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Rapport | Doc. 12879 | 23 février 2012

Un Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme sur les minorités nationales

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. György FRUNDA, Roumanie, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 11897, Renvoi 3619 du 20 novembre 2009. 2012 - Commission permanente de mars

Résumé

Depuis les années 1950, l’Assemblée parlementaire s’est penchée sur la question de la protection des droits des groupes et des personnes appartenant à des minorités nationales. A plusieurs reprises, elle a proposé au Comité des Ministres d’établir un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme consacrant cette protection; malheureusement, aucune suite n’a été donnée à ce projet.

Il est grand temps que l’Assemblée reconsidère sa proposition d’établir un protocole additionnel à la Convention garantissant des normes minimales pour les minorités nationales. La Convention-cadre pour la protection des minorités nationales et les autres instruments juridiques du Conseil de l’Europe consacrés à la protection des minorités nationales se sont avérés inefficaces, notamment car ils n’ont pas été ratifiés par tous les Etats membres et leur mise en œuvre dépend du consensus politique au sein du Comité des Ministres.

Un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme accorderait aux groupes et/ou aux personnes appartenant à des minorités nationales des droits matériels, comme le droit d’exprimer son appartenance à une minorité nationale, les droits politiques (y inclus le droit de créer des partis politiques et la représentation appropriée au sein des instances publiques), culturels et linguistiques. Il leur permettrait également de défendre ces droits directement devant la Cour européenne des droits de l’homme, en introduisant des requêtes individuelles ou collectives, sur la base de l’article 34 de la Convention.

En outre, les Etats membres qui ne l’ont pas encore fait sont invités à signer et/ou à ratifier les instruments juridiques pertinents concernant la protection des minorités nationales, et notamment le Protocole n° 12 à la Convention européenne des droits de l’homme, qui constitue un outil crucial pour lutter contre les discriminations fondées sur l’appartenance à une minorité nationale.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 16 novembre 2011.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire souligne l’importance de la protection des personnes appartenant à des minorités nationales en tant que partie intégrante de la protection internationale des droits de l'homme pour garantir l’égalité, la justice, la stabilité, la sécurité démocratique et la paix en Europe.
2. L’Assemblée regrette que les principaux instruments du Conseil de l’Europe consacrés à la protection des minorités nationales, comme la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE n° 157) et la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE n° 148) n’aient pas été ratifiés par tous ses Etats membres. Elle a, de plus, constaté dans ses résolutions antérieures (comme la Résolution 1713 (2010) «Protection des minorités en Europe: bonnes pratiques et lacunes dans l’application des normes communes» et la Recommandation 1944 (2010) sur la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires) de nombreuses lacunes dans la mise en œuvre de ces conventions.
3. L’Assemblée déplore également le faible nombre de ratifications du Protocole n° 12 à la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 177), qui élargit le champ de l’interdiction de la discrimination énoncée dans la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5, ci-après «la Convention») et pourrait constituer un outil important pour lutter contre les discriminations fondées sur «l’appartenance à une minorité nationale».
4. L’Assemblée s'est à plusieurs occasions déclarée en faveur de l’adoption d’un protocole additionnel à la Convention en vue de renforcer la protection des droits des minorités nationales en Europe. Sa Recommandation 1201 (1993) relative à un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme sur les droits des minorités nationales, notamment, comportait le texte d'un projet de protocole. Cependant, au regret de l’Assemblée, le Comité des Ministres a décidé en 1996 de ne pas donner suite à cette recommandation.
5. Etant donné la situation précaire de beaucoup de groupes minoritaires nationaux en Europe, il est temps de considérer à nouveau les propositions que l’Assemblée a déjà faites concernant l’adoption d’un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, qui pourrait renforcer le statut des minorités nationales devant la Cour européenne des droits de l'homme à la fois sur le plan individuel et collectif, et leur garantir des droits matériels et justiciables.
6. L’Assemblée estime qu’un tel protocole pourrait s’appuyer sur les critères internationalement reconnus énoncés dans le Document de Copenhague, adopté en 1990 par l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), et les textes pertinents du Conseil de l’Europe, notamment la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, la Charte européenne des langues minoritaires ou régionales, les Recommandations 1134 (1990), 1201 (1993), 1255 (1995), 1492 (2001) et 1623 (2003) et la Résolution 1713 (2010) de l’Assemblée. Il pourrait garantir aux minorités nationales et à leurs membres les normes minimales suivantes:
6.1. le droit de chacun d'exprimer librement son appartenance à une minorité nationale;
6.2. les droits politiques (comme la liberté d’association, la création de partis politiques, la participation aux élections, la représentation au sein des instances publiques aux niveaux national et régional);
6.3. les droits culturels, y compris le droit à l’autonomie culturelle comme moyen de préserver l’identité nationale;
6.4. le droit de prendre des décisions sur différentes formes d’autonomie, conformément aux pratiques européennes et aux traditions régionales ou nationales;
6.5. le droit d’utiliser librement la langue minoritaire dans la vie privée et publique, notamment dans les relations avec les autorités administratives ou le système judiciaire dans les zones où les minorités nationales habitent traditionnellement ou représentent un pourcentage important de la population régionale ou locale.
7. Par ailleurs, l’Assemblée appelle les Etats membres qui ne l’ont pas encore fait à signer et/ou à ratifier, sans réserves ni déclarations restrictives, la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et le Protocole n° 12 à la Convention européenne des droits de l’homme.
8. L’Assemblée appelle les parlements nationaux et leurs membres à promouvoir activement, au sein de leur parlement comme auprès de leur gouvernement, l’idée d’adopter un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme dans ce contexte.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté par la commission le 16 novembre 2011.

(open)
1. Renvoyant à sa Résolution … (2012) sur un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme sur les minorités nationales, l’Assemblée parlementaire recommande au Comité des Ministres:
1.1. d’envisager la rédaction d’un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme établissant des droits minimaux pour les minorités nationales; ce protocole comprendrait les droits minimaux mentionnés au paragraphe [6] de la Résolution …. (2012);
1.2. de poursuivre sa coopération avec les autres organisations internationales, notamment l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et les Nations Unies, afin de préserver la cohérence des normes de protection des minorités nationales.

C. Exposé des motifs, par M. Frunda, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. La proposition de recommandation intitulée «Rédaction d’un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme: normes minimales pour les minorités nationales» (Doc. 11897) a été renvoyée le 20 novembre 2009 à la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, pour rapport. A sa réunion du 16 décembre 2009, la commission m’a désigné rapporteur.
2. Lors de sa réunion des 6 et 7 juin 2011 à Oslo, la commission a tenu un échange de vues avec la participation des deux experts suivants:
  • M. Geoff Gilbert, professeur de droit, rédacteur en chef de l’International Journal of Refugee Law, faculté de droit et Centre des droits de l’homme de l’université d’Essex, Royaume-Uni;
  • M. Krzysztof Drzewicki, professeur de droit, ministère polonais des Affaires étrangères (Varsovie), ancien conseiller juridique principal au Bureau du Haut-Commissaire de l’OSCE pour les minorités nationales.
3. La proposition de recommandation susmentionnée met l’accent sur la nécessité d’adopter un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5, «la Convention») permettant d’énoncer et de garantir des normes minimales pour les minorités nationales dans le cadre du Conseil de l’Europe. Cette nécessité découle de l’insuffisance du cadre juridique actuel en matière de protection des minorités.
4. Il conviendrait en effet d’établir à l’égard des minorités nationales et de leurs membres des normes minimales contraignantes, afin de garantir l’égalité de traitement aux populations majoritaires comme minoritaires et de faire disparaître les différences à cet égard entre les Etats membres du Conseil de l’Europe.
5. Le Conseil de l’Europe a joué un rôle précurseur en adoptant d’une part la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE n° 157, «la Convention-cadre») et, d’autre part, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE n° 148, «la Charte»). La plupart des pays reconnaissent désormais l’apport positif des minorités nationales au sein des sociétés où elles vivent. Cependant, ces instruments juridiques semblent insuffisants, notamment parce qu’ils sont relativement souples et parce qu’ils ne s’appliquent pas à la totalité des Etats membres du Conseil de l’Europe.
6. Il convient de noter que certains Etats refusent de signer et/ou de ratifier ces instruments. Ce refus a récemment été étudié en détail par la commission 
			(3) 
			Voir
notamment les rapports de mes collègues M. Boriss Cilevičs sur «La
protection des minorités en Europe: bonnes pratiques et lacunes
dans l’application des normes communes, Doc. 12109 du 20 janvier 2010, et M. József Berényi sur «La Charte
européenne des langues régionales ou minoritaires», Doc. 12422 du 21 octobre 2010..
7. La non-ratification de la Convention-cadre et de la Charte par certains Etats membres a pour effet que dans ces pays, les minorités nationales sont victimes de discrimination à la fois collective et individuelle, étant privées de certains droits fondamentaux tels que la liberté d’association, la représentation politique, l’instruction dans la langue maternelle ou la libre utilisation de la langue minoritaire en public. Toutefois, il en va de même dans certains pays qui ont ratifié ces instruments juridiques mais ne les appliquent pas de façon satisfaisante.
8. Je commencerai mon exposé par une présentation des principaux instruments du Conseil de l’Europe en matière de protection des minorités nationales et par un tour d’horizon des travaux précédemment menés sur le sujet par l’Assemblée et la commission. J’essaierai d’énoncer succinctement les principales inquiétudes concernant la mise en œuvre de ces instruments dans la pratique. Je m’efforcerai ensuite d’expliquer pourquoi il est nécessaire d’adopter un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme sur les normes minimales de protection des minorités nationales, en exposant les avantages d’un tel protocole. Je remercie chaleureusement les experts qui ont participé à l’échange de vues du 6 juin 2011 pour avoir accepté de m’assister dans cette tâche.

