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Rapport | Doc. 12440 | 29 novembre 2010

La protection des témoins: pierre angulaire de la justice et de la réconciliation dans les Balkans

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Jean-Charles GARDETTO, Monaco, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 11522, Renvoi 3431 du 14 avril 2008. 2011 - Première partie de session

Résumé

Près de vingt ans se sont écoulés depuis le début des conflits en ex-Yougoslavie, conflits marqués par des violations flagrantes du droit humanitaire international, et notamment par des crimes contre l’humanité et des génocides. Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) a pu rendre justice à des milliers de victimes en condamnant plusieurs criminels, parmi les pires, pour des atrocités commises pendant les conflits. Le mandat du TPIY arrive bientôt à échéance et les tribunaux nationaux des pays concernés prennent le relais de ce travail de justice fondamental.

Pour le TPIY et les tribunaux nationaux, les dépositions de témoins sont indispensables. En témoignant, ceux-ci contribuent de manière capitale à la justice et à la réconciliation dans la région, puisque non seulement les tribunaux s’appuient sur leurs témoignages pour rendre leurs décisions, mais que leurs dépositions révèlent aussi aux habitants de la région et à la communauté internationale la vérité sur les crimes commis. Les témoins qui se présentent au nom de la vérité doivent pouvoir bénéficier d’une assistance et d’une protection fiable et durable.

Des progrès considérables ont été faits dans la région, par la mise en place de structures de protection et d’assistance pour les personnes qui acceptent de témoigner devant des tribunaux nationaux. De sérieuses améliorations restent toutefois nécessaires à cet égard. En effet, à cause de menaces, d’intimidations ou même d’assassinats, des témoins potentiels décident de ne pas déposer devant les tribunaux nationaux des pays concernés parce qu’ils craignent pour leur vie ou celle de leur famille. Enfin, nombre de témoins n’ayant pas reçu la protection et le soutien qu’ils méritent, d’autres peuvent être dissuadés de venir déposer.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 21 juin
2010.

(open)
1. Près de vingt ans se sont écoulés depuis le début des conflits en ex-Yougoslavie, conflits marqués par des violations flagrantes du droit humanitaire international, et notamment par des crimes contre l’humanité et des génocides. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a créé le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) afin de poursuivre les personnes ayant commis de graves violations du droit international humanitaire sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991.
2. L’Assemblée parlementaire a connaissance du fait que le mandat du TPIY vient bientôt à échéance et se félicite que la majorité des affaires portant sur des crimes de guerre soient désormais jugées par les tribunaux nationaux des Etats concernés.
3. Rappelant sa Résolution 1564 (2007) sur les poursuites engagées pour les crimes relevant de la compétence du TPIY, l’Assemblée souligne qu’il est urgent de protéger les témoins, puisque les témoignages – et avec eux une partie de la vérité – sont perdus à jamais lorsque les témoins ne sont plus en vie. Les témoins qui se présentent au nom de la vérité et de la justice doivent pouvoir bénéficier d’une protection fiable et durable. Sans la protection et le soutien dont les témoins ont besoin pour pouvoir témoigner, il ne peut y avoir ni justice ni réconciliation.
4. L’Assemblée constate avec consternation que, dans la région de l’ex-Yougoslavie, plusieurs témoins ont été tués et que beaucoup d’autres ont été victimes d’intimidations ou de menaces, ou que leur identité a été révélée par des personnes déterminées à entraver le cours de la justice et à occulter la vérité. L’Assemblée regrette qu’en raison de ces menaces un grand nombre de témoins décident finalement de ne pas témoigner parce qu’ils craignent pour leur vie ou celle de leur famille.
5. Pour beaucoup de témoins, témoigner est une expérience éprouvante, qui les oblige à revivre des événements traumatisants. L’Assemblée s’inquiète du fait que nombre d’entre eux ne témoignent pas faute d’avoir reçu une assistance adéquate de la part des autorités. Elle a également conscience que beaucoup de témoins potentiels pensent encore qu’ils seront perçus comme des traîtres s’ils témoignent dans des affaires de crimes de guerre.
6. L’Assemblée souligne en outre les difficultés spécifiques rencontrées par les «témoins de l’intérieur», en particulier ceux qui ont servi dans les forces armées ou dans la police, et insiste sur la nécessité de garantir que les équipes de protection des témoins soient véritablement impartiales et n’aient pas d’intérêt de quelque nature que ce soit dans les procès.
7. L’Assemblée est d’avis que les témoins ont le droit d’être physiquement protégés de manière à pouvoir déposer en toute sécurité et sans crainte. Elle considère, par ailleurs, que les témoins devraient bénéficier d’une assistance – y compris juridique et psychologique – avant, pendant et après le procès. Tout en reconnaissant le travail accompli par certaines ONG à cet égard, l’Assemblée déplore que l’aide aux témoins soit souvent négligée dans les Etats concernés et encourage vivement les autorités à leur prêter assistance, soit par le biais de programmes gouvernementaux soit en collaboration avec des personnes qualifiées travaillant pour des ONG.
8. Au niveau international, tout en reconnaissant le travail important et de pionnier accompli par le TPIY – qui a élaboré des mesures procédurales et créé des précédents pour la protection des témoins dans les affaires de crimes de guerre – et le rôle essentiel de la Section victimes et témoins du TPIY, l’Assemblée observe avec inquiétude que le Règlement de procédure et de preuve du TPIY prévoit – en vue de garantir les droits de la défense – que le procureur est tenu de divulguer aux parties l’identité d’un témoin anonyme trente jours avant le procès.
9. L’Assemblée considère qu’il ne peut être dans l’intérêt de la justice de révéler systématiquement à la défense l’identité de tous les témoins anonymes. Dans le cas où la divulgation de l’identité d’un témoin expose cette personne à un risque disproportionné, l’Assemblée considère que le TPIY peut envisager de faire appel à un «avocat spécial», indépendant de l’accusation et de la défense, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
10. Comme elle le déclarait déjà dans sa Résolution 1564 (2007), l’Assemblée a également la conviction que «[é]tant donné l’engagement à long terme (et moral) du TPIY vis-à-vis de ses propres témoins, un mécanisme résiduel devrait aussi être mis en place afin de continuer à assurer la protection des témoins lorsque le mandat du tribunal sera échu». Elle estime qu’une fois ce mandat échu, il serait plus économique et plus efficace de confier le mécanisme résiduel à la Cour pénale internationale.
11. Au niveau national, l’Assemblée reconnaît que les pays concernés ont adopté des lois et des réglementations sur la protection des témoins et que beaucoup de témoins ont été protégés dans la région à la suite de ces mesures.
12. Toutefois, l’Assemblée note avec inquiétude qu’en pratique le niveau de protection des témoins varie considérablement dans la région ainsi qu’à l’intérieur des pays concernés et que – sans doute pour des raisons financières – les programmes d’assistance et de protection des témoins semblent moins utilisés que ne le requiert la sécurité des témoins. Trop souvent, le système existant dispose de capacités limitées et souffre d’un manque de confiance de la population, de l’absence d’un cadre juridique adéquat, d’un financement, d’aménagements et d’équipements techniques insuffisants, ainsi que d’un manque de coordination et de coopération entre les acteurs concernés.
13. L’Assemblée note avec satisfaction qu’une coopération accrue entre les Etats concernés a permis aux témoins d’être protégés lorsqu’ils se déplacent d’un pays à l’autre et que le recours aux dispositifs de vidéoconférence a permis à des témoins de déposer sans avoir à se rendre dans le pays où l’affaire est jugée et de se mettre ainsi en danger.
14. L’Assemblée se félicite de la contribution de la communauté internationale au financement et à la formation sur la protection des témoins dispensés dans les pays concernés. Elle reconnaît en particulier le rôle important joué par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) dans la région, notamment le travail de suivi qu’elle a accompli dans les procès relatifs aux crimes de guerre et en ce qui concerne la formation et la sensibilisation à la protection des témoins dans les tribunaux nationaux. Elle encourage l’OSCE à poursuivre cette tâche importante.
15. L’Assemblée reconnaît en outre le travail accompli par le Programme des Nations Unies pour le Développement en Croatie, qui a élaboré des programmes d’assistance aux témoins pour les aider et les conseiller dans quatre tribunaux tests. Elle se félicite que les autorités croates aient pris le relais, mais regrette que la majorité des tribunaux de la région n’aient pas institutionnalisé ce genre de programmes. Elle encourage les autorités des pays concernés à étendre ces programmes à tous les tribunaux ayant à connaître de crimes graves.
16. En conséquence, l’Assemblée invite:
16.1. les autorités compétentes des Etats et territoires concernés:
16.1.1. à mettre pleinement en œuvre les recommandations du Comité des Ministres, R (97) 13 sur l’intimidation des témoins et les droits de la défense et Rec(2005)9 relative à la protection des témoins et des collaborateurs de justice;
16.1.2. à modifier leur législation interne, s’il y a lieu, de manière à ce que, dans les cas extrêmes, l’identité des témoins puisse être gardée secrète, même pour la défense, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme;
16.1.3. à accroître les moyens alloués aux programmes de protection des témoins, à doter les tribunaux des aménagements et des équipements techniques nécessaires, et à créer une autorité autonome, distincte de la police et des organes d’instruction, pour superviser les programmes et allouer les financements nécessaires;
16.1.4. à prendre des mesures pour garantir que tous les juges, procureurs, agents de police et autres personnels en contact avec les témoins dans des affaires portant sur des crimes graves bénéficient d’une formation complète à la protection des témoins et aux mesures disponibles pour ce faire;
16.1.5. à encourager l’institution judiciaire et les procureurs à enquêter rapidement et efficacement sur toutes les allégations d’intimidation et de menaces à l’encontre de témoins et à faire en sorte que les personnes qui mettent en danger les témoins soient sanctionnées;
16.1.6. à prendre des mesures pour garantir que les témoins soient informés des mesures de protection et de soutien dont ils peuvent bénéficier avant, pendant et après le procès;
16.1.7. à financer et à élaborer des programmes d’assistance aux témoins, en s’appuyant sur le modèle mis en œuvre par le Programme des Nations Unies pour le développement en Croatie, dans tous les tribunaux recevant des témoins dans des affaires de crimes graves;
16.1.8. à veiller à ce que des mesures d’assistance soient disponibles dès le début de la phase d’enquête, en créant par exemple des sections d’assistance aux témoins employant des travailleurs sociaux et des psychologues, notamment dans les bureaux des procureurs spécialisés;
16.1.9. à définir des règles et des critères en ce qui concerne le rôle des ONG ou des centres médico-sociaux auprès des témoins, et à garantir un financement adapté pour pérenniser les services qu’ils rendent et leur expertise, et à suivre leurs activités afin de s’assurer que le service rendu reste conforme à ces règles et à ces critères;
16.1.10. à poursuivre et à renforcer leur coopération dans les poursuites engagées contre les auteurs de crimes de guerre;
16.2. les autorités de Bosnie-Herzégovine:
16.2.1. à mettre en œuvre sans délai les propositions formulées dans la Stratégie nationale sur les crimes de guerre;
16.2.2. à adopter des mesures législatives qui permettent à l’Agence d’investigation et de protection de l’Etat de mettre en place des programmes de protection des témoins dans tous les tribunaux du pays, et à veiller à ce que l’agence dispose de ressources suffisantes, à la fois financières et humaines, pour assister les témoins pendant la phase d’enquête ainsi que pendant et après le procès;
16.2.3. à veiller à l’harmonisation de la jurisprudence, à envisager de créer une cour suprême ou de doter une juridiction existante des pouvoirs d’une cour suprême, pour garantir la sécurité juridique en unifiant l’interprétation de la règle de droit;
16.3. les autorités de Croatie:
16.3.1. lorsque les témoins pourraient courir des risques, à recourir à l’un des quatre tribunaux principaux dotés de compétences spéciales en vue de connaître des crimes de guerre ou de la criminalité organisée;
16.3.2. à étendre les programmes d’assistance aux témoins établis par le Programme des Nations Unies pour le développement à tous les tribunaux ayant à connaître de crimes graves en Croatie;
16.4. les autorités du Monténégro à mener une enquête approfondie sur toutes les intimidations, menaces, et attaques dont les témoins font l’objet et à les protéger avant, pendant et après leur déposition dans les affaires de crimes graves;
16.5. les autorités de Serbie:
16.5.1. à créer et à mettre en œuvre une procédure organisant le fonctionnement de l’Unité de protection des témoins, à allouer les ressources nécessaires à son bon fonctionnement et à adapter la législation pour que tous les tribunaux ayant à connaître de crimes graves, autres que la Chambre spéciale chargée des crimes de guerre, puissent avoir recours à cette unité;
16.5.2. à envisager le transfert de l’Unité de protection des témoins sous l’autorité du ministère de la Justice afin d’éviter tout conflit d’intérêts entre les membres de cette unité et les témoins qu’ils sont censés protéger;
16.6. les autorités du Kosovo 
			(2) 
			Toute référence
au Kosovo mentionnée dans ce texte, que ce soit le territoire, les
institutions ou la population, doit se comprendre en pleine conformité
avec la Résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies
et sans préjuger du statut du Kosovo.:
16.6.1. à s’attaquer sérieusement aux problèmes rencontrés par les témoins, vu les situations critiques auxquelles ils sont confrontés et qui se sont soldées par l’assassinat de plusieurs d’entre eux;
16.6.2. à adopter des mesures législatives qui prévoient la protection des témoins qui déposent dans des affaires de crimes de guerre et autres crimes graves pendant les phases d’enquête, de jugement et après le procès, y compris la création et le fonctionnement d’unités de protection et d’assistance aux témoins, et à les mettre pleinement en œuvre;
16.7. l’Union européenne à continuer à faire de la protection effective des témoins un critère essentiel pour la mise en œuvre d’un partenariat avec les pays concernés, et à fournir davantage d’effectifs à l’Unité de protection des témoins de l’EULEX;
16.8. tous les Etats membres:
16.8.1. à accepter et à organiser la réinstallation sur leurs territoires de témoins menacés, en particulier ceux originaires du Kosovo;
16.8.2. à envisager de financer les dispositifs destinés à la protection des témoins ainsi que la formation appropriée du personnel chargé de mener à bien cette tâche, et à examiner la possibilité de prendre à leur charge une partie des dépenses courantes générées par les témoins réinstallés dans leur pays;
16.9. la communauté internationale à continuer de se charger du financement, de l’expertise et de la formation en matière de protection et d’assistance aux témoins dans la région;
16.10. le TPIY:
16.10.1. à examiner la possibilité de modifier le Règlement de procédure et de preuve, de manière à ce que, dans les cas extrêmes, l’identité des témoins puisse être gardée secrète, même pour la défense, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme;
16.10.2. à mettre en place un mécanisme résiduel afin de continuer à assurer la protection des témoins lorsque le mandat du tribunal sera échu, par exemple en confiant cette mission à la Cour pénale internationale.

B. Projet de recommandation 
			(3) 
			Projet
de recommandation adopté à l’unanimité par la commission le 21 juin
2010.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire, se référant à sa Résolution … sur la protection des témoins: pierre angulaire de la justice et de la réconciliation dans les Balkans, partage pleinement l’avis du Comité des Ministres, formulé dans sa Recommandation Rec(2005)9 relative à la protection des témoins et des collaborateurs de justice, selon laquelle «le champ d’application et la mise en œuvre rapide et efficace de la coopération internationale en matière de protection des témoins et des collaborateurs de justice, y compris avec les juridictions internationales pertinentes, devraient être améliorés».
2. Tout en soulignant l’urgence de la protection efficace des témoins, l’Assemblée insiste sur la nécessité de veiller à la pleine mise en œuvre des Recommandations du Comité des Ministres R(97)13 sur l’intimidation des témoins et les droits de la défense et Rec(2005)9 relative à la protection des témoins et des collaborateurs de justice.
3. En conséquence, l’Assemblée appelle le Comité des Ministres:
3.1. à charger ses comités compétents de préparer un rapport d’évaluation sur le degré d’application des Recommandations Rec(2005)9 et R (97) 13 à soumettre à l’Assemblée parlementaire;
3.2. à charger le Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC) d’entreprendre une étude de faisabilité pour déterminer si la protection et l’assistance aux témoins pourraient faire l’objet d’une future convention du Conseil de l’Europe.

