25 avril 1994

Doc. 7081

RAPPORT

sur la recherche et le développement

dans les petits pays

(Rapporteur: M. POÇAS SANTOS

Portugal, Groupe libéral, démocrate et réformateur)


Résumé

      La recherche scientifique et le développement technologique sont des composantes essentielles de l'économie d'un pays. Toutefois, les attitudes vis-à-vis de la recherche et du développement ont changé récemment, car les effets immédiats de ce secteur sur la croissance ne pouvaient s'apprécier avec précision. C'est ainsi que deux groupes de pays se sont formés: ceux qui disposaient des moyens de poursuivre leurs efforts de recherche et développement dans un certain nombre de domaines, et les autres qui, faute de ressources, ont dû réduire leurs activités. La recherche et le développement ont évolué différemment dans chaque pays pour diverses raisons, même si certains de ces pays connaissent des problèmes communs, par exemple des ressources financières et humaines limitées, qui les contraignent à suivre la trajectoire imposée par les grands pays industrialisés ou à établir leurs propres modèles de recherche et développement. Les gouvernements de ces pays se trouvent donc devant un dilemme en ce qui concerne leurs priorités.

      La plupart des pays, même les petits, ont acquis dans le cadre d'un processus historique un certain niveau de savoir-faire et de compétences dans divers domaines scientifiques et techniques. Aussi devraient-ils privilégier ces domaines dans leur stratégie de recherche et développement à long terme. Il est également capital d'améliorer le réseau d'innovation, notamment la coopération et la coordination entre les entreprises privées, les universités et les instituts de recherche.

      Quant à l'Europe centrale et orientale, les problèmes liés à la transition vers l'économie de marché ne doivent pas faire perdre de vue la nécessité de faire des efforts en matière de recherche et développement, en particulier pour satisfaire les besoins socio-économiques de la population, même si la rentabilité ne paraît pas évidente à court terme.

I. Projet de résolution

1.       L'Assemblée parlementaire constate que les petits pays sont de plus en plus souvent confrontés à des difficultés concernant le secteur de la recherche et qu'ils essaient plutôt de les surmonter séparément.

2.       Ces difficultés sont la conséquence de certains facteurs et processus tels que:

a.       des ressources humaines, financières et matérielles limitées;

b.       le cercle vicieux formé par la limitation des ressources qui entraîne la nécessité de faire des choix entre les secteurs de recherche et retarde certains secteurs par rapport à d'autres, d'où le besoin d'importer des technologies;

c.       les relations, souvent de subordination, entretenues avec les entreprises multinationales dont le siège se trouve habituellement dans les grands pays;

d.       l'exode des cerveaux, constaté même dans les petits pays possédant un haut niveau de R-D comme la Suède ou la Suisse, est surtout devenu inquiétant dans les pays de l'Europe centrale et orientale.

3.       L'influence des gouvernements s'exerce au niveau de la recherche fondamentale, mais la recherche appliquée est devenue presque totalement l'apanage des entreprises privées.

4.       Les pays d'Europe centrale et orientale en particulier se trouvent confrontés à des problèmes spécifiques en matière de R-D à la suite des changements politiques intervenus il y a quelques années.

5.       L'Assemblée invite par conséquent les gouvernements des Etats membres du Conseil de l'Europe:

i.       à jeter les bases d'une forte coordination institutionnelle de l'innovation aux échelons local, régional ou national, tout en accordant une attention particulière aux domaines qui recouvrent des disciplines jouant un rôle d'interface: les sciences interdisciplinaires, les technologies génériques, les sciences de transfert (dont l'ingénierie);i

ii.       à multiplier les efforts pour améliorer le transfert de technologie vers les pays d'Europe centrale et orientale, notamment:a

      a. en organisant des programmes de formation approfondie pour les chercheurs appartenant aux pays d'Europe centrale et orientale,

      b. en leur fournissant un soutien matériel et financier pour les équipements de base, ainsi que pour des besoins moins coûteux, mais cruciaux, comme le paiement des frais de voyage pour les chercheurs participant à des colloques ou conférences à l'étranger, l'achat de publications et de périodiques en devises fortes.

6.       L'Assemblée tient aussi compte du fait que la multiplicité des centres de décision dans la plupart des pays de l'OCDE dans le domaine de la science et de la technologie (et qui permet à chaque secteur d'être seul responsable des aspects qui se rapportent à son domaine de compétence) a aussi des effets néfastes, parmi lesquels l'éparpillement des efforts, les doubles emplois, le manque de coordination, la multiplicité des organes consultatifs.

