1. Introduction
1. La proposition de recommandation intitulée «Rédaction
d’un protocole additionnel à la Convention européenne des droits
de l’homme: normes minimales pour les minorités nationales» (
Doc. 11897) a été renvoyée le 20 novembre 2009 à la commission
des questions juridiques et des droits de l’homme, pour rapport.
A sa réunion du 16 décembre 2009, la commission m’a désigné rapporteur.
2. Lors de sa réunion des 6 et 7 juin 2011 à Oslo, la commission
a tenu un échange de vues avec la participation des deux experts
suivants:
- M. Geoff Gilbert,
professeur de droit, rédacteur en chef de l’International
Journal of Refugee Law, faculté de droit et Centre des
droits de l’homme de l’université d’Essex, Royaume-Uni;
- M. Krzysztof Drzewicki, professeur de droit, ministère
polonais des Affaires étrangères (Varsovie), ancien conseiller juridique
principal au Bureau du Haut-Commissaire de l’OSCE pour les minorités nationales.
3. La proposition de recommandation susmentionnée met l’accent
sur la nécessité d’adopter un protocole additionnel à la Convention
européenne des droits de l’homme (STE n° 5, «la Convention») permettant d’énoncer
et de garantir des normes minimales pour les minorités nationales
dans le cadre du Conseil de l’Europe. Cette nécessité découle de
l’insuffisance du cadre juridique actuel en matière de protection
des minorités.
4. Il conviendrait en effet d’établir à l’égard des minorités
nationales et de leurs membres des normes minimales contraignantes,
afin de garantir l’égalité de traitement aux populations majoritaires
comme minoritaires et de faire disparaître les différences à cet
égard entre les Etats membres du Conseil de l’Europe.
5. Le Conseil de l’Europe a joué un rôle précurseur en adoptant
d’une part la Convention-cadre pour la protection des minorités
nationales (STE n° 157, «la Convention-cadre») et, d’autre part,
la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (STE
n° 148, «la Charte»). La plupart des pays reconnaissent désormais
l’apport positif des minorités nationales au sein des sociétés où
elles vivent. Cependant, ces instruments juridiques semblent insuffisants,
notamment parce qu’ils sont relativement souples et parce qu’ils ne
s’appliquent pas à la totalité des Etats membres du Conseil de l’Europe.
6. Il convient de noter que certains Etats refusent de signer
et/ou de ratifier ces instruments. Ce refus a récemment été étudié
en détail par la commission
.
7. La non-ratification de la Convention-cadre et de la Charte
par certains Etats membres a pour effet que dans ces pays, les minorités
nationales sont victimes de discrimination à la fois collective
et individuelle, étant privées de certains droits fondamentaux tels
que la liberté d’association, la représentation politique, l’instruction
dans la langue maternelle ou la libre utilisation de la langue minoritaire
en public. Toutefois, il en va de même dans certains pays qui ont
ratifié ces instruments juridiques mais ne les appliquent pas de
façon satisfaisante.
8. Je commencerai mon exposé par une présentation des principaux
instruments du Conseil de l’Europe en matière de protection des
minorités nationales et par un tour d’horizon des travaux précédemment
menés sur le sujet par l’Assemblée et la commission. J’essaierai
d’énoncer succinctement les principales inquiétudes concernant la
mise en œuvre de ces instruments dans la pratique. Je m’efforcerai
ensuite d’expliquer pourquoi il est nécessaire d’adopter un protocole
additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme sur
les normes minimales de protection des minorités nationales, en
exposant les avantages d’un tel protocole. Je remercie chaleureusement
les experts qui ont participé à l’échange de vues du 6 juin 2011
pour avoir accepté de m’assister dans cette tâche.
2. Cadre juridique international
et européen
9. Il convient de rappeler qu’il n’existe pas de définition
bien établie de l’expression «minorité nationale» en droit international.
Cependant, l’article 27 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques des Nations Unies du 16 décembre 1966 affirme
que «dans les Etats où il existe des minorités ethniques, religieuses
ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent
être privées du droit d’avoir, en commun avec les autres membres
de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur
propre religion, ou d’employer leur propre langue»
.
10. Dans le cadre onusien, on notera l’adoption en septembre 2007
par l’Assemblée générale des Nations Unies de la Déclaration sur
les droits des peuples autochtones
, qui affirme notamment que les peuples autochtones
ont le droit à l’autodétermination et qu’en vertu de ce droit ils
déterminent librement leur statut politique et œuvrent librement
à leur développement économique, social et culturel.
11. Au niveau européen, les Etats participants de l’Organisation
pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ont signé en
1990 le Document de Copenhague, qui comportait de nombreux engagements
nouveaux dans les domaines – entre autres – des droits de l’homme
et de la prééminence du droit
. Ce document mentionne également
les droits des minorités nationales, sujet qui n’avait jusqu’alors
pas beaucoup attiré l’attention. Le document de Copenhague propose
une définition du terme «minorité nationale» et une liste des droits
des minorités. A la suite de sa signature, un Haut-Commissaire de
l’OSCE pour les minorités nationales (HCNM) a été mis en place en
1992. Bien que son mandat consiste avant tout à signaler les tensions
au plus vite et à prévenir les conflits, le HCNM a élaboré un ensemble
complet de recommandations (à caractère non contraignant)
.
