Imprimer
Autres documents liés

Résolution 1372 (2004)

Persécution de la presse dans la République du Bélarus

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 28 avril 2004 (12e séance) (voir Doc. 10107, rapport de la commission des questions politiques, rapporteur: M. Pourgourides; et Doc. 10165, avis de la commission de la culture, de la science et de l’éducation, rapporteur: Mme Muttonen). Texte adopté par l’Assemblée le 28 avril 2004 (12e séance).

1. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe rappelle que l’appartenance à l’Organisation est subordonnée à l’engagement d’un Etat d’œuvrer à une unité européenne plus grande, fondée sur les valeurs communes de la famille des nations démocratiques d’Europe, énoncées dans la Convention européenne des Droits de l’Homme (STE no 5) et dans les autres conventions et recommandations du Conseil de l’Europe. Par conséquent, il incombe aux autorités de chaque Etat candidat de démontrer leur volonté et leur capacité d’adhérer à ces valeurs et à ces normes. L’un des droits démocratiques fondamentaux garantis par la Convention européenne des Droits de l’Homme est celui qui a trait à la liberté d’expression et à la liberté des médias.
2. L’Assemblée se félicite du souhait, exprimé par le Parlement du Bélarus, de recouvrer le statut d’invité spécial auprès de l’Assemblée parlementaire, ainsi que du désir de ce pays d’adhérer au Conseil de l’Europe. Toutefois, elle ne peut que constater à regret que ni le Parlement ni les autres autorités d’Etat du Bélarus n’ont progressé d’aucune manière vers une évolution démocratique depuis la suspension du statut d’invité spécial du Parlement du Bélarus, en janvier 1997, en raison de la dissolution du parlement à la suite du référendum organisé par le Président Loukachenko et de la constitution non démocratique du nouveau parlement qui en est résultée. C’est pourquoi le Bureau de l’Assemblée a rejeté la demande de réattribution du statut d’invité spécial au Parlement du Bélarus, en janvier 2004.
3. L’Assemblée rappelle que la liberté d’expression et la liberté des médias sont l’un des fondements essentiels de toute société démocratique et parmi les premières conditions de ses progrès et de l’épanouissement de tout être humain, comme l’a réaffirmé à maintes reprises la Cour européenne des Droits de l’Homme. Dès lors qu’une population est privée d’information par la censure et que la propagande d’Etat règne, une démocratie authentique est impossible.
4. L’Assemblée relève avec consternation que la disparition du journaliste M. Dmitri Zavadski, il y a plus de trois ans, et sa prétendue exécution extrajudiciaire par des agents de l’Etat n’ont pas réellement donné lieu à une enquête adéquate. La condamnation de quatre hommes pour l’enlèvement de M. Zavadski ne peut être considérée comme l’aboutissement d’une enquête appropriée pour plusieurs raisons. Nous n’en citerons que quelques-unes: tout d’abord, le corps de M. Zavadski n’a pas été retrouvé et il n’a pas été établi qu’il ait été assassiné; deuxièmement, le procureur général de la République du Bélarus est responsable de toutes les enquêtes criminelles; or, le présent titulaire du poste de procureur général, M.Victor Cheïman, est considéré par beaucoup de Bélarussiens comme le maître d’œuvre de cet enlèvement et d’autres disparitions forcées.
5. L’Assemblée déplore le harcèlement et les intimidations systématiques auxquels se livrent des agents de l’Etat, notamment le ministère de l’Information, à l’encontre de journalistes, d’éditeurs et distributeurs de médias qui critiquent le Président de la République ou le Gouvernement du Bélarus. La base juridique de tels actes est très souvent l’obligation pour la presse d’obtenir une licence d’Etat auprès du ministère de l’Information. L’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’homme n’autorise pas l’attribution de telles licences à la presse écrite.
6. L’Etat permet en outre que se maintienne une situation dans laquelle le fonctionnement des médias dépend du bon vouloir des administrations locales, des imprimeurs et des agences de distribution. Les médias indépendants sont contraints de travailler dans des conditions économiques discriminatoires.
7. L’Assemblée juge totalement inacceptable dans une société démocratique l’emprisonnement de journalistes, en particulier les travaux forcés, pour sanctionner la critique du Président et des représentants de l’Etat, peines actuellement prévues par les dispositions des articles 367, 368 et 369 du Code pénal.
