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Rapport | Doc. 11526 | 11 février 2008

Immigration en provenance d'Afrique subsaharienne

(Ancienne) Commission des migrations, des réfugiés et de la population

Rapporteur : M. Jean-Guy BRANGER, France

Résumé

Les flux migratoires provenant de l’Afrique représentent en ce début du XXIe siècle la part la plus importante des migrations en direction de l’Europe. Dans ce contexte, les migrations subsahariennes constituent un ensemble spécifique. En nombre, elles sont plus importantes que les migrations provenant du Maghreb ou que les migrations provenant d’autres continents et transitant par l’Afrique. Par ailleurs, elles sont surtout le fait de migrants qui cherchent à rejoindre l’Europe par tous les moyens irréguliers et au péril de leur vie, ou qui, étant arrivés légalement avec un visa temporaire, prolongent leur séjour au-delà de sa date de validité et se trouvent donc en situation irrégulière.

Les Etats européens ont donc une responsabilité particulière vis-à-vis de ces migrants dont les motivations sont très variées et qui n’envisagent pas de retourner dans leur pays d’origine. Le renforcement des contrôles aux frontières, s’il peut contribuer à ralentir ces flux, est impuissant à les endiguer. La diversité des législations européennes développe le «shopping migratoire», et l’explosion en Europe de l’économie informelle permet à ces migrants de s’intégrer à un univers qu’ils connaissent bien. Mais ceux-ci sont en même temps victimes de discriminations en matière d’accès à la santé, au logement et à l’éducation.

Le rapport fait un certain nombre de propositions pour contribuer à l’amélioration de cette situation.

A. Projet de résolution

(open)
1. Le continent africain est le continent le plus exposé aux migrations. On peut estimer, compte tenu de l’imprécision des statistiques, que les migrations externes légales ou illégales provenant de l’Afrique subsaharienne à l’intérieur et à l’extérieur de l’Afrique concernent 2à4 millions de personnes par an. Leur part augmente au détriment des migrations internes, rendues plus difficiles par les conflits armés, qui touchent de près ou de loin aujourd’hui 24 pays africains, et par la fermeture des frontières pratiquée par certains d’entre eux. Parallèlement, la fuite des cerveaux, l’image positive de l’Occident et l’existence dans certains pays d’une diaspora importante (facteurs pull), ainsi que la difficulté à trouver sur place un travail correctement rémunéré et le sentiment que l’Afrique est enfoncée dans une crise sans fin (facteurs push), se conjuguent pour amplifier ces migrations, malgré les risques qu’elles font courir à ceux qui les entreprennent.
2. Les reconduites des migrants subsahariens sont souvent difficiles ou impossibles, du fait du refus des migrants d’indiquer leur véritable pays d’origine, de l’absence d’accords de réadmission avec ceux dont l’origine est connue, de la mobilisation des associations de défense des sans-papiers pour empêcher leur retour par avion, de la rébellion des migrants embarqués qui tentent d’ameuter les autres passagers, voire d’endommager l’appareil qui les a transportés, avec le concours des amis qui les attendent à l’arrivée.
3. Ces flux s’ajoutent aux stocks de migrants déjà installés dans le pays d’accueil et constituent, avec le renfort des nombreux enfants nés dans le pays d’accueil, une communauté d’origine africaine de plus en plus «visible», et dont le nombre provoque parfois des réactions de xénophobie.
4. Les motivations de ces migrants sont très variées – économiques, familiales, sociales ou politiques – et se diversifient de plus en plus. Les Etats n’ayant pas la même législation malgré l’européanisation progressive des politiques européennes, les migrants choisissent naturellement le pays où ils trouvent le plus d’avantages et le moins de risques, notamment d’être reconduits. C’est le «shopping migratoire» qui développe également la mobilité des trajectoires migratoires et la féminisation de la migration.
5. L’Assemblée parlementaire croit que l’Europe est ainsi confrontée à plusieurs défis concernant la maîtrise de ces migrations et la gestion d’une économie informelle qui existait avant l’arrivée massive de migrants subsahariens, mais que leur présence renforce et qui paradoxalement contribue à leur intégration au pays d’accueil. Elle peut aussi tirer profit de l’arrivée d’une population plus jeune et susceptible de réduire les effets de l’hiver démographique qu’elle traverse actuellement.
6. Mais les pays d’Europe, malgré une législation qui sanctionne le racisme et les discriminations, ne sont pas tous en mesure d’offrir à tous ceux qui s’installent chez eux un traitement équitable en matière d’accès à la santé, à l’éducation, à un logement décent et à un travail déclaré correctement rémunéré.
7. L’Assemblée considère que, compte tenu de la spécificité des migrations subsahariennes et afin de permettre à chaque pays de prendre des décisions en connaissance de cause, il est essentiel de privilégier quatre axes: la connaissance précise des flux migratoires, le traitement de migrations spécifiques, l’harmonisation progressive des législations européennes, l’aide à l’Afrique et le renforcement des liens entre le pays d’accueil et le pays d’origine.
8. C’est pourquoi l’Assemblée demande aux Etats membres:
8.1. en matière de connaissance et de gestion globale des flux migratoires:
8.1.1. de mettre en place un observatoire national ou des observatoires régionaux des migrations;
8.1.2. de tenir un registre local des installations, destiné à suivre l’insertion et les déplacements de ces migrants, afin d’accueillir ou de venir en aide à des populations souvent en grande difficulté;
8.1.3. de sécuriser les reconduites par une formule de charters internationaux, fortement encadrés, avec la garantie d’une procédure judiciaire préalable et l’établissement d’une procédure contractuelle avec le pays qui s’est engagé à la réadmission, dans le respect des droits de l’homme pour les migrants reconduits;
8.2. en matière de migrations spécifiques:
8.2.1. d’offrir une alternative à l’asile politique pour les migrants qui ne sont pas persécutés par le pouvoir mais par une autre ethnie implantée dans leur pays, ou par des groupes armés opérant sans contrôle;
8.2.2. d’organiser un suivi personnalisé des étudiants migrants, en collaboration avec les pays d’origine et les services des consulats ou des ambassades existant dans ces pays, afin de faciliter la réussite des uns et le retour au pays ou l’insertion professionnelle des autres;
8.2.3. de prendre des mesures législatives contraignantes pour encadrer la migration prénatale et pour s’opposer à l’illégalité des procédures en matière de migration pour des raisons de paternité et d’adoption;
8.2.4. de faciliter la migration culturelle par la délivrance de visas appropriés;
8.3. en matière d’harmonisation des législations européennes:
8.3.1. de travailler de concert à l’harmonisation des législations en matière de regroupement familial;
8.3.2. de travailler de concert à l’harmonisation des législations en matière d’aide médicale aux migrants en situation irrégulière;
8.3.3. de travailler de concert à l’harmonisation des législations en matière d’apprentissage de la langue du pays d’accueil;
8.3.4. de travailler de concert à l’harmonisation des législations en matière d’accueil dans les établissements scolaires d’enfants de migrants en situation irrégulière.
9. Pour développer l’aide à l’Afrique subsaharienne et les relations entre pays d’origine et pays d’accueil, l’Assemblée demande aux Etats membres:
9.1. de développer une connaissance de l’Afrique dans l’opinion publique, et notamment d’encourager les jumelages et de relayer les actions de coopération décentralisée;
9.2. de travailler à l’élaboration d’un fichier central de spécialistes des diverses langues africaines, susceptibles de converser avec les ressortissants des pays d’origine quand ceux-ci ont du mal à s’expliquer avec les autorités;
9.3. d’encourager financièrement les transferts légaux de fonds vers le pays d’origine, en prenant à leur charge une partie des coûts de transferts;
9.4. d’encourager les transferts de savoir-faire des membres de la diaspora vers leur pays d’origine, par l’instauration d’une procédure simplifiée de visas et la prise en charge d’une partie du manque à gagner pour ceux qui se déplaceraient;
9.5. de prendre les mesures nécessaires pour respecter les traditions religieuses et les pratiques culturelles des migrants originaires de l’Afrique subsaharienne;
9.6. de sanctionner les pratiques contraires aux droits de l’homme, comme l’excision et toute forme de mutilation génitale;
9.7. de mettre en place ou de renforcer des mesures de discrimination positive à l’égard des migrants subsahariens, notamment dans le domaine de l’éducation, du logement et de la santé;
9.8. de mobiliser un maximum de ressources pour freiner ou enrayer les pandémies qui plombent la croissance des régions infectées de l’Afrique subsaharienne.
10. Dans la perspective d’un alignement progressif des procédures relatives aux migrants d’Afrique subsaharienne sur celles des autres migrants, l’Assemblée rappelle aux Etats membres qu’elle souhaite que soient respectées les dispositions suivantes:
10.1. que soit remis à tout migrant de l’Afrique subsaharienne un document d’accueil du migrant, précisant ses droits et ses devoirs;
10.2. que ces migrants puissent bénéficier des services d’un interprète dans leur langue d’origine;
10.3. que soient humanisés les séjours dans les centres de transit ou de rétention;
10.4. que, dans ces centres, le traitement des flux mixtes de migrants et de demandeurs d’asile distingue les différentes catégories de migrants;
10.5. que les pays d’accueil s’efforcent de conclure des accords de réadmission et de développer l’aide au retour pour les déboutés du droit d’asile;
10.6. que les pays concernés renforcent la lutte et les sanctions contre les réseaux de passeurs;
10.7. que les pays concernés renforcent le contrôle et les sanctions contre le travail «au noir».

