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Rapport | Doc. 12774 | 17 octobre 2011

Les conflits armés et l’environnement

Commission de l'environnement, de l'agriculture et des questions territoriales

Rapporteur : M. Rafael HUSEYNOV, Azerbaïdjan, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 11741, Renvoi 3505 du 26 janvier 2009. 2011 - Commission permanente de novembre

Résumé

Les conflits armés ont des conséquences désastreuses sur l’environnement: destruction des infrastructures, pollution des ressources en eau, empoisonnement des sols et des champs, destruction des cultures et des forêts et surexploitation des ressources naturelles. C’est ainsi que l’environnement peut être utilisé comme une arme redoutable lors des opérations militaires.

Afin de préserver l’environnement, il apparaît indispensable d’empêcher la mise en place d’un cercle vicieux associant conflit armé, dommages environnementaux et pauvreté.

Les gouvernements des Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe sont invités à se conformer scrupuleusement aux instruments juridiques concernant les rapports entre les conflits armés et l’environnement et à organiser des programmes de sensibilisation destinés notamment à ceux qui sont responsables de la planification militaire.

Après avoir analysé les conséquences des conflits armés sur l’environnement dans différentes régions du monde, le rapport fait des recommandations visant à améliorer la protection de l’environnement en temps de guerre et à encourager les Etats à élaborer une législation portant plus particulièrement sur les crimes écologiques.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 21 juin
2011.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire note avec inquiétude que les conflits armés ont des conséquences désastreuses sur l’environnement: destruction des infrastructures, pollution des systèmes d’approvisionnement en eau, empoisonnement des sols et des champs, destruction des cultures et des forêts.
2. Les ressources naturelles elles-mêmes peuvent ainsi être une source de conflits car elles constituent une cible prioritaire pour les opérations militaires.
3. L’Assemblée constate également que les conflits génèrent une surexploitation des ressources naturelles entraînant des pénuries alimentaires, la déforestation, l’érosion des sols, la disparition de la faune sauvage.
4. De surcroît, les dégâts sur l’environnement sont souvent plus importants à la fin du conflit, au moment du retour de la population et de la reconstruction du pays. Le retour des réfugiés engendre une surexploitation des ressources pour satisfaire leurs besoins alimentaires et énergétiques, mais également des coûts économiques, sociaux et politiques élevés.
5. Dans ce contexte, l’Assemblée rappelle sa Recommandation 1495 (2001) sur les conséquences de la guerre en Yougoslavie pour l’environnement de l’Europe du Sud-Est, qui indique clairement que, «comme dans le cas des opérations conduites en Bosnie et en Tchétchénie, les Etats qui ont participé à ces opérations ont méconnu les réglementations internationales contenues dans les articles 55 et 56 du Protocole I (1977) aux Conventions de Genève de 1949, visant à limiter les dommages causés à l’environnement en cas de conflit armé».
6. L’Assemblée regrette que l’environnement naturel ne soit pas défini dans l’article 52 du Protocole I aux Conventions de Genève.
7. A cet égard, l’Assemblée déplore que, malgré les divers textes internationaux en vigueur, tels que la Convention sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles (Convention ENMOD), qui est entrée en vigueur en 1978 et qui est considérée comme le texte de référence sur la protection environnementale pendant les conflits armés, et le Protocole additionnel aux conventions de Genève de 1949 interdisant le recours de la guerre écologique, les conflits armés continuent incontestablement d’avoir des effets délétères sur l’environnement et ce pendant des années ou des décennies.
8. L’Assemblée demande instamment aux gouvernements des Etats membres et observateurs du Conseil de l'Europe de respecter scrupuleusement les instruments juridiques sur le lien entre conflits armés et environnement et de mettre au point des programmes de sensibilisation destinés en particulier aux responsables de la planification militaire.
9. L’Assemblée est convaincue qu’un renforcement de la responsabilité environnementale internationale, conjugué avec la répression internationale des crimes de guerre et des violations des droits de l'homme, pourrait prévenir les conflits armés.
10. L’Assemblée estime, en outre, que les organisations internationales et humanitaires qui sont directement associées à la gestion de l’après-conflit ont un rôle important à jouer dans les évaluations environnementales. L’élaboration de stratégies relatives aux mouvements de population, à la planification d’urgence et à la mise en place de camps de réfugiés les aiderait à trouver des solutions rapides acceptables à la fois sur le plan social et environnemental.
11. L’Assemblée souligne le rôle important des médias pour attirer l’attention de l’opinion publique sur l’impact environnemental des conflits armés.
12. A la lumière de ces considérations, l’Assemblée recommande aux Etats membres et non membres du Conseil de l'Europe:
12.1. d’assurer la formation du personnel civil et militaire et des Etats majors sur les enjeux environnementaux en période de conflit armé;
12.2. d’appliquer les lignes directrices pour les manuels et instructions militaires de la Croix-Rouge de 1994 dans les programmes de formation nationaux des militaires;
12.3. de promouvoir l’échange d’information entre les Etats membres du Conseil de l'Europe sur la gestion environnementale en période de conflit armé et l’harmonisation des législations en vigueur dans ce domaine;
12.4. de désigner un correspondant «développement durable» au sein de l’Agence européenne de défense;
12.5. de relancer la Convention ENMOD afin de restreindre les programmes militaires de contrôle du climat;
12.6. d’intégrer l’écoconception dans les programmes d’armement;
12.7. d’évaluer les risques que font peser les manœuvres militaires sur l’environnement (bruits, menaces sur la faune sauvage);
12.8. d’encourager les organisations humanitaires à mener des évaluations environnementales préconflit quand cela est possible, afin de mieux planifier la gestion humanitaire des conflits et en particulier l’emplacement des camps de réfugiés;
12.9. de débloquer des fonds afin que les organisations internationales, telles que le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), réalisent des évaluations environnementales préconflit;
12.10. de ratifier le traité d’interdiction des armes à sous-munitions entré en vigueur le 1er août 2010 et d’encourager les Etats partenaires comme Israël ou l’Afghanistan à faire de même;
12.11. d’encourager la rédaction d’un traité interdisant les armes au phosphore.
13. L’Assemblée appelle les parlements des Etats membres à prendre les mesures nécessaires visant à introduire des mesures législatives sur l’environnement, particulièrement pendant les conflits armés, en portant une attention particulière à la question des crimes écologiques.

B. Exposé des motifs, par M. Huseynov, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Les guerres sont avant tout des drames humains, mais elles engendrent également de nombreuses conséquences économiques, politiques et sociales, dont certaines sont liées directement à l’environnement. Ces facteurs environnementaux sont souvent moins évidents que la mort et la destruction constatées dans le sillage immédiat de la guerre. Cependant, de la planification des conflits armés à la reconstruction du pays, l’environnement joue un rôle de plus en plus important.
2. Les conflits armés sont sources de catastrophes majeures pour l’environnement. La protection de l’environnement n’est pourtant devenue une préoccupation internationale qu’avec la défoliation de la jungle vietnamienne par l’armée américaine, dans les années 1960. Ce conflit a montré que l’environnement peut être à la fois une victime des opérations militaires et une arme en période de conflit armé.
3. Si la préservation de l’environnement ne peut pas être la préoccupation principale lorsque des vies humaines sont menacées, les récentes guerres du Golfe, marquées par les incendies des puits de pétrole et l’utilisation d’armes à l’uranium appauvri, ont interpellé la conscience collective et ont montré que l’impact des conflits militaires sur l’environnement est parfois plus dramatique que les opérations de guerre elles-mêmes.
4. Les atteintes à l’environnement sont inévitables en période de conflit. Des infrastructures sont détruites, la déstabilisation politique affaiblit la gouvernance environnementale, les cycles agricoles sont bouleversés, etc. A moyen terme, les destructions environnementales se traduisent par des coûts économiques et sociopolitiques très élevés. L'impact de la guerre est parfois extrêmement durable. Certains sites des première et seconde guerres mondiales restent impropres à l’exploitation agricole et continuent de présenter des risques pour les populations en raison de la présence d’engins explosifs ou de munitions non explosées.
5. La médiatisation des guerres contribue à exercer une pression sur les gouvernements et leurs armées, mais aussi, dans une moindre mesure, sur l’industrie de l’armement qui est encouragée à développer des armes moins polluantes. Les images des ravages environnementaux des conflits montrent également qu’il s’agit souvent d’actes de vengeance plutôt que de tactiques militaires proportionnées. Dans cette optique, le rôle des médias est primordial.
6. La réhabilitation de l’environnement, des infrastructures et des habitations est à la base de tout redémarrage des activités économiques, sociales et politiques d’un pays ayant subi les ravages de la guerre. La sauvegarde de l’environnement doit permettre d’empêcher l’apparition d’un cercle vicieux qui lierait conflit armé, dégradation de l’environnement et pauvreté.

