1. Introduction
1. Après un siècle d’augmentation naturelle de la population,
les perspectives démographiques qui s’annoncent pour l’Europe au
XXIe siècle sont celles d’une baisse du taux de natalité et d’un
vieillissement excessif de la population entraînant une diminution
en termes absolus du nombre de travailleurs actifs et une augmentation
du pourcentage des plus de 60 ans dans l’ensemble de la population.
2. Cette évolution devrait, à son tour, créer des difficultés
aux niveaux du marché de l’emploi et des systèmes de sécurité sociale
et de santé reposant sur des cotisations, du fait de la diminution
du nombre de personnes aptes à travailler, et en conséquence du
nombre de cotisants, et de l’augmentation concomitante du nombre
de personnes ayant besoin des services et prestations que fournissent
ces systèmes.
3. Devant ce tableau, certains affirment que les migrations sont
le moyen de remédier au problème démographique, tant du point de
vue de la taille globale de la population que du point de vue de
la pyramide des âges.
4. La relation entre démographie et migrations est cependant
plus complexe. Pour tenir compte de ce fait, le présent rapport
examinera, dans un premier temps, la situation démographique générale
en termes de naissances, de décès, de pyramide des âges et de croissance
de la population, puis, dans un deuxième temps, l’impact que les
migrations pourraient avoir sur l’évolution démographique en Europe.
5. Le rapporteur concentrera son attention sur un certain nombre
de questions essentielles liées entre elles: quels sont les problèmes
démographiques auxquels doit faire face l’Europe? Dans quelle mesure
les migrations représentent-elles une solution à ces problèmes démographiques?
L’Europe a-t-elle besoin de l’immigration pour répondre à ses besoins
démographiques, aux besoins du développement économique et à ceux
du marché de l’emploi? Quels sont les risques associés aux migrations?
Quels sont les obstacles politiques en ce domaine et comment les
surmonter?
6. Ce rapport repose principalement sur les exposés d’experts
présentés au cours de deux auditions de la commission des migrations,
des réfugiés et de la population tenues à Genève, le 25 novembre
2008 (Audition de Genève), et à Paris, le 31 mars 2010 (Audition
de Paris). Il s’appuie également sur les travaux précédents de l’Assemblée
parlementaire dans le domaine de la population et, en particulier,
sur les recommandations incluses dans la
Recommandation 1564 (2002) sur l’état
de la population mondiale, la
Recommandation 1683 (2004) sur
les tendances en matière de population en Europe et leur sensibilité
aux mesures des pouvoirs publics, la
Résolution 1502 (2006) et la
Recommandation 1749 (2006) sur
la cohésion sociale face aux défis démographiques et la
Recommandation 1903 (2010) «Quinze
ans après le Programme d’action de la Conférence internationale
sur la population et le développement».
7. Le rapporteur a connaissance des nombreux travaux pertinents
menés pendant les trente dernières années par le Comité européen
sur la population du Conseil de l’Europe pour identifier les politiques
aptes à répondre aux défis démographiques auxquels doivent faire
face les sociétés européennes, ainsi que le travail réalisé par
le Comité européen sur les migrations afin d’élaborer des politiques
de gestion des migrations et des politiques favorisant l’intégration
positive des migrants. Elle est d’avis que, même si la responsabilité
de définir des réponses adaptées à la baisse démographique et au
vieillissement de la population revient principalement à chaque
pays, et bien que l’Union européenne soit sans doute mieux placée
pour agir sur les politiques nationales de l’immigration et de développement,
le Conseil de l’Europe a un rôle à jouer dans ce domaine. Elle regrette
que la dissolution du Comité européen sur la population en 2006
et la proposition de suspendre les activités du Comité européen
sur les migrations privent le Conseil de l’Europe de la possibilité de
contribuer à la discussion dans ce domaine qui concerne non seulement
l’Union européenne mais le continent européen tout entier, et de
faire participer l’ensemble des 47 Etats membres – en tant que partenaires
égaux – à la définition des approches pluridimensionnelles communes
qui permettront de faire face aux défis démographiques futurs.
2. Principaux
défis démographiques que doit relever l’Europe: sommes-nous d’ores
et déjà en difficulté?
2.1. Taux de natalité
Depuis plusieurs décennies, le taux de natalité est en baisse
dans la plupart des pays européens. De nombreux pays semblent devoir
faire face à la perspective d’une poursuite de cette baisse. Cependant,
il existe quelques exceptions notables qui pointent vers des orientations
prometteuses pour le développement de politiques efficaces.
8. Le taux de natalité
a très fortement
diminué dans presque tous les pays du monde. En 1950, le taux mondial
moyen était de cinq enfants par femme; il est aujourd’hui de 2,6.
L’ONU prévoit que ce chiffre atteindra le seuil de renouvellement
des générations
, qui est de 2,1, d’ici à 2050
.
9. L’Europe ne fait pas exception. En fait, l’Europe a été la
première région du monde à connaître une baisse du taux de natalité,
en commençant par la France à la fin du XVIIIe siècle. Le taux a
continué à baisser depuis. Pendant les années 1970, il est tombé
au-dessous du seuil de renouvellement des générations: aujourd’hui,
en Europe, les femmes ont en moyenne 1,5 enfant
.
10. Cette moyenne dissimule cependant de fortes différences entre
pays européens. En Europe du Sud (Italie, Grèce et Espagne), dans
les pays germanophones d’Europe de l’Ouest (Suisse, Allemagne et
Autriche) et en Europe orientale, les femmes ont 1,4 enfant ou moins.
En Europe du Nord et dans la plupart des pays d’Europe de l’Ouest,
les femmes ont en moyenne plus de 1,8 enfant
.
11. Il n’en a pas toujours été ainsi. Les pays d’Europe du Nord
et de l’Ouest ont été parmi les premiers à connaître une baisse
du taux de natalité dans les années 1960 et 1970. Dans certains
de ces pays, le taux de natalité est descendu jusqu’à 1,3 enfant.
Toutefois, à quelques exceptions près, il a recommencé à augmenter en
dépassant 1,8 enfant; dans plusieurs pays (Islande, Norvège et France),
il a presque rattrapé le seuil de renouvellement des générations
. En
Europe du Sud et en Europe orientale, la baisse est intervenue plus
tard, respectivement dans les années 1980 et 1990, et le taux de
natalité ne montre toujours aucun signe de croissance.
12. Avant les années 1970-1980, les modes «traditionnels» d’organisation
familiale, avec notamment un taux de natalité élevé, avaient réussi
à se maintenir dans les pays où la participation des femmes au marché du
travail était peu élevée (Europe du Sud). Par contre, dans les pays
où les femmes étaient entrées en plus grand nombre sur le marché
de l’emploi (France et Europe du Nord), le taux de natalité a rapidement
diminué.
13. Depuis 1980 environ, ce modèle s’est inversé: les pays où
la participation des femmes à la vie active est plus importante
connaissent un taux de natalité plus élevé.
14. Il semble qu’il y ait une corrélation entre cet écart et les
politiques publiques. De nombreux pays ont mis en place des politiques
visant à accroître les naissances. Ces politiques prennent des formes diverses: certaines
ont pour but de rendre financièrement plus avantageux pour les femmes
de rester à la maison avec leurs enfants (par exemple sous forme
de réductions d’impôts, comme dans plusieurs pays germanophones
et en Estonie); d’autres visent à faciliter l’emploi hors de la
maison des femmes qui ont des enfants (par exemple grâce au développement
de crèches, comme en Europe du Nord et en France).
15. Jusqu’ici, malheureusement, aucun des programmes ou mesures
mis en œuvre n’a encore permis d’accroître de façon significative
le taux de fécondité sur une longue période. Néanmoins, malgré des investissements
financiers à peu près équivalents dans ce domaine dans les pays
germanophones, en Europe du Nord et en France, le taux de natalité
semble augmenter plus rapidement dans les pays où les femmes ont la
possibilité de rester sur le marché de l’emploi que dans les pays
qui incitent les femmes à rester à la maison
.
16. Un certain temps est évidemment nécessaire pour que les politiques
fassent sentir leurs effets: dans la première moitié du siècle dernier,
la France, par exemple, avait l’un des taux de natalité les plus
bas du monde, malgré l’existence de toute une série de mesures détaillées
visant à encourager les naissances et largement soutenues par l’ensemble
des forces politiques. Ce n’est qu’au cours des dernières décennies
que le taux de natalité a commencé à augmenter.
17. En Europe du Sud, notamment en Italie, un problème supplémentaire
tient apparemment à la difficulté pour les jeunes d’entrer sur le
marché du travail et de trouver un logement, ce qui rend aussi plus
difficile pour eux de créer une famille
.