B. Exposé des motifs, par M. Jean-Guy Branger 
			(1) 
			Le rapporteur remercie M. Jean-Paul Gourévitch,
consultant international, pour son aide précieuse dans la préparation
de ce projet de rapport.

(open)

1. Introduction

1. Sur le plan des «flux» (entrée et sorties de migrants), l’Afrique est le continent le plus exposé à la migration. Les migrations externes concernent entre 2 et 4 millions de personnes par an. Les migrations internes, permanentes ou saisonnières, entre 16 et 25 millions. Leur part diminue régulièrement au profit des migrations externes. Les causes en sont les conflits armés, qui touchent aujourd’hui 24 pays africains, la fermeture des frontières pratiquée par certains d’entre eux, la fuite des cerveaux qui pousse les élites vers les pays du Nord. Dans ces migrations internes, une partie concerne des réfugiés chassés par les guerres ou la famine d’un pays vers un autre, et dont le nombre varie selon les années de2à6 millions d’habitants. En revanche les personnes déplacées (12 millions aujourd’hui dont près de la moitié au Soudan) vivent à l’intérieur du pays d’origine dans une situation tout aussi précaire.
2. Sur le plan des «stocks» (migrants installés dans un pays d’accueil), entre un quart et un tiers des quelque 200 millions de migrants comptabilisés dans le monde sont issus du continent africain. Plus précisément, les migrations en provenance de l’Afrique subsaharienne représentent aujourd’hui entre 3,5 et 8 millions de résidents en Europe, concentrés principalement dans sept pays: Belgique, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni.
3. Ces statistiques sont imprécises. La plupart des données datent des années 1998-2002 et proviennent de recensements qui ne comptabilisent que ceux qui ont voulu ou pu se faire enregistrer. Les migrations irrégulières sont ignorées dans le décompte des stocks. La définition habituelle de l’immigré comme une personne âgée de plus de 18 ans minore les flux. A titre d’exemple, les chiffres de 40 000 Maliens recensés en France, de 40 000 ressortissants de la RDC en Belgique, de 100 000 Nigérians en Grande-Bretagne doivent être multipliés par un facteur compris entre 3 à 8 pour rendre compte de l’importance des communautés d’origine établies dans ces pays, y inclus les enfants nés sur le sol du pays d’accueil.
4. Pourtant il existe en Europe des instituts, des établissements de recherche, des départements d’université, collectant des données sur la vie réelle des migrants dans le pays d’accueil qui peuvent ainsi fournir des informations ou combattre des schématisations concernant les migrants en provenance de l’Afrique. Le Réseau ACERD (Annuaire mondial des centres d’études et de recherches en démographie) répertorie 704 centres dont plus de 200 en Europe, et la base de données RIERDEN (Répertoire international des études et recherches sur la démographie en Europe) compte 500 centres dont plus de 160 en Europe. La coordination de cet ensemble est actuellement assurée par le Comité international de coopération dans les recherches nationales en démographie (CICRED), une ONG dont le siège est à Paris dans les locaux de l’Institut national d’études démographiques.

