1. Introduction
1. Les droits à la liberté d’expression
et de réunion sont des droits fondamentaux de toutes et de tous, garantis
par de nombreux instruments de droit international dont notamment
la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5).
Le respect de ces droits est par ailleurs au cœur de toute démocratie
qui fonctionne; chaque personne doit pouvoir jouir de ces droits
humains de manière égale, et en toute sécurité.
2. Pour les personnes LGBTI, les droits à la liberté d’expression
et de réunion revêtent cependant une importance toute particulière,
car trop souvent encore elles se sentent obligées de se cacher de
crainte d’être rejetées par leur entourage, voire attaquées verbalement
ou physiquement dans l’espace public. Elles intériorisent un sentiment
de honte en raison du contexte plus ou moins fortement hétéronormatif
de nos sociétés. Restreindre la liberté d’expression et de réunion
des personnes LGBTI contribue à leur invisibilisation, tout en perpétuant
la stigmatisation de ces personnes perçues alors comme moins dignes
que d’autres d’exercer leurs droits
.
3. Les villes européennes sont aujourd’hui plus nombreuses que
jamais à organiser des marches des Fiertés. À l’inverse, les attaques
contre ces manifestations se multiplient, de même que les tentatives
des autorités de les restreindre ou de les empêcher. Ces menaces
prennent la forme d’obstacles administratifs, de procédures judiciaires
abusives et répétées (poursuites-bâillons) contre des organisateurs
et organisatrices de manifestations publiques, de garanties de sécurité
insuffisantes pour les manifestations autorisées et de lois «anti-propagande».
L’arsenal utilisé pour harceler et menacer les personnes LGBTI semble
illimité.
4. Faisant suite aux menaces d’interdiction ayant pesé sur l’organisation
de l’EuroPride à Belgrade en septembre 2022, l’Assemblée parlementaire
a tenu, le 13 octobre 2022, un débat d’actualité sur ce sujet. Les différents
intervenants et intervenantes ont souligné les graves dysfonctionnements
s’étant produits à cette occasion et ont également mentionné des
incidents ayant eu lieu au cours des précédents mois dans d’autres pays
européens (différentes villes en Türkiye ainsi qu’en Géorgie ont
notamment été citées) où des manifestations des Fiertés avaient
été interdites, empêchées ou insuffisamment protégées
.
5. Dans un rapport approuvé par la Commission sur l'égalité et
la non-discrimination en septembre 2021, « Lutte contre la recrudescence
de la haine à l’encontre des personnes LGBTI en Europe » (Doc. 15425),
notre collègue Fourat Ben Chikha (Belgique, Soc) attirait déjà l’attention
sur une série de restrictions et d’attaques contre les libertés
d’expression et de réunion portant atteinte aux droits des personnes
LGBTI sur notre continent. Il évoquait à cet égard des difficultés
et des violences qui avaient touché des événements prévus par des
organisations LGBTI en Bulgarie, en Grèce, en Pologne, en Roumanie,
en Türkiye et en Ukraine dans les mois précédant son rapport. Des
manifestations avaient été interdites, entravées par des restrictions disproportionnées,
pas suffisamment protégées par les forces de l’ordre, voire parfois
violemment réprimées par elles
.
6. D’autres restrictions continuent également à poser problème
dans ce domaine, qu’il s’agisse des lois dites «anti-propagande
LGBTI» déjà condamnées par l’Assemblée dans sa Résolution 1948 (2013)
«Lutter contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle
et sur l’identité de genre»; de mesures visant à limiter ou à empêcher
l’accès des enfants à des livres représentant des familles non hétéronormatives,
ou à éliminer toute discussion sur le genre à tous les niveaux de
l’enseignement; ou d’attaques visant à entraver l’action des défenseuses
et défenseurs des droits humains des personnes LGBTI ou leurs organisations.
Tous ces obstacles à la liberté d’expression des personnes LGBTI
ont de graves répercussions sur elles, et peuvent constituer des
violations de leurs droits
.
7. Les marches des Fiertés et autres événements publics tels
que des conférences, colloques, manifestations, festivals de films
ou expositions d’art
queer sont,
comme l’a souligné notre collègue Fourat Ben Chikha, «un moyen essentiel,
pour les personnes LGBTI, de se réapproprier l’espace et la dignité
que l’ordre social dominant leur refuse encore»
.
8. Dans certains pays, malgré la jurisprudence claire et constante
de la Cour européenne des droits de l’homme dans ce domaine (voir
ci-dessous), les manifestations et événements publics organisés
par des associations de défense des droits des personnes LGBTI continuent
à faire l’objet d’interdictions et d’obstacles administratifs.
9. En 1987, il y a plus de 35 ans, Antonio Banderas disait: «J'ai
reçu plus de lettres d'insultes pour avoir embrassé un homme sur
la bouche dans [le] film [
La ley del
deseo (
La loi du désir)]
que pour en avoir tué». L’artiste française Hoshi a été la cible
d’attaques haineuses et de menaces de mort après avoir embrassé
une jeune femme sur scène lors de la cérémonie des victoires de
la musique 2020
. Si les attitudes vis-à-vis des personnes
LGBTI en Europe sont devenues globalement plus ouvertes, les quelques
faits mentionnés ci-dessus démontrent à eux seuls qu’il reste encore
un long chemin à parcourir pour que les personnes LGBTI ne soient
pas seulement tolérées mais réellement acceptées dans toutes nos
sociétés. Garantir pleinement leur liberté d’expression et de réunion
fait partie intégrante de ce chemin et est non seulement essentiel
dans toute société démocratique mais aussi une obligation en termes
de droits humains.
2. Portée du rapport et méthodes de travail
10. À la suite du débat d’actualité
du 13 octobre 2022, le Bureau de l’Assemblée a décidé de demander
à la commission sur l’égalité et la non-discrimination de préparer
un rapport sur le sujet . J’ai été désigné rapporteur et j’ai mené
des recherches documentaires, tenant compte de la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme et des travaux de supervision
de l’exécution de ses arrêts menés par le Comité des Ministres.
J’ai examiné des rapports du Conseil de l’Europe et d’organes et
acteurs travaillant sur les droits des personnes LGBTI, tels que
la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) et
l’Expert indépendant des Nations Unies chargé de la question de
la protection contre la violence et la discrimination liées à l’orientation
sexuelle et à l’identité de genre.
11. Les 3 et 4 avril 2023, j’ai effectué une visite d’information
en Hongrie, où j’ai pu m’entretenir avec des représentants et représentantes
des autorités, du parlement et de la société civile.