18. Un autre problème est lié au fait que, dans toute l’Europe,
les femmes ont moins d’enfants qu’elles ne le souhaiteraient. D’après
une estimation, les femmes européennes souhaitent en moyenne avoir
2,36 enfants et les hommes 2,21, alors que le chiffre réel est d’environ
1,5
. De nombreuses raisons ont été mises en
avant pour expliquer cet écart, par exemple la santé, le soutien
effectif du partenaire ou les considérations financières. Un problème
de santé qui contribue à cet état de fait est la baisse de la capacité
de procréation, qui est liée à son tour à l’âge de la maternité
(la fécondité diminue avec l’âge) mais aussi à d’autres problèmes de
santé comme les avortements à risques et les maladies sexuellement
transmissibles non traitées. Un cas extrême à cet égard est celui
de la Roumanie où les politiques pronatalistes appliquées par le
régime Ceauşescu pendant la période 1966-1991 incluaient l’interdiction
de l’avortement et la restriction de l’accès aux moyens contraceptifs.
Le résultat était que les femmes avaient en moyenne cinq avortements
illégaux dans des conditions peu sûres avant d’atteindre l’âge de
40 ans; environ 20 % d’entre elles devenaient stériles à la suite
de ces avortements
.
L’accès aux moyens contraceptifs s’est développé en Europe orientale
depuis 1990 et, de ce fait, le taux d’avortement a baissé. Néanmoins,
le financement accordé aux moyens contraceptifs par l’Etat reste
faible, et le taux d’avortement élevé
.
La fréquence des maladies sexuellement transmissibles a aussi augmenté
dans une grande partie de l’Europe orientale et, encore une fois,
ce fait a des incidences sur la stérilité secondaire
.
19. Néanmoins, les données actuelles montrent que l’écart entre
le nombre de naissances souhaitées et le nombre de naissances réelles
est moins élevé dans les pays aux taux de natalité les plus faibles
(l’Autriche, par exemple); autrement dit, dans ces pays, la norme
souhaitée de peu ou pas d’enfants semble avoir été assimilée par
l’opinion publique
.
20. Par conséquent, si l’objectif est d’accroître le taux de natalité,
les données disponibles à ce jour semblent indiquer que les mesures
les plus efficaces sont celles qui permettent aux femmes de concilier
plus facilement la vie de famille et le travail. Lorsque les femmes
doivent choisir entre avoir des enfants ou travailler, elles choisissent
généralement le travail. Il apparaît aussi probable que les mesures
qui permettent aux jeunes de commencer à travailler tout en fondant
une famille favorisent l’augmentation du taux de natalité. D’autre part,
certaines données montrent que l’absence de certaines mesures de
santé publique peut contribuer à l’infécondité involontaire.
2.2. Espérance de vie
et santé
A quelques exceptions près, l’espérance de vie augmente dans
toute l’Europe. Cependant, l’espérance de vie en bonne santé et
les besoins en soins varient fortement selon les pays.
21. Au niveau mondial, l’espérance de vie moyenne est
passée de 47 ans environ en 1950 à 68 ans environ aujourd’hui. L’espérance
de vie mondiale continue à s’allonger – de 4 à 5 mois par an – et,
dans ses prévisions, les Nations Unies ont cessé de se référer à
une limite supérieure de la longévité
.
22. Ici encore, l’Europe ne fait pas exception. L’Europe a été
la première région du monde à connaître des progrès réguliers de
l’espérance de vie, et cela dès la fin du XVIIIe siècle, en particulier
en Europe du Nord et en France
. L’espérance de vie y est actuellement
en moyenne de 77 ans environ
.
23. L’Europe orientale est la seule région d’Europe qui a fait
récemment exception à cette évolution globalement positive. Entre
1990 et 2000, quelques pays d’Europe orientale ont connu une chute
brutale de l’espérance de vie. Toutefois, cette tendance inquiétante
semble aujourd’hui s’être inversée et l’Europe orientale a presque
retrouvé le niveau d’espérance de vie qu’elle connaissait dans les
années 1960
.
24. Selon les prévisions démographiques d’EUROSTAT, l’espérance
de vie devrait continuer à augmenter d’environ six ans pour les
hommes et de cinq ans pour les femmes (Union européenne à 25) entre
2004 et 2050. Ces progrès résulteront pour l’essentiel de la baisse
de la mortalité aux âges les plus élevés et contribueront donc à
accroître le pourcentage de personnes âgées et très âgées dans l’ensemble
de la population. Ils dépendront toutefois de l’abandon de certaines
pratiques nuisibles à la santé comme le tabagisme, une alimentation
non équilibrée, le manque d’exercice physique et la consommation
excessive d’alcool
.
25. La question qui se pose est la suivante: les progrès de l’espérance
de vie s’accompagnent-ils inévitablement d’un report de l’invalidité
physique ou bien les individus vivent-ils plus longtemps dans l’état
de fragilité propre à la vieillesse? Si l’on passe des données sur
l’espérance de vie à celles qui portent sur l’espérance de vie en
bonne santé, on observe de fortes différences entre pays en ce qui
concerne le nombre d’années vécues sans maladie ou handicap grave,
avec des écarts de 14,5 années pour les hommes et 13,7 années pour
les femmes. Les données en la matière ne sont pas conclusives mais
les enquêtes semblent indiquer que les processus de vieillissement
évoluent et que les individus vivent plus longtemps sans invalidité grave
.
Ce fait pourrait avoir, à son tour, de fortes incidences sur le
coût des soins de santé pour les personnes âgées
.
2.3. Baisse et vieillissement
de la population: ces phénomènes sont-ils bien réels?
La population née en Europe commence à diminuer, même si l’ensemble
de la population européenne continue à augmenter à cause des migrations.
Alors que la baisse de population n’affectera que quelques pays européens,
le vieillissement est appelé à devenir un phénomène universel.
26. La population mondiale continue à augmenter et cette
augmentation est d’environ 80 millions d’individus par an. D’après
les prévisions moyennes des Nations Unies, la population mondiale
passera de 6,9 milliards aujourd’hui à 9,1 milliards en 2050
.
27. Comme toutes prévisions, ces prévisions des Nations Unies
reposent sur un certain nombre de présupposés. Le présupposé principal
est que l’utilisation du contrôle des naissances va continuer à augmenter
rapidement, contribuant ainsi à la baisse du taux de natalité, qui
passera de 2,6 aujourd’hui à 2,1 – le seuil de renouvellement des
générations – en 2050. Si l’on présuppose par contre que l’utilisation
du contrôle des naissances et le taux de natalité se maintiendront
aux niveaux actuels, la population mondiale atteindra 11 milliards
en 2050
.
28. En Europe, comme indiqué plus haut, les femmes ont depuis
les années 1970 un nombre d’enfants inférieur au seuil de renouvellement
des générations et n’ont aujourd’hui que 1,5 enfant. Du fait de l’«impulsion»
donnée par les générations antérieures et de l’immigration, il existe
toujours un léger «excédent des naissances» à l’intérieur de l’Union
européenne mais on prévoit que cet excédent disparaîtra d’ici à 2015
.
Dans l’Union européenne à 27, le «déficit de naissances» de la population
née en Europe atteindra en tout 68 millions pendant les décennies
qui nous séparent de 2050
.
29. Nombre des nouveaux Etats membres du Conseil de l’Europe connaissent
aussi une baisse de population, non seulement du fait d’un taux
de fécondité peu élevé mais aussi à cause de l’émigration vers l’Europe
de l’Ouest et, dans une moindre mesure, l’Amérique du Nord.
30. Globalement, on prévoit que la population totale des Etats
membres du Conseil de l’Europe (Andorre, Liechtenstein, San Marino
et Monaco non compris) passera de 808 millions en 2005 à 763 millions
en 2050, soit une diminution de 6 % sur quarante-cinq ans.
31. En ce qui concerne la pyramide des âges, comme indiqué plus
haut, le monde a connu globalement une «transition démographique»
caractérisée par le passage de taux de naissance et de mortalité
élevés à des taux de naissance et de mortalité plus faibles. Cette
évolution débouche sur une période prévisible mais limitée pendant
laquelle la population passe d’une première phase marquée par une
proportion élevée d’enfants de moins de 15 ans à une seconde phase
pendant laquelle c’est la proportion d’adultes en âge de travailler
(15 à 59 ans) qui est élevée, avant de parvenir à une troisième
phase caractérisée par une forte proportion d’individus âgés de
60 ans et plus. La deuxième phase, marquée par une proportion élevée
de personnes en âge de travailler et une proportion peu élevée de
personnes dépendantes (enfants et personnes âgées), est souvent
qualifiée de «dividende démographique» ou de «fenêtre d’opportunité
démographique».
32. Jusqu’à très récemment, l’Union européenne se trouvait encore
dans la deuxième phase favorable de l’évolution de la pyramide des
âges, avec les avantages qui en découlent pour la croissance économique.
Le nombre de personnes âgées de 15 à 64 ans a en fait atteint aujourd’hui
son point culminant (331 millions). Cependant, même si l’on anticipe
une baisse de la population totale, le nombre total des salariés
devrait augmenter, du fait d’une plus grande participation à la
vie active
.