3. La protection renforcée des
minorités dans le cadre du Conseil de l’Europe
3.1. La Convention européenne des
droits de l’homme et les minorités nationales
12. La Convention européenne des droits de l’homme ne
confère pas de droits spécifiques aux minorités nationales, quoiqu’elle
garantisse certains droits pertinents dont les membres de minorités
peuvent jouir à titre individuel. Il s’agit notamment du droit à
la liberté d’expression (article 10), de la liberté de pensée, de conscience
et religion (article 9), de la liberté de réunion et d’association
(article 11), du droit d’un accusé d’être informé de la nature des
charges portées contre lui dans une langue qu’il comprend (article
6, paragraphe 3.
a), de l’interdiction
de la discrimination fondée sur «l’appartenance à une minorité nationale»
(article 14), du droit à l’instruction (article 2 du Protocole n°
1) ou du droit à des élections libres (article 3 du Protocole n°
1). En vertu de l’article 34 de la Convention, les personnes appartenant
à des minorités nationales peuvent invoquer ces droits directement
devant la Cour européenne des droits de l’homme. Cependant, dans
des affaires concernant les minorités nationales, l'apport de la
jurisprudence de la Cour a été assez modeste. Dans l’affaire
Gorzelik c. Pologne par exemple,
quoique reconnaissant l’importance de la protection de ces minorités
pour la stabilité, la sécurité démocratique et la paix en Europe,
la Cour conclut: «(…) on ne saurait affirmer que le droit international
oblige les Etats contractants à adopter une notion particulière
de "minorité nationale" dans leur législation ou à introduire une
procédure de reconnaissance officielle des groupes minoritaires»
.
13. L’adoption du Protocole n° 12 à la Convention et son entrée
en vigueur le 1er avril 2005 a constitué
une avancée dans la protection des minorités nationales contre la
discrimination. L’article premier de ce protocole crée une interdiction
générale de discrimination dans la jouissance de «tout droit prévu
par la loi» (paragraphe 1), interdiction qui s’applique à tous les
actes des autorités publiques (paragraphe 2). Par conséquent, toute discrimination
envers une personne appartenant à une minorité nationale, y compris
fondée sur cette appartenance, tombe sous le coup de cette interdiction
générale. Malheureusement, la portée géographique de la protection
assurée par le Protocole n° 12 est limitée, seuls 18 des 47 Etats
membres du Conseil de l’Europe l’ayant ratifié à ce jour.
3.2. La Convention-cadre pour la
protection des minorités nationales
14. La Convention-cadre pour la protection des minorités
nationales
, élaborée au sein du Conseil de l’Europe
par le Comité ad hoc pour la protection des minorités nationales
(CAHMIN) sous l’autorité du Comité des Ministres, a été adoptée
par le Comité des Ministres le 10 novembre 1994 et ouverte à la
signature des Etats membres le 1er février
1995. Entrée en vigueur le 1er février
1998, elle a été ratifiée à ce jour par 39
des 47 Etats membres. Sa rédaction
a été une conséquence directe du rejet de la
Recommandation 1201 (1993) de l’Assemblée relative à un protocole additionnel à
la Convention européenne des droits de l’homme (voir ci-dessous,
paragraphe 33).
15. A ce jour, quatre Etats – la Belgique, la Grèce, l’Islande
et le Luxembourg – ont signé la Convention-cadre mais ne l’ont pas
ratifiée et quatre autres – Andorre, la France, Monaco et la Turquie
– ne l’ont ni signée ni ratifiée.L’Assemblée
a exhorté à plusieurs reprises les Etats membres concernés à signer
et/ou ratifier la Convention-cadre
.
16. Face aux échecs des tentatives précédentes, souvent plus ambitieuses,
telles que les recommandations de l’Assemblée (voir ci-dessous),
la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales
repose sur un cadre juridique particulièrement souple. Il s’agit
d’un texte détaillé mais qui ne porte que sur des principes, sans
véritable mécanisme de contrôle contraignant.
17. Remarquons tout d’abord que la Convention-cadre elle-même
ne définit pas les groupes de personnes qui ont droit à la protection
qu’elle prévoit. Par conséquent, sa portée reste l’un des points
les plus controversés de sa mise en œuvre, bien que le Comité consultatif
de la Convention-cadre («le Comité consultatif») ait tenté de l’élucider
à travers ses commentaires thématiques
.
18. Les Etats parties ont une grande latitude dans la détermination
de la portée de la Convention-cadre, dont les dispositions offrent
une série d’objectifs que ces Etats s’engagent à atteindre
.
Bien que ces dispositions ne soient pas directement exécutoires,
les Parties doivent respecter les principes généraux de droit international
et les principes fondamentaux énoncés à l’article 3 de la Convention-cadre,
aux termes duquel «toute personne appartenant à une minorité nationale
a le droit de choisir librement d’«être traitée ou de ne pas être
traitée comme telle» (paragraphe 1). En outre, le Comité consultatif
de la Convention-cadre a souligné à plusieurs reprises que l’interprétation
du texte par les Etats parties ne pouvait entraîner de distinctions arbitraires
ou injustifiées
. La mise en œuvre de la Convention-cadre
par les Etats parties se caractérise par une grande diversité de
méthodes, allant d’approches minimalistes (par exemple restreignant
son application aux minorités dites «historiques» ou à certaines
minorités choisies tout en refusant arbitrairement la reconnaissance
des autres) à des approches plus ouvertes et généreuses.
19. L’Assemblée a, dans un premier temps, critiqué le texte de
la Convention-cadre, jugé trop faible
.Cependant,
la Convention-cadre est le premier traité multilatéral consacré
à la protection des minorités nationales en Europe. Elle reconnaît
aux minorités des droits collectifs exercés non à titre individuel,
mais par l’ensemble du groupe minoritaire.Le
Comité consultatif assure le suivi de la mise en œuvre de la Convention-cadre;
cet instrument conventionnel classique se situe dans un cadre intergouvernemental,
qui ne va pas au-delà des conventions et déclarations des Nations
Unies et du Conseil de l’Europe.
20. La prééminence de l’Etat ou de la langue nationale est souvent
mise en avant. Les groupes minoritaires ne sont pas directement
destinataires des normes juridiques décrites dans la Convention-cadre.
Seuls les Etats parties peuvent se prévaloir des dispositions de
la Convention-cadre. De plus, la portée de certains articles est
limitée par des expressions vagues comme «dans la mesure du possible»
(article 9.3 par exemple) et «si nécessaire» (articles 12 et 18
par exemple)
.