12. Le 22 juin 2023, la commission sur l'égalité et la non-discrimination
a tenu une audition conjointe avec la Plateforme parlementaire pour
les droits des personnes LGBTI en Europe, avec la participation
de Vladimir Simonko, Directeur exécutif, LGL, Lituanie, Florina
Presadă, Directrice exécutive, Accept Romania, et Claire Vandendriessche,
Porte-parole, Acceptess-T, France.
13. Le 24 janvier 2024, j’ai tenu une réunion avec Dunja Mijatović,
Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe.
14. J’ai organisé des réunions bilatérales avec des représentants
et représentantes de la société civile en janvier et en février
2024. Je me suis notamment entretenu avec Cianán B. Russell, Conseiller
senior en politiques, ILGA-Europe, et avec Ilaria Todde, directrice
du plaidoyer et de la recherche, EL*C (Eurocentralasian Lesbian*
Community), le 25 janvier 2024. Le 5 février 2024, j’ai pu m’entretenir
avec le secrétariat SOGIESC (Orientation Sexuelle, Identité et Expression
de Genre, et Caractéristiques Sexuelles) du Conseil de l’Europe
et avec Nancy Miranda Kelley, activiste au Royaume Uni. Le 12 février
2024, j’ai tenu une réunion bilatérale virtuelle avec Deekshitha
Ganesan, Transgender Europe (TGEU), et avec Olena Shevchenko, Présidente
de l’ONG Insight (Ukraine). Le 19 février 2024, j’ai tenu une réunion
avec Alexandra Demetrianová, représentante de l’organisation Saplinq
(République slovaque) et avec Mar Cambrolle, Présidente de Plataforma
trans (Espagne).
3. Jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme
15. Il existe une jurisprudence
abondante de la Cour européenne des droits de l’homme liée à la
liberté d’expression et de réunion des personnes LGBTI. Cette jurisprudence
laisse clairement entendre que ce ne sont pas les manifestations
pacifiques des Fiertés ni le fait d’afficher son identité LGBTI
qui représentent un danger, mais le fait d’interdire ou d’entraver
la libre expression de l’orientation sexuelle, de l’identité ou
de l’expression de genre ou des caractéristiques sexuelles, ou des
revendications politiques liées à l’une de ces caractéristiques
personnelles, qui pose problème.
16. Ce rapport ne fait pas un inventaire exhaustif de la jurisprudence
de la Cour en la matière. Cependant, je souhaite attirer l’attention
sur un certain nombre de constatations importantes de la Cour à
travers les différentes affaires qui lui ont été soumises
.
17. Tout d’abord, la Cour a constaté, à de nombreuses reprises,
et notamment dans de nombreux arrêts rendus depuis 2007 concernant
la Fédération de Russie, la République de Moldova et la Pologne,
que l’interdiction des manifestations publiques des Fiertés (défilés
ou autres événements visant par exemple à sensibiliser le grand
public à la discrimination envers les personnes LGBTI et/ou à défendre
leurs droits) n’était pas nécessaire dans une société démocratique,
et était par conséquent contraire à l’article 11 de la Convention (liberté
de réunion)
. L’absence
de recours effectif pour contester de telles interdictions a été
considérée comme une violation de l’article 13 (droit à un recours
effectif) combiné avec l’article 11
– y compris lorsque le défilé avait finalement
eu lieu malgré l’interdiction et lorsqu’un recours prévu par la
loi ne pouvait s’exercer qu’après la date de la manifestation
. Une telle interdiction entraîne également
une violation de l’article 14 (interdiction de la discrimination)
combiné avec l’article 11 lorsqu’il y a une discrimination fondée
sur l’orientation sexuelle
.
18. Le refus persistant des autorités russes d’approuver des demandes
en vue de tenir des rassemblements LGBTI a fait l’objet d’une nouvelle
condamnation par la Cour en 2018, dans une affaire regroupant 51
requêtes introduites par 7 requérants et requérantes
. Tout en rappelant que les États
ont l’obligation d’exécuter ses arrêts, la Cour a constaté à nouveau
l’ensemble des violations mentionnées ci-dessus. Elle a notamment conclu
que le rejet des demandes des requérants et requérantes de tenir
des événements publics LGBT ne pouvait se justifier par aucun impératif
de défense de l’ordre et avait violé leur droit à la liberté de
réunion; que l’absence de toute obligation, pour les autorités,
de statuer avant les dates auxquelles les événements étaient censés
se dérouler s’analysait en une absence de recours effectif; et que
la décision de bloquer les événements LGBT avait clairement été
motivée par la réprobation affichée par les autorités à l’égard
des manifestations et s’analysait donc en une discrimination contraire
à l’article 14 de la Convention.
19. Des restrictions disproportionnées et injustifiées ayant pris
la forme d’exigences relatives au lieu, aux horaires et à la date
ou aux modalités de rassemblements LGBTI pacifiques, et qui en avaient
réduit à néant la finalité même, ainsi que de multiples autres mesures
prises à l’encontre des requérants et requérantes et reposant sur
des dispositions légales qui ne prévoyaient aucune protection contre
un usage arbitraire et discriminatoire de leur pouvoir par les autorités,
ont par ailleurs été analysées par la Cour en une violation de l’article 11
interprété à la lumière de l’article 10 (liberté d’expression) de
la Convention
.
20. Les autorités sont également tenues, lorsque les rassemblements
et autres manifestations LGBTI sont autorisés, de prendre des mesures
suffisantes pour faciliter l’accès au rassemblement et pour contenir
des contre-manifestant·e·s LGBTI-phobes et violents afin que la
manifestation puisse se dérouler pacifiquement, en recourant à tous
les moyens possibles – par exemple, en faisant des déclarations
publiques avant la manifestation pour prôner une attitude conciliante
et notamment en évaluant, au moment de la planification de l’événement,
les ressources nécessaires à son bon déroulement et en déployant
des effectifs policiers suffisants. Dans plusieurs affaires concernant
la Géorgie, la Roumanie et la Fédération de Russie, le manquement
à cette obligation a été analysé en une violation de l’article 11
combiné avec l’article 14 de la Convention
.
21. Dans des affaires dans lesquelles les autorités géorgiennes
ou roumaines n’avaient pas protégé des manifestant·e·s contre des
attaques violentes de contre-manifestant·e·s et/ou n’avaient pas
mené d’enquête effective sur de tels incidents en établissant, en
particulier, le mobile discriminatoire des attaques, la Cour a également
conclu à la violation de l’article 3 (interdiction des traitements
inhumains ou dégradants) combiné avec l’article 14
.