2. Cadre juridique

2.1. Traités et coutumes protégeant indirectement l’environnement en temps de conflits armés

7. La protection de l’environnement en temps de guerre ne s’appuie pas nécessairement sur des lois environnementales spécifiques. De nombreux préceptes de guerre, souvent très anciens, fournissent une protection qui peut être considérable pour l’environnement en période de conflit, sans pour autant aborder spécifiquement les préoccupations environnementales. On peut citer le principe de limitation, la nécessité militaire, la discrimination (entre objectifs civils et militaires), l’interdiction d’infliger à l’ennemi des maux superflus et la proportionnalité. A ces règles à caractère coutumier qui contribuent par ricochet à la protection de l’environnement, on peut ajouter les réglementations de certaines armes (incendiaires, chimiques, bactériologiques, mines).

2.1.1. La limitation

8. Le principe de limitation est un précepte fondamental des lois de la guerre. Ce concept reflète l’idée que tout n’est pas permis en temps de guerre. Il ne faut pas pousser les actes d’hostilité trop loin. Ce concept est inscrit dans de nombreux traités internationaux, en particulier les conventions de La Haye et de Genève.
9. L’article 22 de la Convention de La Haye dispose que «les belligérants n'ont pas un droit illimité quant au choix des moyens de nuire à l'ennemi». L’article 35 du Protocole I aux Conventions de Genève de 1949 dispose quant à lui que «dans tout conflit armé, le droit des parties au conflit de choisir des méthodes ou moyens de guerre n'est pas illimité».
10. Le principe de limitation procure une protection élémentaire pour l’environnement en temps de guerre. Selon ce principe, les actes de guerre nuisant à l’environnement ne sont pas tous acceptables et toute partie qui s’accorde le droit de nuire à l'environnement, sans égard aux conséquences de ce préjudice, viole la règle de base des lois de la guerre.

2.1.2. La nécessité militaire

11. Le principe de nécessité militaire cherche à limiter la capacité d’un Etat belligérant à choisir les moyens et méthodes pour attaquer son ennemi. Cette doctrine permet d’évaluer dans quelle mesure une action militaire peut être considérée comme un acte de guerre acceptable ou non.
12. L’article 23 de la Convention de La Haye interdit à un Etat de s’engager dans une activité qui supposerait «de détruire ou de saisir des propriétés ennemies, sauf les cas où ces destructions ou ces saisies seraient impérieusement commandées par les nécessités de la guerre».
13. L’article 53 de la Convention de Genève (IV) dispose qu’«il est interdit à la Puissance occupante de détruire des biens mobiliers ou immobiliers, appartenant individuellement ou collectivement à des personnes privées, à l'Etat ou à des collectivités publiques, à des organisations sociales ou coopératives, sauf dans les cas où ces destructions seraient rendues absolument nécessaires par les opérations militaires». Les dispositions de l’article 53 sont les plus exhaustives en termes de types de propriétés protégées, c’est-à-dire les propriétés individuelles, collectives, privées et étatiques.
14. Cet article constitue une protection minimale de l’environnement en cas d’occupation.
15. Ces deux articles traitent de la doctrine de la nécessité militaire, en tant que facteur limitant les dommages causés aux propriétés pouvant accroître la protection de l’environnement en temps de conflit.
16. Il est néanmoins important de développer une meilleure compréhension du genre de dommage à l’environnement qui est nécessaire militairement. La défoliation des forêts vietnamiennes ou l’incendie des puits de pétrole pendant la première guerre du Golfe étaient-ils nécessaires en termes de stratégie militaire? Dans certaines circonstances les préoccupations environnementales devraient prendre le pas sur la nécessité militaire.

2.1.3. La discrimination entre les objectifs militaires et civils

17. Selon les règles coutumières de la guerre, les belligérants doivent distinguer les cibles militaires des cibles civiles. L’article 52 du Protocole I aux Conventions de Genève, qui interdit les attaques et les représailles envers les biens civils, identifie quatre catégories de biens à caractère civil: les biens culturels et les lieux de culte, les biens indispensables à la survie de la population civile, l’environnement naturel 
			(2) 
			Article
55: «1. La guerre sera conduite en veillant à protéger l'environnement
naturel contre des dommages étendus, durables et graves. Cette protection
inclut l'interdiction d'utiliser des méthodes ou moyens de guerre
conçus pour causer ou dont on peut attendre qu'ils causent de tels
dommages à l'environnement naturel, compromettant, de ce fait, la
santé ou la survie de la population. 2. Les attaques contre l'environnement
naturel à titre de représailles sont interdites.» et les ouvrages et installations contenant des forces dangereuses.
18. L’environnement naturel n’est pas défini dans ce protocole et il apparaît comme un bien civil bien plus vague que les trois autres catégories susmentionnées. Le caractère nébuleux de «l’environnement naturel» rend difficile la considération de l’environnement comme un objet per se et, dans la perspective militaire, de lui accorder le statut de bien à caractère civil.
19. L’environnement, comme beaucoup de biens (tels les ponts, les puits de pétrole, les systèmes de transport), est en effet considéré, selon les circonstances, comme disposant d’un statut civil ou d’un statut militaire.
20. La difficulté à le définir rend malheureusement impraticable son exclusion totale des objectifs militaires. Il est pourtant possible de déterminer quel type de dommage environnemental ne constitue pas un avantage militaire décisif: la condamnation massive des incendies des puits de pétrole koweïtiens en 1991 a montré que l’opinion publique considérait ces actes comme largement disproportionnés et militairement inutiles.

2.1.4. L’interdiction d’infliger des maux superflus ou des souffrances inutiles à l’ennemi

21. Le concept de prévention des souffrances inutiles est étroitement lié à la nécessité militaire et à la proportionnalité. Le Protocole I suggère fortement que les dommages environnementaux en temps de guerre sont fondamentalement contraires aux lois de la guerre et causent des souffrances inutiles.
22. L’article 35 énumère trois règles quant aux méthodes et moyens de combat: l’article 35.1 limite les méthodes et moyens de blesser son ennemi; l’article 35.2 interdit l’emploi «des armes, des projectiles et des matières ainsi que des méthodes de guerre de nature à causer des maux superflus» et l’article 35.3 «interdit d'utiliser des méthodes ou moyens de guerre qui sont conçus pour causer, ou dont on peut attendre qu'ils causeront, des dommages étendus, durables et graves à l'environnement naturel».
23. Le placement de l’article 35.3 aux côtés de ces deux principes établis du droit des conflits armés est peut-être fondé sur la conviction qu’en associant les dommages environnementaux à ces principes juridiques humanitaires, cette disposition se verra accorder le même statut normatif.
24. Dans la mesure où les dégradations environnementales, comme objectifs militaires ou comme dommages collatéraux, causent des souffrances superflues, elles violent un autre principe établi du droit humanitaire.

