1. Introduction
1. Le vieillissement de la population européenne n’est
pas un phénomène nouveau et ses conséquences socioéconomiques font
l’objet de vifs débats depuis dix ans. L’Assemblée parlementaire
s’est déjà penchée sur la question dans sa Recommandation 1796 (2007)
sur la situation des personnes âgées en Europe. Dans le droit fil
de cette recommandation, le Comité des Ministres, dans sa réponse
du 6 février 2008, s’est déclaré particulièrement conscient de l’importance
d’aider les personnes âgées à rester actives afin de continuer à apporter
à la société la richesse de leurs expériences privées et professionnelles.
2. Fort de cette vision commune, le rapporteur souhaiterait examiner
le rôle des seniors dans la société et évoquer la culture professionnelle,
les attitudes des travailleurs seniors et la notion de vieillissement
actif sous l’angle des droits de l’homme. Il tient à remercier les
représentants de International Longevity Center – France. Il a eu
avec eux des discussions enrichissantes, le 7 mai 2009 à Paris,
qui l’ont inspiré pour élaborer le présent rapport. La commission
des questions sociales, de la santé et de la famille a aussi organisé
une audition le 14 septembre 2009 à Paris, avec la participation
de Madame la Professeur Françoise Forette de l’International Longevity
Centre.
3. D’après les estimations et projections des Nations Unies et
de l’Union européenne, les tendances sont sans équivoque. La proportion
de seniors n’a cessé d’augmenter, de 8% de la population en 1950
à 11% en 2007, et elle devrait atteindre 22% d’ici 2050. Les gens
vivent plus longtemps, en particulier en Europe (en moyenne huit
ou neuf ans de plus qu’en 1960) et la longévité va continuer à s’accroître
dans les prochaines décennies, tandis que la fécondité a baissé
et demeurera probablement, dans un avenir prévisible, en-deçà du
taux de reproduction nécessaire pour assurer le renouvellement des
générations.
4. Le rapporteur est fermement convaincu que le vieillissement
de la population est un progrès social qui découle de l’amélioration
des conditions de vie, d’une meilleure éducation, de politiques
de prévention sociale et médicale plus performantes et de meilleurs
systèmes et soins de santé publique
. Les enjeux qu’il pose peuvent
néanmoins apparaître comme une véritable gageure. A moins que les
politiques ne changent, comme l’ont clairement indiqué nombre d’organisations
internationales et européennes, on peut s’attendre à une croissance
plus faible, voire à une réduction en chiffres absolus, de la population
active. L’augmentation rapide du ratio de dépendance démographique
signifie qu’il sera plus difficile de continuer à augmenter le niveau
de vie, à moins de mieux mobiliser les ressources en main d’œuvre
.
5. Les systèmes de protection sociale des Etats membres du Conseil
de l’Europe sont sérieusement menacés et de nombreux pays européens
accordent désormais de plus en plus d’importance, quoiqu’à des degrés
divers, à des questions telles que l’allongement de la durée de
la vie active ou la situation des seniors. Une réorientation politique
est généralement préconisée pour faciliter l’accès à l’emploi et
réduire les obstacles au travail, promouvoir un apprentissage tout
au long de la vie qui soit rentable et, par conséquent, accroître
les ressources dont dispose la société.
6. Le fait que l’on vive plus longtemps et en bonne santé devrait
être source de satisfaction; or, les seniors, et même les travailleurs
d’âge mûr, ont tendance à être considérés comme un «fardeau» pour
la société. Rien que le terme «fardeau» d’ailleurs est déplacé,
de l’avis du rapporteur, car il indique que l’on reste dans la même optique,
avec les mêmes préjugés; il faut au contraire restructurer la société
et ses institutions pour mieux refléter les nouvelles réalités d’une
population vieillissante et d’une longévité accrue.
7. Il incombe aux responsables politiques, aux employeurs, aux
employés, aux acteurs sociaux et aux organisations de la société
civile de rendre le travail et la société plus attractifs pour les
femmes et les hommes seniors et de créer un environnement propice
à l’épanouissement des familles et des personnes de tout âge.
8. Tout projet de réforme devrait prendre en compte le fait que
le travail seul n’est pas un indicateur suffisant pour mesurer la
contribution économique des seniors à la société. Nombre d’entre
eux, notamment les femmes, s’occupent déjà, sans rétribution, de
leurs petits-enfants ou de leurs propres aînés – facteur difficile
à prendre en compte dans le calcul du produit intérieur brut. La
contribution essentielle des activités au sein du foyer, des soins
informels et du bénévolat à la prospérité économique et à la cohésion
sociale est également totalement laissée de côté.