2. Cadre juridique international et européen

9. Il convient de rappeler qu’il n’existe pas de définition bien établie de l’expression «minorité nationale» en droit international. Cependant, l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies du 16 décembre 1966 affirme que «dans les Etats où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d’avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d’employer leur propre langue» 
			(4) 
			<a href='http://www2.ohchr.org/french/law/ccpr.htm'>http://www2.ohchr.org/french/law/ccpr.htm</a>..
10. Dans le cadre onusien, on notera l’adoption en septembre 2007 par l’Assemblée générale des Nations Unies de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones 
			(5) 
			<a href='http://www.un.org/esa/socdev/unpfii/documents/DRIPS_fr.pdf'>www.un.org/esa/socdev/unpfii/documents/DRIPS_fr.pdf</a>., qui affirme notamment que les peuples autochtones ont le droit à l’autodétermination et qu’en vertu de ce droit ils déterminent librement leur statut politique et œuvrent librement à leur développement économique, social et culturel.
11. Au niveau européen, les Etats participants de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ont signé en 1990 le Document de Copenhague, qui comportait de nombreux engagements nouveaux dans les domaines – entre autres – des droits de l’homme et de la prééminence du droit 
			(6) 
			<a href='http://www.osce.org/odihr/elections/14304'>www.osce.org/odihr/elections/14304</a>.. Ce document mentionne également les droits des minorités nationales, sujet qui n’avait jusqu’alors pas beaucoup attiré l’attention. Le document de Copenhague propose une définition du terme «minorité nationale» et une liste des droits des minorités. A la suite de sa signature, un Haut-Commissaire de l’OSCE pour les minorités nationales (HCNM) a été mis en place en 1992. Bien que son mandat consiste avant tout à signaler les tensions au plus vite et à prévenir les conflits, le HCNM a élaboré un ensemble complet de recommandations (à caractère non contraignant) 
			(7) 
			Six séries de recommandations
ont été rédigées et adoptées à ce jour: droits éducatifs (1996),
droits linguistiques (1998), participation à la vie publique (1999),
utilisation des langues minoritaires dans les médias radiodiffusés
(2003), la police dans les sociétés pluriethniques (2005) et les
minorités nationales dans les relations entre Etats (2008); <a href='http://www.osce.org/hcnm/33633'>www.osce.org/hcnm/33633</a>..

3. La protection renforcée des minorités dans le cadre du Conseil de l’Europe

3.1. La Convention européenne des droits de l’homme et les minorités nationales

12. La Convention européenne des droits de l’homme ne confère pas de droits spécifiques aux minorités nationales, quoiqu’elle garantisse certains droits pertinents dont les membres de minorités peuvent jouir à titre individuel. Il s’agit notamment du droit à la liberté d’expression (article 10), de la liberté de pensée, de conscience et religion (article 9), de la liberté de réunion et d’association (article 11), du droit d’un accusé d’être informé de la nature des charges portées contre lui dans une langue qu’il comprend (article 6, paragraphe 3.a), de l’interdiction de la discrimination fondée sur «l’appartenance à une minorité nationale» (article 14), du droit à l’instruction (article 2 du Protocole n° 1) ou du droit à des élections libres (article 3 du Protocole n° 1). En vertu de l’article 34 de la Convention, les personnes appartenant à des minorités nationales peuvent invoquer ces droits directement devant la Cour européenne des droits de l’homme. Cependant, dans des affaires concernant les minorités nationales, l'apport de la jurisprudence de la Cour a été assez modeste. Dans l’affaire Gorzelik c. Pologne par exemple, quoique reconnaissant l’importance de la protection de ces minorités pour la stabilité, la sécurité démocratique et la paix en Europe, la Cour conclut: «(…) on ne saurait affirmer que le droit international oblige les Etats contractants à adopter une notion particulière de "minorité nationale" dans leur législation ou à introduire une procédure de reconnaissance officielle des groupes minoritaires» 
			(8) 
			Gorzelik
et autres c. Pologne, Requête n° 44158/98, arrêt du 17
février 2004 (Grande chambre), paragraphe 68..
13. L’adoption du Protocole n° 12 à la Convention et son entrée en vigueur le 1er avril 2005 a constitué une avancée dans la protection des minorités nationales contre la discrimination. L’article premier de ce protocole crée une interdiction générale de discrimination dans la jouissance de «tout droit prévu par la loi» (paragraphe 1), interdiction qui s’applique à tous les actes des autorités publiques (paragraphe 2). Par conséquent, toute discrimination envers une personne appartenant à une minorité nationale, y compris fondée sur cette appartenance, tombe sous le coup de cette interdiction générale. Malheureusement, la portée géographique de la protection assurée par le Protocole n° 12 est limitée, seuls 18 des 47 Etats membres du Conseil de l’Europe l’ayant ratifié à ce jour.