7.       Aussi invite-t-elle les Etats concernés:

i.       à améliorer la coordination entre les secteurs indépendants du système scientifique et technologique et plus généralement entre l'Etat, les universités, les entreprises privées, les institutions sans but lucratif, etc. Le réseau formé par les rapports qu'ils entretiennent doit être maîtrisé et mis en valeur ou, le cas échéant, construit et développé. Les moyens d'accéder à ce but sont essentiellement la coopération concernant les projets de recherche. D'autres moyens plus spécifiques concernent les mesures d'incitation fiscales destinées à encourager les entreprises à engager des chercheurs en favorisant la création de «nœuds» de réseaux au sein même des firmes (notamment des PME);i

ii.       à fixer des objectifs et des priorités en matière de recherche scientifique en tenant compte de deux éléments:a

      a. les technologies de base pour lesquelles chaque pays a des compétences reconnues en raison de leurs incidences économiques générales, et qui revêtent une importance particulière pour les industries futures,

      b. les autres domaines dans lesquels les pays ont déjà des industries compétitives et/ou des avantages comparatifs;

iii.       à respecter le principe de la liberté d'initiative des chercheurs, tout en les stimulant à entreprendre des recherches dans des domaines reconnus comme prioritaires en fonction des critères énumérés ci-dessus;i

iv.       à donner la priorité à la R-D au stade précommercial et à mettre l'accent sur les technologies génériques (comme par exemple dans les projets Eurêka). On crée ainsi les conditions d'une coopération future de tous les pays aux grands programmes technologiques comme l'aéronautique, les programmes spatiaux, les trains à grande vitesse;

v.       à perfectionner un système de crédit pour la recherche;v

vi.       à inciter les jeunes à se tourner vers la recherche en rendant ce domaine plus prestigieux et attrayant pour les jeunes.8

8.       L'Assemblée invite en particulier les pays de l'Europe centrale et orientale:

i.       à formuler précisément, au plus haut niveau politique, les types d'activité de R-D considérés comme essentiels, et à leur affecter des subventions en conséquence;i

ii.       à promouvoir, en vue de l'approfondissement de la coopération internationale, des mesures comme l'apprentissage linguistique, les possibilités de voyage, les évaluations des entreprises par des experts étrangers, les programmes et les projets en participation, le regroupement des ressources;i

iii.       à élaborer des systèmes efficaces de comptabilité nationale (ou à réformer les anciens) pour établir des statistiques compatibles sur le plan international;i

iv.       à développer et à préserver les conditions et les mesures incitatives, notamment fiscales, afin que les entreprises puissent exercer leurs activités et financer, par leurs propres ressources, la R-D qui convienne à leur stratégie;v

v.       à encourager les entreprises par tous les moyens appropriés à coopérer entre elles et avec les universités pour la recherche industrielle:

vi.       à établir les bases des instituts de recherche technologique en tant que structures permettant le transfert de technologie et le développement en commun de ces technologies;v

vii.       à inscrire, dans des programmes spéciaux de financement public, les projets d'activité de R-D venant à l'appui d'objectifs publics tels que l'amélioration du système de santé, l'environnement, l'amélioration de la sécurité sur le lieu de travail, le développement et l'utilisation rationnelle des sources d'énergie primaire et renouvelable, donc d'objectifs dont la rentabilité commerciale est pour le moment réduite;v

viii.       à s'ouvrir de plus en plus à la coopération internationale dans le domaine de la R-D en mettant en valeur les programmes européens auxquels ils ont accès.I