C. Exposé des motifs, par M. Gardetto, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le 31 janvier 2008, des membres de l’Assemblée parlementaire ont présenté une proposition de résolution sur la protection des témoins: pierre angulaire de la justice et de la réconciliation dans les Balkans (Doc. 11522). La commission des questions juridiques et des droits de l’homme a nommé le rapporteur le 2 juin 2008.
2. Il apparaît utile de rappeler les différentes étapes suivies pour la préparation du présent rapport. Les 8 et 9 avril 2009, le rapporteur s’est rendu à La Haye où il a eu des discussions avec des représentants du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (ci-après «le TPIY» ou «le tribunal»). Cette visite avait pour objectif de comprendre les enjeux auxquels doit faire face le TPIY dans la phase d’achèvement de ses travaux ainsi que les difficultés que la fermeture prochaine du tribunal pourrait engendrer en ce qui concerne l’efficacité du système international de protection des témoins devant ce tribunal.
3. Par la suite, au printemps 2010, le rapporteur s’est rendu à Zagreb (Croatie), à Belgrade (Serbie), à Sarajevo (Bosnie-Herzégovine) et à Pristina (Kosovo) pour se faire une idée plus précise de la situation 
			(4) 
			Ces visites ont eu lieu les 2-3 février,
4-5 février, 9-10 mars et 15-16 avril 2010 respectivement.. Il y a rencontré nombre de responsables gouvernementaux, de parlementaires et de magistrats, des représentants des missions du TPIY, de l’Union européenne et de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), ainsi que des représentants d’organisations non gouvernementales.
4. Ces différentes étapes témoignent du soin avec lequel le présent rapport a été préparé.
5. En 2007, l’Assemblée a élaboré un rapport intitulé «Poursuites engagées pour les crimes relevant de la compétence du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie» 
			(5) 
			Doc. 11281 de l’Assemblée.. Ce rapport évalue, entre autres, les juridictions nationales et leur capacité à juger des crimes de guerre. Dans ce contexte, il examine la protection et le soutien apportés aux témoins et montre que ces derniers ne sont pas suffisamment protégés au cours des procès conduits dans les juridictions nationales, en raison, entre autres, de vides juridiques mais également de difficultés procédurales. Dans la Résolution 1564 (2007), l’Assemblée appelle les gouvernements nationaux à «renforcer la protection des témoins au niveau national et la coordination régionale en la matière, et à en préciser les garanties législatives».
6. Dans ce rapport, l’Assemblée souligne également que, «à ce jour, seule une infime partie des responsables de crimes de guerre a été traduite en justice. Le processus de réconciliation, aussi long et douloureux qu’il puisse être, nécessite encore de nombreux efforts». Le moment est venu pour les Etats concernés d’assurer le relais du tribunal et de poursuivre devant leurs juridictions nationales les responsables de crimes de guerre n’ayant pas encore été traduits en justice. Ce travail a déjà commencé dans les Etats où les tribunaux nationaux font face à un nombre très important d’affaires de crimes de guerre 
			(6) 
			A cet égard, le rapporteur
renvoie le lecteur au rapport intitulé «Les Etats membres du Conseil
de l’Europe doivent coopérer pour réprimer les crimes de guerre»,
présenté par la commission des questions juridiques et des droits
de l’homme (rapporteur: M. Doric, Croatie, ADLE, Doc. 12454).. Dans ce contexte, la protection des témoins, acteurs clés des poursuites engagées contre les auteurs de crimes de guerre, est une question extrêmement urgente.
7. Compte tenu du temps qui s’est écoulé depuis les événements, les éléments matériels nécessaires aux poursuites pénales dans les affaires de crimes de guerre commis pendant la guerre des Balkans à la fin des années 1990 ont en général disparu. Pour découvrir la vérité et poursuivre les criminels, il est donc indispensable de faire appel aux témoins, qui sont un élément clé du fonctionnement de la justice. Cette démarche est capitale pour lutter contre l’impunité, restaurer la confiance dans la région et contribuer au processus de réconciliation dans les Balkans.
8. Il arrive que des témoins potentiels, face à de nombreuses menaces, décident de ne pas témoigner devant les tribunaux nationaux des Etats concernés. C’est pour cette raison que le présent rapport évalue les systèmes de protection et d’assistance apportés aux témoins actuellement en place dans les pays qui doivent traiter le plus grand nombre d’affaires ou dans lesquels cette question est particulièrement critique, à savoir la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, le Monténégro, la Serbie et le Kosovo. Ces systèmes sont comparés aux normes établies par le TPIY.
9. Les informations collectées par le rapporteur au cours de ses visites dans la région se sont révélées particulièrement importantes d’un point de vue tant qualitatif que quantitatif. Le rapporteur a constaté que les systèmes actuellement en place n’apportent pas toujours une protection suffisante aux personnes appelées à témoigner dans des affaires de crimes de guerre (et dans celles relevant de la criminalité organisée) jugées par des tribunaux nationaux. Les conséquences sont multiples: divulgation de l’identité de témoins protégés en Croatie, menaces et intimidation de témoins en Bosnie-Herzégovine, personnes assassinées au Kosovo alors qu’elles étaient sur le point de témoigner, etc.
10. L’amélioration de la protection des témoins au niveau national et la coordination au niveau régional sont essentielles au bon fonctionnement de la justice et à l’application effective de la loi. Parallèlement, il importe d’aider les témoins, si cela est nécessaire, avant, pendant et après le procès pour s’assurer qu’ils apportent leurs témoignages en toute confiance. En réalité, la peur qu’ils éprouvent n’est pas toujours le fait d’une menace physique: de nombreux témoins sont en effet des victimes ou ont survécu à des atrocités et le fait de raconter de nouveau leur histoire est souvent un processus psychologiquement traumatisant qui requiert une assistance adaptée. En outre, le rapporteur s’est entretenu avec de nombreuses personnes qui lui ont fait part de la peur, largement répandue, d’être considérés comme des traîtres, notamment parmi celles qui ont servi dans les forces armées ou dans la police.

2. Définition des termes

2.1. Protection des témoins

11. Le mot «témoin» désigne toute personne détenant des informations pertinentes pour une procédure pénale dans le cadre de laquelle il ou elle a témoigné et/ou est en mesure de le faire (quel que soit son statut et quelle que soit la forme du témoignage – directe ou indirecte, orale ou écrite – selon le droit national) 
			(7) 
			Définition
figurant dans la <a href='http://www.coe.int/t/dghl/standardsetting/victims/recR(97)13f.pdf'>Recommandation
no R (97) 13</a> du Comité des Ministres sur l’intimidation
des témoins et les droits de la défense..
12. Bien que la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après «CEDH» ou «la Convention») ne mentionne pas explicitement la protection des témoins, la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour») a commencé à établir une jurisprudence sur la protection des témoins en relation avec plusieurs articles de la Convention: obligation faite à l’Etat de protéger la vie (article 2); obligation faite à l’Etat de protéger le droit de quiconque apporte un témoignage à ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants (article 3); droit au respect de la vie privée et familiale (article 8). La Cour veille toujours à trouver un juste équilibre entre ces droits et le droit du prévenu à un procès équitable (article 6) 
			(8) 
			Voir, par exemple, Doorson c. Pays-Bas, arrêt du 26
mars 1996, paragraphe 70, Recueil 1996-II; Van
Mechelen et autres c. Pays-Bas, arrêt du 23 avril 1997,
paragraphe 58, Recueil 1997-III; Jasper
c. Royaume-Uni (Grande Chambre), Requête no 27052/95,
paragraphes 51-53, Recueil 2000-II; S.N.
c. Suède, Requête no 34209/06, paragraphe 47, Recueil 2002-V..
13. Le Conseil de l’Europe a œuvré activement à la promotion de normes en matière de protection des témoins dans l’ensemble de ses Etats membres. Le Comité des Ministres a ainsi adopté plusieurs recommandations qui traitent de ce sujet, plus précisément la Recommandation no R (97) 13 sur l’intimidation des témoins et les droits de la défense, qui, entre autres, reconnaît la nécessité de protéger les témoins avant, pendant et après le procès, et la Recommandation Rec(2005)9 relative à la protection des témoins et des personnes qui collaborent avec la justice, qui demande instamment aux Etats membres de renforcer la protection apportée aux témoins. Cette dernière recommande les types de mesures qu’il convient de prendre et préconise un renforcement de la coopération internationale dans le domaine de la protection des témoins.
14. Si de nombreux Etats ont adopté des programmes de protection des témoins sous une forme ou sous une autre, le niveau de protection qu’ils offrent varie considérablement. Certains programmes, simplement inscrits dans la législation, ne sont rien de plus qu’un exercice purement formel, et sont dépourvus des ressources financières nécessaires ou des mesures d’application pratique visant à protéger effectivement les témoins, alors que d’autres constituent une aide réelle dans le combat des autorités contre le crime organisé 
			(9) 
			Voir
Vega Gonzalez P. and Festerman C., Ending
threats and reprisals against victims of torture and related international
crimes, Redress, Londres, 2009..
15. Tout un éventail de mesures est envisageable: des mesures préalables au procès, notamment le placement d’un témoin en résidence protégée ou l’obtention d’une injonction dirigée contre l’accusé pour l’empêcher d’intimider le témoin, à des mesures de protection pendant le procès, par exemple l’exclusion de l’accusé de la salle d’audience pendant l’audition du témoin et l’utilisation de la vidéoconférence. Les menaces dirigées contre le témoin sont parfois tellement graves qu’il est nécessaire de recourir à des témoignages anonymes, en octroyant au témoin un pseudonyme ou en utilisant des outils technologiques d’altération de la voix 
			(10) 
			Il convient de toujours
mettre en balance le recours à des témoins anonymes et le droit
de l’accusé à un procès équitable.. D’autres mesures de protection plus radicales (et coûteuses) sont possibles, notamment en vue de protéger le témoin après le procès, comme le changement de son identité après le procès et sa réinstallation à l’étranger.
16. Parce qu’elles peuvent gravement perturber la vie du témoin et porter atteinte au droit de l’accusé à un procès équitable, les mesures de protection devraient être régies par des règles de droit contraignantes 
			(11) 
			Pour une étude plus approfondie,
voir Good practice for the protection
of witnesses in criminal proceedings involving organized crime,
ONUDC, Vienne, 2008, et Conseil de l’Europe, Protecting
witnesses of serious crime: training manual for law enforcement
and judiciary, Editions du Conseil de l’Europe, Strasbourg,
2006, p. 30.. Dans son étude sur les bonnes pratiques, l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime recommande de créer une autorité autonome, distincte de la police et des organes d’instruction, pour superviser les programmes de protection des témoins et d’y consacrer les fonds nécessaires, mesure indispensable pour garantir un contrôle attentif du système et la coordination des différents programmes à mettre en œuvre, y compris éventuellement pour fournir au témoin un nouveau logement et lui apporter un soutien psychologique.
17. Pour que les mesures de protection des témoins soient efficaces, il importe d’enquêter avec soin sur les allégations d’intimidation des témoins et de prévoir des mesures visant à sanctionner les personnes qui mettraient des témoins protégés en danger. Le TPIY a déjà engagé des poursuites judiciaires à l’encontre de plusieurs personnes pour divulgation de l’identité de témoins protégés et mise en danger de ces témoins. En revanche, le rapporteur a eu écho de nombreux exemples dans la région de l’ex-Yougoslavie, qui sont contraires à cette approche, montrant que les autorités se sont abstenues de sanctionner certaines personnes ayant divulgué publiquement l’identité de témoins protégés (par exemple via leur propre site internet!).

2.2. Assistance aux témoins

18. Une étude sur la protection des témoins serait incomplète sans un chapitre consacré à l’assistance aux témoins. Témoigner devant la police ou un tribunal est souvent une expérience traumatisante, car la victime ou le témoin doit se remémorer et revivre des expériences le plus souvent extrêmement pénibles et douloureuses. De plus, le témoignage devant un tribunal constitue, pour de nombreuses personnes, la première expérience du système de justice pénale, expérience particulièrement impressionnante, notamment pour ceux qui se sentent menacés ou qui redoutent les conséquences de leur témoignage. Dans les affaires de crimes de guerre, les victimes et les témoins sont particulièrement vulnérables en raison de la nature des crimes jugés.
19. Le rapporteur estime qu’il est nécessaire d’apporter aux victimes et aux témoins une certaine forme d’assistance avant, pendant et après leur témoignage, faute de quoi le risque existe que des témoins ne se présentent pas, qu’ils délivrent des témoignages incomplets ou inappropriés et qu’ils souffrent de victimisation secondaire 
			(12) 
			La
victimisation secondaire résulte non pas directement de l’acte criminel,
mais de la réponse apportée à la victime par les institutions et
les individus. Les souffrances de la victime n’étant pas reconnues,
celle-ci peut se sentir isolée ou vulnérable et perdre foi en l’aide
de la collectivité et des organismes professionnels. En prolongeant
ou en aggravant le traumatisme de la victime, l’expérience de la
victimisation secondaire accentue les conséquences immédiates du
crime. Des opinions, des comportements, des actes ou des omissions
peuvent ainsi laisser la victime dans un sentiment d’étrangeté vis-à-vis
de la société dans son ensemble. Voir le paragraphe 46 de l’<a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=CM%282006%2961&Language=lanFrench&Ver=addrev&Site=CM&BackColorInternet=DBDCF2&BackColorIntranet=FDC864&BackColorLogged=FDC864'>exposé
des motifs de la Recommandation Rec(2006)8 sur l’assistance aux
victimes d’infractions</a>, ainsi que la Déclaration du Forum
européen des services aux victimes sur «Les droits sociaux des victimes
d’infractions pénales» (1998), p. 2..
20. Certes, le type d’assistance requis dépendra toujours de la personne amenée à témoigner et de sa vulnérabilité, mais les programmes de soutien devraient être vus comme un service essentiel et un élément capital de la bonne administration de la justice. Les Etats doivent offrir des services d’assistance aux témoins et encourager et faciliter le travail des organisations non gouvernementales qui aident les témoins 
			(13) 
			Dans la <a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=Rec%282006%298&Language=lanFrench&Ver=original&Site=CM&BackColorInternet=DBDCF2&BackColorIntranet=FDC864&BackColorLogged=FDC864'>Recommandation
Rec(2006)8</a>, le Comité des Ministres invite les Etats
membres à fournir un niveau minimum d’assistance aux victimes. Cette
recommandation s’applique également aux témoins. avant, pendant et après le procès 
			(14) 
			Le TPIY a récemment adressé des
recommandations concernant de bonnes pratiques en matière de soutien
aux témoins; voir <a href='http://www.icty.org/x/file/About/Reports and Publications/report_supporting_transition_en.pdf'>Supporting
the Transition Process: Lessons Learned and Best Practices in Knowledge
Transfer</a>, septembre 2009, p. 87-89..
21. Pendant l’instruction et avant le procès, les représentants des services chargés de faire appliquer la loi doivent interroger les témoins avec tact. Ces derniers doivent être informés de leurs droits et des mesures de protection et d’assistance dont ils peuvent bénéficier. Ils doivent aussi se voir proposer un soutien psychologique, notamment une thérapie et des conseils lorsque cela est nécessaire. Cette aide peut être apportée par l’Etat (par le biais de programmes publics) ou par des spécialistes employés par des ONG.
22. Il est important que les témoins bénéficient d’une assistance lorsqu’ils se rendent au tribunal pour témoigner. Au minimum, ils devraient être accompagnés d’un membre du personnel chargé de les assister et qui leur explique où ils doivent se rendre. Il convient également de prévoir du personnel pour les soutenir psychologiquement pendant les interruptions du procès.
23. Les locaux du tribunal doivent également être adaptés. Dans la mesure du possible, le tribunal devrait disposer d’une entrée distincte pour les témoins et d’une salle d’attente séparée. Il est en outre essentiel que les personnes se sentent à l’aise lorsqu’elles témoignent. Aussi la salle d’audience devrait-elle être aménagée de telle façon que les témoins ne se sentent pas intimidés par les accusés 
			(15) 
			Voir partie 4.2 ci-après relatif à la Croatie..
24. De façon générale, le rapporteur a constaté que, dans la région, l’assistance aux témoins après leur témoignage est souvent négligée. Or, c’est précisément à ce moment que le risque de victimisation secondaire est le plus important, car les témoins sont souvent livrés à un sentiment de (ré)exploitation, ce qui, du reste, peut avoir pour effet de décourager d’autres témoins éventuels.