33. Globalement, le pourcentage des personnes âgées de 60 ans
et plus devrait passer d’environ 11 % aujourd’hui à environ 22 %
d’ici à 2050 et la part des «plus âgées des personnes âgées» – 80
ans et plus – devrait presque quadrupler pendant la même période,
faisant du groupe des personnes de plus de 80 ans le groupe d’âge
augmentant le plus rapidement, non seulement en Europe mais dans
le monde entier.
34. Dans l’Union européenne, la proportion de personnes âgées
de plus de 60 ans est déjà de 22 % et devrait, selon les prévisions,
atteindre 34 % d’ici à 2050
.
Autrement dit, ce pourcentage est plus élevé mais augmente moins
rapidement que dans le monde entier. En ce qui concerne la population
en âge de travailler, immigrants non compris, on compte aujourd’hui
4,2 individus en âge de travailler pour chaque personne de plus
de 65 ans et ce nombre diminuera pour atteindre 2,1 en 2050
.
35. La baisse de la population née en Europe et le vieillissement
de la population européenne sont donc des problèmes bien réels,
même s’ils ne se manifestent pas de façon uniforme dans l’ensemble
de la région. Ces deux évolutions auront des incidences significatives
sur le marché de l’emploi, la croissance économique et la cohésion
sociale. On notera à cet égard que la proportion de gouvernements
européens qui jugent la croissance démographique trop lente a augmenté
pendant la période 1996-2009 et est passée de 30 % à 50 %
.
36. Une autre question se pose: les changements démographiques,
en particulier le vieillissement, sont-ils inévitables? La réponse,
ici aussi, est oui, à ce stade de l’évolution démographique ils
sont inévitables
. La raison en est que, d’ici à 2030, les
générations du «baby-boom» et du «baby-bust» auront atteint respectivement
l’âge de la retraite et l’âge de travailler.
37. On peut encore se demander: ces changements auront-ils des
conséquences préjudiciables aux sociétés? La réponse est ici plus
mitigée: cela dépendra. Les conséquences sont en effet très difficiles
à prédire car elles dépendront dans une large mesure des mesures
adoptées par les gouvernements et de l’aptitude des sociétés à accepter
les changements nécessaires
.
2.4. Doit-on anticiper
un «problème démographique»?
On peut prévoir un «problème démographique» requérant des
solutions démographiques; cependant, si l’on examine les choses
sous l’angle de la productivité, il existe de nombreux moyens de
résoudre ce problème.
38. Comme indiqué dans l’introduction de ce rapport,
la préoccupation qui s’exprime généralement est qu’avec le vieillissement
de la population, la force de travail va diminuer et devra soutenir
un nombre plus important de retraités, qui non seulement toucheront
des pensions de retraite mais seront aussi dans un état de santé
plus fragile du fait de leur âge et nécessiteront par conséquent
des soins coûteux. Autrement dit, la population consommera plus
qu’elle ne produit
.
La question est donc de savoir si l’Europe sera capable de maintenir
le système intergénérationnel d’assistance sociale édifié au siècle
dernier et si elle sera en mesure de faire face à la concurrence
sur le marché mondial lorsque sa population commencera à diminuer.
39. Pour répondre à ces questions, il importe tout d’abord de
noter qu’«en âge de travailler» ne veut pas dire nécessairement
«qui travaille». L’«âge de travailler» désigne généralement les
personnes âgées de 15 à 59 ans (parfois de 15 à 64 ans). Si le problème
principal est effectivement de savoir si l’Europe consomme plus qu’elle
ne produit, de nombreux facteurs autres que l’âge démographique
sont importants, notamment l’âge officiel et l’âge réel de la retraite,
l’âge réel où les individus commencent à travailler (15 ans ou plus),
la proportion de chômeurs et de personnes travaillant à temps partiel,
la proportion de femmes participant au marché de l’emploi, ainsi
que la productivité de ceux qui travaillent.
40. Parmi ces facteurs, le plus élastique est sans doute l’âge
de la retraite. En Europe, l’âge officiel de la retraite est fixé
dans beaucoup de pays à 65 ans mais l’âge réel de la retraite est
moins élevé et varie selon les pays. Il se situe dans la plupart
des pays entre 59 et 63 ans pour les hommes, la Suède et la Roumanie affichant
les âges les plus élevés de l’Union européenne, respectivement 64
et 65 ans
.
Dans de nombreux pays, l’âge réel et l’âge officiel de la retraite
ont baissé, depuis les années 1960, bien que l’espérance de vie ait
augmenté de sept ans pendant la même période.
41. Cependant, l’âge de la retraite n’est peut-être pas aussi
élastique d’un point de vue politique: il existe en effet une forte
opposition politique à l’extension de l’âge de la retraite. Néanmoins,
certaines catégories de personnes souhaiteraient pouvoir continuer
à travailler au-delà de l’âge obligatoire de la retraite, comme
le montre l’exemple des scientifiques français qui partent pour
les Etats-Unis parce qu’ils ne peuvent travailler après 65 ans en
France
.
42. La comparaison avec le système contributif de retraites financé
par l’Etat introduit pour la première fois par Bismarck en 1889,
en fixant l’âge de la retraite à 65 ans à une époque où l’espérance
de vie moyenne n’était que de 45 ans environ, est à cet égard instructive
. Le système bismarckien de sécurité
sociale était bien adapté à une population jeune et en augmentation,
avec une espérance de vie nettement inférieure à l’âge de la retraite.
Dans une population vieillissante et qui diminue, avec une espérance
de vie supérieure à l’âge de la retraite, un tel système pourrait
devenir dysfonctionnel et être acculé à la faillite.
43. Toute modification de l’âge de la retraite aura des conséquences
très importantes pour une population vieillissante. Par exemple,
la part de la population «en âge de travailler» est actuellement
d’environ 40 % dans l’Union européenne, si l’on présuppose que 20
ans est l’âge d’entrée sur le marché du travail et 60 ans l’âge réel
moyen de la retraite. Pour maintenir cette proportion constante
pendant les prochaines décennies, il faudra faire passer l’âge de
la retraite de 60 à 65 ans d’ici à 2025, puis à 70 ans d’ici à 2050
.
Cependant, l’objectif démographique visant à maintenir la population
active à un niveau constant est loin d’être universellement accepté
par les Européens
.
44. Certains facteurs comme l’âge auquel les individus commencent
à travailler et le fait de savoir s’ils sont sans emploi ou employés
à temps partiel doivent aussi être pris en compte. Par exemple,
la proportion de travailleurs employés à temps partiel varie énormément
selon les pays (45 % des salariés aux Pays-Bas, moins de 5 % en
Bulgarie)
.
Il importe aussi de savoir si des mesures spécifiques ont été mises
en place à l’intention des travailleurs plus âgés, par exemple sous
forme d’emplois résorbés progressivement afin de permettre à ces
travailleurs de rester sur le marché du travail, et si les femmes
travaillent. Au Royaume-Uni, par exemple, cinq millions de personnes
en âge de travailler ne travaillent pas mais deux millions seulement sont
comptabilisées comme «demandeurs d’emploi», ce chiffre incluant
des familles où les membres de générations successives ne travaillent
pas
.
45. Autrement dit, la mesure du «taux d’emploi total», à savoir
la proportion de personnes qui travaillent exprimée en pourcentage
du groupe d’âge correspondant, est importante et cet indicateur
varie fortement dans l’ensemble de la région européenne: de 46 %
en Turquie à 79 % en Suisse pour le groupe d’âge de 15 à 64 ans,
par exemple
.
46. Enfin se pose la question de la productivité de ceux qui travaillent,
y compris l’éventail des qualifications de la force de travail,
qui sera abordée brièvement plus loin en relation avec les questions
de migration. Un critère général est lié en particulier au niveau
éducatif: en 2005, le taux d’emploi total des personnes ayant un niveau
d’études élevé était de 82,5 % dans l’Union européenne, contre 68,7 %
pour les personnes ayant un niveau d’études moyen et 46,5 % pour
les personnes ayant un niveau d’études peu élevé
.
47. Il importe en outre de prendre en compte les questions de
santé pendant la participation à la vie active mais aussi après
le départ à la retraite, notamment pour déterminer si la population
concernée mène une vie autonome, est en situation de fragilité ou
reçoit des soins de longue durée. La promotion de la santé des populations
et la recherche d’alternatives aux soins de longue durée, qui sont
extrêmement coûteux, seront l’une et l’autre très importantes pour
assurer le maintien des dispositifs d’assistance sociale en évitant
des conséquences qui seraient fatales pour le système de santé.
48. Le rapporteur conclut par conséquent qu’il importe d’envisager
les enjeux démographiques en termes de productivité et pas uniquement
sous l’angle de la pyramide des âges ou du taux de natalité. Le
temps est venu également de repenser entièrement la définition du
vieillissement et de la vieillesse ainsi que l’idée que nous nous
faisons des personnes âgées
.