8. L’Assemblée se préoccupe vivement du niveau de contrôle exercé par l’Etat sur les médias électroniques, en particulier l’organisme de radiotélévision public du Bélarus, dont le fonctionnement est soumis à un décret présidentiel, mais aussi les sociétés privées par actions, dans lesquelles l’Etat est généralement majoritaire. Le contrôle de l’Etat sur les sociétés d’imprimerie et de distribution de la presse écrite est tout aussi inquiétant. Dans une démocratie réelle, les médias publics ne doivent pas être les porte-voix du Président et du pouvoir exécutif, mais offrir un service impartial au grand public en diffusant des informations et des commentaires de manière libre, objective et exacte.
9. L’Assemblée considère que le paysage médiatique, tel que soumis au contrôle actuel, ne permet pas l’exercice de la liberté de l’information par les médias nécessaire à la préparation et à la conduite d’élections parlementaires démocratiques, à l’automne 2004. Tous les candidats politiques, partis et organisations politiques de la société civile doivent bénéficier de l’égalité d’accès aux médias, sans contrôle de l’Etat. Si tel n’était pas le cas, les électeurs du Bélarus ne disposeraient pas des informations nécessaires pour se faire une opinion sur la situation dans leur propre pays.
10. L’Assemblée regrette, par conséquent, que la réforme de la loi sur la presse et les autres moyens de communication de masse ainsi que d’autres lois pertinentes, annoncée et attendue depuis longtemps, n’ait pas été finalisée par le Président de la République, les ministres responsables et le parlement dans les délais requis avant les prochaines élections parlementaires, et que les autorités du Bélarus n’aient pas respecté leur engagement de communiquer le projet de loi au Conseil de l’Europe, pour examen. L’Assemblée décide de continuer à suivre la situation relative aux médias dans la République du Bélarus jusqu’à ce que la nouvelle loi sur la presse et les autres moyens de communication de masse soit adoptée.
11. L’Assemblée note à regret que le Parlement du Bélarus a refusé de coopérer avec l’OSCE pour organiser dans le pays un séminaire sur les médias, le 27 février 2004. L’Assemblée déplore, en outre, que le vice-président de la Chambre des députés, M. Vladimir Konoplev, ait refusé de recevoir une délégation commune de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, de l’Assemblée parlementaire de l’OSCE et du Parlement européen, qui s’est rendue dans le pays du 22 au 24 janvier 2004, ce qui aurait permis aux députés du Bélarus de dialoguer avec les parlementaires européens sur diverses questions, parmi lesquelles celle de la liberté des médias.
12. L’Assemblée appelle tous les Etats membres du Conseil de l’Europe et les observateurs auprès de l’Organisation à ne plus tolérer l’état actuel des choses au Bélarus. Des droits essentiels et des libertés fondamentales y sont systématiquement violés dans le seul but de maintenir au pouvoir un gouvernement non démocratique. Le régime du Président Lukashenko fonde son existence sur la répression, l’intimidation et la peur. Ces mesures de répression et d’intimidation touchent non seulement les médias, mais aussi toutes les autres institutions démocratiques, les militants des droits de l’homme et la population dans son ensemble. Le Bélarus reste en 2004 un Etat policier, où la situation est analogue à celle qui prévalait à l’époque soviétique. Il est impératif de tout mettre en œuvre pour rétablir la démocratie dans le pays. Des millions de Bélarussiens ont été tués pendant la seconde guerre mondiale après avoir courageusement combattu les forces hitlériennes. Pourtant, la liberté n’existe pas encore dans leur patrie. Tous les Etats membres du Conseil et les observateurs auprès de l’Organisation ont le devoir de faire en sorte que le Bélarus cesse d’être le dernier Etat dictatorial en Europe.
13. L’Assemblée appelle le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe:
13.1. à avoir constamment à l’esprit le peuple du Bélarus et à accorder une importance accrue à une action ciblée en faveur des droits de l’homme, de la démocratie et de la primauté du droit dans ce pays; et
13.2. à affecter, en coopération avec le Comité des Ministres, des ressources suffisantes aux projets concernant le renforcement de la démocratie et de la liberté des médias au Bélarus, en vue de la préparation des élections parlementaires de l’automne 2004 et visant, plus généralement, à renforcer la compréhension des normes démocratiques dans le domaine des médias et l’opposition du public à l’égard de toute atteinte à la liberté d’expression.