2. Les causes des migrations

5. Dans les migrations subsahariennes, on doit distinguer les causes structurelles qui persistent depuis de nombreuses années et les facteurs conjoncturels susceptibles d’accélérer ou de freiner les flux migratoires. Parmi les motifs des migrations, les uns sont relatifs au désir de partir (facteurs push) et les autres à l’attraction qu’exerce l’Europe sur l’Afrique subsaharienne (facteurs pull).
6. Les causes structurelles sont pour les facteurs push une croissance démographique supérieure à une croissance économique, l’urbanisation de l’Afrique génératrice de pauvreté, de mal-vivre et de conflits, l’insécurité physique, médicale, économique et alimentaire des populations africaines, la corruption et le détournement de l’aide accordée par les bailleurs de fonds qui ne va pas en priorité à ceux qui en ont le plus besoin. Les facteurs pull résident principalement dans l’augmentation du différentiel de niveau de vie entre les pays riches et les pays les plus attractifs d’Afrique, la demande persistante de la part des pays riches d’une main-d’œuvre flexible et bon marché, la tradition de migrations vers l’Europe de membres de familles élargies notamment dans la région du fleuve Sénégal et enfin l’aspiration de la jeunesse à des statuts individuels et familiaux moins contraignants.
7. Les facteurs conjoncturels de type push sont la lente avancée de la sécheresse et de la désertification (souvent liée à la démographie), et, à terme, les conséquences du réchauffement de la planète. Les facteurs pull résident dans la pression des ressortissants du pays d’origine qui comptent sur les transferts de fonds pour améliorer leur situation et la diminution corrélative de ces envois de fonds des migrants à leur famille restée au pays, la généralisation du regroupement familial dans les pays européens, l’insuffisance des contrôles des pays d’accueil notamment sur les visas de court séjour. Il faut y ajouter le développement d’un imaginaire migratoire amplifié par les informations transmises et les cadeaux apportés par les migrants de retour au pays. Ces migrations sont facilitées par la professionnalisation des réseaux de passeurs et le caractère lucratif des trafics qui a pour conséquence l’endettement des migrants, l’obligation pour le migrant d’interrompre parfois son parcours pour trouver les moyens de payer l’étape suivante et le développement des réseaux de l’économie parallèle.

3. Typologie des migrations

8. On différenciait autrefois trois grands types de migrations: les migrations de mains-d’œuvre, les migrations familiales et les migrations politiques. Aujourd’hui ces migrations se sont diversifiées en quatre catégories comportant chacune des variantes.
9. Dans la migration de travail: on vient s’employer dans un autre pays, de façon définitive (migration permanente) ou ponctuelle (migration saisonnière). Celle-ci comporte plusieurs variantes. Une des plus importantes est la migration étudiante. A titre d’exemple, les étudiants en provenance du continent africain représentent plus de la moitié des étudiants étrangers en France et personne ne sait combien retournent dans leur pays d’origine à l’issue de leurs études. Or les étudiants d’Afrique subsaharienne qui viennent poursuivre leurs études en Europe, avec ou sans bourses, éprouvent, selon tous les rapports consultés, une grande difficulté à les mener à bien. Les raisons en sont à la fois économiques, culturelles et psychophysiologiques. Mais les pays d’accueil n’interviennent pas dans ce processus et la plupart du temps ne connaissent même pas la population concernée ni ses difficultés. La migration de compétence dite aussi fuite des cerveaux ou brain drain est aggravée par les offres d’emploi et le lobbying pratiqués par les pays riches. La migration starisée touche les vedettes du sport et de la musique, s’étend à leur entourage immédiat et exerce un effet «appel d’air» sur les jeunes qui rêvent d’une telle carrière. Les musiciens, les cinéastes, les peintres, les créateurs, les vedettes du sport et du show-business, etc., ont besoin de pouvoir se rendre à l’étranger en permanence dans le cadre de leur travail. Or les formalités de visa sont souvent longues ou dissuasives. La migration pendulaire consiste à faire des allers et retours successifs entre pays d’accueil et pays d’origine pour écouler dans les premiers les marchandises importées des seconds et à revenir avec des produits difficiles à trouver au pays. Moins répandue en Afrique que dans les pays de l’Est, elle couvre néanmoins des trafics de drogue, d’animaux, de plantes, de médicaments, d’œuvres d’art. Enfin la migration de charme touche particulièrement les ressortissantes des pays d’Afrique anglophone et les proxénètes qui en vivent, mais on la trouve aussi en Afrique francophone et lusophone.
10. La migration familiale désigne le processus par lequel femmes et enfants vont rejoindre leur mari ou leur père parti gagner sa vie à l’étranger, soit légalement grâce aux dispositions prises en matière de regroupement familial, soit clandestinement en prolongeant un visa temporaire au-delà des limites assignées et en escomptant une régularisation ultérieure. Elle comporte des variantes comme la migration maritale dans laquelle on va chercher un mari ou une épouse dans le pays d’origine qu’on ramène ensuite dans le pays d’accueil ou bien encore on s’embarque pour le pays d’accueil, avec ou sans promesse préalable, pour y épouser un(e) ressortissant(e) ou se lier avec durablement. D’autres variantes peuvent générer des situations de précarité ou des trafics criminels. Dans la migration prénatale, on vient accoucher dans un pays d’accueil où les services de santé fonctionnent mieux en espérant que grâce au droit du sol, l’enfant aura la nationalité du pays d’accueil, pourra y être scolarisé et que ses parents seront ultérieurement régularisés. Dans la migration paternelle, des femmes proposent à des sans-papiers d’acheter la paternité de leur progéniture pour obtenir leur régularisation. Il s’agit d’un trafic apparu récemment et qui serait en pleine expansion. Enfin dans la migration adoptive, on organise légalement ou sous des prétextes humanitaires le transfert d’enfants africains des pays d’origine vers des familles d’accueil européennes souhaitant faire un acte d’adoption.
11. La migration sociale est le choix que fait le migrant de venir s’installer dans un pays où la législation sociale permet de survivre dans de meilleures conditions d’aide et de logement. La variante la plus répandue est la migration médicale où l’on vient se faire soigner dans un pays où l’encadrement sanitaire est meilleur, où parfois les soins sont gratuits pour les migrants en situation irrégulière et où le migrant est protégé contre l’expulsion en raison même de son état de santé. Mais il faut aussi signaler la migration de mineurs dans laquelle la famille laisse partir des mineurs «accompagnés», en escomptant que les services sociaux du pays s’occuperont d’eux si le «parent» ne donne plus signe de vie.
12. La migration politique touche essentiellement les victimes des persécutions politiques ou religieuses soit du fait de l’Etat, soit du fait de groupes armés opérant dans le pays en marge de la loi, qui demandent le droit d’asile. La migration environnementale est due aux menaces qui pèsent sur la planète (désertification, réchauffement climatique, catastrophes naturelles) ou aux aménagements industriels locaux (barrages, ports) qui transforment la géographie ou l’hydrographie du pays. Les migrants s’expatrient alors provisoirement ou définitivement dans des pays à moindre risque.
13. D’autres formes de migration des pays riches vers les pays émergents (migration fiscale, migration entrepreneuriale, migration retraitée) ne touchent que marginalement l’Afrique subsaharienne.