II. Exposé des motifs

par M. POÇAS SANTOS

Table des matières

Introduction       5

Quels sont les «petits» pays ?       6

Problèmes spécifiques aux petits pays       7

Les pays de l'Europe centrale et orientale (PECO)       9

La coopération européenne       10

Les stratégies possibles       11

Conclusions       12

Introduction

1.       Les attitudes vis-à-vis de la recherche scientifique et du développement technologique se sont modifiées depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Au début, sous l'influence de l'effort de guerre, certains domaines ont connu une explosion formidable (exemples: les radars, la physique nucléaire, l'aéronautique, la médecine et en particulier les antibiotiques, l'industrie automobile, etc.). Les dirigeants étaient alors motivés par le gain de prestige, l'importance stratégique et les bénéfices commerciaux escomptés de certaines découvertes et ont, par conséquent, investi massivement dans la recherche et le développement. Dans les années 60 et 70, il est apparu que le rapport de cause à effet entre l'effort en R-D et la santé économique d'un pays n'était pas si direct, que les facteurs qui déterminaient la croissance économique étaient beaucoup plus complexes. Le succès de l'économie japonaise, qui à l'époque ne consacrait pas de sommes importantes à la recherche scientifique, fut un des éléments de la nouvelle évaluation. Avec la crise pétrolière de 1974, beaucoup de pays, et en particulier ceux de taille moyenne ou petite, ont révisé leurs priorités en matière d'investissements de manière à les axer davantage sur des gains commerciaux immédiats, c'est-à-dire sur une amélioration de leur balance des paiements. Dans cette optique, il restait peu de place pour de grands programmes de R-D à moyen et à long terme.

2.       C'est ainsi que le fossé a commencé à se creuser entre deux groupes de pays industrialisés: ceux qui, par leurs ambitions mondiales, politiques et économiques, avaient poursuivi leur effort en R-D dans des domaines variés et les autres, qui avaient été obligés

faute de moyens de réduire leur action. Avec l'avènement, depuis plus d'une décennie, d'une nouvelle vague de découvertes scientifiques et de leurs applications industrielles (exemples: la robotique, l'informatique et en particulier les microprocesseurs, les biotechnologies, les télécommunications, etc.), l'importance de la R-D est revenue de nouveau au premier plan. Aujourd'hui, plusieurs pays européens, surtout dans les zones périphériques de l'Europe sont inquiets de manquer la nouvelle révolution industrielle, après avoir rattrapé avec beaucoup de retard celle du siècle dernier.

3.       La R-D n'est pas une panacée à tous les maux. Néanmoins, devant l'extrême sophistication des techniques qui dominent la vie moderne, quel que soit le domaine, la R-D est incontestablement un élément essentiel de la survie économique dans la jungle de la compétitivité internationale. D'emblée, il conviendrait aussi de faire une mise au point en ce qui concerne la nuance traditionnelle entre recherche fondamentale et recherche appliquée, et la technologie qui en est le prolongement. Cette distinction se rétrécit de jour en jour. Il existe de moins en moins de sponsors pour financer «l'art pour l'art», y compris l'Etat. C'est pourquoi, toute recherche scientifique, à quelques exceptions près, vise en dernière étape une application pratique, voire une commercialisation. De ce fait, dans le projet de rapport, la R-D sera considérée comme un ensemble sans différencier les deux composants dans un but de simplification.

4.       Il y a cependant une distinction à faire entre les différents volets de la recherche. Des institutions telles que les universités ou les centres de recherche ont tout intérêt à rendre publics les résultats de leurs activités; leur renom en dépend. Par contre, les entreprises privées ont intérêt à garder leurs résultats secrets pour des raisons commerciales. Parmi les problèmes soulevés par cette différence d'optique, on peut citer le risque de voir des chercheurs d'instituts universitaires ou de recherche vendre leurs recherches aux entreprises privées et que ces recherches deviennent ainsi secrètes.

5.       Nous garderons également à l'esprit que chaque pays est unique et que les similitudes et les schématisations ont leurs limites. La R-D a évolué dans chaque pays selon des paramètres différents qui tiennent aux facteurs historiques, à la situation géographique et aux ressources naturelles, à la capacité économique, au degré de l'industrialisation, au système éducatif, aux traditions intellectuelles, aux objectifs politiques et militaires et enfin à l'esprit d'innovation de son peuple. L'histoire des sciences est pleine d'illustres savants originaires de «petits» pays dont les découvertes ont été mises en application dans de grands pays. Cette tendance continue aujourd'hui par la contribution des scientifiques de petits pays au savoir international, à travers les publications dont les résultats sont très vite récupérés par les grandes multinationales. C'est une forme d'exploitation due à un manque de ressources et qui, au plus haut degré, se manifeste par l'exode des cerveaux.

Quels sont les «petits» pays?

6.       Plusieurs critères ont été avancés par différents auteurs: taille, population, taux de croissance, revenu par tête d'habitant, nombre de chercheurs, etc. Les deux premiers critères ne suffisent certainement pas à expliquer le rang d'un pays en R-D. Quant au PNB, même s'il ne peut à lui seul constituer un critère infaillible, il a l'avantage d'être objectif au lieu de subjectif (par exemple le comportement de l'industrie vis-à-vis de la recherche) et pourrait servir de point de repère pour mieux évaluer les ressources disponibles dans un pays donné pour la recherche et l'innovation. Encore faut-il que ces ressources soient utilisées d'une manière cohérente, organisée et par des gens compétents.