3. Protection et assistance des témoins au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie

25. Les témoignages sont un élément fondamental du fonctionnement du TPIY. A travers leurs déclarations, les témoins contribuent en effet de façon essentielle à l’œuvre de justice, à la lutte contre l’impunité, à la restauration de la confiance des populations en leurs autorités, et par voie de conséquence à la réconciliation dans la région. Leurs témoignages servent non seulement de base aux jugements du tribunal mais permettent aussi aux habitants de la région, comme à la communauté internationale, de connaître la vérité sur les crimes commis. Le TPIY a fait œuvre de pionnier en matière de normalisation de la protection et de l’assistance apportées aux témoins. Pour statuer, les juges du TPIY s’appuient essentiellement sur des témoignages oraux, qui sont donc un élément indispensable à l’exécution du mandat du tribunal. Dans ce contexte, il est crucial que les témoins et les victimes puissent témoigner en toute sécurité.
26. Le rapporteur a décrit en détail le système de protection des témoins entendus par le TPIY dans une note d’information séparée. Ce document, déclassifié depuis par la commission, est disponible sur le site internet de l’Assemblée 
			(16) 
			Voir document
AS/Jur (2009) 38: <a href='http://assembly.coe.int/CommitteeDocs/2009/20090903_fjdoc38.pdf'>http://assembly.coe.int/CommitteeDocs-2009-20090903_fjdoc38.pdf</a>.. Le rapporteur considère que les informations contenues dans ce document font partie intégrante du présent rapport, et ne les répète pas ici (mais les utilise pour étayer certaines recommandations).
27. Le rapporteur souhaite toutefois souligner certaines limites inhérentes aux mesures de protection des témoins mises en place par le TPIY.
28. Lors de ses visites dans la région de l’ex-Yougoslavie, le rapporteur a été informé que la protection accordée aux témoins par le TPIY avant et après le procès était plutôt sommaire. La Section victimes et témoins (ci-après «section») n’est présente sur le terrain qu’à Sarajevo et ne compte que deux agents (entièrement dédiés à cette tâche et régulièrement soutenus sur le terrain par des agents basés à La Haye) chargés d’apporter aux témoins protection et assistance dans l’ensemble de la région. S’agissant de la protection des témoins avant leur départ pour La Haye, le rapporteur a été informé que la section n’assure pas la liaison avec les forces de police de la région 
			(17) 
			Le greffier du TPIY a précisé au rapporteur
que la section assure la liaison avec les forces de police locales
au cas par cas et avec l’accord express des témoins. Parfois, certains
témoins demandent expressément que la police locale ne soit pas
informée.. Le rapporteur a été troublé d’apprendre qu’un témoin avait décidé de ne pas témoigner dans une affaire devant le TPIY parce qu’il avait le sentiment que les mesures de protection dont il bénéficiait n’étaient pas suffisantes.
29. Par ailleurs, le rapporteur a été informé par une ONG qu’une femme – qui avait témoigné pour viol dans le procès Dragoljub Kunarac à La Haye – avait été placée à côté de représentants de la défense sur le vol du retour. Cet incident, qui a déclenché chez cette femme une réaction de panique, met en évidence, dans cette affaire, une mauvaise organisation logistique et un manque décevant de protection après le procès.
30. Il existe également un problème plus général de protection des personnes qui ont obtenu de témoigner de manière anonyme. Le droit de connaître l’identité du témoin déposant contre un accusé, tout comme le droit de ce dernier de contre-interroger ce témoin, font partie des droits fondamentaux de la défense 
			(18) 
			Voir
l’article 66 du <a href='http://www.icty.org/x/file/Legal Library/Rules_procedure_evidence/IT032_Rev42_fr.pdf'>Règlement
de procédure et de preuve</a> du tribunal. consacrés par les règles de procédure et de preuve du TPIY. Ainsi, toutes les personnes présentes dans le prétoire connaissent-elles l’identité du témoin (même lorsque des mesures de protection ont été mises en place pour garder son identité secrète). Le procureur est tenu de divulguer aux parties l’identité d’un témoin anonyme trente jours avant le procès. Le rapporteur constate que les législateurs de tous les pays de l’ex-Yougoslavie ont intégré cette disposition dans leur législation 
			(19) 
			Sur ce point particulier,
le rapporteur souhaiterait citer le procureur général de Bosnie-Herzégovine:
«Je pense qu’il est pertinent de souligner que la disposition selon
laquelle l’information doit être divulguée lorsque la personne témoigne au
procès principal est préjudiciable et contre-productive et qu’elle
s’applique, de façon quasiment rétroactive, au tout premier contact
avec le témoin lorsque celui-ci sollicite une protection.» (Document
transmis au rapporteur par le procureur général.).
31. Si une partie révèle l’identité d’un témoin protégé ou divulgue toute information permettant d’identifier celui-ci, elle s’expose à des poursuites pour outrage au tribunal et encourt une peine pouvant aller jusqu’à sept ans de prison et/ou 100 000 euros d’amende. 
32. Comme l’indique le rapporteur dans sa note d’information, il ne s’agit pas d’un cas d’école 
			(20) 
			Voir document
AS/Jur (2009) 38: <a href='http://assembly.coe.int/CommitteeDocs/2009/20090903_fjdoc38.pdf'>http://assembly.coe.int/CommitteeDoc.
-2009-20090903_fjdoc38.pdf</a>.	. Indépendamment des sanctions prononcées par le TPIY en la matière, le fait que la défense dispose d’un droit automatique à connaître l’identité d’un témoin signifie que cette identité est révélée à la personne même contre laquelle on cherche à protéger le témoin. D’où un risque de représailles ultérieures, voire d’intimidation des témoins et de ses proches, comme dans les affaires mentionnées dans la note d’information 
			(21) 
			Ibid.	. Cela peut aller jusqu’à l’assassinat du témoin ou d’un membre de sa famille. Le rapporteur a appris que cette disposition a déjà posé problème à certains procureurs des pays de l’ex-Yougoslavie, car des personnes, apprenant que leur identité serait révélée à la défense, ont refusé de témoigner 
			(22) 
			Selon les informations
disponibles, des personnes ayant dans un premier temps accepté d’être
témoins à charge ont changé d’avis une fois leur identité révélée
à la défense. Elles ont déclaré avoir été forcées de témoigner en
faveur de l’accusation et ont finalement témoigné en faveur de la
défense. ou qu’au minimum, il a été nécessaire de les convaincre à nouveau. De plus, certains témoins doivent être réinstallés dans un autre lieu, expérience traumatisante qui pourrait ne pas être nécessaire si, dans les cas extrêmes, l’identité des témoins était gardée secrète.
33. Que l’identité de tous les témoins anonymes soit révélée à la défense ne peut être considéré comme étant dans l’intérêt de la justice. Le rapporteur est certes convaincu de l’importance fondamentale de garantir le droit de l’accusé à un procès équitable, mais il estime que ce droit doit être mis en balance avec le droit du témoin à être protégé. La Cour européenne des droits de l’homme a, d’ailleurs, dans plusieurs arrêts portant sur ce point, établi que le fait de cacher à l’accusé l’identité du témoin lorsque ce dernier redoute des représailles ne constitue pas nécessairement une violation du droit de l’accusé à un procès équitable, dès lors que celui-ci ou son avocat ont la possibilité d’interroger le témoin. La Cour insiste sur la nécessité de mettre en place des garanties et souligne qu’une condamnation ne devrait jamais reposer exclusivement – ou dans une mesure déterminante – sur des déclarations anonymes 
			(23) 
			Doorson c. Pays-Bas, Requête no 20524/92,
paragraphes 68-71, et Kostovski c. Pays-Bas,
Requête no 11454/85, paragraphe 44..
34. Dans le cas où la divulgation de l’identité du témoin expose cette personne à un risque disproportionné, le rapporteur propose de recourir à un «avocat spécial» – indépendant de l’accusation et de la défense –, ce qui pourrait constituer une bonne garantie. L’«avocat spécial» pourrait analyser les éléments de preuve anonymes, prendre des instructions auprès de l’accusé et intervenir en sa faveur quant à la valeur de ces déclarations 
			(24) 
			Dans
l’affaire A. et autres c. Royaume-Uni,
Requête no 3455/05, paragraphes 212-224, la Cour européenne des droits
de l’homme a examiné le rôle des «avocats spéciaux» à la Commission
spéciale des recours en matière d’immigration (SIAC), lesquels peuvent
formuler des observations au nom de l’accusé à propos de «pièces confidentielles»
qui ne peuvent lui être divulguées pour des raisons de sécurité
nationale. La Cour a jugé que la possibilité offerte aux avocats
spéciaux de vérifier les preuves administrées et de plaider la cause
du détenu (ou de l’accusé) pendant les audiences à huis clos pouvait
leur conférer un rôle important susceptible de compenser la divulgation seulement
partielle des éléments probatoires et l’absence d’une véritable
audience, publique et contradictoire..
35. Au vu de l’engagement à long terme du TPIY vis-à-vis de ses propres témoins, l’Assemblée a encouragé les Nations Unies, dans sa Résolution 1564 (2007) sur les poursuites engagées pour les crimes relevant de la compétence du TPIY, à mettre en place un mécanisme résiduel «afin de continuer à assurer la protection des témoins lorsque le mandat du tribunal sera échu».
36. Un tel mécanisme devrait prévoir la capacité des juges à statuer sur des mesures de protection dans le contexte de procédures postprocès, ainsi que leur capacité à statuer en matière d’outrage au tribunal (en cas de violation de mesures visant à protéger des témoins). Ce mécanisme devrait aussi permettre de pérenniser le principe d’une évaluation régulière de la menace existante à l’encontre des témoins protégés. Un point de contact permanent avec les témoins protégés (notamment pour répondre à leurs questions, les prévenir de la mise en liberté de certains condamnés ou leur permettre de signaler une éventuelle nouvelle menace à leur encontre), mais aussi avec les Etats ayant conclu des accords de réinstallation avec le TPIY, doit continuer à fonctionner. Enfin, un tel mécanisme résiduel devrait prévoir la possibilité de revoir et de réévaluer la nécessité de maintenir la réinstallation d’un témoin ou, au contraire, la possibilité d’y mettre un terme.
37. Le Conseil de sécurité des Nations Unies pourrait envisager de confier un tel mécanisme à la Cour pénale internationale ou créer une entité indépendante (éventuellement, à terme, sous la forme d’une entité commune au TPIY et au Tribunal pénal international pour le Rwanda). La solution consistant à intégrer le mécanisme résiduel dans le système actuel de la Cour pénale internationale serait probablement à la fois le moins coûteux sur le plan financier et le plus viable dans la durée.
38. Les témoins ont joué et continuent de jouer un rôle essentiel dans la lutte contre l’impunité des criminels de guerre, en particulier dans la région des Balkans. Ce sont des acteurs incontournables de la mise en œuvre du mandat du TPIY. Celui-ci a un engagement moral à long terme, voire de nature juridique, à leur égard. Les témoins doivent conserver le droit d’accès au système de protection internationale sous couvert duquel ils ont témoigné, et ce même après l’achèvement des travaux du TPIY. Si ce droit était bafoué, il ne serait pas étonnant que les personnes acceptant de témoigner devant des juridictions internationales se fassent de plus en plus rares.
39. Il y va de la crédibilité des Nations Unies, et de la justice internationale dans son ensemble, qu’un mécanisme résiduel de protection effective des témoins soit mis en place, et perdure lorsque le mandat du TPIY arrivera à son terme.

4. Efficacité des programmes de protection et d’assistance des témoins dans les Balkans

4.1. Bosnie-Herzégovine 
			(25) 
			Le rapporteur
s’est rendu à Sarajevo les 9 et 10 mars 2010. Il s’est entretenu
avec des responsables du TPIY, de l’OSCE et du bureau du haut représentant
ainsi qu’avec le procureur général de Bosnie-Herzégovine, des juges internationaux,
la mission de police de l’Union européenne et des représentants
d’ONG.

40. En Bosnie-Herzégovine, selon certaines sources, de nombreux témoins dans des affaires de crimes de guerre indiquent qu’eux-mêmes ou des membres de leur famille ont été menacés, ont reçu des propositions de pots-de-vin ou ont été intimidés 
			(26) 
			Voir Witness Protection and Support in BiH Domestic
War Crimes Trials: obstacles and recommendations a year after adoption
of the National Strategy for War Crimes Processing, OSCE,
Sarajevo, 2010.. Les personnes concernées sont donc peu disposées à témoigner.

4.1.1. Législation

41. La Bosnie-Herzégovine a ratifié plusieurs conventions internationales et européennes qui protègent les droits des victimes et des témoins, notamment le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité ainsi que le droit au respect de la vie privée et familiale. Les principales dispositions nationales relatives à la protection des témoins figurent dans le Code de procédure pénale de Bosnie-Herzégovine 
			(27) 
			Journal
officiel de Bosnie-Herzégovine, no 3/03., la loi sur la protection des témoins courant un danger ou des risques 
			(28) 
			Ibid., la loi sur le programme de protection des témoins de Bosnie-Herzégovine 
			(29) 
			Ibid., no 29/04. ainsi que dans le Code pénal.
42. Le Code pénal prévoit des mesures spéciales de protection des témoins vulnérables, y compris le déroulement du procès hors la présence du public. D’autres mesures permettent également d’empêcher le suspect ou l’accusé d’influencer indûment le témoin, telles que les assignations à résidence ou d’autres types d’injonctions visant à garantir que le suspect ou l’accusé ne s’éloigne pas de son domicile. Par ailleurs, le Code pénal qualifie d’infraction le fait de divulguer l’identité d’un témoin protégé.
43. La loi sur la protection des témoins courant un danger ou des risques prévoit la possibilité pour les témoins de faire leur déposition au travers d’une liaison vidéo, hors la présence de l’accusé dans la salle d’audience, ainsi que d’autres mesures visant à prévenir la divulgation de l’identité des témoins. Des lois analogues ont été adoptées au niveau des entités.
44. La loi sur le programme de protection des témoins n’est appliquée qu’au niveau national. Elle prévoit la possibilité d’intégrer les témoins, avec leur consentement, dans un programme visant à garantir leur sécurité au cours de la procédure pénale, notamment des mesures destinées à changer l’identité du témoin ou le réinstaller dans un lieu différent. Cela étant, comme il a été indiqué au rapporteur, cette loi n’a jusqu’ici jamais été appliquée, probablement, entre autres, en raison du coût de telles mesures. A noter que c’est généralement le pays d’origine qui supporte les coûts de réinstallation d’un témoin dans un autre pays. Le rapporteur a le sentiment qu’un pays relativement pauvre comme la Bosnie-Herzégovine ne peut, en toute circonstance, supporter ce coût, ce qui est extrêmement pénalisant.
45. Globalement, les dispositions contenues dans ces codes et lois pourraient, si elles étaient appliquées de façon satisfaisante, largement contribuer à la protection de la vie, de la sécurité et de la vie privée des témoins. Cela étant, leur mise en œuvre pose de nombreux problèmes au niveau du Tribunal d’Etat comme à l’échelon des entités.