3. Dans quelle mesure
les migrations représentent-elles une solution aux enjeux démographiques: l’Europe
a-t-elle besoin de l’immigration pour poursuivre son développement
économique?
3.1. Quelle est la situation
des migrations en Europe aujourd’hui?
La question des migrations est extrêmement complexe et les
tendances démographiques dans ce domaine évoluent rapidement.
49. L’interaction entre changements démographiques et
migrations – à l’intérieur de chaque pays et au niveau international
–
présente un caractère très complexe et qui n’apparaît pas à court
terme. Cependant, tant que subsisteront d’énormes disparités entre
continents et régions, les migrations internationales seront inévitables.
50. Globalement, dans le monde, 3 % d’individus vivent dans un
pays autre que leur pays de naissance
, autrement dit une personne
sur 33 est un migrant international. Le phénomène n’est pas nouveau:
les migrations sont aussi vieilles que l’humanité et la proportion
de personnes nées dans un pays autre que leur pays de résidence
était peut-être encore plus élevée au XIXe siècle qu’aujourd’hui.
Ce qui est nouveau est le fait que les migrations touchent pratiquement
tous les pays, que les flux migratoires deviennent plus complexes et
dynamiques et qu’un nouveau type d’identité transnationale semble
en train d’émerger.
51. La situation en Europe est aussi nouvelle. Pendant les deux
derniers siècles, la population européenne augmentait et beaucoup
d'Européens finissaient par migrer. Après une période de migrations
peu importantes entre les deux guerres mondiales, les années 1960
et 1970 ont vu se produire sous l’effet de la croissance économique
une augmentation des migrations en provenance de l’Europe du Sud.
Cette période a été suivie pendant les années 1980 par un mouvement
très important de réunification familiale, toujours principalement à
l’intérieur de l’Europe. A partir des années 1990, on a observé
des flux migratoires plus importants de réfugiés et de demandeurs
d’asile à partir de l’Europe orientale vers l’Europe de l’Ouest,
et depuis certaines régions extérieures à l’Europe vers la plupart
des Etats membres du Conseil de l’Europe
.
52. Aujourd’hui, 70 millions de personnes vivent légalement en
Europe dans un pays autre que leur pays de naissance; ces personnes
représentent généralement 7 à 12 % de la population de leur pays
de résidence
. Exception
faite de quelques Etats membres du Conseil de l’Europe qui connaissent
une perte nette de population due à l’émigration (Albanie, Arménie,
Géorgie, Lituanie et Moldova), l’Europe, qui était auparavant principalement
une région d’émigration, est devenue principalement une région d’immigration.
Elle vient même aujourd’hui en tête des pays de destination des
migrations internationales, ayant dépassé les pays de destination
traditionnels d’Amérique du Nord ainsi que l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
La zone de l’Union européenne accueille conjointement 41 % des migrants
internationaux, contre 38 % pour les Etats-Unis
. Le «rêve
américain» est devenu le «rêve européen».
53. Pour la première fois, les immigrants originaires de pays
non occidentaux et de religion musulmane constituent une proportion
importante des migrants.
54. Cependant, tous les pays d’Europe ne sont pas affectés de
la même façon par cette évolution, et les pressions qui en résultent
ne sont pas identiques pour tous les Etats membres
.
Le profil, le nombre et la situation des personnes qui arrivent
aux frontières sont très variables et les tendances en ce domaine
changent constamment. Il en va de même en ce qui concerne les pressions
migratoires, la demande de main-d’œuvre, les niveaux de chômage,
la pénurie de logements, les tensions sociales et l’opinion publique
des différents pays européens. Par exemple, les pays d’Europe du
Nord et de l’Ouest, cible principale des flux migratoires de la
seconde moitié du XXe siècle, voient aujourd’hui diminuer les migrations
internationales, qui se dirigent de plus en plus vers les pays d’Europe
orientale et d’Europe du Sud
.
En outre, la situation de l’immigration en Europe est fortement
influencée par l’existence de l’Union européenne, avec ses frontières
de plus en plus imperméables qui contraignent par exemple de nombreux
demandeurs d’asile à chercher à obtenir la protection de pays qu’ils
avaient seulement l’intention de traverser.
55. Alors qu’auparavant la plupart des migrants étaient originaires
de pays avec lesquels existaient des accords postcoloniaux, la diversité
des migrants augmente rapidement dans un monde de plus en plus interconnecté.
Cette diversité accrue modifie la composition ethnique, religieuse
et culturelle de l’Europe
.
56. Les flux migratoires se sont complexifiés en termes de mouvement
et de statut légal. L’installation permanente dans le pays d’accueil
est remplacée par des déplacements temporaires plus flexibles et
l’on voit se développer une nouvelle génération de migrants globe-trotters.
Grâce aux moyens de communication et de transport moins chers et
plus rapides, il est beaucoup plus facile pour les migrants de maintenir
des liens avec leur pays d’origine; les migrations «de retour» et
les migrations «circulaires» sont de plus en plus fréquentes. De
plus, avec la création d’une aire de libre circulation à l’intérieur
de l’Europe, tant les ressortissants que les non-ressortissants
de l’Union européenne ont un logement dans plus d’un pays. Les migrants
ont aussi parfois plus d’une identité nationale (et citoyenneté
dans certains cas), ce qui n’est pas sans incidences sur la conception
traditionnelle de l’intégration axée sur l’appartenance et la participation
à la vie d’une seule société
.
57. Les migrations se sont aussi féminisées: la moitié environ
des migrants sont aujourd’hui des femmes.
58. Les migrations irrégulières représentent un enjeu particulièrement
difficile à résoudre pour l’ensemble de l’Europe. Bien qu’ils répondent
souvent à des besoins réels du marché de l’emploi en occupant des
emplois pour lesquels les candidats manquent parmi les résidents
en situation légale ou les ressortissants nationaux, les migrants
en situation irrégulière demeurent «invisibles» dans les statistiques
démographiques. Diverses sources estiment que le nombre de travailleurs
en situation irrégulière se situe entre 4 et 8 millions aujourd’hui dans
l’Union européenne
. Parmi les Etats membres du Conseil
de l’Europe qui n’appartiennent pas à l’Union européenne, la Russie
compte aussi plusieurs millions de migrants en situation irrégulière,
principalement des ressortissants des pays de la CEI. L’absence
de données sur le nombre, le taux d’emploi, la durée de séjour et
la situation de famille, par exemple, des migrants en situation
irrégulière dans les Etats membres du Conseil de l’Europe fait qu’il
est impossible d’évaluer leur impact et leur contribution aux sociétés
européennes d’un point de vue démographique et économique ou en
termes de cohésion sociale.
3.2. Les migrations
peuvent-elles aider à résoudre les enjeux démographiques liés à
la baisse de la population et à l’évolution de la pyramide des âges
en Europe?
L’immigration, bien qu’elle puisse avoir un impact important
à court terme sur la taille de la population, ne ralentit en fait
qu’assez peu le processus de vieillissement de la population. En
termes de croissance économique et de productivité, l’immigration
ne représente qu’une petite partie de la solution et requiert en outre
l’adoption de politiques claires, détaillées et bien ciblées.
59. De nombreux pays développés s’appuient sur les migrations
internationales pour compenser la diminution et le vieillissement
de leur population. Selon l’OIM, même en se maintenant à leur niveau
actuel, les migrations internationales contribueront trois fois
plus à la croissance démographique des pays développés que l’augmentation
naturelle de la population pendant la période 2000-2010. Par conséquent,
sans l’immigration, la population de ces pays diminuerait encore
plus.
60. S’agissant de la baisse de la population, comme indiqué plus
haut, on prévoit que le déficit des naissances parmi les autochtones
dans l’Union européenne atteindra 68 millions d’ici à 2050. D’après
une étude commanditée pour le
World Migration
Report 2010 de l’OIM, un apport net de 100 millions de
migrants d’ici à 2050 serait nécessaire rien que dans l’Union européenne
pour «compenser les pertes [démographiques]» sur le marché de l’emploi
. Comme ce chiffre
ne tient pas compte de l’émigration à partir de l’Union européenne
et des migrants qui décident de rentrer dans leur pays, le nombre
total de migrants nécessaire à cette fin serait en fait beaucoup
plus élevé
.
61. Il vaut la peine de noter à cet égard que, contrairement à
l’Europe, dans aucun des pays d’immigration traditionnels comme
l’Australie, le Canada, les Etats-Unis et la Nouvelle-Zélande on
n’anticipe une baisse de la population dans les cinquante années
à venir. L’afflux continu et régulier de migrants est demeuré généralement
dans ces pays bien supérieur au nombre de migrants nécessaire pour
empêcher une baisse de la population totale. Même si l’on prévoit
dans ces pays un taux de fécondité inférieur au seuil de renouvellement
des générations pendant les prochaines décennies, les futurs apports
d’immigrants prévus permettront de compenser la baisse de la croissance
démographique
.