3.2. La Convention-cadre pour la protection des minorités nationales

14. La Convention-cadre pour la protection des minorités nationales 
			(9) 
			<a href='http://conventions.coe.int/Treaty/Commun/QueVoulezVous.asp?NT=157&CM=8&DF=06/05/2011&CL=FRE'>http://conventions.coe.int/Treaty/Commun/QueVoulezVous.asp?NT=157&CM=8&DF=06/05/2011&CL=FRE</a>., élaborée au sein du Conseil de l’Europe par le Comité ad hoc pour la protection des minorités nationales (CAHMIN) sous l’autorité du Comité des Ministres, a été adoptée par le Comité des Ministres le 10 novembre 1994 et ouverte à la signature des Etats membres le 1er février 1995. Entrée en vigueur le 1er février 1998, elle a été ratifiée à ce jour par 39 
			(10) 
			Pour consulter l’état
des ratifications de la Convention-cadre: 
			(10) 
			<a href='http://conventions.coe.int/Treaty/Commun/QueVoulezVous.asp?NT=157&CM=8&DF=06/05/2011&CL=FRE'>http://conventions.coe.int/Treaty/Commun/QueVoulezVous.asp?NT=157&CM=8&DF=06/05/2011&CL=FRE</a>. des 47 Etats membres. Sa rédaction a été une conséquence directe du rejet de la Recommandation 1201 (1993) de l’Assemblée relative à un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (voir ci-dessous, paragraphe 33).
15. A ce jour, quatre Etats – la Belgique, la Grèce, l’Islande et le Luxembourg – ont signé la Convention-cadre mais ne l’ont pas ratifiée et quatre autres – Andorre, la France, Monaco et la Turquie – ne l’ont ni signée ni ratifiée.L’Assemblée a exhorté à plusieurs reprises les Etats membres concernés à signer et/ou ratifier la Convention-cadre 
			(11) 
			Voir notamment la Recommandation 1623 (2003) sur les droits des minorités nationales, ainsi que la Résolution 1713 (2010) et la Recommandation
1904 (2010) «La protection des minorités en Europe: bonnes pratiques
et lacunes dans l’application des normes communes»..
16. Face aux échecs des tentatives précédentes, souvent plus ambitieuses, telles que les recommandations de l’Assemblée (voir ci-dessous), la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales repose sur un cadre juridique particulièrement souple. Il s’agit d’un texte détaillé mais qui ne porte que sur des principes, sans véritable mécanisme de contrôle contraignant.
17. Remarquons tout d’abord que la Convention-cadre elle-même ne définit pas les groupes de personnes qui ont droit à la protection qu’elle prévoit. Par conséquent, sa portée reste l’un des points les plus controversés de sa mise en œuvre, bien que le Comité consultatif de la Convention-cadre («le Comité consultatif») ait tenté de l’élucider à travers ses commentaires thématiques 
			(12) 
			«Commentaire sur la
participation effective des personnes appartenant à des minorités
nationales à la vie culturelle, sociale et économique, ainsi qu’aux
affaires publiques», 8 mai 2008, ACFC/31DOC(2008)001, et «Commentaire
sur l’éducation au regard de la Convention-cadre pour la protection
des minorités nationales», 2 mars 2006, ACFC/25DOC(2006)002. .
18. Les Etats parties ont une grande latitude dans la détermination de la portée de la Convention-cadre, dont les dispositions offrent une série d’objectifs que ces Etats s’engagent à atteindre 
			(13) 
			Pentassuglia G., Minorités en droit international,
Editions du Conseil de l’Europe, Strasbourg, 2004, p. 142.. Bien que ces dispositions ne soient pas directement exécutoires, les Parties doivent respecter les principes généraux de droit international et les principes fondamentaux énoncés à l’article 3 de la Convention-cadre, aux termes duquel «toute personne appartenant à une minorité nationale a le droit de choisir librement d’«être traitée ou de ne pas être traitée comme telle» (paragraphe 1). En outre, le Comité consultatif de la Convention-cadre a souligné à plusieurs reprises que l’interprétation du texte par les Etats parties ne pouvait entraîner de distinctions arbitraires ou injustifiées 
			(14) 
			Ce
que résume l’Assemblée dans sa Recommandation 1623 (2003), op. cit., paragraphe
6. . La mise en œuvre de la Convention-cadre par les Etats parties se caractérise par une grande diversité de méthodes, allant d’approches minimalistes (par exemple restreignant son application aux minorités dites «historiques» ou à certaines minorités choisies tout en refusant arbitrairement la reconnaissance des autres) à des approches plus ouvertes et généreuses.
19. L’Assemblée a, dans un premier temps, critiqué le texte de la Convention-cadre, jugé trop faible 
			(15) 
			Voir le paragraphe
7 de la Recommandation
1255 (1995) relative à la protection des droits de minorités nationales: «Le
libellé de la convention est faible. Celle-ci énonce un certain
nombre d’objectifs et de principes, dont la définition manque de
précision et dont l’observation sera une obligation pour les Etats
contractants, mais non un droit que les individus puissent invoquer.
Son mécanisme d’application n’est pas très ferme et on court le
risque, en effet, que les modalités de contrôle soient entièrement
laissées au soin des gouvernements.».Cependant, la Convention-cadre est le premier traité multilatéral consacré à la protection des minorités nationales en Europe. Elle reconnaît aux minorités des droits collectifs exercés non à titre individuel, mais par l’ensemble du groupe minoritaire.Le Comité consultatif assure le suivi de la mise en œuvre de la Convention-cadre; cet instrument conventionnel classique se situe dans un cadre intergouvernemental, qui ne va pas au-delà des conventions et déclarations des Nations Unies et du Conseil de l’Europe.
20. La prééminence de l’Etat ou de la langue nationale est souvent mise en avant. Les groupes minoritaires ne sont pas directement destinataires des normes juridiques décrites dans la Convention-cadre. Seuls les Etats parties peuvent se prévaloir des dispositions de la Convention-cadre. De plus, la portée de certains articles est limitée par des expressions vagues comme «dans la mesure du possible» (article 9.3 par exemple) et «si nécessaire» (articles 12 et 18 par exemple) 
			(16) 
			Voir supra, note n° 14, p. 142-143..
21. Cet instrument juridique permet, par sa flexibilité, de s’adapter à la situation des Etats parties, mais n’est pas assez incisif pour offrir une protection efficace aux minorités. Il s’inscrit en effet dans un cadre strictement interétatique et toute modification de ses dispositions suppose un consensus politique au sein du Comité des Ministres. En cas de désaccord politique, le processus décisionnel au Comité des Ministres est bloqué 
			(17) 
			Voir, par exemple,
le blocage de l’avis du Comité consultatif sur la situation en Lituanie
en 2008: 
			(17) 
			<a href='http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/minorities/6_Resources/PDF_Table_Monitoring_fr.pdf'>www.coe.int/t/dghl/monitoring/minorities/6_Resources/PDF_Table_Monitoring_fr.pdf</a>..
22. De ce fait, la Convention-cadre est intimement liée à la nécessité d’une adhésion politique des Etats parties, ce qui peut limiter son étendue, son interprétation et sa mise en œuvre, d’où l’idée d’un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, sur la protection des minorités, qui constituerait un outil efficace puisque les membres de groupes minoritaires pourraient se prévaloir directement et individuellement de ses dispositions.

3.3. La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires

23. La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires a été adoptée en 1992 dans le but de protéger et de favoriser les langues historiques régionales, et les langues des minorités en Europe 
			(18) 
			<a href='http://conventions.coe.int/Treaty/Commun/QueVoulezVous.asp?NT=148&CM=8&DF=03/11/2011&CL=FRE'>http://conventions.coe.int/Treaty/Commun/QueVoulezVous.asp?NT=148&CM=8&DF=03/11/2011&CL=FRE</a>.. Elle est entrée en vigueur le 1er mars 1998.
24. La Charte est un instrument «à géométrie variable», puisqu’elle propose un grand nombre d’actions différentes que les Etats signataires peuvent entreprendre pour protéger et favoriser les langues régionales ou minoritaires, comme l’utilisation d’une signalisation routière bilingue ou encore l’ouverture d’écoles spécialisées dans l’enseignement d’une langue protégée. Les Etats doivent sélectionner et appliquer au moins 35 de ces actions 
			(19) 
			Voir supra, note n° 4..
25. A ce jour, la Charte a été ratifiée par 25 Etats: Allemagne, Arménie, Autriche, Bosnie-Herzégovine, Chypre, Croatie, Danemark, Espagne, Finlande, Hongrie, Liechtenstein, Luxembourg, Monténégro, Norvège, Pays-Bas, Pologne, République slovaque, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Serbie, Slovénie, Suède, Suisse et Ukraine. Huit autres l’ont simplement signée: Azerbaïdjan, «l'ex-République yougoslave de Macédoine», Fédération de Russie, France, Islande, Italie, Malte et République de Moldova. L’Assemblée a déploré à plusieurs reprises que presque la moitié des Etats membres du Conseil de l’Europe n’ait pas encore adhéré à cet instrument juridique 
			(20) 
			Voir notamment la Résolution 1770 (2010) du 12 novembre 2010 et sa recommandation, ainsi que
la Résolution 1713 (2010) et la Recommandation
1904 (2010) du 12 mars 2010..