7.       Ici interviennent des facteurs historiques qui caractérisent les différents pays. Une longue tradition et expérience dans un domaine déterminé, surtout si elles sont appuyées au fil des années par une R-D soutenue et par un investissement continu, placent un pays, malgré sa taille, parmi les plus grands dans son domaine (exemple: l'industrie pharmaceutique en Suisse). On peut multiplier les exemples de ce type à d'autres secteurs de R-D pour expliquer pourquoi certains pays comme la Suède et les Pays-Bas ont été moins touchés que d'autres.

8.       Un classement élaboré par l'OCDE peut néanmoins servir de référence pour mieux comprendre la place de chaque pays dans une configuration générale, en fonction, d'une part, du niveau de leurs dépenses de R-D (rapport DIRD1/PIB) et, d'autre part, du taux de croissance des dépenses de R-D (voir annexes I, II, III).

9.       Le rapport DIRD/PIB est situé au-dessus de 2 % pour huit pays, dont trois «petites» économies: Suède, Suisse, et Pays-Bas. Ces pays se distinguent aussi par le rapport des dépenses de R-D réalisées par les entreprises, d'une part, et celles réalisées par l'Etat, l'enseignement supérieur et les institutions sans but lucratif, d'autre part (voir annexe IV), tout comme par l'internationalisation de leurs entreprises. Il faut aussi noter l'effort de rattrapage de pays comme la Finlande et l'Espagne qui présentaient entre 1975 et 1989 les taux de croissance de dépenses de R-D les plus élevés de la zone de l'OCDE.

Problèmes spécifiques aux petits pays

10.       Pour commencer, les sommes disponibles pour la R-D sont moins importantes, même si, en pourcentage, elles peuvent représenter parfois une proportion considérable du PNB. C'est le cas par exemple d'un pays comme la Suède qui consacre environ 2,8 % du PNB à la R-D, suivie de près par la Suisse et les Pays-Bas. Or, l'importance de ces valeurs en chiffres absolus n'équivaut même pas à l'effort de R-D des six meilleures entreprises japonaises en électronique (environ huit milliards de dollars des Etats-Unis). La seule multinationale IBM dépense plus en R-D que chacun des quatorze pays membres de l'OCDE, y compris l'Australie.

11.       Deuxièmement, les limites des ressources disponibles imposent des choix durs à ces pays. D'un côté, s'ils répartissent les maigres sommes dans toute une variété de disciplines et projets, ils risquent de disperser leur effort. De l'autre côté, une limitation trop rigoureuse des secteurs de recherche pourrait provoquer un retard par rapport à l'ensemble du progrès scientifique. Chaque pays tâche de surmonter ce paradoxe à sa façon. La tendance actuelle, toutefois, est de favoriser les secteurs qui pourraient avoir des effets directs sur la capacité technologique des industries d'exportation. C'est un choix éminemment politique mais qui ne tient pas forcément compte des prévisions à long terme.

12.       Depuis quelques temps, on peut même se demander dans quelle mesure ce choix existe vraiment. Les grands pays industrialisés, qui contrôlent plus ou moins les marchés mais qui, en même temps, disposent d'une infrastructure de R-D considérable, déterminent les modèles en R-D. En d'autres termes, elles ont une influence indiscutable sur les grandes orientations (trends) et imposent les technologies de base (core technologies). Par conséquent, très souvent les décisions que doivent prendre les petits pays pour choisir où investir sont prises en fonction de priorités établies ailleurs. Celles-ci ne correspondent pas toujours à la vocation naturelle d'un petit pays donné. Aussi est-il mis devant un défi redoutable: suivre une trajectoire imposée de l'extérieur ou mettre sur pied ses propres modèles en R-D pour ne pas disparaître complètement de la compétition.

13.       A toutes ces difficultés que nous venons de citer, s'ajoute un nouveau phénomène qui est celui d'une nouvelle division du travail sur le plan international. Pour être plus précis, il s'agit de l'ascension irrésistible de certains nouveaux pays industrialisés (NPI), notamment en Asie du Sud-Est, et de l'effort prodigieux qu'ils ont déployé dans le secteur électronique. L'effort en R-D de ces pays va s'étendre à d'autres secteurs dans les années à venir, réduisant davantage la marge de manœuvre en R-D des pays qui font l'objet de ce document. La figure I tâche de démontrer que le secteur d'activité traditionnel des petits pays (B) subit une compression de plus en plus grande des deux côtés: en ce qui concerne les technologies traditionnelles ayant atteint la maturité, de la part des NPI (A), en ce qui concerne les secteurs de pointe (high-tech) de la part des grands (C). L'espace compris dans la zone B (les technologies moyennes) se rétrécit et des voies de sortie sont nécessaires pour échapper à l'écrasement.

