Imprimer
Autres documents liés

Recommandation 1162 (1991)

Contribution de la civilisation islamique à la culture européenne

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 19 septembre 1991 (11e séance) (voir Doc. 6497, rapport de la commission de la culture et de l'éducation, rapporteur: M. de Puig). Texte adopté par l’Assemblée le 19 septembre 1991 (11e séance).

1. Le but statutaire du Conseil de l'Europe est de sauvegarder et de promouvoir les valeurs spirituelles et morales qui sont le patrimoine commun de ses Etats membres. L'article 9 de la Convention européenne des Droits de l'Homme consacre le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion.
2. L'Europe multiculturelle est fondée notamment sur des traditions humanistes et religieuses, sources de son attachement inaliénable à la liberté et aux droits de l'homme, comme le rappelle l'Assemblée dans sa Résolution 885 (1987) relative à la contribution juive à la culture européenne.
3. Dans le même esprit, la commission de la culture et de l'éducation a tenu à Paris, en mai 1991, un colloque sur la contribution de la civilisation islamique à la culture européenne. Ce colloque a été organisé en collaboration avec l'Institut occidental de culture islamique (Madrid) et en association avec l'Unesco.
4. Le colloque a démontré que, en plus du christianisme ou du judaïsme qui sont des éléments de la culture européenne, l'islam a eu pendant des siècles, sous ses différentes formes, une influence sur la civilisation européenne et la vie quotidienne, et ce pas uniquement dans les pays de population musulmane comme la Turquie. La nouvelle Europe est aussi de plus en plus influencée par l'islam, non seulement du fait des régions de culture essentiellement musulmane comme l'Albanie ou certaines républiques méridionales de l'URSS, mais aussi par suite de l'immigration en provenance du monde islamique en général.
5. Le fait est que le monde musulman s'étend au delà du Moyen-Orient et du Maghreb, et englobe aussi des pays d'Afrique et d'Asie.
6. Or, l'islam a souffert et continue de souffrir de l'image déformée que l'on en donne à travers, par exemple, des stéréotypes hostiles ou orientaux, et les Européens sont peu conscients tant de la valeur de sa contribution passée que du rôle positif qu'il peut jouer aujourd'hui dans notre société. Les erreurs historiques, l'approche sélective adoptée par l'enseignement et la présentation simpliste qui est celle des médias sont responsables de cette situation.
7. Cette déformation de la réalité, à laquelle beaucoup de musulmans contemporains ont eux-mêmes contribué par leur manque d'analyse critique ou par leur intolérance, a pour principale conséquence de donner trop souvent aux Européens l'impression que l'islam est incompatible avec les principes sur lesquels se fondent la société européenne moderne (essentiellement laïque et démocratique) et l'éthique européenne (droits de l'homme et liberté d'expression).
8. Alors que cette incompatibilité, par exemple entre le fondamentalisme islamique et les principes culturels et moraux que défend le Conseil de l'Europe, est certes réelle, comme en témoignent la condition de la femme et le respect de la liberté d'expression, elle ne caractérise cependant pas l'islam dans sa globalité. Il faut bien admettre que l'intolérance et la méfiance existent malheureusement des deux côtés, l'islamique et le non-islamique.
9. L'Assemblée est consciente de cette situation, de la nécessité de mieux connaître le passé pour mieux comprendre le présent et préparer l'avenir, et de la précieuse contribution que les valeurs islamiques peuvent apporter à la qualité de la vie en renouvelant l'approche globale européenne dans les domaines culturel, économique, scientifique et social.
10. En outre, une plus grande attention doit être accordée à la coopération avec le monde islamique. Le Conseil de l'Europe a déjà fait beaucoup en faveur de la compréhension interculturelle et devrait s'y employer plus encore, notamment en ce qui concerne la culture islamique. Une coopération plus étendue devrait être engagée dans ce domaine avec des institutions et des organisations non gouvernementales telles que l'Institut occidental de culture islamique à Madrid et l'Institut du monde arabe de Paris, et autres.
11. L'Assemblée recommande donc au Comité des Ministres de faire une place à l'étude du monde islamique dans le programme intergouvernemental d'activités du Conseil de l'Europe et dans ses recommandations aux gouvernements des Etats membres. Les mesures ci-après sont proposées:
Dans le domaine de l'éducation
11.1.1. Les programmes de l'enseignement et les manuels scolaires devraient comporter une présentation équilibrée et objective de l'histoire de l'islam, à la lumière du projet international de recherche «L'islam dans les manuels scolaires».