4.1.2. Le système des tribunaux

46. La Chambre spéciale chargée des crimes de guerre de la Cour d’Etat de Bosnie-Herzégovine a été créée le 9 mars 2005 grâce à une initiative conjointe du TPIY et du bureau du haut représentant 
			(30) 
			Le
principe qui sous-tend la création de la Chambre spéciale chargée
des crimes de guerre est que la mise en œuvre de la responsabilité
des violations flagrantes des droits de l’homme qui ont eu lieu
pendant le conflit revient in fine au peuple
de Bosnie-Herzégovine. Il s’agit essentiellement d’une institution
nationale qui relève de la législation du pays.. Elle a pour mandat de juger les personnes accusées des crimes de degré moyen à faible que lui défère le TPIY. Elle juge également les crimes de guerre qui ont une origine locale.
47. Cela étant, la Chambre spéciale chargée des crimes de guerre dispose d’un budget relativement faible et n’a ni les ressources ni le temps suffisants pour juger toutes les affaires. Elle se concentre donc sur les plus graves et les plus sensibles, les autres étant traitées par les tribunaux nationaux relevant de la juridiction des entités.
48. Le rapporteur souhaite attirer l’attention sur un problème qui a déjà été signalé à l’Assemblée et qui a une incidence sur le jugement des crimes de guerre et sur la protection des témoins en Bosnie-Herzégovine 
			(31) 
			Voir le paragraphe 89 du Doc. 11281 sur les
poursuites engagées pour les crimes relevant de la compétence du Tribunal
pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY)..Les autorités judiciaires de l’Etat et celles des entités sont totalement indépendantes les unes des autres.Cela signifie que la Cour de Bosnie-Herzégovine n’a pas de compétences analogues à celles d’une cour suprême de l’Etat puisque les entités ont leurs propres cours suprêmes 
			(32) 
			La Cour de Bosnie-Herzégovine
ne peut être saisie d’une affaire traitée par les tribunaux des
entités qu’à la demande de ces derniers. Ainsi, elle n’est pas en
mesure d’assurer la moindre harmonisation en termes de jurisprudence. En
outre, au niveau de l’Etat et à celui des entités, différents codes
pénaux sont en vigueur. Certains crimes n’existent pas dans le Code
pénal de la Republika Srpska alors qu’ils figurent dans le Code
pénal de la fédération.. Le rapporteur est d’avis qu’une harmonisation du droit dans toute la Bosnie-Herzégovine est nécessaire afin de pouvoir garantir la sécurité juridique, et qu’à cet effet, la Cour de Bosnie-Herzégovine doit disposer des compétences et de l’autorité d’une cour suprême, ou qu’une cour suprême doit être créée 
			(33) 
			L’Assemblée a déjà invité les autorités
de Bosnie-Herzégovine, dans la Résolution 1513 (2006) et la Résolution 1564 (2007),
à créer une cour suprême aux niveaux de l’Etat afin de renforcer
la réforme du système judiciaire. Voir également la Résolution 1626 (2008) de
l’Assemblée, qui invite entre autres les autorités «à garantir l’application
uniforme du Code pénal de Bosnie-Herzégovine aux niveaux de l’Etat
et des entités, s’agissant, en particulier, des crimes de guerre»..
49. Les juridictions sont organisées différemment selon les régions.Dans la fédération, les tribunaux municipaux jugent des infractions moins graves que celles soumises aux tribunaux cantonaux.En Republika Srpska, les tribunaux municipaux ont compétence pour juger des infractions mineures. Dans le district de Brčko, les tribunaux de première instance statuent sur les infractions graves.
50. Lors de sa visite en Bosnie-Herzégovine, le rapporteur a eu le sentiment que, en raison de la multiplication des niveaux et de la complexité de l’appareil judiciaire, le système est difficile à appréhender tant par les justiciables que par les observateurs extérieurs.En outre, il a eu l’impression que le système permettait à ses interlocuteurs de facilement se décharger de leurs responsabilités sur d’autres et de se renvoyer la balle, ce qui va à l’encontre de l’intérêt du justiciable et de la bonne administration de la justice, et rend nécessaire une réorganisation du système judiciaire en Bosnie-Herzégovine.

4.1.3. Protection des témoins

51. Les mesures de protection des témoins sont décrites en détail dans la législation, mais, en pratique, la protection des témoins en Bosnie-Herzégovine est insuffisante. L’OSCE fait observer dans un récent rapport 
			(34) 
			Witness Protection and Support in BiH Domestic
War Crimes Trials: obstacles and recommendations a year after adoption
of the national Strategy for War Crimes Processing, OSCE,
2010. que les autorités ont manqué à leurs obligations en n’enquêtant pas, avec tout le soin requis, sur des allégations de menaces de mort. Dans de nombreuses affaires, des témoins ont indiqué qu’eux-mêmes ou des membres de leur famille avaient été menacés, avaient reçu des propositions de pots-de-vin ou avaient été intimidés d’une façon ou d’une autre 
			(35) 
			En dépit
de ces pratiques qui semblent généralisées, l’OSCE n’a mis en lumière
que trois affaires dans lesquelles des personnes avaient été poursuivies
et condamnées pour influence illicite..
52. Souvent, dans les cas où l’on estime qu’il y a lieu de protéger des témoins, les mesures de protection, lorsqu’elles existent, ne sont pas appliquées de façon efficace. Par exemple, des témoins qui avaient déposé sous un pseudonyme se sont plaints d’avoir reçu des convocations par courrier ordinaire. Dans ce cas, le voisinage risque de découvrir que la personne en question a été convoquée pour témoigner, ce qui nuit à l’efficacité des mesures de protection.
53. Par ailleurs, le rapporteur a appris, au cours de sa visite, que des avocats avaient maintes fois violé des ordonnances visant à interdire la divulgation de l’identité des témoins. A ce jour, aucun d’eux n’a été poursuivi pour ce motif.
54. Le rapporteur a appris avec inquiétude de la part d’un juge du Tribunal d’Etat que des témoins de premier plan dans deux affaires sur lesquelles il avait travaillé avaient finalement refusé de témoigner par crainte de représailles. La protection étant insuffisante, les témoins sont de plus en plus réticents à aider la justice.
55. Le rapporteur a constaté avec satisfaction que, d’un point de vue technique, le Tribunal d’Etat de Bosnie-Herzégovine est parfaitement équipé pour protéger les témoins pendant les procès, mais que, malheureusement, le niveau de protection qui leur est accordé n’est souvent pas à la hauteur des possibilités. Ce dysfonctionnement se répercute de façon majeure sur les témoins qui déposent dans plusieurs procès. Ainsi peuvent-ils avoir bénéficié, lors du premier procès, de mesures de protection excellentes, y compris par exemple l’attribution d’un pseudonyme, et, par la suite, être sollicités pour témoigner dans un autre procès mettant en cause un autre accusé (parfois pour les mêmes faits), sans toujours se voir accorder le même niveau de protection. Les mesures de protection prises lors du premier procès deviennent dès lors inutiles.
56. A noter que le Tribunal d’Etat travaille, depuis plusieurs années, à l’élaboration d’un règlement en matière de protection des témoins. Le rapporteur a reçu l’assurance que cette initiative devrait contribuer à améliorer la cohérence du système, mais il y a encore beaucoup à faire.
57. Le Service de protection des témoins de l’Agence d’investigation et de protection de l’Etat (SIPA) assure la protection des témoins au cours des procès dans les affaires portées devant le Tribunal d’Etat, mais n’a pas compétence pour protéger les témoins dans les affaires traitées par les juridictions des entités. Depuis sa création (en 2005), ce service a assuré la protection de 439 témoins dans 705 procès.
58. Plusieurs personnes se sont plaintes auprès du rapporteur que les ressources humaines et financières allouées au Service de protection des témoins de la SIPA étaient insuffisantes 
			(36) 
			De
fait, il compte pour l’heure seulement 22 personnes alors que 30
sont normalement nécessaires à son bon fonctionnement.. Selon les informations disponibles, l’équipement technique dont dispose le personnel est très modeste.
59. Le rapporteur a appris avec préoccupation qu’il n’y a pas de réelles mesures de protection des témoins avant et après les procès. Il invite donc les autorités à allouer des fonds pour que la SIPA puisse assurer aux témoins une protection sur le long terme avant, pendant et après les procès.
60. Les problèmes sont plus graves au niveau des entités, où les témoins ne bénéficient pas d’une protection adéquate 
			(37) 
			Pour
ne citer qu’un exemple, lors de sa visite à Sarajevo, le rapporteur
a eu connaissance de la façon dont a été prise en charge une jeune
fille de Banja Luka dont la sœur avait été violée et tuée en 1993
par quatre policiers. Les inculpés ont été acquittés en 1993 lors
d’un simulacre de procès, puis l’affaire a été rouverte à la fin
de la guerre, à la demande de la famille. La sœur (une musulmane),
témoin majeur dans cette affaire, a expliqué que le personnel du tribunal
l’avait très mal traitée, pour ainsi dire comme une criminelle.
Le rapporteur a appris que la jeune fille avait été insultée lors
du procès, alors que les accusés étaient accueillis en héros. Ces
derniers ont finalement été condamnés à dix ans d’emprisonnement.
Malgré les circonstances particulières et la gravité des crimes
commis, aucune mesure de protection des témoins n’a été mise en
place au procès et leurs noms ont été divulgués par les médias., notamment, là aussi, en raison d’une insuffisance de financement et d’un manque de cohérence dans la mise en œuvre des mesures de protection. Alors que les tribunaux étaient censés élaborer des règles en la matière, l’initiative est restée lettre morte.
61. L’une des difficultés majeures est que la SIPA n’exerce ses attributions qu’aux niveaux du Tribunal d’Etat. En 2008, Le Conseil des ministres a proposé un projet de loi sur le programme de protection des témoins, qui devait normalement permettre à la SIPA d’étendre ses programmes à la protection des personnes témoignant devant les tribunaux des entités. Malheureusement, les représentants de la Republika Srpska se sont opposés à cette loi, qui n’a pas été adoptée.
62. Le rapporteur a entendu dire qu’apparemment, selon le sentiment général, cette loi ne devait pas être adoptée au niveau fédéral car les compétences des entités devaient rester au sein de celles-ci. Le rapporteur ne peut soutenir cette argumentation qui met en péril la sécurité des témoins et il demande instamment aux autorités d’étendre le rôle de la SIPA à tous les tribunaux, y compris ceux des entités, dans les meilleurs délais.
63. A l’exception des tribunaux cantonaux et municipaux de Sarajevo, les tribunaux des entités ne disposent pas des mêmes moyens techniques que le Tribunal d’Etat pour mettre en œuvre les mesures de protection, telles que les liaisons vidéo et les équipements de distorsion de l’image et de la voix 
			(38) 
			Le rapporteur note avec satisfaction
que l’Union européenne a alloué 4,1 millions d’euros en faveur de
programmes de protection des témoins dans l’ensemble des Balkans.
L’Union est sur le point de lancer des appels d’offres pour la fourniture
de services comprenant l’équipement des 10 tribunaux de canton et
de district avec la technologie requise pour mettre en place des
mesures de protection des témoins.. Les tribunaux, conscients de ne pas disposer des ressources nécessaires, vont souvent jusqu’à omettre d’évaluer, en premier lieu, si un témoin a besoin ou non de protection.
64. Le rapporteur a appris avec inquiétude qu’en raison de tout ce qui précède, les témoins ne sollicitent plus la mise en œuvre de mesures de protection. Il se félicite des efforts déployés par l’OSCE pour inverser cette tendance via la diffusion de brochures d’information expliquant aux témoins leurs droits et ce qu’ils peuvent attendre en matière de protection. En outre, il demande instamment aux autorités compétentes, et tout particulièrement aux tribunaux des entités, de reprendre à leur compte les recommandations de l’OSCE sur la façon dont ils peuvent pallier le manque de ressources, notamment en fabriquant un écran improvisé pour cacher au public le visage des témoins pendant leur audition ou en empruntant au Tribunal d’Etat un équipement de liaison vidéo.

4.1.4. Assistance aux témoins

65. Seul le Tribunal d’Etat, grâce à sa Section victimes et témoins, a les moyens d’apporter aux témoins une assistance psychologique et sociale 
			(39) 
			Depuis 2005, la Section victimes et témoins
a apporté son soutien à plus de 3 000 témoins. Les tribunaux de
district et de canton de Bosnie-Herzégovine et le tribunal de première
instance du district de Brčko ne disposent pas d’une telle section
d’assistance aux témoins..
66. La Section victimes et témoins est en charge de l’assistance psychologique, organisationnelle et administrative des témoins de l’accusation et de la défense dans les procès relatifs à des crimes de guerre. Elle est notamment chargée d’expliquer aux témoins le déroulement du procès. Elle est dotée de psychologues et de travailleurs sociaux hautement qualifiés, qui possèdent une expertise dans la prise en charge des traumatismes résultant de crimes. Un service téléphonique disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre est à l’écoute en cas de besoin. La section s’occupe également des transports et de la logistique. Cela étant, jusqu’à la date du procès, la section ne contacte les témoins que par téléphone. Elle les appelle quelques jours après leur témoignage pour faire le point, mais aucun service d’assistance ou de conseil n’est proposé sur le long terme. A noter en outre que la Chambre spéciale chargée des crimes de guerre est équipée pour rendre le témoignage moins traumatisant: elle comporte une entrée distincte pour les témoins, qui est gardée par des personnels de la SIPA, ainsi qu’une salle d’attente séparée.
67. La Section victimes et témoins n’entre en relation avec le témoin qu’après confirmation de l’acte d’accusation et après que celui-ci a déjà été interrogé par le bureau du procureur. Selon les informations recueillies par le rapporteur, le fait qu’aucune assistance ne soit proposée avant complique le travail dans les affaires de crimes de guerre. Non seulement il est difficile de trouver des témoins, mais, en plus, ceux-ci ont peur de témoigner et ont donc besoin d’assistance, sous une forme ou sous une autre.
68. Le rapporteur encourage la mise en place d’une section d’assistance aux témoins au sein du bureau du procureur. Celle-ci devrait être dotée de travailleurs sociaux et de psychologues 
			(40) 
			Plusieurs
interlocuteurs ont adressé cette recommandation au rapporteur lors
de sa visite à Sarajevo.. Il recommande à cet égard de mettre en œuvre, dans les meilleurs délais, la Stratégie nationale en matière de crimes de guerre, qui prévoit une telle disposition. Il conviendrait également de renforcer la SIPA pour qu’elle soit active dès la phase d’instruction, ainsi que pendant et après le procès.
69. Au niveau des entités, il n’existe pas de projet financé par l’Etat qui assure une assistance psychologique et sociale aux témoins. La loi sur la protection des témoins courant un danger ou des risques contient toutefois des dispositions relatives aux mesures d’assistance aux témoins.Selon ces dispositions, le procureur (pendant la phase d’instruction) et le tribunal (après la mise en accusation) doivent informer les centres d’assistance sociale qu’un témoin fait l’objet de mesures de protection et d’assistance. Le centre d’assistance devrait s’assurer que le témoin reçoit une aide et un soutien psychologique, y compris la présence d’une personne compétente pendant l’interrogatoire ou l’audition. Cela étant, il a été indiqué au rapporteur à maintes reprises que les centres n’avaient pas reçu le financement qui permettrait de les aider à fournir le niveau de service prévu par la loi. Le rapporteur a été troublé d’apprendre que la plupart des centres sont surchargés et qu’ils ne connaissent même pas leurs obligations légales à l’égard des témoins 
			(41) 
			Ainsi
les propos du procureur général de Bosnie-Herzégovine: «Certes,
nous reconnaissons que ce type d’assistance aux témoins vulnérables
est logique et humain, mais il n’apporte pas grand-chose au procureur
ni au témoin, car nous savons tous que les organismes de sécurité
sociale de Bosnie-Herzégovine ne parviennent pas à assurer leurs mission
et obligations courantes, qui sont régies par tous les autres textes
sur les personnes ayant droit à l’assistance sociale, ni, à plus
forte raison, à fournir une assistance et un soutien aux témoins
vulnérables et nécessitant une protection du fait de leur témoignage.»
(Document remis au rapporteur par le procureur général.).
70. Le rapporteur a appris que, en conséquence, le niveau d’assistance offert au témoin dans le pays varie considérablement, certains procureurs s’appuyant sur des ONG locales et thématiques pour apporter l’assistance nécessaire. A noter un exemple de bonne pratique dans le canton de Tuzla, où un protocole d’accord a été signé entre le ministère du Travail et des Affaires sociales du canton et Vive Žene, une ONG locale 
			(42) 
			Le protocole d’accord a été signé fin
2007.. Sur les 32 employés que compte Vive Žene, 20 sont des psychologues, des infirmiers ou des psychiatres. L’ONG travaille efficacement avec le bureau du procureur. Elle établit un premier contact avec les témoins, les prépare en vue du procès et leur apporte un soutien psychologique avant, pendant et après le procès. La même organisation participe également à la création d’un réseau non officiel d’assistance aux témoins à Brčko, où, depuis peu, une bonne coopération a été établie avec le bureau du procureur, le ministère de l’Intérieur et une association de victimes.
71. Le rapporteur salue le travail des ONG qui ont aidé les autorités en fournissant des services d’assistance aux témoins. Cela dit, il a appris avec inquiétude qu’aucune directive ni norme n’a été établie à l’intention des ONG travaillant dans ce domaine. Il est donc impossible de connaître le niveau de service fourni par ces organisations et de savoir si le service est adapté ou non. Solliciter des ONG dotées d’une expertise dans certains domaines présente certes des avantages, mais il importe de délimiter leur rôle en fixant des critères stricts et de contrôler régulièrement leur travail pour s’assurer que le service rendu reste conforme à ces critères. En outre, le rapporteur est profondément convaincu que les autorités doivent assumer la responsabilité de ces programmes, c’est-à-dire en élaborer le contenu dans tous les domaines concernés et apporter les fonds nécessaires pour pérenniser les services et l’expertise, qu’ils soient fournis par des ONG ou par les centres d’assistance sociale.