2.1.5. La proportionnalité

25. Dans les lois de la guerre, la proportionnalité fait référence au fait que toute action militaire doit être proportionnée aux résultats anticipés de cette action et qu’ainsi les dommages causés ne doivent pas être disproportionnés aux résultats militaires.
26. La doctrine introduit la notion de pertes excessives et définit les attaques indiscriminées (et disproportionnées), comme «les attaques dont on peut attendre qu'elles causent incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil, ou une combinaison de ces pertes et dommages, qui seraient excessifs par rapport à l'avantage militaire concret et direct attendu» (article 51.5.b).
27. La proportionnalité est étroitement liée au principe de nécessité militaire. Les actions militaires affectant l’environnement de manière importante et mettant en danger la population civile sont incompatibles avec le concept de proportionnalité.
28. Le principe de proportionnalité a été réaffirmé par la Cour pénale internationale, dans son arrêt consultatif du 8 juillet 1996 portant sur la légalité de l’emploi d’armes nucléaires. La Cour a souligné que ce principe s’applique et couvre tous les dommages collatéraux causés à la population civile qui sont excessifs par rapport à l’avantage militaire attendu. La Cour a réaffirmé que le respect de l’environnement fait partie de la proportionnalité et que, de fait, les belligérants n’ont pas le droit de provoquer de tels dommages en ce domaine.

2.2. Cadre juridique spécifique à la protection de l’environnement en temps de conflit armé

2.2.1. La Convention ENMOD

29. La Convention sur l'interdiction d'utiliser des techniques de modification de l'environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles (ENMOD), qui est le texte de référence sur la protection de l’environnement en situation de conflit armé, est entrée en vigueur en octobre 1978 à la suite de sa ratification par 20 pays. Depuis 1978, 74 Etats ont ratifié la convention ou en sont parties et 16 l'ont signée.
30. Selon l’article 1, «chaque Etat partie à la présente convention s'engage à ne pas utiliser à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles des techniques de modification de l'environnement ayant des effets étendus, durables ou graves, en tant que moyens de causer des destructions, des dommages ou des préjudices à tout autre Etat partie».
31. La convention a été conclue sous l’égide des Nations Unies en réponse aux craintes nées de l’utilisation de moyens de combat très dommageables à l’environnement pendant la guerre du Vietnam. L’article 2 de la convention interdit les atteintes à l’environnement résultant de l’utilisation de «toute technique ayant pour objet de modifier – grâce à une manipulation délibérée de processus naturels – la dynamique, la composition ou la structure de la Terre, y compris ses biotes, sa lithosphère, son hydrosphère et son atmosphère, ou l'espace extra-atmosphérique».
32. La convention traite ainsi du recours à la guerre dite géophysique et du recours à la géo-ingénierie, qui s’appuie sur la manipulation délibérée de processus naturels pouvant conduire à des séismes, des tsunamis, des ouragans mais aussi des pluies et neiges violentes. Les modifications des conditions atmosphériques, climatiques et des équilibres écologiques sont strictement interdites.
33. La convention est le seul texte de droit positif qui interdit que l’environnement soit utilisé comme une arme de guerre.
34. La principale faiblesse de cette convention est qu’elle se limite à des armes relevant parfois de la science-fiction. La convention se situe dans le cadre de ce que la doctrine anglo-saxonne considère comme «active environment warfare», concept opposé au «passive environment warfare», où l’environnement ne serait que victime et non arme de guerre.
35. Elle demeure néanmoins un des principaux outils législatifs de protection de l’environnement en temps de conflit armé. Son existence doit permettre de restreindre les programmes militaires de contrôle du climat, tels que le projet Haarp 
			(3) 
			HAARP:
High Frequency Active Auroral Program. Programme américain
des années 1990, financé par la Navy, l’Air Force et le département
de la Défense, qui vise à mener des recherches sur l’ionosphère
à des fins militaires.. Rappelons également, à titre d’exemple, qu’un rapport de 1996 de l’US Air Force insistait sur la nécessité pour l’aviation américaine «d’intervenir localement sur le climat, soit pour accroître la visibilité en supprimant les nuages ou le brouillard, soit au contraire en encourageant la formation d’instabilités, pour générer à son profit des nuages ou des tempêtes».

2.2.2. Le Protocole I aux Conventions de Genève de 1977

36. Ce protocole contient deux articles traitant spécifiquement de la protection de l’environnement en période de conflit armé. Il interdit le recours à la guerre écologique, c’est-à-dire l’usage de méthodes de combat susceptibles de rompre certains équilibres naturels indispensables et de compromettre ainsi la santé et la survie des populations.
37. L’article 55 dispose que «la guerre sera conduite en veillant à protéger l'environnement naturel contre des dommages étendus, durables et graves. Cette protection inclut l'interdiction d'utiliser des méthodes ou moyens de guerre conçus pour causer ou dont on peut attendre qu'ils causent de tels dommages à l'environnement naturel, compromettant, de ce fait, la santé ou la survie de la population».
38. Le paragraphe 2 précise également que «les attaques contre l'environnement naturel à titre de représailles sont interdites». Cet article, comme la majorité des principes du droit international humanitaire, est par essence anthropocentrique; l’obligation générale de se soucier de la sauvegarde de l’environnement naturel est axée sur la nécessité de protéger la population civile.
39. Au contraire, l’article 35.3 tend à protéger l’environnement en tant que tel. Il prévoit l’interdiction «d’utiliser des méthodes ou moyens de guerre qui sont conçus pour causer, ou dont on peut attendre qu’ils causeront, des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel».
40. Deux autres dispositions du Protocole I contribuent indirectement à la protection de l’environnement naturel en période de conflit: la première est l’article 54 («Protection des biens indispensables à la survie de la population civile»), qui inclut «les denrées alimentaires et les zones agricoles qui les produisent, les récoltes, le bétail, les installations et réserves d'eau potable et les ouvrages d'irrigation». La protection des récoltes et du bétail apporte une protection collatérale limitée, à la faune et à la flore.
41. La seconde est l’article 56 («Protection des ouvrages et installations contenant des forces dangereuses»), qui interdit les attaques contre «les barrages, les digues et les centrales nucléaires de production d'énergie électrique». La portée environnementale de cet article repose sur sa prévention auxiliaire des dommages collatéraux résultant des attaques sur ce type d’installations. Ainsi, la destruction d’un barrage pendant un conflit violerait les dispositions de l’article 56, non seulement en raison des pertes civiles, mais aussi du fait des conséquences environnementales indésirables causées par les inondations.

2.2.3. Les directives de la Croix-Rouge pour la formation des forces armées de 1994

42. Ces directives du Comité international de la Croix-Rouge constituent également des règles du droit coutumier applicables en période de guerre. Elles sont destinées à «faciliter l’instruction et la formation des forces armées dans un domaine souvent négligé du droit international humanitaire: la protection de l’environnement naturel».
43. Instrument de sensibilisation, elles visent à amener les forces armées à protéger l’environnement et à interdire l’usage de moyens et méthodes dommageables à l’environnement naturel lors d’un conflit. Ces directives ne proposent pas la mise en place de nouvelles dispositions mais demandent que les conventions existantes soient correctement mises en œuvre et respectées.
44. Ces directives doivent être incluses dans les manuels d’instruction militaire et les règlements sur les lois de la guerre.
45. On trouve également un rappel des principes énoncés précédemment dans la Déclaration de Rio de Janeiro sur l’environnement et le développement de juin 1992. Le principe 24 énonce ainsi que «la guerre exerce une action intrinsèquement destructrice sur le développement durable. Les Etats doivent donc respecter le droit international relatif à la protection de l'environnement en temps de conflit armé et participer à son développement, selon que de besoin».
46. On peut également noter que, le 5 novembre 2001, l’Assemblée générale des Nations Unies a proclamé que le 6 novembre de chaque année serait désormais la «Journée internationale pour la prévention de l’exploitation de l’environnement en temps de guerre et de conflit armé» 
			(4) 
			La Résolution 56/4
instituant cette journée fut votée, «considérant que les dégâts
causés à l’environnement en temps de conflit armé perturbaient les
écosystèmes et compromettaient les ressources naturelles longtemps
encore après la fin du conflit et avaient des effets qui s’étendaient
et se prolongeaient souvent au-delà des limites des territoires
nationaux et de la génération actuelle» (site web des Nations Unies).. Cette journée montre la prise de conscience de la communauté internationale, qui reconnaît que les dégâts causés à l’environnement en temps de conflit armé perturbent fortement les écosystèmes.