9. Vieillir en restant actif devrait être interprété comme un
processus dynamique reposant sur des principes forts et partagés
de participation sociale et de citoyenneté. Les décideurs politiques
doivent adapter les institutions et les politiques en fonction des
nouveaux scénarios démographiques qui intègrent l’allongement de
la durée de vie, prendre en compte les besoins des seniors lors
de l’élaboration des politiques sociales et tout mettre en œuvre
pour mobiliser le capital humain existant dans l’intérêt des hommes,
des femmes et des enfants.
2. Participation des seniors au marché
du travail: tendances récentes
10. Les seniors d’aujourd’hui ont connu davantage de
changements que les générations précédentes. La première vague de
«baby boomers» (nés entre 1946 et 1955) a assisté à l’essor des
technologies (dont les possibilités paraissent infinies), ainsi
qu’à de profondes transformations sociales et à une floraison de nouvelles
libertés. Cette génération a rompu radicalement, plus que toute
autre génération auparavant ou depuis, avec les valeurs, les attitudes
et les habitudes de ses aînés.
11. Si l’on en croit les spécialistes du marché, les baby boomers
devraient révolutionner la notion de «vieillesse» car ils adoptent
des attitudes totalement différentes de celles de leurs parents.
Le stéréotype du vieillard frêle et passif est déjà dépassé
.
Même la qualification de «travailleur senior» est embarrassante
pour certains.
12. Les données officielles nous donnent pourtant d’autres informations
sur cette génération. En 2007, dans les pays de l’OCDE, moins de
60% en moyenne de la population âgée de 50 à 64 ans avait un emploi,
comparé à 76% pour le groupe des 24-49 ans. La situation s’est cependant
améliorée ces dix dernières années. Les taux d’emploi des 50-64
ans varient considérablement d’un pays à l’autre, avec plus de 60%
pour l’Islande, la Suisse, la Norvège et la Suède en 2007, mais
moins de 40% dans nombre d'autres pays membres du Conseil de l’Europe,
notamment la Turquie, la Pologne, la Hongrie, la Belgique, le Luxembourg,
la République slovaque, l’Italie et la France
.
13. Les principales voies de sortie précoce du marché du travail
varient selon les pays. Dans certains d’entre eux, cette éventualité
est prévue par certaines dispositions du régime de pension ou par
un système officiel de retraite anticipée. Dans d’autres, les salariés
recourent aux pensions d’invalidité et à d’autres allocations sociales
pour arrêter de travailler. D’après les données de l’OCDE, dans
l’ensemble des pays, cette sortie précoce a tendance à être définitive,
le nombre de salariés seniors reprenant un emploi étant minime;
en général, moins de 5% des 50-64 ans inactifs ont un emploi un
an plus tard. De plus, dans de nombreux pays européens, l’âge effectif
de la retraite se situe en effet bien en-deçà de l’âge officiel
auquel il est possible de prétendre à une retraite intégrale
.
14. La baisse du taux d’activité des plus de 50 ans s’explique
par divers facteurs économiques, politiques et sociaux. Les salariés
seniors ont longtemps été surreprésentés dans les industries aujourd’hui
en déclin et sous-représentés dans les secteurs en essor; ils ont
de plus été touchés par la baisse de la demande en employés non
qualifiés. Leur participation à l’activité économique a fluctué
en fonction de la situation économique – croissance ou récession
– et par conséquent, des variations de la demande en main d’œuvre.
15. En phase de récession, les salariés seniors ont été les premiers
visés à travers des plans de retraite anticipée, l’objectif étant
de faire face au chômage des jeunes en «libérant» des emplois, même
si c’est là une fausse conviction. Le recours tout aussi massif
aux pensions d’invalidité a également contribué à réduire le nombre
d’actifs plus âgés. L’investissement dans la formation professionnelle
et continue des plus de 55 ans est souvent considéré comme une dépense
inutile.
16. Il semble néanmoins que la tendance au déclin du taux d’activité
des seniors se soit récemment renversée – notamment dans certains
pays européens, et en particulier chez les femmes. L’International Longevity
Center – France a mis au point un indicateur de l’«espérance de
vie en emploi et en santé» («Healthy Working Life Expectancy») à
l'âge de 50 ans en Europe. Cet indicateur offre un modèle de vieillissement épanoui
caractérisé d’une part par l’absence de maladie, d’autre part par
l’emploi.
17. En moyenne, en Europe, entre 50 et 70 ans, les hommes jouissent
d’une bonne santé pendant 14,1 années, dont la moitié sont passées
à travailler, et les femmes pendant 13,5 années, dont un tiers passé
à exercer une activité professionnelle. Par conséquent, il devrait
être possible, en théorie, d’augmenter l’espérance de vie en emploi
et en santé entre 50 et 70 ans, en particulier chez les femmes,
en consacrant les années en bonne santé non pas à la retraite mais
au travail
.