22. A la lumière de l’ensemble de cette jurisprudence relative
aux articles 3, 10, 11, 13 et 14 de la Convention, on peut retenir
qu’aucun impératif de défense de l’ordre public ne peut justifier
l’interdiction d’événements publics LGBTI pacifiques ni l’imposition
de restrictions disproportionnées sur leur tenue. Les autorités
ont en outre l’obligation de garantir l’accès à un recours effectif
si une demande de tenir un tel événement est refusée. Ceci comprend
le fait de pouvoir exercer le recours avant la date prévue de l’événement.
Par ailleurs, au lieu d’entraver leur organisation et leur déroulement,
les autorités ont l’obligation de recourir à tous les moyens possibles
pour prévenir d’éventuelles attaques (tout au moins celles qui sont raisonnablement
prévisibles) et protéger ces événements, ainsi que de mener des
enquêtes effectives, y compris relatives à tout éventuel mobile
LGBTI-phobe, lorsque des attaques sont néanmoins commises.
23. Enfin, je souhaite attirer l’attention sur deux autres affaires
pertinentes ayant trait à des événements publics. Dans un cas concernant
des menaces homophobes et autres agressions verbales commises par
un groupe ayant interrompu la projection d’un film sur les droits
des personnes LGBTI, et où les autorités roumaines avaient manqué
à leur obligation positive de mener une enquête effective aux fins
de déterminer si ces faits s’analysaient en une infraction pénale
motivée par l’homophobie, la Cour a conclu à la violation de l’article
14 combiné avec l’article 8 (droit au respect de la vie privée et
familiale), estimant en outre que les autorités avaient ainsi manifesté
leurs propres préjugés envers les membres de la communauté LGBTI
.
24. Par ailleurs, le fait d’arrêter une manifestante pendant un
rassemblement en faveur des droits des personnes LGBTI et de la
conduire au poste de police aux fins de l’établissement d’un procès-verbal
pour une simple infraction administrative (alors que le procès-verbal
aurait pu être dressé sur place) a également été analysé en une
violation de l’article 5, paragraphe 1, de la Convention (droit
à la liberté et à la sûreté)
.
4. Atteintes
à la liberté de réunion
25. Je tiens à souligner que les
mêmes principes s’appliquent à tous les États membres du Conseil
de l’Europe. Ainsi, à partir du moment où un seul État a été condamné
pour certains faits par la Cour européenne des droits de l’homme,
l’ensemble des pays membres sont avisés que toute action similaire
de la part de leurs autorités sera également jugée contraire à la
Convention et doit par conséquent être évitée.
26. Malheureusement, des comportements des autorités similaires
à ceux exposés ci-dessus continuent à se produire dans un certain
nombre de nos États membres. Abstraction faite de l’annulation ou
du transfert en ligne de manifestations de toutes sortes, partout
en Europe en 2020 et 2021 en raison des mesures de lutte contre
la pandémie de covid-19, et malgré l’acceptation des événements
des Fiertés dans un nombre croissant de pays et de villes, ILGA-Europe
a relevé de nombreuses entraves à la liberté de réunion des personnes LGBTI
en Europe au cours des cinq dernières années
.
27. Ces obstacles sont en premier lieu d’ordre administratif,
lorsque les autorités à différents niveaux interviennent pour empêcher
ou rendre plus difficile ou plus coûteuse la tenue d’événements
visant à sensibiliser le public à la situation et aux droits des
personnes LGBTI ou d’événements culturels organisés par les personnes
LGBTI, ou les concernant.
28. La Fédération de Russie n’est plus un État membre du Conseil
de l’Europe depuis 2022. Nous avons néanmoins souhaité, avec Emanuelis
Zingeris (Lituanie, PPE/DC), rapporteur général sur la situation
des défenseurs des droits de l’homme et des lanceurs d’alerte, apporter
notre soutien à la communauté LGBTI vivant en Fédération de Russie,
à la suite de la décision de la Cour Suprême d'interdire le «mouvement
LGBT international» en le qualifiant d'extrémiste
. Cette décision
fait suite à de multiples restrictions et vise à complètement supprimer
un groupe social de l’espace public.
4.1. Interdiction
d’événements LGBTI
29. La recommandation CM/Rec(2010)5
du Comité des Ministres aux États membres sur des mesures visant
à combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle
ou l’identité de genre souligne que les «États membres devraient
prendre les mesures appropriées pour éviter les restrictions à la
jouissance effective des droits à la liberté d’expression et de
réunion pacifique résultant de l’abus de dispositions juridiques
et administratives telles que celles visant la santé publique, la
morale publique et l’ordre public».
30. En Türkiye, des marches des Fiertés se sont déroulées pacifiquement
pendant plusieurs années. Toutefois, depuis le coup d’État manqué
de 2016 les personnes et les organisations LGBTI sont la cible d’un nombre
croissant de déclarations hostiles du Président et dans les médias,
qui encouragent les autorités nationales et locales à restreindre
les manifestations LGBTI, et des interdictions d’événements LGBTI
sont régulièrement prononcées. Ainsi, à la suite de l’interdiction
générale de tous les événements LGBTI promulguée en 2016 à Ankara,
les personnes LGBTI ont été dans l’impossibilité d’organiser des
événements jusqu’à ce qu’un tribunal lève l’interdiction en février
2019. La marche des Fiertés d’İstanbul a été interdite chaque année
depuis 2015. En 2019, ces marches ont également été interdites à
İzmir, Antalya et Mersin, la projection d’un film a été interdite
à Tunceli, et la tenue des Queer Olympix a été annulée. En 2022, 11 manifestations
des Fiertés ont été interdites en Türkiye, notamment à l’université
de Boğaziçi, à l’Université technique du Moyen-Orient d’Ankara (METU)
et à Eskişehir, Ankara et İstanbul. De telles interdictions sont prononcées
alors même que des tribunaux les déclarent régulièrement contraires
au respect de la liberté de réunion et rappellent que l’État doit
permettre la tenue de rassemblements pacifiques
. La Commissaire aux droits
de l’homme du Conseil de l’Europe a fait part aux autorités turques
de son inquiétude concernant l’impossibilité pour les personnes
LGBTI d’exercer leur droit de réunion pacifique en raison des restrictions radicales
imposées aux événements LGBTI par les autorités à différents niveaux
au fil des ans
.
31. Dans d’autres cas, un refus initial des autorités locales
a dû être contesté devant les tribunaux. Le cas de l’EuroPride en
Serbie en septembre 2022, où les propos du Président du pays quelques
semaines avant l’événement avaient largement contribué à créer un
climat de doute et de crainte quant à sa tenue, a été mentionné
ci-dessus
.