2.3. La mise en œuvre des protections environnementales existantes

47. L’application des normes existantes en matière de protection de l’environnement lors d’un conflit armé reste difficile. Pourtant, le droit existant offre une protection suffisante pour autant qu’il soit correctement mis en œuvre et respecté; une meilleure application des obligations internationales existantes est donc vivement souhaitable.
48. Les mécanismes existants montrent ainsi qu’il n’est pas nécessaire d'élaborer une nouvelle convention qui serait consacrée à la protection de l’environnement en temps de guerre. Les efforts consacrés à la rédaction d’un tel document nécessiteraient des ressources humaines et financières qui pourraient être consacrées à des tâches plus importantes, telles que la formation des forces armées et des gouvernements au respect et à la mise en œuvre de ces règles.

3. Impacts des conflits armés sur l’environnement

3.1. Impacts environnementaux

49. L’analyse des impacts environnementaux des conflits armés permet de dresser une typologie axée sur les trois grandes phases de déroulement des conflits armés: le «préconflit», le conflit lui-même et le «postconflit».

3.1.1. Préconflit

50. En période de préconflit, il s’agit d’identifier et de définir les principaux enjeux environnementaux du conflit à venir. Il faut s’attaquer au problème environnemental dès cette phase afin de l’inclure lors de la planification des opérations.
51. Il est possible de prévoir un certain nombre d’impacts spécifiques avant même que le conflit ne se développe. Si la population anticipe le début des hostilités, on peut s’attendre à un prélèvement irrationnel des ressources végétales et animales (coupe abusive du bois, destruction de la faune sauvage), à une amorce de migration de certaines populations, à une pénurie alimentaire, etc.
52. Du côté des forces armées, la phase de préparation se traduit également par une utilisation accrue des ressources naturelles via un processus de déboisement, de mise en place de barrages, d’implantations de campements, de création d’infrastructures telles que des pistes, des ponts, des systèmes d’alimentation et d’évacuation des eaux. L’installation des forces armées peut mener à l’abandon par les populations des zones productives dans les zones occupées. Par effet de ricochet, cela va mener à la dégradation des terres cultivables et de l’environnement.
53. En phase de préconflit, il est également utile de s’intéresser aux activités de l’industrie de défense. Depuis la guerre du Golfe de 1991, les inquiétudes concernant les effets sanitaires et environnementaux des armes à l’uranium appauvri ont commencé à croître. L’uranium appauvri, métal extrêmement dense issu de déchets à faible radioactivité, est principalement utilisé par les Etats-Unis et le Royaume-Uni dans leurs munitions conventionnelles, leurs missiles et dans le blindage de certains de leurs véhicules. Sa capacité à pénétrer le blindage des chars ou autres véhicules ennemis a fait de l’uranium appauvri un matériau extrêmement précieux pour l’armée américaine. Cette dernière a systématiquement minimisé les risques potentiels pour la santé et l’environnement posés par une exposition prolongée à l’uranium appauvri. Les soldats et civils exposés à cette substance font pourtant face à un risque accru de cancers du poumon et d’insuffisances rénales.
54. L’industrie de défense porte en amont la responsabilité de la fabrication des armements. Il est désormais important de concentrer les efforts de recherche sur des programmes ayant le moins d’impact négatif sur l’environnement.
55. Il est aussi nécessaire de noter, pendant la phase de préparation à la guerre, l’impact négatif des entraînements militaires sur l’environnement. En l’absence de crise majeure, la formation et l’entraînement représentent environ 70% de l’activité des forces militaires. L’impact environnemental de cette activité n’est pas négligeable et engendre des nuisances directement perceptibles non seulement par les populations mais aussi par la faune sauvage. Par exemple, les sonars militaires à basse fréquence employés pour détecter les sous-marins affectent les mammifères marins. L’exercice militaire naval organisé par l’OTAN en septembre 2002 entre les Canaries et le détroit de Gibraltar entraîna la mort d’une quinzaine de baleines à bec. L’autopsie révéla des lésions au niveau des oreilles internes et prouva que les sons de forte puissance peuvent provoquer la mort de grands cétacés, déjà menacés par la chasse et la pêche.
56. Il est regrettable de constater l’absence d’une évaluation environnementale stratégique qui dresserait un état des lieux environnemental comparable aux évaluations postconfit réalisées par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE). Les gouvernements devraient se montrer plus concernés par la nécessité d’éviter des pertes environnementales irréversibles qui risquent de compromettre les efforts de réhabilitation ou de reconstruction (en particulier dans le cas d'opérations extérieures comme en Irak et en Afghanistan). Les organisations internationales et humanitaires, impliquées directement dans la gestion du postconflit et de la reconstruction, devraient également commanditer des évaluations environnementales afin, entre autres, de localiser les zones les plus sensibles nécessitant une protection accrue, ainsi que les endroits adéquats d’installation des réfugiés et personnes déplacées. L’anticipation des impacts ne pose pas de problème méthodologique particulier. La difficulté majeure réside plutôt dans le fait que les conflits ne peuvent pas toujours être anticipés et qu’il est parfois complexe de mobiliser des fonds pour réaliser de telles études. Ces études pourraient néanmoins intéresser les bailleurs de fonds soucieux de sécuriser et d’optimiser leurs investissements.

3.1.2. Pendant les conflits

57. En matière environnementale, les conflits tendent à exacerber des problèmes déjà existants. Les conflits vont ainsi aggraver les mauvaises pratiques agricoles et la déforestation, mais vont aussi entraîner la désertification, la sécheresse, l’érosion et la perte de fertilité des sols, la baisse du niveau des cours d’eau et la disparition de la faune sauvage.
58. Les conflits génèrent souvent une surexploitation des ressources naturelles, pour des raisons de subsistance mais aussi à des fins commerciales. Le prélèvement irrationnel des ressources entraîne des pénuries alimentaires et la déforestation. Pendant le récent conflit en Irak, par exemple, de nombreuses personnes furent contraintes d’abattre des arbres afin d’utiliser le bois comme combustible de cuisson et de chauffage.
59. Le déboisement devient parfois une manipulation environnementale testée comme élément de stratégie militaire. Il constitue alors une arme. Par exemple, l’utilisation massive d’herbicides tels que l’agent orange pendant la guerre du Vietnam entraîna la destruction de plus de 2 millions d’acres, soit 14% des forêts du Sud-Vietnam.
60. L’agent orange contenait de la dioxine, une substance cancérigène, qui a contaminé la chaîne alimentaire via le sédiment des rivières et les poissons que la population a consommés. Aujourd’hui encore, on dénombre de nombreux cas de cancers et de malformations. On peut également citer le cas, plus récent, de Saddam Hussein qui avait délibérément asséché des marais dans l’est de l’Irak en rétorsion contre ceux qui y habitaient et qui s’étaient révoltés contre lui lors de la première guerre du Golfe.
61. Lors de cette même guerre du Golfe, l’incendie des puits de pétrole a pollué l’air et les sols. Le déversement intentionnel de millions de litres de pétrole dans le golfe Persique a tué des dizaines de milliers d’oiseaux et endommagé les coraux et les côtes. Ce fut le déversement de pétrole le plus important que le monde ait jamais connu, équivalent à cinquante fois la pollution causée par le Prestige au large des côtes espagnoles. En 1991, les bombardements de l’industrie irakienne ont également entraîné de vastes déversements de produits chimiques dans le Tigre et l’Euphrate.
62. En période de conflit, la dégradation des infrastructures affecte grandement l’environnement local et les services de santé publique. Les systèmes d’approvisionnement en eau peuvent être contaminés et endommagés par les bombes. En Afghanistan, la destruction des infrastructures gérant l’eau, combinée à l’affaiblissement de la gouvernance publique, a entraîné une contamination bactériologique et des pertes d’eau considérables, encore aggravées par des fuites et des utilisations illégales. La conséquence principale a été une baisse significative des volumes d’eau potable disponibles dans le pays. En ex-Yougoslavie, la destruction de villages par les forces serbes a détruit les systèmes d’eau potable et d’eau usée.
63. Les pénuries d’eau ne permettent pas une irrigation adéquate des cultures. La production agricole est également compromise par les bombardements intensifs et le passage des véhicules militaires sur les cultures. La présence de mines antipersonnelles dans certains pays peut rendre inutilisables de vastes portions de terres agricoles. Lorsque les résidents n’ont plus la possibilité de se consacrer aux cultures, ils se tournent vers les aliments sauvages et consomment les ressources naturelles locales. Même à court terme, une telle exploitation à grande échelle ne saurait durer.
64. Les organisations humanitaires elles-mêmes utilisent des quantités énormes de bois à des fins de construction. Sur le long terme, le déboisement et l’exploitation excessive des ressources naturelles peut avoir un effet très négatif sur les modes de subsistance des populations locales.
65. L’effondrement de la gouvernance environnementale conduit à une dégradation accélérée voire irréversible de l’environnement. Les activités reliées à la conservation sont durement touchées par les conflits. L’administration centrale est souvent pillée. Les systèmes de protection institutionnelle, tels que les aires protégées ou les parcs nationaux, deviennent des zones d’appel de personnes déplacées ou de combattants.
66. Les populations abandonnent les zones productives occupées par les forces armées et s’installent dans des camps de réfugiés qui, en état d’urgence, ne sont pas conformes aux critères de protection à long terme de l’environnement. Malheureusement, un emplacement mal choisi ou une conception inadéquate des systèmes sanitaires peuvent contaminer le sol et l’eau. Les effets néfastes apparaissent souvent une fois les camps démantelés.
67. L’absence de gouvernance environnementale en temps de conflit fait reposer la gestion et l’atténuation des impacts sur les organisations internationales, qui doivent veiller autant que possible à l’application du cadre réglementaire international (voir première partie du rapport). Le non-respect des règles de guerre coutumières évoquées ci-dessus peut donner un rôle à la Cour pénale internationale dans la protection de l’environnement en période de conflit.
68. Il ne faut pas non plus négliger les médias, qui doivent jouer un rôle dans la sensibilisation de l’opinion publique sur les impacts environnementaux des conflits armés. La presse a une influence déterminante sur les belligérants, en les mettant en garde contre les abus à l’encontre des populations civiles et de l’environnement.