4. Coup de projecteur sur l’évolution des migrations

14. Le résultat de cette diversification, compte tenu de la politique et des législations spécifiques de chaque Etat, est, malgré l’européanisation progressive des politiques migratoires, la pratique, de plus en plus répandue, du «shopping migratoire». Les migrants, soutenus par la diaspora existante, choisissent naturellement le pays où ils trouvent le maximum d’avantages et le moins de risques, notamment d’être reconduits. Ce «shopping migratoire» se substitue progressivement à la pratique traditionnelle consistant à rejoindre un pays de langue identique et où existait une importante diaspora. Il peut comporter plusieurs étapes comme l’installation provisoire dans un pays de transit où le migrant va travailler pour financer son parcours suivant, ou l’entrée dans un pays dont les frontières sont plus perméables pour se rendre ensuite dans le pays de son choix, grâce aux facilités relatives de circulation dans l’Espace Schengen.
15. Les autres évolutions majeures concernent la mobilité des parcours migratoires qui ne se réduisent plus à un choix binaire entre s’installer et revenir ou être renvoyé au pays, mais obéissent à des stratégies diversifiées avec des pays de transit, des étapes, des allers-retours, des parcours coordonnés, et l’importance accrue de la migration médicale et sociale favorisée par l’attention accordée dans les pays d’accueil aux populations défavorisées. On notera aussi la féminisation de la migration (47 %) qui développe les activités de commerce et de création mais s’accompagne aussi d’un taux d’inactivité très important chez celles qui ne trouvent pas ou ne cherchent pas de travail dans le pays d’accueil.
16. Ces évolutions qui renforcent les flux migratoires ont pour corollaire la crispation d’une partie des populations des pays d’accueil qui avoisine parfois la xénophobie. Le racisme anti-noir, qui prend progressivement le relais du racisme antimaghrébin et se double parfois par contrecoup d’un racisme anti-blanc, se développe dans les pays où ces minorités visibles sont importantes et revendicatives. Il prend volontiers appui sur la dénonciation de la polygamie et de l’analphabétisme d’une partie de cette communauté, et sur la petite délinquance constatée dans des cités où cette population est majoritaire, négligeant le fait que ces minorités visibles sont peu répertoriées dans la grande délinquance.