3. Emergence de politiques en faveur des travailleurs
seniors
18. Le rapporteur note que si les entreprises sont conscientes
que leur main d’œuvre vieillit, les responsables politiques, eux,
s’efforcent de préserver les systèmes financiers, de santé et de
sécurité sociale en place. Les tendances concernant l’emploi des
travailleurs seniors, liées au vieillissement de la population et
aux régimes de retraite, préoccupent de plus en plus les politiques.
19. Ces dernières années, de nombreux pays ont nettement réorienté
leur politique vers la mise en place de programmes proactifs en
matière d’emploi, délaissant les systèmes de retraite anticipée.
Les gouvernements semblent vouloir accroître l’offre de travailleurs
seniors et stimuler la demande en baissant les charges des entreprises
qui en recrutent.
20. La Commission européenne et l’OCDE ont l’une comme l’autre
préconisé d’adopter une approche intégrée globale pour répondre
aux problèmes découlant du vieillissement de la main d’œuvre. Le
Conseil européen, réuni à Stockholm en 2001, s’est fixé pour nouvel
objectif d’augmenter le taux moyen d’emploi des femmes et hommes
d’âge mûr (55-64 ans) dans l’Union européenne de 50% d’ici 2010.
En 2008, 12 Etats membres y étaient parvenus, mais 10 autres, notamment
des membres importants tels que la France, l’Italie et la Pologne,
présentaient un écart de 10 points au moins par rapport à cet objectif
.
21. Divers instruments, politiques et mesures ont été conçus afin
de reconstruire le système social, de sorte que les systèmes de
retraite et de sécurité sociale incitent les gens à travailler jusqu’à
65 ans, et au-delà; une discrimination est néanmoins souvent pratiquée
entre les femmes et les hommes.
22. Plusieurs pays européens ont mis en œuvre des politiques en
faveur des salariés seniors, notamment:
- en supprimant les mesures incitatives antérieures en faveur
de la retraite anticipée;
- en encourageant la retraite à un âgé plus avancé et selon
des modalités plus souples, et en mettant en place des mesures incitant
les travailleurs à rester actifs, ainsi que des mesures fiscales
pour les entreprises qui emploient des seniors;
- en adoptant une législation contre la discrimination fondée
sur l’âge;
- en égalisant l’âge de la retraite entre hommes et femmes;
- en lançant des campagnes de sensibilisation auprès des
employeurs;
- en offrant aux salariés seniors des services de conseil
et de formation;
- en conseillant et en orientant les employeurs;
- en apportant un soutien aux intermédiaires du marché du
travail.
23. Le rapporteur est favorable à ces mesures, notamment celles
qui donnent aux salariés seniors le choix de rester actifs. Comme
la Deuxième Assemblée mondiale des Nations Unies sur le vieillissement
l’a déclaré, «les personnes âgées devraient avoir la possibilité
de travailler pendant aussi longtemps qu’elles le souhaitent et
en sont capables, en exerçant des activités satisfaisantes et productives».
La France, pays d’origine du rapporteur, a adopté une loi en 2008
qui permet aux salariés qui le souhaitent de continuer à travailler
jusqu’à 70 ans, l’âge officiel de la retraite étant fixé à 65 ans.
24. Différents facteurs objectifs et subjectifs déterminent néanmoins
l’âge effectif du départ à la retraite et le désir de travailler
plus longtemps. Citons notamment l’état de santé, les préférences
concernant la répartition travail/loisirs, les responsabilités familiales
et de prise en charge de proches dépendants, les politiques des entreprises
en matière d’emploi, les conditions et l’organisation du travail,
la motivation, la satisfaction professionnelle et le but que l’on
se donne dans la vie.
25. La Finlande est souvent citée en exemple pour avoir pris en
considération la relation entre l’emploi, les pensions et l’apprentissage
lors de l’élaboration de ses politiques et pour avoir réussi à augmenter
fortement le taux d’emploi des seniors.
26. Les politiques finlandaises en faveur d’un vieillissement
actif, qui s’appuient sur le concept d’«aptitude au travail», poursuivent
trois objectifs: autoriser les seniors à rester actifs; faire accepter
à la société que l’on peut travailler plus longtemps en mobilisant
les partenaires sociaux et les entreprises et en améliorant le bien-être
au travail; améliorer l’inclusion sociale des salariés seniors et
des retraités
.
27. Il convient néanmoins de noter que le succès de l’expérience
des pays nordiques est largement dû à l’existence d’un consensus
au sein des partis politiques et de la population et à la pleine
coopération des partenaires sociaux. Ce modèle n’est donc pas forcément
adaptable à d’autres pays où la situation sociale et politique,
le marché du travail et les traditions en matière de dialogue social
différent
.