21. Cet instrument juridique permet, par sa flexibilité, de s’adapter
à la situation des Etats parties, mais n’est pas assez incisif pour
offrir une protection efficace aux minorités. Il s’inscrit en effet
dans un cadre strictement interétatique et toute modification de
ses dispositions suppose un consensus politique au sein du Comité
des Ministres. En cas de désaccord politique, le processus décisionnel
au Comité des Ministres est bloqué
.
22. De ce fait, la Convention-cadre est intimement liée à la nécessité
d’une adhésion politique des Etats parties, ce qui peut limiter
son étendue, son interprétation et sa mise en œuvre, d’où l’idée
d’un protocole additionnel à la Convention européenne des droits
de l’homme, sur la protection des minorités, qui constituerait un
outil efficace puisque les membres de groupes minoritaires pourraient
se prévaloir directement et individuellement de ses dispositions.
3.3. La Charte européenne des langues
régionales ou minoritaires
23. La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires
a été adoptée en 1992 dans le but de protéger et de favoriser les
langues historiques régionales, et les langues des minorités en
Europe
. Elle est entrée en vigueur le 1er mars
1998.
24. La Charte est un instrument «à géométrie variable», puisqu’elle
propose un grand nombre d’actions différentes que les Etats signataires
peuvent entreprendre pour protéger et favoriser les langues régionales
ou minoritaires, comme l’utilisation d’une signalisation routière
bilingue ou encore l’ouverture d’écoles spécialisées dans l’enseignement
d’une langue protégée. Les Etats doivent sélectionner et appliquer
au moins 35 de ces actions
.
25. A ce jour, la Charte a été ratifiée par 25 Etats: Allemagne,
Arménie, Autriche, Bosnie-Herzégovine, Chypre, Croatie, Danemark,
Espagne, Finlande, Hongrie, Liechtenstein, Luxembourg, Monténégro,
Norvège, Pays-Bas, Pologne, République slovaque, République tchèque,
Roumanie, Royaume-Uni, Serbie, Slovénie, Suède, Suisse et Ukraine.
Huit autres l’ont simplement signée: Azerbaïdjan, «l'ex-République
yougoslave de Macédoine», Fédération de Russie, France, Islande,
Italie, Malte et République de Moldova. L’Assemblée a déploré à
plusieurs reprises que presque la moitié des Etats membres du Conseil
de l’Europe n’ait pas encore adhéré à cet instrument juridique
.
3.4. Le travail précurseur de l’Assemblée
parlementaire
26. Au début des années 1950 déjà, l’Assemblée réfléchissait
au meilleur moyen de protéger les droits des minorités nationales;
en 1961, dans sa
Recommandation
285 (1961) relative aux droits des minorités nationales, elle propose
d’ajouter une disposition sur les minorités à la Convention européenne
des droits de l’homme. Cette tentative est écartée du fait du caractère
abstrait et flou du concept de protection des minorités nationales,
mais le critère de «l’appartenance à une minorité nationale» est
ajouté à la Convention dans la liste des motifs interdits de différence
de traitement (article 14)
.
27. Le Conseil de l’Europe s’oriente ensuite vers une protection
plus sectorielle visant à préserver la culture des groupes minoritaires
en Europe. Dans sa
Recommandation
285 (1961), l’Assemblée propose d’ajouter au Protocole n° 4 à la
Convention une disposition relative à la protection des minorités,
ce qui cependant n’est pas accepté par le Comité des Ministres.
28. Si l’idée d’instaurer des normes juridiques protégeant les
droits des minorités n’est pas récente, elle ne sera relancée et
développée par l’Assemblée qu’au début des années 1990. La transition
démocratique dans les pays d’Europe centrale et orientale fait en
effet resurgir les problèmes liés aux minorités en Europe, longtemps
refoulés artificiellement sous les régimes totalitaires.
29. En octobre 1990, l’Assemblée adopte la
Recommandation 1134 (1990) relative aux droits des minorités, sur la base d'un
rapport présenté par M. Joseph Brincat (
Doc. 6294). Pour la première fois, cette recommandation conseille
au Comité des Ministres d’élaborer un protocole additionnel à la
Convention ou une convention spéciale visant la protection des minorités
nationales. L’Assemblée note que des mesures générales d’interdiction
de la discrimination sont nécessaires, mais préconise aussi la mise
en place de mesures spéciales en faveur des minorités, telles que
le droit d’entretenir des contacts au-delà des frontières et le
droit de disposer de leurs propres institutions et de participer
pleinement aux décisions relatives à l’enseignement de leur langue
maternelle, ce qui suppose
in fine l’adoption
de mesures positives par les Etats. Certes, le Comité des Ministres
ne donne pas suite à cette proposition
, mais la référence
au concept de droits collectifs des minorités est une innovation
qui fera son chemin.
30. En février 1992, l’Assemblée adopte la
Recommandation 1177 (1992) relative aux droits des minorités, dans laquelle elle
se prononce en faveur de l’adoption d’un protocole additionnel à
la Convention (paragraphe 12) et d’une déclaration qui énoncerait
les principes fondamentaux concernant les droits des minorités nationales
(paragraphe 13). L’Assemblée note que le Comité des Ministres a
chargé le Comité directeur pour les droits de l’homme d’élaborer
une proposition de Convention européenne pour la protection des
minorités. Cependant, elle n’est pas convaincue par le mécanisme
de supervision proposé et insiste pour qu’un protocole additionnel
à la Convention européenne des droits de l’homme soit élaboré. C’est
ainsi qu’est adoptée en janvier 1993 la
Recommandation 1201 (1993) relative à un protocole additionnel à la Convention
européenne des droits de l’homme sur les droits des minorités nationales,
contenant le projet de protocole.
31. Ce projet de protocole reconnaît les droits individuels des
membres des minorités et donne une définition du terme de «minorité
nationale». Il est remarquable en ce qu’il reconnaît des droits
en matière éducative et linguistique et accorde une certaine autonomie
aux groupes minoritaires dans les régions où ils sont majoritaires.