11.1.2. Il y a lieu de promouvoir l'enseignement de l'arabe comme langue vivante dans les écoles européennes.
11.1.3. La recherche scientifique sur les questions islamiques devrait être encouragée, notamment en augmentant le nombre de chaires de spécialité arabe et islamique à l'Université. L'islam devrait aussi être inclus dans les grandes branches d'études, par exemple l'histoire de l'islam devrait être enseignée dans les départements d'histoire, sa philosophie dans les départements de philosophie et son droit dans les départements de droit; il ne faut pas reléguer ces matières dans les départements de langues orientales, comme c'est trop souvent le cas.
11.1.4. De même, dans les cours de théologie, il y a lieu de promouvoir une approche comparative de l'islam, du christianisme et du judaïsme.
11.1.5. Pour certaines régions comme le Bassin méditerranéen, une conception intégrée de l'enseignement devrait être adoptée dans l'étude des religions, de la philosophie, de la littérature et de l'histoire.
11.1.6. Des programmes d'échanges d'étudiants et d'enseignants devraient être mis en place et développés dans le cadre d'une coopération universitaire entre l'Europe et le monde islamique, telle que proposée par la Recommandation 1032 (1986) relative à la création d'une université euro-arabe. Ceci pourrait être appelé le «programme Averroès» en comparaison avec les actuels programmes «Erasmus» et «Démosthène».
Dans le domaine des médias
11.2.1. Il faudrait encourager la réalisation, la coproduction et la diffusion d'émissions radiophoniques et télévisées sur la culture islamique.
Dans le domaine de la culture
11.3.1. Des lieux d'expression culturelle et intellectuelle sont nécessaires pour les immigrés du monde islamique. Le développement de leur propre culture ne devrait toutefois pas entraîner leur isolement par rapport à la société et à la culture du pays d'accueil.
11.3.2. Il faudrait promouvoir les itinéraires culturels du monde islamique en Europe et hors d'Europe, ainsi que les échanges culturels, expositions, conférences et publications dans les domaines de l'art, de la musique et de l'histoire. Les musées ont un rôle important à jouer à cet égard.
11.3.3. Des oeuvres islamiques sélectionnées, classiques et modernes, devraient être traduites et publiées d'une manière qui contribue à mieux les faire comprendre dans la société occidentale.
Questions administratives et vie quotidienne
11.4.1. Les gouvernements devraient encourager le dialogue entre les communautés islamiques et les autorités compétentes afin de pourvoir, dans le respect des règles de vie du pays qui les accueille, aux impératifs religieux de leur foi (fêtes religieuses, règles de prière, habillement et alimentation) en plus des dispositions habituelles concernant l'association et la représentation des communautés islamiques immigrées ou autochtones.
11.4.2. Il faudrait encourager les jumelages de villes européennes et islamiques, notamment celles qui sont géographiquement les plus proches de l'Europe.
Dans le domaine de la coopération multilatérale
11.5.1. De réels efforts doivent être faits pour jeter les bases d'un dialogue permanent entre l'Europe et le monde islamique, dans le but de renforcer et de développer toutes les tendances démocratiques et pluralistes. Il conviendrait d'accorder une attention toute particulière à une coopération directe avec certaines parties de ce monde, par exemple les pays arabes du pourtour méditerranéen (sous forme de contribution au développement éventuel d'une conférence sur la sécurité et la coopération en Méditerranée), ou avec les communautés immigrées en Europe.
11.5.2. Il faudrait dynamiser ce dialogue en abordant lors de futurs séminaires des thèmes clés tels que le fondamentalisme islamique, la démocratisation du monde islamique, la compatibilité des différentes formes de l'islam avec la société européenne d'aujourd'hui et, en général, les problèmes nouveaux que soulèvent les religions dans les sociétés contemporaines, aussi bien les sociétés laïcisées d'Occident que les sociétés traditionnelles du tiers monde. Les problèmes posés par l'islam doivent être étudiés dans la même perspective que ceux du christianisme, du judaïsme et d'autres religions dans le monde. De telles études favoriseront plus sûrement le processus historique de démocratisation des sociétés traditionnelles, grâce à l'élargissement des horizons culturels porteurs.
12. L'Assemblée demande aussi au Comité des Ministres d'inviter les pays intéressés du monde islamique à prendre à titre de réciprocité des initiatives analogues et, le cas échéant, à adhérer aux conventions et accords partiels ouverts du Conseil de l'Europe, en vue d'harmoniser la législation et d'améliorer la compréhension interculturelle.