Les pays de l'Europe centrale et orientale (PECO)

14.       Les séries statistiques de l'Unesco ont été pendant de nombreuses années la seule source d'information internationale sur l'effort national des PECO en matière de R-D. Ces statistiques n'étaient pas complètement comparables à celles de l'OCDE parce qu'elles utilisaient d'autres critères. Par exemple, les séries relatives au personnel s'appliquaient fréquemment, non pas au personnel affecté à des travaux de R-D, mais plutôt au concept plus large de personnel affecté à des activités scientifiques et techniques. En outre, ces effectifs n'étaient pas exprimés en termes d'équivalence d'emploi à temps plein comme le requiert l'OCDE, mais en nombre de personnes qui consacrent une partie de leur temps à des travaux de R-D2. C'est pourquoi on surestimait par le passé les efforts de R-D dans les PECO. C'est aussi la raison principale pour laquelle on s'efforce maintenant de réaliser des statistiques compatibles avec celles des pays de l'OCDE.

15.       Il ne faudrait pas en conclure que les PECO étaient retardés en matière de R-D. Il suffit pour s'en convaincre de savoir qu'ils investissaient dans la R-D environ 2 à 3 % du PNB vers la fin des années 80 (selon les nouvelles statistiques), c'est-à-dire un pourcentage plutôt élevé selon les standards internationaux3.

16.       Depuis les changements politiques, des problèmes ont surgi dans le domaine de la R-D. L'investissement dans la R-D en Hongrie par exemple, qui était de 2 % du PNB, a diminué de 20 à 30 % depuis la fin des années 804.

17.       Les mécanismes institutionnels créés dans les PECO pour les politiques scientifiques et technologies étaient pendant des décennies plutôt destinés à servir un pouvoir autoritaire que de faire progresser l'économie. On avait aussi tendance à considérer que la science était une affaire de culture plutôt qu'un instrument de développement économique. Une autre caractéristique importante du passé était le rôle de second plan joué par les universités dans les systèmes nationaux de recherche par rapport aux académies.

18.       Dans le domaine de la recherche fondamentale, les PECO ont toujours été reconnus comme scientifiquement avancés, bien qu'ils soient gravement handicapés par les années d'isolement de la communauté scientifique internationale et par le manque de moyens modernes, notamment informatiques, et de données scientifiques à jour. Ils sont aussi coupés du système soviétique d'information qui leur procurait les traductions des publications scientifiques du monde entier.

19.       Au niveau macro-économique, les politiques budgétaires et monétaires restrictives et les taux d'inflation découragent les stratégies d'investissement à long terme dans la R-D industrielle. Les gouvernements sont parfois tentés de réduire drastiquement les crédits destinés à des instituts de recherche qui leur paraissent souvent improductifs. Au niveau micro-économique, le secteur privé est focalisé sur le court terme et préfère se procurer les technologies à l'Ouest plutôt que de les développer sur place. Il n'est donc pas rare que les chercheurs des PECO quittent leurs pays pour aller travailler à l'Ouest ou qu'ils changent tout simplement de profession.

La coopération européenne

20.       Le plus haut degré de coopération en matière de recherche européenne se trouve au sein de l'Union européenne.

      Le programme-cadre constitue un noyau qui regroupe plusieurs programmes de recherche spécifiques, entre autres:

      ─ ESPRIT: programme stratégique européen de R-D relatif aux technologies de l'information;─

      ─ BRITE/EURAM: programme de R-D dans les domaines de la recherche technologique fondamentale et de l'application des technologies nouvelles, et recherches européennes sur les matériaux avancés;─

      ─ RACE: programme sur les technologies de pointe dans le domaine des télécommunications en Europe;─

      ─ BRIDGE: recherches biotechnologiques pour l'innovation, le développement et la croissance en Europe;─

      ─ le programme de fusion thermonucléaire contrôlée;─

      ─ le programme pour l'environnement;─

      ─ Science: stimulation des coopérations internationales et des échanges nécessaires aux chercheurs en Europe.Le

      Le volet financier du programme-cadre figure dans les annexes V.