4.1.5. Stratégie nationale en matière de crimes de guerre 2008

72. La Stratégie nationale en matière de crimes de guerre, adoptée par le Conseil national des ministres en décembre 2008, définit la meilleure façon d’équiper le système judiciaire pour instruire les affaires de crimes de guerre, poursuivre en justice leurs auteurs et les juger. Entre autres domaines, cette stratégie aborde la protection des témoins et propose en la matière des mesures destinées à veiller «à la protection, au soutien et à l’égale prise en charge de toutes les victimes et de tous les témoins dans les procédures judiciaires instruites par tous les tribunaux de Bosnie-Herzégovine» .
73. La stratégie contient des projets visant à réviser la législation et les textes réglementaires dans le domaine de la protection des témoins et à préciser les compétences et les actions de ceux qui prennent part à cette protection ainsi que les étapes procédurales qu’ils doivent suivre. Elle prévoit de renforcer le personnel de la SIPA et de le doter de ressources matérielles et techniques adéquates. Les tribunaux des entités et du district de Brčko sont en outre censés adopter des règles internes comme prévu par les législations des entités relatives à la protection des témoins. La stratégie prévoit aussi que les procureurs analysent les dossiers et déterminent dans quelle mesure ils se recoupent de façon à les regrouper pour éviter que les témoins ne déposent plusieurs fois dans des circonstances identiques. La coordination entre les tribunaux et les bureaux des procureurs doit être améliorée de sorte qu’un témoin appelé à comparaître dans plusieurs affaires bénéficie des mêmes mesures de protection, et ce pour éviter que son identité ne soit cachée dans un procès et pas dans un autre.
74. La Stratégie nationale en matière de crimes de guerre reconnaît également les nombreux problèmes qui touchent le système actuel d’assistance aux victimes et promet d’améliorer la qualité de ces services. Elle envisage la création d’un réseau de services d’assistance aux témoins et aux victimes, qui serait coordonné par la Section victimes et témoins au niveau du Tribunal d’Etat, l’utilisation des connaissances et des moyens des ONG déjà actives dans ce domaine, le recensement des ONG en mesure d’apporter un soutien psychologique et social, l’amélioration des infrastructures des tribunaux en vue d’aider les témoins d’un point de vue psychologique pendant leur audition, la création de salles d’attente séparées dans chaque tribunal afin d’éviter les contacts inutiles entre les témoins et le public, et l’emploi de psychologues dans les bureaux des procureurs 
			(43) 
			L’OSCE
a organisé, en décembre 2009, une réunion regroupant des représentants
du pouvoir judiciaire, des ministères de la Justice à l’échelon
de l’Etat et des entités, d’organismes actifs dans les domaines
des droits de l’homme et de l’assistance sociale, des centres d’assistance
sociale et des organisations de la société civile. Les participants
ont réfléchi à la façon de créer des services de soutien psychosocial
pour les témoins aux niveaux des entités par l’intermédiaire des
ONG. Le rapporteur espère que les autorités concernées mettront
les conclusions en pratique dans les meilleurs délais. Voir Conclusions
et recommandations, table ronde «Establishing
a psycho-social support system for witnesses and victims in war
crimes cases in BiH» (Créer un système de soutien psychosocial
pour les témoins et les victimes dans les affaires de crimes de
guerre en Bosnie-Herzégovine), organisée par la mission de l’OSCE
en Bosnie-Herzégovine les 3 et 4 décembre 2009..
75. Les mesures prévues dans la stratégie sont vastes et positives et pourraient largement contribuer à améliorer la sécurité des témoins. Cela étant, le rapporteur a appris qu’aucune mesure ne pouvait être prise, en raison d’un manque de données fiables sur le nombre de procès pour crimes de guerre qu’il reste à mener. Le rapporteur s’est étonné qu’un an et demi après l’adoption de la stratégie, ces données n’aient pas encore été collectées. Jugeant qu’assez de temps a été perdu, le rapporteur demande instamment aux autorités de mettre en œuvre la stratégie qu’ils ont eux-mêmes adoptée, et ce de toute urgence. Cette stratégie, qui comprend un large éventail de mesures utiles, ne doit pas être un énième «exercice de style» pour plaire à la communauté internationale, mais doit être mise en œuvre en vue d’apporter des résultats concrets.

4.2. Croatie 
			(44) 
			Les 2 et 3 février 2010,
le rapporteur s’est rendu à Zagreb où il a rencontré des représentants
du bureau du procureur, du ministère de l’Intérieur, de l’ordre
des avocats, du TPIY, de l’OSCE, de l’Union européenne et du Programme
des Nations Unies pour le développement, ainsi que des juges du
tribunal de district.

76. En octobre 2003, les quatre principaux tribunaux de district de Croatie (Osijek, Rijeka, Split et Zagreb) ont été dotés, en vertu de la loi sur l’application du Statut du Tribunal pénal international et la poursuite des infractions pénales commises à l’encontre du droit international sur la guerre et du droit humanitaire international, de compétences spéciales en vue de connaître des affaires de crimes de guerre. Les juges qui siègent à ces tribunaux ont bénéficié d’une formation spéciale en matière de crimes de guerre. Toutefois, en Croatie, tous les tribunaux qui ont à connaître d’affaires pénales continuent de juger les crimes de guerre. Les tribunaux de première instance sont appelés à juger des affaires portant sur des infractions passibles d’une peine de dix ans au maximum 
			(45) 
			Il existe 104
tribunaux de première instance et 21 tribunaux de district. Ces
derniers constituent les juridictions d’appel pour ces affaires
ainsi que les juridictions de première instance pour les infractions
passibles d’une peine de prison de plus de dix ans.. Selon nos interlocuteurs, si cette pratique se poursuit, c’est principalement pour permettre que les affaires de crimes de guerre soient examinées au sein de la juridiction la plus proche de l’endroit où les crimes ont été commis plutôt que dans des tribunaux dotés de procureurs et de juges spécialisés ainsi que d’équipements appropriés. Etant donné l’importance de la formation des procureurs et des juges et de la disponibilité d’équipements appropriés en vue d’assurer la protection des témoins et de leur fournir une assistance, le rapporteur invite instamment les autorités croates à faire appel à un des quatre tribunaux spécialisés lorsque les témoins peuvent courir des risques 
			(46) 
			Les
procureurs travaillant à l’échelon local devraient également connaître
les critères pour une demande de transfert de telles affaires. .

4.2.1. Législation

77. La législation relative à la protection des témoins peut être considérée comme appropriée en Croatie; les lois couvrent largement les principaux domaines et répondent aux normes internationales. La loi sur la procédure pénale constitue le principal texte législatif national qui réglemente les mesures procédurales relatives à la protection des témoins. Elle énumère les mesures existantes, à commencer par les mesures de précaution, telles qu’interdire à l’accusé de quitter son lieu de résidence ou lui demander d’en référer aux autorités. Les dispositions législatives incluent également des mesures procédurales en vue, notamment, de permettre au témoin de venir déposer sous un pseudonyme, de garder confidentielles les informations le concernant et de limiter l’enregistrement de l’audition principale.
78. La révélation de l’identité des témoins protégés, les menaces, les meurtres aggravés, la violation de la confidentialité des données, l’obstruction à la collecte de preuves sont autant d’infractions prévues par le Code pénal pour assurer la protection des témoins 
			(47) 
			Journal
officiel nos 28/98, 50/00, 129/00, 51/01, 11/03 et 105/04.. Les programmes de protection des témoins sont prévus dans le cadre de la loi sur la protection des témoins 
			(48) 
			La loi sur
la protection des témoins (Journal officiel no 163/03)., qui prévoit également la mise en place d’une unité et d’une commission pour la protection des témoins.
79. L’Unité de protection des témoins fait partie du ministère de l’Intérieur/Direction de la police et est chargée de la mise en œuvre et de l’organisation des programmes de protection. La commission est constituée de cinq membres, qui représentent la Cour suprême (un juge), le bureau du procureur de l’Etat, l’administration pénitentiaire ou le ministère compétent pour les affaires judiciaires, le ministère de l’Intérieur/Direction de la police et le chef de l’Unité de protection des témoins.
80. Sur proposition du procureur compétent ou d’une personne en danger, le procureur général peut déposer une demande à la commission en vue d’inclure le témoin dans le programme de protection au cas où son témoignage paraît indispensable à la procédure.

4.2.2. Protection des témoins

81. Des exemples de bonnes pratiques ont été indiqués au rapporteur au cours de la visite qu’il a effectuée à Zagreb. Dans le procès Ademi-Norac, plus de 40 % des personnes qui ont témoigné l’ont fait par voie de vidéoconférence. Un tiers de ces personnes était menacé et vivait en Croatie. Deux tiers vivaient en dehors du territoire et leurs témoignages ont été obtenus en coopération avec la Serbie, le Canada, les Etats-Unis et la Norvège, pays où elles résident. Cela constitue manifestement un exemple encourageant de coopération internationale dans lequel l’obtention des témoignages au cours d’un procès a été facilitée.
82. Toutefois, ses divers interlocuteurs ont indiqué au rapporteur que les témoins continuent de penser qu’ils ne peuvent pas témoigner en toute sécurité dans les affaires de crimes de guerre. Le problème est souvent que les juges et les procureurs ne connaissent pas les outils qu’ils ont à leur disposition pour protéger les témoins. Ainsi, par exemple, lorsqu’il existe des installations de vidéoconférence, elles ne sont pas utilisées régulièrement en vue d’aider les témoins qui hésitent à déposer au cours d’un procès. Une partie du problème réside dans le fait que la plupart des affaires de crimes de guerre continuent d’être jugées par les tribunaux de district ou les tribunaux de première instance et non par les tribunaux spécialisés. Les interlocuteurs du rapporteur ont manifesté de vives inquiétudes à ce sujet, parce que ni les juges ni les procureurs n’ont été formés de la même façon que ceux qui siègent aux quatre tribunaux ayant des compétences spéciales pour juger les crimes de guerre. De plus, juger ce type d’affaire dans les tribunaux locaux au lieu de les transférer aux tribunaux spécialisés, plus importants, accroît les menaces qui pèsent sur les témoins issus de la communauté locale.
83. Cette difficulté a été mise en exergue lors de l’enquête menée à propos du massacre de Gospić. Selon les informations transmises au rapporteur, les forces de police locales ont été impliquées dans des crimes perpétrés entre 1991 et 1995 contre des Serbes de souche. Lors de l’enquête sur cette affaire, on a demandé aux témoins de se rendre dans les commissariats de police locaux afin de faire leur déposition. Il n’est guère surprenant que, dans ces conditions, les témoins serbes ne se sentent pas en sécurité et répugnent à venir témoigner.
84. Le rapporteur invite instamment les autorités croates à veiller à ce que les affaires de crimes de guerre soient traitées par les quatre tribunaux spécialisés. Cela permettrait de garantir que les juges et les procureurs entrant en contact avec les témoins aient bénéficié d’une formation complète pour ce qui concerne les mesures de protection des témoins à leur disposition. De plus, ces affaires ne devraient pas être jugées près de l’endroit où les crimes ont été commis, ce qui permettrait d’éviter de faire peser de nouvelles menaces sur les témoins issus de la communauté locale.
85. Dans certains cas l’identité des témoins protégés a été révélée. Des sanctions sont prévues à cet égard, mais le rapporteur a été informé que nul n’avait encore été poursuivi ou condamné pour cela. Les conséquences négatives de cet état de fait ont été illustrées par ce qu’on a appelé les affaires «garage» et «scotch», où Branimir Glavaš, un parlementaire croate, avait été reconnu coupable de crimes de guerre commis à l’encontre de civils serbes en mars 2009. Au cours d’une conférence de presse tenue en 2005, M. Ante Dapić, alors maire d’Osijek, avait donné lecture des noms des 19 personnes qui avaient fourni des informations sur ces crimes, à la suite de quoi un grand nombre d’entre elles avaient refusé de faire une quelconque déclaration. De même, M. Glavaš avait publié des documents du tribunal, des déclarations de témoins et d’autres pièces du dossier sur son site web personnel. A la suite de cela, le tribunal de district de Zagreb a mis en œuvre des mesures de protection et ordonné que l’instruction de cette affaire reste confidentielle. Toutefois, l’identité des personnes protégées a été connue lorsque les accusés ont fait leurs déclarations ou interrogé les témoins. L’identité d’un autre témoin de l’accusation a été rendue publique avant qu’il ne soit intégré dans un programme de protection des témoins. Enfin, après sa condamnation, M. Glavaš a diffusé une vidéo dans laquelle il violait certaines mesures de protection des témoins. Le rapporteur a été choqué d’apprendre que malgré ces violations évidentes et publiques d’une décision de justice, aucune sanction n’a été prononcée à l’encontre de ceux qui ont révélé l’identité des témoins.
86. Il s’ensuit que les témoins hésitent à venir témoigner parce qu’ils ne se sentent pas en sécurité. Le rapporteur considère que des améliorations doivent être apportées au système actuel en vue de garantir que les témoins puissent témoigner sans qu’il y ait besoin de les y contraindre. Les lois doivent être pleinement mises en œuvre et des sanctions doivent être prononcées à l’encontre des personnes qui mettent en danger les témoins.