3.4. Le travail précurseur de l’Assemblée parlementaire

26. Au début des années 1950 déjà, l’Assemblée réfléchissait au meilleur moyen de protéger les droits des minorités nationales; en 1961, dans sa Recommandation 285 (1961) relative aux droits des minorités nationales, elle propose d’ajouter une disposition sur les minorités à la Convention européenne des droits de l’homme. Cette tentative est écartée du fait du caractère abstrait et flou du concept de protection des minorités nationales, mais le critère de «l’appartenance à une minorité nationale» est ajouté à la Convention dans la liste des motifs interdits de différence de traitement (article 14) 
			(21) 
			Voir supra, note n° 14, p. 136 et 128..
27. Le Conseil de l’Europe s’oriente ensuite vers une protection plus sectorielle visant à préserver la culture des groupes minoritaires en Europe. Dans sa Recommandation 285 (1961), l’Assemblée propose d’ajouter au Protocole n° 4 à la Convention une disposition relative à la protection des minorités, ce qui cependant n’est pas accepté par le Comité des Ministres.
28. Si l’idée d’instaurer des normes juridiques protégeant les droits des minorités n’est pas récente, elle ne sera relancée et développée par l’Assemblée qu’au début des années 1990. La transition démocratique dans les pays d’Europe centrale et orientale fait en effet resurgir les problèmes liés aux minorités en Europe, longtemps refoulés artificiellement sous les régimes totalitaires.
29. En octobre 1990, l’Assemblée adopte la Recommandation 1134 (1990) relative aux droits des minorités, sur la base d'un rapport présenté par M. Joseph Brincat (Doc. 6294). Pour la première fois, cette recommandation conseille au Comité des Ministres d’élaborer un protocole additionnel à la Convention ou une convention spéciale visant la protection des minorités nationales. L’Assemblée note que des mesures générales d’interdiction de la discrimination sont nécessaires, mais préconise aussi la mise en place de mesures spéciales en faveur des minorités, telles que le droit d’entretenir des contacts au-delà des frontières et le droit de disposer de leurs propres institutions et de participer pleinement aux décisions relatives à l’enseignement de leur langue maternelle, ce qui suppose in fine l’adoption de mesures positives par les Etats. Certes, le Comité des Ministres ne donne pas suite à cette proposition 
			(22) 
			Doc. 7316 du 1er juin 1995 «Communication
du Comité des Ministres. Réponse aux Recommandations 1134 (1990) relative
aux droits des minorités, 1177 (1992) relative aux droits des minorités,
1201 (1993) relative à un protocole additionnel à la Convention
européenne des droits de l’homme sur les droits des minorités nationales
et 1255 (1995) relative à la protection des droits des minorités
nationales, paragraphe 1., mais la référence au concept de droits collectifs des minorités est une innovation qui fera son chemin.
30. En février 1992, l’Assemblée adopte la Recommandation 1177 (1992) relative aux droits des minorités, dans laquelle elle se prononce en faveur de l’adoption d’un protocole additionnel à la Convention (paragraphe 12) et d’une déclaration qui énoncerait les principes fondamentaux concernant les droits des minorités nationales (paragraphe 13). L’Assemblée note que le Comité des Ministres a chargé le Comité directeur pour les droits de l’homme d’élaborer une proposition de Convention européenne pour la protection des minorités. Cependant, elle n’est pas convaincue par le mécanisme de supervision proposé et insiste pour qu’un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme soit élaboré. C’est ainsi qu’est adoptée en janvier 1993 la Recommandation 1201 (1993) relative à un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme sur les droits des minorités nationales, contenant le projet de protocole.
31. Ce projet de protocole reconnaît les droits individuels des membres des minorités et donne une définition du terme de «minorité nationale». Il est remarquable en ce qu’il reconnaît des droits en matière éducative et linguistique et accorde une certaine autonomie aux groupes minoritaires dans les régions où ils sont majoritaires. Certes, la Recommandation 1201 (1993) n’est pas contraignante, mais elle fait alors partie des engagements souscrits par les Etats membres adhérant au Conseil de l’Europe et est intégrée en tant que document de référence dans des traités bilatéraux 
			(23) 
			Voir supra, note n° 14, p. 137..
32. L’idée d’un protocole additionnel à la Convention est soumise aux chefs d’Etat et de gouvernement réunis en sommet à Vienne le 9 octobre 1993. Ces derniers invitent le Comité des Ministres à «rédiger à bref délai une convention-cadre précisant les principes que les Etats contractants s'engagent à respecter pour assurer la protection des minorités nationales» et à «engager les travaux de rédaction d’un protocole complétant la Convention européenne des droits de l’homme dans le domaine culturel par des dispositions garantissant des droits individuels, notamment pour les personnes appartenant à des minorités nationales» 
			(24) 
			Doc. 7316, op. cit., paragraphe
1.. Le 4 novembre 1993, le Comité des Ministres met en place à cet effet un Comité ad hoc pour la protection des minorités nationales (CAHMIN).
33. Dans sa Recommandation 1231 (1994) sur les suites à donner au Sommet de Vienne, l’Assemblée regrette vivement que le Sommet de Vienne n’ait pas donné suite à sa Recommandation 1201 (1993) et recommande au Comité des Ministres de revenir sur sa décision 
			(25) 
			Voir
les paragraphes 4 et 8.ii de la Recommandation 1231 (1994). . Aux yeux de l’Assemblée, il aurait au moins fallu adopter une convention-cadre et un protocole additionnel sur les droits culturels pour refléter les principes formulés par la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) et dans le Document de Copenhague 
			(26) 
			Ibid.,
paragraphe 8.iii..
34. La Convention-cadre a été adoptée par le Comité des Ministres le 10 novembre 1994, et le CAHMIN a continué ses travaux de rédaction d’un protocole complétant la Convention européenne des droits de l’homme dans le domaine culturel par des dispositions garantissant des droits individuels, notamment pour les personnes appartenant à des minorités nationales 
			(27) 
			<a href='http://www.humanrights.ch/fr/Instruments/Conseil-de-lEurope-Traites-des-DH/Minorites/index.html'>www.humanrights.ch/fr/Instruments/Conseil-de-lEurope-Traites-des-DH/Minorites/index.html</a>.. Cependant, dans sa Recommandation 1255 (1995) relative à la protection des droits des minorités nationales, l’Assemblée estime que la Convention-cadre constitue un instrument trop faible, en raison des termes vagues qu’elle emploie et de son mécanisme de suivi trop souple, laissant trop de latitude aux Etats membres. Rappelant les principes énoncés dans sa Recommandation 1201 (1993), elle recommande à nouveau au Comité des Ministres de préparer un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme garantissant des droits culturels aux personnes appartenant à des minorités nationales. Malgré cette recommandation, le Comité des Ministres décide en janvier 1996 de suspendre le mandat du CAHMIN 
			(28) 
			Ibid. sur le sujet et «de poursuivre la réflexion sur la faisabilité d’autres normes dans le domaine culturel et dans celui de la protection des minorités nationales», en tenant compte de la Déclaration du Sommet de Vienne 
			(29) 
			Doc. 8306 du 26 janvier 1999, recommandations de l’Assemblée,
réponses du Comité des Ministres, p. 3. . Selon le Comité des Ministres, la rédaction d’un protocole additionnel à la Convention n'était pas réalisable parce que certains éléments, comme la définition d’une minorité nationale ou le caractère et l’étendue de certains droits, n’étaient pas acceptés par tous les Etats membres 
			(30) 
			Ibid., p. 4. Bien que le Comité
directeur pour les droits de l’homme (CDDH) ne recommande pas d’entreprendre
la rédaction d’un tel protocole, il n’exclut pas «l’éventualité
que d’autres facteurs – et en particulier l’expérience acquise dans la
mise en œuvre de la Convention-cadre pour la protection des minorités
nationales – mettent en lumière la nécessité d’envisager l’élaboration
de normes supplémentaires»; Ibid.,
p. 6. .
35. En 2001, dans sa Recommandation 1492 (2001) sur les droits des minorités nationales 
			(31) 
			Voir les paragraphes
7 et 12.xi. Voir aussi le rapport de M. Rudolf Bindig, commission
des questions juridiques et des droits de l’homme, Doc. 8920. , l’Assemblée rappelle sa Recommandation 1201 (1993) et réaffirme la nécessité d’un protocole additionnel à la Convention consacré aux droits des minorités. Cependant, là encore, le Comité des Ministres a jugé prématuré de réengager le débat sur ce sujet, soulignant que le Protocole n° 12, sur le point d’entrer en vigueur, couvrirait toutes les formes de discrimination fondée sur l’appartenance à une minorité nationale 
			(32) 
			Doc. 9492. Réponse du Comité des Ministres à la Recommandation 1492 (2001), p. 2 et 5. .