21.       Le programme Eurêka, qui regroupe les pays de l'Union européenne, les pays de l'AELE, la Turquie et la Commission européenne, est plus proche du marché, bien que certains projets Eurêka consistent en des recherches fondamentales ayant des applications industrielles potentielles. Certains projets Eurêka sont véritablement à l'échelle du continent comme par exemple:

      ─ JESSI: Joint European Submicron Silicon Initiative;─

      ─ HDTV: télévision à haute définition;─

      ─ PROMETHEUS: nouveaux concepts et solutions pour les systèmes de trafic routier.22

22.       La structure COST (Coopération européenne dans le domaine de la recherche scientifique et technique) semble pouvoir être élargie aux PECO, avec les mêmes droits et les mêmes obligations que pour les membres actuels. (En revanche ils ne peuvent accéder aux programmes communautaires et au programme Eurêka que par l'intermédiaire d'accords plus ou moins souples.)

23.       L'OCDE a créé le Centre pour la coopération avec les économies européennes en transition (CCEET) qui a pour principale attribution de concevoir et de mettre en œuvre un programme de conseil et d'assistance technique. Il est toutefois dommage que ses initiatives, comme par exemple le programme «Partenaires pour la transition» ne concernent que certains pays de l'Europe de l'Est (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie), alors que les autres en auraient autant besoin.

Les stratégies possibles

24.       Les pays européens, qui font l'objet de ce rapport envisagent la science et la technologie dans une optique pluraliste, c'est-à-dire que, le plus souvent, les décisions et les priorités sont prises par les chercheurs eux-mêmes et par les facultés. Ceci est conforme aux principes traditionnels de la liberté du chercheur, du moins pour ce qui est de la recherche fondamentale. L'influence du gouvernement s'exerce surtout à travers les instituts de recherche, les académies et les entreprises d'Etat là où elles existent. La recherche appliquée, quant à elle, est passée depuis quelque temps sous la domination des entreprises privées.

25.       Cette multiplicité des centres de décisions, qui fait par ailleurs fructifier les talents potentiels dans divers secteurs, présente quand même l'inconvénient d'éparpiller les efforts, de multiplier les doubles emplois, rendant ainsi difficile la coordination et augmentant les coûts par sa complexité. D'une manière générale, cette décentralisation de la R-D est plus prononcée dans les pays à structures fédérales. Dans une configuration où l'influence de l'Etat ne dépasse guère 25 % du volume total de la recherche financée par celui-ci, il est difficile de parler d'une orientation de la R-D dans la direction souhaitée. Il conviendrait donc avant tout de réfléchir sur la manière d'améliorer les liens entre l'administration et le système R-D; de renforcer la coordination; de rendre plus efficaces les mécanismes de consultation.

26.       Une des réactions des petits pays aux problèmes posés par les nouvelles technologies introduites dans la production industrielle, souvent contrôlée par les entreprises multinationales, fut de passer des contrats avec celles-ci afin de produire des composants. En d'autres mots, les industries de ces pays ont de plus en plus tendance à devenir des sous-traitants. Cette spécialisation poussée a entraîné, d'un côté, une meilleure intégration dans le système productif international, mais de l'autre côté, une diminution sur le plan national de l'intégration de la R-D, à la fois verticale et horizontale. Le résultat est clair: une plus grande dépendance vis-à-vis de l'extérieur; un isolement sur le plan national. Le manque d'intégration interne de la R-D et de l'industrie se caractérise par un manque de souplesse et par un excès de rigidité du système productif qui, en temps de récession, pourrait constituer un obstacle à des ajustements rapides.

27.       Les relations avec les entreprises multinationales (EM) doivent être réévaluées avec lucidité. Sans doute sur le plan économique et de l'emploi leur contribution peut être appréciable. En revanche, sur le plan de la R-D, une analyse plus nuancée s'impose. Souvent, ce que les EM demandent aux filiales se limite à un simple assemblage, sans aucun transfert de technologie (exemples: industrie électronique en Irlande, industrie automobile en Turquie) et l'emploi n'exige pas un haut degré de qualification. En même temps, la R-D nationale dans ce secteur est réduite à néant, faute de rentabilité. Les accords devraient être révisés plutôt dans le sens des joint-ventures ou inclure des clauses de savoir-faire (know-how). C'est plus facile à dire qu'à faire, étant donné la faible position des petits pays dans les négociations.