Certes, la
Recommandation
1201 (1993) n’est pas contraignante, mais elle fait alors partie des
engagements souscrits par les Etats membres adhérant au Conseil
de l’Europe et est intégrée en tant que document de référence dans
des traités bilatéraux
.
32. L’idée d’un protocole additionnel à la Convention est soumise
aux chefs d’Etat et de gouvernement réunis en sommet à Vienne le
9 octobre 1993. Ces derniers invitent le Comité des Ministres à
«rédiger à bref délai une convention-cadre précisant les principes
que les Etats contractants s'engagent à respecter pour assurer la
protection des minorités nationales» et à «engager les travaux de
rédaction d’un protocole complétant la Convention européenne des
droits de l’homme dans le domaine culturel par des dispositions garantissant
des droits individuels, notamment pour les personnes appartenant
à des minorités nationales»
. Le 4 novembre 1993, le Comité des Ministres
met en place à cet effet un Comité ad hoc pour la protection des minorités
nationales (CAHMIN).
33. Dans sa
Recommandation
1231 (1994) sur les suites à donner au Sommet de Vienne, l’Assemblée regrette
vivement que le Sommet de Vienne n’ait pas donné suite à sa
Recommandation 1201 (1993) et recommande au Comité des Ministres de revenir sur
sa décision
. Aux yeux de l’Assemblée, il aurait
au moins fallu adopter une convention-cadre et un protocole additionnel
sur les droits culturels pour refléter les principes formulés par
la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE)
et dans le Document de Copenhague
.
34. La Convention-cadre a été adoptée par le Comité des Ministres
le 10 novembre 1994, et le CAHMIN a continué ses travaux de rédaction
d’un protocole complétant la Convention européenne des droits de
l’homme dans le domaine culturel par des dispositions garantissant
des droits individuels, notamment pour les personnes appartenant
à des minorités nationales
. Cependant, dans sa
Recommandation 1255 (1995) relative à la protection des droits des minorités nationales,
l’Assemblée estime que la Convention-cadre constitue un instrument
trop faible, en raison des termes vagues qu’elle emploie et de son
mécanisme de suivi trop souple, laissant trop de latitude aux Etats
membres. Rappelant les principes énoncés dans sa
Recommandation 1201 (1993), elle recommande à nouveau au Comité des Ministres de
préparer un protocole additionnel à la Convention européenne des
droits de l’homme garantissant des droits culturels aux personnes appartenant
à des minorités nationales. Malgré cette recommandation, le Comité
des Ministres décide en janvier 1996 de suspendre le mandat du CAHMIN
sur
le sujet et «de poursuivre la réflexion sur la faisabilité d’autres
normes dans le domaine culturel et dans celui de la protection des
minorités nationales», en tenant compte de la Déclaration du Sommet
de Vienne
. Selon
le Comité des Ministres, la rédaction d’un protocole additionnel
à la Convention n'était pas réalisable parce que certains éléments,
comme la définition d’une minorité nationale ou le caractère et
l’étendue de certains droits, n’étaient pas acceptés par tous les
Etats membres
.
35. En 2001, dans sa
Recommandation
1492 (2001) sur les droits des minorités nationales
, l’Assemblée rappelle sa
Recommandation 1201 (1993) et réaffirme la nécessité d’un protocole additionnel
à la Convention consacré aux droits des minorités. Cependant, là
encore, le Comité des Ministres a jugé prématuré de réengager le
débat sur ce sujet, soulignant que le Protocole n° 12, sur le point
d’entrer en vigueur, couvrirait toutes les formes de discrimination
fondée sur l’appartenance à une minorité nationale
.
4. Rédaction d’un protocole additionnel
à la Convention européenne des droits de l’homme
4.1. Principaux éléments à prendre
en compte
36. Comme nous l’avons vu, l’Assemblée a déjà demandé
à plusieurs reprises la rédaction d’un protocole additionnel à la
Convention et, compte tenu des faiblesses des instruments actuels
de protection des minorités nationales, il pourrait aujourd’hui
s’avérer nécessaire d’y revenir.
37. Comme l’a souligné M. Gilbert lors de l’audition de juin 2011,
plusieurs questions sont à régler pour qu’un protocole à la Convention,
sur la protection des minorités nationales et leurs membres, puisse
être adopté: la définition des détenteurs des droits, la teneur
des droits à faire figurer dans le protocole, la possibilité de
les défendre en justice et les types de recours qui pourraient s’avérer
nécessaires pour leur donner pleinement effet.
4.2. Définition des détenteurs des
droits
38. La notion de «minorité nationale» n’est pas définie
en droit international. La Convention-cadre ne définit pas cette
notion, ce qu’on pourrait considérer comme l’une de ses principales
faiblesses, et rend particulièrement difficile de se faire une idée
juste de la situation dans les différents pays
.
39. Lorsque des droits sont conférés à un groupe de personnes
spécifique, comme une minorité nationale, la précision juridique
demande que ce groupe soit clairement défini par la loi. S’il est
adopté, le protocole additionnel relatif aux droits des minorités
nationales devra définir les détenteurs des droits et donc comporter une
définition du terme de «minorité nationale».
40. Le projet de protocole inséré dans la
Recommandation 1201 (1993) proposait, pour le terme de «minorité nationale», la
définition suivante:
«un groupe
de personnes dans un Etat qui: a. résident sur le territoire de
cet Etat et en sont ressortissantes; b. entretiennent des liens
anciens, solides et durables avec cet Etat; c. présentent des caractéristiques
ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques spécifiques;
d. sont suffisamment représentatives, tout en étant moins nombreuses
que le reste de la population de cet Etat ou d’une région de cet
Etat; e. sont animées de la volonté de préserver ensemble ce qui
fait leur identité commune, notamment leur culture, leurs traditions,
leur religion ou leur langue.»