4.2.3. Assistance aux témoins

87. Les témoins qui ont reçu une citation à comparaître sont tenus de participer aux procès pénaux. Une fois qu’un témoin a été cité pour un procès, il ne lui est offert, d’habitude, qu’une assistance limitée. Une aide financière est fournie en vue de couvrir les frais de voyage jusqu’au tribunal. Toutefois, les témoins doivent faire la démarche de solliciter cette aide durant le procès et doivent présenter leurs justificatifs au juge, qui se prononcera ensuite sur la question de savoir s’ils ont droit à une compensation pour les dépenses qu’ils ont engagées.
88. Le rapporteur a été informé que, par ailleurs, les tribunaux n’offrent pas toujours aux témoins l’assistance dont ils ont besoin. Il est fréquent que ces derniers, lorsqu’ils arrivent au tribunal, doivent de leur propre chef trouver la bonne salle et attendre dans l’espace commun jusqu’à ce qu’on les appelle pour témoigner. Dans les tribunaux croates, il n’y a que très peu de salles réservées où les témoins peuvent être séparés du public et des accusés.
89. Les personnes que le rapporteur a rencontrées lors de sa visite ont exprimé d’autres préoccupations à propos de l’inadéquation des installations judiciaires. L’aménagement des salles d’audience, notamment, n’est guère de nature à inciter les témoins à déposer sans craindre d’être intimidés. Par exemple, dans l’affaire Ademi-Norac, l’accusé était assis à proximité immédiate des témoins qui devaient déposer, sans qu’une barrière ait été placée entre les deux parties. Et ce, malgré le fait que l’affaire ait été portée devant le tribunal de district de Zagreb qui est doté de la compétence spéciale pour connaître des crimes de guerre et qui est pourtant un des tribunaux les mieux équipés.
90. Tous les tribunaux ne sont pas encore pourvus d’un système développé qui offre aux témoins une assistance psychologique et sociale, ou bien qui leur fournisse des informations sur le déroulement du procès ou sur des ONG qui puissent leur venir en aide 
			(49) 
			Source: Document du PNUD sur l’«Assistance
en vue de la mise en place d’un système de soutien aux témoins et aux
victimes en Croatie». . L’assistance aux témoins n’existe vraiment qu’au sein de réseaux sociaux, qui ne fournissent qu’un soutien juridique ou psychologique limité. Les autorités n’investissent que très peu dans ces programmes, et ceux qui existent tendent à être mis en œuvre par des bénévoles ou des ONG. Comme dans le cas de la Bosnie-Herzégovine, le rapporteur est préoccupé par le manque de cohérence des services fournis par les ONG.
91. D’autre part, le rapporteur note avec satisfaction que certains efforts ont été déployés en vue d’améliorer le système. En 2005, un département pour l’assistance aux témoins et autres personnes qui participent aux procès pour crimes de guerre a été créé au sein du ministère de la Justice. Ce département est chargé d’assurer la protection juridique et physique des témoins et de leur apporter un soutien psychologique dans les procès pour crimes de guerre qui se déroulent en Croatie et en dehors du pays. Il contribue également aux poursuites en trouvant des témoins et en organisant leur déplacement vers un tribunal particulier. Malheureusement, seules trois personnes travaillent au sein du département 
			(50) 
			Ibid., ce qui signifie qu’elles ne sont pas en mesure d’intervenir dans tout le pays de manière complète auprès des témoins qui sont appelés à témoigner.
92. En 2007, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a mené une étude sur l’assistance aux témoins en Croatie. Il a constaté que la très grande majorité des témoins ne se voyaient offrir aucun contact avec des organisations qui pourraient leur apporter un soutien pratique ou une assistance psychologique, et la plupart d’entre eux se sentent menacés. En se fondant sur les conclusions de l’étude, le PNUD a établi un projet pilote en vue de mettre en place des bureaux d’assistance aux témoins/aux victimes dans quatre tribunaux de district (Osijek, Vukovar, Zadar et Zagreb). Deux personnes ont été recrutées dans chaque tribunal puis formées en vue d’apporter une assistance aux témoins au cours de la procédure judiciaire. Le PNUD a également investi dans les infrastructures des tribunaux en créant des postes de travail pour le personnel des bureaux d’assistance aux témoins/aux victimes, ainsi que des salles d’attente séparées pour les témoins et les victimes.
93. Dans le cadre de ce programme, des ONG, des bénévoles, des juges, des procureurs, des coordinateurs de la police, des officiers de patrouille et des enquêteurs ont été formés aux droits des témoins/victimes. Les ONG qui ont fourni une assistance psychologique, juridique et autre ont été évaluées et des réseaux ont été créés. Le rapporteur pense qu’il s’agit là d’un excellent exemple de bonne pratique dont les autres pays de la région devraient s’inspirer. Il est particulièrement encourageant de voir que le ministère de la Justice a repris la responsabilité de ce programme en novembre 2009.
94. Le PNUD a lancé un appel pour que ce programme soit mis en œuvre dans un proche avenir par trois autres tribunaux; toutefois, le ministre de la Justice a clairement indiqué au rapporteur qu’il ne serait pas possible de dégager les fonds nécessaires à cette fin en 2010. Le rapporteur invite instamment les autorités croates à affecter les moyens financiers nécessaires afin que ce programme puisse être mis en œuvre dans tous les tribunaux de Croatie qui sont appelés à être en contact avec des témoins dans des affaires portant sur des crimes graves. De tels projets devraient notamment être mis en place sans délai à Rijeka et à Split, dont les tribunaux ont compétence pour traiter les affaires de crimes de guerre.

4.3. Monténégro

95. Le Monténégro a déclaré son indépendance de la Serbie-Monténégro en 2006. Etant donné que la Serbie-Monténégro était dotée d’un système fédéral, des lois séparées sur la protection des victimes ont été mises en place en 2003.

4.3.1. Législation

96. Les lois régissant la protection des témoins au Monténégro sont: le Code pénal de 2003, le Code de procédure pénale de 2003, la loi sur un programme de protection des témoins de 2004, la loi sur la police de 2005 et la loi sur l’Agence nationale de sécurité de 2005.
97. Le Code de procédure pénale dispose que les témoins ne sont pas tenus de répondre aux questions qui leur sont posées lorsqu’ils craignent pour leur sécurité, tant que des mesures de protection appropriées ne sont pas mises en place 
			(51) 
			Article 108.. Il dispose également, entre autres, que des mesures de protection doivent être mises en œuvre en vue de garder secrète l’identité des témoins au cours du procès, par l’emploi d’un pseudonyme et de techniques d’altération de la voix lors de l’interrogatoire 
			(52) 
			Article
109..
98. La loi sur un programme de protection des témoins permet de protéger les témoins dans les affaires portant sur les crimes contre l’ordre constitutionnel et la sécurité de la République du Monténégro, les crimes contre l’humanité et les autres valeurs protégées par le droit international, la criminalité organisée et les crimes passibles d’une peine de prison de dix ans ou plus 
			(53) 
			Article
5..
99. Les programmes de protection sont prévus pour les témoins ou leurs proches (conjoints ou autres personnes de leur famille). Un témoin peut faire l’objet d’un programme de protection à sa demande ou à l’initiative du procureur, d’un juge, du directeur d’une prison ou du directeur de la police criminelle. Les mesures énoncées dans la loi incluent la protection physique de la personne et de ses biens, le changement d’identité et le changement de lieu de résidence.

4.3.2. En pratique

100. Les mesures énoncées dans les lois pour la protection des témoins du Monténégro, si elles sont correctement mises en œuvre, peuvent offrir une protection adéquate aux témoins dans les affaires de crimes de guerre. Dans la pratique, peu d’affaires de crimes de guerre sont jugées par comparaison à d’autres pays. Toutefois, dans d’autres types d’affaires, il semblerait que les témoins n’auraient pas toujours bénéficié de la protection appropriée.
101. Le rapporteur a été informé du cas de Slobodan Pejović, un ancien policier, témoin dans une affaire de crimes de guerre actuellement jugée au Monténégro. En 1992, les forces de police, dont M. Pejović faisait partie, ont déporté des réfugiés bosniaques musulmans et les ont remis à l’armée serbe de Bosnie. M. Pejović s’est élevé contre cette décision et indique qu’il a refusé de prendre part à ces crimes. A la suite de quoi, il a été attaqué à plusieurs reprises, ce qui l’a incité à croire que sa vie était menacée. Il indique que, en septembre 2009, sa voiture a été criblée de balles et qu’elle a été vandalisée en décembre 2009. Neuf membres des forces de police locales ont à présent été inculpés et M. Pejović doit témoigner à leur procès, qui se tiendra vers la fin de l’année.
102. Selon les informations fournies au rapporteur, les forces de police locales n’ont pas voulu prendre quelque mesure de protection que ce soit à l’égard de M. Pejović, et ce malgré la gravité des menaces qui pèsent sur lui. Certaines mesures ont été prises récemment, mais uniquement après que 70 ONG se furent plaintes auprès des autorités à propos du traitement qui lui était réservé. Dans cette affaire, la difficulté semble être que M. Pejović demande précisément la protection aux forces contre lesquelles il témoigne. Le rapporteur en appelle aux autorités du Monténégro pour qu’elles mènent une enquête approfondie sur toutes les attaques dont M. Pejović a fait l’objet et pour qu’elles le protègent avant, pendant et après le procès au cours duquel il est appelé à témoigner.
103. Le cas de M. Pejović montre la gravité des lacunes existant dans le système de protection des témoins au Monténégro, du moins lorsqu’il s’agit de la mise en œuvre effective de la législation pertinente existante.
104. En 2006, une Unité de protection des témoins a été mise en place au sein du ministère des Affaires intérieures. Cette unité est chargée de la mise en œuvre des programmes de protection. Une Stratégie de développement a été adoptée en 2007. La Mission de l’OSCE au Monténégro a offert une formation à trois membres du personnel. L’OSCE envisage d’accueillir un séminaire en 2010 en vue de présenter à l’Unité de protection des témoins les pratiques adoptées par d’autres unités de la région. Les installations des tribunaux monténégrins doivent également être améliorées pour permettre aux témoins de déposer en toute sécurité et dans de bonnes conditions.

4.4. Serbie 
			(54) 
			Le rapporteur s’est rendu
à Belgrade les 4 et 5 février 2010. Il a rencontré des représentants
de l’Union européenne, du TPIY et de l’OSCE, des ministres du gouvernement,
le procureur général, le procureur spécial pour les crimes de guerre
et d’autres personnalités.

105. La République de Serbie est certainement confrontée à l’une des tâches les plus difficiles en ce qui concerne la poursuite des criminels de guerre dans l’ex-Yougoslavie, en raison notamment de la taille de sa population, mais surtout du nombre de conflits dans lesquels l’Armée populaire yougoslave (JNA) et les groupes paramilitaires ont été impliqués.
106. La Chambre spéciale chargée des crimes de guerre a été créée en 2003 et fait partie du tribunal de district de Belgrade. Elle comprend neuf juges (trois formations constituées chacune de trois membres) et est chargée de tous les procès pour crimes de guerre qui se tiendront à l’avenir en Serbie. Seules la Chambre spéciale chargée des crimes de guerre et la Chambre chargée de la lutte contre la criminalité organisée semblent disposer des équipements techniques appropriés pour assurer la protection et le soutien aux témoins.
107. Le poste de procureur spécial pour les crimes de guerre a été créé avec pour mission de débusquer et de poursuivre les auteurs de ces crimes. Il dispose d’une unité de détention spéciale et d’un service d’enquête spécial pour les crimes de guerre au sein du ministère des Affaires internes. Il existe également un procureur spécial pour la criminalité organisée, dont les fonctions sont semblables à celles du procureur spécial pour les crimes de guerre.

4.4.1. Législation

108. Le cadre législatif relatif à la protection des témoins (qui était embryonnaire auparavant) a été considérablement amélioré ces dernières années.
109. Le Code de procédure pénale de 2006 constitue la principale source des dispositions relatives à la protection des témoins en Serbie. Les articles 109.a à 109.dj établissent un cadre fondé sur le Règlement du TPIY. L’article 117 du code énonce les conditions dans lesquelles le tribunal peut inclure un témoin dans un programme de protection, à savoir lorsque celui-ci ou une personne qui lui est proche risque d’être exposé à un grave danger menaçant sa vie, sa santé, son intégrité physique et sa propriété, dans des procédures pénales engagées au titre d’une infraction passible d’au moins quatre ans d’emprisonnement. Les mesures de protection incluent: un procès à huis clos, la modification ou l’effacement du nom du témoin des procès-verbaux du procès ou l’interdiction de publier son identité, la rétention des données concernant le témoin, l’interrogation du témoin sous un pseudonyme, la dissimulation de l’apparence du témoin, l’audition du témoin dans différents endroits et le recours à la technologie d’altération de la voix. L’article 110 régit le traitement réservé aux témoins particulièrement vulnérables. Cela concerne les personnes appelées à témoigner à la fois lors des procédures judiciaires et lors de l’enquête faite par la police.
110. La loi sur l’organisation et la compétence des autorités gouvernementales dans les procédures relatives aux crimes de guerre (2003) 
			(55) 
			Journal
officiel de la Republika Srpska, nos 67/03, 135/04 et 61/05. prévoit que des témoignages peuvent être apportés par vidéoconférence. Elle dispose également que, lorsque des affaires sont transmises du TPIY, les mesures de protection qui ont déjà été mises en place sont maintenues.
111. La loi sur la police (2005) 
			(56) 
			Journal officiel
de la Republika Srpska, no 101/05. dispose que la police doit prendre des mesures appropriées en vue de protéger la vie des victimes/des témoins qui ont fourni des informations.
112. La loi sur le programme de protection pour les personnes qui participent à des procédures pénales (2005) 
			(57) 
			Journal
officiel de la Republika Srpska, no 85/05. régit la protection non procédurale et prévoit un programme de protection pour les témoins dans les affaires portant sur la criminalité organisée et les crimes de guerre. L’unité de protection a son siège au ministère des Affaires internes. Les mesures de protection comprennent la protection physique des personnes et des biens, la réinstallation à un nouveau domicile ou le placement dans une autre prison, si la personne est incarcérée, la dissimulation de l’identité des témoins et le changement total d’identité.