5. Coup de projecteur sur les migrations clandestines à travers le Sahara

17. Les pays de transit, la Mauritanie, le Maroc, la Libye et, à un moindre degré, la Tunisie ou l’Algérie, sont actuellement confrontés à une importante migration en provenance de l’Afrique subsaharienne (au minimum 100 000 personnes par an) qui transite par ces pays pour rejoindre l’Europe ou à défaut cherche à s’y implanter en attendant une occasion de traverser la Méditerranée. On compterait actuellement entre 1 et 1,5 million de migrants en transit en Libye, une centaine de milliers en Mauritanie et en Algérie, un peu moins en Tunisie et au Maroc. La politique panafricaine de la Libye des années 1990 qui avait attiré nombre d’Africains a connu une inflexion antimigratoire à partir des années 2000 et a obligé les migrants venant de l’Afrique subsaharienne à diversifier leurs parcours. Le Maroc a fait arrêter et renvoyer plusieurs milliers de migrants en Afrique subsaharienne. En Egypte résident également entre 2,2 et 4 millions de migrants.
18. Ces pays offrent des points de concentration et d’embarquement proches de l’eldorado européen. De la banlieue de Dakar aux Canaries (Espagne), il y a 1 500 kilomètres. Cette distance est plus faible (850 kilomètres) si on s’embarque depuis la côte mauritanienne. Les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla au Maroc, plusieurs fois prises d’assaut malgré l’élévation de leurs murs de protection, offrent un accueil plus sûr qu’un détroit de Gibraltar en permanence observé par l’aviation et sillonné par les vedettes à la recherche des embarcations clandestines. Les îles italiennes de Pantelleria, de Lampedusa et la Sicile sont proches des côtes tunisiennes et libyennes. D’autres destinations peuvent à l’avenir constituer des têtes de pont: Malte, Chypre, les Açores, Madère… Certaines statistiques récentes semblaient indiquer que le flux des migrants illégaux était en régression (5 200 arrivées par mer en Italie répertoriées au premier semestre 2007 contre 9 300 en 2006) du fait de la montée en puissance du dispositif FRONTEX et des drames survenus en Méditerranée que la grande presse a largement popularisés. Elles demandent à être confirmées sur une plus longue période.
19. Contrairement à l’idée répandue, la population de ces candidats à la migration irrégulière est très variée. Ce ne sont pas les plus pauvres qui émigrent car pour avoir une chance de réussir, il faut un capital financier, intellectuel, social ou relationnel. Dans la quasi-totalité des cas observés, les passages sont contrôlés par des mafias africaines ou maghrébines ou des sous-traitants de mafias internationales, des réseaux professionnalisés qui ont perçu que le trafic de migrants était rémunérateur et qui inspirent confiance parce qu’étant ethniquement ou linguistiquement proches de ceux qui cherchent à s’embarquer.
20. Beaucoup de migrants ne possèdent pas de papiers, soit parce qu’ils viennent de pays où un véritable état civil n’existe pas, et où les documents «officiels» coûtent très cher, soit parce que ceux qui les ont fait venir ou qui les ont accompagnés les ont confisqués jusqu’à ce que le solde de leur voyage leur soit intégralement payé, soit le plus souvent parce qu’ils les ont détruits pour ne pas être renvoyés dans leur pays d’origine. Certains pays européens ayant pris des mesures de reconduite immédiate contre ceux qui ne peuvent présenter leurs papiers, nombre de migrants préfèrent tenter l’aventure avec de faux papiers. Cette industrie, très développée de part et d’autre de la Méditerranée, et rémunératrice compte tenu des prix demandés pour l’obtention des documents, se pratique parfois au grand jour au pourtour des ambassades. Elle est alimentée par les vols de documents vierges et la contrefaçon. Les procédures de détection des faux papiers sont inégales dans les pays européens qui ne disposent pas tous des technologies les plus sophistiquées. Le trafic de faux papiers autorise, de l’aveu des migrants eux-mêmes, un grand nombre de fraudes. Il n’est pas limité aux migrants de l’Afrique subsaharienne, mais il a pris chez eux une ampleur particulière car il correspond à des habitudes acquises dans des Etats où la corruption est très présente et la gouvernance souvent laxiste.
21. De nombreux migrants, en situation régulière ou irrégulière se trouvent par ailleurs souvent en difficulté pour s’expliquer avec les autorités. Les ethnies africaines sont très nombreuses et leurs langues variées. Pourtant il existe en Europe un vivier de spécialistes, le plus souvent originaires eux-mêmes de l’Afrique, susceptibles d’identifier leurs compatriotes et de converser avec eux dans leur langue. Ces spécialistes ne figurent sur aucun fichier central permettant de faire appel à eux en cas de difficulté. La mise en route de ce fichier central devrait être une priorité en ce qui concerne les migrants d’origine subsaharienne. Ces interventions de spécialistes se feraient sous forme de volontariat, à la demande des autorités et seraient rémunérées.
22. Il semble cependant que, selon les enquêtes faites, la majorité des migrants en situation irrégulière soit composée de personnes ayant obtenu un visa de court séjour qui restent dans le pays d’accueil, une fois expirée la durée de leur visa temporaire. Les mesures dissuasives prises lors de la délivrance des visas (fourniture d’une invitation, dépôt d’une caution rendue au retour…) n’ont produit que peu d’effet. Ces migrants bénéficient de la solidarité de la diaspora implantée dans le pays, qui les héberge ou les aide à trouver un logement, un travail ou des prestations sociales leur permettant de survivre. D’autre part, pour des raisons humanitaires, juridiques ou politiques, aucun pays d’accueil ne s’est engagé dans une procédure de pénalisation financière de la famille, du village, voire du pays qui ont favorisé cette migration. La conséquence observée est l’allongement des procédures de délivrance des visas, l’augmentation du nombre de documents exigés pour l’obtention, et la contraction du nombre de visas accordés. Un «shopping migratoire» s’est également développé au départ, certaines ambassades étant réputées plus «généreuses» que d’autres. Une fois le visa d’entrée dans un pays obtenu, le migrant peut gagner le pays où il souhaite s’installer définitivement.
23. Les reconduites vers l’Afrique subsaharienne ordonnées par la justice et exécutées par la police, une fois les voies de recours épuisées, ne peuvent se faire que par avion. Les charters ont une mauvaise image de marque. Mais les appels à la désobéissance civique de responsables politiques, les tentatives des associations pour empêcher les reconduites, les réticences de compagnies aériennes à les accepter, le comportement de passagers qui dans l’avion appellent à la révolte pour «délivrer les enchaînés (sic)», la rébellion de «reconduits» qui mettent à sac l’avion qui les transportait, parfois avec la complicité de ceux qui les attendaient à l’arrivée, ne peuvent sécuriser les reconduites dans des transports habituels. Par ailleurs ces dispositifs limitent drastiquement le nombre de reconduites possibles.