32. En Lituanie, la municipalité de Kaunas avait tout d’abord
refusé la tenue de la première manifestation des Fiertés prévue
dans cette ville en septembre 2021, décision finalement infirmée
par les tribunaux
. Cette situation contraste
toutefois avec celle qui prévaut à Vilnius, où des manifestations
des Fiertés, y compris des Baltic Pride, se tiennent sans incident
depuis plusieurs années.
33. En Pologne, de nombreuses décisions d’autorités locales interdisant
des marches des Fiertés ou des marches pour l’égalité ont dû être
attaquées en justice par la société civile et ont été annulées par
les tribunaux. En 2019 cela a concerné les villes de Gniezno, Gorzów
Wielkopolski, Kielce, Lublin (également concernée en 2018) et Nowy
Sącz. Si des manifestations des Fiertés ont pu avoir lieu dans une
trentaine de villes polonaises en 2022, c’est dans le métavers qu’ont
dû se tenir les défilés organisés dans une trentaine d’autres villes
et villages ayant adopté des résolutions anti-LGBTI
.
34. En Roumanie, une marche des Fiertés a pu être tenue à Iaşi
pour la première fois en octobre 2021, après un refus initial de
la part de la municipalité que les associations organisatrices ont
attaqué avec succès devant les tribunaux. Ailleurs dans le pays,
des restrictions sanitaires sévères (limitation du nombre de participants
à 100, puis à 500 personnes) ont continué à peser sur les manifestations
sur la voie publique organisées par la société civile en 2021, alors
que ces limitations avaient été levées pour les rassemblements religieux,
culturels et sportifs. Ainsi, à la suite des marches des Fiertés
qui ont eu lieu à Bucarest et à Cluj et qui ont dépassé le nombre
de participants autorisés, les organisateurs et organisatrices de
ces événements se sont vu imposer des amendes
. Après avoir annoncé la tenue de
la marche des Fiertés de Bucarest en 2022, les organisateurs et
organisatrices ont reçu plusieurs menaces de mort. La police a tardé
à réagir afin de sécuriser l’événement. Selon Florina Presadă, il
y a eu, ces dernières années, une montée de la haine à l’encontre
des personnes LGBTI, encouragée par des responsables politiques.
Lors de l’audition de la commission sur l'égalité et la non-discrimination,
elle a appelé les parlementaires à lutter contre le discours de haine.
35. Enfin, en Bosnie-Herzégovine, une marche des Fiertés a pu
avoir lieu pour la première fois en septembre 2019. Si cela a représenté
un important progrès dans ce pays et bien que le défilé se soit
déroulé sans incident et avec une protection suffisante, les associations
organisatrices de l’événement ont dû supporter des coûts élevés
pour recruter des agences de sécurité privées et financer la mise
en place de barrières métalliques ou en béton tout le long du parcours
du défilé, et des contraintes administratives excessives ont à nouveau
pesé sur l’organisation des événements des Fiertés en 2022
. En Croatie, la ville de
Zagreb a d’abord exigé le paiement de frais importants pour la tenue
de la marche des Fiertés de 2018, décision finalement annulée à
la suite d’une plainte des associations organisatrices
.
4.2. Répression
par les forces de l’ordre
36. Dans le deuxième grand cas
de figure et dans de trop nombreux cas ces dernières années, lorsque
des manifestations pacifiques ont été tenues avec ou sans notification
préalable, elles ont fait l’objet d’une répression violente de la
part des forces de l’ordre, ou celles-ci ont arrêté ou détenu, parfois
sans base légale, des personnes qui y avaient participé.
37. En Türkiye, au cours des cinq dernières années, des défilés
des Fiertés maintenus malgré leur interdiction par les autorités
locales (voir plus haut) ont souvent été réprimés de manière violente
par la police
. En mai 2019, une
marche des Fiertés organisée sur le campus de la METU à Ankara a
été dispersée par les forces de l’ordre qui ont employé du gaz poivré,
des balles en caoutchouc et du gaz lacrymogène. Bien que l’événement
ait été pacifique, 22 personnes ont été arrêtées et poursuivies
en justice, avant d’être finalement acquittées en octobre 2021,
après plus de deux ans de procédure. Toujours en 2019, la police
s’en est prise avec violence aux personnes s’étant rassemblées au
centre d’İstanbul à l’occasion de la semaine des Fiertés.
38. Au cours des dernières années, des manifestations tenues à
l’occasion de la journée internationale des droits des femmes (le
8 mars) ou de la journée internationale pour l’élimination de la
violence à l’égard des femmes (le 25 novembre) ont également été
violemment réprimées, y compris par l’emploi de gaz lacrymogène,
et des drapeaux LGBTI portés par des manifestant·e·s ont été confisqués.
En 2022, la répression des manifestations pacifiques des Fiertés
maintenues malgré leur interdiction illégale a été particulièrement
violente. Dans de nombreux cas, des balles en caoutchouc ainsi que
du gaz lacrymogène ont été utilisés. 530 personnes ont été détenues
au cours de la saison des Fiertés de 37 jours en Türkiye, dont 373
pour le seul rassemblement d’İstanbul. Par la suite, plus de 200
personnes ont à nouveau été arrêtées à İstanbul, lors de la manifestation
du 25 novembre.
39. En Pologne, des activistes LGBTI organisent régulièrement
des actions, souvent en réaction à des manifestations anti-avortement
et anti-LGBTI. En 2020, plusieurs activistes ont été arrêtés par
des agents ou agentes de police en civil, créant un climat de harcèlement
et de peur. L’arrestation de l’activiste non-binaire Margot Szutowicz
en août 2020 a été suivie d’une manifestation de protestation lors
de laquelle 48 personnes ont été arrêtées; en 2022, des tribunaux
ont finalement constaté que 41 de ces arrestations avaient été illégales,
injustifiées ou irrégulières
.
40. En Azerbaïdjan, des manifestations, tenues en 2019 et 2021
à l’occasion du 8 mars, en faveur des droits des femmes et contre
les discriminations au motif de l’orientation sexuelle ou de l’identité
de genre, ont été dispersées par la police, qui a procédé à des
arrestations de personnes y ayant participé
.
4.3. Protection
insuffisante des rassemblements
41. La troisième entrave majeure
à la liberté de réunion des personnes LGBTI résulte de la protection insuffisante
des rassemblements contre des attaques venues d’individus ou d’entités
non-étatiques. De telles attaques ont eu lieu dans un très grand
nombre de pays et proviennent aussi bien de groupes d’extrême droite, voire
néo-nazis, que de groupes religieux, ou encore de responsables politiques
ou de personnes LGBTI-phobes. Elles prennent la forme de violences
physiques et/ou psychologiques, se traduisant par des insultes et
injures, des agressions physiques, des jets d’œufs et de bouteilles
sur les participants, des actes de vandalisme, voire des menaces
de mort. Parmi les pays concernés (à des degrés différents) au cours
des cinq dernières années peuvent être cités l’Arménie, la Bulgarie,
la Tchéquie, la France, la Géorgie, l’Allemagne, la Grèce, l’Irlande,
l’Italie, la Lituanie, la République de Moldova, la Macédoine du
Nord, la Pologne, la Roumanie, la Serbie, la Slovénie, la Suède,
la Türkiye et l’Ukraine
.