4.4.2. Protection des témoins

113. Il a été expliqué au rapporteur que le fonctionnement du système actuel repose sur le fait que c’est au juge de se prononcer sur la question de savoir si un témoin court un risque tel qu’il doit être placé dans un programme de protection des témoins. Toutes les informations concernant le témoin, dont seule la Chambre des juges connaît l’identité, doivent être conservées dans une enveloppe scellée. Toutefois, trente jours avant le procès, l’avocat de la défense est informé de l’identité de tout témoin anonyme ou protégé. Il est interdit à l’accusé de révéler l’identité d’un témoin transmise à son avocat. Le rapporteur pense que ce système présente les mêmes défauts que ceux examinés plus haut au titre du TPIY.
114. Il existe des sanctions visant à dissuader les gens de révéler l’identité des témoins (cela étant considéré comme une violation du secret professionnel), mais elles n’ont pas encore été appliquées. De plus, on sait que des témoins protégés ont eux-mêmes révélé leur identité.
115. Une Unité de protection des témoins (UPT) a été créée de fait en 2006 au sein de la Chambre spéciale chargée des crimes de guerre (hors de tout cadre juridique officiel). Son fonctionnement est assuré par le ministère des Affaires internes. Le rapporteur a été informé que cette unité est très active et qu’elle a placé plus de témoins dans ses programmes que tous les autres pays des Balkans pris ensemble. Les juges ont à leur disposition un grand nombre de mesures, y compris le recours aux vidéoconférences et l’enregistrement des témoignages. Le recours aux vidéoconférences a été particulièrement utile, car il a permis d’amener des personnes résidant en dehors de la juridiction à témoigner.
116. Des problèmes ont été mentionnés au rapporteur à propos du fonctionnement de l’UPT. En premier lieu, il n’existe pas de protocole sur le modus operandi de l’unité, ce qui risque de créer des incohérences. En deuxième lieu, l’UPT ne dispose pas de ressources financières suffisantes. On observe un manque d’équipements, ce qui signifie que, bien que la loi prévoie un certain nombre de mesures, celles-ci ne sont pas toujours disponibles dans la pratique. Ainsi, par exemple, il n’y a pas assez de policiers pour prêter assistance aux témoins qui ont besoin de protection vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
117. Une autre préoccupation exprimée par les interlocuteurs du rapporteur porte sur le fait que l’UPT dépend du ministère des Affaires internes, qui est également responsable des services de police. Cet état de fait présente une difficulté lorsque l’unité cherche à protéger des témoins «qui ont du sang sur les mains» ou des témoins recherchés en liaison avec d’autres crimes. En effet, l’efficacité des programmes de protection des témoins laisse à désirer, en raison d’un potentiel conflit d’intérêts, lorsque la police doit protéger des personnes qui font eux-mêmes l’objet de poursuites. Des complications se seraient également fait jour lorsque des témoins «de l’intérieur» cherchent à témoigner, par exemple lorsque ces témoins font partie de la police. Ces personnes hésitent à venir témoigner contre leurs collègues, notamment lorsque la protection dont elles pourraient bénéficier doit venir de ceux contre lesquels elles ont l’intention de témoigner. Des appels ont été lancés pour que l’unité soit transférée au ministère de la Justice, de sorte qu’elle soit indépendante des forces de police. De plus, un manque de coordination et de coopération entre l’UPT, le bureau du procureur et les tribunaux a été souligné.
118. Le rapporteur a également été informé que le comportement inapproprié des membres de l’UPT à l’égard des témoins a parfois eu pour effet que ces derniers ont modifié leur témoignage ou bien tout simplement décidé de ne pas témoigner du tout. Plus fâcheux encore, le rapporteur a été informé par le procureur spécial pour les crimes de guerre que des membres de cette unité auraient rendu publics des extraits des témoignages. Il a toutefois été impossible d’engager des poursuites à leur encontre faute de preuves. Etant donné que l’UPT vient en appui du travail du procureur, ce dernier aimerait avoir une certaine autorité sur celle-ci afin d’être en mesure d’éviter que de tels problèmes ne se produisent.
119. Enfin, plusieurs membres de l’UPT seraient d’anciens membres des «bérets rouges» (unité dont il a été dit qu’elle aurait commis des crimes de guerre). Le rapporteur souligne que le recrutement des membres de l’UPT devrait respecter une procédure stricte et répondre à des critères stricts en vue de lever tous les doutes qui pourraient se faire jour à propos d’une éventuelle participation de ses membres à des crimes de guerre ou d’autres crimes graves. C’est pourquoi l’UPT ne devrait pas inclure des membres d’anciennes unités qui ont pris part à la guerre.
120. Pour toutes ces raisons, le rapporteur soutient les appels lancés en vue soit du transfert de l’UPT sous l’autorité du ministère de la Justice soit de la coordination de ses activités par ce dernier, et en vue de donner compétence au bureau du procureur d’assurer l’assistance aux témoins dès le début de la phase d’enquête.
121. Seule la Chambre spéciale chargée des crimes de guerre dispose d’une UPT et il n’existe pas de bases juridiques pour mettre en place de telles unités en dehors de la chambre. Toutefois, le rapporteur pense que la Chambre de la criminalité organisée ou toute autre juridiction pouvant juger des affaires de crime organisé ou de traite doivent également être en mesure de protéger les témoins qui risquent d’être mis en danger en venant faire leur déposition. Il paraît également indispensable de mettre en place un protocole relatif au modus operandi de l’UPT.
122. L’affaire Zoran Vuk Vukojevic, bien qu’elle ne concerne pas un crime de guerre, constitue un bon exemple de la nécessité de mettre en place des programmes de protection ainsi que de la nécessité que les témoins puissent avoir confiance dans le système. Le rapporteur a été informé que M. Vukojevic avait travaillé pour le «Zemunski klan», l’un des groupes criminels les plus importants de Serbie, et qu’il avait été témoin dans l’affaire du meurtre de M. Zoran Djindjic, le Premier ministre serbe assassiné en 2003. M. Vukojevic collaborait avec la justice et a bénéficié d’un programme de protection des témoins, programme qu’il avait librement décidé de quitter avant d’être retrouvé assassiné dans sa voiture peu de temps après, le 3 mars 2006.
123. Si elle est adoptée, la nouvelle loi sur la procédure pénale modifiera la manière dont les crimes sont instruits en Serbie. Les juges d’instruction seront supprimés et le procureur se chargera des fonctions d’instruction (il sera donc en contact avec les témoins dès le tout début de la phase d’enquête). Il pourrait donc s’avérer nécessaire de mettre en place une unité de protection des témoins au sein du ministère de la Justice et de la rattacher au procureur. Un débat existe aujourd’hui en Serbie à propos de cette possibilité, à laquelle le rapporteur est favorable (voir également la section sur la Bosnie-Herzégovine).
124. A l’occasion de sa visite en Serbie, le rapporteur a eu l’impression qu’il existait une certaine volonté politique en vue d’améliorer le système de protection des témoins et que certains efforts avaient déjà été déployés à cette fin. Toutefois, le système dispose de capacités très limitées et souffre d’un manque de confiance de la part des témoins, de l’absence d’un cadre juridique adéquat, de l’absence d’un financement approprié, du manque d’équipements techniques ainsi que d’un manque de coordination et de coopération entre les acteurs concernés.

4.4.3. Assistance aux témoins

125. Le rapporteur déplore qu’aucun système complet et efficace d’assistance aux témoins n’ait été mis en place en Serbie. Une Unité de soutien aux victimes et aux témoins a été créée au sein de la Chambre spéciale chargée des crimes de guerre en juin 2006, laquelle est constituée de deux membres qui n’avaient aucune expérience dans ce domaine au moment où ils ont été embauchés. Ces personnes ont aujourd’hui été formées et travaillent en étroite coopération avec le Centre de droit humanitaire. Elles se chargent d’organiser les déplacements ainsi que l’hébergement des témoins, dont elles s’occupent également au sein des locaux du tribunal. Toutefois, elles n’ont actuellement pas la capacité ni les ressources financières nécessaires pour offrir aux témoins un soutien psychologique 
			(58) 
			Informations
tirées de Amnesty International, «Burying
the Past: Impunity for enforced disappearances and abductions in
Kosovo» (Enterrer le passé: l’impunité pour les disparitions
forcées et les enlèvements au Kosovo), Londres, 2009.. Aucun système n’a été mis en place dans les autres tribunaux qui accueillent les victimes ou les témoins de crimes graves.
126. Là encore, comme il l’a déjà indiqué dans certaines des sections précédentes du présent rapport, le rapporteur se félicite des travaux engagés par les ONG dans ce domaine, mais il est également fermement convaincu que les autorités serbes devraient se charger de l’assistance aux témoins en mettant en place et en finançant des programmes pertinents dans tous les tribunaux qui accueillent des témoins de crimes graves.

4.5. Kosovo 
			(59) 
			Les 15 et 16 avril 2010,
le rapporteur s’est rendu à Pristina où il a notamment rencontré
le ministre de la Justice, des représentants de l’EULEX et de l’OSCE.

127. Au Kosovo, il n’existe pas de loi sur la protection des témoins. Toutefois, un projet de loi destiné à protéger les témoins est actuellement examiné par les ministères compétents. Les cinq tribunaux de district du Kosovo sont habilités à traiter les affaires portant sur des crimes de guerre 
			(60) 
			N.B. A l’heure actuelle, les juges
internationaux (EULEX) sont seuls compétents pour les affaires de
crimes de guerre. . Le Règlement 2001/20 de la Mission des Nations Unies au Kosovo (MINUK), sur la protection des parties lésées et des témoins dans les affaires pénales, donne aux instances judiciaires le pouvoir de mettre en œuvre toute une série de mesures de protection 
			(61) 
			Y compris: la non-divulgation des informations
qui pourraient être utilisées pour identifier le témoin; la non-publication de
comptes rendus; le témoignage derrière un écran; l’emploi de techniques
d’altération de la voix; l’octroi d’un pseudonyme; la tenue d’audiences
à huis clos; et la possibilité pour la juridiction de faire sortir
temporairement l’accusé de la salle d’audience. En 2007, les cinq
tribunaux de district ont été améliorés et ont reçu une partie de
l’équipement qui leur est nécessaire pour mettre en œuvre sur le
plan pratique les mesures de protection des témoins. Cet équipement comprend
des appareils permettant de modifier la voix, un circuit de télévision
interne (permettant aux témoins de témoigner à partir d’autres salles
situées dans le bâtiment du tribunal) ainsi que des installations
permettant d’utiliser la technologie de la vidéoconférence. Cette
dernière mesure permet aux témoins de faire leur déposition alors
qu’ils se trouvent dans d’autres endroits, dans et hors du Kosovo.
Il semblerait toutefois qu’un seul de ces tribunaux soit véritablement
équipé de manière appropriée. . Dans les cas les plus graves, les témoins peuvent témoigner anonymement 
			(62) 
			L’article
157 (3) du Code de procédure pénale provisoire du Kosovo dispose
que «[l]e tribunal doit s’abstenir de conclure à la culpabilité
de l’accusé en se fondant uniquement, ou dans une mesure décisive,
sur le témoignage d’un seul témoin dont l’avocat de la défense et
l’accusé ne connaissent pas l’identité».. Il a toutefois été expliqué au rapporteur que toutes ces mesures seront vaines tant que le témoin se trouve au Kosovo, où tout le monde se connaît. La plupart de ces personnes sont immédiatement reconnues par la défense lorsqu’elles font leur déposition malgré toutes les mesures prises pour en préserver l’anonymat.
128. Une unité de protection des témoins a d’abord été créée par la MINUK 
			(63) 
			MINUK DOJ, circulaire no 2003/5.. Toutefois, selon un rapport de l’OSCE, cette structure présentait trois grands défauts: un financement insuffisant, l’absence d’une loi générale relative à la protection des témoins et l’absence d’une police locale et internationale spécialisée ayant de l’expérience dans le domaine de la protection des témoins 
			(64) 
			Voir
OSCE (2007), «Sécurité et protection des témoins au Kosovo: Evaluation
et recommandations» (novembre 2007), p. 9. Au cours de sa visite
au Kosovo, le rapporteur a été informé par différentes sources que
les UPT de la MINUK ne travaillaient pas toujours avec le professionnalisme
requis et ne respectaient pas toujours l’anonymat des témoins (qui auraient
parfois été mis en danger à dessein).. Parallèlement, l’EULEX a mis en œuvre une unité de protection des témoins et le rapporteur a été rassuré de voir que cette dernière semble fonctionner de manière très professionnelle, encore qu’elle souffre d’un manque chronique de personnel.
129. Les mesures de protection actuellement disponibles connaissent de nombreuses limites, notamment parce que le Kosovo compte moins de 2 millions d’habitants organisés en communautés qui entretiennent des liens très étroits. Les témoins venant déposer sont souvent considérés comme des traîtres par le reste de la population, ce qui fait que les témoins potentiels répugnent à se faire connaître. De plus, nombreux sont ceux qui ne considèrent pas comme un devoir moral ou juridique de venir témoigner dans des affaires pénales 
			(65) 
			Ibid., p. 8..
130. De plus, lorsqu’un témoin se fait connaître, il court un véritable risque de représailles. Celles-ci peuvent être sans danger direct, comme la perte de son emploi, mais il existe aussi des exemples où des témoins clés se sont fait assassiner. Certains témoins, ayant témoigné notamment contre Daut Haradinaj devant les tribunaux du Kosovo, ont été assassinés 
			(66) 
			Base de données judiciaires
du TPIY – procès-verbal de l’audience du 24 mai 2005 dans l’affaire
procureur contre Ramush Haradinaj, Idriz Balaj et Lahi Brahimaj
– audience sur la demande de mise en liberté provisoire de Ramush Haradinaj,
voir p. 76, 77, 78 et 79, <a href='http://icr.icty.org/LegalRef/CMSDocStore/Public/English/Transcript/NotIndexable/IT-04-84/TRS2539R0000131909.doc'>http://icr.icty.org/LegalRef/CMSDocStore/Public/English/Transcript/NotIndexable/IT-04-84/TRS2539R0000131909.doc</a>.. Des inquiétudes ont été exprimées quant à de possibles intérêts communs entre les personnes qui tentaient ainsi d’interférer dans le procès contre Daut Haradinaj et ceux qui seraient susceptibles de tenter d’interrompre les poursuites contre Ramush Haradinaj devant le TPIY 
			(67) 
			Ibid., voir p. 75 et 76. . Le procès de Ramush Haradinaj, ancien chef de l’armée de libération du Kosovo, constitue d’ailleurs une bonne illustration en termes de pressions à l’égard des témoins. M. Haradinaj a été inculpé par le TPIY pour des crimes commis au cours de la guerre du Kosovo, mais a été ensuite acquitté. Dans son arrêt du 3 avril 2008, le tribunal a souligné les difficultés qu’il a rencontrées pour obtenir le témoignage des témoins de l’accusation, dont 34 ont bénéficié de mesures de protection et 18 ont dû être cités à comparaître. Le 21 juillet 2010, la Chambre d’appel du TPIY a annulé en partie l’acquittement et ordonné que les accusés soient de nouveau partiellement jugés pour certains chefs d’accusation, compte tenu notamment des intimidations graves de témoins qui ont marqué le procès 
			(68) 
			Voir
communiqué de presse du TPIY, AC/MOW/1358f La Haye, 21 juillet 2010. .
131. De même, un témoin de l’accusation a été tué et un témoin anonyme a été grièvement blessé sur un marché à Xërxë/Zerze le 10 octobre 2005, après avoir accepté de venir témoigner dans un procès portant sur des crimes de guerre. Le nom et les données personnelles du témoin anonyme ont été entièrement publiés dans un journal local. Il s’en est suivi que, lors du procès tenu en décembre 2005, le témoin survivant n’a pas été en mesure de témoigner anonymement 
			(69) 
			«Review
of the Criminal Justice System in Kosovo» (Rapport sur le système
de justice pénale au Kosovo), The protection
of witnesses in the criminal justice system, The administration
of justice in minor offences courts, Juveniles in criminal proceedings (2006),
p. 14-15, Mission de l'OSCE au Kosovo; Henley, W., «Witness Protection Still Big Problem in Kosovo»
(La protection des témoins reste un grave problème au Kosovo) (Institute
for War and Peace Reporting), 2007, <a href='http://www.iwpr.net/?p=tri&s=f&o=335202&apc_state=henh'>www.iwpr.net/?p=tri&s=f&o=335202&apc_state=henh</a>..
132. Comme l’a noté l’OSCE, au Kosovo, il arrive bien trop souvent que des témoins qui avaient initialement déposé auprès de la police modifient leur témoignage ou refusent de venir témoigner lors du procès par peur de représailles. Les cas d’intimidation ou d’agression de témoins sont assez fréquents pour justifier cette hésitation de la part des personnes concernées 
			(70) 
			«Review of the
Criminal Justice System in Kosovo», ibid.,
p. 15.. Les personnes qui témoignent anonymement ou dans le cadre d’un programme de protection craignent également que leur identité soit révélée, ce qu’a souvent fait la presse locale 
			(71) 
			Le
rapport 2007 de l’OSCE souligne le comportement irresponsable de
certains journaux locaux qui, dans un certain nombre de cas, ont
révélé l’identité des «témoins anonymes». . Les menaces et les agressions à l’encontre des témoins restent souvent impunies.
133. Les difficultés qui accompagnent les programmes de réinstallation des témoins ont déjà été examinées plus haut dans le présent document. Toutefois, le rapporteur souhaite attirer l’attention sur le fait que le problème est particulièrement aigu au Kosovo, où des témoins ont été tués.
134. Il est pratiquement impossible de réinstaller les témoins sur le territoire du Kosovo en raison de la taille du pays. La seule véritable mesure de protection pour les témoins menacés (et leurs familles) est la réinstallation hors du Kosovo. Toutefois, plusieurs facteurs (par exemple, la grande taille qu’ont traditionnellement les familles kosovares, le fait qu’elles ne parlent pas l’anglais, la non-reconnaissance du Kosovo par un certain nombre d’Etats, etc.) font que peu de pays acceptent d’accueillir des candidats à la réinstallation originaires du Kosovo. De même, le rapporteur a été informé que certains gouvernements hésitent à accueillir des témoins du Kosovo en raison d’autres questions liées à leurs politiques d’immigration et d’asile politique.
135. La UPT de l’EULEX-négocie des Accords de réinstallation ad hocpar le biais de réseaux informels 
			(72) 
			Puisqu’elle n’a pas capacité à signer
officiellement de tels accords. et prend en charge les coûts y afférents (réinstallation elle-même et dépenses courantes des personnes réinstallées). Toutefois, en raison du manque de personnel, un certain nombre de cas ne peuvent pas être étudiés actuellement parce que l’UPT de l’EULEX n’a pas les moyens de protéger les témoins. De l’avis du rapporteur, cet état de fait constitue un grave obstacle à la bonne administration de la justice, mais il est possible d’y remédier en augmentant le personnel de l’UPT.
136. Comme le TPIY, la mission de l’EULEX est limitée dans le temps. L’Union européenne devra prévoir un mécanisme résiduel en vue d’assurer le suivi de la protection des témoins dont s’occupe EULEX lorsque son mandat viendra à échéance.
137. Les programmes d’assistance aux témoins sont très limités au Kosovo. A l’heure actuelle, il n’existe aucun système permettant d’assister les témoins dans les cinq tribunaux qui ont à traiter les affaires concernant des crimes de guerre. Et puis, il y a le problème du manque d’équipements et d’aménagements appropriés, tels que des entrées séparées pour les témoins ou des salles d’attente isolées où ils peuvent se sentir en sécurité alors qu’ils attendent de déposer au procès.
138. Comme l’ont indiqué plusieurs des interlocuteurs du rapporteur, les témoins potentiels n’ont pas confiance dans la protection dont ils pourraient bénéficier et refusent par conséquent de témoigner. Comme cela a déjà été souligné dans le présent rapport, il est de la plus haute importance que soient créées des conditions dans lesquelles les témoins puissent témoigner en toute sécurité. Bon nombre de témoins potentiels au Kosovo affirment que, s’ils déposent, ils seront perçus comme des traîtres. Le rapporteur encourage les Etats membres à faciliter la réinstallation de témoins menacés originaires du Kosovo, notamment en les accueillant sur leurs territoires.
139. Comme l’ont reconnu plusieurs fonctionnaires du Kosovo, sans la communauté internationale, le Kosovo ne serait pas en mesure d’assurer la protection des témoins menacés (la police kosovare ne dispose pas des capacités nécessaires). De plus, les autorités reconnaissent ouvertement que, dans certaines affaires très sensibles portant sur des allégations de crimes de guerre, il sera impossible de trouver des juges, des procureurs et des avocats du Kosovo qui soient disposés à traiter les affaires concernant ces accusés.