4. Rédaction d’un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme

4.1. Principaux éléments à prendre en compte

36. Comme nous l’avons vu, l’Assemblée a déjà demandé à plusieurs reprises la rédaction d’un protocole additionnel à la Convention et, compte tenu des faiblesses des instruments actuels de protection des minorités nationales, il pourrait aujourd’hui s’avérer nécessaire d’y revenir.
37. Comme l’a souligné M. Gilbert lors de l’audition de juin 2011, plusieurs questions sont à régler pour qu’un protocole à la Convention, sur la protection des minorités nationales et leurs membres, puisse être adopté: la définition des détenteurs des droits, la teneur des droits à faire figurer dans le protocole, la possibilité de les défendre en justice et les types de recours qui pourraient s’avérer nécessaires pour leur donner pleinement effet.

4.2. Définition des détenteurs des droits

38. La notion de «minorité nationale» n’est pas définie en droit international. La Convention-cadre ne définit pas cette notion, ce qu’on pourrait considérer comme l’une de ses principales faiblesses, et rend particulièrement difficile de se faire une idée juste de la situation dans les différents pays 
			(33) 
			Doc. 8920, op. cit., paragraphe
25..
39. Lorsque des droits sont conférés à un groupe de personnes spécifique, comme une minorité nationale, la précision juridique demande que ce groupe soit clairement défini par la loi. S’il est adopté, le protocole additionnel relatif aux droits des minorités nationales devra définir les détenteurs des droits et donc comporter une définition du terme de «minorité nationale».
40. Le projet de protocole inséré dans la Recommandation 1201 (1993) proposait, pour le terme de «minorité nationale», la définition suivante:
«un groupe de personnes dans un Etat qui: a. résident sur le territoire de cet Etat et en sont ressortissantes; b. entretiennent des liens anciens, solides et durables avec cet Etat; c. présentent des caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques spécifiques; d. sont suffisamment représentatives, tout en étant moins nombreuses que le reste de la population de cet Etat ou d’une région de cet Etat; e. sont animées de la volonté de préserver ensemble ce qui fait leur identité commune, notamment leur culture, leurs traditions, leur religion ou leur langue.»
41. Cette définition comprend quatre éléments objectifs – a, b, c et d – et un élément subjectif – e –, à savoir la volonté des membres d’une minorité de se considérer comme tels et d’affirmer leur attachement à ce qui leur donne leur identité spécifique. Il s’agit d’un aspect essentiel puisqu’il évite la confusion avec les droits des étrangers, des migrants ou des réfugiés 
			(34) 
			Doc. 6742 du 19 janvier 1993, rapport relatif à un protocole additionnel
à la Convention européenne des droits de l’homme sur les droits
des minorités (rapporteur: M. Jean-Pierre Worms), p. 8. .
42. Cependant, même si l’Assemblée s'est prononcée en faveur d'une définition du concept de «minorité nationale», combler cette lacune ne fait pas consensus. Comme l’a relevé M. Gilbert lors de l’audition de juin 2011, il y a toujours un risque que les Etats tentent de reformuler cette définition de manière à en exclure certains groupes. Les Etats peuvent en outre tenter d’exclure certains groupes en appliquant des définitions et des interprétations restrictives (ce qui a déjà été le cas pour la Convention-cadre). M. Gilbert considère par conséquent qu'il convient de s’abstenir de définir ce qu’est une minorité nationale, soulignant que la Cour ne le fait pas non plus.
43. D’autre part, pour toute procédure judiciaire, il est indispensable de définir clairement les détenteurs des droits. L’absence de définition du terme de «minorité nationale» laisserait trop de place aux interprétations et ne pourrait qu’entraîner des discussions sans fin entre la Cour et les Etats défendeurs au cours des procédures judiciaires. Ce point demanderait donc plus ample réflexion de la part des groupes d’experts chargés d’élaborer le projet de protocole additionnel. La définition proposée dans la Recommandation 1201 (1993) pourrait servir de base aux discussions.

4.3. Etendue des droits

44. Comme l’a souligné M. Drzewicki lors de l’audition, deux possibilités sont envisageables en vue d’un protocole additionnel à la Convention. Soit le texte comprend une liste relativement détaillée de droits minimaux à assurer aux personnes appartenant à des minorités, soit il offre une formulation générale des droits des minorités dans des domaines spécifiques assortie de clauses limitatives. La première possibilité a le mérite d’«imposer» à la Cour le contenu spécifique des droits en question, et notamment leur champ d’application matériel. Elle pourrait cependant compliquer les négociations et aboutir à une version définitive du protocole dans laquelle la teneur matérielle des droits des minorités serait sérieusement limitée. La seconde solution est plus souple, car elle laisse à la Cour une grande marge d’interprétation concernant les normes de protection des minorités nationales. En outre, comme le proposait la Recommandation 1255 (1995) au paragraphe 9, le protocole additionnel pourrait reprendre des droits tirés à la fois de la Convention-cadre et du projet de protocole additionnel proposé par l’Assemblée dans sa Recommandation 1201 (1993).
45. En gardant à l’esprit les avantages et les inconvénients de ces deux solutions, j’estime que le projet de protocole additionnel pourrait comporter les droits minimaux suivants:
a. le droit de chacun d'exprimer librement son appartenance à une minorité nationale;
b. les droits politiques (comme la liberté d’association, la création de partis politiques, la participation aux élections, la représentation au sein des instances publiques aux niveaux national et régional);
c. les droits culturels, y compris le droit à l’autonomie culturelle comme principal moyen de préserver l’identité nationale;
d. le droit de prendre des décisions sur différentes formes d’autonomie, conformément aux pratiques européennes et aux traditions régionales ou nationales;
e. le droit d’utiliser librement la langue minoritaire dans la vie privée et publique, notamment avec les autorités administratives ou le système judiciaire dans les zones où les minorités nationales représentent un pourcentage important de la population régionale ou locale.

4.3.1. Droit de chacun d'exprimer librement son appartenance à une minorité nationale

46. Le droit d’exprimer librement son appartenance à une minorité nationale est un droit fondamental, inscrit dans l’article 3.1 de la Convention-cadre 
			(35) 
			Article 3:
«1. Toute personne appartenant à une minorité nationale a le droit
de choisir librement d’être traitée ou de ne pas être traitée comme
telle et aucun désavantage ne doit résulter de ce choix ou de l’exercice
des droits qui y sont liés.». Comme l’affirme le Document de Copenhague, l’appartenance à une minorité nationale «est une question relevant d’un choix personnel, et aucun désavantage ne peut résulter d’un tel choix» (paragraphe 32). Le projet de protocole compris dans la Recommandation 1201 (1993) prévoit également ce droit (article 2 
			(36) 
			«Article 2: 1. L’appartenance
à une minorité nationale relève du libre choix de la personne. 2.
Aucun désavantage ne doit résulter du choix de cette appartenance,
ou de la renonciation à ce choix.»).
47. Il découle de ce principe que l’appartenance à une minorité ne peut être imposée par les pouvoirs publics et que chacun est libre de modifier ce choix ou de ne s’identifier à aucune minorité 
			(37) 
			Voir supra, note n° 35.. De plus, les personnes qui affirment leur appartenance ou non à une minorité ne devraient subir aucune conséquence négative du fait de ce choix 
			(38) 
			Ibid. .