3.1.3. Postconflit

69. Les impacts environnementaux susmentionnés persistent voire s’aggravent une fois le conflit terminé, en particulier en raison des impératifs liés à la réinstallation des populations et à la reconstruction du pays. Le retour des réfugiés sur leur territoire va engendrer une exploitation supplémentaire des ressources afin de satisfaire les besoins alimentaires et énergétiques.
70. L’effondrement de la gouvernance institutionnelle économique et environnementale entraîne une désorganisation du mécanisme de collecte des déchets, ce qui génère une pollution et aussi des risques de propagation de maladies infectieuses pour les populations.
71. Dans ces conditions, on observe régulièrement l’apparition de taudis et de bidonvilles, avec pour corollaires la précarité et l’insécurité.
72. Des conflits communautaires pour l’accès et le contrôle des ressources peuvent apparaître, et mettre en danger l’équilibre précaire de la paix.
73. Les déchets militaires, qui font l’objet d’un rapport séparé 
			(5) 
			Voir le rapport sur
les déchets militaires et l'environnement, Doc. 12354., peuvent polluer des territoires pendant des décennies. Les munitions non désamorcées, les navires qui rouillent et les mines peuvent contaminer les sols et les eaux sur le long terme. Au Vietnam, les cancers et malformations provoqués par des agents polluants, comme l’agent orange, affectent plusieurs générations d’enfants.
74. Les dommages causés aux entreprises locales et à l’environnement ont également des répercussions économiques et sociales sur le long terme.

3.2. Du lien entre environnement et développement

75. Un cercle vicieux peut se mettre en place entre guerre et environnement. La dégradation de l’environnement peut conduire à une augmentation de la pauvreté, qui accroît l’instabilité politique du pays et peut à son tour attiser le risque de conflit armé.
76. L’épuisement des ressources naturelles de base nuit ainsi au potentiel de paix et de subsistance durable des habitants d’une région. La dégradation de l’environnement génère de la pauvreté et favorise la mise en place d’un cercle vicieux reliant épuisement des ressources, instabilité politique, intensification des conflits armés, accroissement de la dégradation de l’environnement et de la pauvreté.
77. En ce sens, l’environnement est source de conflits. L’objectif est parfois l’appropriation de certaines ressources. Inversement, les ressources servent parfois à financer un conflit. Cependant, la relation entre rareté des ressources naturelles et conflits armés n’est pas toujours précisément établie. Ces liens peuvent être circonstanciels. Dans de nombreux cas, il serait plus juste de percevoir la rareté des ressources comme le symptôme de problèmes de société plus importants et non comme la cause directe de conflits. Les conflits tendent souvent à exacerber des situations existantes plutôt qu’à créer de nouveaux problèmes.

3.3. Responsabilités

3.3.1. Les Etats

78. Le premier acteur est l’Etat, qui est responsable de son armée et de sa formation.
79. Les gouvernements, réunis ou non en coalition, doivent établir des plans de contingence analogues à ceux liés aux catastrophes naturelles. Il leur revient d’éviter des pertes environnementales irréversibles. Malheureusement, en situation de conflit, les différents Etats belligérants, organisés en coalition, n’ont pas nécessairement la même culture militaire et intègrent rarement une réflexion sur l’impact environnemental au sein de leurs stratégies coordonnées.
80. Un exercice de sensibilisation aux questions environnementales est néanmoins possible au sein d’organisations bénéficiant d’une structure commune permanente. L’Union européenne, par exemple, a prévu de tels exercices de sensibilisation, depuis les retombées des premières opérations de sa Politique européenne de sécurité et de défense dans les Balkans.
81. L’OTAN aussi est un cadre intéressant pour la mise au point d’une réflexion sur l’impact environnemental des conflits, car les pays membres participent à une alliance stable, de longue durée, qui permet d’insérer un tel programme dans la continuité de la formation des états-majors en temps de paix.
82. La principale difficulté concernant la responsabilité en temps de conflit est que, lorsque plusieurs parties sont impliquées dans le conflit, chacun suppose que la responsabilité environnementale n’est pas exclusivement la sienne et tend à agir en «profiteur», conscient qu’il sera difficile de remonter à l’origine et de déterminer qui est responsable de quoi.

3.3.2. Les organisations internationales et les organisations non gouvernementales

83. Les organisations humanitaires ont un rôle à jouer dans la planification environnementale: confrontées aux problèmes liés aux déplacements de populations, à la planification des secours et à l’implantation des camps de réfugiés, elles se doivent de trouver rapidement des solutions acceptables sur les plans humain et environnemental.
84. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ou le Comité international de la Croix-Rouge devraient pouvoir commanditer des évaluations environnementales stratégiques, sur la base des données dont ils disposent sur la situation d’un pays ou d’une région. Le but de telles études serait de localiser les zones sensibles et d’identifier les endroits adéquats pour l'installation de camps de réfugiés.
85. Le Programme des Nations Unies pour l’environnement s’est spécialisé dans les évaluations environnementales postconflit. Il gagnerait néanmoins à dresser un état des lieux comparable en préconflit.
86. Enfin, les bailleurs de fonds comme la Banque mondiale, soucieux d’optimiser leur financement, ont tout intérêt à s'assurer que leurs programmes d’investissement et de reconstruction se déroulent dans de bonnes conditions.
87. En période de postconflit, les institutions financières internationales se doivent également de ménager les autorités confrontées à des économies nationales en faillite. Si elles exigent le remboursement de la dette à ce moment précis, elles provoqueront indirectement la surexploitation des ressources naturelles.