41. Cette définition comprend quatre éléments objectifs –
a,
b,
c et
d –
et un élément subjectif –
e –,
à savoir la volonté des membres d’une minorité de se considérer
comme tels et d’affirmer leur attachement à ce qui leur donne leur
identité spécifique. Il s’agit d’un aspect essentiel puisqu’il évite
la confusion avec les droits des étrangers, des migrants ou des
réfugiés
.
42. Cependant, même si l’Assemblée s'est prononcée en faveur d'une
définition du concept de «minorité nationale», combler cette lacune
ne fait pas consensus. Comme l’a relevé M. Gilbert lors de l’audition
de juin 2011, il y a toujours un risque que les Etats tentent de
reformuler cette définition de manière à en exclure certains groupes.
Les Etats peuvent en outre tenter d’exclure certains groupes en
appliquant des définitions et des interprétations restrictives (ce
qui a déjà été le cas pour la Convention-cadre). M. Gilbert considère
par conséquent qu'il convient de s’abstenir de définir ce qu’est
une minorité nationale, soulignant que la Cour ne le fait pas non
plus.
43. D’autre part, pour toute procédure judiciaire, il est indispensable
de définir clairement les détenteurs des droits. L’absence de définition
du terme de «minorité nationale» laisserait trop de place aux interprétations
et ne pourrait qu’entraîner des discussions sans fin entre la Cour
et les Etats défendeurs au cours des procédures judiciaires. Ce
point demanderait donc plus ample réflexion de la part des groupes
d’experts chargés d’élaborer le projet de protocole additionnel.
La définition proposée dans la
Recommandation 1201 (1993) pourrait servir de base aux discussions.
4.3. Etendue des droits
44. Comme l’a souligné M. Drzewicki lors de l’audition,
deux possibilités sont envisageables en vue d’un protocole additionnel
à la Convention. Soit le texte comprend une liste relativement détaillée
de droits minimaux à assurer aux personnes appartenant à des minorités,
soit il offre une formulation générale des droits des minorités
dans des domaines spécifiques assortie de clauses limitatives. La
première possibilité a le mérite d’«imposer» à la Cour le contenu
spécifique des droits en question, et notamment leur champ d’application matériel.
Elle pourrait cependant compliquer les négociations et aboutir à
une version définitive du protocole dans laquelle la teneur matérielle
des droits des minorités serait sérieusement limitée. La seconde
solution est plus souple, car elle laisse à la Cour une grande marge
d’interprétation concernant les normes de protection des minorités
nationales. En outre, comme le proposait la
Recommandation 1255 (1995) au paragraphe 9, le protocole additionnel pourrait reprendre
des droits tirés à la fois de la Convention-cadre et du projet de protocole
additionnel proposé par l’Assemblée dans sa
Recommandation 1201 (1993).
45. En gardant à l’esprit les avantages et les inconvénients de
ces deux solutions, j’estime que le projet de protocole additionnel
pourrait comporter les droits minimaux suivants:
a. le droit de chacun d'exprimer librement
son appartenance à une minorité nationale;
b. les droits politiques (comme la liberté d’association,
la création de partis politiques, la participation aux élections,
la représentation au sein des instances publiques aux niveaux national
et régional);
c. les droits culturels, y compris le droit à l’autonomie
culturelle comme principal moyen de préserver l’identité nationale;
d. le droit de prendre des décisions sur différentes formes
d’autonomie, conformément aux pratiques européennes et aux traditions
régionales ou nationales;
e. le droit d’utiliser librement la langue minoritaire dans
la vie privée et publique, notamment avec les autorités administratives
ou le système judiciaire dans les zones où les minorités nationales représentent
un pourcentage important de la population régionale ou locale.
4.3.1. Droit de chacun d'exprimer
librement son appartenance à une minorité nationale
46. Le droit d’exprimer librement son appartenance à
une minorité nationale est un droit fondamental, inscrit dans l’article
3.1 de la Convention-cadre
. Comme l’affirme
le Document de Copenhague, l’appartenance à une minorité nationale
«est une question relevant d’un choix personnel, et aucun désavantage
ne peut résulter d’un tel choix» (paragraphe 32). Le projet de protocole
compris dans la
Recommandation
1201 (1993) prévoit également ce droit (article 2
).
47. Il découle de ce principe que l’appartenance à une minorité
ne peut être imposée par les pouvoirs publics et que chacun est
libre de modifier ce choix ou de ne s’identifier à aucune minorité
.
De plus, les personnes qui affirment leur appartenance ou non à
une minorité ne devraient subir aucune conséquence négative du fait
de ce choix
.
4.3.2. Droits politiques (liberté
d’association, création de partis politiques, participation aux
élections, représentation au sein des instances publiques aux niveaux
national et régional)
48. L’article 11 de la Convention garantit à chacun la
liberté de réunion et d’association (avec des restrictions prévues
au paragraphe 2). En outre, l’article 7 de la Convention-cadre demande
aux Etats de veiller à assurer à toute personne appartenant à une
minorité nationale le droit à la liberté d’association, ce qui implique
le droit de créer des partis et organisations politiques. Cependant,
il serait utile que le droit des groupes minoritaires nationaux
de créer des associations, y compris des partis politiques, soit
clairement affirmé dans un texte contraignant tel qu’un protocole
à la Convention.
49. Les personnes appartenant à des minorités nationales devraient
jouir de droits leur permettant de prendre part aux affaires publiques.
Tout d’abord, elles devraient pouvoir créer et conserver leurs propres associations
(éducatives, culturelles, religieuses, etc.), être habilitées à
solliciter des contributions volontaires ou des aides publiques
(voir aussi le Document de Copenhague, paragraphes 32.2 et 32.6).
Compte tenu de la fréquence des interdictions de former un parti
politique sur des critères d’appartenance à une minorité nationale
,
une disposition affirmant le droit de créer des partis politiques
serait extrêmement utile. En outre, ces deux droits sont réaffirmés
dans l’article 6 du projet de protocole présenté dans la
Recommandation 1201 (1993) .