28.       La réponse à cela serait peut-être que chaque petit pays développe ses propres multinationales. Ceci supposerait non seulement un effort de R-D important, mais aussi une infrastructure industrielle de bon niveau, une main-d'œuvre qualifiée, un accès aux marchés mondiaux en y trouvant des créneaux peu utilisés dans des domaines où ils ont déjà une certaine expérience, comme par exemple l'Italie et l'Espagne qui avaient une avance considérable dans la recherche sur l'énergie solaire et la biomasse. Néanmoins, ces créneaux exploitables ne font pas toujours partie des technologies de pointe (par exemple, l'industrie agro-alimentaire) et ne permettront pas à ces pays de combler leur retard dans d'autres domaines prometteurs comme les matériaux nouveaux, la robotique, etc.

29.       Des perspectives nouvelles pourraient s'ouvrir aux petits pays en coordonnant leurs ressources en R-D. Des groupes de pays pourraient s'unir pour un projet déterminé. Selon certains spécialistes, cette coopération entre «égaux» serait plus bénéfique pour ces pays que leur participation ─ encore sous forme de sous-traitance ─ aux grands projets internationaux comme l'Agence spatiale européenne, le CERN, Airbus, etc. La question reste du moins controversée. Il est raisonnable d'avancer qu'une participation des petits pays à des programmes tels qu'Eurêka, qui vise à une R-D au niveau précompétitif (generic technology) pourrait comporter de nombreux avantages. Il en est de même pour des projets scientifiques tels que le génome humain, la biodiversité et les changements climatiques. Par contre, une participation à la phase finale de production de technologies élaborées ailleurs apporterait peu à l'effort de R-D d'un petit pays.

Conclusions

30.       La tâche des dirigeants des pays de taille moyenne et petite, en matière de choix des priorités en R-D, n'est pas facile. Ils doivent concilier, d'une part, la nécessité pour chaque pays de participer à l'aventure intellectuelle humaine en maintenant un certain niveau de recherche fondamentale et en répondant aux exigences de la compétitivité technologique; et, d'autre part, les impératifs d'une organisation rationnelle des structures de R-D et la liberté traditionnelle des chercheurs et des facultés. Il s'agit d'un réseau complexe de rapports entre Etat/universités/entreprises privées/organisations ou programmes internationaux, sans oublier les pouvoirs régionaux et locaux. Ce réseau doit être maîtrisé là où il existe et où il est fiable, ou doit être construit sur la base de l'héritage historique de chaque pays ─ c'est-à-dire l'origine des industries, le processus d'accumulation des connaissances et de l'apprentissage. On peut citer l'exemple du Danemark dont l'économie repose sur les secteurs agro-alimentaire, la biologie, l'électronique et qui a appuyé sa politique technologique et son développement industriel sur des ensembles régionaux qu'il a d'abord fallu construire et ordonner autour de rapports qu'entretiennent l'Etat, les universités et les entreprises privées.

31.       Une autre tâche importante pour les dirigeants est la formation de l'opinion publique qui doit être sensibilisée aux dépenses en matière de R-D. Un financement de R-D inférieur à 0,8-1 % du PNB ne permet plus de maintenir le niveau de capacité d'absorption des connaissances faites ailleurs, ce qui signifie le début du cycle de la marginalisation.

32.       Dans le choix des priorités, chaque pays est guidé par des préalables incontournables. A part, naturellement, les contraintes économiques, il y a des considérations de sécurité nationale ou de calcul politique, déterminées par la géopolitique et les alliances. Parfois, le choix d'une participation à des projets de nature stratégico-militaires peut avoir des «retombées» technologiques. Un certain nombre de pays ont exclu ces critères de sélection pour la détermination de leur effort de R-D et peuvent par conséquent concentrer leurs ressources de manière différente. D'autres persistent à vouloir tenir tête aux «géants» dans presque toutes les catégories de R-D, alors que leur voisin choisit une spécialisation pour se faire une place dans les marchés. Les choix sont multiples. Une chose est certaine: en ce qui concerne la recherche scientifique et le développement, les petits pays sont à la croisée des chemins; ils doivent développer des vraies stratégies pour l'avenir et ne peuvent pas se contenter de décisions tactiques.