4.3.2. Droits politiques (liberté d’association, création de partis politiques, participation aux élections, représentation au sein des instances publiques aux niveaux national et régional)

48. L’article 11 de la Convention garantit à chacun la liberté de réunion et d’association (avec des restrictions prévues au paragraphe 2). En outre, l’article 7 de la Convention-cadre demande aux Etats de veiller à assurer à toute personne appartenant à une minorité nationale le droit à la liberté d’association, ce qui implique le droit de créer des partis et organisations politiques. Cependant, il serait utile que le droit des groupes minoritaires nationaux de créer des associations, y compris des partis politiques, soit clairement affirmé dans un texte contraignant tel qu’un protocole à la Convention.
49. Les personnes appartenant à des minorités nationales devraient jouir de droits leur permettant de prendre part aux affaires publiques. Tout d’abord, elles devraient pouvoir créer et conserver leurs propres associations (éducatives, culturelles, religieuses, etc.), être habilitées à solliciter des contributions volontaires ou des aides publiques (voir aussi le Document de Copenhague, paragraphes 32.2 et 32.6). Compte tenu de la fréquence des interdictions de former un parti politique sur des critères d’appartenance à une minorité nationale 
			(39) 
			Voir supra, note n° 35. , une disposition affirmant le droit de créer des partis politiques serait extrêmement utile. En outre, ces deux droits sont réaffirmés dans l’article 6 du projet de protocole présenté dans la Recommandation 1201 (1993) 
			(40) 
			«Article
6. Toutes les personnes appartenant à une minorité nationale ont
le droit de créer leur(s) propre(s) organisation(s), y compris un
parti politique.» .
50. Bien que le droit à des élections libres soit affirmé de façon générale dans l’article 3 du Protocole n° 1 à la Convention, il ne fait l’objet d’aucune autre disposition spécifique, ni dans la Convention ni dans ses autres protocoles additionnels. En outre, selon M. Gilbert, l’affaire Sejdic et Finci c. Bosnie-Herzégovine 
			(41) 
			L’affaire concernait
la Constitution de Bosnie-Herzégovine mise en place par l’Accord
de Dayton, qui établissait les structures politiques de la Bosnie-Herzégovine
et accordait certains droits à ses «peuples constitutifs», c’est-à-dire
aux Bosniaques, aux Croates et aux Serbes. Certains aspects de la
gouvernance de l’Etat y sont réservés aux personnes appartenant
à un «peuple constitutif». Respectivement membres des communautés
rom et juive, M. Sejdic et M. Finci avaient donc interdiction de
se porter candidats à la Chambre des peuples et à la présidence
du pays. Ils ont déposé, avec succès, une requête auprès de la Cour
européenne des droits de l’homme pour violation de l’article 14
de la Convention combiné avec l’article 3 du Protocole n° 1 et de
l’article 1 du Protocole n° 12. montre que le droit à la participation aux affaires publiques est encore mieux protégé lorsqu’il est accordé à un groupe 
			(42) 
			Bien que la requête
ait été déposée par deux particuliers, l’ingérence contestée concernait
un groupe spécifique de personnes appartenant à des minorités nationales.
Si une telle plainte devait être portée en justice, toute la série
des problèmes sous-jacents apparaîtrait mieux si elle émanait du
groupe lésé lui-même, ce qui pourrait être facilité par un protocole
spécifique sur les droits minimaux des minorités nationales..
51. La participation effective des personnes appartenant à des minorités nationales aux affaires publiques est également prévue au paragraphe 35 du Document de Copenhague et à l’article 15 de la Convention-cadre. Aux termes de ce dernier, «les Parties s’engagent à créer les conditions nécessaires à la participation effective des personnes appartenant à des minorités nationales à la vie culturelle, sociale et économique, ainsi qu’aux affaires publiques, en particulier celles les concernant». Cela signifie, d’après le rapport explicatif, que les Etats pourraient promouvoir notamment la participation effective aux processus de prise de décision et dans les instances élues aux niveaux national et local, ainsi que des formes décentralisées ou locales d’administration 
			(43) 
			<a href='http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/minorities/1_AtGlance/PDF_H(1995)010_FCNM_ExplanReport_fr.pdf'>www.coe.int/t/dghl/monitoring/minorities/1_AtGlance/PDF_H(1995)010_FCNM_ExplanReport_fr.pdf</a>..
52. La question de la participation aux affaires publiques a été étudiée dans le deuxième commentaire thématique du comité consultatif («Commentaire sur la participation effective des personnes appartenant à des minorités nationales à la vie culturelle, sociale et économique, ainsi qu’aux affaires publiques» 
			(44) 
			Document ACFC/31DOC(2008)001,
adopté le 27 février 2008.). Selon le comité consultatif, «la représentation et la participation des personnes appartenant à des minorités nationales dans les organes élus, l’administration publique, l’appareil judiciaire et les agences d’application de la loi sont des conditions nécessaires, mais non suffisantes pour assurer une participation effective. Leur inclusion dans les organes élus à différents niveaux dépend en grande partie des traditions et garanties constitutionnelles offertes par la législation électorale. Le choix et les modalités du système électoral ont souvent un impact direct sur le caractère effectif de la participation des minorités dans les décisions». Le Comité consultatif conclut qu’outre les possibilités ouvertes par les deux principaux types de système électoral (majoritaire et proportionnel), il conviendrait de soutenir des mesures facilitant la représentation des personnes appartenant à des minorités nationales dans les instances élues: exceptions à l’exigence de quorum électoral, sièges réservés, droits de «veto», etc.
53. Je considère par conséquent qu’une représentation appropriée des minorités nationales dans les instances publiques, aux niveaux national et régional, pourrait être garantie par un protocole additionnel à la Convention, indépendamment du système constitutionnel de l’Etat concerné. Par exemple, une représentation proportionnelle assurerait assez bien la participation des personnes appartenant à des minorités nationales aux affaires publiques, en particulier dans les circonscriptions où elles constituent une importante part de la population locale. Dans la pratique, ce système pourrait être associé à d’autres mesures telles que celles mentionnés dans le commentaire du Comité consultatif.

4.3.3. Droits culturels, y compris le droit à l’autonomie culturelle comme principal moyen de préserver l’identité nationale

54. Comme l’a rappelé M. Gilbert lors de l’audition, l’expression de la culture d’un groupe minoritaire passe bien sûr par l’art, la littérature, la musique ou le théâtre, mais aussi par de nombreux autres aspects: utilisation de la langue maternelle, alphabet différent, noms (en particulier sur les documents officiels), accès à différents médias. Certains de ces aspects peuvent être protégés par l’article 8 (droit au respect de la vie privée) et par l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention.
55. Le droit d’exprimer, de préserver et de développer son identité culturelle est mentionné dans le Document de Copenhague (paragraphe 32) et garanti par une combinaison de dispositions de la Convention-cadre (articles 5, 6 et 15). De par son caractère général, le droit à une identité spécifique touche à tous les autres droits matériels 
			(45) 
			Voir supra, note n° 35. . L’accès aux médias est un aspect important des droits culturels: les personnes appartenant à des minorités nationales doivent pouvoir créer et utiliser leurs propres médias 
			(46) 
			Voir supra, note n° 45, p. 6.. Le deuxième commentaire thématique du Comité consultatif s’arrête également sur les droits culturels. Il souligne que la délégation de compétences en matière culturelle peut jouer un rôle important pour permettre aux minorités nationales de participer effectivement à la vie culturelle 
			(47) 
			Voir supra, note n° 45, p. 6 et paragraphes
65-68.. Dans ce contexte, les processus de décentralisation sont d’une importance majeure 
			(48) 
			Voir supra, note n° 45, paragraphe 67. .
56. L’article 3.1 du projet de protocole compris dans la Recommandation 1201 (1993) affirme le droit de toute personne appartenant à une minorité nationale «d’exprimer, de préserver et de développer en toute liberté son identité (…) culturelle, sans être soumise contre sa volonté à aucune tentative d’assimilation».
57. Certains éléments d’expression sont davantage susceptibles d’être protégés par le biais de procédures judiciaires. Certains jugent qu’il serait préférable, lorsqu’un problème touche tout un groupe, que ce groupe lui-même porte l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme (par exemple pour faire protéger l’autonomie culturelle du groupe concerné).