50. Bien que le droit à des élections libres soit affirmé de façon
générale dans l’article 3 du Protocole n° 1 à la Convention, il
ne fait l’objet d’aucune autre disposition spécifique, ni dans la
Convention ni dans ses autres protocoles additionnels. En outre,
selon M. Gilbert, l’affaire
Sejdic et
Finci c. Bosnie-Herzégovine montre que le
droit à la participation aux affaires publiques est encore mieux
protégé lorsqu’il est accordé à un groupe
.
51. La participation effective des personnes appartenant à des
minorités nationales aux affaires publiques est également prévue
au paragraphe 35 du Document de Copenhague et à l’article 15 de
la Convention-cadre. Aux termes de ce dernier, «les Parties s’engagent
à créer les conditions nécessaires à la participation effective des
personnes appartenant à des minorités nationales à la vie culturelle,
sociale et économique, ainsi qu’aux affaires publiques, en particulier
celles les concernant». Cela signifie, d’après le rapport explicatif,
que les Etats pourraient promouvoir notamment la participation effective
aux processus de prise de décision et dans les instances élues aux
niveaux national et local, ainsi que des formes décentralisées ou
locales d’administration
.
52. La question de la participation aux affaires publiques a été
étudiée dans le deuxième commentaire thématique du comité consultatif
(«Commentaire sur la participation effective des personnes appartenant
à des minorités nationales à la vie culturelle, sociale et économique,
ainsi qu’aux affaires publiques»
). Selon le comité
consultatif, «la représentation et la participation des personnes
appartenant à des minorités nationales dans les organes élus, l’administration
publique, l’appareil judiciaire et les agences d’application de
la loi sont des conditions nécessaires, mais non suffisantes pour
assurer une participation effective. Leur inclusion dans les organes
élus à différents niveaux dépend en grande partie des traditions
et garanties constitutionnelles offertes par la législation électorale.
Le choix et les modalités du système électoral ont souvent un impact
direct sur le caractère effectif de la participation des minorités
dans les décisions». Le Comité consultatif conclut qu’outre les
possibilités ouvertes par les deux principaux types de système électoral
(majoritaire et proportionnel), il conviendrait de soutenir des
mesures facilitant la représentation des personnes appartenant à
des minorités nationales dans les instances élues: exceptions à
l’exigence de quorum électoral, sièges réservés, droits de «veto»,
etc.
53. Je considère par conséquent qu’une représentation appropriée
des minorités nationales dans les instances publiques, aux niveaux
national et régional, pourrait être garantie par un protocole additionnel
à la Convention, indépendamment du système constitutionnel de l’Etat
concerné. Par exemple, une représentation proportionnelle assurerait
assez bien la participation des personnes appartenant à des minorités
nationales aux affaires publiques, en particulier dans les circonscriptions
où elles constituent une importante part de la population locale.
Dans la pratique, ce système pourrait être associé à d’autres mesures
telles que celles mentionnés dans le commentaire du Comité consultatif.
4.3.3. Droits culturels, y compris
le droit à l’autonomie culturelle comme principal moyen de préserver l’identité
nationale
54. Comme l’a rappelé M. Gilbert lors de l’audition,
l’expression de la culture d’un groupe minoritaire passe bien sûr
par l’art, la littérature, la musique ou le théâtre, mais aussi
par de nombreux autres aspects: utilisation de la langue maternelle,
alphabet différent, noms (en particulier sur les documents officiels),
accès à différents médias. Certains de ces aspects peuvent être
protégés par l’article 8 (droit au respect de la vie privée) et
par l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention.
55. Le droit d’exprimer, de préserver et de développer son identité
culturelle est mentionné dans le Document de Copenhague (paragraphe
32) et garanti par une combinaison de dispositions de la Convention-cadre
(articles 5, 6 et 15). De par son caractère général, le droit à
une identité spécifique touche à tous les autres droits matériels
.
L’accès aux médias est un aspect important des droits culturels:
les personnes appartenant à des minorités nationales doivent pouvoir
créer et utiliser leurs propres médias
.
Le deuxième commentaire thématique du Comité consultatif s’arrête
également sur les droits culturels. Il souligne que la délégation
de compétences en matière culturelle peut jouer un rôle important
pour permettre aux minorités nationales de participer effectivement
à la vie culturelle
. Dans ce contexte, les processus de décentralisation sont
d’une importance majeure
.
56. L’article 3.1 du projet de protocole compris dans la
Recommandation 1201 (1993) affirme le droit de toute personne appartenant à une
minorité nationale «d’exprimer, de préserver et de développer en
toute liberté son identité (…) culturelle, sans être soumise contre
sa volonté à aucune tentative d’assimilation».
57. Certains éléments d’expression sont davantage susceptibles
d’être protégés par le biais de procédures judiciaires. Certains
jugent qu’il serait préférable, lorsqu’un problème touche tout un
groupe, que ce groupe lui-même porte l’affaire devant la Cour européenne
des droits de l’homme (par exemple pour faire protéger l’autonomie
culturelle du groupe concerné).
4.3.4. Droit de prendre des décisions
sur différentes formes d’autonomie, conformément aux pratiques européennes
et aux traditions régionales ou nationales
58. La Convention-cadre ne prévoit pas le droit des personnes
appartenant à des minorités nationales à l’autonomie, qu’elle soit
culturelle ou territoriale. Cependant, dans son deuxième commentaire
thématique, le Comité consultatif a examiné le fonctionnement et
l’impact des mécanismes existants d’autonomie territoriale et culturelle
sur la participation des personnes appartenant à des minorités nationales
dans les Etats parties où ils existent. Il estime que «dans les
Etats parties ayant mis en place des dispositions en matière d’autonomie territoriale,
pour des raisons historiques, politiques ou autres, ces mesures
peuvent favoriser une participation plus effective des personnes
appartenant à des minorités nationales à divers domaines de la vie»
.