42. La recommandation CM/Rec(2010)5 est claire à ce sujet: «Les
Etats membres devraient veiller à ce que les services répressifs
prennent les mesures appropriées pour protéger les participants
à des manifestations pacifiques en faveur des droits de l’homme
des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres contre les
ingérences illégales visant à perturber ou à empêcher la jouissance
effective de leur droit à la liberté d’expression et de réunion
pacifique».
43. En Géorgie, des actes de vandalisme ont été commis contre
les locaux d’associations LGBTI à l’occasion de la semaine des Fiertés
en 2021, et de nombreux actes de violences LGBTI-phobes ont perturbé le
déroulement de la semaine, culminant en l’annulation du défilé final
en raison d’attaques d’une violence extrême menées par des opposant·e·s
.
Le premier défilé des Fiertés organisé à Rhodes (Grèce) en 2022
a été perturbé par des individus portant des symboles néo-nazis
qui menaçaient les participant·e·s, leur crachaient dessus et leur
lançaient des œufs, sans que la police intervienne pour empêcher
ces actes. En Macédoine du Nord, sept activistes ainsi que trois
agents de police qui avaient tenté de leur venir en aide ont été
violemment agressés par une vingtaine de personnes les menaçant
de viol et de mort à la suite de la tenue du premier défilé des
Fiertés à Skopje en 2019. Grâce à l’intervention d’autres agent·e·s
de l’ordre, les agresseurs ont toutefois pu être arrêtés et poursuivis.
44. En Pologne, si un nombre record de 24 marches des Fiertés
a eu lieu en 2019, certaines ont fait l’objet d’attaques violentes
par des contre-manifestant·e·s. En Roumanie, une personne non identifiée
a jeté des bombes à gaz sur le public assistant au concert de clôture
du festival des Fiertés tenu à Bucarest en 2022 ; à Iaşi, un groupe
d’extrême droite a jeté des œufs sur les participant·e·s au deuxième
défilé des Fiertés tenu en juin de la même année. En Ukraine, des
groupes d’extrême droite ont mené de nombreuses actions violentes au
cours des dernières années visant à perturber des événements organisés
par des associations LGBTI. Le défilé des Fiertés d’Odessa a fait
l’objet d’attaques particulièrement violentes en 2020, en l’absence
d’une protection policière suffisante. En 2021, des dizaines d’agent·e·s
ont été blessés en protégeant les manifestant·e·s contre des attaques
de néo-nazis. Dans l’ensemble de ces cas, ces agressions ont eu
lieu après que des responsables politiques ou religieux ont pris
position publiquement contre l’organisation des manifestations en
question, tenant souvent des propos ouvertement LGBTI-phobes.
45. Pour terminer sur une note plus optimiste, je souhaite signaler
des progrès réalisés en République de Moldova. Après des attaques
d’une grande violence contre la marche des Fiertés tenue à Chişinău
en 2017, l’événement de 2018 a bénéficié d’une protection policière
renforcée. Des chrétiens orthodoxes ont tenté de perturber le défilé
mais en ont été empêchés grâce à la réaction rapide de la police.
L’année suivante, des contre-manifestations ont été organisées mais
aucun incident violent n’a eu lieu. En 2022, malgré la volonté affichée
par le maire de la ville de l’interdire, la plus grande marche des
Fiertés jamais tenue dans le pays a eu lieu à Chişinău, sans incident.
Elle a rassemblé plusieurs centaines de personnes, dont six parlementaires.
5. Atteintes
à la liberté d’expression
46. En ce qui concerne la liberté
d’expression, des lois dites «anti-propagande gay», interdisant
la prétendue «promotion» des identités LGBTI, sont en vigueur dans
plusieurs pays européens, notamment la Hongrie, la Lituanie, la
Pologne, la Fédération de Russie (qui n’est plus membre du Conseil
de l’Europe mais dont les dispositions législatives pertinentes
ont fait l’objet d’un examen approfondi par la Cour européenne des
droits de l’homme, celle-ci ayant conclu à la violation de l’article
10 ainsi qu’à la violation de l’article 10 combiné avec l’article 14
de la Convention) et la Türkiye
. Le plus souvent, c’est le motif
de la protection des personnes mineures contre des effets prétendument
délétères de la diffusion publique de certaines informations qui
est cité pour «justifier» de tels textes. Ceux-ci limitent toutefois
de façon clairement disproportionnée la liberté d’expression, dans
la mesure où il servent par exemple à appuyer l’interdiction de livres
pour enfants incluant des personnages LGBTI ou à empêcher la mise
en place d’une éducation sexuelle inclusive.
47. La Cour européenne des droits de l’homme a déjà condamné de
telles dispositions, considérant que des motifs liés à la protection
de la morale ne pouvaient servir de fondement à la réglementation du
débat public sur les problématiques LGBT, et qu’une telle réglementation
ne permettait pas d’avancer en direction de la concrétisation de
ce but légitime
.
Elle a également souligné qu’en adoptant une telle législation,
«les autorités accentu[ai]ent la stigmatisation et les préjugés
et encourage[aie]nt l’homophobie, ce qui [était] incompatible avec
les notions d’égalité, de pluralisme et de tolérance qui sont indissociables
d’une société démocratique»
.
48. Je souhaite également attirer l’attention sur l’impact négatif
des lois «anti-propagande gay», mais aussi tout simplement des politiques
éducatives «traditionalistes», sur la liberté d’expression dans
le domaine de l’éducation. Le refus de mettre en place une éducation
sexuelle inclusive des identités LGBTI, et dans les pires cas l’interdiction
de toute représentation de ces identités en milieu scolaire, empêchent
les enfants d’avoir accès à des informations essentielles pour leur
compréhension du monde qui les entoure et contribuent à perpétuer
la honte et la stigmatisation des personnes LGBTI. De telles entraves
à la liberté d’expression n’ont pas leur place dans une société
démocratique.
49. En 2021, le Parlement hongrois a adopté des amendements encore
plus restrictifs à plusieurs textes de loi
, interdisant ainsi la «propagation
ou la représentation d’une divergence par rapport à l’identité personnelle correspondant
au sexe de naissance, du changement de sexe ou de l’homosexualité».