28. Dans les faits, dans de nombreux pays européens, la retraite
anticipée séduit encore de nombreux salariés d’âge mûr. Bien que
le pourcentage de seniors qui travaillent plus longtemps augmente
dans certains pays, la plupart préfèreraient quitter le monde du
travail dès lors que leur situation financière le leur permet. Et même
si tout semble indiquer qu’une grande partie des seniors est encore
capable de travailler et de contribuer à la société, la majorité
ne le fait pas.
29. De leur côté, de nombreux employeurs restent peu disposés
à garder leurs salariés les plus âgés, et encore moins à en recruter.
Le milieu du travail reste empreint d’idées dépassées sur les capacités
de ces travailleurs, mais les employeurs sont néanmoins sensibles
aux mesures incitatives ou dissuasives mises en place par le gouvernement
à travers des programmes de réduction d’impôts ou d’octroi d’avantages.
30. Le rapporteur tient à souligner que les systèmes de protection
sociale doivent être adaptés pour permettre aux salariés seniors
de rester en poste plus longtemps, sans toutefois supprimer les
droits à une pension ni limiter les allocations de chômage pour
les chômeurs de longue durée.
31. Il convient d’évaluer le risque, important, d’accroissement
des inégalités et de se demander comment prendre en compte les différences
de pénibilité du travail. Le rapporteur est d’avis qu’il faudrait
peut-être maintenir le système de retraite anticipée pour certaines
catégories d’ouvriers qui occupent des emplois physiquement éprouvants.
32. Les réformes visant à repousser l’âge de la retraite devraient
tenir compte du fait que l’âge d’entrée sur le marché du travail,
le nombre total d’années travaillées et la nature de l’emploi occupé
influent fortement sur la capacité et la volonté de poursuivre une
activité professionnelle.
33. Si l’on veut accroître le taux d’activité des travailleurs
seniors, il faut renforcer l’attractivité des lieux de travail,
prévoir des modalités d’emploi plus souples, créer des conditions
de travail supérieures permettant aux salariés de rester en bonne
santé physique et mentale, permettre le développement des compétences
par le biais de l’apprentissage tout au long de la vie et inciter
les employeurs à adopter une approche positive à l’égard des employés
d’âge mûr. Reste encore à supprimer les nombreuses dispositions
législatives nationales qui font obstacle à une telle évolution,
ainsi que les préjugés et les idées dépassées sur la capacité des
seniors à travailler.
4. Discrimination fondée sur l’âge et la culture
professionnelle
34. Nous devons lever les barrières qui nous empêchent
de tirer profit de la longévité. Les Etats membres du Conseil de
l’Europe ont tous signé la Convention européenne des droits de l’homme;
leurs législations devraient donc dûment tenir compte des dispositions
de cet instrument. Parmi les droits de l’homme figurent notamment
l’égalité, et donc l’égalité d’accès au marché du travail et aux
services.
35. Bien que l’âgisme soit moins reconnu que le racisme ou le
sexisme, c’est un préjugé qui porte atteinte à la personne et qui
se traduit par un non-respect généralisé, que ce soit dans les médias,
qui véhiculent des images stéréotypées et dégradantes, au sein de
la société, où les personnes âgées sont victimes de violences physiques
et d’abus financiers, dans les entreprises, où elles sont traitées
de manière différente, ou dans le milieu médical, où elles ne reçoivent
pas toujours les soins et les services appropriés.
36. Traiter différemment quelqu’un, ou tel ou tel groupe, en raison
de l’âge repose souvent sur des idées préconçues et des stéréotypes
basiques. La discrimination qui en résulte porte atteinte au droit
fondamental des personnes de voir leur dignité humaine respectée
puisqu’on leur refuse respect et égalité de traitement. Elle empêche
en outre les groupes d’âge défavorisés de participer pleinement
au marché du travail
.
37. Même si dans de nombreux Etats membres la loi interdit la
discrimination directe, les attitudes négatives à l’égard des travailleurs
seniors restent profondément ancrées dans la culture professionnelle
moderne. Dans la pratique, cela se traduit par des chances réduites,
pour un chômeur de 50 ans et plus par exemple, de retrouver un emploi,
par une faible mobilité professionnelle et par une participation
limitée à l’éducation et la formation. En outre, nombre de politiques
nationales dans le domaine de l’emploi continuent de s’appuyer sur le
facteur «âge» pour évaluer l’état de santé ou le niveau de compétence.
38. Nous devons également mettre en question l’évolution du «droit
légitime à la retraite», qui s’est transformé en «obligation de
prendre sa retraite», forçant parfois certains salariés à se retirer
contre leur gré du monde du travail.