5. Coopération régionale et internationale

140. En raison de la nature des conflits dans les Etats de l’ex-Yougoslavie, ainsi que de la petite taille de ces pays, il est impératif d’instaurer une coopération régionale et internationale en matière de protection des témoins.
141. Le rapporteur a été encouragé de constater que des améliorations significatives sont intervenues pour ce qui concerne la coopération en matière de protection des témoins entre les différents pays de la région. Il s’est réjoui d’apprendre qu’une bonne coopération s’est instaurée entre les ministères de la Justice serbe et croate et, d’une manière générale, entre les bureaux du procureur de Bosnie-Herzégovine, de Croatie, du Monténégro et de Serbie. Une telle coopération est importante, notamment quand un témoin doit être protégé lorsqu’il se rend d’un Etat à l’autre pour apporter son témoignage ainsi que dans tous les cas où il est possible d’avoir recours au système de vidéoconférence pour recueillir des témoignages.
142. Tous les Etats membres du Conseil de L’Europe examinés dans le présent rapport ont signé et ratifié le 2e Protocole additionnel à la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale (STE no 182), lequel prévoit, entre autres choses, la coopération en matière de protection et d’assistance aux témoins grâce au recours à la technologie de la vidéoconférence pour permettre à une personne d’être entendue à partir d’un Etat contractant dans une affaire pénale concernant un autre Etat.
143. Il existe un certain nombre d’accords bilatéraux; ainsi, par exemple, le tribunal de district de Belgrade et le tribunal de Bosnie-Herzégovine ont signé, en 2007, un mémorandum d’accord sur la coopération en matière d’assistance aux témoins en vue de leur participation à des procédures pénales. La Bosnie-Herzégovine et la Serbie sont également parties à la Convention en matière de coopération policière pour l’Europe du Sud-Est, dont l’article 10 prévoit la coopération dans le domaine des programmes de protection de témoins. Il n’existe pas d’accords particuliers entre la Serbie et la Croatie, mais les deux pays ont conclu des accords d’entraide en matière pénale 
			(73) 
			En
1998, la Croatie a signé, avec ce qui était alors la République
fédérale de Yougoslavie, un accord bilatéral sur l’entraide juridique
en matière pénale et civile. Elle a également signé, en 1996, un
accord avec la Bosnie-Herzégovine sur l’entraide juridique en matière
pénale et civile. .
144. Un des problèmes qui a été mentionné à maintes reprises lors des visites que le rapporteur a effectuées dans la région concerne les accords relatifs à la réinstallation des témoins. Pour que les programmes de réinstallation soient efficaces, il y a un fort besoin de coopération internationale. Cela vaut plus particulièrement pour les pays examinés dans le présent rapport puisque – étant donné leur petite taille – la réinstallation interne n’offrira pas nécessairement une protection adéquate. Un certain nombre d’accords bilatéraux ont été conclus avec des Etats d’autres régions d’Europe en vue de la réinstallation de témoins 
			(74) 
			A cet égard, il
convient de souligner que le Kosovo – qu’un certain nombre de pays
ne reconnaissent pas en tant qu’Etat – est confronté à des difficultés
particulières. . Toutefois, la plupart des accords stipulent que l’Etat sollicitant l’assistance devra supporter les coûts afférents à la réinstallation des témoins et à l’assistance à leur apporter dans le pays d’accueil. De l’avis du rapporteur, il s’agit là d’une condition particulièrement onéreuse à la charge des Etats de la région. Cependant, les accords de réinstallation sont conclus en se fondant sur le principe de la réciprocité. En vue d’aider les pays concernés à faire face aux coûts afférents à la protection des témoins – et considérant que la bonne administration de la justice est de l’intérêt de tous et qu’elle constitue une responsabilité partagée – le rapporteur en appelle aux Etats membres du Conseil de l’Europe pour qu’ils apportent un soutien financier aux efforts déployés par les pays de l’ex-Yougoslavie, par exemple en envisageant de financer les équipements destinés à la protection des témoins ainsi que la formation appropriée du personnel chargé de mener à bien cette tâche. Les pays d’accueil devraient également examiner la possibilité de prendre en charge une partie des dépenses courantes générées par les témoins réinstallés.
145. Le rapporteur aimerait également souligner ici le rôle que la communauté internationale a déjà joué en vue d’améliorer la protection des témoins dans la région en finançant le rééquipement des tribunaux et la formation des personnels judiciaires et des autres acteurs de la protection des témoins 
			(75) 
			Il convient notamment
de reconnaître le rôle clé joué par l’OSCE dans la région, et ce
non seulement pour ce qui concerne le travail de suivi qu’elle a
accompli en matière de procès relatifs aux crimes de guerre, mais
également en organisant régulièrement, dans le cadre du Processus
Palić, des réunions de procureurs et de juges de Bosnie-Herzégovine,
de Croatie, du Monténégro et de Serbie en vue d’examiner, entre
autres, l’accès aux témoins et la protection à leur accorder. .

6. Conclusions

146. Au cours des dernières années, tous les Etats examinés dans le présent rapport ont adopté des règles en matière de protection des personnes qui apportent leurs témoignages inestimables dans les affaires relatives à des crimes de guerre. De plus, différents acteurs de la communauté internationale se sont investis de manière significative dans les programmes de protection.
147. Le rapporteur est convaincu que d’importants progrès ont été accomplis, non seulement en matière de poursuite des crimes de guerre, mais également en matière de protection des témoins dans les affaires relatives à la criminalité organisée, aux trafics et à dans d’autres cas où la sécurité des témoins est menacée de façon réelle ou supposée.
148. Toutefois, à la suite des visites qu’il a effectuées dans la région, le rapporteur a l’impression que le niveau de protection des témoins présente d’importantes différences dans les Etats concernés et qu’aucun d’entre eux n’offre un système complet de protection des témoins. Les conséquences se font sentir de manière particulièrement tragique au Kosovo où des témoins ont été assassinés. En Bosnie-Herzégovine, les témoins font régulièrement l’objet de menaces et d’intimidation. En Croatie et en Serbie, l’identité de certains témoins a été révélée. Ces derniers faits sont apparemment moins graves, mais ils ont toutefois d’importantes conséquences puisque les témoins hésitent à venir apporter leur précieux témoignage, sans lequel les tribunaux ne pourront rendre justice et jouer leur rôle dans le processus de réconciliation dans les Balkans.
149. De même, les programmes de protection des témoins ne sont satisfaisants dans aucun des Etats examinés et se trouvent dans un état embryonnaire dans la plupart d’entre eux. Pour l’instant, les services de protection sont offerts de manière sporadique et n’apportent qu’une assistance très insuffisante aux personnes dont le témoignage est reçu dans des affaires relatives à des crimes de guerre. Il y a un réel danger que les témoins qui viennent déposer deviennent, pour cette raison, des victimes secondaires ou qu’ils décident de ne pas se présenter du tout.
150. En Bosnie-Herzégovine, le Tribunal d’Etat a régulièrement recours à des mesures de protection des témoins. Toutefois, des améliorations doivent être apportées et les mesures doivent être mises en œuvre de manière cohérente. Dans les tribunaux des entités, la protection offerte aux témoins est sporadique. La Stratégie nationale pour les crimes de guerre doit être mise en œuvre et les tribunaux à l’échelon des entités devraient se doter de règles en matière de protection des témoins. Il faut investir davantage dans l’Agence d’Etat pour les enquêtes et la protection en vue de garantir aux personnes qui témoignent dans les affaires portant sur des crimes de guerre devant les tribunaux des entités qu’elles puissent bénéficier de programmes de protection lorsque cela est nécessaire.
151. La loi prévoit que les services d’assistance soient fournis par les centres de protection sociale, mais cela ne s’est pas traduit par l’affectation des ressources financières nécessaires à ces services en dehors du Tribunal d’Etat, où l’assistance est limitée. Etant donné que la majorité des affaires portant sur des crimes de guerre sont examinées à l’échelon des entités, il importe de mettre en œuvre un financement et une formation adéquats pour pouvoir apporter un soutien effectif aux témoins. Les ONG offrent une assistance dans quelques régions, mais les autorités devraient veiller à ce que celle-ci soit cohérente et qu’elle soit offerte aux témoins dans tous les tribunaux.
152. La Croatie s’est dotée d’une législation satisfaisante en matière de protection des témoins. Toutefois, les crimes de guerre sont jugés au sein de tribunaux où le personnel judiciaire n’a pas été formé à la protection des témoins. Le rapporteur estime que les affaires portant sur les crimes de guerre – dans lesquelles les témoins sont en danger – devraient être transférées aux tribunaux qui ont une compétence spéciale pour les juger, dans lesquels les juges et les procureurs ont suivi une formation et où il existe les équipements nécessaires pour mettre en œuvre les mesures de protection. Dans le même temps, les juges et les procureurs de tous les tribunaux devraient se voir offrir une formation adéquate de sorte que les mesures de protection puissent être mises en œuvre dans d’autres affaires où la sécurité des personnes ayant décidé de témoigner est menacée.
153. Les services de soutien aux témoins ont été améliorés en Croatie grâce au programme mis en place par le PNUD dans quatre tribunaux. Ces services devraient être étendus à tous les tribunaux ayant à connaître d’affaires de crimes de guerre, de criminalité organisée ou de traite. Il convient notamment de les développer dans les tribunaux de district de Rijeka et de Split, qui ont une compétence spéciale pour connaître des affaires concernant des crimes de guerre 
			(76) 
			Les
tribunaux de district de Zagreb et d’Osijek, qui sont également
dotés de compétences spéciales pour entendre les affaires concernant
les crimes de guerre, ont été équipés dans le cadre du programme
du PNUD..
154. En Serbie, toutes les affaires portant sur des crimes de guerre sont portées devant la Chambre spéciale chargée des crimes de guerre, où des mesures de protection peuvent être mises en place et où fonctionne une Unité de protection des témoins. Toutefois, l’UPT a besoin de plus de ressources financières et son mandat doit être étendu de sorte qu’elle puisse protéger les témoins dans d’autres types d’affaires, notamment celles liées à la criminalité organisée. L’UPT doit également être supervisée par un organe indépendant des forces de police en vue de garantir que les «témoins de l’intérieur» soient également protégés et se sentent en sécurité.
155. En Serbie, il semblerait que les services d’assistance soient uniquement fournis par le Centre de droit humanitaire dans le cadre de la Chambre spéciale chargée des crimes de guerre. Ces services devraient être étendus à d’autres tribunaux. Au Kosovo et au Monténégro, il n’existe pratiquement pas de services d’assistance aux témoins.
156. Les règles régissant la protection des témoins au Kosovo doivent être radicalement amendées et il y a lieu de veiller au financement des agences participant à la protection des témoins, ainsi qu’à la formation de leur personnel. Comme on l’a indiqué plus haut, les témoins ne sont pas protégés de manière appropriée, ce qui est particulièrement grave dans un pays où ils répugnent déjà à coopérer aux enquêtes menées à propos des crimes de guerre.
157. Dans tous les Etats cités dans le présent rapport, ces lois n’ont été adoptées que très récemment et leurs bénéfices réels ne se feront sentir que lorsque la police enquêtant sur les crimes de guerre, les procureurs, les juges et les fonctionnaires d’Etat auront été formés aux mesures de protection qu’ils peuvent offrir aux témoins. Le rapporteur est fermement convaincu que les gouvernements doivent prendre la responsabilité de ces programmes et se les approprier. Il en appelle aux autorités de la région pour qu’elles mettent en œuvre un financement de nature à garantir que tous les tribunaux disposent des ressources appropriées en vue de protéger les témoins, y compris pour faire face aux besoins en personnel et en technologie.
158. La coopération instaurée entre les Etats est efficace pour permettre aux témoins de déposer par le biais d’équipements de vidéoconférence à partir d’autres Etats dans des affaires de crimes de guerre. Cette manière de procéder réduit de façon significative les risques pesant sur les témoins qui devraient, autrement, se rendre dans un Etat qu’ils ont fui. Toutefois, il convient de poursuivre la coopération internationale en matière de réinstallation des témoins. Les Etats européens devraient envisager d’accueillir les témoins originaires des Balkans, et notamment du Kosovo, dans le cadre de programmes de réinstallation.
159. De plus, le rapporteur estime que les programmes d’assistance aux témoins doivent être étendus et rendus opérationnels dans tous les tribunaux de la région qui reçoivent des personnes venant déposer dans des affaires pénales graves. Tous ces programmes devraient, au moins, être mis en place par les autorités et être supervisés par elles. Il est bien beau de recourir aux ONG pour fournir des services, mais les Etats ne doivent pas se décharger sur celles-ci des devoirs qui leur incombent à l’égard des témoins. Les autorités doivent garantir que les ONG qui se sont engagées à leur fournir des services d’assistance, et bénéficient d’un financement approprié pour ce faire, répondent à des normes minimales et que ces services soient fournis de manière cohérente à tous les témoins qui en ont besoin.
160. Les pays de l’ex-Yougoslavie doivent prendre conscience du fait que la communauté internationale suit de près l’évolution de la manière dont ils conduisent les procès relatifs aux crimes de guerre. En effet, de même que le TPIY a servi de modèle pour les tribunaux traitant de crimes de guerre et les tribunaux spéciaux créés par la suite, les pays concernés devraient devenir des modèles en matière de paix et de réconciliation. Il faut garder à l’esprit qu’il existe une certaine urgence à cet égard puisque les témoignages – et avec eux une partie de la vérité – sont perdus à jamais lorsque les témoins ne sont plus en vie. Les témoins qui se présentent au nom de la vérité et de la justice doivent pouvoir bénéficier d’une protection fiable et durable 
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			Voir le document <a href='http://assembly.coe.int/CommitteeDocs/2009/20090903_fjdoc38.pdf'>AS/Jur
(2009) 38</a>.. Sans la protection et le soutien dont les témoins ont besoin pour pouvoir témoigner, il ne pourra y avoir ni justice ni réconciliation.