Faisant suite à l’analyse sévère de ces dispositions formulée par
la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission
de Venise)
, l’Assemblée a déjà appelé à deux
reprises la Hongrie à les abroger
. Elles restent toutefois en vigueur
à ce jour. Je suis particulièrement préoccupé par ces dispositions,
qui vont bien au-delà de celles en vigueur dans d’autres pays –
déjà condamnées par la Cour européenne des droits de l’homme – et
qui semblent avoir pour effet d’interdire toute représentation des
personnes LGBTI dans l’espace public. Des organisations de la société
civile m’ont par ailleurs alerté sur le fait que ces dispositions
contribuent à aggraver un climat déjà hostile envers les personnes
LGBTI dans la société hongroise
.
50. Lors de nos entretiens, les autorités ont mis l’accent sur
la protection des valeurs familiales dites «traditionnelles» et
des personnes mineures. J’ai souligné que la grande majorité des
violences sexuelles sur les enfants étaient commises dans leur cercle
familial et leur foyer. J’ai pu constater que le discours de haine y
est désormais totalement désinhibé et est souvent tenu par des responsables
politiques. En théorie, en Hongrie, tous les citoyens et citoyennes
ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. Si les personnes sont LGBTI,
nous sommes dans l’obligation de constater que leurs droits et libertés
sont restreints. Il est par exemple illégal d’exprimer des caractéristiques
LGBTI dans l’espace public ou dans les médias avant 22h. Les cours
d’éducation sexuelle et affective ont été retirés du programme scolaire
général. À l’adolescence, il peut être difficile d’aborder ces questions
dans un contexte familial, d’où l’importance d’avoir ce type de
programme au collège et au lycée. En ce qui concerne la liberté
d’association, les droits sont respectés et il n’y a pas eu d’obstacles
majeurs à l’organisation des marches des Fiertés.
51. En Lituanie, de nombreuses restrictions reposent sur des dispositions
figurant depuis 2009 dans la loi sur la protection des personnes
mineures et interdisant la diffusion d’informations «préjudiciables»
aux personnes mineures, ce qui peut être interprété comme une censure
des contenus LGBTI. Si certains font valoir que cette loi n’a pas
été utilisée contre les personnes LGBTI, les dispositions applicables
n’ont jamais été abrogées. L’affaire
Macatė
c. Lituanie, dans laquelle la Cour européenne des droits
de l’homme a statué en janvier 2023 que la Lituanie avait violé
la liberté d’expression de la requérante, concernait un recueil
de six contes pour enfants, dont deux mettaient en scène des personnes
mariées de même sexe. Vladimir Simonko a indiqué, lors de l’audition
tenue par la commission sur l’égalité et la non-discrimination,
que la distribution du livre avait été suspendue après sa publication,
puis reprise après apposition d’un étiquetage avertissant que le
contenu de l’ouvrage pouvait être nuisible aux enfants de moins
de 14 ans. Cette affaire doit faire clairement comprendre aux autorités
lituaniennes qu’elles doivent abroger les dispositions visées de
la loi sur la protection des personnes mineures. Les mentalités
sont en train d’évoluer, il y a un soutien croissant de l’opinion
publique pour les marches des Fiertés
.
52. En Belgique, lors du carnaval de La Louvière en 2023, des
costumes de Gilles (transformés en «Gilettes») proposés par la communauté
LGBTI et approuvés par la municipalité et par les organisateurs
et organisatrices ont été contestés par une partie de la population,
au motif fallacieux qu’ils risquaient de perturber les enfants.
Fourat Ben Chikha a partagé son inquiétude avec les membres de la
commission. En 2024, la communauté LGBTI a renouvelé sa demande
de participer au cortège carnavalesque. Elle a subi, sur les réseaux
sociaux, une campagne de haine et de menaces telle qu’elle a préféré
se retirer de ce carnaval (malgré le soutien des organisateurs et
organisatrices) pratiquant par là-même de l’auto-censure (ce qui
est souvent le cas dans des circonstances similaires). En 2023,
l’ancien député fédéral d’extrême-droite (Vlaams Belang) Dries Van
Langenhove a profité de la Journée internationale contre l’homophobie,
la transphobie et la biphobie pour diffuser un discours de haine
à l’encontre de la communauté LGBTI: sur ses comptes et les médias
sociaux, il a qualifié le drapeau LGBTI de drapeau pédophile. En
juin 2023, de jeunes membres de groupes d’extrême droite ont brandi
des slogans assimilant l’homosexualité à la pédophilie aux abords
d’un spectacle de travestis, et un débat sur la situation des musulmans
LGBTI a dû être annulé en raison du tollé déclenché par cet événement.
Ce genre d’incidents contribue à créer un climat délétère.
53. En Suisse, le groupe néo-nazi Junge Tat a perturbé un “drag
story time” à Zurich en octobre 2022, avec des slogans queerphobes
et des gaz lacrimogènes.
54. En Irlande, trois personnes ont été attaquées après la marche
des Fiertés de Dublin et ont dû être hospitalisées (crime de haine
transphobe). Un “drag story time” organisé en juillet 2022 à Mayo
a été la cible de membres d’un groupe d’extrême droite qui se sont
réunis à l’extérieur de la librairie et ont menacé les participants
et participantes.
55. En Türkiye, en juillet 2023, RTÜK (le Conseil supérieur de
l’audiovisuel turc) a sanctionné par une amende Netflix, Disney
+, Prime Video, MUBI, BeIN et Blu TV pour avoir diffusé du contenu
LGBTI
. En
août, le concert de la chanteuse Gökçe a été interdit par le maire
de Sandıklı car elle avait exprimé son soutien aux personnes LGBTI
en publiant «love is love» sur les réseaux sociaux
.
56. L’attaque violente menée contre la projection de films LGBTI
à Banja Luka
, en Bosnie-Herzégovine, le 17
mars 2023, a été fermement condamnée par la Commissaire aux droits
de l’homme du Conseil de l’Europe. Face à des menaces de violence,
les autorités ont réagi en interdisant l’événement au lieu d’en garantir
la sécurité et de protéger ainsi, comme il se doit, la liberté de
réunion et d’expression des personnes LGBTI.
57. En Pologne, plus de 100 conseils municipaux ou régionaux ont
adopté des résolutions anti-LGBTI ces dernières années
. La plupart
de ces résolutions, annulées par les tribunaux, restent en vigueur.
58. La destruction de drapeaux arc en ciel et autres symboles
LGBTI doit aussi être mentionnée. En 2023, des drapeaux ont été
abimés ou détruits notamment en Allemagne, Bulgarie, Finlande, Islande
et aux Pays Bas. En 2023 en Espagne, le parti d’extrême-droite Vox
a interdit le drapeau LGBTI sur les bâtiments publics dans la ville
de Naguera.