39. Dans les entreprises même, la discrimination et le harcèlement
fondés sur l’âge portent atteinte à la dignité des seniors et sapent
l’image qu’ils ont d’eux-mêmes. Démotivés, ils sont moins productifs,
ce qui véhicule une image contraire à celle de travailleurs seniors
fiables, loyaux et pleins d’ardeur, et s’explique par la persistance
des stéréotypes négatifs à leur égard (ils coûtent plus cher, s’adaptent
moins facilement, sont moins ambitieux, créatifs, vifs ou capables
que les plus jeunes, etc.).
40. Pour y remédier, il convient d’inciter les employeurs à adopter
une approche plus positive et de mettre en avant, afin de les faire
largement reconnaître, les nombreux avantages d’employer des travailleurs
plus âgés – moins de rotation du personnel, attitudes plus souples
sur le lieu de travail, fiabilité plus grande et expérience.
41. Les faits montrent que la productivité ne décroît pas avec
l’âge, la baisse de la capacité physique étant compensée par les
qualités et les compétences acquises grâce à l’expérience.
42. Outre les préjugés et la discrimination, d’autres facteurs
ont œuvré contre la réinsertion des travailleurs seniors, notamment
le taux relativement élevé de chômage, la forte intensité du travail
et une tradition de retrait précoce du monde du travail qui pousse
les salariés à partir avant l’heure.
5. La retraite anticipée: motivations et attitudes
des travailleurs
43. La plupart des personnes qui se retirent du marché
du travail ne le font ni à l’âge légal de la retraite ni à l’orée
de la «vieillesse». Nombre d’entre elles quittent leur emploi avant
l’âge officiel de la retraite car elles ont pris (volontairement
ou non) leur retraite anticipée, ont été licenciées ou souffrent
d’une forme ou d’une autre d’incapacité.
44. L’OCDE a identifié plusieurs facteurs qui incitent ou forcent
les salariés seniors à conserver leur emploi ou à prendre leur retraite.
45. Parmi les facteurs les plus courants qui incitent à prendre
sa retraite figurent les avantages financiers prévus par les régimes
de retraite et autres systèmes officiels ou autres de retraite anticipée.
A l’opposé, l’absence de perspectives professionnelles en raison
de la situation de l’entreprise ou de la situation personnelle est
un facteur qui peut forcer à se retirer du monde du travail. A l’échelle
de l’entreprise sont en cause les perceptions négatives relatives
aux capacités des employés plus âgés et les difficultés à adapter
la politique de recrutement en vertu des règles de protection de
l’emploi. Au niveau individuel peuvent être pointés du doigt le
décalage des compétences par rapport à l’évolution technologique
et structurelle de la demande en main d’œuvre, l’impression que
la formation continue n’apporte pas grand-chose, le stress lié au travail,
l’état de santé ou l’absence de souplesse quant à ses horaires de
travail
.
46. L’usage joue également un rôle car il dicte l’âge «naturel»
de la retraite, même si l’on vit aujourd’hui plus vieux et en meilleure
santé qu’avant.
47. L’existence de mauvaises conditions de travail est un facteur
important de retrait précoce du monde professionnel. Les accidents
du travail, le stress et les problèmes de santé peuvent amener à
porter un regard négatif sur son activité, et l’absence de satisfaction
professionnelle peut conduire à l’absentéisme et à la retraite anticipée.
48. Les changements d’activité ou les ralentissements de l’économie
peuvent provoquer le déclin d’un secteur et par conséquent un stress
accru chez les salariés. Des enquêtes récentes montrent également
– ce qui semble logique – que l’envie de se retirer avant l’heure
est plus forte chez les travailleurs qui occupent des emplois physiquement
éprouvants.
49. La motivation financière et personnelle compte également pour
beaucoup. Les systèmes de sécurité sociale peuvent encourager ou
dissuader une personne de rester active. Ainsi, une assurance sociale
et des pensions (ou autre compensations financières) plus généreuses
peuvent inciter à prendre sa retraite anticipée. Les salariés dont
le conjoint est déjà à la retraite sont également plus enclins à
faire de même, tout comme ceux qui s’occupent de petits-enfants
ou d’aînés à la santé fragile.
50. A l’inverse, un travail suffisamment stimulant et gratifiant
est une motivation pour continuer son activité, et un facteur de
bonne santé. Si l’on veut encourager les salariés dans ce sens,
il faut commencer par valoriser les aptitudes des seniors et respecter
l’expérience, le savoir et les compétences qu’ils ont acquis au
fil d’une longue carrière professionnelle. Le sentiment d’être mis
à l’écart et l’impression que ses compétences sont dévalorisées
ne peut en effet que décourager de continuer à travailler
.