6. Les défis posés à l’Europe

24. L’immigration en provenance de l’Afrique subsaharienne pose à l’Europe quatre défis majeurs: celui d’une alternative au vieillissement de l’Europe, celui de la nécessaire lutte conte les discriminations, celui de la maîtrise de l’économie clandestine, celui enfin, plus méconnu, de la gestion de l’économie informelle.
25. L’immigration en provenance de l’Afrique subsaharienne génère à la fois une augmentation du solde migratoire et une remontée de la fécondité. Peut-elle pour autant réduire les effets de l’hiver démographique que traverse actuellement l’Europe avec ses conséquences sur la diminution de la population active, le financement des retraites et de la protection sociale? Cela supposerait que cette immigration soit majoritairement une immigration de travail ou qu’à plus long terme les enfants de ces migrants trouvent un poste dans l’économie formelle qui corresponde aux besoins des pays d’accueil.
26. Malgré leurs législations largement hostiles aux discriminations, les pays européens sont-ils en état de garantir aux migrants qui s’installent chez eux un traitement équitable en matière d’accès au logement, au travail, à la santé et à l’éducation? Les difficultés observées dans les divers pays d’Europe où les migrants sont concentrés dans des quartiers dits «sensibles», qui sont souvent considérés par eux comme des «ghettos», indiquent qu’en dépit des efforts des gouvernants pour concilier ordre et progrès, voire pour mettre en place une discrimination positive, le chemin vers l’égalité des chances est encore long à parcourir.
27. Les considérations précédentes montrent que malgré leur volonté commune de lutte contre les migrations irrégulières, les politiques de dissuasion menées, les signes négatifs envoyés aux ressortissants du pays d’origine, les renforcements des contrôles aux frontières, les tentatives d’externalisation du traitement des demandes d’asile en amont de l’espace européen, les pays européens échouent à contenir une immigration exponentielle. Peut-il en être autrement, tant que s’élargira le fossé qui sépare les conditions de vie des habitants du Nord de celles des ressortissants du Sud, et que face à la demande africaine, l’Europe est incapable d’adopter un langage commun et d’harmoniser ses procédures.
28. L’économie informelle, depuis ses formes les plus conviviales (échanges de services) jusqu’aux plus criminelles (trafics et blanchiment d’argent sale), représente en moyenne entre un cinquième et un quart du PIB des pays européens. Elle fait vivre de véritables réseaux qui redistribuent une partie des richesses collectées vers leur entourage afin de solidariser les populations avoisinantes avec leurs pourvoyeurs et d’encourager, voire de faire régner par l’intimidation, une omerta sur leurs pratiques. C’est un défi lancé à une Europe fondée sur le respect des législations nationales ou internationales qui, à ce stade, ne peut plus l’endiguer mais s’efforcer de la gérer. Or, si les migrations d’Afrique subsaharienne n’ont pas créé cette économie informelle qui existait avant elles, elles contribuent largement à son développement qui est paradoxalement un facteur d’intégration au pays d’accueil. Une autre conséquence est le développement de l’«ethnic business», qui n’est pas propre à la migration subsaharienne, mais dans laquelle celle-ci trouve sa place. Certaines branches professionnelles comme la coiffure, la restauration, les métiers de l’entretien et du nettoyage, les épiceries de proximité, sont investies par de véritables filières ethniques qui en ont fait un domaine réservé, proposant ainsi un travail au nouvel arrivant en écartant les migrants d’autres origines qui souhaiteraient s’y insérer. Cet «ethnic business» se renforce d’autant plus que le nouvel arrivant a souvent du mal à trouver un emploi dans des métiers traditionnels, notamment quand il n’y a pas de contre-pouvoir dans l’entreprise. Il se nourrit ainsi de lui-même jusqu’à se transformer en «ethnic business territorial» où un quartier est colonisé par les ressortissants d’un même pays.
29. Pour dissuader les migrants de s’expatrier et notamment de risquer leur vie dans l’aventure de la migration clandestine, les pays européens préconisent en général de maintenir les Africains chez eux en dispensant une large aide au développement. Cette aide est le fait d’initiatives personnelles ou associatives et provient aussi des contributions bilatérales ou multilatérales des Etats et des bailleurs de fonds. De nombreux rapports indiquent qu’elle est largement détournée, souvent inefficace, créatrice d’assistanat plus que de productivité, et qu’elle n’a pas atteint un seuil de visibilité suffisant pour provoquer une réaction significative des populations concernées. La population des pays d’accueil y participe peu parce qu’elle ne fait souvent aucune différence entre des Africains qui viennent de pays et d’ethnies différentes, avec des traditions, des cultures, des religions, des pratiques sociales spécifiques. Seuls les jumelages et la coopération décentralisée qui impliquent la population locale facilitent les contacts entre l’Europe et l’Afrique et permettent non seulement de répondre aux besoins spécifiques de la communauté concernée mais d’assurer un suivi des opérations, souvent absent dans les processus d’aide au développement.
30. Entre les acheminements informels par l’intermédiaire des bagages de retour et des réseaux du petit commerce et le passage par des circuits sécurisés comme Western Union qui prennent une marge importante, les transferts de fonds deviennent progressivement dissuasifs d’autant plus que le regroupement familial en limite l’importance. Les immigrés préfèrent garder des ressources pour ceux qui vont arriver plutôt que financer des opérations dont ils ne pourront suivre de près la réalisation. Pourtant ces transferts de fonds représentent plus que l’aide accordée par les pays d’accueil aux pays d’origine. Une réflexion est à conduire pour aboutir à une procédure gagnant-gagnant pour celui qui envoie comme pour celui qui reçoit.
31. Les migrants installés durablement dans le pays d’accueil disposent d’informations et ont acquis des savoir-faire techniques de toute nature qui pourraient être utiles à ceux de leurs compatriotes restés au pays. Cette transmission du savoir-faire des immigrés vers ceux restés au pays par le biais des membres de la diaspora a déjà été expérimentée au Maghreb avec des résultats encourageants. Ce dispositif n’éviterait sans doute pas quelques abus, favoriserait peut-être des incitations à émigrer, mais ces inconvénients seraient largement compensés par le bénéfice du transfert de savoir-faire et le renforcement des liens entre pays d’origine et pays d’accueil.