59. L’article 11 du protocole à la Convention proposé dans la
Recommandation 1201 (1993) prévoit pour les minorités nationales le droit à l’autonomie:
«Dans les régions où elles sont
majoritaires, les personnes appartenant à une minorité nationale
ont le droit de disposer d’administrations locales ou autonomes
appropriées, ou d’un statut spécial, correspondant à la situation
historique et territoriale spécifique, et conformes à la législation
nationale de l’Etat.»
60. Comme l’affirme M. Worms dans son exposé des motifs
,
ce droit peut avoir des prolongements politiques, les Etats ne souhaitant
pas porter atteinte au principe de leur intégrité territoriale.
Cependant, le projet d’article a été rédigé avec le souci de préserver
en toutes circonstances l’intégrité de l’Etat: les contacts avec
les ressortissants d’un autre pays doivent se faire dans le respect
de ce principe et sont soumis à la possibilité de dérogation prévue
à l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme
(c’est le seul cas où le projet de protocole prévoit que cette clause
dérogatoire puisse jouer). Ainsi, la mention du droit à l’autonomie
dans un protocole additionnel pourrait être utile, le Comité consultatif
ayant montré qu’il pouvait avoir un impact positif sur la participation
des minorités nationales dans divers domaines; cependant, une telle disposition
demande à être rédigée avec prudence.
4.3.5. Droit d’utiliser librement
la langue minoritaire dans la vie privée et publique, notamment
avec les autorités administratives ou le système judiciaire dans
les zones où les minorités nationales représentent un pourcentage
important de la population régionale ou locale
61. Les droits linguistiques des personnes appartenant
à des minorités nationales sont garantis comme éléments de la liberté
d’expression dans la Convention européenne des droits de l’homme
(article 10); cependant, la jurisprudence de la Cour ne les protège
parfois que faiblement
. Ces droits sont aussi prévus aux
paragraphes 32.1 et 34 du Document de Copenhague. Ils sont garantis
par les articles 9 à 11 de la Convention-cadre et, plus en détail,
par la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Cependant,
la formulation des articles 9 à 11 de la Convention-cadre, et notamment
l’expression «les Parties s’engagent à reconnaître…», ne donne pas
beaucoup de force à ces droits.
62. L’article 7 du protocole à la Convention proposé dans la
Recommandation 1201 (1993) prévoit des droits linguistiques. Comme M. Worms, je
pense que la mention de ces droits dans un protocole additionnel
à la Convention serait nécessaire compte tenu de la spécificité
de la protection offerte par les mécanismes de la Convention
.
4.4. Défense en justice
63. En cas d’adoption d’un protocole sur les droits des
minorités, la Cour européenne des droits de l’homme pourrait recevoir,
en vertu de l’article 34 de la Convention
, des requêtes individuelles concernant
les droits qui y sont prévus de la part de personnes appartenant
à des minorités nationales et à des groupes minoritaires nationaux.
64. Dans l’état actuel des choses, les requêtes portant sur les
droits des minorités peuvent être individuelles ou collectives.
Elles peuvent être déposées par des particuliers, par des groupes
de particuliers ou par des organisations non gouvernementales. Comme
l’a remarqué M. Gilbert lors de l’audition de juin 2011, sur le
plan de la procédure, rien n’empêche la Cour européenne des droits
de l’homme d’accepter des requêtes d’une personne ou d’un groupe
de personnes appartenant à une minorité nationale si les intéressés
peuvent se prouver victimes d’une violation d’un droit garanti par
la Convention. Dans la pratique, cependant, pour diverses raisons
– y compris des questions de forme, ce type de requête n’aboutit
pas
. En effet, la Convention a été conçue
pour protéger des droits individuels et les groupes minoritaires
ne peuvent pas toujours montrer qu’ils sont victimes en tant que
groupe, au-delà de leurs membres.
66. D’après M. Drzewicki, le recours aux requêtes individuelles
pourrait affaiblir la position du Comité consultatif et sa jurisprudence.
Par conséquent, le Comité consultatif devrait jouer le rôle d’un
intermédiaire entre la Cour et les gouvernements, et développer
la jurisprudence sur les droits des minorités pour les besoins du
recours à la Cour
.
67. Comme l’a souligné M. Gilbert, un protocole consacré aux droits
des minorités nationales et des personnes appartenant à ces minorités
aurait un avantage par rapport au mécanisme onusien. Bien que le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques mentionne
expressément les droits des personnes appartenant à des minorités
nationales (article 27), seuls des particuliers peuvent présenter
une communication au Comité des droits de l’homme, conformément
au premier protocole facultatif. En outre, un particulier ne peut
présenter de communication portant sur le droit à l’autodétermination
prévu à l’article premier car il s’agit d’un droit des peuples.
4.5. Pour une pleine mise en œuvre
des droits
68. Les compensations possibles devant la Cour européenne
des droits de l’homme sont financières («satisfaction équitable»,
c’est-à-dire le paiement d’une indemnité) alors que les minorités
nationales souhaitent des changements législatifs et politiques.
Cependant, l’exécution des arrêts de la Cour constatant des violations
de la Convention peut parfois entraîner d’importants changements
dans la législation et la pratique de l’Etat défendeur puisqu’en
vertu de l’article 46 de la Convention, les Etats doivent adopter
des «mesures générales» visant à éviter de nouvelles violations
à l’avenir. Les mesures générales requises par le Comité des Ministres
dans le cadre de son travail d’examen de l’exécution des arrêts
peuvent améliorer la situation de toute une communauté.
.
5. Inconvénients d’un protocole
additionnel et idée de «lignes directrices sur les droits des personnes appartenant
à des minorités nationales»
69. Comme l’a souligné M. Gilbert lors de l’audition,
plusieurs facteurs pèsent contre la promotion d’un protocole additionnel
à la Convention: le retard du traitement des affaires par la Cour
en raison de sa surcharge de travail, les compensations limitées
offertes par la Cour, la nature même d’une réponse judiciaire pour
ce domaine du droit international, le risque de doublons et de confusion
avec les travaux du Comité consultatif et, enfin, le manque général
de volonté politique de protéger les groupes minoritaires au niveau
international.