51. L’environnement professionnel, la qualité du travail confié
aux travailleurs seniors et les difficultés qu’ils rencontrent pour
demeurer en poste ou réintégrer le marché du travail, et notamment
pour concilier vie professionnelle et vie familiale, sont des questions
qui préoccupent de plus en plus la société.
52. Les femmes d’âge mûr sont particulièrement concernées; elles
sont en effet victimes, pour diverses raisons, d’une discrimination
à l’emploi accrue, notamment d’inégalités par rapport aux hommes
en matière de salaire à tous les stades de la vie, et en particulier
en fin de vie active. Cette situation influe non seulement sur leurs
revenus immédiats mais aussi sur leur pension de retraite et est
largement imputable au temps global qu’elles ont passé en dehors
du marché du travail pour s’occuper de proches dépendants.
53. Le rapporteur est d’avis que la situation particulièrement
vulnérable dans laquelle se trouvent les femmes seniors – écarts
de salaires par rapport aux hommes, possibilités réduites de faire
carrière, sécurité de l’emploi moindre et difficultés particulières
rencontrées par celles qui s’occupent d’aînés dépendants – doit être
traitée de toute urgence
.
54. Le fait que les employeurs ne comprennent pas encore comment
intégrer efficacement les seniors dans leur entreprise est une autre
raison majeure qui explique que le recrutement et la fidélisation
des salariés plus âgés ne fassent pas partie des stratégies de management.
Les employeurs ont certes de plus en plus conscience qu’il importe
d’offrir aux parents qui travaillent la possibilité de mieux concilier
vie professionnelle et vie familiale, mais ils n’ont pas encore
pleinement réalisé l’importance d’une telle mesure pour les seniors
.
6. Le travail en tant qu’option attractive et épanouissante
pour les travailleurs de tout âge
55. De l’avis du rapporteur, le conflit entre, d’une
part, les politiques économiques qui favorisent la flexibilité de
la main d’œuvre, la libéralisation et la concurrence dans une économie
mondialisée et, d’autre part, la nécessité d’adapter le marché du
travail, notamment face à la réalité de l’évolution démographique
et de l’allongement de la durée de vie, crée des tensions apparentes.
La notion d’économie et de marchés du travail concurrentiels doit
être conciliée avec le droit à la dignité au travail, les avantages
de la solidarité intergénérationnelle et les besoins des familles.
56. Dans leur course à la rentabilisation du travail, les gouvernements
peuvent être tentés de supprimer systématiquement les allocations
de chômage longue durée et d’obliger les individus à accepter des
emplois mal payés et peu valorisants, plutôt que de s’attaquer aux
nombreux obstacles qui empêchent les travailleurs seniors de rester
actifs. Réduire leurs droits à une protection sociale pour les forcer
à conserver leur emploi ne fera qu’accroître l’exclusion sociale
et la pauvreté
.
57. Il faut garder à l’esprit que si les réformes des régimes
de retraite sont mal conçues, les salariés risquent de recourir
massivement aux pensions d’invalidité. Les gouvernements devraient
accorder une attention particulière aux groupes les plus vulnérables
lorsqu’ils réforment le système. La grande majorité des seniors dont
les revenus sont insuffisants n’a simplement pas eu l’occasion de
se constituer une retraite suffisante en raison de la maladie, d’interruptions
de carrière pour exercer des responsabilités familiales, de longues périodes
de chômage, de la discrimination et de l’exclusion sociale.
58. Les réformes des régimes de retraite qui visent à allonger
la durée de la vie active risquent de défavoriser ceux qui sont
les moins bien lotis, les obligeant à continuer à exercer une activité
économique, tandis que les mieux lotis continueront à prendre leur
retraite avant l’âge officiel. Une politique réussie est une politique
qui est à même de répondre aux besoins de différents groupes tout
en déployant un filet de protection suffisant pour ceux pour qui
la perspective d’un emploi est irréaliste.
59. Augmenter le nombre de seniors actifs et en bonne santé permettra
aux gouvernements d’aider plus généreusement les personnes nécessitant
des soins de santé et une prise en charge à long terme, tout en dégageant
des fonds pour l’éducation, la formation et les services sociaux.
Encourager chacun d’entre nous à adopter une attitude plus responsable
ne remplacera pas les systèmes de sécurité sociale fondés sur la solidarité
mais permettra justement de garantir la survie de ces systèmes,
qui pourront ainsi prospérer, dans l’intérêt de ceux qui en ont
le plus besoin.
