Imprimer
Autres documents liés

Recommandation 1744 (2006)

Suivi du Troisième Sommet: le Conseil de l'Europe et l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 13 avril 2006 (14e séance) (voir Doc.10894, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur: M. Jurgens). Texte adopté par l’Assemblée le 13 avril 2006 (14e séance).

1. Rappelant sa Résolution 1427 (2005), l’Assemblée parlementaire réaffirme que «la création d’une agence des droits fondamentaux au sein de l’Union européenne pourrait apporter une contribution utile, à condition, toutefois, qu’un rôle et un domaine d’action pertinents soient définis et que cette agence vienne donc “combler une lacune” et présente une réelle valeur ajoutée et une complémentarité indiscutables en termes de promotion du respect des droits de l’homme».
2. Pour déterminer l’existence d’une telle lacune, il est nécessaire dans un premier temps d’étudier le système actuel de protection des droits de l’homme dont le Conseil de l’Europe a jeté les bases. Au cours de ses cinquante-six ans d’histoire, le Conseil de l’Europe – qui regroupe désormais 46 pays d’Europe – a conçu tout un arsenal d’instruments et de mécanismes de promotion et de protection des droits de l’homme.
3. Tous les Etats membres de l’Union européenne étant également membres du Conseil de l’Europe, la manière dont ils appliquent le droit de l’Union européenne est régie par les normes et mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe. De fait, les lacunes les plus graves sont constatées dans les institutions de l’Union européenne elle-même: il s’agit des seules autorités publiques actives dans les Etats membres du Conseil de l’Europe qui échappent à la juridiction de la Cour européenne des Droits de l’Homme, bien qu’en pratique les décisions de la Cour européenne de justice se conforment à la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme.
4. Le souci de l’Assemblée en ce domaine est dû au désir d’assurer à l’ensemble des Européens la jouissance d’un système global de protection des droits de l’homme qui soit le plus efficace possible. Avant toute chose, l’agence devrait s’attacher à combler les principales lacunes. Si ses activités devaient, de surcroît, empiéter sur celles du Conseil de l’Europe (ou de commissions nationales de protection des droits de l’homme), cela pourrait être très préjudiciable à l’ensemble du système. En effet, ces chevauchements risqueraient de créer des incohérences et de donner la possibilité aux pays soumis aux différents mécanismes de faire du «tourisme institutionnel» et d’opter pour la juridiction la plus avantageuse.
5. Les conséquences pourraient également être néfastes quant aux perspectives d’intégration européenne. La coexistence de deux institutions parallèles se livrant à des activités similaires au sein de la même région géographique, l’une ayant des effectifs inférieurs à ceux de l’autre, créerait en Europe de nouvelles lignes de partage quant à la situation institutionnelle des Etats et aux organes qui se consacrent aux droits de l’homme, l’un des principes mêmes qui visent à unir l’Europe. L’incohérence apparente de la création d’un nouvel organisme de l’Union européenne dont les travaux feraient double emploi avec d’autres activités menées ailleurs avec succès provoquerait la confusion d’un public européen déjà peu convaincu de l’intérêt du processus d’intégration européenne. Ces doublons entraîneraient aussi un gaspillage de l’argent public, dans une période d’austérité budgétaire généralisée, éloignant davantage encore les citoyens des institutions européennes, y compris des mécanismes de protection des droits de l’homme.
6. Lors du Sommet de Varsovie qui s’est tenu en mai 2005, les chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres du Conseil de l’Europe – dont ceux de l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne – ont réaffirmé le rôle central que joue le Conseil de l’Europe dans la protection et la promotion des droits de l’homme, et se sont déclarés résolus à renforcer ce rôle en tant que mécanisme privilégié de la coopération paneuropéenne en ce domaine, en garantissant notamment que l’Union européenne et ses Etats membres feront un meilleur usage des instruments et des institutions actuels du Conseil de l’Europe. Au Sommet de Varsovie, M. Jean-Claude Juncker, Premier ministre du Luxembourg, a également été chargé de préparer un rapport sur les relations entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. L’Assemblée considère que la création d’un nouvel organisme distinct de protection des droits de l’homme dont les activités chevaucheraient celles du Conseil de l’Europe irait totalement à l’encontre des décisions prises lors du Sommet de Varsovie et serait contraire aux conclusions du rapport Juncker.