70. M. Gilbert propose par conséquent d’encourager une meilleure
communication entre la Cour et le Comité consultatif, par exemple
en élaborant des «lignes directrices sur les droits des personnes
appartenant à des minorités nationales»; ces lignes directrices
pourraient être rédigées par des universitaires, des magistrats
et des parlementaires, par exemple sous la forme d’un commentaire
général. Elles aideraient la Cour à interpréter la Convention sur
ce sujet
. Elles pourraient couvrir chaque disposition
de la Convention et de ses protocoles, afin d’attirer l’attention
de la Cour sur un contexte plus large que les seules requêtes individuelles.
Compte tenu de la nécessité d'obtenir un élan politique avant de
pouvoir adopter puis faire ratifier un protocole additionnel, des
lignes directrices seraient plus rapides, iraient plus loin et encourageraient
la cohérence entre tous les domaines couverts par le Conseil de
l’Europe.
6. Conclusion
71. Ce n’est pas la première fois que la commission des
questions juridiques et des droits de l'homme et l’Assemblée examinent
la question de l’adoption d’un protocole additionnel à la Convention
européenne des droits de l’homme en vue de renforcer la protection
des minorités nationales. Le protocole proposé par la
Recommandation 1201 (1993) de l’Assemblée n’a pas été suivi et ses idées, datant
de 1993, ne peuvent être reprises aujourd’hui. Depuis, le Comité
des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté la Convention-cadre pour
la protection des minorités nationales et le Protocole n° 12 à la
Convention. Malgré certains progrès accomplis dans les Etats membres
qui ont ratifié la Convention-cadre et/ou la Charte européenne des
langues régionales ou minoritaires, ce sujet n’a pas perdu de son
importance et il est urgent de trouver des solutions efficaces.
De nombreuses minorités se trouvent toujours dans une situation
précaire car les Etats préfèrent promouvoir et appliquer un modèle
culturel unique qui, très souvent, ne tient pas compte d’une réalité
plus diversifiée.
72. Comme l’a souligné M. Drzewicki lors de l’audition, des décennies
de débats ont montré un large soutien en faveur d’un mécanisme de
réclamations sur les droits des minorités parmi les parlementaires
et la société civile, y compris les minorités nationales elles-mêmes.
Cette attitude n’est pas entièrement partagée par les gouvernements,
malgré le cadre démocratique et les mécanismes prévus par les systèmes
constitutionnels des Etats membres du Conseil de l’Europe. Il semble
ici que les mécanismes démocratiques ne fonctionnent pas de manière
satisfaisante. Il est temps, à mes yeux, de supprimer cet écart
entre la volonté des sociétés et de leurs représentants démocratiquement
élus et celle des gouvernements, et donc d’adopter un protocole additionnel
à la Convention garantissant des droits minimaux aux minorités nationales.
73. Beaucoup de raisons poussent à envisager un protocole additionnel
à la Convention. En premier lieu, tout droit doit s’accompagner
d’un recours. Les droits énoncés dans la Convention-cadre ne peuvent
être défendus en justice, puisqu’ils ne peuvent être invoqués devant
la Cour européenne des droits de l’homme, alors que l’article 34
de la Convention permet à des groupes de particuliers d’être considérés
comme victimes devant la Cour.
74. Un tel protocole aurait aussi pour avantage de permettre à
tout ou partie des dispositions de la Convention-cadre pour la protection
des minorités nationales d’être mises en œuvre par la Cour européenne des
droits de l’homme, qui pourrait s’appuyer sur la «jurisprudence»
du Comité consultatif. Les normes minimales prévues par le protocole
additionnel devraient porter sur les éléments suivants:
- le droit de chacun d'exprimer
librement son appartenance à une minorité nationale;
- les droits politiques (comme la liberté d’association,
la création de partis politiques, la participation aux élections,
la représentation au sein des instances publiques aux niveaux national
et régional);
- les droits culturels, y compris le droit à l’autonomie
culturelle comme principal moyen de préserver l’identité nationale;
- le droit de prendre des décisions sur différentes formes
d’autonomie, conformément aux pratiques européennes et aux traditions
régionales ou nationales;
- le droit d’utiliser librement la langue minoritaire dans
la vie privée et publique, notamment avec les autorités administratives
ou le système judiciaire dans les zones où les minorités nationales représentent
un pourcentage important de la population régionale ou locale.
75. Je suis convaincu que l’intégration de ces droits dans un
texte juridique contraignant, à savoir un protocole additionnel
à la Convention, serait l’unique façon de contrer la discrimination
à l’encontre des minorités nationales au sein des Etats membres
du Conseil de l’Europe. L’Assemblée, qui veille au respect des principes
de la démocratie, de la primauté du droit et des droits de l’homme,
devrait par conséquent inviter de nouveau le Comité des Ministres
à rédiger un tel protocole.
76. La rédaction, l’adoption et la ratification d’un tel protocole
peuvent prendre des années. Par conséquent, comme le suggère M.
Gilbert, une procédure parallèle serait nécessaire: avant que les
membres du Conseil de l’Europe n’adoptent un protocole additionnel
à la Convention, une réponse plus rapide, comme des lignes directrices
sur les droits des minorités nationales destinées à orienter les
juristes auprès de la Cour, pourrait être élaborée.
77. Dans tous les cas, les membres de l’Assemblée devraient commencer
à promouvoir activement l’adoption d’un protocole additionnel à
la Convention au niveau national, auprès de leurs parlements comme de
leurs gouvernements. Sans volonté politique, aucune des propositions
avancées ci-dessus n’aura de suite. J’appelle donc mes collègues
de l’Assemblée à donner de l’élan à l’idée d’un protocole additionnel,
dans le sillage des résolutions et recommandations antérieures.