14. L’Assemblée invite le Président de la République du Bélarus, le gouvernement de ce pays et son Assemblée nationale:
14.1. à entreprendre une enquête véritablement indépendante sur la disparition et la prétendue exécution extrajudiciaire du journaliste Dmitri Zavadski, intervenue il y a plus de trois ans, et à rendre publics les résultats de ladite enquête, une condition préalable à cette dernière étant la révocation de M. Victor Cheîman;
14.2. à envisager la révision des lois pénales et de l’article 5 de la loi sur la presse et les autres moyens de communication de masse, pour permettre la critique politique du Président de la République et des membres de l’Assemblée nationale, l’honneur et la dignité du Président et des dirigeants des organes d’Etat ne devant pas être protégés de manière inconditionnelle;
14.3. à prendre dûment en compte l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies, ainsi que les articles 3 et 4 de la loi sur la presse et les autres moyens de communication de masse, de telle sorte que les tribunaux du Bélarus n’infligent pas de sanctions pénales disproportionnées aux médias et aux journalistes qui critiquent le Président de la République;
14.4. à réviser l’article 9 de la loi sur la presse et les autres moyens de communication de masse afin d’abolir l’obligation de licence imposée à la presse écrite, qui est contraire à la liberté de la presse, telle que garantie par l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme;
14.5. à abolir les sanctions administratives et les réprimandes orales que fait subir aux médias le ministère de l’Information, lesquelles violent le principe fondamental de la séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le judiciaire, et sont contraires à l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, la loi sur la presse et les autres moyens de communication de masse devant être revue en conséquence;
14.6. à mettre en place une législation appliquant pleinement la troisième phrase de l’article 33 de la Constitution du Bélarus, interdisant tout monopole d’Etat sur les médias, objectif qui doit être atteint par le biais d’une moindre concentration des intérêts d’Etat dans les sociétés par actions de médias, les sociétés d’imprimerie et de distribution, la société nationale de radiodiffusion devant devenir un organe de service public indépendant du contrôle direct du Président de la République ou d’autres institutions d’Etat, conformément à la Recommendation 1641 (2004) sur le service public de radiodiffusion;
14.7. à faire en sorte que les imprimeurs et les distributeurs de la presse écrite n’établissent aucune discrimination contre les médias privés indépendants du soutien de l’Etat, ni contre la presse étrangère;
14.8. à veiller à ce que la Commission électorale centrale et la société nationale de radiodiffusion assurent un accès libre, égal et équitable à l’antenne aux partis politiques ainsi qu’aux candidats indépendants avant les élections au Bélarus, les autorités pouvant s’inspirer de la Recommandation N° R(99)15 du Comité des Ministres relative à des mesures concernant la couverture des campagnes électorales par les médias, ce qui revêt une importance particulière pour la préparation des élections parlementaires prévues pour l’automne 2004;
14.9. à réviser tous les décrets présidentiels qui restreignent excessivement le droit de recevoir et de communiquer des informations sur l’Etat, en application de l’article 34 de la Constitution du Bélarus;
14.10. à faire en sorte que l’Assemblée nationale puisse jouer son rôle de législateur et soit à l’origine de textes et d’amendements législatifs dans le domaine des médias; à cet égard, l’Assemblée nationale devrait s’efforcer d’introduire dans la Constitution du Bélarus une disposition analogue aux articles 3 et 4 de la loi sur la presse et les autres moyens de communication de masse, concernant la liberté de ces derniers et le caractère inadmissible de la censure;
14.11. à s’abstenir de restreindre le droit à la liberté d’association des journalistes et les éditeurs, garanti par l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies, et par l’article 11 de la Convention européenne des Droits de l’Homme: les autorités d’Etat du Bélarus ne doivent pas entraver l’action de l’association bélarussienne des journalistes en intimidant ou harcelant son personnel et ses membres.
15. L’Assemblée appelle le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne à ne plus tolérer la violation systématique par les autorités du Bélarus des libertés fondamentales garanties aux articles 10 (liberté d’expression) et 11 (liberté de réunion et d’association) de la Convention européenne des Droits de l’Homme, ainsi que des articles 11 (liberté d’expression) et 12 (liberté d’association) de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et à prendre les mesures appropriées dans leurs relations avec le Bélarus.
16. L’Assemblée appelle l’Assemblée parlementaire de l’OSCE, le Président en exercice de l’OSCE et le représentant de l’OSCE sur la liberté des médias à ne plus tolérer la violation systématique par les autorités du Bélarus des libertés fondamentales garanties par les articles 10 et 11 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et des articles 19 (liberté d’expression) et 22 (liberté d’association) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies, en relation avec les obligations du Bélarus selon les termes de l’Acte final d’Helsinki et du paragraphe 22 de la Déclaration au Sommet de l’OSCE adoptée à Istanbul, et à prendre les mesures appropriées contre le Bélarus.
17. L’Assemblée appelle les Nations Unies et, en particulier, leur Commission des droits de l’homme, à ne jamais tolérer la violation systématique par les autorités du Bélarus des articles 19 et 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies, et à prendre les mesures appropriées contre ce pays.