3.3.3. L’industrie de l’armement

88. L’industrie de la défense porte en amont la responsabilité de la fabrication des armements, en particulier dans le cas de l’utilisation de matériaux polluants.
89. De nombreuses armes susceptibles d’être utilisées dans un conflit conventionnel ont un impact durable sur l’environnement. On peut citer les mines antipersonnelles et les bombes à sous-munitions, les armes chimiques, bactériologiques ou nucléaires et les munitions contenant des substances incendiaires (phosphore) ou des métaux lourds (uranium, tungstène). La plupart de ces armes font l’objet de traités internationaux.
90. On note depuis peu une prise de conscience relative aux conséquences pour l’environnement de l’utilisation de certains matériaux dans la fabrication d’armements. Néanmoins, la protection de l’environnement a encore aujourd’hui du mal à se traduire en action et à être considérée comme un élément incontournable. Les forces armées cherchent avant tout à préserver la performance opérationnelle de leurs armements; elles craignent les surcoûts et délais associés au développement de matériels plus propres. L’une des principales problématiques de l’éco-conception 
			(6) 
			L’éco-conception
consiste à intégrer dès les premières études de définition les facteurs
qui permettront de minimiser l’impact environnemental du produit
pendant tout son cycle de vie. Cela concerne les matériaux utilisés,
le processus de fabrication, la phase d’utilisation et le démantèlement
en favorisant le recyclage. est en effet que l’industrie de l’armement souhaite rester compétitive à l’export et craint que l’intégration des questions environnementales ne soit qu’une contrainte supplémentaire dans un processus déjà complexe.
91. Il est pourtant nécessaire que les processus de conception, de production, d’entretien et de démantèlement respectent les principes du développement durable. Les concepts environnementaux doivent être pris en compte au plus tôt dans la conception des produits.
92. Des travaux de recherche doivent donc être financés afin de trouver des solutions de remplacement aux substances qui risquent d’être bientôt interdites et qui polluent sur le long terme les environnements déjà meurtris par les guerres.

4. Exemples

4.1. Afghanistan et Irak

4.1.1. L’Afghanistan

93. Dans ce pays ravagé par plusieurs décennies de guerre, la base de ressources naturelles est dégradée et les capacités nationales pour traiter les problèmes sont extrêmement limitées.
94. Le conflit, engagé en 2001, a dégradé les capacités de gestion environnementale, détruit les infrastructures et entravé les activités agricoles. Ces effets, couplés à trois ou quatre années de sécheresse affectant une grande partie du pays, ont profondément détérioré les terres et les ressources naturelles, abaissant les niveaux d’eau, asséchant les marécages, accélérant la déforestation et la perte de la couverture végétale et favorisant l’érosion et la disparition de la faune sauvage.
95. Ces problèmes sont aggravés par le nombre important de personnes déplacées en raison de l’insécurité et des pertes des moyens de subsistance. L’absence de gestion efficace de l’environnement et l’étendue des dommages environnementaux accroissent la vulnérabilité des populations face aux catastrophes naturelles. Avec la disparition généralisée des forêts et de la couverture végétale, les sols fragiles sont désormais exposés à l’érosion causée par les vents et par les pluies. Cela réduit voire détruit la productivité des terres. Sans végétation capable d’absorber les eaux de pluie, d’importantes inondations sont susceptibles de se produire, érodant les lits des rivières et les terres agricoles en aval. La sédimentation des canaux d’irrigation et des bassins fluviaux accentue la situation.
96. A la fin du mois de juillet 2010, des pluies diluviennes et des inondations dans le centre et l’est de l’Afghanistan ont ainsi fait plusieurs milliers de sans-abri près de la frontière pakistanaise. Près de 80 personnes ont été tuées. On peut craindre que de telles inondations se reproduisent.
97. Avec le retour des réfugiés, des pressions supplémentaires sur les infrastructures urbaines et sur les ressources naturelles ont aggravé la situation. Le désespoir des populations pourrait entraîner une dégradation accrue de l’environnement, y compris une destruction accrue des forêts, du surpâturage, une utilisation accrue de l’eau afin de cultiver des terres sèches, etc.
98. La rareté des ressources a également pour conséquence l’afflux de millions de réfugiés dans les zones urbaines ou dans les pays voisins, causant des tensions et une instabilité permanentes, et facilitant par ricochet la résurgence des conflits.
99. L’amélioration des conditions environnementales sur le long terme nécessite une importante coopération régionale et une assistance technique et financière soutenue de la part de la communauté internationale. Les pluies torrentielles qui ont frappé des milliers d’Afghans vivant dans les zones de conflit ont mis en péril les moyens de subsistance de populations déjà très fragilisées et ont élevé les risques sanitaires qu’elles encourent. L’impact socio-économique sur le pays est préoccupant, et les répercussions politiques et sécuritaires font peser des risques sur sa stabilité.

4.1.2. L’Irak

100. La guerre Iran-Irak des années 1980, la guerre du Golfe de 1991, le régime de Saddam Hussein, les impacts économiques des sanctions onusiennes et le récent conflit du Golfe ont provoqué de sérieux dommages à l’environnement irakien.
101. La guerre Iran-Irak, de 1980 à 1988, a été caractérisée par l’utilisation d’armes chimiques et biologiques et par le déversement de pétrole dans le Golfe. L’utilisation de tabun (gaz neurotoxique) et de gaz moutarde contre les Iraniens et les Kurdes a généré des pollutions environnementales conséquentes, au-delà des horribles effets sanitaires évidents. Lors de ce conflit, le Conseil de sécurité des Nations Unies est intervenu pour la première fois pour rappeler aux belligérants la nécessité de protéger l’environnement marin et de «s’abstenir de toute action qui risque de mettre en danger la paix et la sécurité, ainsi que la faune et la flore marines, dans la région du Golfe» (Résolution 540 de 1988).
102. La première guerre du Golfe, en 1991, a été marquée par la pollution pétrolière maritime la plus importante de l’Histoire. L’incendie de quelque 600 puits de pétrole koweïtiens a généré une forte pollution atmosphérique, caractérisée par des pluies acides et une destruction de la couverture végétale des sols. Les attaques contre les systèmes d’alimentation électrique et contre les industries ont eu pour conséquences une désertification accrue (due aux pénuries d’eau) et une libération de déchets polluants. En outre, les déchets militaires de cette guerre sont nombreux, avec une quantité non négligeable de munitions non explosées et l’utilisation d’armes à l’uranium appauvri. Lors de ce conflit, une étape fut également franchie au niveau juridique avec l’ouverture d’une procédure de réclamation sans précédent pour des dommages environnementaux résultant, selon les termes du Conseil de sécurité dans la Résolution 687 de 1991, d’une «agression de l’Irak».
103. Les dégâts environnementaux du conflit de 2003 s’inscrivent dans la suite logique des problèmes précédents qui n’ont jamais été résolus, et qui se sont aggravés sous l’effet conjugué des sanctions onusiennes 
			(7) 
			Les importations de
produits chimiques nécessaires à certaines activités environnementales,
telles que l’assainissement ou l’approvisionnement en eau, ont été
fortement restreintes en raison de la possibilité d’une utilisation militaire
de ces produits. et de la faible priorité accordée aux problèmes environnementaux par l’ancien Gouvernement irakien. Les principaux impacts sur l’environnement ont été la perturbation des systèmes d’alimentation en énergie et en eau et des systèmes sanitaires, et l’interruption de la gestion des déchets, avec pour corollaire une hausse des problèmes de santé au sein de la population.
104. Les incendies de puits de pétrole ont été beaucoup plus limités que lors de la guerre de 1991; l’impact environnemental est donc beaucoup plus faible.
105. Les forces de la coalition ont confirmé l’utilisation d’armes à l’uranium appauvri. On peut donc craindre:
  • l’inhalation de poussières d’uranium appauvri au moment de l’impact des bombes, ce qui conduit à un risque supplémentaire potentiellement grave pour la santé, pour toute personne dans le voisinage immédiat qui aurait survécu à l’explosion;
  • la contamination généralisée, même si c’est à faible niveau, de la surface des sols par l’uranium appauvri;
  • la présence intacte de perforateurs à uranium appauvri à certains endroits;
  • la pollution éventuelle de l'eau potable, par la migration de perforateurs à uranium appauvri dans les eaux souterraines via la corrosion des perforateurs ou de fragments de perforateurs.
106. La population, confrontée à de vastes problèmes liés à l’absence de certaines infrastructures, se trouve fragilisée par l’augmentation du nombre de tempêtes de poussière, signes des dommages causés par l’homme à l’écosystème du pays. La guerre, conjuguée à plusieurs années de sécheresse, a eu pour conséquence de transformer des terres il y a peu arables en désert, détruisant les arbres et la végétation. Certains experts expliquent ainsi que l’Irak est passé du statut de «grenier du Moyen-Orient» à celui de «bol de poussière». Cela génère des problèmes respiratoires pour la population. L’Irak importe désormais 80% de sa nourriture.
107. La désertification est accélérée par le passage des chars de combat sur les terres, qui perdent alors leur couverture végétale. La pénurie d’eau entraîne l’arrêt des centrales électriques; confrontées aux pannes d’électricité, les populations sont contraintes de couper des arbres pour cuisiner et se chauffer, ce qui contribue à la désertification.
108. Le Tigre, qui constituait auparavant la principale source d’eau, de nourriture et de loisirs, s’est transformé en égout aux eaux stagnantes. Le fleuve est désormais un cimetière, dont le niveau d’eau est en diminution et où la pêche est interdite. Les émissions et effluents industriels – qui échappent à un contrôle gouvernemental adéquat – ont contribué à la pollution du fleuve, tout comme la présence de nombreux déchets d’hôpitaux et d’uranium appauvri. Cette pollution entrave le développement économique de la population locale.

4.2. Israël, Gaza et le Liban

4.2.1. Le Liban (2006)

109. Le conflit de juillet-août 2006 a eu un impact significatif sur le Liban. Au niveau environnemental, le conflit a généré un volume conséquent de débris de démolition. Les sites de gestion de déchets traditionnels ont été rapidement saturés et des sites de circonstance ont été créés dans l’urgence, dans des lieux inappropriés.
110. Les déchets polluants des hôpitaux, conséquence du nombre de blessés et de morts, n’ont pas été entreposés correctement, et posent un risque sérieux pour la santé publique et la population.
111. Les réseaux de distribution d’eau étaient en cours de réhabilitation à travers le Liban avant le déclenchement du conflit. Ces réseaux ont été fortement touchés pendant la guerre et font donc peser des risques de pollution et de contamination des eaux. La mauvaise gestion des eaux sanitaires représente un grave danger pour l’environnement.
112. Les déchets militaires peuvent également compromettre la sécurité de la population libanaise. En novembre 2006, l’UNMACC (UN Mine Action Coordination Centre of South Lebanon) avait identifié près de 815 sites où des bombes à sous-munitions avaient été larguées et a estimé que près d’un million de munitions non explosées se trouvaient encore sur le sol libanais. Ces munitions posent un risque sérieux pour la population libanaise et sont un obstacle majeur à la reconstruction. Les terres agricoles ont également été grandement contaminées par ces armes à sous-munitions.
113. Le Programme des Nations Unies pour l’environnement a trouvé des preuves de l’utilisation d’armes au phosphore blanc, confirmée par l’état-major israélien.
114. Les bombardements israéliens ont également provoqué une marée noire à l’est de la Méditerranée après que les réservoirs de la centrale thermique de Jiyeh ont été bombardés par l’armée israélienne le 15 juillet 2006. La fuite de 20 000 à 30 000 tonnes de pétrole a eu un impact sévère sur les communautés côtières et a affecté un tiers de la côte libanaise. La nappe a tué les poissons, a menacé l’habitat naturel des tortues vertes et pourrait augmenter les risques de cancers pour la population locale.
115. Le Liban a été ramené «quinze ans en arrière», selon le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), qui évalue à 15 milliards de dollars les dégâts de la guerre. 15 000 habitations, 80 ponts et 94 routes ont été détruits ou endommagés. Les efforts consentis depuis la fin de la guerre civile ont été anéantis.

4.2.2. La bande de Gaza (2008-2009)

116. Le récent conflit qui a opposé Israël et les Palestiniens de la bande de Gaza entre décembre 2008 et début 2009 a profondément et durablement affecté l’état de l’environnement dans la bande de Gaza. 
117. Un rapport publié par le PNUE a montré les conséquences environnementales catastrophiques du conflit armé. Les réserves d’eau contenues dans les nappes phréatiques risquent de diminuer dramatiquement en raison des extractions massives et de la pollution aggravée par le conflit récent. Plus de 1,5 million de Palestiniens dépendent de ces réserves souterraines pour l’eau potable et l’agriculture.
118. Dans ces circonstances, il devient important de trouver des sources alternatives d’eau et de laisser en jachère les nappes phréatiques. Les pénuries d’eau pourraient avoir des conséquences sur plusieurs décennies. Les nappes phréatiques étant communes aux territoires palestiniens et à l’Egypte, un compromis entre les deux pays doit être trouvé.
119. Le taux annuel d’extraction de l’eau d’environ 160 millions de mètres cubes dépasse depuis de nombreuses années le taux de recharge annuel. Cette situation entraîne une augmentation de la salinité de la nappe phréatique due à l’immixtion d’eau salée causée par l’extraction excessive d’eau souterraine, ainsi que la pollution par les eaux usées et les eaux d’irrigation agricole. Dans la bande de Gaza, les taux de pollution très élevés font craindre un empoisonnement aux nitrates chez les nourrissons. Il est probable qu’une partie des déversements d’eaux usées des stations d’épuration (dus à des coupures de courant) a filtré à travers le sol poreux jusqu’à la nappe phréatique. La nature même du sol de la bande de Gaza implique que les eaux usées provenant des décharges surchargées et non étanches peuvent facilement filtrer jusque dans la nappe phréatique.
120. Les frappes aériennes ont généré 600 000 tonnes de débris de démolition. Environ 17% des terres cultivées, dont des vergers et des serres, ont été gravement affectés, ce qui a eu un impact sur les moyens de subsistance de la population et des agriculteurs. La destruction de la couverture végétale et le tassement du sol dus aux frappes et aux mouvements des chars de combat ont dégradé la terre et l’ont rendue vulnérable à la désertification. Il se peut que ces terres soient difficiles à replanter.
121. On a également observé une contamination des sols par des substances pétrolifères excédant souvent les limites internationales reconnues en la matière. Ces déversements de pétrole ont pu filtrer jusqu’à la nappe phréatique.
122. L’action humanitaire ne peut remplacer un processus de paix. La reconstruction a peu de chance de réussir sans la perspective d’une paix durable. Il est nécessaire de mettre fin à l’isolement de Gaza pour offrir à sa population des perspectives et lui proposer un développement économique durable.

4.3. Les réfugiés et l’environnement: les exemples du Kosovo et du Caucase du Sud

4.3.1. Le Kosovo

123. En mars 1998, un flux de réfugiés a commencé à arriver en Albanie et dans «l’ex-République yougoslave de Macédoine». On estime qu’environ 260 000 personnes se sont réfugiées en Albanie et 460 000 dans «l’ex-République yougoslave de Macédoine».
124. Ce soudain afflux de réfugiés a représenté un défi humanitaire considérable pour ces pays et la communauté internationale. Ce fut avant tout un défi logistique qui nécessita la mise en place de familles d’accueil, de tentes et de centres collectifs. 92 000 réfugiés furent également envoyés vers 29 pays hôtes.
125. Le manque de temps, dû à l’urgence de la situation, a empêché une planification environnementale adéquate. Pourtant, toute situation de crise humanitaire a une forte dimension environnementale. Si le soutien aux réfugiés est une priorité absolue, il est néanmoins nécessaire de faire le point sur les dommages environnementaux afin d’en tirer des leçons pour l’avenir.
126. De vastes quantités de déchets solides sont inévitablement produites lorsque les besoins élémentaires des personnes déplacées sont satisfaits. La gestion efficace des déchets dépend en grande partie des infrastructures du pays hôte. Dans le cas de l’Albanie, on a pu observer à certains endroits des décharges illégales, sur les plages ou dans les forêts côtières.
127. L’approvisionnement en eau est aussi critique pour assurer des conditions de vie acceptables aux populations déplacées. Dans le cas de «l’ex-République yougoslave de Macédoine», le pic de la crise humanitaire a coïncidé avec des températures estivales très élevées qui ont accru les demandes en eau et la pression sur les systèmes d’approvisionnement en eau. Il y eut des pénuries dans certains camps et au sein de certaines communautés locales.
128. Des mesures furent également prises pour minimiser les risques de contamination des nappes phréatiques par les eaux usées. La gestion des eaux usées est une priorité dans les camps de réfugiés et au sein des centres collectifs d’hébergement. Le volume additionnel d’eaux usées menace souvent les systèmes de traitement des eaux usées des centres urbains. Ces eaux usées font augmenter le volume de polluants chimiques et biologiques non traités qui contaminent ensuite l’eau potable. Dans «l’ex-République yougoslave de Macédoine» pendant la crise humanitaire, de grandes quantités d’eaux usées furent déversées sans traitement préalable dans le lac Prespa.
129. Les camps de réfugiés peuvent aussi avoir un impact sur la biodiversité et la déforestation, les réfugiés n’ayant d’autre choix que de couper des arbres pour subvenir à leurs besoins élémentaires que sont le chauffage et la cuisson des aliments. Bien que dans les deux pays concernés des incidents mineurs furent signalés, les gestionnaires des camps purent y répondre rapidement par la mise à disposition de repas chauds et de fuel de chauffage.
130. Enfin, lors de la sélection des emplacements de camps de réfugiés, les terrains aplanis et découverts sont généralement préférés. Les terres agricoles présentent souvent les conditions idéales. Dans «l’ex-République yougoslave de Macédoine», plusieurs camps furent installés sur des terres agricoles. Bien que ces sites furent nettoyés par le HCR après leur fermeture, le gravier a pendant longtemps recouvert une partie des terres, empêchant leur culture. La perte de ces terres agricoles a d’importantes répercussions économiques sur les familles qui les cultivent.
131. Quant au Kosovo, le pays est relativement stable depuis plusieurs mois. Le Nord reste néanmoins un point chaud. Les relations entre communautés serbe et albanaise demeurent tendues du fait de la distribution de l’électricité et de la reconstruction des maisons. Les efforts pour faire revenir les personnes déplacées et réfugiées chez eux continuent, mais les retours restent limités du fait de l’absence de perspectives économiques.

4.3.2. Le Caucase du Sud

132. La situation des réfugiés et des personnes déplacées dans le Caucase du Sud (Arménie, Azerbaïdjan et Géorgie) continue à être un défi pour la stabilité économique de ces trois pays et constitue un sérieux obstacle au développement économique et social.
133. La plupart des personnes déplacées de force depuis les zones de conflit se voient, aujourd’hui encore, refuser le droit de regagner leurs foyers. Ces réfugiés sont souvent utilisés comme des instruments politiques dans les conflits. Des centaines de milliers de réfugiés et de personnes qui ont fui leur foyer pendant la guerre du Haut-Karabakh ou à cause d’elle en restent éloignés et se voient privés de leurs droits, notamment leur droit au retour, à la propriété et à la sécurité individuelle. Ces personnes sont condamnées à l’isolement, à la pauvreté et au manque de perspectives quant à la possibilité de mener un jour une vie décente et paisible.
134. La pauvreté et la malnutrition, l’état déplorable de certaines infrastructures, l’utilisation des écoles comme asiles pour les réfugiés et les personnes déplacées ainsi que l’insuffisants des services de santé constituent autant d’obstacles à la réussite des programmes d’intégration et d’amélioration de la situation des réfugiés menés par les trois pays du Caucase du Sud.
135. Les réfugiés sont fragilisés économiquement, socialement et politiquement. Des cas de personnes déplacées vivant dans des bâtiments publics particulièrement délabrés sont répertoriés. De nombreuses personnes sont laissées dans un état d’abandon lamentable, dans des logements insalubres, favorisant l’apparition de cas de tuberculose.
136. Les conflits militaires qui se déroulent depuis la fin des années 1980 dans diverses parties du Caucase du Sud ont des effets préjudiciables graves sur l’équilibre écologique non seulement dans les zones de conflit, mais aussi dans l’ensemble de la région.
137. Les études montrent que le déplacement d’un seul char entraîne la destruction de 70 buissons, 2 lits de rivière, 5 sources et 20 arbres sur une distance de 50 à 70 mètres. Le largage de petites bombes dégrade les conditions atmosphériques dans la zone environnante en l’espace de 16 jours. Les projectiles largués par un seul hélicoptère endommagent de façon irréversible la couche du sol, ce qui rend la parcelle de terre touchée stérile pendant 20 ans (après 15 jours en cas de pluie et 9 jours si l’air est totalement sec). L’incidence de la tuberculose est 2,5 fois supérieure dans les zones d’habitation environnantes. Ces exemples donnent une idée de l’ampleur des dommages durables causés à l’environnement. La zone la plus touchée à cet égard est la région du Haut-Karabakh, d’une superficie totale de 17 610 km2. Depuis le début des années 1990, ces territoires – pour l’essentiel constitués de terres arables – se sont dépeuplés et ne sont plus cultivés, ce qui, outre toutes les autres conséquences, a rapidement provoqué leur érosion.
138. La culture de stupéfiants dans ces régions, qui échappe à tout contrôle international, le brûlage des chaumes après la moisson, l’enfouissement de déchets nucléaires venant d’autres pays et la destruction impitoyable de la couverture forestière – tous ces facteurs contribuent à la perspective d’une dégradation de l’environnement sur le long terme. Il est devenu impossible d’utiliser les fleuves Bazarchay, Hakary et Basitchay et d’autres voies fluviales, en raison de la pollution permanente causée par les déchets militaires et industriels et par les eaux usées.
139. Par ailleurs, à cause du conflit militaire dans le Haut-Karabakh et des incendies qui se sont régulièrement déclarés ces vingt dernières années, quelque 47 espèces de plantes et 19 espèces d’arbres ont définitivement été éradiquées.

5. Conclusions et recommandations

140. Il est important de reconnaître le lien qui existe entre environnement et développement, lien parfois résumé dans le concept de «développement durable». La protection de l’environnement en période de conflit armé est d’autant plus importante que la plupart des conflits auxquels prennent part les Etats membres du Conseil de l’Europe sont des opérations extérieures où la reconstruction du pays et la stabilité politique sont les clefs du succès.
141. Il n’est pas nécessaire de créer une nouvelle convention qui serait consacrée exclusivement à la protection de l’environnement en temps de guerre; la mise en œuvre des conventions existantes est fortement souhaitée. L’application rigoureuse des normes et des lois en vigueur assurerait une protection efficace à l’environnement naturel en période de conflit armé.
142. En termes de protection de l’environnement, c’est l’action en amont qui est la plus prometteuse. Elle implique de profonds changements, pas tant dans les textes juridiques que dans la conception même des stratégies militaires.
143. Par conséquent, il est recommandé de demander aux Etats membres et non membres du Conseil de l’Europe:
  • de former le personnel civil et militaire et les états-majors aux enjeux environnementaux en période de conflit armé;
  • d’échanger des informations sur la gestion environnementale en période de conflit armé et d’harmoniser les législations existantes dans ce domaine;
  • de désigner un correspondant «développement durable» au sein de l’Agence européenne de défense;
  • de relancer la Convention sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles (ENMOD) afin de restreindre les programmes militaires de contrôle du climat;
  • d’intégrer l’éco-conception dans les programmes d’armement;
  • d’évaluer les risques que font peser les entraînements militaires sur l’environnement (bruit, menace sur la faune sauvage);
  • d’encourager les ONG à mener des évaluations environnementales préconflit quand cela est possible, afin de mieux planifier la gestion humanitaire des conflits et en particulier l’emplacement des camps de réfugiés;
  • de débloquer des fonds afin que les organisations internationales, telles que le Programme des Nations Unies pour l’environnement, réalisent des évaluations environnementales préconflit;
  • de ratifier le traité d’interdiction des armes à sous-munitions, entré en vigueur le 1er août 2010, et d’encourager des Etats partenaires comme Israël ou l’Afghanistan à faire de même;
  • d’encourager la rédaction d’un traité interdisant les armes au phosphore.