7. Les politiques transnationales face à l’immigration subsaharienne

32. La politique migratoire de l’Union africaine, en dépit des demandes convergentes sur la nécessité d’aider le développement des pays africains pour freiner l’immigration et notamment la fuite des cerveaux, reste peu lisible. L’Union africaine apparaît paralysée par ses divisions, incapable de résoudre les conflits nés sur son continent, de combattre les trafics de femmes et d’enfants, et a élaboré des chartes de protection des migrants et des réfugiés qu’elle n’applique pas.
33. La politique des bailleurs de fonds a progressivement abandonné le slogan du «trade not aid» devant le spectacle de la misère africaine mais n’affiche aucune orientation déterminée. Les efforts se limitent à une aide conditionnelle aux pays émergents pour les sortir de la spirale de l’endettement et à la mobilisation de fonds de secours pour combattre les pandémies (paludisme, sida, tuberculose). Les bailleurs de fonds profitent en contrepartie de la demande en assistance technique et en biens d’équipement et de consommation, mais ne peuvent ni réguler le trafic d’armes dans lequel s’investit aujourd’hui une partie de la richesse africaine, ni permettre aux pays exportateurs de tirer profit de l’écoulement de leur production sur les marchés internationaux.
34. La politique des ONG et des organismes humanitaires est de parer au plus pressé, en raison de la faiblesse de leurs moyens et du nombre de foyers de violence, de misère et d’incendie existant sur le continent. Les résultats réels en matière de codéveloppement, d’éducation des filles, ou de prévention sanitaire, ne constituent pas un seuil de visibilité suffisant pour que leur action débouche sur une prise de conscience de ce que l’Afrique a un potentiel de développement incommensurable et que l’avenir de l’Afrique est d’abord dans les mains des Africains.
35. La politique de l’Union européenne a connu des avancées notables en matière d’européanisation des politiques migratoires à travers les Accords de Schengen, le SIS, la Convention de Dublin, les Traités de Maastricht et d’Amsterdam, les Sommets de Tampere, de Thessalonique et de Rabat. Mais elle se heurte aux particularismes des législations, aux mesures de protection de ces pays vis-à-vis de leur marché du travail, à la frilosité des ouvertures vers les pays extracommunautaires et plus généralement à une défiance vers l’immigration d’Afrique subsaharienne, perçue comme une immigration de peuplement beaucoup plus que comme une immigration de travail.

8. La difficile européanisation des politiques migratoires

36. L’européanisation des politiques migratoires est en effet loin d’être achevée. De nombreux sujets divisent les Européens aussi bien dans la maîtrise des flux que dans la gestion des stocks. Les législations sont différentes, parfois inexistantes, et de nombreuses questions restent posées avec pour chacun des réponses différentes.
37. Il en est ainsi du regroupement familial. A qui doit-il s’appliquer? Couples mariés ou non, pacsés, à relation stable prouvée, couples homosexuels, familles polygames? Quels sont les cas d’extension, ascendants, descendants, enfants adoptés? Et quel est l’âge limite de ces derniers? Quel est le montant des ressources nécessaires pour celui qui accueille? Faut-il compter les prestations sociales ou seulement les salaires? Une garantie bancaire doit-elle être fournie? Quelle est par ailleurs la taille requise du logement en fonction du nombre de personnes accueillies, la durée ou la pérennité du titre de séjour, les prestations auxquelles ont droit les bénéficiaires?
38. Il en va de même pour l’aide médicale. De nombreux migrants, et pas seulement ceux qui viennent pour des raisons médicales, parviennent dans le pays d’accueil dans un état de santé alarmant. Les pays ne se sont pas saisis de cette situation pour rapprocher leurs législations. Quels doivent être les bénéficiaires de cette aide médicale, les migrants en situation régulière ou également ceux en situation irrégulière? Comment est établi le dossier médical et notamment quelle est la liaison avec le pays d’origine pour les traitements subis antérieurement? Quelle est la durée maximale du séjour et du traitement pour le malade atteint d’affections graves ou irréversibles? Comment s’opère sa prise en charge financière: caution du malade ou non, part respective de l’Etat et du malade? Quel est le statut du malade quia recouvré la santé: départ immédiat, départ différé, ou installation autorisée dans le pays d’accueil?
39. L’apprentissage de la langue du pays d’accueil qui devient progressivement une exigence de ces pays peut s’entendre différemment selon la qualité des personnes qui sont tenues à cet apprentissage (migration définitive ou temporaire, extension aux ascendants et descendants), le niveau de connaissance requis, l’existence ou non d’un examen à l’entrée. Existe-t-il une formation dispensée au migrant? L’est-elle avant l’arrivée ou après, obligatoire ou facultative, sanctionnée ou non par une décision d’accueil, d’ajournement ou de renvoi?
40. Le respect des pratiques religieuses et des traditions pose également de redoutables problèmes aux législateurs et n’est pas toujours perçu favorablement par le pays hôte. La majorité des migrants en provenance de l’Afrique subsaharienne est aujourd’hui musulmane et éprouve des difficultés notables à pratiquer sa religion dans des conditions acceptables. Par ailleurs, certaines de leurs coutumes traditionnelles (excision, polygamie…) choquent la très grande majorité des opinions publiques mais ne sont pas sanctionnées dans tous les pays de la même manière.