7. Au début de la procédure de consultation, la Commission européenne a produit un document contenant, entre autres, les points suivants:
7.1. l’agence sera tenue de contrôler le respect des droits fondamentaux par domaine thématique et non de rédiger des rapports pays par pays;
7.2. circonscrire les activités de l’agence au champ d’application du droit communautaire contribuera à éviter les chevauchements d’activités avec d’autres organismes;
7.3. un mandat permettant à l’agence de constater, au titre de l’article 7 du Traité de l’Union européenne (Maastricht, 1992), des violations graves et persistantes des principes fondateurs de l’Union européenne, commises par des Etats membres, serait difficile à concilier avec un organisme efficace et pourrait l’amener à empiéter sur les travaux du Conseil de l’Europe, en créant un risque réel de chevauchements et de contradictions;
7.4. circonscrire les activités de l’agence au territoire de l’Union européenne témoignera clairement de la volonté politique de souligner l’importance des droits fondamentaux au sein de l’Union, en donnant effectivement des responsabilités aux institutions; ce message perdrait de sa force si le champ d’action de l’agence devait inclure des pays tiers.
8. L’Assemblée regrette profondément que des évolutions ultérieures semblent avoir négligé ces points et est fermement convaincue que ces derniers demeurent la base la plus appropriée pour le bon fonctionnement d’une agence analogue à un organisme national de protection des droits de l’homme, capable d’apporter une véritable valeur ajoutée au système européen global de protection des droits de l’homme.
9. Le traité établissant une Constitution pour l’Europe est souvent évoqué pour justifier la création de l’agence, même si c’est en évoquant le blocage de son processus de ratification. L’Assemblée fait observer que ce traité, conclu comme un train de mesures, aurait aussi conféré de bien plus grands pouvoirs aux parlements nationaux concernant le processus législatif de l’Union européenne, notamment pour ce qui concerne l’application du principe de subsidiarité. Toutefois, malheureusement, la voix des parlements nationaux dans les discussions relatives à l’agence n’a pas été entendue comme elle aurait dû l’être, bien que nombre d’entre eux – dont ceux de la République tchèque, de la France, de l’Allemagne, des Pays-Bas, du Royaume-Uni et, conjointement, de l’Estonie, de la Lettonie, de la Lituanie et de la Pologne – aient exprimé de sérieuses réserves à son encontre.
10. L’Assemblée recommande que tous les parlements nationaux des Etats membres de l’Union européenne qui ne l’ont pas encore fait étudient sérieusement la proposition de création de l’agence, dans le but d’adopter une position fondée sur la présente recommandation. Les délégations à l’Assemblée des parlements concernés devraient montrer l’exemple en entamant les procédures nécessaires.