60. Les ressources devraient être allouées de manière appropriée
en se gardant de classer automatiquement les personnes âgées dans
la catégorie des groupes vulnérables et en leur permettant de conserver
leur indépendance et le contrôle de leur vie. Il est possible de
motiver les salariés à travailler plus longtemps si tant est qu’ils
bénéficient de mesures incitatives satisfaisantes, d’une organisation
du travail attractive et souple, et d’une bonne santé.
61. Le rapporteur estime que si l’on veut que l’idée de flexibilité
du travail en général et de vie active jusqu’à l’âge «normal» de
la retraite et au-delà devienne réalité, il faut repenser les politiques
pour qu’elles intègrent les notions et les principes suivants:
6.1. Assurer une meilleure transition entre le travail
et la retraite, en prêtant attention aux personnes les plus vulnérables
62. Les avantages financiers de la vie active constituent
clairement une motivation pour travailler plus longtemps. L’introduction,
dans les régimes de retraite nationaux, d’un dispositif souple conciliant
travail et retraite est un des principaux moyens qui permettra de
maintenir les seniors en activité.
63. Donner la possibilité de naviguer entre travail rémunéré et
travail bénévole et de recourir à des systèmes de retraite partielle
peut également contribuer à offrir aux seniors une vie plus gratifiante,
utile et saine, tout en renforçant leur participation à la vie locale
et en s’attaquant à certains problèmes majeurs auxquels la société est
confrontée. C’est un moyen de faciliter un changement d'activité
progressif et d'éviter un passage brutal à la retraite.
6.2. Promotion de la santé et du bien-être physique
et mental
64. Une meilleure santé et un cadre de travail plus sûr
et ergonomique sont des éléments essentiels pour améliorer les conditions
de travail et la productivité des travailleurs, quel que soit leur
âge. Les mesures destinées à promouvoir la santé, la qualité de
vie et les capacités fonctionnelles des personnes à mesure qu’elles
vieillissent peuvent également constituer des facteurs convaincants
pour continuer à travailler.
65. Du point de vue des employeurs, prendre de telles mesures
et investir dans ce domaine apporte des avantages évidents – absentéisme
moindre, meilleure productivité, fidélisation des employés riches
en expérience et en connaissances.
66. Ces dernières années, l’intensité du travail a augmenté en
Europe en raison de la concurrence accrue et des changements intervenus
dans l’organisation du travail. Il est possible de limiter l’exposition
à des conditions de travail plus difficiles en s’appuyant sur le
travail d’équipe, le partage des emplois ainsi que la rotation et
la redéfinition des tâches entre les différents membres de l’équipe.
6.3. Adapter les emplois aux travailleurs seniors:
assouplir l’organisation du travail
67. Un travail bien conçu et des horaires souples (travail
à temps partiel, plus de congés payés, télétravail et partage des
emplois notamment) permettront aux salariés plus jeunes comme plus
âgés de mieux concilier leurs priorités (s’occuper d’enfants, de
parents âgés ou de petits-enfants, éducation, bénévolat, ou tout simplement
plus de temps de loisirs), en particulier après plusieurs décennies
de travail à temps plein.
68. Tous les travailleurs, quel que soit leur âge, sont concernés,
et les politiques doivent leur offrir la possibilité de choisir.
L’assouplissement du temps de travail est un moyen important d’«humaniser»
la vie professionnelle, notamment les activités pénibles telles
que le travail de nuit
.
6.4. Adapter les travailleurs seniors aux emplois:
apprentissage tout au long de la vie et «aptitude au travail»
69. A mesure que la longévité augmente, la société va
devenir une société du savoir. Les compétences devenant plus vite
obsolètes dès lors que la durée de la vie s’allonge, il y a urgence
à prévoir des systèmes de formation continue, de recyclage et de
reconversion, y compris d’apprentissage en fin de carrière.
70. Il conviendrait d’investir davantage en milieu de carrière
dans l’apprentissage tout au long de la vie. L’attrait de la formation
et les bénéfices potentiels que peuvent en retirer les travailleurs
seniors peuvent être renforcés en adaptant les méthodes et les contenus
pédagogiques aux besoins de ce public, en offrant des formations
modulaires de courte durée et en reconnaissant les apprentissages
et expériences antérieurs
.
7. Le vieillissement actif: plus que «le travail»
71. L’importance d’une activité dans la longévité est
désormais un fait accepté dont atteste la médecine factuelle. Le
déclin des travaux de force, à l’origine d’une mortalité précoce,
a contribué à rallonger l’espérance de vie. Le mode de vie sédentaire
et passif est l’un des principaux facteurs de morbidité et de mortalité,
quel que soit l’âge, et tout particulièrement à partir du troisième
âge. Les études montrent clairement que les personnes qui continuent
à exercer une activité sont plus susceptibles de rester alertes
mentalement et physiquement, et donc de jouir d’une meilleure qualité
de vie
.