4.3.4. Droit de prendre des décisions sur différentes formes d’autonomie, conformément aux pratiques européennes et aux traditions régionales ou nationales

58. La Convention-cadre ne prévoit pas le droit des personnes appartenant à des minorités nationales à l’autonomie, qu’elle soit culturelle ou territoriale. Cependant, dans son deuxième commentaire thématique, le Comité consultatif a examiné le fonctionnement et l’impact des mécanismes existants d’autonomie territoriale et culturelle sur la participation des personnes appartenant à des minorités nationales dans les Etats parties où ils existent. Il estime que «dans les Etats parties ayant mis en place des dispositions en matière d’autonomie territoriale, pour des raisons historiques, politiques ou autres, ces mesures peuvent favoriser une participation plus effective des personnes appartenant à des minorités nationales à divers domaines de la vie» 
			(49) 
			Ibid.,
paragraphe 134. .
59. L’article 11 du protocole à la Convention proposé dans la Recommandation 1201 (1993) prévoit pour les minorités nationales le droit à l’autonomie:
«Dans les régions où elles sont majoritaires, les personnes appartenant à une minorité nationale ont le droit de disposer d’administrations locales ou autonomes appropriées, ou d’un statut spécial, correspondant à la situation historique et territoriale spécifique, et conformes à la législation nationale de l’Etat.»
60. Comme l’affirme M. Worms dans son exposé des motifs 
			(50) 
			Voir supra, note n° 35., ce droit peut avoir des prolongements politiques, les Etats ne souhaitant pas porter atteinte au principe de leur intégrité territoriale. Cependant, le projet d’article a été rédigé avec le souci de préserver en toutes circonstances l’intégrité de l’Etat: les contacts avec les ressortissants d’un autre pays doivent se faire dans le respect de ce principe et sont soumis à la possibilité de dérogation prévue à l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme (c’est le seul cas où le projet de protocole prévoit que cette clause dérogatoire puisse jouer). Ainsi, la mention du droit à l’autonomie dans un protocole additionnel pourrait être utile, le Comité consultatif ayant montré qu’il pouvait avoir un impact positif sur la participation des minorités nationales dans divers domaines; cependant, une telle disposition demande à être rédigée avec prudence.

4.3.5. Droit d’utiliser librement la langue minoritaire dans la vie privée et publique, notamment avec les autorités administratives ou le système judiciaire dans les zones où les minorités nationales représentent un pourcentage important de la population régionale ou locale

61. Les droits linguistiques des personnes appartenant à des minorités nationales sont garantis comme éléments de la liberté d’expression dans la Convention européenne des droits de l’homme (article 10); cependant, la jurisprudence de la Cour ne les protège parfois que faiblement 
			(51) 
			Voir,
par exemple, les affaires Kuharec alias
Kuhareca c. Lettonie, décision du 7 décembre 2004, Requête
n° 71557/01, et Bulgakov c. Ukraine,
arrêt du 11 septembre 2007, Requête n° 59894/00, portant toutes
deux sur l’application de l’orthographe majoritaire au nom des requérants
sur les documents officiels. Les requérants sont d’ethnie russe
et vivent respectivement en Lettonie et en Ukraine. Dans l’affaire Kuharec, le patronyme de la requérante
a été translittéré en Kuhareca par
les autorités lettones délivrant le passeport pour le mettre en
conformité avec les règles de grammaire lettones. La requête, sous
l’angle de l’article 8 de la Convention, a été déclarée irrecevable,
la Cour jugeant que l’ingérence était minime et rentrait dans la
marge d’appréciation de l’Etat. Dans l’affaire Bulgakov, le prénom et le patronyme
du requérant ont été transformés en leur équivalent ukrainien sur
son passeport interne; il ne s’agit plus d’une translittération
mais d’un changement de nom, Dmitriy Vladimirovich devenant Dmytro
Volodymyrovych. La Cour européenne des droits de l’homme a rejeté
la requête car il existait une voie de recours interne permettant
de changer de nom, que le requérant n’avait pas utilisée; cependant,
il semble que les noms en tant qu’éléments de la culture d’un groupe
minoritaire puissent bénéficier d’une protection à travers des requêtes
individuelles. . Ces droits sont aussi prévus aux paragraphes 32.1 et 34 du Document de Copenhague. Ils sont garantis par les articles 9 à 11 de la Convention-cadre et, plus en détail, par la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Cependant, la formulation des articles 9 à 11 de la Convention-cadre, et notamment l’expression «les Parties s’engagent à reconnaître…», ne donne pas beaucoup de force à ces droits.
62. L’article 7 du protocole à la Convention proposé dans la Recommandation 1201 (1993) prévoit des droits linguistiques. Comme M. Worms, je pense que la mention de ces droits dans un protocole additionnel à la Convention serait nécessaire compte tenu de la spécificité de la protection offerte par les mécanismes de la Convention 
			(52) 
			Voir supra, note n° 35..

4.4. Défense en justice

63. En cas d’adoption d’un protocole sur les droits des minorités, la Cour européenne des droits de l’homme pourrait recevoir, en vertu de l’article 34 de la Convention 
			(53) 
			«Article 34 (requêtes
individuelles): La Cour peut être saisie d’une requête par toute
personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout
groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par
l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans
la Convention ou ses protocoles. Les Hautes Parties contractantes
s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace de
ce droit.», des requêtes individuelles concernant les droits qui y sont prévus de la part de personnes appartenant à des minorités nationales et à des groupes minoritaires nationaux.
64. Dans l’état actuel des choses, les requêtes portant sur les droits des minorités peuvent être individuelles ou collectives. Elles peuvent être déposées par des particuliers, par des groupes de particuliers ou par des organisations non gouvernementales. Comme l’a remarqué M. Gilbert lors de l’audition de juin 2011, sur le plan de la procédure, rien n’empêche la Cour européenne des droits de l’homme d’accepter des requêtes d’une personne ou d’un groupe de personnes appartenant à une minorité nationale si les intéressés peuvent se prouver victimes d’une violation d’un droit garanti par la Convention. Dans la pratique, cependant, pour diverses raisons – y compris des questions de forme, ce type de requête n’aboutit pas 
			(54) 
			Dans l’affaire Noack et autres c. Allemagne, par
exemple, portant sur le déplacement d’un village sorabe, la Cour
a considéré que l'un des requérants, une association, n’avait pas
qualité pour introduire une requête dirigée contre une mesure frappant
ses membres.. En effet, la Convention a été conçue pour protéger des droits individuels et les groupes minoritaires ne peuvent pas toujours montrer qu’ils sont victimes en tant que groupe, au-delà de leurs membres.
65. Si un protocole à la Convention est adopté, les groupes minoritaires nationaux auront la possibilité de déposer de telles requêtes devant la Cour, à condition de pouvoir montrer qu’ils sont victimes d’une violation du protocole. A chaque nouvelle affaire cependant, les détenteurs des droits devront attester leur statut de victimes des violations alléguées. Compte tenu du Protocole n° 14, comme le souligne M. Gilbert, il est possible que les groupes aient encore plus de difficultés à déposer une requête devant la Convention. Le Protocole n° 14 a modifié l’article 35 de la Convention pour ajouter un nouveau critère de recevabilité: le requérant doit avoir subi un «préjudice important» 
			(55) 
			Article
12 du Protocole n° 14. L’article 35.3 se lit donc comme suit: 
			(55) 
			«3.
La Cour déclare irrecevable toute requête individuelle introduite
en application de l’article 34 lorsqu’elle estime: 
			(55) 
			a. que la requête est incompatible
avec les dispositions de la Convention ou de ses protocoles, manifestement
mal fondée ou abusive; ou 
			(55) 
			b.
que le requérant n’a subi aucun préjudice important, sauf si le
respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses
protocoles exige un examen de la requête au fond et à condition
de ne rejeter pour ce motif aucune affaire qui n’a pas été dûment
examinée par un tribunal interne.» .
66. D’après M. Drzewicki, le recours aux requêtes individuelles pourrait affaiblir la position du Comité consultatif et sa jurisprudence. Par conséquent, le Comité consultatif devrait jouer le rôle d’un intermédiaire entre la Cour et les gouvernements, et développer la jurisprudence sur les droits des minorités pour les besoins du recours à la Cour 
			(56) 
			M.
Drzewicki est également favorable aux réclamations collectives,
qui pourraient être ajoutées à la Convention-cadre en s’inspirant
du mécanisme de réclamations collectives de la Charte sociale européenne.
Ce mécanisme aurait l’avantage d’éviter aux groupes minoritaires
nationaux de devoir remplir les critères rigoureux de la Convention concernant
le statut de victime. Voir aussi Drzewicki K., «Advisability and
feasibility of establishing a complaints mechanism for minority
rights», in Security and Human Rights,
2010, n° 2, p. 45-59..
67. Comme l’a souligné M. Gilbert, un protocole consacré aux droits des minorités nationales et des personnes appartenant à ces minorités aurait un avantage par rapport au mécanisme onusien. Bien que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques mentionne expressément les droits des personnes appartenant à des minorités nationales (article 27), seuls des particuliers peuvent présenter une communication au Comité des droits de l’homme, conformément au premier protocole facultatif. En outre, un particulier ne peut présenter de communication portant sur le droit à l’autodétermination prévu à l’article premier car il s’agit d’un droit des peuples.