62. Par conséquent, l’immigration peut effectivement jouer un
rôle important pour accroître la taille de la population dans une
perspective à court terme.
63. Cependant, du point de vue de la pyramide des âges, les démographes
ont montré depuis longtemps que l’immigration de remplacement n’est
pas une solution au vieillissement démographique car l’âge des migrants
est seulement de trois ans plus jeune en moyenne que celui de la
population autochtone des pays européens et, tout comme les individus
qui composent cette population, les migrants vieillissent aussi
d’une année sur l’autre. En outre, le taux de fécondité initialement
plus élevé des immigrants s’établit rapidement à un niveau semblable
à celui de la population autochtone. Les autochtones et les immigrants
auraient donc besoin de toujours plus d’immigrants pour compenser
la part de la population qui vieillit et la remplacer.
64. Seul un nombre énorme de migrants permettrait de ralentir
ou de neutraliser le processus de vieillissement, ce qui entraînerait
un accroissement phénoménal de la taille de la population. De plus,
une immigration massive ne permettrait pas nécessairement d’obtenir
les migrants dotés des qualifications requises pour répondre aux
besoins ou aux opportunités économiques des pays européens. Etant
donné que le chômage est déjà aujourd’hui fortement concentré parmi
les couches de la population dont le niveau d’éducation et de formation
est le plus bas, en particulier parmi les migrants moins qualifiés
de la première et de la seconde génération, l’immigration massive
renforcerait inévitablement le problème
.
65. L’immigration massive ne constitue donc pas une solution miracle
du point de vue de l’action publique pour compenser la baisse ou
le vieillissement de la population. Si elle peut aider à ralentir
la diminution de certains groupes d’âge et de l’ensemble de la population,
elle pose aussi de nombreux problèmes de société.
66. Le rapport publié par l’ONU en 2008 sur les migrations de
remplacement ainsi que les enquêtes indiquent qu’une forte augmentation
du nombre d’immigrants se heurterait probablement à des obstacles sociaux.
L’accueil de nombreux immigrants appartenant à des groupes culturellement
éloignés nécessiterait de déployer des efforts importants pour assurer
leur intégration sociale, culturelle et identitaire et pourrait provoquer
des dissensions sociales et politiques, en particulier parmi les
catégories moins bien placées pour concourir sur le marché de l’emploi
.
67. On peut en conclure par conséquent que, même s’il est indéniable
qu’elle peut avoir un impact démographique, l’immigration représente
principalement une solution au regard de critères et d’objectifs
non démographiques
,
notamment sous l’angle de la productivité et de la croissance économique
d’un pays.
68. Les politiques de l’immigration doivent donc reposer sur des
objectifs clairement définis et être précédées par une analyse de
leur impact démographique, socio-économique et politique à long
terme.
3.3. Coûts et avantages
des migrations sous l’angle démographique et sous celui de la croissance
économique
Les coûts et avantages des migrations pour l’Europe doivent
être évalués de manière détaillée et dans une perspective à long
terme, en prenant en compte non seulement la demande de main-d’œuvre
à court terme et les bénéfices immédiats qui peuvent en résulter,
mais aussi le coût total de développement pour les pays d’origine
et les pays hôtes ainsi que la question de l’intégration dans les
sociétés d’accueil.
3.3.1. Pour les pays d’origine
et les migrants
69. Du point de vue des pays d’origine et des migrants
eux-mêmes, tout d’abord, si les facteurs économiques sont importants,
il existe aussi des facteurs d’incitation démographiques. Malgré
les diverses politiques mises en œuvre dans les pays les moins développés
pour améliorer le contrôle des naissances, nombre de ces pays ont
un excédent de population qui dépasse les capacités du marché de
l’emploi local. Encourager et faciliter les migrations du travail
apparaît donc dans ces pays comme une réponse adaptée des pouvoirs
publics à l’excédent de la force de travail. Un certain nombre d’Etats
soutiennent activement le travail à l’étranger en tant que stratégie
visant à améliorer la croissance économique et conduire au plein-emploi
.
70. Le départ de ceux qui décident d’aller travailler à l’étranger
est motivé à la fois par l’obtention de salaires plus élevés et
la possibilité d’envoyer des fonds dans leur pays d’origine. En
effet, les salaires des migrants qualifiés sont souvent plusieurs
fois supérieurs à ce qu’ils pourraient gagner dans leur pays d’origine
.
71. Le montant des envois de fonds des travailleurs émigrés vers
les pays en développement était évalué à 300 milliards en 2009.
Malgré la crise économique actuelle, les envois de fonds déclarés
représentent plus de deux fois le montant de l’aide officielle au
développement (119,8 milliards en 2008 pour les membres du Comité
d’aide au développement de l’OCDE)
et
sont 10 fois supérieurs au montant net des transferts de capitaux
privés vers les pays en développement
. Les envois de fonds des travailleurs
émigrés représentent 34 % du PIB de la Moldova, 18 % du PIB de la
Bosnie et Herzégovine et 14 % du PIB de la Serbie et de l’Albanie.
Ces envois sont devenus un facteur essentiel de l’économie mondiale
(certains auteurs qualifient même d’«euphorie» l’attention dont
ils bénéficient depuis peu). Ils contribuent à abaisser le taux
de pauvreté dans les pays d’origine les plus pauvres et permettent
aux familles qui les reçoivent d’augmenter leurs dépenses de santé
et d’éducation et d’investir dans des activités commerciales
.
Pour de nombreuses familles, envoyer certains de leurs membres travailler
à l’étranger représente simplement une forme d’«étalement des risques».
72. Néanmoins, des données de plus en plus nombreuses montrent
qu’à eux seuls les envois de fonds n’ont pas nécessairement des
effets positifs, sauf lorsque le pays concerné crée les conditions
permettant d’investir ces fonds dans un but de développement, par
exemple sous forme de biens de consommation, pour l’alimentation,
la santé et l’éducation des familles, ou bien sous forme d’activités
économiques mettant à profit l’amélioration des infrastructures.
Autrement dit, pour qu’ils aient des retombées positives en termes
de développement, les envois de fonds doivent être associés à des
projets de développement dans le pays concerné
.
73. L’émigration peut avoir de nombreux autres avantages pour
les migrants eux-mêmes, selon que la décision d’émigrer est volontaire
ou non. La possibilité d’émigrer peut inciter les individus à améliorer
leurs compétences professionnelles dans le pays d’origine de telle
façon que, même avec un taux d’émigration élevé, il subsiste un
nombre accru de diplômés hautement qualifiés dans la force de travail
locale. D’autre part, lorsque les migrants parviennent à améliorer
leurs compétences dans le pays d’accueil, les liens qu’ils maintiennent
avec leur pays d’origine leur permettent aussi de transférer ces
compétences dans le pays d’origine en cas de retour durable ou de
courte durée.
74. Certains facteurs géographiques favorisent aussi les migrations
vers le continent européen: en effet, malgré la baisse du taux de
natalité en Afrique du Nord par exemple (qui est passé de plus de
six à moins de trois enfants), du fait de taux auparavant élevés,
il existe dans cette région un excédent important de jeunes à la
recherche d’un emploi et il leur est plus facile de traverser la
Méditerranée que l’Atlantique.
75. Les droits de l’homme jouent aussi parfois un rôle d’incitation:
certains migrants quittent leur pays d’origine comme demandeurs
d’asile ou migrants économiques pour des motifs liés aux droits
de l’homme.
76. Sur le versant des coûts, la fuite des cerveaux demeure un
sujet d’inquiétude grave pour les pays qui connaissent une émigration
à grande échelle de travailleurs qualifiés. La perte de nationaux
qualifiés pose un défi particulier aux économies émergentes.
3.3.2. Pour les pays d’accueil
77. Du point de vue des pays d’accueil, les migrations
sont avant tout une réponse à divers besoins et objectifs sociétaux
comme le besoin d’attirer certaines qualifications spécifiques (immigration
«sélective» par opposition à immigration «indistincte»), d’offrir
un lieu sûr aux demandeurs d’asile et aux réfugiés et de permettre
la réunification familiale. En cas de demande de main-d’œuvre spécifique,
les immigrants peuvent jouer un rôle significatif dans le développement
d’un pays ou d’une région. Ils contribuent souvent pour une part
importante à rajeunir la population, renforcer la force de travail,
soutenir le système de sécurité sociale ou redynamiser des régions
ou des quartiers déprimés, par exemple.
78. L’enjeu global pour l’Europe aujourd’hui est de parvenir à
combler les lacunes de la force de travail et, en particulier, d’attirer
et d’employer les migrants dotés de compétences recherchées dans
les pays européens, sans priver pour autant les pays d’origine de
la main-d’œuvre dont ils ont besoin.
79. En 2005, par exemple, l’Union européenne estimait que 5 millions
d’emplois nouveaux seraient en tout nécessaires pendant la période
2007-2008 et que 3 millions d’emplois étaient encore non pourvus
à l’intérieur de l’Union européenne
. Les chiffres sont sans doute différents
aujourd’hui à cause de la crise financière et il se peut aussi que
certains des emplois en question soient en fait occupés par des
migrants en situation irrégulière. Néanmoins, ces données donnent
une idée de l’ampleur du problème.