59. Les restrictions à l’expression de genre peuvent aussi affecter
la liberté d’expression. Dans certains pays, il est impossible d’exprimer
son identité de genre librement et sans crainte.
60. Je souhaite également exprimer mon inquiétude concernant la
montée du discours transphobe en Europe. Selon Claire Vandendriessche,
le «paysage médiatique français est profondément marqué par des opinions
transphobes, ce qui a des répercussions sur les soins de santé et
l’environnement scolaire». Elle a aussi souligné que «les personnes
mineures transgenres sont les principales cibles, mais les attaques
contre toutes les personnes transgenres augmentent et s’étendent
aussi, par exemple, aux plaintes contre la présence de livres pour
enfants présentant des personnages LGBTI dans les bibliothèques
publiques». J’ai aussi reçu des informations préoccupantes concernant
le discours de haine transphobe en Espagne et au Royaume Uni. Certaines
organisations de défense des droits des personnes LGBTI ont arrêté
leurs activités concernant les personnes transgenres en raison d’un
nombre important de menaces, ou ont choisi de les passer sous silence.
6. Poursuites-bâillons
61. Dans un certain nombre de pays,
les associations LGBTI font en outre l’objet, à répétition, de procédures pénales,
administratives ou civiles abusives, qui ont pour effet (voire pour
objectif) de les empêcher de mener à bien leur mission. Il s’agit
de poursuites-bâillons («SLAPP», selon leur acronyme anglais -
strategic lawsuits against public participation)
intentées dans le but de réduire au silence des individus ou organisations
qui s’expriment pour sensibiliser l’opinion publique à des questions
d’intérêt public ou qui en rendent compte. Notre collègue Stefan
Schennach (Autriche, Soc) a été rapporteur sur ce sujet pour la
commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias
et son rapport a été débattu lors de la partie de session de janvier 2024
.
62. Les poursuites-bâillons sont des tentatives de dissuader la
société civile, les journalistes et les défenseurs et défenseuses
des droits humains de s’engager dans l’activisme ou de s’exprimer,
en leur imposant des procédures judiciaires coûteuses, chronophages
et épuisantes en ressources. Ces poursuites créent un effet dissuasif,
qui perturbe et entrave leur capacité à participer à l’expression
d’opinions dissidentes ou à la mise en évidence de violations des
droits humains.
63. Les actions en justice intentées abusivement contre les défenseuses
et défenseurs des droits des personnes LGBTI ou leurs associations
portent atteinte aux libertés d’expression, d’association et de
réunion de celles-ci. Les poursuites-bâillons sapent les principes
démocratiques de la liberté d’expression et de réunion, effaçant
les fondements d’une société ouverte et démocratique
.
64. En Pologne, en 2021, trois activistes ont exprimé leur inquiétude
face à la montée de la haine anti-LGBTI en publiant une représentation
de la Vierge Marie avec un halo de lumière arc-en-ciel. Elles ont
été accusées d'«offense aux croyances religieuses», ce qui pouvait
mener à deux ans d’emprisonnement
. Les activistes ont
été acquittées par le tribunal de première instance, mais le parquet
a fait appel de la décision et les a traduites devant la Cour d’appel.
En janvier 2022, la Cour d’appel a rejeté l’affaire. Cela a mis
en évidence la manière dont le système judiciaire peut être utilisé
pour cibler les défenseurs et défenseuses des droits humains.
65. L’Atlas de la haine est une organisation de la société civile
polonaise qui surveille et diffuse des informations sur les résolutions
des gouvernements locaux en Pologne qui sont discriminatoires à
l’égard de la communauté LGBTI
. Cette organisation recueille des
données sur les résolutions déclarant des zones comme «exemptes
d’idéologie LGBT» et celles liées à la «Charte des droits de la
famille» qui est utilisée afin de «protéger» les valeurs familiales
dites traditionnelles, en réponse à des initiatives/tentatives de
promouvoir et de protéger les droits LGBTI en Pologne. De multiples
procès en diffamation ont été intentés par plusieurs gouvernements
locaux contre cette organisation. La Rapporteuse spéciale des Nations
Unies sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits
humains et d’autres experts des Nations Unies ont envoyé une communication
écrite au Gouvernement polonais pour exprimer leur préoccupation
suivie
d’une série d’échanges de communications écrites
. Ces actions en justice visaient
à réduire l’organisation au silence en recourant à des procédures
judiciaires abusives.
66. En 2019, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu
à la violation de la liberté d’association d’une organisation LGBTI
en raison de son non-enregistrement par les autorités
. Ces associations sont essentielles
car elles portent la parole des personnes LGBTI et leur permettent
d’exprimer leur identité et de défendre leurs droits.
7. Attaques
haineuses en ligne, auto-censure et instrumentalisation
67. De nombreux et nombreuses activistes
LGBTI sont la cible d’attaques haineuses en ligne. Répétées, violentes
et agressives, ces attaques peuvent mener à la fermeture d’un compte
sur un réseau social, ou une baisse des publications de la personne
attaquée. En effet, une forme d’auto-censure peut s’opérer, afin
de préserver sa santé mentale. Les personnes attaquées s’estiment
rejetées, mises en danger et peuvent se réfugier dans l’anonymat.
Le faible nombre de condamnations du discours de haine en ligne
a des répercussions sur l’exercice de la liberté d’expression.
68. On a aussi pu noter une instrumentalisation de la question
des droits des personnes LGBTI lors de campagnes électorales. Lors
du débat d’actualité tenu à l’Assemblée en octobre 2022, notre collègue
Max Lucks (Allemagne, SOC) avait souligné: «Les lesbiennes, les
gays, les bisexuel·le·s et les personnes transgenres ne sont pas
des balles de ping-pong dans un jeu entre autocrates. Ce sont des
êtres humains – des êtres humains dotés de droits inaliénables (…).
Si les personnes LGBTI sont libres, la société est libre»
.
69. La Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe
a elle aussi souligné le risque de manipulation des droits des personnes
LGBTI. «Des membres de la classe politique instrumentalisent les préjugés
sociétaux existants et s’en prennent verbalement aux personnes LGBTI
afin d’atteindre des objectifs politiques servant leurs propres
intérêts (…) l’exploitation de l’homophobie et de la transphobie
existantes se révèle être aussi un moyen pratique de détourner l’attention
de la population de l’inaction des gouvernements face à des problèmes
sociétaux urgents, les inégalités croissantes, ou des attaques généralisées
et continues contre les droits de l’homme et la démocratie». Elle
a également constaté une augmentation de l’influence des mouvements
anti-genre dans les milieux politiques
.
