les forces armées de la Fédération de Russie), 24
février 2022.. Cette condamnation repose sur le postulat selon lequel les actions de la Fédération de Russie violent plusieurs accords et engagements internationaux, notamment: 1) droit international: cette attaque est considérée comme une violation grave du droit international et une violation de la Charte des Nations Unies, qui met l’accent sur le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de tous les États membres; 2) l’Acte final de Helsinki et la Charte de Paris: les actions de la Fédération de Russie sont considérées comme des transgressions contre les principes qui y sont énoncés et qui soulignent l’importance du respect de la souveraineté et des frontières des États européens; 3) le mémorandum de Budapest: signé en 1994, il assurait l’intégrité territoriale et la sécurité de l’Ukraine en échange de la renonciation de l’Ukraine à son arsenal nucléaire. Les dirigeants du G7 considèrent les actions de la Fédération de Russie comme une violation directe de cet accord.
84. Le langage fort utilisé par les dirigeants du G7 met l’accent sur la gravité des actes de la Fédération de Russie, soulignant leur conviction selon laquelle ces actes constituent une violation de divers accords et principes internationaux fondamentaux pour la paix et la stabilité mondiales. Cette condamnation souligne leur consensus à l’encontre de telles violations du droit international et des engagements internationaux.
85. La question des contre-mesures a été examinée en décembre 2023 par les ministres des Finances du G7 et leurs suppléants. Les États-Unis ont proposé que des groupes de travail au sein du G7 étudient des méthodes permettant d'accéder aux quelque 300 milliards $US d'avoirs russes gelés 
			(19) 
			<a href='https://www.ft.com/content/d206baa8-3ec9-42f0-b103-2c098d0486d9'>www.ft.com/content/d206baa8-3ec9-42f0-b103-2c098d0486d9</a>.. Cette initiative s'inscrit dans le cadre des efforts collectifs déployés par les pays alliés pour élaborer un plan qui soit prêt pour le deuxième anniversaire de l'invasion de grande ampleur de l'Ukraine par Moscou. Plus précisément, les États-Unis, soutenus par le Royaume-Uni, le Japon et le Canada, ont suggéré d'avancer les travaux préparatoires afin de veiller à ce que les stratégies potentielles soient prêtes pour un rassemblement des dirigeants du G7 qui pourrait avoir lieu autour du 24 février, coïncidant avec l'invasion illégale de l'Ukraine en 2022.

4.3. L’Organisation des Nations Unies

86. La relation entre l’ONU et le Conseil de l’Europe se caractérise par la reconnaissance de leurs atouts et de leur expertise respectives. Alors que le Conseil se concentre sur l’Europe au niveau régional, il contribue de manière significative aux discussions mondiales en matière de droits humains et de normes juridiques. Ce partenariat permet une pollinisation croisée des idées et des normes, contribuant à une approche plus unifiée dans la promotion de valeurs et de principes communs à l’échelle mondiale.
87. L’adoption de la Résolution A/RES/ES-11/1 sur l’«Agression contre l’Ukraine» par l’Assemblée générale des Nations Unies le 2 mars 2022 démontre une importante condamnation mondiale des actions de la Fédération de Russie contre l’Ukraine. Cette résolution condamne fermement l’agression de la Fédération de Russie, notant en particulier que ces actions violent l’article 2(4) de la Charte des Nations Unies, qui interdit le recours à la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État.
88. La résolution souligne la demande envers la Fédération de Russie de cesser immédiatement l’usage de la force contre l’Ukraine. Elle appelle en outre au retrait complet et inconditionnel de toutes les forces militaires russes du territoire de l’Ukraine à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues.
89. En outre, l’Assemblée générale des Nations Unies a approuvé la création d’un mécanisme international d’indemnisation de l’Ukraine pour les pertes, dommages et préjudices subis pendant la guerre. La Résolution A/RES/ES-11/5 recommande la création d’un «registre international des dommages qui servira à recenser [...] les éléments tendant à établir les dommages, pertes ou préjudice causés à toute personne physique et morale concernée et à l’État ukrainien par les faits internationalement illicites commis par la Fédération de Russie en Ukraine ou contre l’Ukraine [...]». Par la suite, le Conseil de l’Europe a établi un Registre des dommages causés par l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine.

5. La voie à suivre

90. Le Conseil de l’Europe, en tant que la plus ancienne institution européenne, doit diriger ce processus et montrer l’exemple. Fort de son travail axé sur la démocratie, les droits humains et l’État de droit, le Conseil de l’Europe devrait jouer un rôle important en soutenant les efforts de reconstruction en Ukraine, par la saisie des avoirs de l’État russe.
91. Le contexte instable de sécurité mondiale et régionale exige un engagement renouvelé en faveur de valeurs communes entre tous les États membres, en particulier en ce qui concerne les questions critiques telles que la reconstruction de l’Ukraine au lendemain du conflit.
92. La saisie des avoirs de l’État russe et la mise en place d’un mécanisme global d’indemnisation exigent un effort unifié et concerté dans le cadre du droit international, et le Conseil de l’Europe devrait servir de plateforme aux États membres pour discuter et coordonner les actions concernant ces avoirs. L’engagement de l’Organisation à défendre des valeurs communes constituera une base pour une action collective en faveur de la reconstruction de l’Ukraine.
93. Pour soutenir la reconstruction de l’Ukraine, il est essentiel que toute action proposée soit conforme au droit international et s’aligne sur les valeurs et les principes défendus par le Conseil de l’Europe. Cette approche garantit un engagement responsable et légitime pour relever les défis de sécurité régionale.
94. Alors que nous assistons à un moment crucial au XXIe siècle et que nous maintenons et renforçons notre unité contre cette agression, nous devrions être constants dans notre objectif de fortifier l’Ukraine afin que les conséquences – y compris celles de nature financière – de l’agression menée par la Fédération de Russie servent de dissuasion contre toute autre agression future.

Annexe I – Textes concernant l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine

(open)

Résolution CM/Res(2023)3 établissant l’Accord partiel élargi sur le Registre des dommages causés par l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine

Résolution 2482 (2023) «Questions juridiques et violations des droits de l’homme liées à l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine»

Résolution 2463 (2022) «Nouvelle escalade dans l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine»

Résolution 2448 (2022) «Conséquences humanitaires et déplacements internes et externes en lien avec l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine»

Résolution 2436 et Recommandation 2231 (2022) «L’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine: faire en sorte que les auteurs de graves violations du droit international humanitaire et d’autres crimes internationaux rendent des comptes»

Résolution 2433 et Recommandation 2228 (2022) «Conséquences de l'agression persistante de la Fédération de Russie contre l'Ukraine: rôle et réponse du Conseil de l'Europe»

Avis 300 (2022) «Conséquences de l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine»