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Avis de commission | Doc. 12640 | 16 juin 2011

Vivre ensemble dans l’Europe du XXIe siècle: suites à donner au rapport du Groupe d’éminentes personnalités du

Conseil de l’Europe

Commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes

Rapporteure : Mme Elvira KOVÁCS, Serbie, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Renvoi 3752 du 11 mars 2011. Commission saisie du rapport: commission des questions politiques. Voir Doc. 12631. Avis approuvé par la commission le 8 juin 2011. 2011 - Troisième partie de session

A. Conclusions de la commission

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1. La commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes salue le rapport présenté par le Groupe d'éminentes personnalités du Conseil de l'Europe «Vivre ensemble – Conjuguer diversité et liberté dans l'Europe du XXIe siècle», et souscrit aux points de vue exprimés dans le rapport de la commission des questions politiques.
2. Il est certain qu'en dépit de la montée des discours nationalistes et xénophobes en politique, les citoyens européens auront des identités de plus en plus plurielles. En effet, l'augmentation de la mobilité et de la migration multiplie les identités et renforce la diversité ethnique, culturelle et religieuse de l'Europe. La diversité ne va pas seulement se maintenir, elle va aussi s'accroître.
3. Le rapport du Groupe d’éminentes personnalités devrait être considéré comme un cadre qui orientera le travail du Conseil de l'Europe pour les prochaines années. Lors de la mise en œuvre de ses recommandations, le Comité des Ministres devrait soigneusement prendre en compte les écarts entre les femmes et les hommes au sein des «groupes minoritaires», en intégrant pleinement la dimension d'égalité entre les sexes.
4. L'égalité entre les femmes et les hommes est un droit humain qui ne peut pas être respecté si les politiques sont insensibles aux questions d'égalité des sexes. Le Conseil de l'Europe devrait concevoir des mesures spécifiques destinées à promouvoir la participation, l'émancipation et l'égalité des femmes appartenant aux groupes mentionnés dans le rapport « Vivre ensemble », afin de construire des sociétés européennes réellement inclusives, fondées sur une compréhension et une acceptation communes des droits humains et des droits des femmes.

B. Exposé des motifs, par Mme Kovács, rapporteure

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1. Introduction

1. Je me sens personnellement et directement concernée par le rapport «Vivre ensemble» du Groupe d'éminentes personnalités. Je suis une Européenne «à double identité», en l'occurrence une citoyenne serbe d'origine ethnique hongroise, fermement attachée à une identité européenne commune. Et je suis fière de cette double identité.
2. Je soutiens le rapport du Groupe des éminentes personnalités ainsi que le travail réalisé par la commission des questions politiques et son rapporteur, M. Latchezar Toshev.
3. J'estime que le rapport «Vivre ensemble» mérite d'être salué à plus d'un titre: il exprime et réitère plusieurs considérations que l'Assemblée avait déjà émises dans ses résolutions et recommandations précédentes. Il va donc exactement dans la direction que l'Assemblée souhaite prendre; en outre, ce rapport est tourné vers l'avenir et s'attache à proposer des actions et des recommandations. A nous désormais d'élaborer des mesures pour qu'elles soient appliquées et de peser de tout notre poids politique pour une mise en œuvre efficace.
4. En tant que rapporteure pour avis de la commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes, je m'abstiendrai d'émettre d'autres commentaires généraux sur le rapport «Vivre ensemble»,pour me concentrer sur les aspects relatifs à l'égalité entre les femmes et les hommes et les droits de la femme.

2. 2. La marginalisation des femmes des groupes minoritaires

5. Les femmes des groupes mentionnés dans le rapport des personnalités éminentes représentent «une minorité à l'intérieur d'une minorité». Elles sont touchées à plusieurs titres par la marginalisation et l'exclusion:
  • parce qu'elles appartiennent à un groupe qui est perçu comme «différent»;
  • parce qu'elles sont des femmes, et donc désavantagées par l'inégalité qui existe de fait entre les hommes et les femmes dans la société;
  • à cause de la mentalité patriarcale, courante dans les groupes minoritaires auxquels elles appartiennent, qui les cantonne dans un rôle stéréotypé et subordonné par rapport aux hommes.
6. Cette marginalisation multiforme n'est pas simplement théorique: elle a des aspects très tangibles, qu’on pourrait même mesurer si des statistiques étaient régulièrement recueillies. Comparées aux autres femmes et aux hommes du même milieu, les femmes des groupes minoritaires:
  • ont un taux d'emploi inférieur;
  • ont des salaires inférieurs et/ou des conditions de travail plus difficiles;
  • ont un niveau d'éducation inférieur;
  • ont un moindre degré de participation à la vie publique et politique;
  • rencontrent de plus grands obstacles pour bénéficier de droits sociaux;
  • ont de plus grandes difficultés à accéder à la justice;
  • courent plus de risques d'être victimes de violence ou de traite, notamment à des fins d'exploitation sexuelle.
7. Je me réjouis de constater que le Groupe des éminentes personnalités reconnaît les femmes immigrées en tant que groupe spécifique quand il indique que «les femmes immigrées vivent comme une minorité». Il est triste de savoir que les femmes immigrées sont particulièrement vulnérables aux abus commis par des groupes criminels engagés dans le trafic, la traite d’êtres humains et des formes modernes d’esclavage. En outre, elles doivent faire face à des menaces supplémentaires de marginalisation, de perte d’emploi et de privation de leurs droits économiques et sociaux. Il y a également de nombreux cas de violences à l’égard de femmes sans papiers et elles sont les premières victimes du crime abominable que représente la traite des êtres humains.
8. La situation des femmes d'un groupe particulier mentionné dans le rapport des personnalités éminentes m'aidera à mettre en lumière l'ampleur du défi pour les femmes des minorités.

3. L'exemple des femmes roms

9. L'an dernier, en tant que rapporteure pour avis sur la situation des Roms en Europe et les activités pertinentes du Conseil de l'Europe 
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Voir le Doc. 12236., j'ai eu l'occasion d'étudier la situation des femmes roms.
10. Le rapport «Vivre ensemble» présente fort justement l'éducation comme un des outils essentiels pour renforcer l'intégration et la cohésion sociale. Malheureusement, l'accès à l'éducation est pratiquement fermé aux femmes roms. Elles enregistrent des taux d'analphabétisme supérieurs à ceux des hommes roms, et encore plus supérieurs à ceux de la population non rom des deux sexes: moins de la moitié des filles roms vont au-delà de l'enseignement primaire.
11. Cela s'explique en partie par les moindres attentes des familles roms concernant l'achèvement de la scolarité pour les filles; et en partie par les obligations familiales qui pèsent sur les filles roms dès le plus jeune âge, comme les tâches ménagères ou la prise en charge de leurs jeunes frères et sœurs. Les mariages d'enfants forcés et les grossesses d'adolescentes, fréquents chez les filles roms, constituent un élément qui réduit d'autant plus leurs chances de suivre une scolarité normale et leur potentiel de pleine intégration sociétale.
12. 12. Les femmes roms sont aussi particulièrement marginalisées dans le domaine de la santé. Etant donné leurs moindres possibilités d'accéder au marché de l'emploi et leur faible degré d'éducation, les femmes roms courent plus le risque d'être exclues de l'assurance santé. Cet élément renforce leur réticence à solliciter un avis médical, ce qui ne va pas sans répercussion sur leur santé, notamment sur le plan de la santé génésique et maternelle ainsi que des soins d'urgence.
13. La violence à l'égard des femmes, notamment domestique, constitue un calvaire quotidien pour certaines femmes roms. Malgré cela, étant donné que leur communauté obéit à la loi du silence, qu'elles ne connaissent pas leurs droits et n'ont qu'un accès restreint à la justice, elles dénoncent rarement ces pratiques aux autorités compétentes.
14. Du fait de leur niveau d'instruction limité et pour des raisons culturelles, il est difficile pour les femmes roms d'exprimer leurs opinions politiques et de participer activement au mouvement politique rom.
15. L'exemple des femmes roms montre que le travail du Conseil de l'Europe en faveur de l'inclusion ne pourra pas aboutir tant que la dimension d'égalité entre les sexes ne sera pas prise en compte: le Conseil de l'Europe devrait veiller à ce que ses activités visant à promouvoir l'accès à l'éducation, la santé, la justice et la participation politique des Roms profitent à la fois aux garçons et aux hommes roms mais aussi aux filles et aux femmes de cette communauté,car les obstacles auxquels ces dernières se heurtent sont différents –et plus importants.

4. Non au relativisme appliqué aux droits humains

16. Les droits humains sont universels. Ils ne se limitent pas à une région, à une nationalité ou à une communauté. Les Etats membres du Conseil de l'Europe sont tenus de prévenir l'émergence sur leurs territoires de poches où les droits humains ne sont pas considérés comme la règle, au nom de coutumes ou de règles religieuses, culturelles ou traditionnelles.
17. Les principes directeurs énoncés dans le rapport des éminentes personnalités l'affirment:
«L'égalité des droits entre les hommes et les femmes, proclamée dans le préambule de la Charte des Nations Unies, ne peut et ne doit être ni niée, ni ignorée, et moins qu'ailleurs dans une société démocratique. En aucun cas le respect de l'identité d'un groupe ou d'une conviction religieuse ne peut être invoqué pour justifier que les filles soient exclues de toute forme d'éducation ouverte aux garçons, ou que les femmes ne puissent avoir une interaction normale avec la société hors de leur foyer. 
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Principe 6.»
18. Je ne peux qu'approuver cette déclaration, mais je pense que la question devrait être abordée sous un angle bien plus large. Naturellement, le droit à l'éducation est fondamental, car il est la clé de l'émancipation économique, de la participation politique et, finalement, de la pleine intégration dans la société. Il est également essentiel de prévenir l'isolement des femmes adultes. Privées de toute relation en dehors de leur foyer, les femmes appartenant à des minorités ont peu de chance de se sentir partie intégrante de l'ensemble de la société.
19. Il conviendrait toutefois d'énoncer clairement que les femmes comme les hommes devraient pouvoir jouir de l'intégralité des droits dont tout être humain dispose.
20. En outre, j'estime qu'il est dangereux de faire une distinction entre ce qui se passe dans les foyers et ce qui se passe à l'extérieur.
21. Les femmes devraient bénéficier des droits humains de façon uniforme dans le foyer où elles vivent, dans la communauté à laquelle elles appartiennent et dans la société dans son ensemble. Les femmes ne devraient plus être battues, violées (y compris par leur mari), soumises à des mariages d'enfants, et elles devraient pouvoir épouser la personne de leur choix, travailler à l'extérieur du domicile, s'habiller comme elles veulent et rejeter les traditions culturelles et le mode de vie spécifique de leur communauté.
22. Il s'agit là de droits humains, et ils n'ont rien de privé. Le fait que des femmes appartenant à certains groupes minoritaires soient privées de la jouissance de ces droits au nom de la tradition nous concerne tous et requiert une prévention et une réaction adéquates de la part des pouvoirs publics.

5. Femmes issues des minorités comme relais entre leur communauté et la société

23. J'ai été très intéressée de découvrir dans le rapport des éminentes personnalités le cas de Famile Arsan, avocate néerlandaise d'origine turque et de religion musulmane, citée comme modèle de parcours.
24. Il est absolument nécessaire d'explorer plus avant la capacité des femmes des groupes minoritaires d'assurer le relais entre leur communauté et la société. Compte tenu de leur rôle dans l'éducation et l'instruction des enfants, ces femmes peuvent préparer les nouvelles générations à gérer et à concilier leurs multiples identités.
25. Le Conseil de l'Europe devrait donc s'appuyer davantage sur la capacité des femmes des minorités à renforcer la cohésion sociétale en vue de mettre ses politiques en œuvre.
26. Toutefois, pour que ces femmes puissent accomplir cette tâche de rapprochement, il ne suffit pas de veiller à ce qu'elles aient «accès à l'éducation» et à «rompre leur isolement» de la société, pour reprendre les termes du rapport «Vivre ensemble». Il faut aussi adopter des mesures positives les ciblant spécifiquement pour qu'elles puissent surmonter les nombreuses barrières culturelles, religieuses et traditionnelles qui les empêchent d'atteindre un statut égal à celui des hommes dans leur communauté et dans la société.
27. Je me réjouis également qu’on reconnaisse l’importance des autorités compétentes à tous les niveaux. Ces autorités devraient identifier des groupes souffrant de désavantages économiques et sociaux particuliers et faire des efforts dans l’octroi des ressources afin de leur permettre de dépasser ces désavantages et de bénéficier des mêmes opportunités que le reste de la population. Je suis d’accord sur le fait qu’au sein de ces groupes une attention particulière soit portée aux enfants et aux jeunes, mais je suis d’avis que nous devrions y ajouter les femmes.
28. Pour finir, le choix des éminentes personnalités, qui ont désigné Famile Arsan comme modèle de parcours, m'a également rappelé que trop souvent, lorsqu'on jette un éclairage sur la situation des femmes, en particulier les femmes des minorités, on les considère uniquement comme des victimes. Nous devons continuer d'exprimer nos inquiétudes, mais également songer à faire connaître au public des exemples de réussites: il existe aussi des femmes des minorités qui se battent pour leurs droits, leur égalité et leur émancipation. Et parfois elles réussissent, sans pour autant renoncer à leurs identités plurielles.

6. Conclusions de la rapporteure

29. Aujourd'hui en Europe, des femmes de groupes minoritaires subissent de multiples discriminations, ce qui constitue non seulement une violation des droits humains mais entrave également leur pleine intégration dans la société. De plus, leur statut subordonné dans leur communauté et leur accès limité à l'éducation les privent de jouer un rôle de relais et d'aider les nouvelles générations à concilier leurs multiples identités nationales, ethniques, religieuses et culturelles.
30. Je pense que l'Assemblée parlementaire devrait soutenir le rapport présenté par le Groupe d'éminentes personnalités, de même qu'émettre des suggestions précises en vue de sa mise en œuvre.