11. Eu égard au double mandat de ses membres en leur qualité de représentants de la démocratie aux niveaux national et européen, l’Assemblée s’appuie sur ses positions existantes et sur les objections soulevées au sein des parlements nationaux pour formuler les recommandations suivantes à l’intention des institutions et des Etats membres de l’Union européenne:
11.1. l’agence devrait explicitement se limiter, par son mandat, aux questions du respect des droits fondamentaux dans le cadre de l’ordre juridique interne à l’Union européenne;
11.2. l’agence devrait explicitement être tenue, par son mandat, de se référer dans son travail aux principaux instruments du Conseil de l’Europe en matière de droits de l’homme, à savoir la Convention européenne des Droits de l’Homme (STE no 5), la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (STE no 126), la Charte sociale européenne (STE no 35) et la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales (STE no 157);
11.3. l’agence ne devrait pas avoir mandat pour entreprendre des activités concernant des Etats non membres de l’Union européenne. Si un tel mandat était néanmoins considéré comme absolument nécessaire, il devrait se limiter strictement aux pays candidats et aux questions liées au processus d’adhésion;
11.4. l’agence devrait se voir explicitement interdire, par les termes de son mandat, de s’engager dans des activités consistant notamment à évaluer la situation générale des droits de l’homme dans des pays donnés, en particulier dans les Etats membres du Conseil de l’Europe;
11.5. l’établissement de l’agence ne devrait pas s’accompagner de la création d’un nouveau forum des droits de l’homme;
11.6. l’agence devrait être explicitement tenue, par son mandat, de veiller à éviter les chevauchements d’activités avec celles du Conseil de l’Europe;
11.7. le Conseil de l’Europe devrait être représenté dans les structures de gestion de l’agence à un niveau et avec des droits de vote au moins égaux à ceux dont jouissent actuellement les structures de gestion de l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes;
11.8. l’assise juridique de l’agence devrait être irréprochable. Dans l’intérêt de la transparence, l’avis critique des services juridiques du Conseil de l’Union européenne, comme le rappellent l’Assemblée nationale française et le Sénat tchèque, devrait être publié;
11.9. l’application du principe de subsidiarité devrait faire l’objet d’un nouvel examen sérieux et approfondi, qui devrait inclure une comparaison détaillée des diverses activités proposées pour l’agence avec les lois pertinentes des Etats membres, que ce soit au niveau national ou dans d’autres forums internationaux, notamment le Conseil de l’Europe;
11.10. l’application du principe de proportionnalité devrait également faire l’objet d’un nouvel examen approfondi, qui tiendra compte de la mesure exacte dans laquelle le traité pertinent contient des objectifs ayant un rapport avec les activités proposées pour l’agence;
11.11. étant donné l’importance pour l’environnement juridique dans lequel opérerait l’agence de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui a force obligatoire et de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des Droits de l’Homme – événements prévus dans le traité établissant une Constitution pour l’Europe – la création de l’agence pourrait être reportée jusqu’à ce qu’il ait été statué sur le sort de ces dispositions;
11.12. la volonté politique qui motive les propositions relatives à l’agence devrait être employée pour relancer le processus d’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des Droits de l’Homme, mesure la plus importante pour s’assurer que l’Union européenne agit dans un total respect des droits de l’homme;
11.13. les décisions finales concernant l’agence devraient être différées jusqu’à ce que les parlements nationaux de tous les Etats membres de l’Union européenne aient eu la possibilité d’adopter une position définitive sur des thèmes la concernant. Le présent rapport et la présente recommandation complètent mais ne peuvent laisser conjecturer précisément les positions que pourraient adopter les parlements nationaux.
12. Gardant à l’esprit les travaux plus généraux actuellement en cours sur les relations entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, l’Assemblée croit fermement que la question de l’agence ne devrait pas être abordée en dehors de ce contexte. L’Assemblée adresse donc les recommandations suivantes au Comité des Ministres, ainsi qu’aux institutions et aux Etats membres de l’Union européenne:
12.1. le travail sur un accord de coopération entre l’agence et le Conseil de l’Europe devrait être différé jusqu’à ce que le mandat précis de l’agence soit déterminé;
12.2. les décisions finales, que ce soit sur la création ou sur le mandat de l’agence, devraient être différées jusqu’à ce qu’un nouveau cadre global pour une coopération accrue entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne (actuellement en discussion sous la forme d’un «mémorandum d’accord») soit défini et accepté.
13. Enfin, cette question revêtant une importance considérable pour le système global européen de protection des droits de l’homme et, donc, en particulier pour le Conseil de l’Europe, l’Assemblée recommande au Comité des Ministres de continuer d’étudier la question de manière sérieuse et dans le détail afin de définir une position commune s’appuyant sur la présente recommandation.