ANNEXE I

ANNEXE II

ANNEXE III

ANNEXE IV

ANNEXE V

Programme-cadre 1990-1994

Domaines d'action

Montant en millions d'ECU

Pourcentage

Technologies diffusantes

─ Technologies de l'information et des communications

─ Technologies de l'information

Technologies des communications

Développement des systèmes télématiques d'intérêt général

─ Technologies industrielles et des matériaux

Technologies industrielles et des matériaux

Mesures et essais

Gestion des ressources naturelles

─ Environnement

Environnement

─ Sciences et technologies marines

Sciences et technologies du vivant

Biotechnologie

Recherche agricole et agro-industrielle

Recherche biomédicale et santé

Sciences et technologies du vivant pour les pays en développement

─ Energie

Energies non nucléaires

Sûreté de la fission nucléaire

Fusion thermonucléaire contrôlée

Valorisation des ressources intellectuelles

─ Capital humain et mobilité

2 221

(1 352)

(489)

(380)

888

(748)

(140)

518

(414)

(104)

741

(164)

(333)

(133)

(111)

814

(157)

(199)

(458)

518

38,9

15,7

9,1

13,0

14,3

9,1

Les chiffres entre parenthèses représentent les sous-totaux

   

Le volet financier du 4e Programme-cadre pour des actions communautaires de R-D

et du Programme-cadre pour des actions communautaires de recherche

pour la Communauté européenne de l'énergie atomique (en millions d'ECU)

 

4e Programme-cadre

CE

Programme

(1994-1998) CCR

Programme-cadre

CEEA

Programme

CCR

TOTAL

PREMIERE ACTION

Technologies de l'information et des communications

Technologies industrielles

Environnement

Sciences et technologies du vivant

Technologies énergétiques propres et efficaces

Sûreté et sécurité nucléaire

Fusion thermonucléaire contrôlée

Recherche pour une politique européenne des transports

Recherche socio-économique

3 888

1 573

625

1 265

1 005

-

-

280

90

12

227

345

60

45

-

-

-

35

-

-

-

-

-

202

930

-

-

-

-

-

-

-

293

50

-

-

3 900

1 800

970

1 325

1 050

495

980

280

125

DEUXIEME ACTION

Promotion de la coopération avec les pays tiers et les organisations internationales

790

     

790

TROISIEME ACTION

Action communautaire pour la diffusion et la valorisation des résultats

530

70

   

600

QUATRIEME ACTION

Stimulation de la formation et de la mobilité des chercheurs

785

     

785

TOTAL

10 831

794

1 132

343

 

11 625

1 475

13 100

      Le Centre commun de recherche (CCR) conduira des travaux de recherche stratégique et appliquée. Ces activités seront réalisées en tant que partie intégrante du système scientifique et technologique européen et devront également contribuer à l'assise scientifique des différentes politiques communautaires.

Source: Commission des Communautés européennes

Commission chargée du rapport: commission de la science et de la technologie.

Implications budgétaires pour l'Assemblée: néant.

Renvoi en commission: Doc. 6774 et Renvoi n° 1855 du 26 mars 1993.

Projet de résolution adopté à l'unanimité par la commission le 12 avril 1994.

Membres de la commission: M. Roseta (Président), M. Mészáros, Mme Terborg (Vice-Présidents), M. Alemyr, Mme Arnold, MM. Bartodziej, Bauer, Berger, Birraux, Borderas, Bosco, Mme Brenden (Remplaçant: M. Lie), MM. Bugli, Fulvio Caccia, Paolo Caccia, Cunliffe, De Decker, Dees, Dumont (Remplaçant: Decagny), Galley, Golu, Hurta, Inönü, Ivanov, Mme Kaliska, MM. Konecny, Konstandinidis (Remplaçant: Korahais), Leers, Lenzer, Lopez Valdivielso (Remplaçant: Palacios), Lotz, Luczak, Metelko (Remplaçant: Pahor), Mitchell, Mocioi, Moran, Panov, Pecriaux, Poças Santos, Požéla, Probst, Mme Ragnarsdottir, M. Regenswetter, Mmes Saint Cyr, Stiborova, Sir Donald Thompson (Remplaçant: Howell), MM. Jack Thompson, Tiuri, Trabacchini, Vrettos (Remplaçant: Sofoulis), Yürür.

N.B. Les noms des membres présents à la réunion sont indiqués en italique.

Secrétaire de la commission: M. Perin.


1 1 Dépenses intérieures brutes de recherche et développement.

2 1 OCDE, CCEET: «Politiques de la science, de la technologie et de l'innovation ─ Hongrie» 1993.

3 2 OCDE «Politique scientifique et technologique ─ Bilan et perspectives 1991».

4 3 OCDE: «Study of science, technology and innovating policies in Hungary» ─ 1992.