4.5. Pour une pleine mise en œuvre des droits

68. Les compensations possibles devant la Cour européenne des droits de l’homme sont financières («satisfaction équitable», c’est-à-dire le paiement d’une indemnité) alors que les minorités nationales souhaitent des changements législatifs et politiques. Cependant, l’exécution des arrêts de la Cour constatant des violations de la Convention peut parfois entraîner d’importants changements dans la législation et la pratique de l’Etat défendeur puisqu’en vertu de l’article 46 de la Convention, les Etats doivent adopter des «mesures générales» visant à éviter de nouvelles violations à l’avenir. Les mesures générales requises par le Comité des Ministres dans le cadre de son travail d’examen de l’exécution des arrêts peuvent améliorer la situation de toute une communauté. 
			(57) 
			Voir, en particulier, Sidiropoulos et autres c. Grèce, arrêt
du 10 juillet 1998, Requête n° 26695/95 et la Résolution du Comité
des Ministres DH(2000)99 du 24 juillet 2000..

5. Inconvénients d’un protocole additionnel et idée de «lignes directrices sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales»

69. Comme l’a souligné M. Gilbert lors de l’audition, plusieurs facteurs pèsent contre la promotion d’un protocole additionnel à la Convention: le retard du traitement des affaires par la Cour en raison de sa surcharge de travail, les compensations limitées offertes par la Cour, la nature même d’une réponse judiciaire pour ce domaine du droit international, le risque de doublons et de confusion avec les travaux du Comité consultatif et, enfin, le manque général de volonté politique de protéger les groupes minoritaires au niveau international.
70. M. Gilbert propose par conséquent d’encourager une meilleure communication entre la Cour et le Comité consultatif, par exemple en élaborant des «lignes directrices sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales»; ces lignes directrices pourraient être rédigées par des universitaires, des magistrats et des parlementaires, par exemple sous la forme d’un commentaire général. Elles aideraient la Cour à interpréter la Convention sur ce sujet 
			(58) 
			Les lignes
directrices ont été utilisées avec succès par le Haut-Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés pour fournir aux tribunaux des
Etats appliquant la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés
et son protocole de 1967 des analyses et des approfondissements
de diverses dispositions concernant la détermination du statut de
réfugié. . Elles pourraient couvrir chaque disposition de la Convention et de ses protocoles, afin d’attirer l’attention de la Cour sur un contexte plus large que les seules requêtes individuelles. Compte tenu de la nécessité d'obtenir un élan politique avant de pouvoir adopter puis faire ratifier un protocole additionnel, des lignes directrices seraient plus rapides, iraient plus loin et encourageraient la cohérence entre tous les domaines couverts par le Conseil de l’Europe.

6. Conclusion

71. Ce n’est pas la première fois que la commission des questions juridiques et des droits de l'homme et l’Assemblée examinent la question de l’adoption d’un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme en vue de renforcer la protection des minorités nationales. Le protocole proposé par la Recommandation 1201 (1993) de l’Assemblée n’a pas été suivi et ses idées, datant de 1993, ne peuvent être reprises aujourd’hui. Depuis, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales et le Protocole n° 12 à la Convention. Malgré certains progrès accomplis dans les Etats membres qui ont ratifié la Convention-cadre et/ou la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, ce sujet n’a pas perdu de son importance et il est urgent de trouver des solutions efficaces. De nombreuses minorités se trouvent toujours dans une situation précaire car les Etats préfèrent promouvoir et appliquer un modèle culturel unique qui, très souvent, ne tient pas compte d’une réalité plus diversifiée.
72. Comme l’a souligné M. Drzewicki lors de l’audition, des décennies de débats ont montré un large soutien en faveur d’un mécanisme de réclamations sur les droits des minorités parmi les parlementaires et la société civile, y compris les minorités nationales elles-mêmes. Cette attitude n’est pas entièrement partagée par les gouvernements, malgré le cadre démocratique et les mécanismes prévus par les systèmes constitutionnels des Etats membres du Conseil de l’Europe. Il semble ici que les mécanismes démocratiques ne fonctionnent pas de manière satisfaisante. Il est temps, à mes yeux, de supprimer cet écart entre la volonté des sociétés et de leurs représentants démocratiquement élus et celle des gouvernements, et donc d’adopter un protocole additionnel à la Convention garantissant des droits minimaux aux minorités nationales.
73. Beaucoup de raisons poussent à envisager un protocole additionnel à la Convention. En premier lieu, tout droit doit s’accompagner d’un recours. Les droits énoncés dans la Convention-cadre ne peuvent être défendus en justice, puisqu’ils ne peuvent être invoqués devant la Cour européenne des droits de l’homme, alors que l’article 34 de la Convention permet à des groupes de particuliers d’être considérés comme victimes devant la Cour.
74. Un tel protocole aurait aussi pour avantage de permettre à tout ou partie des dispositions de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales d’être mises en œuvre par la Cour européenne des droits de l’homme, qui pourrait s’appuyer sur la «jurisprudence» du Comité consultatif. Les normes minimales prévues par le protocole additionnel devraient porter sur les éléments suivants:
  • le droit de chacun d'exprimer librement son appartenance à une minorité nationale;
  • les droits politiques (comme la liberté d’association, la création de partis politiques, la participation aux élections, la représentation au sein des instances publiques aux niveaux national et régional);
  • les droits culturels, y compris le droit à l’autonomie culturelle comme principal moyen de préserver l’identité nationale;
  • le droit de prendre des décisions sur différentes formes d’autonomie, conformément aux pratiques européennes et aux traditions régionales ou nationales;
  • le droit d’utiliser librement la langue minoritaire dans la vie privée et publique, notamment avec les autorités administratives ou le système judiciaire dans les zones où les minorités nationales représentent un pourcentage important de la population régionale ou locale.
75. Je suis convaincu que l’intégration de ces droits dans un texte juridique contraignant, à savoir un protocole additionnel à la Convention, serait l’unique façon de contrer la discrimination à l’encontre des minorités nationales au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe. L’Assemblée, qui veille au respect des principes de la démocratie, de la primauté du droit et des droits de l’homme, devrait par conséquent inviter de nouveau le Comité des Ministres à rédiger un tel protocole.
76. La rédaction, l’adoption et la ratification d’un tel protocole peuvent prendre des années. Par conséquent, comme le suggère M. Gilbert, une procédure parallèle serait nécessaire: avant que les membres du Conseil de l’Europe n’adoptent un protocole additionnel à la Convention, une réponse plus rapide, comme des lignes directrices sur les droits des minorités nationales destinées à orienter les juristes auprès de la Cour, pourrait être élaborée.
77. Dans tous les cas, les membres de l’Assemblée devraient commencer à promouvoir activement l’adoption d’un protocole additionnel à la Convention au niveau national, auprès de leurs parlements comme de leurs gouvernements. Sans volonté politique, aucune des propositions avancées ci-dessus n’aura de suite. J’appelle donc mes collègues de l’Assemblée à donner de l’élan à l’idée d’un protocole additionnel, dans le sillage des résolutions et recommandations antérieures.