80. Bien que 41 % des flux migratoires mondiaux se dirigent vers
les pays européens, l’Europe a du mal à attirer les migrants hautement
qualifiés: 5 % des migrants africains les plus qualifiés et au niveau
d’études le plus élevé se rendent en Europe contre 90 % en Amérique
du Nord, alors que 80 % des migrants les moins qualifiés émigrent
vers l’Europe
.
81. A cet égard, l’Europe devra s’efforcer d’attirer de l’extérieur
une main-d’œuvre qualifiée, même si le besoin de travailleurs non
qualifiés étrangers est appelé à demeurer lui aussi très élevé.
82. Les professions recherchées incluent des travailleurs hautement
qualifiés comme les ingénieurs. En Allemagne, par exemple, on estime
que la pénurie d’ingénieurs sur le marché du travail coûte au PIB 3,5 milliards
d’euros tous les ans
. Dans le cas des spécialistes
des technologies de l’information, qui génèrent 5 % du PIB de l’Union
européenne, on prévoit un manque de 300 000 travailleurs en 2010.
83. Le secteur de la santé constitue un domaine particulier –
et fortement visible – de préoccupation, aussi bien pour les travailleurs
très qualifiés que pour les peu qualifiés. La donnée statistique
fréquemment citée selon laquelle les médecins malawiens sont plus
nombreux à Manchester qu’au Malawi, si on la replace dans le contexte
décrit par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui estime
qu’il manque 4 millions de travailleurs de la santé au niveau mondial,
est tout à fait parlante. Il est notable également que les migrants jouent
déjà un rôle important dans la fourniture de soins aux personnes
âgées
.
84. L’Espagne, souvent appelée le «marchand de légumes de l’Europe»,
s’appuie très fortement sur les travailleurs migrants temporaires
peu qualifiés. Dans toute l’Europe, en fait, l’agro-industrie repose
sur le travail de migrants souvent saisonniers et parfois irréguliers.
Il existe aussi une forte demande de travailleurs dans des secteurs
comme celui des services, en particulier l’hôtellerie et la restauration,
et de la construction. Reconnaissant ces besoins, l’Italie a ajusté
son quota en 2008, qui est passé de 170 000 à 520 000 migrants réguliers
par an, pour la plupart peu qualifiés et travaillant dans le secteur
de la construction, de l’aide ménagère privée et de l’agriculture.
Ces secteurs, cependant, ont été particulièrement touchés par les licenciements
depuis le début de la crise économique
.
85. Le rapporteur regrette que l’Union européenne, créée spécifiquement
afin de favoriser la coopération économique, ait été jusqu’ici incapable
de définir une politique commune en matière de migrations économiques.
Bien que les questions d’immigration figurent en bonne place sur
l’agenda politique de l’Union européenne et malgré les efforts déployés
depuis 2001 pour tenter de mettre en place un système de «carte bleue»
(conçu en partie sur le modèle de la «carte verte» des Etats-Unis,
afin de faire concurrence à ce pays), le projet de carte bleue n’a
pas encore atteint l’ampleur et les effets majeurs escomptés. Après
quatre ans de préparatifs, des mesures de transition moins ambitieuses
ont été introduites en 2005 pour couvrir l’admission des étudiants,
des stagiaires non rémunérés, des travailleurs bénévoles et des
chercheurs. La politique actuelle est parfois critiquée pour ses
lourdeurs administratives et jugée trop spécifique, à courte vue
ou inapte à répondre aux espoirs de la catégorie de personnes qu’elle
visait tout particulièrement à attirer, à savoir les travailleurs
hautement qualifiés qui choisissent un pays dans la perspective
d’une carrière de longue durée.
86. Le domaine dans lequel l’échec des politiques européennes
est le plus flagrant est celui des migrations irrégulières, dont
l’augmentation pendant les dernières années s’explique sans doute
par l’imperméabilité croissante des frontières, l’absence de possibilités
de migration légale et l’incapacité des Etats européens à combattre
les réseaux criminels qui profitent du trafic de migrants, de la
traite des êtres humains et de l’exploitation des migrants. Les
Etats ont le droit souverain de décider qui peut entrer et résider
sur leur territoire. Les approches adoptées en la matière varient
d’un pays à l’autre: en Suède, par exemple, toute personne qui obtient
un contrat de travail reçoit un permis de séjour d’une durée correspondant
à celle de ce contrat et le problème est donc réduit au minimum.
L’Espagne a décidé de régulariser un grand nombre de migrants qui
étaient auparavant en situation irrégulière, tandis que, dans un
certain nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe, la tendance
est à la criminalisation et à l’expulsion des migrants en situation
irrégulière. Il n’est pas réaliste, cependant, de penser que les
Etats pourraient contraindre au départ la totalité des 10 à 15 millions
peut-être de migrants en situation irrégulière présents en Europe,
ou que ces migrants rentreront volontairement dans leur pays d’origine.
Il est donc urgent, d’une part, que les pays d’origine, de transit
et de destination se concertent pour prendre des mesures visant
à empêcher la poursuite des migrations irrégulières et à lutter
contre le trafic de migrants et la traite des êtres humains, et,
d’autre part, que les pays d’accueil examinent les options existantes
pour régulariser la situation des migrants qui sont déjà en Europe
et/ou garantir à ces personnes au moins certains droits minimaux.
87. Le coût le plus élevé des migrations pour les sociétés européennes
est sans doute le manque de succès dans l’intégration des migrants,
aussi bien en termes d’intégration économique qu’en termes d’intégration sociale.
88. D’après l’OCDE, les progrès de l’intégration des immigrants
arrivés pendant les trente dernières années laissent à désirer,
de même que ceux des enfants d’immigrants, y compris lorsque ceux-ci
sont nés et ont été éduqués dans le pays d’accueil. Ce fait peut
être attribué en partie au niveau éducatif en moyenne peu élevé des
immigrants dans beaucoup de pays, qui a des incidences défavorables
quelle qu’en soit la cause, mais aussi à la transmission intergénérationnelle
des désavantages sociaux, phénomène qui s’observe dans toutes les
sociétés. Le regroupement géographique et l’isolement social ne
font que renforcer le problème. Bien que les enfants d’immigrés
aient néanmoins réalisé des progrès importants par rapport au niveau
éducatif qui était celui de leurs parents, leur niveau d’études
est toujours en moyenne à la traîne de celui des enfants d’autochtones
.
89. Le taux de chômage des migrants dans l’Union européenne à
27 est en moyenne supérieur de 4,4 points de pourcentage à celui
des autochtones et la situation en ce domaine a été gravement exacerbée par
la crise économique actuelle. Les femmes immigrées sont particulièrement
touchées par le chômage: leur taux de chômage est supérieur de 2,7
points de pourcentage à celui des hommes immigrés. C’est pourquoi
un apport net de 100 millions d’immigrants serait nécessaire pour
compenser le déficit de 68 millions de naissances: ce chiffre présuppose
en effet que près d’un tiers des migrants ne seraient pas en mesure
de travailler.
90. En outre, certaines données semblent indiquer que les migrants
hautement qualifiés ont du mal à utiliser efficacement leur capital
humain, pour diverses raisons comme la non-reconnaissance de leurs qualifications
, qui les empêche d’accéder aux secteurs
ayant besoin de main-d’œuvre.
91. Le manque de respect des droits fondamentaux des migrants,
en particulier des migrants en situation irrégulière, est un problème
à la fois pour la sécurité des travailleurs et pour leur capacité
à contribuer au développement économique de la société hôte. Les
problèmes sont particulièrement aigus dans le cas des migrants introduits
clandestinement dans un pays par des organisations criminelles et
qui forment une sous-classe invisible vivant parfois dans des conditions
désespérées, hors d’atteinte de la protection des droits de l’homme
ou des autres cadres juridiques ou sociaux du pays d’accueil.
92. Un autre enjeu concerne les attitudes à l’égard des migrants.
Le multiculturalisme semble à bien des égards dysfonctionnel d’un
point de vue social et très coûteux
. Partout en Europe,
les migrants sont tenus de s’adapter au pays d’accueil dans pratiquement
tous les domaines importants de la vie sociale comme la langue,
la législation, les valeurs et les normes, sauf en ce qui concerne
les convictions et comportements ayant un caractère purement privé
et qui ne sont pas contraires à la loi. Si la diversité est effectivement
tolérée sous certaines formes, vestimentaires ou culinaires par
exemple, les étrangers sont rarement bien accueillis par la population
autochtone et le racisme, l’ethnocentrisme et la xénophobie sont
prompts à se manifester en cas de concurrence économique, sociale
ou autre entre les groupes. Les immigrants appartenant à des cultures
plus éloignées bénéficient rarement d’une aide adéquate, en particulier
d’une aide destinée à leur bonne intégration dans le pays d’accueil.