9. Conclusions: les scénarios du futur

41. Face à cette situation, chercheurs et responsables politiques ont tenté d’esquisser ce que pourrait être une Europe du XXIe siècle où globalisation, internationalisation et mondialisation réguleraient les transferts des personnes, des messages et des biens. Ces scénarios, qui s’appuient sur des hypothèses démographiques et géopolitiques controversées, se déclinent selon cinq variantes.
42. Il existe plusieurs scénarios: celui d’une Europe forteresse qui résiste à la poussée migratoire subsaharienne, ainsi que des scénarios multiculturels où la mixité sociale et la diversité des cultures cohabiteraient paisiblement dans une Europe de toutes les couleurs.
43. Les scénarios de la vulnérabilité, considérant les flux migratoires comme inéluctables, s’interrogent sur les risques qu’ils font peser sur les Etats européens confrontés à des menaces de krach financier (dette publique, euro trop fort), politique (islamisme militant), écologique (pollution) ou technologique (cybercriminalité). Ils plaident pour une aide au développement sous diverses formes (remise de dettes, codéveloppement, remigration, investissements privés, immigration virtuelle), qui freinerait l’immigration.
44. Les scénarios volontaristes tendent à conjurer les faiblesses de l’Europe par une politique qui favorise l’allongement de la durée du travail, réduire le chômage des jeunes et encourager la fécondité. L’idée est qu’en produisant plus et en consommant mieux, l’Europe libérera des niches d’emplois: aides à la personne, animation sportive et culturelle, emplois de proximité. Celles-ci permettraient à des immigrés peu formés de trouver un travail correctement rémunéré, à la mesure de leurs capacités.
45. Enfin les scénarios de l’ouverture, prenant acte du déclin démographique et géopolitique de l’Europe, préconisent une association avec d’autres puissances. Cette ouverture a successivement été envisagée vers l’Est (la «Grande Europe de l’Irlande à l’Oural») puis vers les Balkans et la Turquie. Elle se centre aujourd’hui vers un partenariat euro-méditerranéen (Accords de Barcelone, Conférence de Rabat, appel de Tanger du Président français Sarkozy) qui développerait un espace de libre-échange, voire de libre circulation sur les deux rives de la Méditerranée et pourrait favoriser une coopération Sud-Sud qui reste aujourd’hui à l’état d’ébauche.
46. Le rapporteur a conscience que les problèmes actuels des migrants originaires de l’Afrique subsaharienne doivent être abordés dans la perspective large du XXIe siècle où, comme le disent certains hommes politiques, «l’Afrique est l’avenir de l’Europe». Il sait en même temps que les futurologues ne sont pas les décideurs et qu’aucun d’eux n’est en mesure de résoudre les problèmes immédiats que se posent et que posent à ceux qui les reçoivent les migrants originaires de l’Afrique subsaharienne. Il est néanmoins convaincu que pour dénoncer les amalgames et les schématisations, pour remplacer le réflexe par la réflexion, pour éviter la langue de bois et l’approche compassionnelle, pour combattre le non-dit, le vite dit, le mal dit et le trop dit, le devoir d’informer est une priorité absolue. Aussi invite-t-il résolument l’Assemblée à faire l’inventaire des questions qui restent obscures et des chantiers non encore explorés afin que la prise de conscience par l’Europe de l’importance, de la complexité et de l’impact des migrations subsahariennes permette d’avancer vers la définition d’une politique migratoire qui soit à la fois accueillante, rigoureuse et efficace.

Commission chargée du rapport: commission des migrations, des réfugiés et de la population.

Renvoi en commission: Doc. 10717 et Renvoi no 3148, 25 novembre 2005 – Prolongation de la validité du renvoi jusqu’au 30 mai 2008.

Projet de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 22 janvier 2008.

Membres de la commission: Mme Corien W.A. Jonker (Présidente), M. Doug Henderson (1er Vice-Président), M. Pedro Agramunt (2e Vice-Président), M. Alessandro Rossi (3e Vice-Président), Mme Tina Acketoft, M. Ioannis Banias, Mme Donka Banović, M. Akhmed Bilalov, M. Italo Bocchino, M. Jean-Guy Branger, M. Márton Braun, M. André Bugnon, Lord Burlison, M. Mevlüt Çavuşoğlu, M. Sergej Chelemendik, M. Christopher Chope, M. Boriss Cilevičs, Mme Minodora Cliveti, M. Telmo Correia, M. Ivica Dačić, M. Joseph Debono Grech, M. Taulant Dedja, M. Nikolaos Dendias, M. Mitko Dimitrov, M. Karl Donabauer, M. Tuur Elzinga, M. Valeriy Fedorov, M. Oleksandr Feldman, Mme Doris Fiala, M. Paul Giacobbi, Mme Gunn Karin Gjul, Mme Angelika Graf, M. John Greenway, M. Tony Gregory, M. Andrzej Grzyb, M. Michael Hagberg, Mme Gultakin Hajiyeva, M. Davit Harutyunyan, M. Jürgen Herrmann, M. Bernd Heynemann, M. Jean Huss, M. Ilie Ilaşcu, M. Tadeusz Iwiński, M. Mustafa Jemiliev (remplaçante: Mme Olena Bondarenko), M. Tomáš Jirsa, M. Reijo Kallio, M. Hakki Keskin, M. Egidijus Klumbys, M. Dimitrij Kovačič, M. Andros Kyprianou, M. Geert Lambert, M. Massimo Livi Bacci, M. Younal Loutfi (remplaçante: Mme Aneliya Atanasova), M. Andrija Mandić, M. Jean-Pierre Masseret, M. Slavko Matić, M. Giorgio Mele, Mme Ana Catarina Mendonça, M. Gebhard Negele, M. Hryhoriy Omelchenko, Mme Vera Oskina, M. Morten Østergaard, M. Grigore Petrenco, M. Cezar Florin Preda, M. Gabino Puche, M. Milorad Pupovac, Mme Mailis Reps, Mme Michaela Sburny, M. André Schneider, M. Samad Seyidov, M. Steingrímur J. Sigfússon, Mme, M. Giacomo Stucchi, M. Vilmos Szabó, Mme Elene Tevdoradze, M. Tuğrul Türkeş, Mme Özlem Türköne, Mme Rosario Velasco García, M. Michał Wojtczak, M. Andrej Zernovski, M. Vladimir Zhirinovsky, M. Jiří Zlatuška, N., N.

N.B. Les noms des membres présents à la réunion sont indiqués en gras.

Voir 18e séance, 18 avril 2008 (adoption du projet de résolution); et Résolution 1611.