70. Ces dernières années, des lois restreignant la liberté d’expression
et de réunion ont été adoptées en Fédération de Russie. Nous avons
pu observer l’augmentation d’ingérences étrangères prenant pour
cible les droits des personnes LGBTI, notamment lors de campagnes
électorales.
8. Protéger
la liberté d’expression et la liberté de réunion des personnes LGBTI
71. La volonté de restreindre la
liberté d’expression et de réunion des personnes LGBTI vise à pousser
à leur invisibilisation. Elle est le résultat d’un climat anti-LGBTI
qui se développe dans un contexte de méfiance par rapport aux droits
humains
.
La lutte contre la désinformation et contre l’instrumentalisation
des droits des personnes LGBTI devrait par conséquent être une priorité.
Les personnes LGBTI ne représentent pas une menace pour les familles.
Les droits des personnes LGBTI n’amenuisent pas les droits des femmes.
Les défenseurs et défenseuses des droits des personnes LGBTI sont
même souvent en première ligne pour la défense des droits des femmes.
En revanche, dans les régimes non démocratiques, ces droits sont
parmi les premiers attaqués et la place des personnes LGBTI dans
l’espace public est remise en question.
72. Il est de notre devoir d’appeler les États membres à la mise
en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme,
notamment sur ces questions, afin de garantir le respect des droits
et libertés de toutes et tous, y compris des personnes LGBTI.
73. Les décideurs et décideuses politiques, ainsi que les responsables
religieux, ont une responsabilité indéniable et peuvent contribuer
à nourrir un climat de haine. Un soutien politique clair et fort
à la lutte contre toutes les formes de discrimination est essentiel.
La participation à la Plateforme parlementaire pour les droits des
personnes LGBTI en Europe devrait être encouragée.
74. La liberté d’expression doit être protégée à tous les niveaux,
y compris à l’école. Afin de lutter contre les préjugés et les discriminations,
il est important de soutenir des programmes d’éducation sexuelle
et affective inclusive des identités LGBTI. La valorisation et le
respect de la diversité permettront à nos sociétés d’avancer. Des
campagnes de sensibilisation sur les droits des personnes LGBTI
peuvent avoir un effet positif et contribuer à la lutte contre la
haine.
75. La formation des forces de l’ordre est nécessaire, afin d’assurer
le devoir de protection des manifestations et autres événements,
le suivi des plaintes pour violences physiques et en ligne et l’accueil
des personnes dans toute leur diversité.
76. La haine anti-LGBTI est multipliée en ligne. Les plateformes
devraient être tenues responsables de l’absence de modération, ou
de trop faible modération de propos haineux, pouvant avoir des conséquences dramatiques.
77. La situation des personnes LGBTI en Fédération de Russie est
particulièrement inquiétante à la suite de l’entrée en vigueur de
la décision de la Cour suprême qualifiant le mouvement LGBTI de
mouvement extrémiste. Un soutien concret serait d’approuver les
demandes d’asile émanant des personnes LGBTI quittant le pays pour
pouvoir vivre en sécurité.
78. Je suis profondément préoccupé par les discriminations et
violences à l’encontre des personnes transgenres. Je souhaite par
conséquent recommander la préparation d’un rapport spécifiquement
sur ce sujet par la commission sur l’égalité et la non-discrimination.
La reconnaissance juridique de l’identité de genre est une étape
fondamentale dans les avancées des droits des personnes LGBTI et
devrait être recommandée. Elle devrait être effectuée de manière
rapide, transparente et accessible.
79. Graeme Reid, Expert indépendant des Nations Unies chargé de
la question de la protection contre la violence et la discrimination
liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre, prépare
actuellement un rapport sur la liberté d’expression des personnes
LGBTI dans le monde. Il compte présenter ce rapport au Conseil des
droits de l’homme des Nations Unies en juin 2024. La Plateforme
parlementaire pour les droits des personnes LGBTI en Europe pourrait
envisager de l’inviter à présenter ses travaux à l’automne 2024
et discuter du développement de la coopération entre nos organisations
sur ce sujet. Il a exprimé son inquiétude au sujet de la prolifération
de lois visant à restreindre la liberté d’expression des organisations
de protection des droits des personnes LGBTI. Une coopération concrète
pourra aussi être établie avec le comité d’experts sur l'orientation
sexuelle, l'identité et l'expression de genre et les caractéristiques
sexuelles (ADI-SOGIESC) du Conseil de l’Europe qui commence ses
travaux cette année.
9. Conclusions
80. Au cours des dernières années,
il y a eu, en Europe, de nombreuses situations où la liberté d’expression et
la liberté de réunion des personnes LGBTI n’ont pas été garanties,
en raison de l’interdiction d’événements, de la répression de manifestations
de la part des forces de l’ordre, de la multiplication d’obstacles administratifs,
de l’absence de protection face à des attaques contre les rassemblements
ou de l’adoption de lois empêchant la diffusion d’informations sur
les droits des personnes LGBTI. Il y a aussi eu des stratégies de harcèlement
et d’intimidation, accompagnées de discours de haine anti-LGBTI.
81. La répression et l’absence de protection peuvent être considérées
comme des feux verts à une augmentation de la violence par des tiers.
Un État ne peut pas se proclamer profondément démocratique si les
droits des personnes LGBTI n’y sont pas respectés. Les personnes
LGBTI devraient pouvoir compter sur la protection des forces de
l’ordre. Les atteintes à la liberté d’expression et de réunion peuvent
avoir des effets à long terme, notamment sur les jeunes générations.
82. «La liberté de réunion pacifique et d'expression sont au cœur
d'une démocratie libre, inclusive et pluraliste, où chacun peut
jouir de ses droits humains de manière égale et en toute sécurité,
et où les questions de société sont débattues dans le cadre d'un
dialogue pacifique», a souligné la Commissaire aux droits de l'homme
du Conseil de l'Europe, Dunja Mijatović
.
83. De nombreuses personnes LGBTI continuent de se murer dans
le silence à cause de la honte que leur impose la société. Ce silence
forcé peut avoir des conséquences tragiques. Encore trop souvent,
des personnes LGBTI sont poussées au suicide. Les sociétés auront
beau torturer les personnes LGBTI, les emprisonner, les soumettre
à des pratiques de «conversion» ou tenter de les éliminer, il y
aura toujours des personnes LGBTI. Accepter toutes et tous et protéger
la diversité nous feront avancer. Protéger les droits des personnes
LGBTI équivaut à protéger la dignité de chaque personne, le droit
de vivre sans se cacher, le droit d’aimer et le droit d’exister.