Même là où d’énormes efforts ont été déployés, les résultats sont restés
inégaux.
93. Les Pays-Bas offrent un exemple de ce type de situation: dans
ce pays, en effet, la ségrégation se renforce entre les communautés
locales, y compris là où les écoles accueillent des élèves d’origines
diverses. Les données d’enquête semblent indiquer que la première
génération est mieux intégrée que la suivante
.
94. Les mariages mixtes sont aussi un élément qui montre le niveau
peu élevé de l’intégration. Le fait que, en Europe de l’Ouest, les
enfants de migrants (notamment de migrants originaires de régions
ou pays de religion musulmane comme la Turquie, l’Afrique du Nord
et l’Asie du Sud-Est) se marient le plus souvent à l’intérieur de
leur groupe d’origine, souvent avec une personne originaire du pays
où sont nés leurs parents par exemple, constitue un obstacle grave
sur la voie de l’intégration. Toutefois, le lien entre intégration structurelle
et intégration identitaire n’est pas toujours aussi direct. Au Royaume-Uni,
par exemple, les Indiens obtiennent de très bons résultats à l’école
et sur le marché de l’emploi, meilleurs même à certains égards que ceux
des Anglais autochtones, mais ils épousent pour la plupart une personne
appartenant à leur groupe ethnique. Cependant, les femmes indiennes
d’un niveau de qualification élevé montrent une plus forte propension
aux mariages mixtes et l’analyse économique des pratiques actuelles
de mariage mixte révèle que les migrants qui contractent un mariage
de ce type ont des revenus nettement plus élevés que les migrants qui
font un mariage endogame, même si l’on tient compte de la dotation
en capital humain
.
95. Au niveau institutionnel, le Conseil de l’Europe et l’Union
européenne ont tous deux initié de nombreuses activités visant à
faciliter l’intégration. Cependant, en pratique, les mesures en
faveur de l’intégration sont souvent introduites à l’échelon local,
régional ou national plutôt qu’à l’échelon paneuropéen; les politiques d’intégration
locales devraient donc bénéficier de la priorité la plus forte.
Ces politiques devraient privilégier l’introduction de mesures visant
à la fois à intégrer les personnes concernées dans la communauté
locale et à prévenir leur exclusion sociale.
96. Les populations autochtones manifestent publiquement un fort
scepticisme à l’égard des migrations et des migrants; la question
est d’ailleurs devenue une question politique très sensible. Selon
une enquête de l’Eurobaromètre 2006, bien que se déclarant conscient
des enjeux liés au vieillissement de la population, le public n’est
pas favorable en premier lieu à l’option de l’immigration. Dans
cette enquête, l’augmentation de l’immigration en provenance des
pays extérieurs à l’Union européenne vient en cinquième place dans
les réponses (5 % des personnes interrogées se déclarent favorables
à cette solution), derrière d’autres mesures comme l’incitation
des femmes qui ne travaillent pas à entrer sur le marché du travail
(17 %), le développement de l’emploi à plein-temps au lieu de l’emploi
à temps partiel (16 %), l’augmentation du taux de natalité (15 %) et
le relèvement de l’âge de la retraite (6 %)
.
97. Une autre enquête indique qu’en moyenne quatre citoyens de
l’Union européenne sur dix considèrent que les immigrants apportent
une contribution importante à leur pays, tandis qu’une majorité
de citoyens (52 %) ne sont pas d’accord avec cette affirmation.
On note, cependant, de fortes différences d’un pays à l’autre. Alors
que 79 % des Suédois ont une opinion positive de la contribution
des immigrants à la société, seuls 12 % des Slovaques sont de cet
avis
. Cela s’explique sans doute
par le fait que de nombreuses sociétés européennes n’ont encore
que peu ou aucune expérience de l’accueil systématique d’immigrants permanents.
98. Enfin, un obstacle majeur au développement de politiques de
l’immigration cohérentes est le désaccord profond entre gouvernements
européens sur les avantages et les coûts de l’immigration. Il n’existe
pas de point de vue conséquent sur les moyens de gérer les flux
migratoires et de faciliter l’intégration économique, sociale et
culturelle des migrants. Malgré les efforts qui ont été et sont
actuellement déployés tant au niveau du Conseil de l’Europe qu’à
celui de l’Union européenne, comme le montrent l’élaboration par
le Conseil de l’Europe en 2005 d’une stratégie de gestion des migrations
ou le récent Programme de Stockholm de l’Union européenne, ces efforts
n’ont pas abouti aux effets recherchés.
4. Vers l’avenir:
comment créer une situation à coup sûr gagnante? Pour quelles politiques
opter?
99. Le ralentissement économique actuel a fortement modifié
le tableau des migrations internationales du travail, au moins à
court terme. Néanmoins, la crise sera sans effet sur la réalité
et sur la tendance des changements démographiques qui affectent
actuellement la plupart des pays européens et qui auront de fortes incidences
sur l’économie et la société de ces pays. Les enjeux liés en particulier
au vieillissement demeurent et se feront sentir de nouveau lors
de la reprise économique
.
100. Comme l’avait déjà souligné l’Assemblée en 2004
, la baisse prévue
de la population et la poursuite du vieillissement démographique
doivent faire l’objet de politiques démographiques globales et conçues
dans une perspective à long terme. Ces politiques devront en partie
répondre au nouveau régime démographique de l’Europe mais aussi
inclure des mesures à long terme visant à agir sur les tendances
en cours. L’ensemble des phénomènes démographiques essentiels –
fécondité, longévité et migration – devront être pris en compte.
101. La mobilisation des sources intérieures de main-d’œuvre est
certainement le moyen le plus sûr de compenser les effets de la
baisse du taux de natalité et du vieillissement démographique. En
termes d’action publique, les deux priorités principales devraient
être l’accroissement de la fécondité et l’augmentation de la participation
à la vie active, de façon à réagir directement à la rapidité des
changements démographiques
. L’immigration
n’est pas et ne peut pas être un moyen adéquat de compenser le «grisonnement»
de la population.
102. Le vieillissement démographique sera source de problèmes en
ce qui concerne le maintien des systèmes de sécurité sociale et,
en particulier, des systèmes de retraite. Il est donc nécessaire
d’introduire des politiques réactives qui soient en mesure d’adapter
les organismes et processus sociaux à la pyramide des âges qui commence
à apparaître, et de modifier les politiques afin de remobiliser
les seniors les plus jeunes et de les réintégrer à la force de travail
et à la vie sociale en général.
103. Pour renforcer la participation à la vie active, l’Europe
doit renoncer à la tendance actuelle au niveau paneuropéen à faire
commencer la retraite avant même l’âge de 60 ans. Certains pays
ont déjà introduit les changements législatifs nécessaires pour
relever l’âge de la retraite. Des incitations devraient aussi être
mises en place afin de faciliter l’emploi légal, notamment en abaissant
le coût de l’emploi et en libéralisant le code du travail, de façon
à permettre aux chômeurs de trouver rapidement un emploi. La suppression
des coûts inutiles liés aux licenciements serait un moyen d’inciter
de nombreux employeurs et travailleurs de l’économie souterraine
à se déclarer et à cotiser aux systèmes de sécurité sociale. Il
faudrait aussi continuer à encourager l’emploi des femmes par des
mesures incitatives permettant de mieux combiner vie familiale et
vie professionnelle. Enfin, le développement de formes atypiques
d’emploi répondant aux besoins de ceux qui ne peuvent ou ne veulent
pas travailler à plein-temps est nécessaire
.
104. S’agissant de la baisse de la population, l’action des pouvoirs
publics devra prendre pour cibles les comportements reproductifs.
Ramener le taux de fécondité au niveau ou à proximité du seuil de renouvellement
des générations nécessitera de traiter les causes fondamentales
de la baisse de la fécondité et exigera des changements très importants
en termes de valeurs, de relations entre les sexes, de processus économiques,
de politiques financières, de planification de l’environnement et
d’organisation temporelle de l’ensemble de la vie en relation avec
le travail, la parentalité et la retraite
.
105. La baisse de la population pourra aussi être compensée en
partie et de façon temporaire par l’immigration, qui soulève cependant
de nombreux problèmes sociétaux. Aujourd’hui déjà, dans la quasi-totalité
des pays européens, il est difficile de convaincre le public de
la nécessité de poursuivre l’immigration, à la fois à cause des
migrations irrégulières et en raison des problèmes d’intégration.
La question demeure politiquement sensible et peut facilement être
exploitée à des fins électorales. Avec la reprise économique, les flux
migratoires internationaux augmenteront certainement et cela posera
un défi particulier exigeant la mise en place de politiques pour
mieux gérer les mouvements migratoires, mais aussi pour assurer
aux immigrants et à leurs enfants des résultats meilleurs qu’auparavant
dans le domaine de l’éducation et de l’emploi.