72. En outre, d’autres raisons existentielles peuvent inciter
les seniors à continuer à travailler et/ou à rester actifs dans
la société: le désir de se sentir utile, de voir des gens, d’effectuer
des tâches gratifiantes et de continuer à apprendre.
73. Il convient également de reconnaître que le vieillissement
actif couvre un éventail d’activités plus large que les seuls aspects
liés à la vie professionnelle. Après la retraite, les seniors continuent
à contribuer à la société sans rétribution, en tant que consommateurs,
aidants, citoyens, etc. L’absence d’informations précises sur le
rôle qu’ils jouent au niveau économique renforce les stéréotypes
sur l’improductivité et la dépendance des personnes âgées.
74. L’Organisation mondiale de la santé a adopté le terme de «vieillissement
actif» pour définir le processus consistant à optimiser les possibilités
en matière de santé, de participation et de sécurité afin d’accroître
la qualité de la vie pendant le vieillissement
.
75. Le rapporteur considère que «l’ouverture» des villes et des
collectivités aux personnes de tout âge ainsi que la promotion du
bénévolat constitue l’une des innovations sociales qui devrait être
développée au XXIe siècle. Des seniors qualifiés et expérimentés
interviennent en tant que bénévoles dans les établissements scolaires,
auprès de différentes communautés, dans les institutions religieuses,
les entreprises et les organisations politiques et de santé. En
retour, ils renforcent leurs contacts sociaux et jouissent d’un
bien-être psychologique, tout en contribuant notablement aux activités
de la collectivité.
76. En outre, en raison du manque de main d’œuvre, les secteurs
du bénévolat et des soins informels vont être davantage sollicités.
Les talents des travailleurs plus âgés peuvent être exploités de
maintes façons. Les gouvernements devraient repérer les obstacles
existants et mettre en place des mesures incitatives pour aider les
chômeurs seniors à s’engager dans le bénévolat, en les formant à
effectuer de nouvelles tâches et à évoluer dans de nouveaux réseaux.
77. A cet égard, le rapporteur se félicite de l’initiative de
l'Union européenne de proclamer l’année 2011 «Année européenne du
volontariat» et espère qu’une attention particulière sera accordée
à la contribution qu’apportent par ce biais les seniors à la société.
8. Conclusions
78. Au siècle dernier, le cycle de vie se divisait en
trois grandes périodes: la jeunesse, période d’apprentissage; la
maturité, consacrée à la vie active et à la famille; la vieillesse,
l’âge de la retraite et des maladies. Aujourd’hui, la frontière
entre les trois est devenue floue, de nombreux Européens ayant la
possibilité de mener «plusieurs vies», ce qui remet en cause les
structures familiales traditionnelles et implique souvent une réorientation
de carrière qui prolonge de quelques années l’exercice d’une activité
en bonne santé après la retraite.
79. Le rapporteur considère que l’allongement de la durée de la
vie nous oblige à voir autrement les structures d’âge dans nos sociétés.
Le cycle de vie devrait être structuré de façon à élargir l’éventail
d’options et de choix offerts aux jeunes mais aussi aux aînés, tout
en garantissant leurs revenus et les systèmes de sécurité sociale,
dans le cadre de parcours intégrés.
80. Les politiques de vieillissement actif doivent déterminer
la mesure dans laquelle nous pouvons remodeler les parcours de vie
de manière à combiner autrement le travail, la vie privée et familiale,
la formation et l’apprentissage tout au long de la vie, le développement
personnel, le sport, les loisirs et le bénévolat, et ce à tout âge.
81. Le vieillissement est un processus que l’on vit avec autrui
– ses amis, ses collègues, ses voisins, sa famille. C’est pourquoi
l’interdépendance et la solidarité entre les générations sont des
principes importants du vieillissement actif, à la fois dans le
milieu professionnel et dans la société en général.
82. S’il est certes important que le taux de fécondité reste élevé
pour assurer l’avenir d’un pays, la véritable richesse d’une société
peut également se mesurer par sa capacité à inclure tous les groupes
d’âge en vue d’un «vivre ensemble» harmonieux.
83. Enfin, le rapporteur se félicite de la récente proposition
de la Commission européenne de désigner l'année 2012 «Année européenne
du vieillissement actif», dans le but de créer de meilleures possibilités d'emploi
et conditions de travail pour un nombre croissant de seniors en
Europe, de les aider à jouer un rôle actif dans la société et d’encourager
un vieillissement en bonne santé. Il espère vivement que le Parlement
et le Conseil européens seront favorables à cette initiative et
invite le Conseil de l'Europe à jouer également un rôle actif en
2012, en étroite coopération avec l'Union européenne.