106. Même si les migrations ne constituent que l’un des fils de
l’écheveau démographique à démêler à l’aide de mesures adéquates,
il est évident que l’Europe a besoin de migrants pour compenser
la pénurie de main-d’œuvre qui existe dans certains secteurs et
stimuler la productivité économique et la croissance. Il est donc nécessaire
que les gouvernements européens définissent aux niveaux international,
régional et national une approche globale leur permettant de jauger
les implications des politiques dans ce domaine, en évaluant leur impact
dans tous les secteurs potentiellement affectés par l’immigration.
Cela concernera non seulement les politiques économiques et de l’emploi
mais aussi les politiques sociales, en particulier celles qui se
rapportent à l’intégration et à l’inclusion sociale, et les droits
de l’homme. D’autre part, la dynamique démographique devra être
prise en compte lors de l’élaboration des politiques de l’immigration.
107. Les données disponibles à ce jour montrent que les politiques
les plus efficaces et les plus durables sont celles qui restent
stables dans le temps, c’est-à-dire qui sont approuvées par toutes
les forces politiques, bénéficient du soutien de l’opinion publique
(notamment parce qu’elles respectent les droits de l’homme) et sont
réalistes d’un point de vue financier
.
108. Pour être durables, les futures politiques de gestion des
migrations en Europe devront satisfaire à un certain nombre de critères.
Elles devront en particulier:
- encourager
et attirer les migrations «souhaitées» sur la base des besoins du
marché du travail européen;
- dissuader les migrations «non souhaitées», notamment les
migrations irrégulières et la traite des êtres humains;
- prendre en compte les besoins migratoires à court et à
long terme;
- respecter les normes établies en matière de protection
et de droits fondamentaux;
- favoriser l’intégration des populations immigrées;
- tenir compte des besoins de développement des pays d’origine
des migrants.
109. Premièrement, l’immigration doit être sélective et numériquement
adaptée aux besoins du marché de l’emploi et aux capacités d’accueil
des pays hôtes. Les sociétés modernes complexes ne peuvent s’adapter, sans
connaître ou subir des dissensions ou des troubles sociaux graves,
à une immigration indistincte ou massive. L’immigration doit présenter
un caractère durable pour le pays d’accueil et contribuer au bien-être,
à la sécurité, à la stabilité et à la cohésion de la société.
110. Pour être efficace, une politique des migrations du travail
doit impliquer une participation accrue des employeurs à l’identification
et à la sélection des immigrants. Une saine gestion des migrations
nécessite par conséquent la mise en place de mesures pour inciter
les employeurs et les immigrants à respecter les règles, et aussi
de sauvegardes afin de protéger les immigrants et les travailleurs
nationaux de l’exploitation
.
111. Deuxièmement, l’Europe doit faire face aux défis posés par
les migrations irrégulières. Les pays européens ne peuvent évidemment
absorber la totalité des pressions migratoires prévisibles ou actuelles.
Bien qu’elle se soit améliorée dans une certaine mesure, la gestion
du contrôle des frontières doit être rendue plus efficace tant à
l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Union européenne. D’autre part,
des politiques favorisant les voies d’immigration légales devraient
être adoptées. Les mesures de restriction ont peu de chances d’être
efficaces à 100 % et elles auront probablement un coût à la fois
d’un point de vue pratique et du point de vue des droits de l’homme.
Des solutions durables devront aussi être trouvées pour les millions
de migrants en situation irrégulière qui résident actuellement dans
les Etats membres du Conseil de l’Europe.
112. Troisièmement, les migrations doivent être envisagées dans
une perspective à la fois à court terme et à long terme. Elles doivent
répondre aux besoins changeants à court terme (saisonniers dans
certains cas) et aux besoins structurels à long terme. Les besoins
de main-d’œuvre futurs seront en grande partie des besoins à long
terme. Il est donc illusoire de penser que ces besoins pourront
être satisfaits uniquement à l’aide de l’immigration temporaire.
L’immigration de travailleurs hautement qualifiés doit être développée
afin de compléter l’afflux de travailleurs peu qualifiés, pour lesquels
il y aura sans doute aussi une forte demande. La procédure d’admission
des chercheurs de pays tiers, adoptée par la Commission européenne
en 2005, est un premier pas en ce sens. De tels dispositifs ne devraient
pas entraîner de coût pour les pays en développement sous forme
de fuite des cerveaux mais bénéficier réellement à toutes les parties.
Un assortiment mieux adapté de migrants hautement qualifiés et peu
qualifiés pourrait aussi influer de manière positive sur l’idée
que le public se fait de l’immigration et l’aider à surmonter ses
réticences à l’égard de la poursuite de l’immigration.
113. Quatrièmement, d’importantes préoccupations subsistent en
matière de droits de l’homme, pour des raisons à la fois pratiques
et à caractère «culturel». L’absence de respect des droits de l’homme
s’oppose en pratique à l’applicabilité des mesures d’immigration,
tout particulièrement dans les situations de migration irrégulière.
Les mesures fondées sur les droits de l’homme ont plus de chances
d’être acceptables à long terme, tant pour les migrants que pour
la population autochtone. L’argument des droits sera plus facilement accepté
si l’on peut montrer qu’il favorise une situation où tout le monde
est gagnant, les migrants eux-mêmes mais aussi les pays d’origine
et de destination.
114. Cinquièmement, l’immigration ne peut réussir que si les migrants
et leurs descendants bénéficient de chances égales de s’intégrer
avec succès à l’économie et à la société du pays d’accueil. L’amélioration
de l’intégration des migrants constitue par conséquent une priorité
pour l’action publique, sans laquelle il n’est pas possible d’imaginer
une gestion réussie des migrations dans les Etats membres du Conseil
de l’Europe. Les échecs passés et présents exigent une révision
générale des politiques et stratégies dans ce domaine, en particulier
celles qui concernent les migrants appartenant à des groupes d’origine
plus lointaine. La mise en place de nouvelles stratégies actives
et pluridimensionnelles d’intégration locale est nécessaire pour
éviter le développement de sociétés ethniquement stratifiées. Si
les individus décident d’émigrer, c’est pour améliorer leurs conditions
de vie et la qualité de leur vie. L’échec de l’intégration, en particulier
des migrants de la deuxième et de la troisième génération, peut
aboutir à la constitution de ghettos ainsi qu’à la diminution des chances
de mobilité sociale ou de participation véritable à tous les aspects
de la vie sociale du pays d’accueil.
115. L’intégration des migrants exige aussi que les nationaux acceptent
l’identité culturelle et les valeurs des immigrés, dans la mesure
où elles ne sont pas contraires à la loi et n’entrent pas en conflit
avec les valeurs européennes fondamentales concernant le développement
individuel, l’accès à l’éducation, l’égalité entre les sexes, la
dignité humaine, la démocratie et la place de l’individu dans la
société en général. Le racisme, l’ethnocentrisme et la xénophobie
sous toutes leurs formes, tant parmi les nationaux que parmi les
immigrants, doivent être combattus.
116. Obtenir l’assentiment des populations autochtones est particulièrement
important: le débat public sur les moyens, les buts et les objectifs
des politiques de l’immigration doit se dérouler dans la clarté,
de manière constructive et transparente, en évitant toute politisation.
Les gouvernements devraient déclarer honnêtement les objectifs qu’ils
cherchent à atteindre par leurs politiques d’immigration, comment
ils prévoient d’atteindre ces objectifs et de quelle façon ils prévoient
de maximiser les avantages et de minimiser les incidences négatives
de l’immigration. Ils devraient aussi combattre les mythes et les
idées erronées à ce sujet
. Des questions comme la reconnaissance
des qualifications des migrants, la lutte contre les préjugés et
les pratiques discriminatoires ainsi que la lutte contre le chômage
des femmes immigrées devront également être résolues pour permettre
à l’immigration de compenser les lacunes démographiques et celles
du marché de l’emploi.
117. Sixièmement, le seul moyen de réduire adéquatement les pressions
migratoires des pays en développement est de stimuler le développement
économique et social et de soutenir le développement des droits
de l’homme dans ces pays. L’Europe pourrait y contribuer en intensifiant
fortement ses activités de coopération pour le développement avec
les pays d’origine des migrants. Des mesures économiques et culturelles
pourraient être requises dans ce contexte afin de compenser les
effets de la fuite des cerveaux.
118. Enfin, l’approche démographique des migrations présentée dans
ce rapport exige des changements institutionnels majeurs dans toute
l’Europe, notamment en ce qui concerne la conception de la citoyenneté,
la transparence des procédures, l’accès aux services et organismes
publics et l’accès aux éléments constitutifs du bien-être économique.
119. On attribue fréquemment à Auguste Comte, démographe et sociologue
français, l’idée selon laquelle «la démographie, c’est le destin».
Ce rapport soutient que, si la démographie est bien entendu importante
pour les sociétés, l’attention exclusive aux chiffres ne saurait
suffire: c’est aux parlementaires qu’il revient de forger notre
destin.